La nomination des animaux par Adam, dans l'Occident latin du XIIe au XVe siècle. Etude iconographique( Télécharger le fichier original )par Maÿlis Outters Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines - Master 2 d'histoire médiévale 2006 |
Chapitre 4. Adam prépare la création d'ÈvePierre le Mangeur dans son Histoire Scolastique, débute ainsi son commentaire sur la nomination des animaux : Dieu dit aussi : Il n'est pas bon que l'homme soit seul ; faisons lui une aide qui soit semblable à lui [Gn II,18], pour avoir des enfants. Car ce qui est semblable naît par nature de choses semblables. Mais pour qu'Adam ne voie pas la création de la femme comme superflue [Dieu lui amena les animaux] parmi lesquels il pensait trouver quelqu'un de semblable à lui84(*). La nomination des animaux précède la création de la femme. En nommant les animaux Adam s'aperçoit qu'aucun d'entre eux ne lui convient pour être son aide, son double. Le terme latin utilisé, adjutorium, renfermant l'idée de secours. Ainsi la nomination met en valeur les animaux parmi lesquels Adam aurait pu trouver une aide, ainsi que la femme, qui devient à la suite de cet épisode irremplaçable et indispensable à l'homme. Dans la division de son commentaire de la Genèse, Guillaume d'Alton85(*) place la nomination des animaux dans le commentaire sur la création de la femme. Ce qui nous montre une relation indissociable entre la nomination des animaux et la création de la femme, l'une étant le prélude de l'autre. La création de la femme est une conséquence de la nomination des animaux. Le langage est fortement lié à la sexualité humaine. Les animaux ont défilé devant Adam pour qu'il les essayât, pour qu'il se rende compte de sa différence. Autant d'échecs, jusqu'à l'apparition de la sexualité humaine, qui n'est plus uniquement bestiale86(*). Un sujet sur lequel les commentaires médiévaux se font très discrets. Nous pouvons voir dans la mosaïque de Saint-Marc (ill. 6) que les animaux sont tous en couple, et à l'image des animaux, Adam cherche sa semblable dans le parc animalier. Ce sont des couples très liés, parfois il semble y avoir deux têtes sur un seul corps. L'accent est mis sur l'union étroite du couple, sur leur similitude. Les animaux sont aussi en couples dans le bestiaire d'Aberdeen (ill. 5). Deux exceptions se présentent : le lapin est seul, il représente ici le chrétien seul en danger, comme un lapin qui à tout à craindre des nombreux prédateurs qui l'environnent. Et les félins qui sont au nombre de trois : un lion, une lionne, une panthère ou un léopard. La représentation des couples d'animaux reste cependant rare, puisqu'elle est réservée à l'iconographie de l'Arche de Noé. Seuls les commentaires juifs précisent que les animaux sont venus en couple87(*) La nomination de la femme suit celle des animaux. En voyant les couples d'animaux défiler devant lui, Adam se rend compte de sa singularité, il ne voit pas parmi les animaux une créature semblable. Adam ressemble en effet plus à Dieu qui est son modèle, puisqu'il a été fait à son image. Les enluminures sont explicites sur ce point. Un bestiaire de Cambridge (ill. 14) isole les animaux qui ne forment qu'un bloc compact face à Dieu et à Adam. D'autant plus qu'en imitant le geste de Dieu, Adam renforce la similitude des deux êtres. En nommant les animaux, en leur donnant des nom déterminant leur nature Adam se rend compte de la différence qui les sépare, mais il n'est pas en son pouvoir de susciter un être semblable à lui. L'importance des lapins dans les enluminures représente aussi la la fécondité et la reproduction. Chaque couple d'animal a la possibilité de se reproduire. Les lapins très nombreux à l'époque médiévale88(*) élevés dans les garennes, symbolisent le but premier du couple : la reproduction. Dieu créé donc la femme et, en la voyant, Adam procède comme il l'a fait pour les animaux, il la nomme, pour se l'approprier, et de ce fait il la domine. Et saint Augustin d'ajouter : «l'homme donna donc un nom à sa femme comme le supérieur à l'inférieur»89(*). Dans son commentaire sur la création de la femme les parallèles sont fréquent avec la nomination des animaux. La femme a été faite comme une aide pour l'homme, afin que leur union spirituelle donnât une progéniture spirituelle à savoir les bonnes oeuvres de la louange