Université de Cergy-Pontoise
UFR de Lettres et Sciences Humaines
Spécialisation Sciences du Langage
Octobre 2006
Julie Masmejean
De la manoeuvre des moeurs et du silence des mots dans le
lexique français.
Itinéraire d'une bienséance
langagière inédite :
|
le Politiquement Correct, entre splendeur et
trahison.
|
Plan
Introduction
p.7
CHAPITRE 1 : Origines, étendues et
influences d'un phénomène linguistique citoyen du monde
I/ Origines et passif du politiquement correct
p.11
1) Jadis, la langue de bois
A- Bref récit généalogique
a- une naissance confuse
b- un statut à part entière
p.12
B- La Novlangue, prémonition ou résultante de
la langue de bois ? p.14
2) Le « politically correct» made in
USA, le nouvel «American Dream» p.17
A- Une prise de conscience élitiste
p.18
B- « Extension du domaine de la lutte »
p.19
C- Bienvenue au pays de l'érable
II/ Le politiquement correct au pays des
Lumières p.22
1) Le courant des Précieuses
A- Une prétentieuse distinction linguistique
B- Une entreprise de refonte lexicale
p.23
C- Une ridicule facétie
p.24
D- Quelques réminiscences de la
Préciosité p.25
2) Un phénomène sociolinguistique
choisi et légitimé : des synonymes et des clones
p.26
A- La chance du débutant
B- L'Hexagonal
p.28
C- La « soft-idéologie »
D- Le multiculturalisme
p.29
E- La pensée unique
p.30
III/ Le politiquement correct à la
française, l'utopie contemporaine
p.32
1) Des débuts prometteurs
2) Le politiquement correct, essence de la langue
française p.33
A- Une innéité discursive
p.34
B- Un cas pratique : Le Nouveau Littré
p.35
3) Un utopique aveuglement : la quête
effrénée d'une langue parfaite p.37
A- La langue des « Droits de
l'Humain »
B- Une naïveté originelle
p.39
C- Un idéal périssable
p.40
4) Le jour où Candide rencontra
Pollyana : de la muse à l'icône
p.42
IV/ État dictionnairique d'un
phénomène linguistique polysémique
p.45
1) Entre oubli et absence, le manque de conviction
du dictionnaire Hachette
A- Un sectaire politiquement correct
B- Des synonymes discrets
p.47
2) Le Petit Larousse ou l'assise
lexicographique
A- Une évolution diachronique pertinente
B- Une richesse synonymique
p.49
3) Le Petit Robert ou la pertinence des
définitions p.50
A- Le politiquement correct, un mouvement linguistique
enfin reconnu
B- Un choix stratégique
p.52
V/ Une grande épopée linguistique
p.54
1) Le politiquement correct, du langage à la
langue en passant par le discours
2) Entre idiome et sociolecte
p.55
3) Le discours politiquement correct, de
l'incompréhension à la négation p.57
A- Le politiquement correct, un discours codé
B- Un paradoxe innommable : un discours anti-langage
p.58
4) De l'omniprésence de la
norme
p.59
CHAPITRE 2 : Des interdictions aux astuces :
ligne de conduite du phénomène sociolinguistique qui submergea la
langue française
I/ Politiquement correct, vocabulaire tabou et
indicible p.62
1) La notion de tabou au coeur de la philosophie
politiquement correcte p.63
A- Le tabou, un statut en devenir
B- Un vocabulaire renié
a- l'exclusion
p.64
b- origines et religions
c- le corps ingrat et sale
d- la sexualité
p.65
e- la guerre
f- la vieillesse, la maladie et la mort
p.66
2) Indicible et politiquement correct
p.67
II/ Les outils rhétoriques, faire valoir de la
bienséance p.71
1) Les figures de style du politiquement
correct
A- Une hypothétique paraphrase
B- Un discours emphatique
p.73
a- la litote
b- l'oxymore
c- la périphrase
p.74
2) L'euphémisme, valet indispensable du
politiquement correct p.75
A- Un allié de choix
B- Les différents degrés d'euphémisation
de la langue : naissance, succès et fin
p.78
III/ De la tactique lexicale à la technique
discursive p.82
1) Les mots clefs du politiquement
correct
A- Évènement
B- Variante
p.83
C- Accompagner
D- Rendez-vous
E- Déficit
F- Communauté
p.84
G- Culture
H- Gérer
I- Émergeant
p.85
J- Citoyen
K- « Un petit peu »
L- Espace
p.86
2) La « guillemetmania »
p.87
3) De la siglaison à la siglomanie
p.90
IV/ La pleine ascension du politiquement correct
p.93
1) Un antidote contre
« l'incorrect-Isme »
2) L'hypnotique boite noire
p.94
3) De la récurrence des sons sur le PAF
p.96
V/ Le lexique du nouveau français :
précis de vocable franco-français à l'usage des novices
p.99
CHAPITRE 3 : De limites en excès, la lente
décadence d'un système linguistique indestructible
I/ Limites et critiques d'une grande imposture
p.116
1) Le politiquement correct, sentinelle des temps
modernes
A- Le déni de l'individu
B- Contrôle des mots et des moeurs
p.120
C- Une censure légitimée
p.121
2) Le règne de la
« vérité
différée »
p.122
A- L'ambiguïté du politiquement correct :
flou artistique, abstraction des sens ou manipulation ?
B- Une peur évidente du réel
p.125
C- Rhétorique et politiquement correct :
l'impossible vérité p.127
3) Nihilisme de la langue et de la pensée
p.129
4) La difficile quête de
légitimité de la « langue de
sucre » p.132
A- Un nouveau regard porté sur le politiquement
correct : la théorie d'André Semprini
B- De l'inutilité du langage politiquement correct
p.134
II/ Aléas et dérives d'une pseudo
bienpensance p.137
1) L'incrédule déraison du
politiquement correct
2) Les excès de la
féminisation
p.139
3) Blanche-Neige sans les sept nains : Index
des contes et de la littérature de jeunesse
p.143
III/ Être ou ne pas être politiquement
correct : la nouvelle donne existentialiste
p.147
1) De l'humour à l'ironie, le politiquement
correct ridiculisé
A- Un jeu burlesque sur la langue
B- Une cabale raillée
p.149
2) Le politiquement correct, vendu et
pendu p.150
A- Une impossible norme dictionnairique
B- Le politiquement correct à reculons
p.153
C- Sous les normes, la liberté : la fin d'un
règne p.156
3) Une dérive prévisible : le
refus du politiquement correct ou l'acquiescement de la haine
p.158
IV/ Le franc parler, ultime recours contre la langue de
l'envahisseur ?
p.161
1) Penser l'impensable : les hommes politiques
au service de la vérité
A- Petite chronique politicienne au royaume du politiquement
correct
B- Le politiquement correct en chute libre
p.163
C- Le cas Sarkozy
p.164
2) Le franc parler, un souffle nouveau
p.165
A- Les clefs du « parler-vrai »
B- Une reconnaissance de droit commun
p.166
3) Une dichotomie redoutable : entre franc
parler et politiquement incorrect p.167
Conclusion
p.171
INTRODUCTION
« Le langage transporte avec lui les valeurs d'une
civilisation »
(Nietzsche, Généalogie de la
morale)
Parce que le langage est le principal moyen d'expression de
l'homme, il peut être comme le prophétisait Ésope,
« la pire et la meilleure des choses ».
Le langage, parce qu'il révèle la beauté
mais aussi toute la cruauté de l'homme, est un instrument risqué
et ambigu, capable de servir toutes les causes. Il adoucit ou affaiblit, fait
l'éloge ou détruit.
Tantôt allié, tantôt ennemi, le langage
s'éprend et se moque tour à tour des hommes qui l'utilisent,
exerçant là une sorte de sélection.
Ainsi, lorsqu'en 1647, Claude Vaugelas publiait ses
Remarques sur la langue françoise, il dessinait là le
premier fossé entre la langue du peuple et celle de
« l'élite », à l'époque, la cour.
Il semble que ce fossé ne se soit jamais
résorbé. Bien au contraire.
Jusqu'au 19e siècle, la langue de la
bourgeoisie s'est opposée aux divers patois français, creusant
toujours un peu plus l'inégalité langagière.
Au 20e siècle, on croit en vain sous le
poids de certaines convenances, à un unilinguisme.
Mais le langage semble être devenu le faire valoir d'une
appartenance morale, sociale, économique et culturelle.
Entité mythifiée d'un pouvoir divin qui permet
de décider ce qui sera à même d'exister par le simple fait
de nommer, on dit et on se dit grâce à lui.
On parle comme un jeune, comme un bourgeois, comme un
professeur, comme un médecin, comme une personne âgée,
comme un politicien...
Sorte de révélateur de l'être, notre
langage dit qui l'on est, et c'est pour mesurer cette impossible unicité
de l'être humain qu'en France se manifeste une réelle tendance
à la superposition langagière, les patois, les jargons, les
dialectes confirmant dans la langue française cette sorte de dichotomie
qui se lit dans les « niveaux de langue », et fait
s'opposer langue populaire, argotique, familière... à une langue
acceptable, appréciable et pratiquée par tous.
Cette dernière, fondée sur le consensus social
commun qu'est la norme, se présente comme langue du « bon
usage ». Instaurant des codes, des préférences, voir
des exigences, la langue commune, grâce à la norme, devient celle
à respecter.
Parce qu'il est admis que c'est via la langue que la
pensée s'exprime, il va de soi que la pensée doit trouver les
moyens de son expression au sein de cette langue choisie. Et bien que notre
époque soit dépeinte comme l'apothéose du libre agir, du
libre parler, la langue va exercer sur la pensée une forme d'influence,
puisqu'elle va contrôler ce qui se dit ou non.
Esclave improvisée, la libre pensée va devenir
pensée unique.
Et c'est dans cette conjoncture de
prédominance de la langue sur la pensée que va se
développer le phénomène de « politiquement
correct ».
Adoptant une politique linguistique déconcertante, ce
nouveau fait va renverser les valeurs admises : la langue ne va plus
seulement servir à informer, à communiquer. Sous son joug, la
langue va essentiellement être liée à une unique fonction,
celle de la manipulation.
Semblable à certains actes performatifs comme la
prière ou la confession, et proche de l'atmosphère secrète
des paroles prophétiques, le politiquement correct va lui aussi
illustrer le mythe de la « langue-pouvoir ».
Lien ancestral et captivant, c'est confronté à
ce binôme que nous allons analyser le politiquement correct en tant que
procédé de manipulation de la langue.
L'enrôlant dans une politique qui n'admettra pas que les
mots disent qui ils sont ni ce qu'ils sont, ce fait linguistique
mystérieux et complexe, va intégrer la société en
tant que complément du langage courant, et en en modifiant le lexique,
va y modifier les esprits. Pensée unique et politiquement correct vont
devenir les stigmates d'un même syndrome.
Se voulant garant d'une certaine plénitude morale, le
politiquement correct va très rapidement s'ancrer dans une dynamique de
reformulation permettant d'éviter les sujets sensibles ou
polémiques, et imposer par ce biais, son lien au vocabulaire tabou.
Fondé sur une idéologie altruiste, ce courant
use de la préciosité linguistique pour garantir un respect commun
entre les individus.
Répondant à l'utopie d'une langue
épurée de toute cruauté, et parce que chaque
société a ses propres interdits, il enseigne l'art et la
manière de parler sans dire.
Accusant donc le lien indéniable entre la langue, ses
usagers et la société, ce qui rejoint la philosophie de
Lévi-Strauss dans Anthropologie Structurale, qui affirme que le
langage, l'homme, la société et la culture, s'impliquent
mutuellement, nous aborderons le principe de politiquement correct sous
l'ascendance sociolinguistique, ce qui permettra d'analyser les faits de langue
et de discours en écho aux faits de société.
Et, dès lors que la langue va s'impliquer dans la
société, la réalité extérieure, elle va
imposer le point de vue qu'on lui recommande d'imposer, affirmant ici son
aspect arbitraire. Elle ne sera plus miroir du réel, mais reflet de ce
que la société met en place.
Si la réflexion ethnolinguistique menée par E.
Sapir et B.L. Whorf nous intéresse, c'est qu'elle met en avant la
potentialité de la langue à ne dire que ce que la pensée
lui recommande de voir.
La langue devient caméléon pour exprimer au
mieux la réalité que chacun veut dévoiler. En ce sens,
elle peut dire le vrai comme le faux.
Instrument de confession ou de manipulation,
l'hypothèse Sapir-Whorf fait de la langue une abstraction apte à
forger des vues de l'esprit.
C'est donc sous ce prisme que nous allons intriguer la
mouvance politiquement correcte, preuve d'une certaine puissance du langage.
Face à un phénomène linguistique qui
surveille les termes qu'il emploie, comment exprimer
l'intégralité de sa pensée ? Le renouveau lexical que
semble imposer le politiquement correct marque-t-il une avancée ou
engendre-t-il plutôt le risque d'une stagnation, voir d'un
fléau ?
Créateur d'un éden linguistique ou d'une censure
unique, le politiquement correct nage en eaux troubles. Adhérant
à l'utopie d'une langue parfaite, mais obéissant au dictat d'une
langue intolérante, quel statut lui accorder ?
Peut-on lui reconnaître toute sa
légitimité ou au contraire, faut-il s'en méfier ?
Et quel regard porter sur le manichéisme
qu'entraîne ce phénomène ? Entre langue naturelle et
cultivée, langue populaire et normée, entre langage de
vérité et langage manipulateur, à quel saint se
vouer ? Comment agir face à une telle dichotomie ?
Afin de répondre à ces sentiments
contradictoires et déroutants, nous nous intéresserons tout
d'abord aux origines du phénomène, à son étendu, et
à son influence au sein de la langue française et de ses
dictionnaires.
À l'aide de nombreux exemples tirés de la langue
en activité, nous étudierons ensuite les règles et les
astuces mises en place par le politiquement correct pour participer à la
refonte du lexique français, et parvenir à s'imposer
pleinement.
Enfin, nous analyserons les limites d'un tel
phénomène, et confrontés à ses dérives, nous
réfléchirons à un éventuel recours.
Du géni lexical à la régression
linguistique, petite histoire du politiquement correct, de ses origines
jusqu'à nos jours...
p.11 - 61
CHAPITRE 1 :
Origines, étendues et influences d'un
phénomène linguistique citoyen du monde
p.62 - 115
CHAPITRE 2 :
Des interdictions aux astuces : ligne de conduite du
phénomène sociolinguistique qui submergea la France
p.116 - 170
CHAPITRE 3 :
De limites en excès, la lente décadence
d'un système linguistique indestructible
CHAPITRE 1 :
Origines, étendues et influences d'un
phénomène linguistique citoyen du monde
I/ Origines et passif du politiquement correct
Nous allons le constater tout au long de notre étude,
le politiquement correct est un fait de langue qui prend différentes
formes et différentes nominations selon les contextes et les
époques.
Dès lors, nous avons choisi de commencer l'analyse de
ce sujet par ce qui passe pour être, de façon communément
admise, l'ancêtre de ce mouvement : la langue de bois.
Afin de cerner plus précisément le principe de
politiquement correct, noyau dur de notre sujet, nous avons souhaité
établir une assise éclairant ses origines.
1) Jadis, la langue de bois
A- Bref récit généalogique
a- une naissance confuse
Le politiquement correct est en quelque sorte un principe
moral et éthique qui consiste à être vigilant sur l'emploi
de tels ou tels mots.
Parce que l'on s'entend à dire que les mots ont un
double pouvoir, à la fois pour celui qui les prononce, mais aussi pour
celui qui les écoute, on ne peut que voir dans l'étude convenue
du choix des mots employés, un principe proprement humain.
Ainsi, sans pour autant présenter la langue de bois
comme l'essence même du politiquement correct, il faut reconnaître
ici un de ses antécédents.
Si l'origine de cette expression reste incertaine et
sujette à quelques polémiques1(*), on peut la pressentir comme un acquis évident
du politiquement correct.
C'est en nous appuyant sur les travaux de Françoise
Thom, probablement l'une des linguistes les plus spécialisées
dans ce phénomène, qu'on est à même de
préciser que la langue de bois s'est tout d'abord appelé
« langue de chêne » - dubovy jasyk en
russe- et remonte au 19e siècle :
« Elle se constitue
définitivement vers 1850 à l'époque où la foi
absolue en l'avenir de la science l'emporte sur les supputations
métaphysiques ».
Selon l'analyse de G.Antoine2(*) c'est durant l'ère
bolchevique que la langue de « chêne » se mue en
« bois » et sert à baptiser les modes de parler
figés, codifiés, propres à l'appareil politique et
administratif en place.
Marque d'inféodation au régime
soviétique, dès les années 1970, la langue de bois
s'imprègne de connotations propagandistes qu'elle gardera par la
suite.
Emprunté par les Tsars de l'époque, le jargon
officieux du dit empire va très vite devenir langue officielle, propre
à la dictature politique de l'époque stalinienne ; et
différents séminaires vont se dérouler sur ce nouveau
phénomène (à Varsovie en 1978, à Cracovie en 1981
...).
Cette expression métaphorique à caractère
néologique (du moins au début), va prendre tout son sens,
bercée par le système d'oppression sur lequel elle repose.
Sorte de sous-écriture, de sous-langue (certains diront
qui plus est, que ce n'est pas une langue, mais bien un code), elle est un
combinat de langage populaire, de stéréotypes et de slogans
reflétant une position dogmatique sans rapport avec la
réalité vécue.
Désignée en Pologne par le terme de
nowo-mowa, elle se caractérise par « une
défaillance référentielle, un aspect
magique » et bien évidemment, par une manipulation de la
pensée3(*).
b- un statut à part entière
La langue de bois, véritable système
linguistique, crée une censure des mots qui se dit dans un discours
voulu officiel et d'une certaine façon mono-idéologique.
Discours étatique en somme qui « impose
l'expérience de l'impossibilité de participer au monde du dit
pour tout interlocuteur qui ne le répète pas »4(*).
La langue de bois a donc cela de fasciste : celui qui ne
la parle pas se signale comme un opposant direct.
Cette formule propagandiste que certains qualifieront plus
tard de « langue monstrueuse » est
caractérisée comme l'expliquent très clairement les
auteurs du Dictionnaire d'analyse du discours, par
différents procédés langagiers :
- la désagentivité (effacement de l'agent dans
les expressions verbales passives)
- la dépersonnalisation (substitut de tournures
impersonnelles à des tournures personnelles)
- la substantivité (remplacement des syntagmes verbaux
par des syntagmes nominaux)
- l'épithétisme (multiplication des adjectifs
épithètes)
- une sloganisation développée
- des phénomènes de répétition
(frôlant parfois comme nous le verrons avec le politiquement correct, le
truisme)
D'autres procédés sont également mis en
avant et font de la langue de bois une langue ritualisée emplie
d'expressions figées et de formules magiques.
On comprend alors que la langue de bois use dans tous les cas
d'une construction formelle très précise pour tenter d'inculquer
au plus grand nombre son contenu idéologique.
A l'opposé de l'espérance dont se nourrit
l'homme libre, la langue de bois, langue armée, langue piège,
n'est qu' « habillée
d'autorité » pour citer Charles Péguy.
Si l'on regarde de plus près la syntaxe ultra
structurée, les figures de style, les répétitions à
outrance, créent une violence indirecte : on retient de force, mais
de façon inconsciente, le vide de la langue de bois.
Discours hypnotique, répété,
martelé, la signification des mots est réduite au minimum.
Cette langue qui empêche d'exprimer le réel n'a
pas d'arrière fond.
Langue de « la non-communication et des
schémas stéréotypés », elle est
pourtant selon A.Grjebine « la langue la plus parlée au
monde » 5(*).
Cependant, hormis l'omniprésence de sa censure
caractéristique, la langue de bois ne diffuse rien comme le note
A.Goldschlager :
« Par définition la langue de
bois ne transmet aucun message mais envahit l'espace sonore et l'occupe pour
empêcher tout autre discours de se faire entendre... ne rien dire tout en
donnant l'illusion que le message est plein ».6(*)
Ici, la langue de bois nous est présentée comme
déformant le langage, le détruisant, pionnière d'un
état dégradé où elle s'affirme comme langue
dictatoriale.
B- La Novlangue, prémonition ou
résultante de la langue de bois ?
Paradoxe intéressant, cet aspect de langue
oppressante et refusant toute nouvelle création, a pourtant
inspiré l'écrivain Georges Orwell qui, en publiant 1984
en 1948 (1950 pour la France), va procéder en Occident à la
première tentative d'analyse de la langue de bois.7(*)
En effet, G.Orwell crée une langue fictive, la
ou le Novlangue (suivant les traductions), langue avec
laquelle la classe dirigeante manipule les classes subalternes. Destinée
à supplanter « l'ancilangue vers 2050 » (ou
langue commune, quotidienne), la Novlangue est la transposition mythique de la
langue de bois.
Dans ce roman d'anticipation G.Orwell décrit une
Grande-Bretagne post guerre atomique où s'est installé un
régime totalitaire (chaque fait et geste est surveillé par un
« oeil » géant : Big Brother).
L'artisan principal de cette langue est Syme, un
personnage qui travaille au « Service des Recherches » au
Ministère de la Vérité (Miniver en Novlangue).
Son objectif est de créer une langue qui, façonnée par les
membres du Parti, devienne instrument de propagande en anéantissant
toute forme de pensée individuelle « Nous
détruisons chaque jour des mots, des centaines de mots. Nous taillons le
langage jusqu'à l'os »8(*). Et si le langage se réduit, la pensée
qui n'a plus le pouvoir de se dire entièrement n'existe alors
plus ; ce qui n'est pas sans rappeler le dessein de la langue de bois.
Perçue comme une simplification lexicale et syntaxique,
la Novlangue est en fait destinée à rendre impossible
l'expression des idées subversives.
Ainsi, toute pensée contraire à celle officielle
est interdite. La Novlangue n'aspire pas tant à un unanisme de la parole
que de la pensée.
Afin d'empêcher les idées gênantes pour
l'État en place, les mots susceptibles d'exprimer ces dites idées
sont tout simplement supprimer du langage par ce fameux Miniver,
responsable de cet appauvrissement linguistique planifié.
La Novlangue repose en fait sur un postulat proche des
interrogations de deux linguistes, E.Sapir et B.L.Whorf, à savoir,
est-il réellement possible de ressentir quelque chose qu'on ne puisse
définir ? Par exemple, peut-on ressentir l'idée même
de liberté si on ignore le mot propre à cette
idée ?
La langue de bois et en son sein la Novlangue gagent que non
et donnent alors toute son ampleur à ce leitmotiv du linguiste Ludwig
Wittgenstein « les limites de ma langue sont les limites de mon
monde ».
En imposant le primat du signifiant, la langue impose une
vision faussée de la réalité. Devenue moyen de pression,
la langue s'auto célèbre en choisissant les lexèmes
qu'elle conservera ou reniera. Et par la même, la langue de bois
décide des idées, des principes qu'elle admet ou
récuse.
L'hypothèse Sapir-Worf est ici la preuve de l'existence
de la langue comme outil de manipulation.
Mal interprétée ou plutôt
malhonnêtement utilisée, cette théorie qui affirme que,
« ce dont on ne parle pas, on ne le pense pas »9(*), nous confronte à ce
que G.Orwell dénonce dans 1984 : puisque la langue
modèle la pensée, tout mot absent de la langue anéantit le
concept ou la pensée y correspondant.
La réduction du domaine de la pensée est donc la
visée principale.
Le roman de G.Orwell nous pousse céans à
envisager un nouveau rapport à la langue. Elle n'apparaît plus
comme simple outil de définition, de compréhension. Elle est
plutôt présentée comme ce par quoi l'esprit est
formaté. Et pour arriver à ses fins, la Novlangue impose des
règles précises où champs lexicaux et tournures
grammaticales sont annihilés :
« La Novlangue détache les
mots des choses. Cette stérilisation de l'expérience
entraîne dans une langue, une série d'effets : abus de
tournures passives et impersonnelles, recours systématique à des
abstractions syntaxiques, lexicales ... dont la plus dévastatrice est
l'inflation du substantif, moins concret que le verbe, et qui dispense
aisément de préciser qui fait quoi ».10(*)
Pour cela le vocabulaire de la Novlangue est divisé en
trois catégories comme l'explique assidûment G.Orwell :
*Vocabulaire A
Il permet de fournir un mode d'expression aux idées
générales et comprend les mots nécessaires à la vie
de tous les jours ( « manger, boire, travailler... »).
Composé de mots « communs », le
vocabulaire A délimite néanmoins avec beaucoup plus de
rigidité, l'aspect sémantique de ces derniers pour les
débarrasser de toute ambiguïté ou nuance (évitant
ainsi tout avis personnel).
Impossible donc d'employer ce vocabulaire à des fins
littéraires ou philosophiques. Ces mots sont seulement destinés
à exprimer des pensées simples.
La destruction des formes est flagrante : le mot
« pensée » n'existant plus, seul le verbe
« penser » subsiste et fait office de substantif. De
même, les adjectifs sont formés par l'ajout du suffixe
« able ».
Ces méthodes permettent ainsi une considérable
diminution du vocabulaire. Pour le mot « bon » par exemple,
on le combine avec le superlatif « plus », et
plusbon signifie alors « mieux, meilleur » ;
à l'opposé on oublie l'inutile mot
« mauvais » puisque le sens recherché doit se
satisfaire de l'homonyme inbon.
Cette méthode souscrit donc à n'employer aucun
mots « sales » puisque ici même un mot pouvant
être perçu négativement (« mauvais »
par exemple) ne l'est plus grâce à sa transformation avec un
préfixe conservant un radical qui évoque une idée positive
(voir ci-dessus avec inbon).
Ce type de déformation qui supprime tout antonyme pur,
atteint l'objectif de ne plus ni penser ni parler en termes négatifs.
