MOUSTIQUAIRE IMPREGNEE D'INSECTICIDE
Les programmes de soins de santé primaire dans la
plupart des pays où sévit le paludisme ont adopté des
stratégies de lutte contre cette maladie. Ainsi, l'efficacité de
l'utilisation de la moustiquaire imprégnée d'insecticide est
particulièrement établie dans ce domaine par la médecine
moderne. C'est pour cela que l'Etat béninois à travers le
Programme National de Lutte contre le Paludisme (PNLP) et les Organisations Non
Gouvernementales ont entrepris depuis plusieurs années des actions de
sensibilisation et de promotion dans le but de susciter une adhésion
à l'utilisation massive de la moustiquaire imprégnée
d'insecticide au sein des populations. Nonobstant ces efforts, la moustiquaire
imprégnée d'insecticide n'est pas encore suffisamment connues par
les habitants des zones reculées de notre pays. Elle n'existe que dans
quelques rares ménages. Le taux de possession est très faible
comme nous l'avions montré plus haut. Dès lors nous pouvons
affirmer clairement que la moustiquaire imprégnée n'est pas
encore adoptée en milieu rural. Des pesanteurs d'ordre sociologique,
anthropologique et économique sont à l'origine de cette attitude
relevée de manière plus frappante chez les paysans.
5.1 - Pesanteurs sociologiques
Elles se retrouvent à plusieurs niveaux :
* Le niveau d'instruction :
L'analphabétisme et le niveau d'instruction très bas des paysans
expliquent leur degré de compréhension des messages de promotion
de la moustiquaire imprégnée d'insecticide. En effet, sur les 168
personnes que nous avons questionnées, seuls 62 soit 36,90 % ont
été à l'école. Les niveaux varient entre le CP (
Cours préparatoire) du primaire et la classe de 4ème
du collège. Il est à remarquer que la majorité n'a pas pu
franchir le seuil de CEP (Certificat d'Etudes Primaires).
L'analphabétisme pur est élevé (soit 63,10 % dans cette
population).
* Les types de logement
Dans les villages de Ouèdo, on rencontre les cases
rondes en terre de barre couverte de paille et les cases rectangulaires en dur
ou en terre couverte de tôles. Etant donnée que c'est dans la
même case que l'on fait le feu pour la cuisine, les paysans estiment
qu'ils sont à l'abri des moustiques à cause de la fumée
que génère le foyer surtout dans les cases rondes couvertes de
paille.
* Mode de vie et loisirs
En milieu rural, l'alcool et le tabac notamment la cigarette
rentrent dans le mode de vie et les loisirs. Ainsi, certains hommes estiment
que l'alcoolique et le fumeur de cigarette ne peuvent pas utiliser la
moustiquaire imprégnée d'insecticide au risque de
provoquer d'incendie involontaire. Outre cela, l'absence
d'électricité fait que les paysans sont obligés de laisser
le lampion la nuit. Ils évoquent ainsi les mouvements imprudents lors du
sommeil la nuit, qui peuvent être à l'origine d'incendie. De ce
fait, certains ont déclaré qu'ils préfèrent aller
dépenser à l'hôpital pour traiter le paludisme plutôt
que de chercher à le prévenir avec le risque de perdre des vies
humaines et toute leur fortune.
5.2 - Pesanteurs anthropologiques
Elles se résument en plusieurs points.
* Les représentations de la santé et de la
maladie
Certaines personnes pensent que la maladie est indispensable
pour « renouveler
l'année ». La maladie n'est pas que pathologique
pour les paysans. Elle est, à des circonstances données,
considérée comme bénéfique.
Par ailleurs, beaucoup ignorent encore que le paludisme est
causé par la piqûre des moustiques et lui associent d'autres
origines comme le soleil, l'huile, la sorcellerie ou l'envoûtement. Cette
situation s'explique aussi en partie par le taux élevé
d'analphabétisme des individus.
* La croyance à des rites particuliers
Des rites spécifiques se pratiquent au village et
ont pour objectif de rassurer les individus qu'ils sont à l'abri des
maladies et des infections. L'exemple qui nous a été cité
est la cérémonie « Tokplo ». Certains paysans
ont déclaré qu'en cas de pullulation de moustiques ou
d'épidémie généralisée du paludisme, il
suffit que les dignitaires du village organisent cette cérémonie
pour que la paix revienne chez tous. Se fondant sur ces vraisemblables atouts
culturels, les paysans ne voient pas la nécessité d'utiliser la
moustiquaire imprégnée d'insecticide pour une
prévention.
