L'encouragement de l'investissement par la solution des conflits par voie d'arbitrage: les mesures prises par l'Etat Libanais et leur degré d'efficacité( Télécharger le fichier original )par Jean-Pierre Nasr - D.E.A. de Droit Privé, des Affaires et de l'Arbitrage 2007 |
Paragraphe II: Applications JurisprudentiellesL'insertion d'une clause d'arbitrage dans les contrats conclus par l'Etat libanais ne suffit pas à elle seule à encourager et protéger l'investissement. Encore faut-il que les juridictions de l'Etat accordent une pleine efficacité aux sentences arbitrales rendues dans le cadre d'un litige opposant l'Etat à l'investisseur. Or, si l'investisseur n'a pas rencontré des difficultés en amont pour intégrer une clause compromissoire dans ses engagements contractuels avec l'Etat, il s'est vu en aval rejeter la demande d'exéquatur de la sentence arbitrale par le Conseil d'Etat libanais. Envisageons la question de l'exéquatur des sentences arbitrales à la lumière de trois arrêts rendus par la haute juridiction administrative. Avant ceci, rappelons brièvement la Jurisprudence Cellis et Libancell et l'effet négatif de ces deux décisions tant sur l'avenir de l'arbitrage que sur l'investissement au Liban. I- La jurisprudence Cellis et Libancell78(*)Les arrêts Cellis et Libancell rendus par le Conseil d'Etat libanais en 2001 ont considéré que les deux contrats BOT conclus par l'Etat libanais avec les deux investisseurs étrangers {français et finlandais}, pour la mise en place et l'exploitation d'un réseau de téléphonie mobile au Liban sont inarbitrables. Si la question intéresse de prime abord les contrats administratifs internes, elle a cependant eu des retombées négatives sur l'investissement. La haute juridiction administrative niant le caractère international du contrat, refuse d'appliquer l'article 809 du NCPCL et omet délibérément de distinguer l'arbitrage interne de l'arbitrage international. Bornés à annuler la clause compromissoire, les juges administratifs méconnaissent l'application de l'article 795 al.2 qui pose implicitement le principe de l'admission de l'arbitrage en matière administrative. Ces deux arrêts noircissent l'image de l'arbitrage et de l'investissement au Liban. L'investisseur étranger éprouve un sentiment d'embarras et de malaise face à cette solution qui remet en cause la bonne foi de l'Etat libanais et son aptitude à respecter ses engagements contractuels. Le législateur libanais, afin de gommer la solution apportée par les arrêts Cellis et Libancell, est intervenu par la loi n° 440/2002 pour lever la prohibition de l'Etat de compromettre en matière administrative. II-Prolongement de la jurisprudence Cellis et LibancellLe Conseil d'Etat Libanais a eu l'occasion de se prononcer sur la question de l'octroi de l'exéquatur à une sentence arbitrale dans l'affaire Société des Marafek Libanais c/l'Etat libanais rendu le 15 avril 2003, après la promulgation de la nouvelle loi de 2002. Rappelons brièvement les faits: Suite à un appel d'offre international, un contrat BOT a été conclu le 7/12/1997 entre l'Etat libanais représenté par IDAL et la société Al khourafi pour la construction d'un parking de voiture à l'aéroport de Beyrouth. Il était convenu entre les parties que le parking sera exploité par la société al Khourafi durant quinze années suivant un tarif fixé par un accord entre les deux parties. Les deux parties concluent qu'à l'achèvement de cette période, la propriété des parkings sera transférée à l'Etat avec tous les équipements qui l'accompagnent. Le contrat renfermait de même une clause de non concurrence, qui est à la base du litige, interdisant à l'Administration d'exploiter d'une manière directe ou indirecte d'autres parkings dans le cadre de l'aéroport. En date du 11/9/1998, la société koweitienne cède ses contrats à la société des Marafek libanais. D'un autre coté, le Ministère des travaux publics et des transports est subrogé dans les droits et obligations d'IDAL. Un différend est né entre les deux parties au contrat et un arbitrage CCIB fut mis en oeuvre. Les arbitres ont conclu à l'arbitrabilité du litige sur le fondement de l'article 809 NCPCL. Le Président du Conseil d'Etat Libanais en date du 15 avril 200379(*), rejette la demande d'exéquatur présentée par la société des Marafek au motif que la loi 440/2002 n'a pas d'effet rétroactif. De plus, le Conseil d'Etat va plus loin et adopte le même raisonnement de ses prédécesseurs dans les affaires Cellis et Libancell en considérant «qu'il y a des principes établis dans la doctrine et la jurisprudence administratives que l'arbitrage est prohibé dans les matières administratives à moins qu'il ne soit disposé autrement par la loi »80(*). Le Conseil d'Etat ajoute que «la prohibition de l'arbitrage dans les contrats administratifs est un principe d'ordre public qu'il convient de soulever d'office ». La solution apportée par la juridiction administrative ajoute: « si l'arbitrage a lieu, la sentence rendue est considérée nulle et l'on ne peut invoquer le fait que l'Etat a participé à la procédure arbitrale pour refuser son droit d'agir contre la sentence arbitrale »81(*). L'argumentation des juges va plus loin et se base sur l'avis d'Edouard Laferrière: «les exigences d'ordre public, requièrent que l'Etat ne soit soumis qu'aux juridictions constituées par la loi; la compétence des juridictions administratives est d'ordre public de même que la compétence de l'ordre judiciaire. Et s'il n'appartient pas aux juridictions de l'ordre judiciaire de statuer sur des questions qui relèvent de la compétence de l'ordre administratif comment dès lors admettre que les arbitres puissent statuer sur ces questions ?82(*) Le Conseil d'Etat refuse toutefois de déduire le caractère international des opérations en cause et cherche à justifier sa position par des arguments parfois peu convaincants, confus et contradictoires, qui lui permettent au final, de refuser l'octroi d'exequatur de la sentence arbitrale. Il est à dénoncer le comportement de la haute juridiction administrative dans cet arrêt dont les retombées sont très négatives tant sur le droit international de l'arbitrage que sur l'investissement. Les contrats de concession signés par l'Etat avec un investisseur étranger intéressent le commerce international et doivent être régis par l'article 809 du NCPCL. Cet article est destiné à s'appliquer aux litiges relatifs au commerce international et à l'investissement. * 78 V. Rev. Arb., 2001. p.855, note Hadi Slim et Marie Sfeir Slim. * 79 V. Rev. Arb. 2006. n° 3, Page 806, note Nathalie Najjar. * 80 Conseil d'Etat Libanais, Etat c/ Medrico, décision n° 23 du 1/2/1988, R.J.A, n° 5, p. 37. * 81 Ces mêmes propos ont été avancés par le Conseil d'Etat Libanais, décision n° 638/2000-2001 du 17/7/2001, Etat c/ Libancell. * 82 V. E. Laferrière, Contentieux administratif, 1888, t. 2, pp. 145-146 ; v. également A. de Laubadère, F. Moderne et P. Delvolvé, Traité des contrats administratifs, 1984, tome 2, pp. 955-956. |
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