*Vocabulaire B
Le vocabulaire B comprend des mots destinés à
imposer l'attitude mentale voulue à la personne qui les emploie puisque
l'idée fondamentale de cette langue est de supprimer toutes les nuances,
afin de ne conserver que des dichotomies qui renforcent l'influence de
l'État.
Le vocabulaire B se reconnaît essentiellement à
des mots composés :
« Le mot
« bonpensé » signifiait approximativement
« orthodoxe ». Il changeait de désinence
comme suit : nom-verbe « bonpensé »,
passé et participe passé
« bienpensé », participe présent
« bonpensant », adjectif
« bonpensable », nom verbal
« bonpenseur »11(*).
Sur ce même modèle on trouve la
doublepensée : « capacité à
accepter simultanément deux points de vue opposées et ainsi
mettre en veilleuse toute pensée critique ».12(*)
La double signification des mots possède le
mérite de dispenser de toute pensée spéculative et donc de
tout germe de contestation future.
Les mots B ne sont pas formés selon un plan
étymologique puisqu'ils sont en quelque sorte les néologismes de
la Novlangue.
Ainsi, comme le soulignait G.Orwell, la plus grande
difficulté à laquelle eurent à faire face les compilateurs
du dictionnaire Novlangue13(*), ce ne fut pas d'inventer des mots nouveaux mais, en
les ayant inventés, de bien s'assurer de leur sens, c'est à dire
de chercher quelles séries de mots ils supprimaient par leur
existence.
Dans ce vocabulaire, d'innombrables mots comme
« honneur, justice, moralité, science, religion
... » ont tout simplement cessé d'exister, puisqu'en
dépit des quelques mots couvertures les englobant, ils sont en fait
supprimés.
De même, concernant le domaine sexuel,
le crimesex, considéré comme immoralité
sexuelle, s'oppose au biensex, la chasteté. Ici, même
sans définitions des termes, on comprend pertinemment comment la
construction du mot va influencer la pensée.
Le crimesex concerne les écarts sexuels de toutes
sortes : la fornication, l'adultère, l'homosexualité...,
tandis que le biensex évoque les rapports dits entre guillemets normaux
entre l'homme et la femme, dans le seul but d'avoir des enfants, et sans
plaisir physique.
Le manichéisme de la Novlangue se retrouve
également dans la composition de certains mots valise, comme par exemple
blancnoir, qui désigne finalement tout ennemi ou traître.
La précision du sens ou les règles de grammaire sont donc souvent
sacrifiées.
La Novlangue dont les fins sont politiques, veut surtout
obtenir des mots abrégés et courts, d'un sens précis, qui
peuvent être rapidement prononcés et éveiller le minimum
d'écho dans l'esprit de celui qui parle.
*Vocabulaire C
Entièrement constitué de termes scientifiques
et techniques (mais débarrassés des significations
indésirables), l'expression des opinions « non
orthodoxes » est presque impossible.
Les principes et les buts de la Novlangue sont en
fait plutôt simples : ce vocabulaire tripartie permettait de traquer
et renier touts mots pouvant évoquer plus ou moins explicitement un
concept rejeté par les membres du Parti.
L'exemple le plus flagrant étant celui de la
suppression du substantif « liberté » qui n'avait
plus de raison d'être nommé puisque les libertés
politiques, intellectuelles ou autres n'existaient plus. L'adjectif
« libre » en revanche avait été
conservé « mais considéré comme mot
hérétique, il était épuré de toute
signification indésirable ».14(*)
Création fantasmagorique, écrit fictif, oeuvre
prophétique, roman analytique et dénonciateur...peu importe, il y
a dans toutes ces possibilités « orwelliennes »,
quelque chose de magique :
« Orwell, visionnaire, avait
subodoré les pièges d'une illusion qui consisterait à
relooker à coup de sémantique tout ce qui nous fait peur, en nous
libérant des malaises de la civilisation ».15(*)
Et c'est précisément sur cette
idée que vont se fonder les prémisses d'un mouvement d'un jour
nouveau.
2) Le « politically correct »
made in USA, le nouvel «American Dream»
Si l'idée de surveillance du langage rectifiant les
écarts linguistiques commis, naquît aux premières heures
dans les pays de l'Est, il y a un demi-siècle environ, sous la forme de
la langue de bois, c'est à des milliers de kilomètres, et
plusieurs dizaines d'années plus tard qu'émerge un inattendu
discours.
Concurrent direct de la langue de bois, ce nouveau
phénomène baptisé « politically
correctness » vole la vedette à la langue dictatoriale de
jadis.
Si le fond philosophique reste le même, celui d'une
maîtrise du langage personnel pour satisfaire une norme collective,
l'Amérique, berceau du politiquement correct développe quelques
différences avec la langue de bois dans la mesure où il ne se
présente plus comme répondant aux besoins d'un pouvoir policier,
mais plutôt comme la clef nécessaire à une volonté
nouvelle ? Et toute la différence est là. L'idéologie
fondatrice est née d'une volonté d'égalité, d'une
démarche altruiste.
A- Une prise de conscience élitiste
L'expression « politically correct » fut
d'abord une plaisanterie, comme tend à l'expliquer une auteure
américaine ayant vécu les prémisses du mouvement :
« C'était une blague (...) une
féministe disait par exemple : `` Tiens ce n'est pas très
politiquement correct, mais j'aime bien mettre du vernis à ongles''. Ou
un marxiste : `` Ce n'est pas très politiquement correct, mais
j'adore les grands restaurants'' »16(*).
S'il semble que cette formule soit née chez les
féministes américaines dès le début des
années 1970, toute une partie des États-Unis va cependant
s'enquérir d'une prise de conscience jusque là inexistante, en
décidant de se pencher sur les minorités oubliées de
l'Histoire (au début notamment les indiens, les noirs, les latinos).
L'idée prend alors forme sur les campus universitaires suite aux
réflexions communes de professeurs et d'élèves,
représentant l'élite intellectuelle :
« Dans les universités
américaines, toute pensée féministe ou critique de
l'establishment ou qui réfléchit à la situation des
minorités, a été classée politiquement
correcte »17(*).
L'université de Harvard, se voulant exemplaire, poussa
le zèle à l'époque, en organisant des stages de
« political correctness » où on luttait contre toute
pensée inadmissible grâce à :
« La prolifération
endémique à l'écrit des ``scares quotes''...signes
d'avertissement ou de prévention signifiant `` mot méchant,
risque d'infection sémantique'' »18(*).
Fondée sur une pensée humaniste, l'idée
sous-jacente était de légitimer les différents peuples qui
subissaient une double exclusion, celle de la société, mais aussi
celle de la langue, considérée comme plus douloureuse encore.
Si le dessein n'est pas le même que celui de la langue
de bois, il passe cependant également par une vérification du
lexème.
Convaincu par cette action qui prend forme dans la langue, des
politiques, notamment de gauche, vont s'enrôler aux côtés
des intellectuels.
B- « Extension du domaine de la
lutte »
Très vite le concept va s'étendre et
connaître une certaine assise en quittant le clos milieu universitaire
pour augmenter la masse de sa cible.
À l'automne 1991, l'expression
« politiquement correct » est lancée dans les
médias et prend comme un feu de paille. Les films ou émissions
télévisées conseillés vont être ceux
affichant clairement ces nouvelles idées, et pour les diffuser, on va
privilégier, cela est évident, le langage qui va avec.
Bien plus qu'une volonté communautaire de conformisme
langagier, le vocable politiquement correct annonce un droit louable à
la différence.
Nous l'avons évoqué, puisque la langue
modèle la pensée, dès lors qu'on introduit un nouveau mot,
via un nouvel angle d'approche du langage, on s'assure de l'émergence du
concept associé.
Travaillant comme la langue de bois, mais reposant sur des
idéaux bien différents, le discours politiquement correct, va
affirmer le droit d'existence de toute minorité. Et sorte de bain
révélateur, en affirmant ses propos, il conduit à leur
réalisation effective.
La règle d'or édictée par les instances
fédérales va alors être de ne rien dire qui puisse affecter
les minorités ou offenser la conscience de quelque communauté que
ce soit.
Formé sur le principe de reconnaissance des exclus, ce
sont essentiellement les groupes de femmes qui vont se présenter comme
martyres depuis la Nuit des Temps, et vont leur succéder les groupes
homosexuels se déclarant victimes, pour les mêmes raisons.
Dorénavant, le politiquement correct s'illustre alors sous un nouveau
corollaire : le sexuellement correct.
Quelles que soient ses formes, il prend donc ses racines dans
la lutte menée aux États-Unis par les intellectuels, les
politiques et les différentes minorités, contre un langage
jugé discriminatoire, qui n'a désormais plus lieu
d'être.
Cette idée de correction politique, idéologique,
envers les plus faibles pour rétablir une balance juste et
équitable, fait frissonner et rêver des centaines de personnes,
voir même de communautés qui semblaient attendre cela depuis
longtemps.
De nouveaux mouvements sociaux vont apparaître : le
féminisme et la lutte contre le racisme entre autres. Le commun des
mortels s'exprime alors, et en refusant la discrimination, revendique
l'égalité sous toutes es formes.
Ainsi, sera déclaré politiquement
correct :
« La dénonciation de toute
discrimination infligée à une minorité quelconque par une
société occidentale et capitaliste perçue comme
normalisante, sexiste et raciste »19(*).
Bien que voulant régulariser formellement un langage
jugé intolérable, le politiquement correct n'est ni manifeste, ni
profession de foi.
Son origine est improbable. Il n'existe aucun document ou
texte officiel américain pour témoigner de la naissance de ce
phénomène qui a la spécificité d'être
née à l'improviste . Certains voient en lui l'héritier du
« Free Speech Movement » qui dans les années 1960
militait pour la reconnaissance des cultures minoritaires.
Subissant les mêmes interrogations que la langue de bois
sur ses origines, sa naissance..., l'expression « politically
correctness » fait, semble-t-il, son entrée dans le
vocabulaire courant américain dès 1991 à la suite d'un
article de R.Bernstein publié dans le New York Times :
être politiquement correct consisterait à adhérer à
une nouvelle orthodoxie en vogue sur les campus, à un conformisme
imposé par des minorités en passe d'y exercer une
hégémonie culturelle. Très vite pris au sérieux, le
mouvement s'étend et devient une composante intégrale de la
société américaine.
Tout le monde se prend au jeu et pèse ses mots puisque
toute expression susceptible de suggérer la moindre
infériorité d'une minorité devient automatiquement
politiquement incorrecte.
Dépassant la notion de langage, le politiquement
correct se transforme en une façon de penser et d'être, faisant
référence à un style de vie prônant la
sensibilité, la tolérance et le respect eu égard à
la race, au sexe, à l'orientation sexuelle, à la
nationalité, à la religion, à l'âge, aux handicaps
physiques et à toutes autres caractéristiques.
L'extrême rapidité de diffusion de ce
phénomène a d'abord surpris, puis s'est imposé comme une
évidence, et ce même au-delà des frontières
américaines.
C- Bienvenue au pays de l'érable
Pays francophone pris entre le « politically
correct » américain et le « politiquement
correct » français, un terme bien spécifique a
été choisi dès les années 1980 pour
généraliser cette notion, et dépasser le stade de la
simple traduction « calquée ».
L'office de la langue française et Radio-Canada
vont donc opter pour le terme de « nouvelle
orthodoxie »20(*) qui
banalise l'expression toute composée en lui enlevant sa très et
trop importante connotation politique.
Ici, contrairement aux États-Unis, la nouvelle
politique de la langue et de la pensée est officiellement
enregistrée sous forme écrite, via deux garants que sont La
Charte canadienne des droits et des libertés en 1982, et la Loi
sur le multiculturalisme canadien en 1988.
Ces deux textes fondateurs incluent toute une liste de
règles à respecter si l'on veut réellement adopter
l'esprit « correct » du moment. Désignés
comme « programmes d'actions positives », ces textes
cherchent à accroître la présence des minorités
visibles.
Ainsi, des codes de bonne conduite et des programmes
d'éducation à orientation antiraciste, sont
édictés. Le secteur scolaire, nous le verrons, c'est chose
courante, n'échappe pas à la bienséance avec la
révision des enseignements dispensés qui doivent
dorénavant tenir compte des contributions historiques et culturelles des
minorités ethniques. De même, des lignes directrices
préviennent la propagation des stéréotypes dans les
médias.
Si le fond idéologique reste le même, le Canada
(dans son ensemble) utilise peu l'expression « politiquement
correct » et lui préfère le terme de
« néobienséance »21(*), équivalent
sémantique avec les mêmes caractéristiques :
conformisme, politesse de langage et désir d'amener enfin au devant de
la scène, ceux restés trop longtemps dans les coulisses.
Le Canada s'est donc également épris de ce
phénomène, mais de façon beaucoup plus
« administrative », en relayant moins d'importance aux
médias.
Ce pays qui impose avec conviction l'idée que tous les
citoyens sont égaux, mène au
« droitsdel'hommisme », néologisme permettant
à chacun de conserver son identité tout en éprouvant un
sentiment commun d'appartenance.
Cette néobienséance, qui peut paraître
envahissante, tient un rôle particulier au Canada, société
puritaine dans laquelle elle remplace une forme de catéchisme, sous
l'influence de la force de la loi.
Si ce bref aperçu des origines du
phénomène que nous nous entendons dorénavant à
nommer « politiquement correct » a l'avantage de nous
informer sur les sources de sa pensée, il présente un
schéma relativement confus au sein duquel persistent des
polémiques concernant notamment la datation de ce fait linguistique.
C'est pourquoi nous devons maintenant pour poser les
fondements de ce fait linguistique, prendre en compte l'un des pays où
il a eu et a encore beaucoup d'importance : la France.
II/ Le politiquement correct au pays des
Lumières
Lorsque nous avons évoqué la délicate
certitude des origines du politiquement correct, nous avons pris conscience de
la complexité de ce phénomène. Il ne s'agit pas ici de se
lancer dans un relevé diachronique précis de toutes les
occurrences évoquant ce phénomène en France, mais
plutôt d'étudier quelques-unes de ses
« variantes »22(*) , une fois l'Atlantique franchit.
De l'Antiquité jusqu'à nos jours, la langue
française, mue par le désir d'un vocabulaire libéré
des mots oppressants et oppresseurs, s'est constituée comme
remède linguistique à un monde trop brusque.
Ce fait linguistique que nous étudions et qui
siège en son sein, semble peu à peu la transformer au profit
d'une retenue, d'une préciosité du lexique.
1) Le courant des Précieuses
A- Une prétentieuse distinction linguistique
C'est au 17e siècle, illustré par le
courant de la Préciosité que le futur politiquement correct
s'exerce le plus assidûment avec le refus de mots pénibles
à la bouche, à l'oreille et à la tête.
Ce courant qui se crée par réaction aux moeurs
grossières qui se sont installées pendant les guerres de religion
du 16e siècle et les troubles politiques du début du
17e , est un mouvement touchant plusieurs domaines23(*).
Le terme des « Précieuses » est
utilisé pour la première fois vers 1650 pour désigner, au
début tout du moins, le courant crée par les femmes de
l'aristocratie qui, affectant leurs discours d'une certaine norme, formaient
les premières vapeurs d'une linguistique emprunte de délicatesse.
Ainsi, dans cet univers de Cour, la plupart des mots anodins
sont transformés au nom des bienfaits de la pudeur.
Une période de création lexicale intense est
donc en train de voir le jour dans les salons des demoiselles, et elle prend
d'autant plus d'ampleur avec la formation en 1636 de l'Académie
française et en 1647 de la notion de « bon usage »
par Vaugelas.
La valeur symbolique de la langue est au centre de moult
préoccupations. Cette société du 17e
siècle dans laquelle la beauté du langage repose sur la
volonté de distinction, crée une norme linguistique qui devient
marque de l'appartenance sociale. Ainsi que l'analyse P.Merle, la
préciosité est la volonté de « donner du
prix à sa personne, ses actes, ses sentiments »24(*).
Le lexique, normé au bon goût du 17e
siècle est propre à cette classe des Précieuses qui se
plaît volontairement à parler différemment. Ici, la langue
se fait obstacle puisqu'elle n'est pas accessible à tous, selon le
souhait des Précieuses qui ne veulent pas être comprises des
« bas gens » :
« C'est une de leurs maximes de dire
qu'il faut nécessairement qu'une précieuse parle autrement que le
peuple, afin que ses pensées ne soient entendues que de ceux qui ont des
clartés au- dessus du vulgaire »25(*).
Les Précieuses illustrent là une attitude
ancrée depuis quelques siècles déjà avec le latin
des médecins qui pour être respectés devaient être
incompris.
Les bonnes manières des Précieuses
(bientôt rejointes des Précieux) créent plus qu'un courant
littéraire, un courant de pensée se traduisant par un raffinement
excessif du langage qui intègre alors un processus de codification.
Depuis toujours, l'homme instruit étonne car il discute bien.
B- Une entreprise de refonte lexicale
Cet essor esthétique et intellectuel dont l'art de
vivre, d'écrire, de dire, s'illustre par une subtilité combattant
barbarisme et autre immoralisme est un mouvement de refonte lexicale dans la
mesure où il renomme tout un pan du vocabulaire :
« la solution retenue fut de compenser la pauvreté du
vocabulaire par un assemblage alambiqué de mots
autorisés »26(*).
Pour exprimer cet idéal de subtilité, les
Précieuses ont recours à un langage choisi qui se dit en
hyperbole : dans La Belle Matineuse de Vincent Voiture27(*), l'être aimé est
nommé « la Nymphe Divine » et est
considéré comme « l'Astre du Jour ».
La métaphore est également revendiquée
car beaucoup plus noble que la comparaison. Ainsi, pour ne citer que cet
exemple, la poitrine de la femme convoitée est désignée
dans l'oeuvre de Tristant L'Hermite28(*) par l'expression « les deux monts
d'Albate ».
Les Précieux se plaisent donc à
démystifier le sérieux, à rejeter les mots crus, et
à magnifier le quotidien, forcément évocateur d'amour.
Face au discours simple et direct, la périphrase est
donc de rigueur. Aussi, pour n'évoquer que les plus connues,
répertoriées dans le Grand dictionnaire des précieuses
ou la clef de la langue des ruelles d'A.Baudeau de
Somaize29(*), le miroir
devient le « conseiller des grâces » ;
l'amant, « ce merveilleux objet dont les yeux sont
enchantés » ; la perruque se nomme poliment et non
sans humour « la jeunesse des vieillards » ;
les larmes n'évoquent plus la tristesse puisqu'elles sont maintenant
« les perles d'Iris », tandis qu'on accable les
pieds, ces « chers souffrants » ;
les dents sont désignées comme « l'ameublement de
la bouche » ; et c'est sans rougir qu'on parle des
« trônes de la pudeur » pour les joues.
Les mots jugés trop populaires sont bannis. C'est
pourquoi par exemple le balai, trop vulgaire, est rebaptisé
« instrument de propreté », le fauteuil,
« commodité de conversation », et le pain,
trop banal, « le soutien de la vie »30(*).
Outre-Manche sévit la « pruderie
anglaise »31(*)
qui évite les termes ayant trait aux fonctions physiologiques et aux
lieux où elles s'exécutent ( « bathroom, cloakroom,
restroom »).
C- Une ridicule facétie
Le courant des Précieuses pour lequel tout a un autre
nom, dépasse parfois l'entendement. On notera d'ailleurs
l'extrémisme de la réforme avec la figure de l'allégorie
désignant à tout va la violette comme « l'humble
amante des près », le cerisier comme
« l'arbre de Césarante », et la
lune, vêtit d'un ronflant pseudonyme, « le flambeau de
nuit ».
Car, si selon l'analyse d'A.Sancier-Château, il ne
s'agit là que d' « une nécessité
fondée sur la prudence et sur l'honnêteté conçue
comme valeur morale »32(*), la réaction est bien plus violente de la
part de Victor Hugo, « j'ai dit à la narine `` Eh,
mais tu n'es qu'un nez !'', j'ai dit au long fruit d'or `` Eh, mais tu
n'es qu'une poire !'' ».
D'autres exposeront le phénomène avec
beaucoup moins de retenue. C'est le cas pour Molière qui avec la
comédie de moeurs que l'on sait, présente le courant des
Précieuses comme une dégradation de la créativité
verbale.
Jouée pour la première fois le 18 novembre 1659,
la pièce Les Précieuses ridicules33(*), offre aux spectateurs le
constat satirique d'un pseudo mouvement culturel qui se perd en fait dans la
recherche de l'élégance et dans le souci du bien dire à
tel point qu'il crée une sorte de caste ignorant tous ceux qui ne
parlent pas ce langage d'initiés.
Molière qui s'exprime d'ailleurs à travers le
personnage de Gorgibus, s'inquiète des propos de Magdelon
« Que me vient conter celle-ci ? » puis est
abasourdi par la forme de son discours « Quel diable de jargon
entends-je ici ? Voici bien du haut style ». Peu de temps
après le terme de « jargon », c'est celui
de « baragouin » qu'emploi Gorgibus pour qualifier
ces joutes verbales. L'usage de ces deux termes n'est pas anodin.
Le dictionnaire d'A.Furetière34(*) qui sert entre autres de
référence à cette époque, propose des
définitions se rapprochant parfaitement de l'aspect élitiste des
Précieuses dénoncé par Molière : le
baragouin désigne « un langage corrompu ou
inconnu qu'on n'entend pas » tandis que le jargon n'est autre
que :
« Le langage vicieux et corrompu du
peuple (...) langue factice dont les gens d'une même cabale conviennent
afin qu'on ne les entende pas, tandis qu'ils s'entendent bien entre
eux ».
Si les raisons idéologiques ne sont pas les mêmes
que celles qui seront avancées plus tard pour privilégier l'usage
du politiquement correct, les définitions proposées par
A.Furetière confirment l'idée d'une langue
réfléchie, structurée et intimiste dans la mesure
où elle est difficile d'accès.
Langue de loi et non d'usage, le vocabulaire des
Précieuses suscite une question qui réapparaîtra souvent au
long de notre étude : le dit courant repose-t-il sur le fait d'une
mode linguistique ou se présente-t-il plutôt comme un langage de
cabale ?
Sans se risquer à une analyse anachronique, le courant
des Précieuses, légèrement précédé
par certains fantômes antiques s'est trouvé là encore
correspondre à un besoin qui était celui d'adoucir, d'embellir la
réalité.
D- Quelques réminiscences de la
Préciosité
Au 18e siècle, nombre de salons mondains
entretiennent ce goût certain pour la conversation bienséante.
P.Merle dans son Précis de la langue française35(*) ne manque pas de rappeler
notamment le rôle des Incroyables (qui ponctuaient chacune de leur phrase
par l'interjection « c'est incroyable ! ») et
des Merveilleuses.
Le même esprit de préciosité
langagière se poursuit également au 19e siècle
comme le remarque Honoré de Balzac :
« Les mots nouveaux
créés par les événements ou ceux que le caprice met
à la mode prêtent d'abord à la conversation de ceux qui
s'en servent je ne sais quoi d'amphigourique et d'obscur qui leur donne une
supériorité soudaine. Ils paraissent profonds à ceux qui
ne les comprennent pas »36(*).
La réforme lexicale, pensée et perçue
comme un soulagement moral, psychologique... se présente donc
très tôt. La volonté d'exercer une extrême
bienséance langagière n'est alors pas comme on pourrait le
penser, et comme cela a souvent été dit à tort, une
activité récente.
Cette nécessité existe en quelque sorte depuis
toujours.
Mu par la peur, la décence ou la politesse, elle
s'exerce sous différentes formes qui se rejoignent toutes sous la
fonction de pansement linguistique.
2) Un phénomène sociolinguistique choisi
et légitimé : des synonymes et des clones
« Sont probables les opinions qui sont reçues par
tous les hommes » (Aristote)
A- La chance du débutant
L'idée résidant dans le politiquement correct se
déplace, et en France on entend enfin parler d'une sorte de
« rectitude politique » qui, ayant pour objectif la
défense des minorités et son droit à
l'égalité, enseigne la façon acceptable de s'exprimer.
Langue de bois, politically correct et politiquement correct
se rejoignent donc là dessus : les règles de
bienséance sociale établissent ce qu'il est convenable ou non de
dire, sorte de coram populo37(*).
Une fois passée la mauvaise traduction du calque
angliciste bien connu, le mouvement de politiquement correct apparaît en
France vers la fin du 20e siècle.
Il faut bien avouer qu'au début personne n'est vraiment
convaincu.
Les réminiscences de l'expression américaine qui
sonnent encore lorsqu'on prononce cette formule, attestent le
péché de naissance.
La France, en ce début des années 1990, se sent
au-dessus de ces problèmes de minorités oubliées et des
contestations y succédant38(*).
De plus, le fait que ce phénomène soit
originaire des États-Unis semble anéantir l'idée qu'il
pourrait rester en France :
« Le ` mouvement politiquement
correct' était envisagé avec l'indignation de bon aloi qui
accueille tout ce qui vient d'outre-Atlantique »39(*).
Ainsi, le politiquement correct lorsqu'il s'annonce, n'a pas
très bonne presse.
Il est immédiatement considéré comme une
dérive des mouvements minoritaires, comme un nouveau symptôme du
puritanisme américain.
On pense probablement que la France, pays des Lumières
et de la liberté, est à l'abris de ce besoin moral de
rectification, de reformulation linguistique. D'autant plus que la locution
« politiquement correct » évoque l'écho
lointain du jargon stalinien et sous-entend intolérance et censure.
Et pourtant...
Comme le précise l'encyclopédie libre sur
Internet, Wikipédia, le politiquement correct trouve surtout un
« terrain favorable dans les pays où la démocratie
est ancienne » (et où le souvenir du régime
totalitaire est trop lointain pour éveiller peur ou douleur), ou
« lorsqu'elle est en crise (comme en France) ».
Après le Canada, pays francophone déjà
touché, la France elle aussi va se laisser convaincre par la grimpante
expression américaine qui conserve ses caractéristiques :
« Exercice langagier délicat,
souvent périlleux (...) qui consiste en l'art difficile de
choisir ses mots de manière à ne pas froisser les
minorités quelles qu'elles soient »40(*).
