Contribution aux études méditerranéennes: les relations turco-tunisiennes (1956-2001)( Télécharger le fichier original )par Meriem JAMMALI INALCO - Maîtrise de langue et de civilisation turques 2003 |
INTRODUCTIONEn 2000, le quotidien turc Ak°am, « Le Soir » écrit sous le titre de « Tunisie, l'Europe de l'Afrique » que « La Tunisie qui est petite mais vit dans la prospérité, est un paradis touristique avec ses beautés historiques et ses merveilles naturelles [...] située dans le Nord de l'Afrique, petite mais magnifique, la Tunisie ressemble beaucoup à la Turquie. [...] Ils [les Tunisiens] sont les amis des Turcs et même nos deux drapeaux se ressemblent, ce qui rapprochent davantage nos deux pays ».1(*) Afin de persuader le lecteur turc des ressemblances entre la Tunisie et la Turquie, le rédacteur de cette citation a mis l'accent sur l'amitié entre les deux peuples. Il n'hésite pas à faire appel à l'histoire, en évoquant la ressemblance des drapeaux turc et tunisien, ce qui constitue, à ses yeux, un élément majeur qui rapproche les deux peuples.2(*) En dehors de la similitude des drapeaux, la Turquie et la Tunisie ont connu les mêmes expériences : la lutte pour l'indépendance, le régime du parti unique et, enfin, l'expérience de l'Etat-nation et de la «démocratie . Ces affinités d'ordre géographique et politique devraient en principe servir de base pour une coopération turco-tunisienne. Par ailleurs, il va sans dire que les deux pays appartiennent à la famille des Etats méditerranéens, avec ce que cette famille comporte en termes de diversité politique, économique et culturelle mais aussi en termes de conflits. C'est une famille qui occupe un espace contrasté. Ses membres, malgré leur appartenance à une même aire géographique, ont évolué dans des contextes différents. De même, la Méditerranée est le lieu de rencontre de deux mondes : le Nord et le Sud. La Turquie et la Tunisie se trouvent ainsi tiraillées entre, d'un côté un Occident qui représente leurs espérances, et de l'autre côté, un Sud qui leur rappelle leurs problèmes et leurs ambitions. Mais depuis leur indépendance, les deux pays ont fait un choix identiquement irréversible, celui de prendre l'Occident pour modèle à suivre en quête de modernisation économique et sociale. Cependant, quatre-vingt ans après son engagement dans la voie de la modernité, la Turquie est toujours perçue par le Nord comme un pays du Sud en développement de par ses structures sociales et économiques. Quant à la Tunisie, personne ne doute qu'elle fait partie des pays du Sud. Ses performances économiques et sa démographie maîtrisée les placent dans le rang des pays du Sud les plus avancés. Ce qui la rapproche davantage, sur le plan économique, de la Turquie. Encore un point de similitude entre les deux pays. C'est sous cet angle même que nous nous proposons de traiter ce sujet. Il importe donc de savoir comment la Tunisie et la Turquie, avec toutes les convergences politiques, géostratégiques et économiques allaient gérer leurs relations bilatérales. Qu'en est-il de ces relations ? Pourraient-elles servir de modèle pour une coopération Sud-Sud ? C'est à ces questions que nous essayerons de répondre dans le présent travail. Les limites chronologiques que nous nous sommes fixées ne sont pas le fruit du hasard. 1956 est en effet une date clef dans l'histoire de la Tunisie, marquant à la fois son indépendance et le début de ses relations diplomatiques avec le reste des Etats. La date à laquelle nous arrêtons notre étude (2001) coïncide avec la deuxième visite qu'un président tunisien a effectuée en Turquie depuis 1956. Le centre de gravité de notre étude tourne autour de plusieurs champs de recherches qui constituent en même temps des domaines où s'opère la coopération bilatérale entre les Etats du monde : les relations diplomatiques, économiques et culturelles. Dans une première partie, nous analyserons les relations diplomatiques entre Ankara et Tunis. Il sera surtout question d'Atatürk et de Bourguiba, deux personnalités politiques qui ont marqué à jamais l'histoire récente de leurs pays respectifs. Les convergences et les divergences de leurs choix politiques seront évoquées. Afin d'élucider l'évolution des relations politiques depuis les années 50 jusqu'à une date récente (2001), nous passerons en revue les différents accords régissant ces relations ainsi que l'impact des visites officielles effectuées par les responsables des deux pays. Quant à la deuxième partie du présent travail, elle traitera de la question des relations économiques et commerciales entre les deux pays. Dans cette partie, il sera question du contenu et du rythme des échanges commerciaux. Enfin, dans une troisième et dernière partie nous tâcherons de montrer comment les relations culturelles turco-tunisiennes sont peu intenses et nous essayerons d'en avancer les raisons. PRÉSENTATION CRITIQUE DES SOURCESCertains articles extraits des journaux tunisiens nous ont servi de support pour élaborer la présente recherche. Mais avant d'énumérer ces journaux, quelques remarques sur l'histoire de la presse en Tunisie nous semblent nécessaires. En effet, pendant la colonisation, les journalistes tunisiens étaient contraints d'écrire dans des journaux francophones pour contourner les restrictions imposées aux journaux arabophones aisément accessibles à un large public tunisien. Avec l'indépendance en 1956, de nombreux organes de presse se sont créés. Cependant, ils restèrent dépendants de l'appareil d'Etat. Les restrictions que ce dernier leur a toujours imposées les rendirent peu crédibles auprès de leurs lecteurs, notamment les milieux cultivés. A la fin des années 80, la presse tunisienne a connu une ouverture assez timide - en rapport avec l'autorisation du multipartisme - en abordant des sujets différents parfois audacieux. Actuellement, on se sert du danger de la propagation islamiste « à l'algérienne » pour restreindre la liberté des journalistes. 