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La nomination des animaux par Adam, dans l'Occident latin du XIIe au XVe siècle. Etude iconographique

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par Maÿlis Outters
Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines - Master 2 d'histoire médiévale 2006
  

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Chapitre 2. Le jardin paradisiaque

1. L'explosion des jardins au XIIIe siècle

Au XIVe siècle, l'individu considère la nature qui l'entoure comme un monde désacralisé mais riche en poésie. Ce sera une des missions du peintre de participer à l'inventaire de tout ce qui en fait la beauté. Il s'attachera tout spécialement à représenter les animaux dans leur environnement111(*). Au milieu du XIIIe siècle s'ouvre l'ère des grands voyages en Orient et les récits de voyages dont celui de Marco Polo qui vint enrichir le bestiaire et l'herbier médiéval.

Les enlumineurs s'évertuent à enrichir et décorer leurs vignettes. L'enluminure fait la beauté du manuscrit et à de riches commanditaires correspondent de riches illustrations. Les XIIe et XIIIe siècles voient l'émergence des jardins de plaisirs, ce ne sont plus simplement des potagers ou des carrés d'herbes médicinales, mais des arbres et des fleurs qui viennent garnir un espace qui ne fera que croître tout au long de la fin du Moyen Âge dans les domaines seigneuriaux. Cette transformation des jardins est due en partie à l'influence arabe dont les Normands ont découvert les merveilles en Sicile. Par l'amélioration des jardins l'homme montre sa maîtrise de la nature, il veut la dominer, mais aussi vivre en harmonie avec elle, «et au delà, vivre en harmonie avec le divin»112(*) . Le jardin d'Éden représente cet âge d'or où l'homme vivait avec Dieu en harmonie avec une végétation luxuriante et féconde et des animaux soumis et pacifiés.

Bien des histoires d'amour du XIIe et XIIIe siècles se déroulent dans des jardins, mais la description la plus classique est donné dans le Roman de la Rose : des arbres fruitiers, des gazons fleuris, des tonnelles sur lesquelles grimpent des rosiers, une fontaine et un hortus conclusus.113(*) Cette description du Paradis est issue de l'image véhiculée par le Cantique des cantiques, qui servira plus de modèle aux représentations paradisiaques que les quelques indices laissés par le récit de la Création.

2. Le modèle de la Genèse

La description du paradis terrestre dans la Genèse est en effet assez vague pour laisser à l'enlumineur libre cours à son imagination. Les éléments indispensables du Paradis se retrouvent dans les enluminures de la nomination les plus travaillées.

En cela les bestiaires se distinguent des bibles. Les enluminures des bestiaires répondent à un besoin «scientifique», ce sont presque des croquis pour chaque article d'animal, et l'image de la nomination se réduit au minimum, c'est à dire Adam, souvent assis sur un trône et des animaux, voire quelques éléments naturels servant de support comme dans le bestiaire de Anne Walshe (ill. 24) et le liber de bestiis de Cambridge (ill. 25) où l'arbre, l'eau et le rocher ne sont là que pour soutenir les animaux aériens, marins et terrestres.

Pour les bibles, l'enluminure s'insère dans une série d'image relatant des épisodes de la Genèse. La nomination des animaux par Adam vient après la description du jardin d'Éden (Gn II, 8-14), et les éléments identifiant l'Éden se retrouvent sur les vignettes enluminées. La promotion que reçoivent les jardins, tant dans a vie réelle qu'au niveau symbolique (dans la littérature courtoise), se reflète dans l'iconographie, qui emprunte d'autres éléments.

Nous avons d'abord les quatre fleuves, un des rares indices naturels et géographiques laissés par la Genèse. Puis l'arbre, le roi des éléments naturels, qui à lui seul peut représenter la végétation créée par Dieu. Suivent les fleurs plus spécifiques au Cantique des cantiques, comme la clôture, fermant le jardin clos du Cantique. Certains animaux sont indissociables du Paradis qui est leur milieu naturel.

La Genèse lègue les noms de quatre fleuves, le Phison, le Geon (qui au Moyen Âge étaient identifiés comme le Nil et l'Indus), le Tigris et l'Euphrates. Ce qui a permis de vite localiser l'Éden en Orient. Ces fleuves prennent donc source dans l'Éden. Dans les deux bibles historiales de Guiart des Moulins, les quatre fleuves de l'Éden prennent source aux pieds d'Adam (ill. 19 et 21). Nous retrouvons l'image d'Adam à la source de la nature, comme il a eu la paternité sur les animaux en leur donnant un nom. Les fleuves de l'enluminure de Saint-Omer (ill. 21) prennent source sous un arbre, l'arbre de vie. Cet arbre est en effet au centre de la vignette, peut-être est-ce le souci de bien placer l'arbre de vie qui se trouve au centre du jardin d'Éden (Gn II, 9). Cette position centrale se retrouve dans le bestiaire de Meermanno114(*) (ill. 28).

L'arbre est le deuxième élément identifiant l'Éden, puisque la Genèse mentionne l'existence de deux arbres, l'arbre de vie au milieu du jardin et l'arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais» (Gn. II, 9). Des arbres multicolores (vert rouge et jaune) garnissent l'Éden de la bible de la Pierpont Morgan Library (ill. 9), ils sont l'illustration du verset de la Genèse décrivant les arbres : «le Seigneur Dieu fit germer du sol tout arbre d'aspect attrayant et bon à manger» (Gn II, 9). Les arbres servent de toile de fond à tous les jardins médiévaux, spécialement les arbres fruitiers. Les enluminures ne sont pas assez précises pour déterminer la nature des arbres, mais depuis que les rois normands de Sicile ont diffusé les citronniers et les orangers depuis la Sicile, ces deux arbres sont devenus les arbres par excellence des jardins courtois ou mystiques, dans la littérature et l'enluminure115(*).

L'arbre reste l'élément essentiel au décor du Paradis, l'enluminure du bestiaire du Vatican (ill. 17) qui n'a pour ainsi dire aucun élément «inutile», purement décoratif, possède son arbre, un arbre qui ne sert pas de support à quelques oiseaux de la Création, un arbre qui a pour seule «fonction» de représenter le Paradis, l'arbre de vie.

* 111 M. Durliat, «le monde animal et ses représentations iconographiques du XIe au XVe siècle» dans Le monde animal et ses représentations au Moyen Âge (XIe-XVe siècles), Actes du XVe congrès de la SHMESP, Toulouse les 25 et 26 mai 1984, Toulouse, Le Mirail, 1985, p. 72.

* 112 É. Antoine, «Jardins et ménageries de la fin du Moyen Âge. Le prince au jardin d'Éden» , art. cit., p. 51.

* 113 R. King, Les Paradis terrestres. Une histoire mondiale des jardins, Paris, Albin Michel, 1980, pp. 74-85.

* 114 Bestiaire de Anne Walshe, Copenhague, Kongelige Bibliotek, v. 1400-1425, Gl. kgl. S. 1633 4°, fol. 21v.

* 115 cité dans R. King, Les Paradis terrestres. op. cit., p. 83.

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