divine, tandis qu'il dirige et qu'elle obéit, qu'il est lui dirigé par la sagesse et elle par l'homme. Car la tête de l'homme est le Christ et celle de la femme est l'homme [1 Co II, 3]. C'est pourquoi il est dit, il n'est pas bon que l'être humain soit seul. Il restait encore à faire que l'âme dominât le corps, parce que le corps occupe le rang de serviteur, mais encore que la raison de l'homme se soumît sa propre partie animale, à l'aide de laquelle il commande au corps. La femme que l'ordre des choses soumet à l'homme a été créée pour en donner l'exemple, afin que ce qui apparaît avec évidence en deux êtres humains, masculin et féminin, pût également être observé en un seul : l'intime et l'esprit doit, en tant que raison de l'homme tenir soumis le mouvement instinctif de l'âme, par lequel nous agissons sur les membres du corps, et il doit par une juste loi, imposer une mesure à celle qui est son aide, de la même façon que l'homme doit diriger la femme et ne pas lui permettre de dominer l'homme, car lorsque cela arrive, c'est le renversement et le malheur dans la famille90(*) L'homme domine la femme comme l'Homme domine les animaux, et comme l'être humain domine ses passions par la raison. Mais un changement fondamental s'est opéré, «en nommant Ève Adam passe du nommer au dire, de l'imposition des noms à des êtres muets au dialogue dans la liberté intime et ouverte à la fois»91(*) . Dans une bible de Charles le Chauve92(*) Adam fait le même geste pour nommer la femme que pour nommer les animaux, mais le commentaire qui accompagne l'image emploie le terme vocare (Christus Evam ducit Adae quam vocat viraginum), alors que pour les animaux les expressions appelavit, indidit vocabula ou imponere nomina sont utilisées. Avec le verbe vocare le nommé n'appartient plus seulement à une simple nomenclature mais une certaine relation s'établit entre celui qui nomme et celui qui est nommé. Le thème de la sexualité humaine est peu abordé dans les commentaires93(*) ; les penseurs ont vite focalisé leur exégèse sur d'autres aspects. La nomination des animaux et leur domination sont aussi, symboliquement, la domination des «animaux intérieurs» de l'homme. L'homme doit combattre ses démons intérieurs et «pour échapper à l'emprise du mal imposer son autorité sur cette faune du chaos à l'instar d'Orphée charmant les animaux et d'Adam leur donnant un nom»94(*). Autrement dit par saint Augustin, l'homme a en lui-même «une partie raisonnable qui dirige et une partie animale qui est dirigée»95(*). Homme, maître, père, seigneur, époux, les différentes facettes d'Adam s'offrent à nous dans l'acte de la nomination des animaux. Adam est un homme idéal, un modèle pour l'humanité, pour tous les hommes, proposé par les clercs. Plusieurs fonctions sociales sont valorisée, Adam est pasteur, maître et seigneur, une vision de l'Occident médiéval, du «prêtre, prophète et roi» vétérotestamentaire. Adam apparaît en homme parfait dans un lieu idéal. * 84 Petris Comestoris, op. cit., annexe 2 * 85 Commentaires de la Genèse de Guillaume d'Alton, cité dans G. Dahan, nommer les êtres..., op. cit., p. 127. * 86 G. Dahan, Nommer les êtres..., op. cit., p. 127. * 87 voir annexe 7, le texte de Rachi (1040-1105). * 88 R. Delort, Les Animaux ont une histoire, Paris, Le Seuil, 1984, pp. 299-320. * 89 Saint Augustin, Contre les Manichéens, op. cit., livre II, XIII, 18. * 90 Saint Augustin, Contre les Manichéens, op. cit., livre II, XI, 15. * 91 J.-L. Chrétien, L'Arche de la parole, op. cit., p. 8. * 92 Bible de Charles le Chauve dite de Vivien, faite à Saint-Martin de Tours, IXe s., Paris, BNF, ms. lat. 1, fol. 10v. * 93 Ce thème semble avoir été plus exploité dans la tradition juive. Parmi les animaux qui défilaient devant Adam, certains avaient des rapports sexuels, et Adam a envié leur plaisir et a eu envie d'une partenaire. Dans G. A. Anderson, The Genesis of Perfection. Adam and Eve in Jewish and Christian Imagination, Louisville/London, Westminster John Knox Press/Leiden, 2001, p. 43. * 94 Entretiens avec Héraclite d'Origène, cité dans J. Voisenet, Bêtes et hommes dans le monde médiéval. Le bestiaire des clercs du Ve au XIIe siècle, Turnhout, Brepols, 2000, p. 283. * 95 Saint Augustin, Contre les Manichéens, op. cit., livre II, XI,16. |
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