Les frileuses hésitations du début s'envolent
donc relativement vite. On admet l'utilité du politiquement correct
reconnu par tous comme un bien fondateur.
La langue de bois voit sa fréquence d'emploi
décroître dans la dernière décennie du
20e siècle, tandis que progresse l'usage du politiquement
correct qui affecte la pensée et se veut donc le vecteur du langage.
Employée régulièrement, la locution passe
dans le langage courant, ainsi que son idéologie. Un peu comme si cela
répondait à un réel besoin, le politiquement correct
impose peu à peu son langage dans le parler soutenu puis quotidien.
Nous l'avons évoqué, le politiquement
correct « à la française » a de commun avec
le politiquement correct américain essentiellement son appellation,
puisque si les deux mouvances (la première découlant de la
seconde il est vrai) ont pour fond idéologique le droit à
l'égalité, la « version » française a
beaucoup plus d'impact sur la reformulation linguistique que sa
congénère qui se substitue en fait surtout à une analyse
géopolitique.
De fait, conserver l'adverbe
« politiquement » pour la version américaine, et en
choisir un autre pour le politiquement correct français, ou en tout cas
de le faire précéder d'une notion plus précise semblerait
plus cohérent. Ainsi pourrions-nous évoquer le « parler
politiquement correct » ou le « discours
politico-linguistiquement correct » ?
C'est en tout cas dans cet esprit qu'un certain nombre de
recherches vont aboutir à l'emploi de diverses locutions
désignant notre politiquement correct français. Car c'est ici une
réelle spécificité de la locution française qui
s'adapte avec n'importe quel adverbe précédant l'adjectif :
aussi, on trouvera au détour d'article ou d'interview, des
« sexuellement ; psychologiquement ; religieusement ;
médiatiquement ; socialement... » correct.
C'est pourquoi nous nous permettons de présenter ce
fait comme un phénomène protéiforme, car si ses origines
sont diverses, ses dénominations le sont aussi.
B- L'Hexagonal
Notre brève étude chronologique des
différents synonymes utilisés pour désigner la locution
« politiquement correct », commence par la notion
d'Hexagonal. La France étant représentée
grossièrement par la forme géométrique de l'hexagone, il
est apparu évident que la langue française pouvait, par
métonymie, être appelé « l'hexagonal »,
comme le confirme l'une des entrées admises de ce mot41(*).
Si le terme est peu utilisé (nous n'avons pu trouver de
documents attestant la naissance de cet emploi), il correspond néanmoins
à un fidèle synonyme de « politiquement
correct ».
Présenté comme un jargon à
prétention bienséante, l'hexagonal est utilisé
essentiellement dans les grandes villes au début des années 1990,
et est désigné comme « pentagonal » dans
certains de ses usages excessifs comme lorsque le politiquement correct use du
franglais (l'américanisation étant constaté surtout pour
les domaines économique et commercial).
Inspirant notamment l'écrivain Robert Beauvais dans les
années 1970, les procédés de l'hexagonal sont
détaillés et mis en situation dans un manuel du même nom,
au travers de véritables scénettes évoquant la vie
quotidienne. Selon cet auteur, l'hexagonal est tout simplement en passe de
devenir la langue officielle de la France :
« Aujourd'hui la France on l'appelle
l'Hexagone. Et j'appelle Hexagonal le langage nouveau qui est en train de
s'élaborer à l'intérieur de l'Hexagone, et cela à
une telle cadence que le français ne sera bientôt plus qu'une
langue morte »42(*).
C- La « soft-idéologie »
C'est ensuite le terme volontairement marqué de
« soft-idéologie » qui va lui succéder.
L'adjectif « soft » qui n'est pas sans rappeler l'origine
américaine insiste bien sur l'aspect modéré du
phénomène.
L'expression apparaît dans les années 1980 comme
étant une vulgate intellectuelle qui offre du réel une
représentation douce, morale, voir anesthésiante, et dont la
légitimité repose bien évidemment sur la soif d'apaisement
des luttes idéologiques « (...) charité
spectaculaire. Le binôme indignation-compassion est la base de cette
morale sourcilleuse »43(*). Et l'adjectif
« soft » garantit la fidèle exécution de ce
binôme.
Cette nouvelle variante est puissante dans la mesure où
elle ne dit rien, ne signifie rien. Son mot d'ordre c'est le souple, le soft,
le neutre, le light, et il s'intègre parfaitement à la langue
française, se démocratise, en entre dans le dictionnaire en tant
qu'adjectif familier anglicisé, ainsi que le définit le Petit
Larousse, « FAM. Qui est relativement
édulcoré, qui ne peut choquer ».
D- Le multiculturalisme
C'est durant les années 1990 que l'idéologie
sous jacente résidant dans le concept philosophico-politique de
« multiculturalisme », va émerger, forte de
l'atmosphère ambiante.
Ce terme tout d'abord employé au Canada où il
illustre la mixité communautaire, se répand vite, et tend
à passer pour un terme américain, ainsi que le confirme la
seconde entrée de sa définition dans le dictionnaire du Petit
Larousse :
« Courant de pensée
américain qui remet en cause l'hégémonie culturelle des
couches blanches dirigeantes à l'égard des minorités
(éthiques, sexuelles) et plaide en faveur d'une reconnaissance de ces
dernières ».
En France, lié au mouvement politiquement correct, il
contribue à gratifier les minorités d'une image valorisante, et
bien que l'usage du terme soit rare, il incarne la diversité
érigée en dogme.
Dès lors il contribue à un élargissement
du public récepteur et par ce biais « rend explicite le
caractère monoculturel et dévalorisant du
langage »44(*) qui avait cours jusqu'alors.
La mouvance politiquement correcte, forte de ce
multiculturalisme, propose dorénavant un langage qui se veut universel.
Et c'est au travers de cette variante que chaque individu va se
reconnaître comme appartenant à un type de culture qui
l'intègre à un ensemble promettant de le prémunir de
l'exclusion :
« Les caractéristiques
physiques, mentales ou sociales sont ainsi promues au rang de culture, faisant
de chaque individu le détenteur et le défenseur d'une quelconque
spécificité culturelle. La culture est donc
désacralisée pour ne plus être qu'un outil du
multiculturalisme »45(*).
E- La pensée unique
Enfin, l'expression qui marquera certainement le plus le
langage et les esprits, est celle de « pensée
unique ».
Si aujourd'hui cette expression entraîne de vives
polémiques (nous y reviendrons ultérieurement), il nous faut la
replacer dans son contexte de naissance, toute contemporaine qu'elle
était /est au politiquement correct.
Le terme de « pensée unique »
apparaît fin des années 1980, début des années
1990.
Désignée et nommée comme telle par J-F
Kahn, la pensée unique n'est pas un concept inventé ou
élaboré par une personne en particulier.
Processus indépendant qu'on pourrait considérer
comme auto-produit, la pensée unique (toujours au singulier puisque
c'est la pensée dominante, majeure) est la représentation d'un
socle d'idées communément admises et acquises, au travers duquel
peut s'exprimer l'idéologie légitimée du politiquement
correct.
Et par un processus inverse, révélant tout le
manichéisme de la situation, les pensées étrangères
à la « pensée unique » sont
présentées comme étant à supprimer. De fait, elle
est précédée dans la plupart des dictionnaires (ici dans
le Petit Larousse) de la mention « PEJ. » :
« PEJ : L'ensemble des opinions dominantes,
conventionnelles, des idées reçues, dans les domaines
économique, politique et social ».
Dès lors, la notion de pensée unique gagne
certaines connotations : doit-on l'évoquer comme une simple
intolérance linguistique ou faut-il plutôt y voir les
prémisses d'un fascisme langagier ? :
« Comment ne pas voir que (...) le
nivellement des énoncés, recteur et facteur d'une pensée
unique, s'en va (...) rejoindre les pires erreurs des régimes
totalitaires ? »46(*).
Cette rectitude linguistique qui ignore les sujets
polémiques empêche donc de dire ce qui est. La pensée
unique menace la liberté sous toutes ses formes.
Pensée unique et politiquement correct engendrent les
correspondances d'une liaison dangereuse au sein de laquelle la pensée
unique adhère à la quête lexicale du politiquement correct.
Pour reprendre le néologisme choisi par P. Merle, la pensée
unique, mêlée au politiquement correct engage la tendance du
« toutafisme », fait d'être
systématiquement d'accord avec ce qu'on nous raconte47(*).
Comme la définit J- P Chapon48(*) :
« La pensée unique est la
recherche frénétique d'un consensus sur les termes acceptables
débouchant sur (...) une uniformité de
pensée ».
En usant de termes sans ambiguïtés,
empruntés cela va de soi au vocable politiquement correct, la
pensée unique permet de créer une pensée claire à
l'abris de toute erreur d'interprétation ou de remise en cause.
Son principal but est de traduire un énoncé, peu
importe ce qu'il exprime, tant qu'il apparaît légitime et du
goût de tous.
Si toutes ces dénominations du politiquement
correct français ont leur spécificité, elles se rejoignent
néanmoins dans un esprit fédérateur, celui criant la
volonté de taire certains mots pour ne plus dire que les bons.
III/ Le politiquement correct à la française,
l'utopie contemporaine
« Car on se soumet à de certaines
idées reçues non comme à des vérités, mais
comme au pouvoir » (Mme de Staël)
1) Des débuts prometteurs
Détaché du contexte social et politique
américain et canadien, le politiquement correct répond à
son nouvel ancrage : prudence abusive et bons sentiments sont
érigés en dogme. Le politiquement correct en France c'est un peu
ce que J-P. Sartre appelait hier « la morale chrétienne
sans Dieu ». On s'abandonne à ce qu'on croit
reconnaître comme la nouvelle foi populaire dont l'unique
préoccupation est :
« D'éviter que l'auto estime
des différents groupes sociaux minoritaires puissent être
offensés par des propos non appropriés, de nature à
induire ou à renforcer une vision dévalorisée ou
culpabilisante d'elle-même »49(*).
Dès lors, le politiquement correct est
présenté comme une enseigne de l'art du bien parler,
enraciné dans un terroir intellectuel et académique. Et c'est
grâce à cette forme de contrôle social du langage,
contrôle revendiqué comme légitime, que l'on doit apprendre
la manière de se comporter pour éviter heurts et conflits, pour
tempérer menace et crise pesant sur les minorités.
Ainsi, certaines expressions sont littéralement
interdites.
Plus qu'un apprentissage, le politiquement correct est comme
son nom ne l'indique pas :
« D'abord une opération sur le
langage. Son souci est de bannir du lexique usuel -dans un but primitivement
généreux sinon louable- les termes ou appellations
évoquant une réalité par trop désagréable,
jugés négatifs, discriminatoires, abusivement autoritaires, dont
on estime qu'ils constituent en eux-mêmes un jugement
d'infamie »50(*).
Nous devons reconnaître que la société
française notamment, a des origines qui la prédestinait
aimablement à l'acception puis à l'adoption de ce
phénomène : tout d'abord comme l'explique V.Volkoff
51(*), l'une des
caractéristiques du politiquement correct est l'esprit chrétien
qui réside sous la forme de « dolorisme »
et de « misérabilisme » le composant.
De fait, il y a dans le politiquement correct une certaine
forme de méfiance à l'égard de toute
société, d'une société en général,
capable de mépriser certaines de ses communautés.
Vague écho ici du Discours sur l'origine et les
fondements de l'inégalité parmi les hommes, où est
mis en avant l'idée que, des « inégalités de
condition et de fortune » naissent les inégalités
sociétales, les défaillances de l'organisation sociale, le
politiquement correct semble avoir trouvé un terrain fertile pour
l'accueillir.
Hérité du rousseauisme, cette idée que si
l'homme ne se bat pas, il sera soumis voir anéantit par la
société, correspond parfaitement au principe du politiquement
correct qui est, à son origine, un mouvement permettant de rassembler
les exclus (on condamne les expressions connotées) et de les faire
exister par le langage (on les remplace par des termes neutres évitant
tous jugements ou sous-entendus).
Première forme de discours social, on reconnaît
au politiquement correct, l'idéologie de l'effacement des
différences.
Et parce qu'il est admis dans la pensée commune que la
France est un pays de résistants, de contestataires, on pourra
également reconnaître dans le politiquement correct le
« sens exacerbé de la lutte des
classes »52(*) et comme nous l'avons déjà
brièvement évoqué, les relents des mouvements
soixante-huitards.
Et puis, au-delà de tout cela, il y a dans le
politiquement correct une idée qui ne peut que séduire la
France : réformer le langage pour les raisons que nous savons c'est
instaurer de nouvelles règles, de nouvelles normes
énonçant le « parler-correct », une langue
propre et policée, un français finalement fils de la grande dame
du Quai Conti.
En alliant la volonté d'égalité pour tous
-idéal républicain- à une normativité
linguistique - main mise de l'Académie- le politiquement correct
pouvait être sur de trouver en France un confortable fauteuil.
2) Le politiquement correct, essence de la langue
française
A- Une innéité discursive
Si le politiquement correct bénéficie
dans la langue française d'une telle assurance, c'est qu'il entre dans
un schème de communication bien précis.
En imposant le principe de lutte contre la discrimination
à l'égard des ethnies, des minorités, il se
présente comme un phénomène inattaquable car bien
fondé.
En négociant la légitime reconnaissance des
communautés d'identité traumatique (colonialisme, esclavage,
diaspora), il s'impose comme un discours évident, naturel.
Des principes comme la tolérance, la dignité de
la personne, sont réétudiés pour offrir une nouvelle
signification. Tout repose donc sur une apparente objectivité, ce qui
prouve la cohérence du système :
« Les tenants de la correction
politique vont édifier une doxa, un corpus de notions (...) en posant
d'éternelles minorités comme victimes, l'idéologie du
politiquement correct est légitimée »53(*).
Allant plus loin encore, le politiquement correct se
présente comme un langage résolument épuré de toute
racine énonciative, et inspiré d'une neutralité unique
dont le parangon est celui notamment du langage scientifique.
Fondé sur la revendication affirmative d'une lutte
humaniste et humaine, le politiquement correct se présente comme un
nouvel élan qui promet de garantir l'égalité dans le
langage.
A.Semprini explique que le politiquement correct tend à
y arriver via un « double
programme » : le programme négatif est celui qui
remplace le mot « impur », et en parallèle le
programme positif, caractéristique même du politiquement correct,
vise à une amélioration de la langue.
Ainsi, bien plus qu'une tentative, ce phénomène
linguistique se présente comme un phénomène pensé,
et rationalisé. Et c'est là toute sa force.
Il s'apparente sans plus tarder au fameux « ce qui
va de soi » de la rhétorique barthésienne.
Dès lors, parce qu'il s'énonce comme discours
inné, le politiquement correct annule l'existence de toute forme de
doute en avançant et en imposant l'aspect indiscutable de son
vocabulaire.
Le concept idéologique devient arme de conviction et la
notion d'évidence imposée comme un innéisme y
participe.
Qui oserait en effet contester un tel phénomène
linguistique ? Quelle personne sensée et raisonnable pourrait se
plaindre de ce nouveau code langagier qui renie toute forme de mépris
envers les communautés exclues ?
S'enrôlant dans un schème discursif qui
l'illustre comme stratégie de persuasion, le politiquement correct
s'annonce comme une réalité philosophico-linguistique relevant
d'un principe tout à fait louable, celui d'une égalité
commune de toutes les races, de tous les peuples, de toutes les langues,
portée par le mouvement pour les droits civiques. L'égalitarisme
comme moteur d'une démocratie politiquement correcte donc ...
« Droitsdelhommisme »
généralisé comme se plait à le dire V.Volkoff, il y
a dans ce néologisme l'obsession d'un droit universel de l'homme, d'un
droit qui remplaçant tous les commandements, serait le seul absolu.
Il n'est donc pas possible de donner au politiquement correct
une définition exacte, de l'affubler d'une date de naissance ou d'un
point de départ tant il est quelque chose d'immanent à
l'être humain. Le politiquement correct, visant à
l'égalité universelle se fonde sur la notion de compensation. Son
unique dessein est d'effacer toutes les différences.
Ni code linguistique, ni doctrine sociopolitique, le
politiquement correct plus simplement s'inscrit dans « une
façon de réagir aux choses, une sensibilité sui
generis »54(*).
Autant dire qu'il était inconcevable de parler de ce
fait linguistique sans démontrer l'intégrité de sa
démarche qui s'étend jusque dans l'univers lexicographique.
B- Un cas pratique : Le nouveau petit
Littré
Dans cette société où le politiquement
correct est sacralisé, tout écart aux convenances environnantes,
est perçu comme blasphématoire.
C'est ainsi que Le nouveau petit
Littré édité aux éditions Garnier en juin
2005, va susciter émois et polémiques de toutes parts.
Ce dictionnaire dirigé par Jean Pruvost,
professeur à l'université de Cergy-Pontoise et directeur du
centre Métadif-CNRS et Claude Blum, professeur à
l'université de la Sorbonne, se présente comme la mise à
jour d'un dictionnaire de référence du 19e
siècle, celui d'Émile Littré.
Se voulant « dictionnaire usuel »,
cette actualisation a l'intérêt d'offrir un nouveau regard sur
l'oeuvre d'E.Littré et de refléter le langage courant du
21e siècle.
Mis en vente dès la rentrée de septembre 2005,
Le nouveau petit Littré bénéficiant
pourtant d'une bonne opération marketing avec affiches et
publicité (il est présenté dans 130 magasins Maxi Livres
comme « le bon plan de la rentrée »), va rapidement
être retiré de la vente.
Suite à un « bug
informatique » pour reprendre le titre de l'article55(*) du quotidien Le Monde, les
alinéas sensés permettre de distinguer les définitions
réactualisées des définitions originelles, semblent avoir
disparus lors du traitement informatique ou de l'impression.
Dès lors, on trouve à certains articles du
nouveau petit Littré, des définitions plus que
contestables d'un point de vue idéologique et éthique :
- Arabe : « Qui est originaire d'Arabie. Fig.
Usurier, homme avide (...) »
- Communisme : « Système d'une
secte socialiste qui veut faire prévaloir la
communauté des biens (...) »
- Ghetto : « Quartier d'une ville où
vit essentiellement une population juive »
- Jaune : « Race jaune ou mongolique (...)
Subst. Les jaunes, les hommes de la race jaune »
- Juif : « (...) Être riche comme
un Juif, être fort riche. Fig. et famil. Celui qui prête
à usure ou qui vend exorbitamment cher, et en général
quiconque cherche à gagner de l'argent avec
âpreté »
- Nègre : « (...) Qui appartient
à la race des nègres ».
Ainsi, il est bien légitime de protester contre ces
définitions.
La « coquille » ou le problème
informatique responsable de cet oubli d'espace a évidemment
entraîné des erreurs d'interprétation et a valu au
nouveau petit Littré diverses accusations de racisme et
d'antisémitisme.
C'est notamment le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour
l'Amitié entre les Peuples) qui va se saisir de l'affaire et qui, sans
chercher à connaître les raisons de telles définitions va
s'insurger lors d'un communiqué, le 23 septembre 2005, contre la
publication de ce dictionnaire :
« Le MRAP (...) exprime son
indignation devant la parution de ce dictionnaire, qui se veut être un
outil culturel de référence, alors qu'il est truffé des
pires stéréotypes racistes que l'on croyait
révolus ».
Le mouvement va également exiger le retrait des ventes
du dictionnaire :
« Aussi le MRAP vient demander (...)
l'arrêt immédiat de la commercialisation dudit ouvrage. Il appelle
les libraires, les diffuseurs, et les enseignants à boycotter ce
dictionnaire indigne ».
Dès lors, Le nouveau petit Littré n'est
plus que l'ignoble dictionnaire qui participe à la diffusion, à
la banalisation, et en tant qu'ouvrage référant des normes,
à la légitimation de stéréotypes raciaux, ce qui
est encore plus grave.
Très vite, la maison d'édition Garnier rappelle
les 30 000 exemplaires publiés et retire l'ouvrage de la vente, face
à un politiquement correct en plein apogée, qui tente de faire
appliquer son idéologie.
Le MRAP, participant au symbole du refus de la discrimination,
de la lutte contre l'intolérance, est pris au sérieux et
porté par la force de notre société bienséante.
C'est donc le lendemain même du communiqué du
MRAP que les salariés de Maxi-Livres reçoivent une brève
note leur ordonnant de renvoyer tous les exemplaires du dictionnaire à
l'éditeur « certaines définitions datant du
18e et du 19e siècles exigeant
impérativement une actualisation ».
Si l'adverbe
« impérativement » confirme l'aspect
dramatique de la situation, la note n'évoque ni la plainte
déposée par le MRAP, ni la vraisemblance de l'erreur informatique
à l'origine du problème.
À croire ici que la pression que sous tend le
politiquement correct est trop imposante. Afin de se dédouaner de toute
responsabilité, les syndicats de l'entreprise Maxi-Livres vont se saisir
de l'affaire :
« Devant l'énormité
catastrophique de ce choix de vente, nous sommes en droit de nous interroger
sur les intentions et la compétence réelle de notre direction
qui, de par son irresponsabilité, nuit gravement à l'image de
notre Enseigne et nous met (...) dans une position plus que difficile
vis-à-vis de nos clients »56(*).
Ici, l'exigence d'une omnipotente bienséance a pris le
dessus, et malgré l'article du Monde précisant les causes de la
faute, Le nouveau petit Littré a souffert de cette
médiocre publicité.
C'est donc afin de rétablir la vérité et
de calmer l'effervescence négative suscitée par ce scandale
dictionnairique que la réédition de 2006 mentionne dans un avant
propos l'évolution diachronique des définitions, en faisant
clairement apparaître à chaque article les sens issus du
dictionnaire d'É.Littré du 19e siècle.
Cette polémique assoie de façon
toujours officielle, le règne du politiquement correct, et
démontre l'intégrité de sa démarche exigeant ici
une seconde reformulation des définitions originelles du
Littré.
Mais cet incident dictionnairique permet surtout de
présenter la nature première du politiquement correct, sa
dimension utopique.
3) Un utopique aveuglement : la quête
effrénée d'une langue parfaite
« Les paroles changent le monde, le monde change de
paroles » (S. Brunet)
A- La langue des « Droits de
l'Humain »
Puisque bien sur on ne dit pas « Droits de
l'Homme » pour n'exclure personne, le politiquement correct se veut
porteur d'un flambeau de l'universel, de l'humain, qui réunirait et
réconcilierait tous les hommes.
Pour cela, la langue doit être passerelle vers un monde
nouveau mettant fin à la souffrance telle que J-J. Rousseau la
préfigurait dans son Discours sur l'origine de
l'inégalité :
« Celui qui chantait ou dansait le
mieux, le plus beau, le plus fort, le plus adroit ou le plus éloquent,
devint le plus considéré, et ce fut là le premier pas vers
l'inégalité et vers le vice ».
Criant l'évidente nécessité d'un nouveau
type de discours, la douce émergence du politiquement correct s'annonce
comme une recherche utopique, une idéologie permettant à ceux qui
ne sont pas « les plus beaux, les plus forts » d'être
tout de même considérés, d'exister.
Enrôlé dans une volonté
d'anéantissement du vice et de l'inégalité, symptôme
d'un désir d'évolution, le politiquement correct se lance dans la
recherche d'une dignité verbale, en tant non pas que discours, mais bien
comme opinion d'un universel acceptable.
L'utopie poursuivie est donc celle d'une langue moralement
neutre, capable d'attribuer à chaque individu la place dont il a besoin.
Sorte de consensus, le mouvement politiquement correct prône une
idéologie abolissant toute critique.
Pour ce faire, il va tenter, via un discours travaillé,
de mettre fin à tout type de stéréotypie en tant que
croyance sociale non fondée.
Étant entendu que le stéréotype
apparaît comme un schème collectif figé, comme une
« représentation collective constituée par l'image
simplifiée d'individus »57(*), il peut se présenter comme vrai.
Et le discours politiquement correct essaie justement de
lutter contre les nombreux préjugés responsables de la souffrance
de telle ou telle communauté. Refuser la stéréotypie c'est
donc garantir le respect de ceux qui sont moqués ou exclus. Nier le
stéréotype du juif cupide ou du noir fainéant, c'est
assurer à tous les hommes, un seul et même traitement, un seul et
même droit, celui de l'humain.
Le politiquement correct, discours sans
stéréotypes, vise donc ce qui ne doit pas se dire, ce qui
implique forcément la traduction d'un système à l'autre,
c'est à dire du faux en vrai et réciproquement.
L'idée fantasmatique de la dénotation
transparente ne peut s'exercer sans « un programme de
déconnotation »58(*) manière en somme de débaptiser les
termes incluant la moindre connotation péjorative.
Nous le verrons plus longuement mais différents
procédés vont permettre d'évincer de la langue
française les « aveugles », les
« nains » et autres « gros », pour leur
préférer des équivalents entièrement
dénotatifs.
L'idéal visé est celui d'une communication
indolore empêchant tout excès dans le langage. À ce sujet,
une anecdote relevée dans le journal Libération prouve la
conviction que le politiquement correct entretient pour la théorie des
mots neutres : en 1998, un sondage américain avait lancé une
campagne d'opinion contre un dictionnaire américain de
référence, en l'obligeant à expurger de ses pages, les
mots injurieux, « partant de l'idée qu'on peut lutter
contre la haine raciale en neutralisant le langage »59(*).
C'est donc lancé dans une quête de
français standard, neutre, « bon usage », que le
politiquement correct s'élance, convaincu de l'existence du degré
zéro dans la langue.
B- Une naïveté originelle
Néanmoins on ne peut que constater la
crédulité certaine qui réside dans le fait de croire que,
dès lors qu'on épure un mot dépréciatif, son
équivalent bienséant, parce qu'il sera plus
« chaleureux », va en changeant le terme, changer
l'état même de la chose.