3(*) Les journaux appartiennent à des entrepreneurs locaux qui composent avec le pouvoir. Aujourd'hui, la Tunisie compte 8 quotidiens, 29 hebdomadaires et 38 périodiques. Hormis l'hebdomadaire Al-Anwar « Lumières » qui tire à environ 140 000 exemplaires ; le tirage des principaux titres se situe entre 20 000 et 50 000 exemplaires environ. Les principaux journaux que nous avons pu dépouiller pour élaborer la présente recherche sont des publications généralistes. En voici la liste : · L'Action (francophone) : organe de presse du parti au pouvoir, fondé par Bourguiba en 1934, rebaptisé depuis 1988 Le Renouveau (voir titre suivant) ; · Le Renouveau : quotidien francophone, il paraît chaque lundi. Sa première parution date de 1988. Ce dernier nom n'est pas le fruit du hasard. Il survient après l'accession de Ben Ali à la magistrature suprême, présentée par le nouveau pouvoir comme un grand « Changement ». Son tirage est à 30 000 exemplaires environ. Nous y avons puisé l'essentiel de nos informations sur les visites officielles échangées entre les responsables des deux pays. · La Presse : premier quotidien francophone du pays, paru en 1936. Il tire à 48 000 exemplaires environ. Les principaux matériaux que nous y avons réunis concernent des analyses sur l'économie et la vie politique turques ainsi que les relations de la Turquie avec le monde arabe. · Le Temps : quotidien francophone qui tire à 40 000 exemplaires environ. Comme le précédent titre, ce journal publie des articles sur l'actualité internationale, entre autres l'actualité de la vie politique turque et les relations de la Turquie avec les pays arabes. · CEPEX actualités : bulletin de liaison du Centre de Promotion des Exportations tunisiennes. Comme son nom l'indique, ce centre, créé en 1973, a pour vocation d'encourager les entrepreneurs tunisiens et étrangers à investir en Tunisie. Bien évidemment, ce centre sert également d'interface entre investisseurs tunisiens et turcs. De même, il entretient des relations étroites avec son pendant turc IGEME Ihracati Geli°tirme Etüd Merkezi. · L'Economiste maghrébin : magazine francophone bimensuel qui paraît depuis 1990. Il traite des sujets d'économie et de finances, entre autres les investissements communs entre des entrepreneurs turcs et tunisiens. Il importe de souligner que l'ensemble de ces organes de presse que nous avons consultés pour l'élaboration de notre recherche ont une source d'information presque unique. Il s'agit de la T.A.P (Tunis Afrique Agence), première et unique agence tunisienne d'information. Autres sourcesLe discours de Bourguiba à Ankara, le 25 mars 1965, est riche en informations. L'ex-président tunisien y trace avec pertinence l'évolution des relations arabo-turques en faisant souvent référence à des événements historiques et à des lectures personnelles des questions politiques ou sociales. En lisant le présent travail, le lecteur peut s'interroger pourquoi nous n'avons pas utilisé systématiquement les journaux turcs. La réponse est que d'abord, notre travail ne porte pas uniquement sur l'étude des relations bilatérales à travers la presse. Ensuite, faute de temps, nous n'avons pas pu accéder aux archives de la presse turque. Les quelques articles que nous citons dans la présente étude nous les avons découvert fortuitement. Enfin, afin de combler cette lacune, nous avons consulté des rapports diplomatiques (quoiqu'ils ne soient pas toujours objectifs car montrant ce que les gouvernements veulent véhiculer) ou des comptes-rendus des chambres de commerce, des notes de correspondances officielles ainsi que des informations que nous avons directement recueillies auprès d'un certain nombre de personnes impliquées dans les rapports turco-tunisiens. Signalons enfin que l'apport des accords et des traitées régissant les rapports tuniso-turcs a été capital pour la réalisation de la présente recherche. Un examen critique de l'ensemble de ces informations s'avérait indispensable pour élucider les enjeux et les perspectives de la coopération entre les deux pays. En effet, La confrontation des différentes sources fait l'intérêt de cette approche qui se veut avant tout, une approche évolutionniste et parfois comparative. * 1 Ak°am, « Tunus Afrika'nýn Avrupasýdýr» « Tunisie, l'Europe de l'Afrique », du 16/11/2000. * 2 Il est vrai que la conception des drapeaux remonte loin dans l'histoire. Le drapeau tunisien, adopté en 1831 par Hassine Ier, huitième bey de la dynastie husseinite, témoigne des liens qui unirent la Tunisie à l'Empire ottoman. D'ailleurs, le fond rouge, l'étoile et le croissant sont des symboles spécifiques à l'Empire ottoman et on les retrouve sur divers drapeaux de pays islamiques. Sur le drapeau turc actuel figure un croissant et une étoile tous deux blancs, frappés sur fond rouge. L'étoile en question a été rajoutée en 1844, ce qui a donné au drapeau turc sa forme actuelle, fixée par la loi du 29 mai 1926. * 3 M. DARIF, « Tunisie », dans Le guide de la presse 2002, Paris, 2002, p. 394. |
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