* La présence des médecines
traditionnelles
Dans les différents villages de notre aire
d'étude comme dans la plupart des campagnes, il existe des
guérisseurs traditionnels. Ces derniers interviennent aussi bien dans le
traitement curatif que préventif du paludisme et ceci à un
coût plus réduit. Il faut remarquer qu'il existe la
thérapie par les plantes que des phytothérapeutes ou
«amawato»
dispensent. Il existe une thérapie par le
« fa » que le charlatan ou
« bokonon » en fon donne. Enfin, il y a la
thérapie par le vodun que le chef féticheur ou le
« vodunon » procure. A
Ouèdo, cohabitent, plusieurs cultes vodun réputés dans la
prévention et la guérison des maladies. Il s'agit du
« thron » et du
« Atingali ».
5.3 - Pesanteurs économiques
Elles se ramènent au niveau très bas du revenu
de la plupart des paysans. En effet, la capacité financière des
populations rurales ne leur permet pas d'acheter au comptant la moustiquaire
imprégnée d'insecticide. C'est pour cette raison que certains
préfèrent employer les serpentins qui nécessitent peu
d'investissements sur le champ, mais à long terme, reviennent plus
chers.
Les activités paysannes rapportent quelques revenus qui
sont relativement substantiels après les récoltes donc en saison
sèche. Or durant cette période, les paysans estiment que les
moustiques ne sévissent plus. En outre, c'est dans cette période
qu'ils organisent les cérémonies funéraires auxquelles la
priorité est donnée en matière de dépenses
financières.
5.4 - Pesanteurs liées au système de
soins
* Accessibilité et équipement des centres de
santé
Dans la plupart des arrondissements à l'exception de
l'hôpital du centre, il n'y a quasiment pas d'unités villageoises
de santé opérationnelles. L'enclavement et l'éloignement
des villages du centre font qu'il est difficile aux paysans de se rendre
à l'hôpital pour acheter la moustiquaire imprégnée
d'insecticide. Par ailleurs, ces centres ne sont pas suffisamment
approvisionnés en moustiquaire imprégnée d'insecticide ce
qui par moment engendre des ruptures de stocks de longue durée ou
l'indisponibilité totale de celle-ci. C'est le cas de notre aire
d'étude. Cette situation fait dire aux paysans que la moustiquaire
imprégnée d'insecticide est pour les villes donc destinée
aux citadins.
* Les activités de promotion de la
moustiquaire imprégnée d'insecticide
Elles se font dans les centres urbains au détriment des
centres ruraux. La priorité est donnée à Cotonou et ses
environs pour les séances de sensibilisation
populaire, les ventes promotionnelles et les dons de
moustiquaire imprégnée d'insecticide. Le marketing social n'est
pas encore descendu dans les milieux ruraux pour susciter l'adhésion
à l'utilisation de la moustiquaire imprégnée
d'insecticide. Cependant, ces séances de promotion devront descendre au
niveau des paysans pour les convaincre de la qualité de la moustiquaire
imprégnée d'insecticide et les dissuader des "fausses"
représentations qu'ils se font de ce produit. Il s'agit de leur faire
comprendre d'une part que la moustiquaire imprégnée
d'insecticide est suffisamment aérée avec ses mailles
impénétrables aux moustiques, et d'autre part, elle n'est pas
toxique pour l'organisme humain. Elle ne serait donc pas un instrument que
l'ennemi saurait utiliser pour empoisonner comme les paysans l'ont
exprimé.
SYNTHESE GENERALE
De l'analyse de ces résultats, nous pouvons
déduire que grâce à la radio, les habitants de Ouèdo
sont informés qu'il existe la moustiquaire imprégnée
d'insecticide pour prévenir le paludisme. Il reste cependant que ce
produit est très peu connu physiquement jusqu'à ce jour dans les
villages compte tenu de son indisponibilité sur place. Ensuite, les
séances de sensibilisation devant s'accompagner des
démonstrations ne se tiennent pas dans les villages et celles qui se
font à la télévision ne sont pas accessibles aux masses
paysannes qui vivent sans électricité.
La résultante de cette situation est une attitude peu
favorable à la moustiquaire imprégnée chez les habitants
de Ouèdo qui ne l'utilisent quasiment pas. Les mauvaises opinions
reliées à ce moyen constituent aussi des déterminants
défavorables à l'adoption de son utilisation. En effet, les
logiques ne sont pas les mêmes entre les promoteurs de la MII et les
utilisateurs notamment les paysans des campagnes. De plus, les
différences entre les localités et les logiques de
compréhension des acteurs sociaux ne sont pas prises en compte par les
programmes de promotion et de marketing social que mènent les structures
et ONG s'occupant de la vulgarisation de la MII. Il serait donc judicieux que
la présente étude débouche sur des perspectives pour une
amélioration de la situation.
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