Pressentie comme une formule chimique, la disparition des termes
discriminatoires doit entraîner la suppression même du mal. C'est
en tout cas le leurre qu'entretiennent le politiquement correct et l'utopie
qu'il vise.
C'est également le fondement de la théorie du
philosophe Pierre-André Taguieff60(*). Ce dernier dénonce
« l'eugénisme lexical » 61(*) qui envahit notre
époque et nous pousse à croire que les mots guérissent les
maux en se substituant à d'autres mots.
Effectivement, parce que nos paroles nous apparaissent laides,
on veut les dire autrement.
Ce besoin vise l'épuration des scories de la langue par
des termes abstraits, des descriptifs neutres qui, renvoyant à une
idéologie nouvelle, empêcheraient alors toute hiérarchie ou
discrimination entre les êtres :
« Parler au neutre c'est masquer de
fait les problèmes, et le social use du neutre universel pour cacher
l'inégalité »62(*).
Projet de renouvellement social, ce nouveau type de langage
apparaît comme l'instrument d'un hypothétique changement.
Il offre à ses locuteurs un point de vue mythique
puisqu'il identifie la pensée à l'existence. Il cherche à
instaurer en tous la conviction que la parole est magie puisqu'elle fait
apparaître la réalité qu'elle embellit ensuite.
S'engageant dans un véritable plaidoyer, beaucoup vont
prôner la principale raison d'être du politiquement correct, et la
mission qu'il promet de respecter : préserver les droits de toutes
les minorités.
Ainsi, le mouvement va reposer sur l'abolition progressive des
différences et des injustices. Il s'offre comme un langage salvateur qui
permet d'influer sur les moeurs et les coutumes.
Le politiquement correct à la française est donc
in fine un exercice de style qui polit la langue, l'embellie « la
débarrasse de ses angles vifs pour qu'elle ne soit plus
blessante »63(*).
Cette alliance idéale entre la langue et une
volonté de respect des minorités contribue à créer
un cocon sociolinguistique qui met beaucoup de monde, si ce n'est tout le
monde, à l'abri de stéréotypes sournois ou de propos
désobligeants.
La règle d'or est bien celle consistant à ne
froisser aucune sensibilité, d'où finalement, bien plus qu'une
utopie, la sensation que le politiquement correct est l'incarnation
linguistique de la compassion, de la charité pour tous.
Chaque personne a en elle un potentiel de différence et
c'est ce que ce phénomène exploite en asseyant l'humain dans une
dénomination qui ne le marginalisera pas, à tel point
qu'« on en vient presque à héroïser les
victimes »64(*).
De la courtoisie à la revendication d'une
dignité humaine, le politiquement correct panse les plaies, soigne les
blessures et, plus que tout autre breuvage miraculeux, entend guérir les
esprits néfastes pour les convertir à l'utopie ambiante.
Comme s'il y avait ici et maintenant, un besoin de s'excuser
de toutes les atrocités commises jadis.
Alors on demande le pardon en instaurant cette culture du
repentir puisque « c'est dans l'air du temps (...) les mots
pansent les maux »65(*), un peu comme si la quête de
l'agréable était infinie.
C- Un idéal périssable
Cet idéal d'égalité, ce projet
de « régulation sociale inspirée par une
éthique du respect »66(*), cette quête en somme d'une bonne distance
linguistique se heurte cependant à quelques difficultés
majeures : comment expurger la langue de tous ses termes non
respectueux ? Et face à cela sommes-nous aptes à trouver
suffisamment de mots faisant office de remplaçants ? Puisque le
politiquement correct s'adresse à tous, comment exprimer ce qui doit
être à la fois honnête et acceptable par tous ?
Dans son projet d'expurger de la langue tous les termes non
respectueux, le langage précieux du 21e siècle se
trouve confronté à un nouveau défi : trouver des mots
en mesure de remplir cette mission.
Cette quête quasiment philosophique que ce
phénomène veut infliger à la langue, est en fait la
poursuite d'une langue moralement et éthiquement neutre67(*).
Convaincu de l'existence d'une objectivité des faits en
dessous des mots, donc de mots non connotés pouvant rendre compte de la
réalité le politiquement correct poursuit le souhait de
créer des mots nouveaux valorisant les groupes dont l'importance a
été étouffée.
Dans son aspect positif, il vise alors à une
amélioration de la langue.
Or, cette entreprise d'épuration lexèmique au
profit d'une langue idéale filtrant toutes ses scories semble bien
illusoire.
Cette utopie ne fait qu'incarner l'échec du mythe
babélien, l'avatar de la quête d'une langue parfaite.
La conviction énoncée par le politiquement
correct est erronée.
Une langue pure ne peut exister dans la mesure où aucun
mot existant ne peut être neutre. La sémantique ne peut se
détacher de son enracinement à la réalité, à
la vie elle-même.
La difficulté inhérente de cette démarche
réside donc dans son ignorance des mécanismes du fonctionnement
du langage :
« Le langage n'est jamais neutre et
par définition ne peut pas s'empêcher d'exprimer les rapports de
force, les valeurs et les croyances d'une société (...) les
appellations ethniques offrent de nombreux exemples de l'impossible quête
du terme neutre. Le terme `Hispanique' a été jugé par
certains comme ethnocentriques car il ne valorise que la souche espagnole (...)
le terme `Latino-américain', jugé plus politiquement correct fait
cependant trop référence à l'une des sources même de
la civilisation européenne »68(*).
La recherche d'un mot dénué de toute
connotation, s'avère donc être infructueuse, pour la simple et
bonne raison que la recherche d'un terme neutre, non ethnocentrique, non
moralisant ... bute tout simplement sur l'absence d'un tel terme dans la
langue.
Certains ont donc orienté la quête de la langue
parfaite vers le langage scientifique ou juridique, censé garantir une
vision objective et délivrer une valeur informationnelle,
détachée de toutes connotations.
Cette tentative qu'A.Semprini qualifie de
« fuite lexicologique »69(*) ne permet ni de résoudre la quête
du politiquement correct, ni de prouver l'existence de termes neutres. Et
même la plupart des définitions proposées par les
dictionnaires concernant telle ou telle entrée ne peut y
prétendre.
Un mot est toujours défini, compris, utilisé
dans une situation d'énonciation, d'un émetteur à un
récepteur, selon un contexte qui lui est propre.
Ainsi, la définition d'un mot dépend
forcément « de la disposition de ressources cognitives,
culturelles, d'un horizon d'attentes qui accentuent la
réception »70(*).
La quête engagée ici vise à une
sémantique absolue récusant les valeurs monoculturelles, mais
sans prendre en compte l'hétérogénéité des
réceptions.
Le fait que la signification d'un mot soit enfermée
dans de telles exigences et soit dépendante d'une condition de
réception, prouve que la quête d'une langue neutre est
impossible.
La conviction de l'objectivité des faits linguistiques,
et donc de l'existence d'un langage non connoté pouvant en rendre
compte, est parfaitement illusoire.
Cette quête d'une langue respectueuse refusant certaines
des valeurs communément admises représente l'aporie des temps
modernes.
Le politiquement correct, qui reste convaincu de son combat et
des moyens pour le mener, continue, dans une sorte d'aveuglement
dépassant la simple utopie, à régner contre un monde
d'inégalité, à renier la philosophie de Thomas Hobbes,
illustrant le schème de l'homme seul contre tous.
Et si, pris d'une éternelle et inévitable
frustration, le politiquement correct ne peut changer les mots, alors il
commencera au moins par changer le monde.
4) Le jour où Candide rencontra Pollyana :
de la muse à l'icône
Au 18e siècle, Voltaire, jouant du climat de
l'époque écrit Candide, conte philosophique dans lequel
il dénonce, plein d'ironie, les partisans de l'optimisme.
Le héros de ce conte vit dans le château de son
oncle, le baron Thunder-ten-tronkh où il mène une existence
idyllique :
« Il y avait en Vestphalie (...) un
jeune garçon à qui la nature avait donné les moeurs les
plus douces (...) il avait le jugement assez droit, avec l'esprit le plus
simple (...) on le nommait Candide ».
Jeune homme répondant donc parfaitement, et non sans
hasard, à la signification de son prénom (du latin
Candidus, blanc et par extension, honnête, naïf) il est
élevé par son précepteur Pangloss « oracle
de la maison » (en grec : « qui parle sur tout et
tout le temps ») et ses sophismes lénifiants dans
l'idée que « Tout est pour le mieux dans le meilleur des
mondes possibles».
Illustrant la philosophie de Gottfried Wilhelm Leibniz qui
avance que Dieu a crée le monde le plus harmonieusement possible,
Pangloss fait de son élève, un esprit étroit.
Litanie largement reprise, Candide est l'incarnation
même de la foi dans la mesure où il croit tout ce qu'on lui dit.
Ainsi, sera-t-il dérouté, effrayé, muet, lorsque
chassé de l'Eden de son oncle suite à sa relation avec
Cunégonde, la fille de ce dernier, il se retrouvera confronté
à « la vraie vie », à la souffrance, à
la méchanceté. Dès lors, comment mettre des mots sur des
réalités méconnues ?
Au-delà de la signification intentée au conte
par son auteur, une évidence surgit pour certains lecteurs, celle d'un
monde autre, qui peut si on y croit, être meilleur.
Le refrain de Candide, « Tout est pour le mieux
dans le meilleur des mondes », emprunt d'une utopie certaine
rencontre de fait, divers échos, et est récupéré
par le mouvement politiquement correct qui en fait son leitmotiv.
Un autre personnage fictif, une jeune fille cette
fois-ci, trois siècles plus tard, va également servir à
posteriori, les rangs de la noble bienséance.
C'est en effet en septembre 1993 que G.Racle publie un article
dans la revue « Communication et langages »,
consacré au « principe de Pollyana ».
Si ce nom est quasiment inconnu en France c'est que le
phénomène est anglais : « The Pollyana
Principle » apparaît au début du 20e
siècle sous la plume de l'écrivaine Eleanor Porter.
C'est en fait en 1913 que naît la petite Pollyana,
héroïne candide par excellence qui ne voit toujours que le bon
côté des choses, et qui trouve vie en 1960 sous les coups de
crayons de Walt Disney.
Ce roman va notamment intéresser deux psychologues
anglais, M.Matlin et D.Stang, qui sans aller jusqu'à donner le nom de
Pollyana à un complexe psychanalytique vont s'interroger sur la
capacité de cette jeune fille imaginaire a positiver
systématiquement sa vision des choses et du monde.
Formulant quelques théories, les deux psychologues
présentent le principe de Pollyana comme :
« Un mécanisme psychologique
qui incite toute personne normale à préférer les aspects
positifs ou favorables des choses, à favoriser le beau,
l'agréable, le bienséant dans tous les
domaines »71(*).
Dès lors, certaines études concernant le
politiquement correct évoqueront le nom de Pollyana comme son
illustration même.
Ici, plus encore que chez Candide où le positivisme ne
se résume qu'à une personne, la croyance, la foi en la
bonté et en la beauté du monde extérieur se traduit par un
mode de pensée qui a inévitablement des répercussions dans
le langage.
Les études anglaises menées à ce sujet
constatent que les mots « désagréables »,
sont soit connotés positivement, soit présentés comme
secondaires donc très peu utilisés, voir annihilés sous
une forme stratégique qui n'est pas sans rappeler la Novlangue : il
n'existe rien de « très mauvais », puisqu'au pire
cela est « plutôt bon » ou « pas
très bon ».
Ainsi de la même façon, les sujets de
conversation perçus comme désagréables sont mis de
côté.
On change alors le monde par les mots qu'on choisit de dire ou
de taire.
Les mots bonifient le monde et font disparaître les
maux.
Sorte de magie linguistique du quotidien, ce n'est pas tant
que Candide et Pollyana s'amusent à jouer à « motus et
bouche cousue », c'est simplement qu'ils ne perçoivent pas
concrètement le mal (au sens général) dans la mesure
où ils ne peuvent le désigner.
Et de façon plus anodine encore, l'emploi des mots
plaisants étant supérieur aux mots désagréables,
nos deux héros inaugurent ce que tout un chacun dira
spontanément, sans même se rendre compte de ce qui se cache
derrière. Nous ne demanderons jamais « ce plat est-il
mauvais ? », mais toujours « ce plat est-il
bon ? ».
Il y a alors dans cette langue pesée et mesurée
un calcul précis devenu inconscient, de ce qu'on entend transmettre par
telle ou telle question.
Le fait de préférer utiliser ici un adjectif
positif c'est d'une certaine façon, gager que l'interlocuteur
répondra sur le même ton.
Cette propension généralisée au
positivisme est présentée par deux autres chercheurs, C.Osgood et
M.Richards, travaillant sur le principe de Pollyana, de la façon
suivante : si les hommes préfèrent utiliser des mots
à connotations mélioratives plutôt que péjoratives,
c'est que, bien plus qu'une forme d'utopie excessive, ils ont depuis toujours
associé la normalité au positif et par un revers manichéen
qu'on devine, l'anormal au mauvais, au négatif :
« De temps immémoriaux, les
humains ont trouvé que la croyance est meilleure que le doute, la
certitude que l'incertitude, la plénitude que la pénurie,
l'affirmation que la négation et la congruité que
l'incongruité »72(*).
Ce besoin d'utiliser et de s'approprier les mots
plaisant d'un discours semble quasiment relever du pathologique.
L'association pensée aimable - mots plaisants se
présente comme l'équation à retenir.
Médicament miracle ou placebo, le politiquement
correct, illustré par ses deux enfants, cherche dorénavant
à trouver une place dans les dictionnaires qui s'entendent à
faire de lui, semble-t-il, un phénomène linguistique majeur.
IV/ État dictionnairique d'un
phénomène linguistique polysémique
Nous l'avons constaté, le terme de
« politiquement correct » prend différents noms et
intègre divers aspects suivants les époques et les pays.
Insaisissable donc par la multiplication de ses acceptions,
nous avons choisi d'éclaircir le sens de cette locution en analysant les
définitions proposées par de grands dictionnaires, ainsi que les
synonymes en découlant.
Ce qui nous intéresse ici c'est de comprendre
comment au fil du temps et au sein des dictionnaires monolingues des
19e, 20e et 21e siècles, a
évolué la notion de politiquement correct.
Comment se définit cette expression dont l'origine
reste incertaine ? Est-elle présentée comme un calque, un
emprunt, un phénomène étranger ? À quelle date
intègre-t-elle notre langue ? Quel type de définition en est
proposé ? Et à quelle entrée la retrouve-t-on ?
Comment les lexicographes parviennent-ils à nuancer
cette expression polysémique ? Font-ils référence
automatiquement à des synonymes admis dans le langage courant ?
À travers ces différentes étapes de la
mise en forme et de l'intégration de cette expression, se traduit une
volonté plus ou moins implicite pour le lexicographe de signaler ce
qu'il pense de ce phénomène.
Le choix de la nomenclature étant également
celui de l'opinion du lexicographe, l'analyse de cette définition nous a
paru intéressante puisqu'elle représente déjà, en
dehors du dictionnaire, un sujet de discorde.
Dès lors, comment parvenir à définir de
façon partiale, un mot dont le sens et l'origine sont sujets à la
polémique ?
C'est afin de répondre à ces différentes
questions que nous avons favorisé, parmi tant d'autres, trois
dictionnaires que nous considérons comme principaux car contemporains
à la naissance dudit phénomène linguistique.
C'est donc au travers du Petit Robert, du Petit
Larousse et du dictionnaire Hachette que nous allons dresser
l'évolution et les caractéristiques sommaires de cette
expression.
Calque de l'expression américaine
« politically correctness », la traduction française
n'apparaît pas tout de suite au sein des dictionnaires, bien que les
idées implicites qu'elle sous-tend soient annoncées via l'adverbe
« politiquement » ou l'adjectif
« correct ».
Déjà dans le Dictionnaire universel de La
Châtre, à l'article « correct », il
s'agit de s'exprimer « selon les règles de la
politique, habilement, d'une manière fine, adroite,
réservée, cachée », de même le
Littré, ajoute une nouvelle acception à cet adjectif
« Se dit aussi des personnes et des actions au sens
moral », complétée par le dictionnaire de
Furetière « d'une manière politique, sage,
prudente ».
Fort de ces exemples datant pourtant des siècles
passés, on assiste déjà aux rumeurs du futur
phénomène sociolinguistique.
Inévitablement liée à la notion de
conformisme, cette idée de politiquement correct nous est
présentée en des termes plus normatifs, par le Trésor
de la Langue Française (TLF), via la récurrence de
certains mots clefs tels que « norme » et
« bienséance » au travers des différents sens
de l'adjectif « correct », qui a bien des égards se
lit telle une prémisse de la locution « politiquement
correct » elle-même :
« Domaine de l'exercice du langage et
du style ; conforme aux règles (...) du bien dire (...) qui est
conforme à la norme sociale (...) en parlant d'un comportement ou d'une
caractéristique de comportement qui témoigne d'un réel
respect de la bienséance (...) ».
Ce bref rappel de définitions nous confronte à
une évidence : si l'adjectif « correct » et
l'adverbe « politiquement » existent depuis fort longtemps,
l'expression « politiquement correct », pourtant
composée de ces deux termes mettra paradoxalement un certain temps
à intéresser les lexicographes.
Il faut en effet attendre la fin du 20e
siècle pour que ce phénomène qui, au départ n'est
pas pensé comme ayant des répercussions sur le langage, soit
timidement défini.
1) Entre oubli et
absence : le manque de conviction du dictionnaire
Hachette
A- Un sectaire politiquement correct
Si nous choisissons de commencer notre analyse par
celle qu'en fait le dictionnaire Hachette, c'est qu'il est le plus
jeune de nos trois dictionnaires, et que son recul sur la langue est donc
moindre.
Nous pourrions interpréter la faiblesse des
définitions proposées par ce fait.
Car il faut bien admettre que la recherche faite sur le CD-Rom
Hachette 1999 a été des plus infructueuses puisque l'expression
« politiquement correct » n'apparaît nulle part, et
il en est de même sur le support papier. L'étude lexicographique
est bien légère.
Il faut néanmoins préciser que la mention
« d'une manière fine, adroite »
(définition jadis utilisée par le Petit Larousse)
pour l'adverbe « politiquement », et le commun
« conforme aux règles, aux convenances, aux
lois » de l'adjectif « correct »
évoquent tacitement ce qu'on pourrait légitimement attendre de la
définition de notre expression.
Ici, c'est donc au lecteur de travailler en associant les
définitions des deux termes pour concevoir, intuitivement, le sens de la
définition de « politiquement correct » selon le
dictionnaire Hachette.
B- Des synonymes discrets
Quant aux définitions concernant les
synonymes reconnus de cette expression, le dictionnaire Hachette n'est
pas le meilleur conseiller.
Le terme de « pensée unique » n'est
pas non plus commenté, quant à celui de
« bienséance » il est défini en moins de dix
mots « conduite publique en conformité avec les
usages », et il aurait été bon, sans perdre de la
place inutilement, de préciser de quels types d'usages il s'agissait.
C'est donc, de tous les polysèmes concernés par
ce phénomène, celui de « langue de bois » qui
est peut-être le plus réfléchi.
Défini à l'article
« langue », juste après l'entrée
« langue verte », l'analyse assez brève de
cette locution reste correcte (bien qu'elle soit fort approchante de la
définition déjà proposée par Le Petit
Robert) :
« Nom donné au discours
politique des dirigeants communistes ; par ext. Toute
façon de s'exprimer construite autour de
stéréotypes ».
L'analyse s'achève ici pour le dictionnaire
Hachette qui, en dehors d'un manque d'exhaustivité
lexicographique flagrant, semble jouer d'un certain laxisme envers ses
lecteurs, perdus entre le désarroi d'une absence de définitions
travaillées et la déception de l'oubli de certains mots clefs.
2) Le Petit
Larousse ou l'assise lexicographique
A- Une évolution diachronique pertinente
C'est avec étonnement que nous avons
constaté que notre expression apparaît sous sa forme
première de façon assez précoce.
En effet, dans le Petit Larousse de 1930 est
mentionné pour la première fois à l'article
« politiquement », le « parler
politiquement », locution qui va inaugurer sans le savoir notre
future expression.
Il faut cependant attendre la fin des années 1990 pour
constater une réelle prise en compte de cette dernière.
Les sens implicites accordés jusqu'alors à
l'adverbe « politiquement » changent de vedette et
s'imposent dès 1997 comme une expression à part entière
qui émerge dès la 3e entrée de l'adjectif
« correct » :
« Se dit d'un discours, d'un
comportement visant à bannir tout ce qui pourrait blesser les membres de
catégories ou de groupes minoritaires en leur faisant sentir leur
différence comme une infériorité ou un motif
d'exclusion ».
Ici, l'expression prend sens mais reste très
influencée par le schème américain puisqu'elle se dit
comme une attitude de défense envers les minorités et les
exclus.
Il faut donc attendre le nouveau siècle et la
définition de 2001, présente à la 4e
entrée de l'article « correct », pour une analyse
plus subtile du phénomène :
« (Calque de
l'anglo-américain, politically correct), Se dit d'un discours, d'un
comportement prétendant bannir ou contrer tout ce qui pourrait blesser
les membres d'une catégorie et des groupes jugés victimes de
l'ordre dominant. Par ext.péjor, se dit d'un discours ou d'un
comportement d'un progressisme convenu et
intolérant ».
Dans ces deux définitions, les lexicographes ont choisi
deux verbes « viser à » et
« prétendre », qui sont loin d'être
anodins, puisque comme l'expliquent A.Collinot et F.Mazière dans
Un prêt à parler, le dictionnaire73(*), le choix de ce type de
verbe pouvant se rapprocher du verbe « servir à »,
impose une certaine finalité de la définition en mettant en
scène un utilisateur (ici, le lecteur de l'article) dans le rôle
du destinataire.
Ainsi, il y a une volonté de la part du Petit
Larousse de présenter cette définition comme un écho
au schéma jakobsonien, autrement dit comme un phénomène
purement communicationnel.
En disant « X qui sert à ... », le
lexicographe inscrit son acte définitoire dans une forme discursive qui
confère à X un sens bien défini, recevable pour le lecteur
qui y reconnaît les bribes d'un discours familier.
Cependant, malgré la proximité de forme de ces
deux définitions, il faut noter que l'usage justement différent
de ces verbes est une preuve de l'évolution de l'expression au sein de
la société, ce que confirme l'apparition de la mention
« péjor. », absente de la définition
de 1997, et qui, bien que seconde en 2001, constitue néanmoins une
acception admise, un jugement recevable car cohérent.
Le discours « visant à bannir »
devient alors celui qui « prétend bannir ou
contrer ».
Fort de quelques années d'expérience, le
« politiquement correct » de 2001 acquiert une nouvelle
dimension.
Cette nouvelle définition est d'ailleurs moins
stéréotypée, moins « politiquement
correcte » que celle de 1997 : les « groupes
minoritaires » subissant
« infériorité et exclusion », sont
ici « victimes de l'ordre dominant »... et s'ils
peuvent être « jugés » rien n'affirme donc
qu'ils soient vraiment victimes, qui plus est d'un agresseur relativement
évasif, « l'ordre dominant ».
A mots égaux, les maux sont moindres, le lexicographe
de 2001 ne parlant plus d'exclusion.
Cette même définition sera utilisée un an
plus tard en 2002 pour la création du Petit Larousse sur
CD-Rom, et n'a pas encore été à l'heure actuelle,
modifié (Le Petit Larousse 2005 présentant la même
définition).
B- Une richesse synonymique
Concernant la recherche autour des synonymes du
politiquement correct, le Petit Larousse est d'un point de vue
quantitatif le plus riche de nos trois dictionnaires.
Si la bienséance signifie ici « ce qu'il
convient de dire ou de faire ; savoir-vivre », elle nous
permet d'éclaircir la définition du dictionnaire Hachette
puisqu'on comprend alors que les « usages »
sont ceux de la convenance et de la décence.
Toujours en terme d'exhaustivité lexicographique, le
Petit Larousse est le seul à donner une définition de la
« pensée unique », expression pourtant souvent
entendue ces dernières années, surtout en France !
Ainsi, présente à la 4e entrée
de l'article Pensée, la « pensée unique » est
précédée d'une marque qu'on peut penser personnelle, et
qui s'intensifie par les termes employés se rapprochant, comme il se
doit, de l'idée de politiquement correct, déjà introduite
par cette même marque :
« péjor. L'ensemble
des opinions dominantes, conventionnelles, des idées reçues, dans
les domaines économique, politique et social ».
Ici, on comprend que la pensée unique touche tous les
domaines et dépasse le stade de la simple moralité puisqu'elle se
nourrit de stéréotypes.
Enfin, la définition de la « langue de
bois » est très intéressante dans la mesure où
le Petit Larousse est le seul des trois dictionnaires à la
présenter comme un type de langage particulier faisant apparaître
l'expression à l'article « langue » :
« Manière rigide de s'exprimer en
multipliant les stéréotypes et les formules figées,
notamment en politique ».
Elle n'est pas présentée, comme c'était
le cas dans le dictionnaire Hachette, en dépendance avec un
quelconque régime politique.
C'est pourtant dans une autre version du dictionnaire Larousse
qu'on retrouve cette vision.
Le Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse
de 1981 présente la « langue de bois » comme
l'apanage exclusif de « certains partis
communistes », et dans l'édition de 1984, une porte est
ouverte sur la représentation de la langue de bois dans
l'idéologie stalinienne :
« Manière rigide de s'exprimer qui use
de stéréotypes et de formules figées et reflète une
position dogmatique, surtout en parlant d'un discours de certains
dirigeants communistes »
Ici, que les lexicologues insistent sur l'aspect linguistique
(la langue de bois est une caractéristique de la langue) ou politique de
la langue de bois (elle se veut organe de censure ou de lieux communs), ces
définitions ne sont jamais contradictoires puisqu'elles confèrent
à la langue de bois, toute la force d'un phénomène
sociolinguistique, et la présentent comme une prémisse mais aussi
comme un synonyme du politiquement correct.
