L'impact de l'auto emploi sur le chômage et la pauvreté au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Aloys Mahwa Université Catholique d'Afrique Centrale - Maîtrise 2007 |
III. L'auto emploi et l'EtatL'auto emploi évoque aussi la notion de l'Etat où la montée de l'initiative privée tend à relativiser l'antagonisme entre le public et le privé et que les deux se conçoivent davantage comme partenaires. L'analyse de l'évolution du travail indépendant dans les pays de l'OCDE montre le rôle que l'Etat a joué pour sa promotion. La forme de l'Etat dans certains pays de l'OCDE montre aussi combien l'incitation étatique constitue une source du travail indépendant. «L'intervention publique a aussi joué un rôle important, avec la mise en oeuvre, dans un nombre croissant de pays, de politiques de promotion du travail indépendant tant pour réduire le chômage que pour promouvoir l'entreprenariat. Un certain nombre de gouvernements ont ainsi introduit récemment des politiques orientées à encourager les femmes et les jeunes à se lancer comme indépendants (OCDE, 2000). Ceci afin de faire face à la rigidité du marché du travail et aux défis relatifs à la mondialisation qui déplace les investissements et l'emploi vers les pays en développement. Les entreprises créent emplois et richesse. Elles insufflent aussi à l'économie un dynamisme essentiel pour relever les défis de la mondialisation et du changement structurel. Stimuler l'esprit d'entreprise revient à mobiliser l'énergie entrepreneuriale pour en faire un processus dynamique utilisant toutes les opportunités qu'offre l'économie (OCDE, 1998). Depuis le début des années 80, les pouvoirs publics, dans la plupart des pays de l'OCDE, ont adopté tout un éventail de mesures pour encourager l'emploi indépendant, à la fois pour lui-même et pour tenter d'encourager l'entrepreneuriat [OCDE (1998a)]. Cela s'est produit dans un contexte général de déréglementation de nombreux marchés du travail et des produits et de persistance d'un haut niveau de chômage (Meager (1994)). L'intervention des pouvoirs publics était justifiée par l'existence d'un certain nombre d'éléments qui entravaient l'accès à l'emploi indépendant- carences des marchés financiers, lourdeur des procédures administratives, car il faut rendre compte à plusieurs administrations et protection sociale moins bonne pour les travailleurs indépendants que pour les salariés. Soucieux d'aider les gens à trouver des emplois, les pouvoirs publics ont mis en place divers programmes et dispositifs pour stimuler l'emploi indépendant et la création d'entreprises. Ils ont aussi essayé d'abaisser les taux d'échec des entreprises exploitées par un indépendant, quand il s'avère que l'échec est dû à un manque de compétences, en particulier de compétences managériales. La conclusion dégagée lors d'un séminaire organisé conjointement par les Etats-Unis et l'Union Européenne sur le thème de l'entreprenariat [US Department of Labor (2000)] était que les politiques publiques peuvent favoriser l'entreprenariat de plusieurs façons, bien que l'élément fondamental de la réussite d'une création d'entreprise soit toujours l'entrepreneur lui-même. L'emploi indépendant est tributaire du « contexte » (à savoir, par exemple, accès aux capitaux, procédures administratives, fiscales, politiques en matières de santé, d'assurance sociale et pensions), des « compétences » (capital humain, compétences managériales) et de l'«état d'esprit » (choix personnels).18(*) Les pouvoirs publics, dans leurs interventions, doivent tenir compte de toutes ces dimensions. Cependant, si les pouvoirs publics peuvent contribuer à façonner le cadre général, défini par le « contexte » et les « compétences », pour élargir les opportunités, l'«état d'esprit », en revanche, relève de choix personnels, d'une vision, d'une détermination et de la volonté de prendre des risques. L'état d'esprit est lié à la culture, à la famille et aux traditions locales, et il n'est pas facile de le modifier. Selon Esping- Anderson (1985), les Etats peuvent se diviser en trois grandes catégories. D'abord, les Etats libéraux qui se basent sur le laisser-faire ; les Etats -Unis et la Grande Bretagne sont les principaux représentants de ce groupe. Le deuxième groupe réunit des pays conservateurs où il y a une certaine intervention de l'Etat, mais où celle-ci est de nature conservatrice : l'Allemagne, les Pays-Bas et la France sont dans cette catégorie. Enfin la troisième catégorie réunit les pays socio- démocrates et il s'agit essentiellement des pays scandinaves, comme la Suède, la Norvège, le Danemark. On trouve ici une politique fondée sur une répartition des revenus à l'échelle nationale, ce qui se traduit par des écarts de revenus moins prononcés. A des degrés divers selon les époques et selon les pays, il y a contrôle de l'exportation du capital, contrôle des investissements étrangers dans l'économie nationale, tout cela en vue d'assurer le plein emploi. Dans le champ de la politique sociale, cela se traduit par des différences importantes dans la façon dont sont considérés les chômeurs. En effet, aux Etats-Unis, le chômeur est considéré comme responsable de son sort et les bénéficiaires d'assistance sociale doivent fournir une contrepartie de travail ; c'est ici la situation du laisser-faire économique, où l'Etat considère que ce n'est pas nécessaire d'intervenir, que les gens sont responsables de leur sort et que le marché devrait leur permettre de s'en sortir, s'il fonctionne bien. Aux Etat-Unis, on distingue les pauvres « méritants » (handicapés) et les non méritants, considérés responsables de leur sort. En Scandinavie, au contraire, l'accent est mis sur la formation professionnelle tout au long de la vie, sur l'insertion, la participation des acteurs de la société civile (associations, économie sociale) dans les stratégies d'insertion. En Suède et au Danemark le contrôle de la contrepartie est effectué par les syndicats, ce qui donne une situation fort différente de celle des Etats-Unis. En France, en