3) Le Petit Robert ou la pertinence des
définitions
A- Le politiquement correct, un mouvement linguistique
enfin reconnu
L'expression « politiquement
correct » n'apparaît pas d'emblée dans Le Petit
Robert. Et si son homologue Le Petit Larousse, déjà
existant, laissait poindre en 1930 ce qui constituerait un demi-siècle
plus tard une véritable idéologie linguistique, il faut attendre
la mise en place affirmée du Robert pour que se
révèlent ses véritables qualités
lexicographiques.
Puisque à chaque aboutissement il y a un début,
les définitions des termes « politiquement » et
« correct » constituent déjà une approche
intéressante de la future expression, et préparent son
arrivée.
Ainsi, l'adjectif « correct » :
« conforme aux règles fixées, aux usages, aux
bonnes moeurs, à la morale », plus riche que la
définition proposée par Hachette, laisse pressentir aux
lecteurs avec la mention de « moeurs » et de
« morale » l'idéologie sous-jacente.
De même, l'adverbe
« politiquement », « D'un point de vue
politique `Des milliers d'hommes commençaient à penser
politiquement' (Nizan). Littér. Avec
habileté », illustre avec le choix de la
citation de F.Nizan, l'émergence d'un réel
phénomène linguistique.
Et c'est donc dans le milieu des années 1990 que
l'adverbe et l'adjectif se soudent enfin pour offrir une définition
très intéressante qui a le mérite de situer
l'émergence du phénomène :
« (v.1990.calque de
l'anglo-amer. « politically correct ». Se dit d'un
discours, d'un comportement d'où est exclu tout ce qui pourrait
desservir socialement un groupe minoritaire dans la manière de
l'appréhender - SUBST. ` elle aimant vivre aux Etats-Unis,
protégée par ce politiquement correct que les beaux esprits
européens dénonçaient en se gaussant'
(P.Constant) ».
Ici, la définition est relativement exhaustive
puisqu'elle précise par ses deux premiers termes que le politiquement
correct relève à la fois du langage et de l'attitude.
De plus, la citation servant d'exemple est un choix signifiant
de la part du lexicographe puisqu'elle permet d'illustrer un des autres aspects
de cette expression : ce phénomène, dont l'origine se situe
outre Atlantique, est resté un certain temps indésirable en
France.
L'évolution de cette définition nous
est également présentée d'une façon passionnante
grâce au travail diachronique d'Alain Rey avec en 2001, Le Grand
Robert de la langue française.
La définition de l'adjectif
« correct » délivre déjà au
17e siècle les connotations que nous accolerons, à
posteriori, à notre expression :
« Qui est conforme aux moeurs, aux
usages considérés comme bons (dans une société, un
groupe donné) : Bienséant, convenable, décent
(...) ».
Un peu plus loin, l'exemple servant d'illustration à la
3e entrée de l'adjectif « Prendre une attitude
politique correcte » dévoile quant à lui, l'une
des premières acceptations de l'expression, ici sans forme
adverbiale.
C'est à la suite de cette entrée qu'A.Rey
décide d'insérer la définition de l'expression telle que
nous la connaissons, en précisant avant toute chose, qu'il s'agit bel et
bien d'un anglicisme :
« Calque de l'anglais des
Etats-Unis, politically correct. Anglic.
Se dit d'un langage, d'un comportement qui efface dans
le langage tout ce qui pourrait desservir socialement un groupe minoritaire et
qui donne une idée de société moralisée
(établissant ainsi euphémismes et tabous). Un langage
politiquement correct. Par ext. Une attitude politiquement correcte :
« Jetons une bonne fois la « bienpensance » et le
politiquement correct par la fenêtre » (Le Monde, 18 mars
2000) ».
Ici, la qualité et l'exhaustivité de la
définition sont évidentes, et dépassent réellement
les commentaires beaucoup moins encyclopédiques des deux autres
dictionnaires.
A.Rey présente un élément crucial, absent
pourtant de toutes les autres définitions, c'est l'idée de
travail, de manipulation, de jeu de la langue, propre à la pratique de
ce phénomène « efface dans le langage (...)
établissant euphémismes et tabous ».
De plus, la définition du Petit Robert est
indéniablement moins moralisante que celle de Petit Larousse,
dans la mesure où ici, le politiquement correct n'est pas
présenté comme quelque chose permettant de lutter contre les
douleurs infligées à telle ou telle minorité, mais
plutôt comme un phénomène sociolinguistique qui, s'il est
sincère, aboutit logiquement à une langue normée, à
une « société moralisée ». Et
ici la sémantique de ce mot s'imprègne de certaines connotations
péjoratives, notamment par le choix d'A.Rey avec la citation extraite du
Monde.
B- Un choix stratégique
Concernant le choix des synonymes, le substantif
« bienséance » (proposé par ailleurs sous
forme adjectivale à l'article « correct »)
bénéficie d'une définition assez travaillée
puisqu'elle lie en quelque sorte les définitions
précédentes présentées par Hachette et
Le Petit Larousse :
« Caractère de ce qui convient, va
bien ; convenance. Par ext. Conduite sociale en accord avec tous
les usages, respect de certaines formes ; correction, décence,
savoir-vivre ».
En revanche, si le terme de « pensée
unique » est clairement évoqué par les connotations des
diverses définitions de « politiquement » et de
« correct », Le Petit Robert n'a pas choisi de lui
consacrer un article.
C'est donc la définition de « langue de
bois », une fois encore qui constitue l'analyse la plus
intéressante concernant le choix des synonymes :
« Péj. Langage figé
de la propagande politique. Par ext. Façon de parler qui abonde
en formules figés et en stéréotypes non compromettants
(opposé à franc-parler) ».
Il faut tout d'abord notifier que seul Le Petit
Robert fait apparaître cette expression au sein de l'article
« bois ». Cela relève d'un choix stratégique
réel : si l'expression n'est pas propre au substantif
« langue » c'est que les lexicographes ont ici
volontairement choisi de porter leur intention non pas sur la forme, mais bien
sur le sens de cette expression en la raccrochant à l'aspect solide, dur
et inaltérable du bois.
De même, le fait de présenter la langue de bois
comme un outil politique, avant de l'envisager dans le cadre du langage
quotidien, c'est préférer rester centré sur
l'historicité du mot et non pas sur son éventuel usage actuel.
Cette idée d'une langue propre à la machinerie
politique était déjà présente dans la
définition du dictionnaire Hachette, alors qu'elle
n'était qu'une acception seconde pour le Petit Larousse
« notamment en politique ».
Les lexicographes du Petit Robert en inscrivant cette
expression à l'article « bois », en l'introduisant
par le qualificatif « Péj. », et en précisant
l'un de ses antonymes, porte implicitement un jugement de valeur
réel.
Si le dictionnaire Hachette semble manquer
d'expérience, ce qui s'illustre dans des définitions
incomplètes et trop classiques, les deux grands dictionnaires que sont
Le Petit Larousse et Le Petit Robert
n'hésitent pas, par différents moyens (choix de la nomenclature,
taille de la définition, date d'apparition, mention de synonymes...)
à s'exprimer, à laisser paraître, mais toujours de
façon discrète, et en offrant le meilleur de leur travail
lexicographique, l'écho d'un léger jugement de valeur sur le
phénomène politiquement correct.
Cette brève étude des
différentes acceptions de l'expression « politiquement
correct » et des termes la composant révèle sa
rareté, tout du moins d'un point de vue institutionnel.
Il est donc évident que procéder à un
travail sur la triple investigation dictionnairique autour de cette expression
serait vain.
Sa spécificité réside peut-être
justement dans son unicité : elle n'est utilisée dans aucune
autre locution, pour aucun autre article, hormis les deux mots vedettes qui la
composent.
Cette étude qui a mis en avant l'ambivalence des
définitions proposées, nous a également permis de
distinguer les trois aspects principaux de cette idéologie :
- son origine, proche de la doxa communiste, totalitaire, et
évoquant la censure
- son aspect formel privilégiant les
stéréotypes et les idées reçues
- sa charité, diffusant un certain degré
d'humanité et d'utopie qui justifie donc sa propre utilisation au nom
d'une bienséance commune.
Dès lors, face à une notion aussi
ambiguë et riche de sens, peut-on vraiment se contenter d'évoquer
un phénomène linguistique ? Ou faut-il plutôt y voir
un fait s'incorporant dans le langage lui-même ? L'opposition
saussurienne bien connue entre langue et discours, a-t-elle ici un sens ?
Est-il plus cohérent de qualifier le politiquement correct de dialecte
ou de discours ?
C'est afin de compléter la « carte
d'identité » du politiquement correct que nous allons nous
pencher sur ces termes et sur d'autres, afin de comprendre le lien existant
avec notre polysème.
V/ Une grande épopée
linguistique
1) Du langage à la langue, en passant par le
discours, sur les traces du politiquement correct
Le langage désigne tout système de
communication, avec en son sein la faculté propre à l'homme de
parler et d'être compris :
« Ce n'est pas le langage parlé qui
est naturel à l'homme, mais la faculté de constituer une langue,
c'est à dire un système de signes distincts correspondants
à des idées distinctes »74(*).
Dès lors, la langue est partie intégrante du
langage et c'est d'ailleurs ce qui contribue à la délicate
distinction entre ces deux termes : le langage est défini comme
« la fonction d'expression de la pensée et de
communication entres les hommes »75(*), et il fait écho
à la langue perçue comme un « système
d'expression du mental et de communication, commun à un groupe
social »76(*).
Ici, le langage est une fonction virtuelle se réalisant
sous la forme d'une langue, qui est elle-même un procédé
n'existant que dans le langage. Autrement dit, la langue fait partie
intégrante du langage.
Ce que va alors souligner le linguiste Ferdinand de Saussure
c'est le lien indiscutable de la langue à la société, aux
hommes :
« Elle (la langue) est à la
fois un produit social de la faculté du langage et un ensemble de
convention »77(*).
La langue serait donc une entité qui pour exister doit
être normée, en tant que preuve de son intégration dans la
société. Et c'est alors au sein de ce consensus que se meut le
discours, « expression verbale de la
pensée »78(*), clef de voûte du langage social.
La distinction fondamentale établit par F. de Saussure
entre langue et discours (on la trouve aussi parfois sous la forme
« langue versus parole ») est réductible à
l'opposition « collectif » versus
« individuel ».
En effet, se distingue d'une part la langue, ensemble de
signes socialement institué et mis à disposition d'un locuteur
parlant pour qu'il exprime sa pensée à laquelle s'oppose d'autre
part, la mise en oeuvre de cet ensemble de signes par ce même locuteur
dans une réalisation qui lui sera propre, le discours.
Le discours est personnel et tend à s'affirmer
lorsqu'il s'approprie la langue, « partie sociale du
langage »79(*) et qu'il en use volontairement.
Tout cela est quelque peu confus tant les trois termes,
langage, langue, discours, semblent indissociables l'un de l'autre.
Pris au milieu de cette ambiguïté, le
phénomène de politiquement correct est au coeur de l'opposition
saussurienne. Il entre dans le cadre du langage puisqu'il se diffuse via la
langue, dans une communauté linguistique qui elle, se dit par le
discours.
Dès lors, il tend vite à se démarquer de
l'individuel pour s'ancrer dans le collectif, et c'est en cela qu'il est un
fait sociolinguistique.
En effet, nous n'avons que pu remarquer la polysémie
qui entourait le terme de « politiquement correct », ainsi
que ses nombreux antécédents ou répercussions dans
diverses langues et sociétés.
Et si c'est surtout au travers du discours que se
réalise le politiquement correct, c'est qu'en tant que concept, son
pouvoir n'est pas dans les mots, mais dans leur emploi.
Dès lors que l'on traite le langage comme un objet
autonome acceptant la séparation radicale que faisait F. de Saussure
entre science du langage et science des usages sociaux (la langue en
elle-même), on se trompe car on se cantonne à chercher le pouvoir
dans les mots. Or, le pouvoir des mots, donc du langage, est bien dans l'usage
qu'on en fait, c'est à dire dans le discours.
2) Entre idiome au sociolecte
Admis que le politiquement correct, eu égard
à ses astuces et particularités linguistiques est parfois
complexe dans la transmission de ses messages, de son sens, il peut
apparaître à certains comme une sous-catégorie du langage,
aussi indéchiffrable par exemple, que la langue argotique.
Néanmoins, le politiquement correct en imposant son
propre vocabulaire, sa syntaxe, ses jeux sur la langue, sa poésie
même80(*),
prétend se démarquer d'un quelconque dialecte qui se serait par
habitude, greffé sur le langage courant.
Là où le politiquement correct prend alors toute
sa dimension, c'est lorsqu'on s'intéresse à ses usagers : on
remarque qu'il s'agit généralement de personnes relativement
cultivées, d'âge moyen et vivant essentiellement dans les
métropoles.
En ce sens, le politiquement correct peut prétendre
correspondre à la notion de dialecte,
« variété régionale d'une
langue »81(*) de régiolecte ou plutôt même,
pour reprendre la terminologie du lexicologue Jean Pruvost, à celle
d' « urbalecte »82(*), néologisme désignant les
différents dialectes des villes.
Pratiqué majoritairement entre citadins, l'emploi du
politiquement correct qui dépasse le simple stade du particularisme
dialectal, nécessite donc un intérêt particulier.
Si le politiquement correct est pratiqué dans des
contextes bien précis, c'est qu'il correspond à un besoin
éthique, moralisateur ou autre. De fait, son usage relève d'un
mode de pensée que les locuteurs concernés se plaisent à
revendiquer, tel un signe distinctif entre gens de bonnes moeurs. Ici, c'est
donc sous une forme idiomatique que le politiquement correct s'annonce :
« Ensemble des moyens d'expression
d'une communauté correspondant à un mode de pensée
spécifique »83(*).
Cette définition qui illustre bien l'aspect
communautaire qu'adoptent vite les usagers d'un discours politiquement correct,
permet cependant d'aller plus loin.
Si le politiquement correct est une forme d'idiome dans la
mesure où il est propre à une communauté, c'est qu'il est
forcément régi par les normes de cette dernière,
représentante d'un groupe social.
À fortiori, le politiquement correct s'il est un idiome
peut également se rapprocher du sociolecte dans la mesure où il
peut s'apparenter à la langue d'une classe sociale en
particulier :
« Le sociolecte sert à
désigner les normes sociales qui sont à l'oeuvre dans la
production du discours (...) il correspond à une pratique sociale du
langage verbal (judiciaire, politique, religieux) que matérialise un
lexique (...) spécifique »84(*).
Dès lors, nous pourrions parler de la
généralisation du discours politiquement correct en tant
qu'idiome de la fin du 20e siècle, et nouveau sociolecte du
début du 21e siècle.
Reprenant la terminologie de William Labov85(*), on peut faire adhérer
au discours politiquement correct, l'accumulation de trois facteurs
responsables de sa variation : « le facteur
diatopique » qui régit la langue en tant que
régiolecte, urbalecte..., « le facteur
diastratique » qui présente la langue comme un
sociolecte, et enfin « le facteur diaphasique »
qui intègre le discours politiquement correct dans l'idiolecte.
En ce sens, la langue est effectivement comme l'avait
analysé F. de Saussure, un produit social adopté par un corps
social qui prend forme dans le discours d'une communauté
linguistique.
3) Le discours politiquement correct, de
l'incompréhension au mystère
« Il est précisément correct de ne pas être
compris car par là on est garantit contre tous les
malentendus » (S.Kierkegaard)
Étant entendu que le politiquement correct
agissant sur le discours est un phénomène à la fois
linguistique, social, et politique, il faut prendre en compte que le fait de le
catégoriser comme un idiome ou un sociolecte peut contribuer à sa
restriction, mais également à le prémunir de certaines
accusations susceptibles de lui porter préjudices.
Dès lors, quel qualificatif pourrions-nous employer
pour représenter au mieux le discours politiquement correct ?
A- Le politiquement correct, un discours
codé
Jadis, Socrate ne cessait de questionner ses
interlocuteurs, via des sophismes inquisiteurs « Mais
qu'entends-tu par là ? Quel sens donnes-tu à ce
mot ? ».
Ce type d'interrogation correspond parfaitement au discours
politiquement correct qui se présente pour les non-initiés comme
un langage étranger. Sorte de variante dialectale d'un français
d'usage courant, le cheminement discursif du politiquement correct
intègre un certain degré de difficulté.
Le discours politiquement correct, de par
son aspect et ses techniques linguistiques, apparaît à juste titre
comme une langue mystérieuse et inaccessible à ceux qui ne la
pratiquent pas.
Sorte de discours cabalistique, le discours politiquement
correct déroute et « dégoûte ».
Langue-mystère, il a le pouvoir d'obscurcir ce qui ne devrait être
que de la communication humaine.
Il se présente comme une langue illisible et inaudible
et sélectionne ainsi ses locuteurs. Son dessein porté par un
élitisme sous-jacent est alors réussi.
Sous cet angle, il s'annonce comme une sorte de non-langage
dans la mesure où il choisit ses sujets et agit en complète
opposition avec la valeur symbolique de la langue, sensée permettre la
communication entre tous les hommes.
La sélection artificielle que met en place le
politiquement correct fait écho aux ressorts qu'utilisait jadis la
langue de bois lorsqu'elle se présentait sous les traits d'une
équation alliant magie, aspect rituel et arbitraire.
Le discours politiquement correct n'est pas une
variété qui va être utilisé en fonction des
auditeurs présents ; il n'exerce aucune compétence
communicative, « il s'agit toujours d'une parole sans
langue »86(*).
Ce ne sont pas les usagers qui choisissent le discours
politiquement correct, puisque c'est lui qui vient à eux, une fois sa
sélection effectuée.
Le politiquement correct est donc à ce stade un
discours codé, imposant « un rapport de signe à
référent, et non de signifiant à
signifié »87(*), qui joue sur le flou général de
la langue que seuls les élus peuvent décoder.
De fait, il peut aisément intégrer la classe des
langues-jargons88(*) si
l'on se fie à la classification de deux grammairiens, Damourette et
Pichon qui dénombrent quatre formes de
« parler » : la disance, l'usance, la parlure et le
jargon.
La définition proposée pour cette
dernière forme fait largement écho aux principes du discours
bienpensant.
Il s'agit selon eux d'une langue utilisée par un groupe
social qui, soit par intérêt, soit par fantaisie ou par tradition,
fait appel à des mots incompréhensibles pour des non
initiés.
Et c'est justement le cas du discours politiquement correct
qui baigné dans son auto suffisance, renferme un vocabulaire qui lui est
propre et auquel n'a accès qu'une certaine classe de la population.
C'est donc conscient de cet étonnant paradoxe, face
à une langue qui se veut fédératrice de tous les exclus,
qu'en nous appuyant sur la thèse de U. Windish89(*), nous avons choisi de
présenter le politiquement correct comme un anti-langage.
B- Un paradoxe innommable : le politiquement
correct, un discours anti-langage
Selon U.Windish, l'anti-langage est le langage
utilisé par des anti-sociétés ou des groupes de
marginaux90(*).
À priori le discours politiquement correct ne rentre
pas dans cette caste puisqu'il est en accord avec la pensée unique de la
société dans laquelle il évolue.
Néanmoins, nous nous souvenons de Molière
qualifiant le courant des Précieuses de « jargon »
ou de « baragouin » et du Littré le
définissant comme un langage quasiment sectaire.
Ici, le politiquement correct, à travers la
surcodification qu'il impose à sa langue, se sert du langage de la
société en place, pour en créer un nouveau.
En ce sens donc, le politiquement correct, en tant que langage
travaillé, forme une nouvelle société, une
anti-société, excluant les non-initiés qui se retrouvent
inévitablement en situation d'incompréhension
langagière :
« Un antilangage est un langage
transformé : il prend appui sur le langage de la
société ambiante, le transforme en créant un nouveau
langage, qui ne doit être compris que de
l'antisociété »91(*).
L'antilangage menant à l'échec sémantique
devient donc le reflet d'une réalité qui est autre, celle de
l'antisociété.
Tandis que la langue courante dit ce qu'elle voit,
l'antilangage, nouvellement politiquement correct, dit quant à lui ce
qu'il aimerait voir ou mieux, embellit ce qu'il voit.
Tout comme la langue de bois, il crée un dialogue de
sourd avec une rhétorique artificielle qui mène à un
langage froid, sans nuances donc sans contrariétés. Comme
l'expliquent R.Amossy et A.herscherberg92(*), la langue de bois est « un
langage péremptoire qui fait des contre
vérités », créant là un
parallèle évident avec le politiquement correct.
Le politiquement correct s'incarne donc volontiers sous les
traits d'un contre langage qui se reconnaît par l'échec du sens et
du discours.
C'est dans cet état que le politiquement correct tend
à s'imposer, tel un nouveau degré dans l'échelle des
niveaux de langue, sur laquelle il se construit et dont il
dépend :
« L'antilangage n'est pas pour autant
un langage totalement différent de la société officielle
dans laquelle il se développe »93(*).
Les thèmes de l'antilangage sont alors les mêmes
que ceux du langage.
L'antilangage vit, relate, a besoin d'être parlé
pour exister, tout comme un langage « classique ». Mais sa
principale différence réside dans son mysticisme qui
répond en fait aux besoins d'une langue codée, secrète.
Dès lors, le politiquement correct se fait plus
agissant de la réalité, que créateur.
Qu'il soit discours, sociolecte ou antilangage, le
politiquement correct impose une normativité qui tend à le
rapprocher des lexiques spécialisés (type langage scientifique,
médical...) ou technolectes dont les motifs cryptiques excluent certains
locuteurs. Ici donc on s'interroge.
Le politiquement correct, fondé sur un principe
d'égalité, de communautarisme, devrait par son éthique
user d'une langue accessible au maximum de personnes. Et pourtant...
En désaccord avec son idéologie première,
il semble ici que l'hermétisme impitoyable dont fait preuve le
politiquement correct révèle sa vraie nature.
4) De l'omniprésence de la
norme
Loin des idiomes et autres sociolectes, le mystère du
politiquement correct semble trouver une explication dans l'étouffant
pouvoir de la norme.
Il faut tout d'abord préciser que la norme est
indissociable de la langue dans la mesure où elle est la preuve de sa
socialisation, de son traitement social.
La norme apparaît comme l'illustration du bon usage de
la langue, et à fortiori, comme celui de la pensée.
J-P.Léonardini dans la préface de son
ouvrage94(*) explique
à ce sujet que « les structures de la langue sont
normatives et conditionnent la manière dont nous
réfléchissons ».
Le discours politiquement correct lui, s'introduit dans la
langue par le pronom indéfini « On », en tant que
norme collective, et impose également le primat de la forme sur la
substance, schème récurrent qui entre lois et règles,
surveille la façon dont on dit les choses.
Cet état linguistique autoritaire qui s'établit
en confrontation du phénomène de politiquement correct est
très proche de ce que R-A.Lodge nomme « la codification
du langage »95(*). Et cette idée désigne la
présence de la surnorme dans la langue.
Si norme et surnorme sont toutes deux faire valoir de
l'institution sociale, la première est présente dans toute
communauté linguistique, tandis que la seconde ne s'atteste que dans
certaines sociétés.
Et toute la particularité et la difficulté du
discours politiquement correct résident dans cette relation entre norme
et surnorme.
La langue, au sens de la conception saussurienne, est
dépendante d'une norme existant elle-même par contrainte
sociale :
« La norme est le consensus
linguistique implicite qui permet la compréhension entre les locuteurs
d'une même communauté »96(*).
Mais la particularité du discours politiquement
correct, comme tout type de préciosité langagière
engagée dans une tradition puriste, réside dans une double
normalisation, qui passe donc également par la surnorme.
Si nous devions user d'un vocabulaire juridique, nous
pourrions désigner la norme comme un droit, et la surnorme comme un
devoir. Cette dernière, dépassant la simple
nécessité de bienséance, s'inscrit dans un processus de
contrôle excessif du langage qui impose des consignes explicites non
seulement sur ce qu'on doit dire, mais bien évidemment aussi, sur ce
qu'on doit taire.
Aussi, pour reprendre les propos de J.Garmadi :
« (La surnorme est) un
système d'instructions définissant ce qui doit être choisi
si on veut se conformer à l'idéal esthétique ou
socioculturel d'un milieu détenant prestige et autorité, et
l'existence de ce système d'instructions implique celles d'usages
prohibés »97(*).
Dès lors, si le discours politiquement correct s'essaie
à la surnorme, s'il impose sa présence dans la langue courante,
c'est que la norme ne suffit pas pour parvenir à son idéal.
Là où la norme ne fait que conseiller implicitement ce qui
pourrait améliorer l'acquisition naturelle du langage, la surnorme elle,
par une codification qui se veut explicite, exige une uniformisation
linguistique.
Par cette pression sur la langue courante, la surnorme
garantit son maintien dans le discours politiquement correct qui
présente alors la standardisation du langage, non plus comme un
idéal inaccessible, mais bien comme une réalité plausible,
puisque tout refus aux valeurs dictées par la surnorme apparaît
incorrect, impropre.
Le langage politiquement correct, dans ses extrêmes,
voue donc sa préférence à la morale, et non à
l'idée.
L'idéologie qu'impose la surnorme passe par la croyance
illusoire d'une langue standard qui, se réalisant par automatisme
permettrait de lutter contre l'impureté, la saleté d'un discours
sous-normé.
Instaurant un semblant de hiérarchie linguistique, le
langage politiquement correct, fort de sa norme et de sa surnorme, se
présente comme un idéal à atteindre. Sorte de
modèle-référence, il inclut en tous une idée
nouvelle : il ne suffit plus de « bien penser », il
faut dorénavant « penser mieux ».
La surnorme s'infiltre donc dans les esprits puis dans la
langue, via un système linguistique niant l'existence de certains
termes, telle une théorie du chaos.
Et nous allons vite constater que le politiquement correct,
dans son état général, et quel que soit son statut, se lie
autour d'un même schéma : de la langue de bois à la
préciosité, un seul et même regard est porté sur la
langue, celui de la norme incluant la notion de mot tabou.
Derrière ses idéaux inattaquables, il semble que
le politiquement correct ait un nouveau dessein, instaurer un état
policier dans la langue.
De la surnorme à la censure, il n'y a donc qu'un pas
...
CHAPITRE 2 :
Des interdictions aux astuces : ligne de conduite du
phénomène sociolinguistique qui submergea la langue
française
I/ Politiquement correct, vocabulaire tabou et
indicible
Nous avons constaté que le politiquement correct, sous
des prétextes divers, la décence, la gêne, la politesse, la
honte... interdisait l'usage de certains mots ou expressions.
De fait, non content d'imposer sa norme et de corriger des
mots « déficients », il pratique une censure
déguisée qui condamne l'existence de certains termes.
Ainsi, sont souvent concernés les mêmes domaines
de la vie, avec la maladie, l'aspect physique, les rapports sexuels ...
Le phénomène de politiquement correct qui tient
toujours à être irréprochable, n'empêche pas
nommément d'évoquer les domaines-cibles. En revanche, il
préfère les désigner par des termes qui, baignés
d'euphémismes, ne disent pas grand chose.
De fait, dès lors que la bienséance
entraîne une surveillance du langage, on ne peut que percevoir le lien
qu'elle entretient avec la notion de vocabulaire tabou.
Car là où il y a mots illégitimes, il y a
mots taboués. Et cette attache entre vocabulaire tabou et politiquement
correct est évidente et inaltérable.
Si le politiquement persiste, c'est grâce à cette
option de tabou qu'il impose à la langue, toujours
protégée par la notion de norme.
C'est pourquoi pour commencer, il nous a semblé
indispensable de procéder à un très bref rappel de la
notion de « tabou » langagier.
1) La notion de tabou, au coeur de la philosophie
politiquement correcte
A- Le tabou, un statut en devenir
L'étymologie du mot
« tabou » viendrait apparemment du polynésien
tapu qui signifie « interdit sacré ». C'est
le Capitaine Cook qui, en 1711, l'aurait rapporté de Tonga, et jusqu'au
début du 20e siècle, ce terme gardera son sens
d'interdit religieux :
« Système d'interdictions de
caractère religieux appliquées à ce qui est
considéré comme sacré ou impur ; interdiction
rituelle »98(*).
Ce n'est d'ailleurs pas tant l'interdit en soi qui demeure,
mais plutôt une atmosphère de surveillance, de justification du
langage qui impose à chaque locuteur de peser et sous peser les mots
qu'il s'apprête à utiliser.
Si la notion de tabou existe dans notre univers langagier et
social, c'est surtout en tant que norme et maîtrise.
Et cette notion n'est autre que l'essence même du
phénomène politiquement correct qui est, nous l'avons
évoqué, un instrument de correction linguistique qui s'amuse et
vit de la fonction régulatrice du tabou.
Le tabou s'exerce donc différemment selon les contextes
et les normes intériorisées propres à chaque
société. Il en évalue les possibles et les
enjeux.
Voyageant dans les sphères psychanalytiques avec
S.Freud, ce n'est qu'aux alentours de la moitié du 20e
siècle que le mot intégrera les dictionnaires classiques, en
perdant de fait, tout son sens sacré : « Ce sur quoi on
fait silence par crainte, pudeur. V. Interdit »99(*).
Cette nouveauté, qui permettait de rénover le
vocabulaire concernant le Bien et le Mal, s'annonçait comme le signe de
nouvelles valeurs éthiques, et d'un changement des mentalités.
B- Un vocabulaire renié
« Les mots sont des revolvers » (J-P.
Sartre)
Bien que rien ne soit censé être tabou
puisque « rien n'est caché »100(*), notre époque
malgré une liberté apparente s'exerce avec brio au règne
du tabou.
Dès lors, chaque société ayant
généralement les mêmes modèles, les mêmes
règles, les cibles répondant aux exigences du politiquement
correct sont souvent identiques : aujourd'hui les domaines tabous de notre
société sont suscités par la gêne ou la honte (le
corps humain, la scatologie, le sexe...), l'inconnu (les religions, les
origines, l'exclusion...), la peur (la maladie, la mort...).
Puisque tous les mots se rattachant à ces lexiques ne
peuvent être interdits, ils sont discrètement
étouffés, « la seule pudeur qu'autorise le
dictionnaire est de les dissimuler dans l'ordre
alphabétique »101(*).
Ces mots, considérés comme obscènes mais
qui ne sont pourtant pas spécifiques au domaine érotique, entrent
donc dans le dictionnaire, tant bien que mal, et s'ils sont
déconseillés dans le langage courant, qui les cantonne à
de précieux « Péj., Vulg., Pop. », ils sont
bel et bien bannis du langage politiquement correct dont le partage binaire
entre dicible et indicible, audible et inaudible, est trop manichéen
pour évoluer.
a- l'exclusion
Ce terme regroupe en son sein les marginaux, les exclus, les
chômeurs, les nains, les étrangers, les homosexuels...bref, tous
ceux susceptibles d'être montrés du doigt.
Le politiquement correct qui s'intéresse aux
minorités de tout ordre, ethniques, sexuelles, physiques..., refuse de
fait qu'elles soient humiliées.
Cet aspect, qui lui est spécifique, est qualifié
par A.Santini comme « l'inflation galopante des
opprimés »102(*).
L'exclu, quelle que soit sa forme est malheureux et est donc
taboué dans son individualité afin de le contraindre poliment
à rejoindre un groupe, où là, il sera libéré
de tout vocabulaire malsain.
Le politiquement correct en se penchant sur le cas des exclus,
choisit de réaliser l'un de ses desseins : réunir (et
réduire) toute l'humanité à un dénominateur
commun.
Dès lors, tout exclu n'appartenant pas à une
communauté est taboué dû à son anti-conformisme.
b- origines et religions
L'étranger, en tant que personne différente, en
tant que représentation de l'Autre, est parfois victime de
discrimination. C'est pourquoi une certaine interdiction pèse sur
l'usage de termes comme « race »,
« étranger » ou
« immigré ».
Chaque ethnie a donc été rebaptisé par
les bons soins du politiquement correct qui offre un langage pragmatique
où d'autres alternatives nous sont proposées et même
conseillées pour remplacer les archaïques « il est blanc/
jaune / noir ... ».
c- le corps ingrat et sale
Un autre domaine tabou est celui du corps, de ses
imperfections, de ses parties dites honteuses, et de l'apparence physique en
général.
Ainsi, si l'on hésite à utiliser des termes
comme « gros » ou « moche », d'autres
mots, longtemps interdits, sont aujourd'hui encore,
précédés dans les dictionnaires de mention allant de
« très vulgaire » à
« familier ».
Le dictionnaire marque l'évolution du mot tandis que le
politiquement correct indique clairement son utilisation et prouve par ses
commentaires que certains mots sont contraires à la bienséance
imposée.
La scatologie, en ce sens de gêne, de
dégoût, est une des cibles concernées : si l'on prend
l'exemple du verbe « chier », sa première apparition
se note dans le Petit Robert en 1981 avec la mention
« Très vulgaire », et ce n'est que dix ans plus tard
que ce même dictionnaire le donne comme « Vulgaire »,
alors qu'il est considéré comme populaire, notamment par sa
démocratisation dans les expressions « se faire chier ;
faire chier quelqu'un » ; expressions de fait
considérées comme politiquement incorrectes.
Et c'est dans la même optique que la nudité est
présentée dans un rapport de saleté au corps, ce qui a
amené nombre d'auteurs à trouver des moyens
détournés pour l'évoquer.
Lorsque la femme nue apparaît chez Racine,
« dans le simple appareil qu'on vient d'arracher au
soleil »103(*), elle est « vêtue de
probité candide et de lin blanc » chez V.Hugo104(*).
d- la sexualité
Le sexe, qu'il s'agisse de l'organe reproducteur ou de
l'idée générale, dérange.
Cette évidence est bien antérieure à
notre siècle, puisqu'elle date des premières lois civiles du
16e siècle.
Néanmoins, l'histoire de l'évolution des
expressions comme « faire l'amour ; coucher ;
baiser... » est inévitablement liée au règne du
vocabulaire tabou et du phénomène de politiquement correct.
Lorsqu'il s'agit de dire le sexe, il semble que le langage, sous l'emprise de
la bienséance ou d'une quelconque pudeur bourgeoise soit réduit
à un babil quasi primaire.
Ainsi, on ne « couche » pas, mais on dort
ensemble, on ne « désire » pas quelqu'un, on est
tout au plus charmé par cette personne.
Et même les personnes vivant du sexe passent au crible.
Du franc « putain » au 12e siècle,
à la « travailleuse sexuelle » de nos jours, en
passant par « musardine ; fille de joie ; tapineuse ;
fille du trottoir, péripatéticienne... » ou tout
simplement « personne prostituée », on ne compte
plus toutes les dénominations utilisées pour parler de celles,
qui font le plus vieux métier du monde.
Le langage qui a donc ici suivi l'histoire, la
société et les moeurs, a évolué pour terminer sa
course aux frontières du politiquement correct qui préconise
« travailleuses du sexe » pour ne pas exclure ses femmes
dans une marginalisation linguistique, puisque avec le terme de
« travailleuse », on les invite, au moins en apparence,
à entrer dans la société.
e- la guerre
L'une des autres cibles est évidemment la guerre, en
tant qu'action humaine inacceptable.
Ainsi, la terminologie guerrière s'adoucit pour tenter
de rendre concevable ce qui moralement, éthiquement, ne l'est pas.
L'édulcoration du langage essaie de transformer le lexique belliqueux
pour donner l'image d'une guerre propre. Le politiquement correct, pour enrayer
la souffrance de la guerre en donne, via un langage choisi, une vision
supportable où les bombardements ne sont plus que des
« incidents ».
Relater la guerre est donc un exercice très difficile
sous le joug du politiquement correct, surtout pour les médias
condamnés à une extrême vigilance quant à l'usage
des mots employés :
« La guerre est un exercice auquel nul
ne peut se targuer d'être rodé (...) certains mots clefs
deviennent des outils de propagande »105(*).
Ce pragmatisme mis en oeuvre par le politiquement correct pour
tenter de diminuer la souffrance suscitée par certaines
réalités, se retrouve dans un autre domaine.
f- la vieillesse, la maladie et la mort
Avec ces trois domaines-cibles, nous touchons à ce qui
est éthiquement inacceptable.
Pour simple preuve il suffit de constater à quel point
l'adjectif « vieux » et le substantif
« vieillesse » sont rarement acceptés dans le
discours politiquement correct, ainsi que nous le confirme Le Dictionnaire
des termes officiels où l'article
« vieillissement », très emprunt de
l'atmosphère bienséante, est le seul
toléré :
« Transformation avec l'avance en âge, de
l'organisme vivant. Accroissement des personnes âgés dans un
groupe ou une population ».
Et justement, la définition de « personne
âgé » est révélatrice du message que le
lexicographe tente ici d'imposer :
« Cette expression est commode pour
remplacer celle des vieux, vieillards, car le mot vieux a souvent des
connotations négatives de déclin, de déchéance,
d'obsolescence ou d'incapacité (...) ».
Le temps qui passe et les traces qu'il laisse semble donc
être un sujet sensible pour l'univers politiquement correct qui choisit
d'amoindrir le processus de vieillissement en autorisant seulement cette dite
dénomination.
De même, la maladie et la mort, autrefois
intégrées à la société des vivants, sont
clairement rejetées, puisqu'elles ne sont que l'expression du comble de
la souffrance.
Les maladies, leurs nominations, leurs symptômes, la
mort, ses cérémonies, ses objets, ses professions, sont
masqués, rebaptisés.
Face à ce grand tabou devant l'éternel, les
remplaçants sont nombreux. Des euphémismes aux
périphrases, nous le verrons, une multitude d'expressions synonymiques
est proposée.
L'Angleterre a ouvert le bal il y a environ quarante ans avec
l'adoption systématique des expressions paraphrastique « to
pass away » en lieu de « to die », et
« to take one's life » pour
« suicide ».
En France, on a fait de même, la maladie, la souffrance,
le mal être, le suicide sont devenus tellement tabous et
anti-politiquement corrects qu'on en parle plus que sous forme
infantilisée.
Pour exemple, cette déclaration de J-F.Girard,
directeur général de la santé, au sujet de la transmission
de la maladie de la vache folle à l'homme, « La
transmissibilité est une hypothèse à laquelle il faut
accorder un certain crédit »106(*).
De même, l'édulcoration de la souffrance qu'on
retrouve dans la très convenue paraphrase
« décédé des suites d'une longue
maladie », se présente également pour le
thème du suicide.
Si nous ne citons pas toutes les périphrases
répertoriées par P.Merle107(*), les substitutions sont si nombreuses qu'on a que
l'embarras du choix comme le prouve cette interview des frères Kahn sur
le suicide de leur père :
« Nous n'avions pas
réalisé qu'il souhaitait arrêter là le chemin, qu'il
était au bout du rouleau. Nous culpabilisons de ne pas avoir vu à
temps qu'il voulait descendre du train »108(*).
Le paroxysme de la périphrase tabou est ici atteint.
Cette métaphore filée ne fait que dire toute la gêne
existante à utiliser le mot « mort ».
Aussi paradoxal que cela puisse être, jamais le mot
« vie » n'avait autant servit de pendant à celui de
« mort »... puisque le corps sans vie de cet homme qui a
perdu la vie mérite évidemment un sublime rituel de fin de
vie.
Si ce relevé des différentes cibles peut ne pas
sembler exhaustif, c'est que le politiquement correct se construit comme une
norme universelle qui n'a pas atteint son but.
De fait, il est difficile d'affirmer quelles cibles sont
touchées par cette pression linguistique, puisque bien au-delà de
la notion de mots tabous, c'est le lien entre discours politiquement correct et
indicible qui doit être pensé.
Autrement dit, si l'on ne peut pas rire de tout, peut-on
parler de tout ?
2) Indicible et politiquement
correct
À en croire le traité philosophique de
L.Wittgenstein, certaines choses ou réalités sont indicibles, et
respectant son radical apophatisme, « sur ce dont on ne peut
parler, il faut garder le silence », le tabou prend tout son
sens, et le politiquement correct n'est ici plus seulement réduit
à une interdiction lexicale, mais bien à une attitude
raisonnée d'attente, de réflexion, menant à un travail sur
la recherche des paroles.
Ainsi, le vocabulaire tabou permet de mener à bien sa
réforme linguistique qui consiste à réunir en une
même classe, les mots considérés comme discriminatoires.
Dès lors, ces dits mots sont supposés ne plus
être dit ou tout du moins ne plus être prononcés ; et
entrant dans la catégorie du « dit-partiel », s'ils
ne sont pas légitimes, ils sont censurés.
Voyageant entre ce jeu du dicible et de l'indicible, du moral
et de l'immoral, les mots taboués échappent au langage :
« L'indicible désigne ce
secteur de l'énonciation où un sujet rencontre des obstacles
à dire ce qu'il vise »109(*).
L'indicible, bien que cela soit paradoxal, est donc un
discours qui reste silencieux, subissant le poids du tabou, de la censure qu'il
a pour essence.
C'est au nom de la société, de ses lois, que
l'on va définir ce qui mérite d'être dicible ou non, et
au-delà, ce qui est pensable ou pas.
C'est la doxa d'une société qui va
légitimer l'entrée de tel ou tel mot dans la nomenclature d'un
dictionnaire :
« Tout ce qui se dit, s'écrit, dans
un état de société donnée (...) règles
discursives et topiques (...) organisent le champ du
dicible »110(*).
La distinction entre dicible et indicible correspond à
la dichotomie entre avoué et inavouable.
Dès lors, la censure en imposant un tabou sur la
langue, au nom de l'idéologie du politiquement correct crée un
manichéisme langagier : d'un côté, le secret, la
taboué, le mauvais ; de l'autre, l'intelligible, l'avoué, le
bon.
Et c'est ce même manichéisme qui entraîne
une sorte de paranoïa du politiquement correct qui guette la moindre
dérive langagière :
« Le maître mot c'est la
vigilance (...) la suspicion généralisée (...) on entre
dans l'ère de la pensée hygiéniste où tout contact
avec l'ennemi, toute lecture même critique des textes qu'il produit, sont
contaminants. D'où l'émergence d'un singulier idéal (...)
rêver d'un monde purifié des idées
dangereuses »111(*).
La dichotomie permanente qu'impose le politiquement correct
sur chaque parcelle de langue, fait du manichéisme son fond de commerce
idéologique. Le politiquement correct se présente alors comme
l'incarnation de cette vision d'un monde divisé entre Bien et Mal, au
sein duquel la censure, en tant qu'implicite doxal, entend répondre aux
exigences et aux normes du politiquement correct, en ne disant pas toujours
tout.
Le phénomène de politiquement correct au centre
duquel se meut le tabou, se joue alors du langage et de la
réalité :
« Il est faux de penser que l'usage du
langage humain se caractérise par le fait d'apporter de l'information.
Le langage humain peut être utilisé pour informer ou pour tromper,
pour clarifier ses propres pensées, pour trouver son habileté ou
tout simplement pour jouer »112(*).
Dépassant le simple stade du langage comme fonction
représentative du réel, le politiquement correct, sous l'oeil
attentif de la censure se plaît à sacrifier certains termes pour
en inventer de nouveaux.
Cette perspective auto créatrice s'oppose à la
philosophie du langage de E.Husserl : selon lui, le langage, en plus de
reposer sur une conception innéiste, est construit sur une conception
transcendantale qui lui donne un noyau d'où émerge
l'activité langagière.
Dès lors, toute production langagière ne
correspondant pas à la sémantique première est
perçue comme une transgression menant à l'absurdité.
Ainsi, si l'on s'en tient à cette théorie,
lorsque le politiquement correct transforme certains termes en des locutions
figées, il court le risque de produire du non-sens.
La théorie de l'indicible mène donc ici à
une non théorie : si le politiquement correct modifie certains mots
taboués par d'autres, dicibles, et répondant positivement
à son idéologie, il change la sémantique originelle et
mène à l'indicible où par une sorte d'injonction, de
formule quasiment rhétorique, on refuse l'innéisme de quelques
mots pour les travestir sous une forme indolore et délicate,
« ne dites plus A, dites B ».
Il n'y aurait donc pas de solutions au problème du
choix des mots, de l'indicible.
Qui plus est, l'aspect de transformation de la langue,
imposé par le politiquement correct, se fonde sur un prédicat
trompeur qui constitue l'un des troubles de la linguistique moderne,
révélé par la philosophie de L.Wittgenstein : on
s'entend à dire par un présupposé de sens commun que
chaque chose correspond à un substantif.
Mais cette théorie pose un réel
problème : s'il existe bien pour chaque chose, chaque objet, chaque
réalité, un nom réciproque, cela sous-entend que le
politiquement correct, à moins de changer de réalité,
d'objets, ne peut changer les substantifs correspondants sans faire
état, plus que d'une transformation, d'une déformation du
langage.
Le travail d'épuration linguistique se heurte donc
à une évidence prévisible : il ne peut se
réaliser sans violenter le langage libre existant, sans emprisonner dans
la tour du mensonge, le champ du dicible.
Néanmoins, fidèle à son idéologie
de langage salvateur, le politiquement correct use de différentes
astuces pour modifier cette langue tant dépravée, le
français, mais le fait de façon suffisamment discrète pour
nous laisser penser que seuls sont retirés du langage, les mots
insupportables.
Le langage politiquement correct joue donc avec la langue et
ses mots, et les manie dans une rhétorique au service de la
bienséance.
C'est alors dans son idéal purificateur que ce jargon
va s'employer à sélectionner des outils linguistiques lui
permettant par une sorte de travail synonymique, de proposer une nouvelle
vision de son vocabulaire idéal donc non taboué. Et bien que le
principe de synonymie aille parfois jusqu'au truisme, et s'impose avec lourdeur
en arrachant au mot qu'il cherche à remplacer, ses allusions et ses
connotations, le politiquement correct s'enrichit d'expressions nouvelles qui
nettoient les mots de leurs vices.
Faisant des figures de rhétorique sa priorité,
il tente de drainer la langue de ses scories de jadis.
II/ Les outils rhétoriques, faire valoir de la
bienséance
1) Les figures de style du politiquement
correct
A- Une hypothétique paraphrase
C'est dans le cadre d'un travail de reformulation
linguistique que le politiquement correct choisit de moduler la matrice interne
de la langue en jouant avec des procédés
syntactico-sémantiques qui vont mener, via différentes figures de
style, à des changements de sens.
Tout d'abord, c'est avec l'usage de la paraphrase en tant que
reformulation légitime que le politiquement correct s'établit.
La paraphrase, comme le définit l'article du
Dictionnaire d'analyse du discours, est :
« Une relation d'équivalence
entre deux énoncés, l'un pouvant être la reformulation ou
non de l'autre », équivalence qui
« s'exprime en termes de
coréférence ».
Et le politiquement correct vit justement de cette relation
qui impose l'équivalence choisie comme une fiabilité lexicale.
Lorsque pour évoquer le substantif
« nain », la norme préfère employer
l'expression au combien plus gratifiante de « personne de petite
taille », c'est avant tout l'aspect paraphrastique de la formulation
qui est mis en avant.
La paraphrase se fonde donc sur un socle commun de
référents, de « sémantismes
différentiels »113(*), et en dépassant le simple stade de la
synonymie puisqu'elle existe dans la déformation du sens même des
mots cibles, elle s'annonce non pas comme une activité de reformulation,
mais bien comme une forme de continuité sémantique entre les
données qu'elle relie et repense.
C.Fuchs, spécialiste de l'analyse du discours et plus
précisément de l'énonciation, nous explique dans son
ouvrage114(*) que la
paraphrase a une forme double : elle est
« pré-linguistique » lorsqu'elle se
présente comme moyen de reformulation, et elle est plus
« classique » lorsqu'elle travaille en terme
d'équivalence.
Néanmoins, cette double apparence pose un
problème majeur, celui du seuil de distorsion lexicale : le
processus paraphrastique ne peut être pensé et défini sans
approche réductrice comme un phénomène
d'équivalence sémantique dans la mesure où cela
consisterait à morceler la paraphrase :
« Cela revient en effet à la
couper non seulement de la dimension discursive de l'activité de la
reformulation, mais aussi des facteurs de variabilité et de
déformabilité inhérents au fonctionnement
sémantique des énoncés au sein même de la
langue »115(*).
Pourtant, c'est bien ce que veut le politiquement correct qui
ne se soucie guère de la rupture interprétative ou de la
déformation sémantique induite dans le processus de reformulation
énonciative.
Qui plus est, la paraphrase sous le joug de ce dernier a
gardé ses fonctions premières.
Apparut pour la première fois dans le vocabulaire
français au milieu du 16e siècle116(*), la paraphrase était
une pratique langagière spécifique, destinée à des
fins essentiellement pédagogiques.
Au 19e siècle, elle devient
« une pratique de délayage et de la forme du contenu
pouvant aller jusqu'à la distorsion du sens »117(*).
Dans la pratique courante elle est la reformulation sans
valeur explicative, d'un énoncé, et est utilisée
aujourd'hui à des fins qui relève de la même
compétence.
Il y a en effet dans la paraphrase politiquement correcte, une
démagogie première qui se mêle à un regard critique
porté sur des mots-cibles que certains croient bon de transformer.
C.Fuchs résume d'ailleurs l'emploi de la paraphrase
sous forme d'un schéma très intéressant : X .
C -> X'.
Si le mot-cible désigné par la lettre X est
transformé grâce à la paraphrase en un mot nouveau
désigné par X', cela suppose qu'il y a un intermédiaire
noté C (pour évoquer le Contenu) qui est le point de
départ de X et l'aboutissement de X'118(*).
Ici cependant, un problème se pose : il semble en
effet qu'il n'y ait aucune trace de cet intermédiaire dans le passage
d'un mot-cible en un mot politiquement correct.
La paraphrase proposée par la bienséance se
fonde uniquement sur l'idée d'une parenté
caractérisée par un invariant qui se voudrait quasiment
synonymique.
Il paraît donc restrictif de penser de cette
façon la reformulation politiquement correcte en terme paraphrastique,
puisque le processus de substitution s'avère impossible car impensable.
Effectivement, l'une des caractéristiques de la
paraphrase suppose que :
« Si A est en relation de paraphrase
avec B, alors B doit pouvoir commuter avec A dans n'importe quel type de
co-texte »119(*).
La non réciprocité imposée par le
politiquement correct clôt l'éventualité de la substitution
paraphrastique comme l'une de ses habitudes de pratique langagière.
Dès lors, différentes figures de style vont
être utilisées pour tenter de palier aux attentes dudit
phénomène.
B- Un discours emphatique
« Il faut dire les choses simplement, sans
les augmenter » (Préface de l'Académie
française, 1694)
a- la litote
C'est tout d'abord la litote qui va se présenter
comme aide à la norme imposée par le politiquement correct.
Figure d'atténuation (en grec, litotes,
simplicité) elle «consiste à dire moins pour faire
entendre plus »120(*).
Servant l'ironie elle est également parfois
utilisée dans son aspect précieux pour éviter toute forme
de provocation ou de gêne. Elle relève d'un calcul, de
stratégies du langage. On l'utilise aussi souvent par modestie, par
égard.
Sa culture est celle de l'à-peu-près, qui
s'accommode du flou plus ou moins artistique. Aussi, pour admettre
l'intérêt caché que l'on porte par exemple à une
personne, la litote s'incarnera dans la célèbre exclamation
« Va, je ne te hais point ! »121(*).
Son usage est très fréquent lorsqu'il s'agit de
répondre aux demandes du politiquement correct.