principe, on favorise davantage l'insertion et la solidarité collective qui est la simple contrepartie de travail, mais les avis sont partagés sur les résultats réels du Revenu minimum d'insertion, qui est censé se distinguer du workfare19(*), mais dont les résultats sont jugés plutôt mitigés par nombre d'analystes (Paugman, 1998). Il semble y avoir un certain écart entre les objectifs, la philosophie et la réalité, car si les objectifs étaient effectivement ambitieux au début du projet, ils le sont devenus nettement moins au fil des ans et on a constaté que ceux qui profitaient le plus du programme étaient les moins nécessiteux, alors que le programme n'arrivait pas à faire sortir de la situation de dépendance les moins scolarisés et les moins qualifiés (Paugam, 1998, Chapn, Euzéby, 2002). En Afrique, depuis les années 1970, l'intervention des Etats en matière d'encadrement social ou d'aménagement territorial s'est trouvée confrontée à la pression contradictoire de l'augmentation considérable des besoins de la société et de l'importante diminution des capacités financières du secteur public. D'une part, le maintien d'une croissance démographique forte ne cesse de multiplier les besoins sociaux, en termes d'encadrement sanitaire, de scolarisation et de formation professionnelle, de logement, d'offre de transport et de communication. D'autre part, et dans le même temps, les ressources disponibles ou mobilisables pour y faire face se sont réduites considérablement dans le contexte conjoncturel difficile et sous le signe idéologique d'une incitation libérale20(*) à la réduction de l'appareil d'Etat et de ses domaines d'intervention. La raréfaction des ressources budgétaires des Etats est ainsi devenue la contrainte politique majeure de la gouvernance des sociétés. BABISSAKANA21(*) souligne que depuis l'indépendance, la promotion de la fonctionnariabilité comme mode d'insertion professionnelle et de réussite sociale au Cameroun a durablement conditionné la structure et la substance du système éducatif. Les produits de ce système éducatif ne pouvaient que souhaiter travailler dans la fonction publique ou l'administration de l'Etat (Etat Jacobin à la française, détenteur du monopole de la contrainte physique, entrepreneur, régulateur, prescripteur de service public et des réglementations, etc.) au pire, dans les entreprises privées sous influence étatique. L'émergence en Afrique de l'économie informelle (ou économie populaire) traduit aussi l'absence de l'interventionnisme de l'Etat ou la faillite de l'Etat providence. Il semble toutefois acquis que les peuples et les dirigeants africains s'accordent à considérer qu'il n'y aura pas de démocratie politique sans démocratie économique. L'une n'est pas la condition de l'autre, elles ne peuvent se construire que conjointement. C'est la démocratie politique qui doit servir à corriger les injustices du marché, ou du moins à empêcher qu'elles ne se perpétuent. C'est elle aussi qui doit prévenir l'arbitraire de la part du pouvoir exécutif et créer les conditions de participation véritable des couches démunies de la population à l'oeuvre de la construction nationale. Ainsi l'attitude des gouvernements et des acteurs institutionnels à l'égard du secteur informel a évolué. La volonté primaire de freiner son expansion a fait place à une certaine tolérance, voire à une volonté de l'appuyer. Globalement, il existe un très large consensus sur la nécessité d'améliorer les revenus et la productivité du secteur informel, de manière à faire reculer la pauvreté et à rapprocher les conditions économiques et d'emploi du secteur informel de celles du secteur formel.22(*) Sous pression des ajustements structurels et de leur corollaire qui est la privatisation, la plupart des économies africaines prennent conscience de la nécessité de se tourner vers la création d'entreprises afin de chercher à régler les problèmes d'emplois posés tant par les compressions induites de personnel, que par ceux liés au nombre croissant d'étudiants qui sortent des universités. L'option généralement prise est alors de favoriser l'éclosion de l'initiative individuelle et de l'esprit d'entreprise par des politiques incitatives multiformes. * 18 OCDE, La renaissance partielle de l'emploi indépendant, Paris, 2000, P. 188. * 19 La notion fait son apparition en
1971 dans un discours de Nixon aux États-Unis. Dès cette date,
elle symbolise un rejet des politiques traditionnelles d'assistance qui
enfermeraient les pauvres dans le piège de la dépendance.
L'idée de base de ce concept est que pour recevoir des secours publics
il fallait en contrepartie, fournir un travail. * 20 Il faudra attendre le début des années quatre-vingt pour que les Etats africains décident de privilégier le secteur privé. En effet, suite à la déclaration de Monrovia qui devrait donner naissance au plan d'action de Lagos (OUA, 1980), le rapport de la Banque mondiale de l'année suivante met notamment l'accent sur les ressources humaines et les secteurs productifs dans une perspective régionale (Berg, 1981). Le rapport insiste sur l'industrie, devenue le coeur des politiques de développement, et fait très brièvement allusion à l'esprit d'entreprise. Ce n'est que huit ans plus tard qu'une des études régionales de la banque (Banque mondiale, 1989) aborde la nécessité de promouvoir l'entrepreneuriat pour assurer une croissance durable à l'Afrique subsaharienne (Voir Donatien EZE EZE, « Déréglementation financière et financement des petites entreprises : quels choix institutionnels au Cameroun ? » in Tsapi V., Création, développement, gestion de la petite entreprise africaine, Yaoundé, Clé 2007, P.81). * 21 BABISSAKANA ONANA, « L'économie camerounaise : Un espoir évanoui ? » in Les débats économiques du Cameroun & d'Afrique, Yaoundé, Prescriptor, 2005, P.40. * 22 Soulèye Kanté, Le secteur informel en Afrique subsaharienne francophone : vers la promotion d'un travail décent, Bureau international du Travail, Genève, 2002, P. 4. |
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