« Art de la litote
généralisée » ou
« litotomania » pour reprendre les expressions de
J.Doyère122(*),
cette figure de style s'incarne dans la périphrase avec pour unique but
d'adoucir une réalité.
b- l'oxymore
L'oxymore est une des autres figures de style qui se
présente comme la possibilité d'une éventuelle
déformation linguistique propre au politiquement correct.
« Oxymore, ou oxymoron : figure
qui consiste à allier deux mots de sens contradictoires pour leur donner
plus de force expressive »123(*).
Si la définition ci-dessus n'appelle pas plus
d'exemples que le fameux « clair-obscur » du 17e
siècle, l'oxymore par son aspect de fourre-tout sémantique est
devenu « une sorte de bouée de
sauvetage »124(*), prête à triompher.
Ainsi, on connaît le goût de
l'ambiguïté que manifeste le politiquement correct et on ne
s'étonne pas de voir fleurir des locutions à tendance
« oxymorique » telles que « les exilés de
l'intérieur ; le vieillir-jeune ; les prises de conscience
confuses ; les immobilismes actifs ; les solitudes
interactives, et autres discriminations positives ».
c- la périphrase
Cependant, à ce stade de la reformulation c'est
sans doute la périphrase (elle-même insérée dans
d'autres figures de style puisqu'elle est souvent euphémistique ou
hyperbolique) qui sert le mieux notre jargon normatif :
« La périphrase naît
(...) à l'époque des Lumières lorsqu'un arrêt du
conseil du parlement de Rouen en date du 12 juin 1787 interdit d'appeler
bourreaux les `exécuteurs des jugements criminels' (...), et
que l'Assemblée nationale recommande, le 24 décembre 1789, de les
appeler `citoyens exécuteurs' »125(*).
Cette opération unique pour l'époque va laisser
ses traces.
Les premières influences se perçoivent dans la
littérature lorsque Voltaire décrivit la prison où l'on
jeta Candide et Pangloss en ces termes, « appartements d'une
extrême fraîcheur, dans lesquels on était incommodé
du soleil » ou bien encore lorsque P.Loti représenta un
cadavre comme une « chose couchée et refroidie que l'on
conserve et regarde quelques heures encore, mais qu'il faut se hâter
d'enfouir sous la terre »126(*).
La périphrase selon l'analyse de S.Hamon127(*) est en quelque sorte une
reformulation synonymique enrichissante au sein de laquelle un mot seul se voit
remplacer par tout un groupe de mots de sens équivalent.
De façon plus caricaturale, un mot A remplace une
expression B dont elle souligne au moins l'une des caractéristiques.
La périphrase (en grec, périphrasis,
parler de façon détournée) est le remplacement de mots
propres par une suite de mots imagés ou descriptifs, pour
désigner une réalité. Du reste pour évoquer
l'Himalaya on périphrasera par « le toit du monde »
ou pour désigner un lion on ajoutera « le roi des
animaux ».
Également appelée
« pronomination », elle tente d'incarner les exigences de
la préciosité ou de la décence, dessein qu'elle remplie
souvent, comme le prouvent ces relevés : « la dame aux
camélias », référence littéraire,
évoque par analogie une prostituée, et « les
dernières faveurs » désignent la
sexualité128(*).
Bienvenu donc au royaume du cliché.
Parfois la périphrase fait simple et fabrique de
nouveaux mots politiquement corrects grâce à deux préfixes,
« anti » et « pro »,
construit sur le modèle américain. Se rapprochant une fois de
plus de la tautologie emphatique du politiquement correct, on dira qu'on est
« pro-vie » si l'on est contre la pratique de l'avortement
ou que l'on est « pro-choix » si l'on est pour.
L'emploi le plus fréquent de la périphrase
s'exerce dans un but « apaisant », lorsque celle-ci,
confrontée à des sujets sensibles, doit tenter de transformer une
réalité pénible (on préférera évoquer
« une personne au physique particulier » que nommer
« un laideron ») devenue insupportable.
Il arrive alors que dans cette transformation la
périphrase change de statut.
Ainsi par exemple, utiliser l'expression métaphorique
« la grande faucheuse » pour évoquer la mort, n'est
plus tant une périphrase qu'un euphémisme.
Il est vrai que les deux se confondent volontiers comme tend
à la prouver le classement effectué par V.Volkoff qui dans son
manuel propose à l'article « périphrase » des
exemples s'approchant plus d'euphémismes.
La différence réside donc ici. Tant que la
périphrase, comme le prouvent analyses et définitions, sert les
principes de la politesse ou de la pudibonderie, elle conserve son aspect de
reformulation, d'expansion lexicale.
En revanche, lorsqu'elle vient à illustrer des propos
jugés choquants ou blessants, elle rentre dans un processus
d'embellissement de la réalité se mouvant dans une langue
très flexible.
Dès lors, elle dépasse le simple stade de
périphrase. Elle est autre.
Désignée par le Petit Larousse 2005
comme un « détour de langage », elle
répond parfaitement à l'étymologie de la notion de
circonlocution (en latin, circum, autour, et locution,
parole) puisqu'en tournant en quelque sorte autour du mot, elle prouve sa
cohérence et sa force de potentialité à enjoliver la
réalité, comme à la voiler.
Il semble donc ici que la périphrase prenne une
nouvelle forme et qu'elle s'incarne dans une autre figure de style plus
adéquate, cavalière de choix faisant honneur au règne du
politiquement correct.
2) L'euphémisme, valet indispensable du
politiquement correct
A- Un alliée de choix
Du grec euphêmein « dire
des paroles de bon augure », puis « emploi d'une bonne
parole», cette figure consiste à adoucir une idée
déplaisante « antiphrase sans ironie, sans cruauté
pour atténuer une idée trop brutale »129(*) .
Si l'euphémisme illustre parfaitement l'état
d'esprit du politiquement correct c'est qu'il permet de réaliser son
souci premier : celui de parler comme il faut.
Jouant une sonate en bémol pour éviter les
fausses notes, l'art du bien parler n'est pas sans rappeler la lointaine
science de la rhétorique pour laquelle la manière de dire
importait souvent autant sinon plus que ce qui était dit.
On retrouve alors la terminologie barthésienne qui
présente la rhétorique comme une sorte de métalangage
puisque effectivement, l'éloquence rhétorique de
l'euphémisme nous informe via un type de discours bien
réfléchi sur le discours lui-même.
Dès lors, si l'euphémisme n'est rien de plus que
le voile d'une réalité trop odieuse pourquoi ne pas s'y
habituer ?
Cette figure dont le travail se résume à mettre
un mot à la place de l'autre déguise en fait toute forme de
gêne en la remplaçant aussitôt par ce qu'elle n'est pas.
Si « toute vérité n'est pas bonne
à dire », l'euphémisme à défaut d'adoucir
la réalité, adoucit le mot qui la désigne.
Définit par C.Fromilhage comme
« l'atténuation non feinte d'une vérité que
l'on déguise parce qu'elle renvoie à des domaines
tabous »130(*), cet effacement lexical, s'il vise à
atténuer certains propos contribue aussi parfois à les annihiler,
« l'euphémisme n'est qu'une forme polie et cultivée
de ce qu'on appelle l'interdiction de
vocabulaire »131(*) .
Sorte de pansement verbal, il amoindrit la signification
directe de l'énoncé et en ce sens impose sa propre norme, norme
qui tend à devenir l'outil principal d'un tableau social qu'on adoucit
à volonté.
L'euphémisme serait donc une figure quasiment
mathématique qui, en diminuant l'impact des dires d'un locuteur offre
à un autre, un discours travaillé, normé, qui correspond
non plus à l'idéel du premier locuteur, mais bien à
l'idéal du second.
Autrement dit, l'euphémisme est une sorte de compromis
entre le discours d'un locuteur et le discours en tant que produit d'une
société qui se fait instance linguistique des normes qu'il doit
affronter :
« C'est la formation (...)
résultant d'une transaction entre l'intérêt expressif (ce
qui est à dire) et la censure inhérente à des rapports de
production linguistique particulier »132(*).
Et c'est justement comme l'explique P.Bourdieu, cette
synthèse, ces compromis qui sont à la base même du
processus d'euphémisation, en tant que « produit de
stratégies consistant à mettre en forme et à mettre des
formes »133(*).
L'euphémisme est donc une figure de rhétorique
classée par le linguiste A.Darmesteter dans la catégorie
« mode de changement ».
Cette figure qui se refuse à traduire toute
réalité déplaisante, grossière, crue, triste, a
pour souci premier de renforcer la valeur dénominative de mots ou
d'expressions taboués car jugés impropres.
Masquant donc certains aspects de la réalité par
souci pour autrui ou au nom de la bienséance, l'euphémisme se
présente sous différentes formes, et il intègre d'autres
figures de style comme par exemple l'allégorie (en grec « je
parle d'autre chose ») ainsi que la définit D.Arcand :
« Figure de l'euphémisation
dans la mesure ou c'est une description mettant en scène des personnages
ou des animaux pour représenter une idée, une abstraction de
façon concrète et imagée ( la grande faucheuse pour parler
de la mort) »134(*).
Le grammairien J-J.Robrieux135(*) précise quant à lui que
l'euphémisme peut aussi se trouver dans la métonymie136(*) qu'il illustre du
« faire cattleya » de Proust, ainsi que dans la
métalepse ( « il a rejoint ses
ancêtres » pour « il est
mort »).
Toute cette délicatesse verbale sublime donc l'emploi
de mots garantissant le respect du souci de décence, de politesse, de
civilité, éléments indispensables au discours
politiquement correct.
Pour ne blesser ou ne traumatiser personne on dira volontiers
qu'un enfant quelque peu enveloppé souffre d'une surcharge
pondérale, que tout cela est très pénible d'autant
plus qu'il vit dans un quartier sensible depuis que son père,
pardon, depuis que son géniteur s'est éteint dans
les bras de la voyageuse de nuit et que son souvenir ne s'éveille
plus qu'au champ du repos .
Ce type de segment phrastique nous permet de constater que le
degré d'euphémisation du langage s'est intensifié au point
de devenir banal et automatique.
D'autres procédés empruntés par
l'euphémisme sont relevés dans le Dictionnaire d'analyse du
discours : l'abréviation (avec l'exemple des fitures
pour les « confitures » dans le jargon de la
préciosité) et la métaplasme (déformation du
signifiant dans le cas des jurons tel que « sapristi ;
parbleu »).
Il faut également noter que certains termes ne sont
considérés comme des euphémismes que dans un contexte
donné. Pour exemple, les termes affaiblis de malentendant,
mal-voyant...n'appartiennent pas à la catégorie des
euphémismes s'ils désignent une personne dont l'acuité
sonore ou visuelle est diminuée ; ils sont en revanche pressentis
comme tels s'ils désignent une personne qui ne perçoit
aucun son ou aucune image et que le locuteur via leur emploi
cherche à éviter l'usage de termes comme
« sourd » ou « aveugle ».
L'euphémisme ne se réduit plus qu'aux occasions
publiques ou officielles, mais trouve vie également dans les
aléas de l'existence quotidienne.
De fait, peu importe que l'euphémisme engendre des
effets comiques ou pathétiques ou qu'il soit incompréhensible
à certains puisqu'il représente la nouvelle figure de proue du
politiquement correct, et que dans ce flou artistique qu'il incarne, il se veut
omniprésent, engagé dans un processus qui porte son nom,
« l'euphémismomanie »137(*).
B- Les différents degrés
d'euphémisation de la langue : naissance, succès et fin
Une autre précision est nécessaire : les
euphémismes utilisés dans le cadre du politiquement correct ne
sont pas inébranlables ; en effet, certains termes utilisés
au tout début de ce phénomène sont avec le temps,
entrés dans le langage courant et s'usant, ont perdu leur statut de mots
privilégiés, normés, contraints alors de se faire
remplacer par d'autres euphémismes.
Cet aspect aléatoire que subit parfois
l'euphémisme s'explique par le fait qu'il y a eu plusieurs
« vagues » de politiquement correct, non pas que le
principe ou l'idéologie ait changé, mais étant un
phénomène de plus de dix ans déjà, le langage
spécifique à cet esprit se renouvelle comme toute langue, au fur
et à mesure de l'évolution de la société.
La refonte lexicale qui a lieu à chaque grand tournant
de l'évolution du politiquement correct marque le jugement d'appel face
à une réalité pénitentiaire, et son dessein reste
le même : éviter les abus.
Cet aspect diachronique des phases lexicales du politiquement
correct touche tous les domaines, à croire que chaque zone de
vocabulaire cherche à être plus productive qu'une autre.
Aux États-Unis par exemple, le terme
« nigger » a été remplacé par «
négro » puis « black ». Mais loin
d'être satisfait, et toujours enrôlé dans son credo
fondateur « il est exclu d'exclure », le terme
« black » fut jugé comme encore trop
péjoratif. Alors, dans un deuxième élan, on s'est
empressé de construire une expression tout en douceur ,
« colored people » (personne de couleur), puis estimant
probablement que cette expression ne disait que la couleur et non l'être,
la bienséance a proposé « Afro-Americain »
pour finalement garder, aux dernières nouvelles, « African
Americain », où le premier terme n'est pas
abrégé et permet de considérer pleinement
l'identité africaine qui reste indépendante et entière
puisqu'elle n'est plus soumise au trait d'union.
Bien évidemment, l'exemple américain a
trouvé terrain conquis en France avec entre autres exemples, le
remplacement de « Charente-inférieur » par
« Charente-Maritime », de
« Basses-Pyrénées » par
« Pyrénées-Atlantique » ou bien avec les
« aveugles » devenus « non-voyants » et
les personnes « grosses » désignées comme
personnes « fortes »138(*).
C'est donc au début des années 1990 (1992,
selon P.Merle, année qui marque « le début de
l'épidémie du grotesque ») que la
bienséance langagière se fait plus exigeante et que semble
s'imposer partout un vocable politiquement correct.
Ce dernier appuie sa progression sur des donnes sociales et
juridiques inébranlables : au début des années 1990
sont réétudiées la loi de 1972 contre le racisme et celle
de 1981 sur la liberté de la presse. Ces deux textes sont appuyés
par la loi Gayssot qui, au-delà de punir ceux qui contestent l'existence
des crimes contre l'humanité, reconnaît en fait la
possibilité pour les plaignants d'exister non seulement en tant
qu'individus, mais de contester au nom et au sein d'une communauté, d'un
groupe social.
Cet appui juridique qui est donné au politiquement
correct contribue également à en faire un véritable
phénomène de société susceptible d'interpeller
toutes les communautés, et de s'employer dans tous les milieux.
Dans le domaine de l'entreprise par exemple, les
différentes vagues euphémisantes du politiquement correct sont
flagrantes139(*).
Alors qu'il y a encore 20 ans on parlait de faillite ou de
banqueroute pour une société mal en point, on a choisi
d'éliminer ces termes trop crus pour évoquer dans un langage plus
affiné (et surtout plus dédramatisant), une « cessation
de paiement ». Le chômage également se perd dans ces
« étapes analgésiques et
adoucissantes » : au début on renvoyait, on virait
« par charrette », on licenciait. Maintenant on
évoque seulement des « suppressions d'emplois », et
encore, en chuchotant. De même, ceux devenus trop âgés pour
travailler subissaient les départs en pré-retraites, puis pour
éviter toute discrimination sur l'âge, le politiquement correct a
bien évidemment transformé l'expression en une doucereuse
« cessation anticipée d'activité »,
expression incarnant « ces stop-douleurs que sont les
mots »140(*).
Une autre phase de l'évolution du politiquement correct
est notamment mise en avant dans un article du journal La Croix en septembre
1995, où la narration d'un commentaire de Michel Field sur
l'homosexualité nous prouve la flagrante volonté du politiquement
correct à aller toujours plus loin :
« Le règne du politiquement
correct a gagné ce terrain après d'autres. Ainsi est-on
sensé s'incliner quand un homme évoque « son
mari » (...) ainsi est-on sensé applaudir quand Michel Field
propose
` le mot homosexuel me gêne. Il vient souligner le
choix sexuel qui paraît bien secondaire. Peut-être qui si on
changeait le mot, qu'on appelait ça homo-amoureux, ça serait plus
simple' »141(*).
Les expressions bienséantes appellent à toujours
plus de rectitude, et le politiquement correct qui prend beaucoup d'ampleur
laisse penser que c'est la langue toute entière qu'on veut changer.
Bien plus que le refus d'un vocabulaire incorrect, Le
français précieux du 21e siècle,
pour reprendre le titre de l'ouvrage de P.Merle, est une manoeuvre linguistique
inattendue. Tout d'abord parce qu'on ne pensait pas que le politiquement
correct pouvait être encore plus bienséant. Ensuite, parce que
cette nouvelle vague s'impose dans le paysage langagier français avec un
unique credo : parler de façon toujours plus
détournée.
Et malgré cette étrange relation lexicale au
monde, les moyens mis en oeuvre pour y parvenir sont nombreux :
« Le français précieux
du début du XXIe siècle se compose d'une douzaine
d'ingrédients de base. Tout d'abord une bonne cuillerée de jargon
philosophique (...) on mélange ensuite avec un bon vieux jargon psy
(...) employé à tort et à travers (...) puis on verse une
bonne portion de franglais ( ...) on nappe ensuite de politiquement correct
(...) à cela il convient d'ajouter quelques bonnes rasades de ces sigles
abscons et autres acronymes ubuesques (...) pimentez de quelques barbarismes
plus ou moins soft (...) de tics d'époque (...) d'un bon doigt
de langage Internet et dérivés (...) et puis pour faire le liant,
l'utilisation à haute fréquence de la
périphrase »142(*).
Bien que ces éléments
énumérés sous forme de recette de cuisine ne nous semblent
pas tous pertinent dans le cadre de notre étude, ils nous
présentent toutefois la dernière version du discours
politiquement correct, qui gagne toujours plus de terrain.
Si chaque époque a eu sa forme de
préciosité linguistique, il s'avère que le siècle
dernier et le présent se sont enrôlés, tout sourire, dans
le jargon bienséant qui ne cesse de s'épanouir.
Et si l'affection langagière est aussi fleurissante,
c'est que les différentes vagues des périphrases et des
euphémismes propres au politiquement correct, entendent répondre
à des requêtes qu'elles ont elles-mêmes exigées.
Parce que certains termes ont pris au fil du temps des
connotations à priori négatives, l'évolution du
politiquement correct semble ne jamais vouloir s'arrêter, sorte
d'épidémie lexicale qui reprend, surveille, et croit
guérir tout le vocable.
Parfois, on peut avoir l'impression qu'une telle lutte
dépasse les commandements initiaux du politiquement correct.
En cherchant encore et toujours la modification d'une langue
qui in fine ne satisfait jamais les exigences de la bienséance, on
comprend que si au sein même du politiquement correct, différentes
vagues de crescendo se jouent, une évolution externe a pareillement
lieu.
Après L'Hexagonal de R.Beauvais, ce que nous
nommons de façon généraliste, « politiquement
correct » est repris par P.Merle sous le terme de
« nouveau charabia », sorte de sociolecte lui
succédant, et dont l'idéologie utopique n'est plus
première, puisque l'unique dessein est de masquer la
réalité par des mots admis et
« branchés ».
Ce dernier terme, « mixture fort
hétérogène, artificielle et
chichiteuse »143(*) constitue d'ailleurs l'une des variantes du
politiquement correct dans la mesure où l'on retrouve là un
intérêt pour les tournures
« intellectualisantes », les mots abstraits et
« psy », la récurrence de certains termes...
Néanmoins, la forme qui nous est
présentée aujourd'hui est beaucoup plus violente, sauvage, dans
le sens où elle s'impose tout le temps, à tout va.
Le politiquement correct qui s'est exprimé par une
transformation du langage, a évolué en fonction de la
modification des esprits, et chaque nouvelle vague le confirme par l'apport
d'un style toujours plus emphatique ou burlesque.
Et qu'il s'agisse de mots « in » ou
« dans le vent », le politiquement correct
s'euphémise tant qu'il en devient son propre pléonasme.
Sous les diverses formes qu'il occupe et qui l'illustrent, il
impose donc son pragmatisme dans un métalangage où il se
présente comme une aimable solution langagière...vigilance
perpétuelle d'un exercice lexical que les anglophones s'entendent
à mettre dans « l'understatement ».
Et au sein même de ces différentes
figures de style, le politiquement correct lutte contre chaque mot qu'il
désire rendre obsolète. Pour y parvenir, il utilise certains des
ingrédients relevés P.Merle.
Qu'il s'agisse d'astuces purement linguistique ou non, le
discours politiquement correct manie la langue française avec une
étonnante facilité.
III/ De la tactique lexicale à la technique
discursive
« À force de dire les mêmes mots, les usagers
finissent par dire les mêmes choses » (R. Beauvais)
1) Les mots clefs du politiquement
correct
Au fil de nos lectures, nous avons constaté
qu'au centre du discours précieux, certains mots extrêmement
récurrents, indiquaient à quiconque les utilisaient qu'il entrait
dans la sphère du politiquement correct.
Ces termes spécifiques ne sont pas pris au hasard dans
la langue française.
Ils sont choisis car ils atteignent plus ou moins un
idéal de bienséance, de bienpensance, en tant que mots
« neutres », sans aucune connotation péjorative,
sans ambiguïté, et qui n'incluent aucun stéréotype
particulier.
Ces fameux mots, privés en fait de tous sous-entendus,
sont utilisés pour désigner de façon dénotative des
idées refusées par le politiquement correct, des mots bannis de
la langue française.
A- Évènement
V. Volkoff ouvre le bal en donnant l'exemple du
substantif « évènement », devenu en peu de
temps, mot phare de tout discours bienséant :
« Dans le vocabulaire politiquement
correct, ce mot remplace les mots catastrophe, calamité, crime, miracle,
victoire, défaite, disparition, massacre, agression (...) qui ont tous
l'air de porter un jugement de valeur sur la chose dont on
parle »144(*).
Ce mot, s'il dit l'action ne dit pas le ressenti. Mot informel
et malléable, il ne s'éveille qu'à la tonalité de
sa prononciation.
B- Variante
Le concept est encore plus flagrant avec l'exemple
du mot « variante » qui est censé remplacer le mot
« faute » où tout mot se rapprochant de
l'idée d'un écart à la norme.
P.Merle cite à ce sujet l'auteure Danielle Leeman-Bouix
qui, dès les premières pages de son livre, Les fautes du
français existent-elles ?, propose de reformuler le mot
« faute » sous prétexte qu'il est lourdement
chargé de culpabilité.
Dès lors, toute erreur, tromperie, défaillance
ou autre ne seront plus que les formes variables d'une variante.
C- Accompagner
Ce mot est relevé par P.Merle qui le
présente comme contemporain aux prémisses du politiquement
correct. En effet, depuis une dizaine d'années, on ne cesse de
l'employer. Ce n'est pas le fait « d'accompagner » son ami
au cinéma qui est ici pointé du doigt, mais bien le fait de
trouver le dit verbe et ses terminaisons de même famille dans tous les
domaines sensibles.
On parlera donc volontiers de « plan social
d'accompagnement », pour éviter le trop tragique
« chômage ». De même, il s'agira
« d'accompagner en douceur » des malades vers une
vie nouvelle (autrement dit, une mort prochaine), comme le titrait Le Parisien
en octobre 2003, « Malades en fin de vie cherchent
accompagnants ».
Cette stratégie de contournement n'a finalement pas
d'autres réalités que de permettre aux malades d'être
accompagnés, sans souffrance sémantique.
D- Rendez-vous
Ce terme est un des autres mots en vogue dans le
discours bienséant.
Non siglé, il est toujours suivi d'adjectifs ou de
substantifs le connotant. On trouve ainsi le « rendez-vous
démocratique » qui fait office d'élection, de
référendum, tandis que le « rendez-vous
revendicatif » est l'euphémisme poli désignant le
terme trop violent de « manifestation ».
E- Déficit
La rhétorique bienséante qui se veut
toujours indolore offre là un terme qui fait état d'un
échec, mais sans faire ressentir l'aspect négatif de la chose.
Ainsi, lorsqu'un homme politique n'est pas élu, on
parle de « déficit des voix », pour un
enfant illettré on évoque un simple
« déficit de lecture »,
éventuellement causé par un « déficit
d'éducation ».
Et si la société va mal, on accuse le
« déficit d'information », le
« déficit d'intégration », et finalement le
« déficit de démocratie ».
Autant dire donc, que le déficit défile. Du
déficit intellectuel au déficit auditif, rien n'est grave en fin
de compte, puisque contrairement à un manque ou à une lacune, le
déficit lui, peut-être comblé.
F- Communauté
Ce mot, qui pouvait jadis évoquer quelques
marginaux réunis, s'est démocratisé au point d'être
utilisé pour désigner toute sorte de regroupement.
Néologisme du nouveau millénaire,
« communauté » et autre
« communautarisme » et
« communautarien » sont très à la mode. Exit
la famille, l'association, le regroupement, la confrérie...adoptons
plutôt la notion fourre-tout de
« communauté », qu'il s'agisse de la
communauté algérienne, de la communauté journalistique ou
de la communauté homosexuelle, prenons garde, les communautés
sont partout et on les intègre, sans même le savoir.
G- Culture
P.Merle présente un autre mot, fort
galvaudé, et qui reçoit tous les honneurs du politiquement
correct au travers des différentes expressions qu'il intègre.
Il s'agit du mot « culture » qui, au
dépend de ses compères « moeurs, habitudes, coutumes,
mode... », visiblement moins flatteur, se savoure à toutes les
sauces :
« Car qu'est-ce qui, aujourd'hui,
n'est pas estampillé « culture » ? Et serait-il
bien politiquement correct de ne pas accorder à chaque type
d'activité humaine des galons culturels ? » 145(*).
Effectivement, de la culture télévisuelle (
« culture AB Production » pour TF1 faisant
référence aux séries de la chaîne pour de jeunes
adolescents ; « culture pub » du nom de l'émission
sur M6) à la « culture In », celle qu'il faut avoir
( la « culture bédé », la « culture
gay », la « culture kitsch »...) en passant par
la culture musicale (on parle de « culture hip-hop » ou de
« culture rock »), tout est histoire et question de
culture, comme semble le proposer l'interrogation ironique de P.Merle
« Serait-on en présence d'une culture de
cultures, par hasard ? »146(*).
H- Gérer
Ce verbe, dont l'apparition dans la langue
française remonte au 15e siècle a la cote en ces temps
de discours moralisateur.
Depuis les années 1980, le verbe
« gérer », mis en scène dans des expressions
à priori obscures, est quasiment devenu polysémique. Il remplace
« attendre, supporter, admettre, aider... » et bien
d'autres.
On « gère en interne »
pour garder son calme, on « gère la
soirée » quand on sait recevoir correctement ses
invités, on « gère l'après »
lorsqu'il faut faire face aux conséquences, à l'avenir d'une
situation, d'un problème.
Son substantif, « gestion » s'accorde
également avec tout. On gère la musique comme on gère
l'immigration. On gère tout et son contraire. De la gestion du
problème, pardon, du « déficit », à sa
solution.
I- Émergeant
Parce que le verbe
« émerger » offre une certaine forme de puissance,
il confère à chaque formule l'employant une image toute positive,
tandis que d'autres verbes comme « paraître » ou
« développer » mènent un combat trop passif.
Ainsi, inutile de dire que les pays en voie de
développement (PVD) deviennent, sous les lumières du
politiquement correct, des pays « émergeants », et
que dans le même mouvement, les acteurs, musiciens ou intellectuels sont
tous émergeants, du moment qu'ils ne sont pas encore trop connus. Car
c'est forcément beaucoup plus « citoyen » de faire
confiance à des artistes en pleine émergence.
J- Citoyen
Un autre mot relevé par P.Merle,
intègre lui aussi, le cadre fermé des mots fétiches du
politiquement correct. Il s'agit du terme « citoyen ».
Sans aller plus loin, l'évidence est tangible. Puisque
la bienséance prône le dogme d'un égalitarisme universel,
nous sommes tous aux yeux de la fameuse Déclaration, des citoyens.
Depuis le milieu des années 1990, le mot
« citoyen » est intégré à toutes les
locutions et paraphrases ambiantes, à saveur souvent
politiques :
« Chaque ère politique a eu
ses mots (...) vocables vedettes (...) fracture sociale sous Chirac I
et machins citoyens en tous genres sous Chirac
II »147(*).
Comme l'auteur l'énumère, qu'il s'agisse de
« gouvernement citoyen, vagues citoyennes, initiatives citoyennes,
forum citoyen, affirmation citoyenne, posture collective citoyenne, rôles
citoyens, relais citoyens... », le terme est partout, dans toutes les
bouches et toutes les pensées, et même en prison où
l'individu n'est certainement pas exclu de la société,
politiquement correct oblige, puisqu'il n'en demeure pas moins un
« citoyen détenu ».
K- « Un petit
peu »
Cette expression illustrant parfaitement la
récurrence de l'euphémisme en discours politiquement correct est
utilisée de plus en plus souvent, non pas comme assertion restrictive,
mais bien comme formule adoucissante, comme le prouve cet extrait d'une
interview radio, « Vous partez un petit peu du principe
qu'à l'âge de dix huit ans, les étudiants se trouvent un
petit peu à la rue »148(*).
L- Espace
Et puis, bien au delà encore de ces mots
spécialisés repris par le politiquement correct, il en est un qui
a fait unanimement sa profession de foi dans la catégorie des mots stars
de notre début de siècle, c'est le mot
« espace ». S'il ne désigne pour le dictionnaire
qu'un « lieu plus ou moins bien
délimité »149(*), il remplace bon nombre de termes dont il
n'aurait du rester que la vedette.
Les espaces pleuvent en lieu et place de zone, salle, lieu,
endroit, pièce... .
Extrêmement utilisé et parfaitement
malléable, V.Volkoff est le premier à noter l'utilisation
excessive de ce mot passe-partout sollicité au maximum dans le langage
politiquement correct.
Ainsi, même en ne citant que les échantillons
relevés par ce dernier, la liste est déjà longue : la
salle de jeux devient un « espace ludique », celle
d'études un « espace d'enseignement ».
Les lieux de dépravation que sont le fumoir, la prison
et le bordel deviennent respectivement en discours retenu un
« espace fumeur », un « espace
carcéral » (on trouve parfois ici
« univers ») et un « espace de
fornication » (le discours politiquement correct présente
paradoxalement une expression bien plus explicite que ne l'était le
presque discret « bordel »).
L'hôpital quant à lui perd tout sens pour se
présenter incompréhensible et froid dans la formule
« espace prophylactique ».
L'église elle, revêt un aspect plus cosmopolite
pour devenir un lieu ou un « espace de culte ».
Enfin, c'est après le théâtre, devenu
« espace de représentation » que l'on peut
se reposer dans un « espace de relaxation », le
salon.
Mais l'euphorie sémantique autour de ce mot tourne vite
au ridicule lorsqu'on rencontre à tout va des espaces qui n'ont plus
aucun sens : « espace public de débat, espace de
créativité démocratique, espaces d'échanges
d'idées, espace de renouvellement ». De
même, ne nous trompons point, si c'est « l'occultation
de l'espace » qui décrit le travail d'un
sculpteur, c'est la « déstructuration de
l'espace », toujours le même, qui qualifie celui d'un
architecte150(*).
Se rajoute à ces exemples savoureux, ceux
avancés par P.Merle qui enrichissent la polysémie du terme en se
parant de nouveaux bienfaits : une émission de radio est un
« espace de parole et d'écoute » tandis
qu'une chaîne de télévision est présentée
comme un « espace de
liberté »151(*). Pour se détendre on erre dans un
« espace arboré » ou on cherche le calme
d'un « espace d'études ».
Enfin, pour clore tout le bonheur que nous offre ce mot, on se
retrouve au café, nouvellement désigné comme
« espace de convivialité ».
Cette consommation immodérée d'un
substantif vide initialement de toute connotation est tout à fait
caractéristique de l'idéologie du politiquement correct et de
l'usage quasi frauduleux qu'elle inflige au langage :
« Le moule à bonbons est
tellement fort que rien n'empêche la prolifération des formules
franguignolantes et l'écriture Coca-Cola »152(*).
Et lorsque le politiquement correct ne parvient pas à
trouver d'équivalents, il use d'une astuce, audible à l'oral,
visible à l'écrit, les guillemets.
2) La
« guillemetmania »
« Où le français met les pieds dans le plat,
l'Hexagonal tourne autour du pot » (R. Beauvais)
Le mot « guillemet »
selon le dictionnaire n'est rien de plus qu'un
« Signe typographique qu'on emploie
pour isoler un mot, un groupe de mots, cités, rapportés ou
simplement mis en valeur »153(*).
La définition proposée par A.Santini dans son
dictionnaire est bien évidemment autre, et c'est plutôt celle-ci
que nous retiendrons :
« Guillemets : preuve de la
contagion correcte dans la presse écrite comme dans la langue
parlée (...) ils constituent une protection efficace contre les abus de
langage susceptibles de paraître inconvenants (« les
vieux ») ou comme une distanciation mi-ironique devant des
euphémismes à la mode (« quartiers en
difficultés »)154(*).
Dans le cadre de la pratique du discours politiquement
correct, l'usage des guillemets sert donc beaucoup plus que pour la simple
retranscription d'un discours rapporté.
Les guillemets qu'on dessine avec les doigts, geste convulsif
à droite et à gauche,
« mode-pincettes » pour citer P.Merle, qu'on
sous-entend d'une moue un peu gênée, qu'on retranscrit en gras car
surtout c'est important...
Bref, petites virgules en apesanteur qui dans l'esprit du
politiquement correct convergent vers le statut de signes
extra-linguistiques.
Quelle que soit la façon dont on les mentionne, on en
use, et le discours politiquement correct lui, en en abuse.
Si l'on pouvait penser, au début des années 1990
que le phénomène ne durerait pas, qu'il s'agissait simplement
d'une petite mode de proximité, le concept de guillemets a pris de
l'ampleur. Vite et bien. À l'oral comme à l'écrit, il
impose une redoutable omniprésence qui, la plupart du temps ne se
justifie pas.
Coutume de fin de siècle, ce phénomène
est d'ailleurs nommé par P.Merle, tantôt « le
symptôme du guilletisme galopant »155(*), tantôt la
« guillemettite aiguë »156(*).
Bien loin de se raréfier, l'emploi des guillemets
s'exporte dans tous les milieux, du très médiatisé
psychologue Philippe Sollers, parlant des gens
« normaux » entre guillemets157(*), en passant par une
comédienne interviewée à la radio, qui fait
référence aux textes entre guillemets
« importants » du répertoire
théâtral, jusqu'au maire d'une petite bourgade précisant
que dans son village il n'y a pas que des
« français », entre guillemets bien
sûr.
Et si on les utilise à tout va, les guillemets
s'emploient avec encore plus de facilité lorsque au nom du politiquement
correct ils sont légitimés : ainsi, lors d'un flash
d'information à la radio, on entendait le journaliste établir une
comparaison entre le travail d'un handicapé mental et celui d'un
salarié dit « normal », entre guillemets bien
sur158(*).
Les guillemets auraient donc en quelque sorte ici le pouvoir
d'excuser la pensée. De même, comme le révèle
P.Merle dans un article de Libération159(*), le mot « laid » placé
entre guillemets dans le titre « la valeur cachée des
laids » autorise l'innommable.
Parler entre guillemets c'est un fait, est une constituante du
discours politiquement correct.
Manie quotidienne, le guillemet est la nouvelle panacée
de la bienséance à tel point qu'un journaliste de La
Croix160(*)
évoque même « les guillemets de
force », nécessaire à « une syntaxe
trop rétive ».
Ainsi, quand les périphrases se font trop
rocambolesques, le guillemet semble faciliter la compréhension. Lorsque
le manger sain est illisible, le « manger
sain » s'éclaircit, et il en est de même avec les
locutions type « le vivre jeune ; le voyager intelligent
... ».
À croire qu'on ne peut plus rien dire ou en tout cas
qu'on n'ose plus rien dire, sans se protéger avec ces fameux
guillemets.
Un peu comme si, pour dire ce qu'on pensait vraiment, il
fallait tout mettre entre guillemets, simplement pour être sur de ne pas
passer pour une personne cruelle, réactionnaire ou toute autre insulte
des temps modernes :
« Comme si soudain on n'était plus
vraiment capable d'exprimer une opinion sans avoir peur de transgresser quelque
chose. Comme si on voulait bien montrer qu'en employant tel ou tel mot, on ne
fait que citer, mais qu'on ne prend rien à son propre
compte »161(*).
Ce « tic historique des années
90 »162(*) se présente comme une sorte de
schizophrénie langagière dans le sens où si je dis quelque
chose entre guillemets, je peux nier l'avoir dit.
Autrement dit, si je dis quelque chose entre guillemets, je
peux ensuite me rétracter en disant que je ne l'ai pas dit puisque j'ai
utilisé les magiques guillemets et que de fait, ce n'est pas vraiment
moi qui ai dit ce que j'ai dit.
Le guillemet serait donc une solution d'avenir, remède
miracle imposant le bon usage :
« Le truc imparable qui permet de dire
ce qu'on veut dire avec le mot qu'on a envie d'employer, mais dans le
même temps de s'en désolidariser, puisqu'on ne prend ni à
sa charge ni sous sa responsabilité, ce mot que l'on vient pourtant de
choisir »163(*).
Et c'est bien l'idéologie politiquement correcte qui
impose cette mise à distance.
Car en exerçant son jugement sur ce que disent et
pensent les gens, elle n'offre pas de réelles libertés
d'expression si ce n'est l'usage de ces pincettes
langagières qui impliquent un écart vis à
vis du discours proféré.
Ce même discours qui, s'il est prononcé entre
guillemets permettra de dire des choses jugées gênantes, sans
vraiment les dire, mais tout en les disant quand même.
Cette astuce qui relève finalement d'une quasi folie de
l'esprit et de la langue qui se contorsionnent pour avoir le privilège
de dire, sans vraiment dire, mais tout en affirmant quand même, est
résumée par P.Merle d'une façon simpliste, mais provocante
à merveille :
« Qu'est-ce que le guillemet,
finalement, sinon un préservatif, une capote idéale que l'on
déroule à loisir et avec soin sur un mot dont le contact pourrait
s'avérer puissamment infectant ? »164(*).
Au milieu des périphrases emphatiques et des
hyperboles grandiloquentes, des termes « made in politically
correct » et des indénombrables guillemets, la passion du bon
usage s'exprime également dans une forme qui impose un leitmotiv
paradoxal : « faire court ».
Dès lors, le jargon politiquement correct,
essentiellement dans les sphères de la presse et de la
télévision, joue non seulement avec les abréviations, les
aphérèses et autres apocopes, mais surtout avec les
acronymes165(*) et les
sigles.
3) De la siglaison à la siglomanie
Le principe de siglaison, lié au système
morphologique de la langue, qui joue sur la réduction de la forme,
semble relativement récent, comme tend à le prouver
l'évolution de la définition de ce mot.
Alors que le Petit Robert à la fin des
années 1970 donnait une définition très sobre,
« Initiale ou suite d'initiales servant
d'abréviation », la définition du Petit
Larousse au début du 21e siècle insistait
d'avantage sur l'aspect courant de ce type d'abréviation :
« Groupe de lettres initiales constituant l'abréviation de
mots fréquemment employés »166(*).
En effet, dans n'importe quel discours, le sigle depuis une
bonne dizaine d'années s'expose et s'institutionnalise à tel
point que, pour reprendre l'intitulé d'un chapitre de P.Merle,
« Parlez-vous sigle ? »167(*), le réflexe de
« sigler » chaque mot est devenu omniprésent.
Aussi il n'est pas rare de se retrouver confronté
à des phrases (sujet, verbe, complément) uniquement
composées de sigles.
Et si les plus courants sont intégrés dans la
langue quotidienne par facilité ou par économie du temps de
parole, ils le sont en revanche sans traduction, puisque supposés
déjà connus. Toute personne méconnaissant des sigles comme
S.A.V ; S.D.F ; I.V.G ; O.P.A... doit alors se
débrouiller seule.
Du temps où les sigles restaient propres à un
domaine précis (le monde du travail avec ses R.T.T, ses C.P et sa
P.L.V ; le milieu médical avec les I.V.G, M.S.T et T.S) on pouvait
légitimement les justifier.
Mais, dès lors qu'ils intègrent tous les
secteurs de la vie privé et publique, on ne peut plus parler que d'une
invasion du sigle.
De la siglaison à la siglomanie, le pas est donc vite
franchi, et le décodeur s'impose. Car il est flagrant de constater
l'étendu de cette astuce langagière.
P.Merle dans ses différents ouvrages décrypte
quelques-uns de ces sigles-acronymes.
En septembre 2004, Jean-Louis Borloo, ministre de la
cohésion sociale, évoque lors d'une émission sur France 2,
le renforcement imminent du P.T.Z (serait-il plus convivial de parler en sigles
méconnus ? Ici, c'est le « Prêt à Taux
Zéro » qui est évoqué) ; le 18 avril, le
Journal du dimanche titre « les français ont peur des
NEM »...bien loin d'un sondage sur les hésitations
culinaires des français, il faut comprendre, après traduction,
les « Nouveaux Etats Membres ».
Souvent un moment d'hésitation, un silence, un
quiproquo, une moue inquiète, se font sentir.
Les sigles en tant que raccourcis linguistiques mènent
dans leur profusion à une ambiguïté, voir à une
incompréhension des gens qui les subissent.
Il n'y avait qu'à écouter les informations sur
le salon de l'agriculture des mois passés pour en prendre conscience...
la SOFRES donnait les résultats de son sondage sur le terroir
français, la PAC, les O.G.M, la F.N.S.E.A, le CIFOG...
Aussi effrayant que cela puisse paraître, le sigle
règne en maître dans le discours spécialisé ou
courant, mais la confrontation est parfois tellement rude qu'on ne s'y attelle
plus.
Lorsqu'on lit dans le Figaro économie,
« la LOV privilégie-t-elle le DSQ ou la
CLI ? », dans Le Monde, « le
secrétaire général de l'OIP interdit d'
ENM »168(*), on referme le journal,
désemparé.
Cette omniprésence en plus de mener à un
charabia au sein duquel on se perd, entraîne également une
confusion lorsqu'un même sigle désigne deux réalités
différentes.
Ainsi, dans une émission de santé publique
diffusée sur la chaîne de la 5 au mois d'avril 2006, un
nutritionniste qui s'indignait de l'oubli trop fréquent de l'I.M.C
(« Indice de Masse Corporelle ») cédait la parole
à une infirmière qui évoquait quand à elle la
difficulté rencontrée de nos jours par les I.M.C
(« Infirmes Moteurs Cérébraux »).
Et le comble concernant les sigles ne semble jamais
atteint.
Hormis toutes les personnalités publiques qui
bénéficient pour seul nom d'un sigle composé de leurs
initiales (P.P.D.A, B.H.L, J.F.K, J.P.P, D.S.K, V.G.E...), on en vient à
utiliser des sigles partout et pour tout, même si l'on frôle le
ridicule, comme l'illustre V.Volkoff, par des exemples emplis
d'ironie169(*) : le
F.M.G désigne le « Fragile de la Matière
Grise », le dément, le P.P.H n'est autre que celui qui ne
« Passera Pas l'Hiver », autrement dit
« le vieux », le F.P.C évoque d'un humour noir le
« Fornicateur Par Coercition » ou
« violeur ». Enfin, tout assassin est désigné
par le sigle P.V.V, « Preneur Volontaire de
Vie ».
Car le sigle n'est finalement jamais autant dérisoire
que lorsqu'il est dit avec le plus grand sérieux, on trouve dans le
magazine Capital en janvier 2005 un article sur les CDF, les
« Chouchoux Du Fisc » ; une émission de radio
évoque les FBI, les « Fausses Bonnes
Idées » ; le Journal du Dimanche évoque l'ADM,
« l'Arme de Destruction Massive », tandis qu'une
pédopsychologue fait l'éloge à la radio, des BPF, les
« Bons Pères de Famille ».
Cette « pluie de confettis de
langage » comparable à une véritable
épidémie selon P.Merle, semble ne jamais s'arrêter tant
elle se démocratise, se banalise à l'extrême.
Si le succès d'un tel phénomène peut
s'expliquer de diverses façons, nous avons surtout vu en cette technique
langagière, une forme de préciosité linguistique.
Non pas que les sigles empêchent de dire des choses
brutales, gênantes, choquantes... car il y a dans leur utilisation la
même volonté que dans celle de la périphrase ou de
l'euphémisme, la volonté de ne juger, de ne blesser personne. La
volonté de dissimuler dans une forme nouvelle, un fond qu'on ne veut pas
franchement prononcer.
La survie des sigles est donc assurée tant qu'ils nous
tiennent à distance non contagieuse de ce qu'ils suggèrent.
Ainsi, pour reprendre les sigles les plus connus, S.D.F et
H.L.M ont permis de neutraliser les concepts qu'ils sous-tendaient, T.S et
I.V.G ont garanti l'oubli de toute connotation morbide.
Le marché du sigle se porte donc très bien, et
l'amitié avec le politiquement correct est franche, le premier
dédouane et le second supporte : la misère s'enrichit des
ABS, « abus de biens sociaux », des ZUP, « zones
à urbaniser en priorité », des CES, « contrat
emploi solidarité », des RMI, « revenu minimum
d'insertion » et autres ZEP, « zones d'éducation
prioritaire », et les exclus de toujours intègrent la
société par la grande porte avec le PACS, les CGL
« centres gay et lesbien » ...
Le sigle permet d'aller donc plus loin dans l'abstraction de
l'idée, pour enrayer sa signification première :
« La froideur, la neutralité du
sigle permettent de prendre en considération une réalité
qui nous dérange lorsqu'elle est appelée par son
nom »170(*).
De plus, la maîtrise du sigle en tant qu'instrument
d'adoucissement sémantique confère à celui qui en use, une
sorte de supériorité, « car celui qui jongle avec
ces amphigouris là, est à l'évidence, un
initié »171(*).
L'une des autres techniques mises en place en tant que
solution miracle à une éthique et à un langage
défaillant, est celle de la récurrence lexicale.
Non pas tant astuce linguistique que pure technique de
communication, le politiquement correct s'immisce et s'impose dans les
médias, vecteur, canal de communication riche à souhait.
Maintenant qu'il a trouvé sa cible et les moyens de se
l'approprier, c'est par la grande porte qu'il fait passer ses messages.
IV/ La pleine ascension du politiquement correct
« Notre mollesse est la non-assistance à idiome en
danger » (C. Duneton)
1) Un antidote contre
« l'incorrect-Isme »
Nous avons pu constater que le politiquement correct
a su acquérir de nombreuses techniques de formulation, poussant parfois
la langue française à un
paroxysme jamais atteint, celui d'une langue instrument
servant le travestissement du réel.
Le politiquement correct naît du langage et s'en sert en
fait comme une arme, quelles qu'en soient les conséquences. Et dans
l'absence de repères sémantiques que cela inclut, le
politiquement correct trouve ses marques et instaure une stratégie
justifiant son existence.
S.Desclous nous explique172(*) que deux raisons peuvent justifier de la
durée de vie du politiquement correct en France :
- le possible « intensif » :
le politiquement correct traque les discriminations dans le moindre
échange discursif.
- le possible « extensif » :
il en invente à chaque fois des nouvelles.
Enrôlé dans un prosélytisme doucereux au
sein duquel le politiquement correct clame et auto-proclame sa présence,
il nous paraît plus probable de croire en la seconde justification
proposée par S.Desclous : le politiquement correct accentue
l'aspect incorrect de chaque situation pour confirmer l'utilité de sa
démarche.
Dans cette mise en scène très astucieuse, il
garantit sa survie, et bien plus encore, enfante sa postérité.
Présentant le sexisme, le racisme, le lookisme
(discrimination fondée sur le style vestimentaire), l'âgisme (sur
l'âge), le mentalisme (sur les capacités intellectuelles), et
toutes autres dérives en « Isme » comme des
composantes premières de la non bienséance, le politiquement
correct crée de fait sa fortune en propagent un mal qui appelle comme
unique antidote, les conditions de sa propre existence.
Et c'est bien entendu au sein du vecteur le plus porteur
du 21e siècle, qu'il entend s'infiltrer.
2) L'hypnotique boite noire
« Cet hexagonal-opium du peuple » (R.
Beauvais)
Qu'il s'agisse de la radio, de la
télévision ou des journaux, tous les moyens sont bons pour nous
imposer stratégiquement et en douceur la nouvelle doxa à la mode,
le « médiatiquement correct », qui s'infiltre dans
notre vie quotidienne sans qu'on en prenne vraiment conscience.
Parce que les médias imposent la bienséance
langagière comme une norme absolue, par une sorte de mimétique
inconsciente, on la tolère, la répète, et on
l'intègre à nos habitudes discursives.
Victimes ou coupables, le politiquement correct se
présente comme un phénomène unique dans l'histoire du
langage, tant il s'immisce vite, et de façon irréversible dans
toutes les sphères sociales.
En ce sens, le médiatiquement correct,
révélant tout le conformisme d'une pensée qu'on veut
unitaire, constitue une véritable force de frappe, puisqu'il offre
à la bienséance, le siège de son royaume.
Martèlement plus ou moins interactif, quiconque tente
d'échapper dans son intimité aux lois du politiquement correct,
est bien vite rattrapé par des médias corrompus.
Et le succès indéniable du politiquement correct
en France au travers des médias, répond exactement à
l'impossibilité nouvelle de définir ce phénomène
dont les caractéristiques dépassent maintenant l'utopie
initiale.
Les acceptions de la locution sont devenues si nombreuses
qu'on ne sait plus comment qualifier ce phénomène
protéiforme.
La France, atteinte du symptôme de l'omniprésence
du politiquement correct, est confrontée à une pléiade
d'expressions calques dont la seule mission est de mettre en lumière une
même rigueur, une même discipline, entrées à la fois
dans l'ère de l'éthiquement correct, du religieusement correct,
du sexuellement correct...
Cette nouvelle doxa qui se veut idéologie acceptable,
appelle ses ancêtres, le courant des Précieuses, la langue de
bois, pour se présenter communément comme une pensée
unique respectable qui, baignant dans un conformisme absolu, joue le rôle
de rectitude politique, de nouveau moralisme, de néobienséance
chez nos voisins canadiens, et aime intégrer une nouvelle classe, celle
de l'industrie du BCB, la « bonne conscience business »,
pour reprendre l'expression de P.Merle.
Dès lors, les médias utilisent le mouvement
à tout va : litanie suggestive et récurrente il faut
être, dire et faire tout en mode politiquement correct. Ainsi, militer
pour Greenpeace ou Act Up c'est être politiquement correct ;
respecter son corps et celui des autres, quel qu'il soit, c'est être
politiquement correct ; pratiquer le tri sélectif c'est être
politiquement correct, adhérer à un collectif pour
l'égalité des femmes et des hommes, c'est être
politiquement correct...
Cependant, les médias ne semblent pas percevoir le
danger d'une telle attitude.
Dans un article de Catherine Maliszewski, journaliste au
Figaro, un psychiatre parisien, Samuel Lepastier, nous alerte sur la
dérive du phénomène :
« On oublie que le politiquement
correct est une prescription morale et on l'applique à des fins
hygiénistes. Vous fumez : faute ! Vous ne marchez pas une
heure par jour : faute ! Vous ne mangez pas cinq fruits par
jour : faute ! La société traite ses concitoyens comme
des mineurs. »173(*).
Les médias, en plus de nous dire comment parler nous
disent donc comment agir.
Et si autrefois la censure était politique, aujourd'hui
elle est la peur de leur déplaire, de ne pas leur obéir.
OEil de surveillance, les médias dans leur
globalité infligent aux auditeurs, un discours sacré.
S'affirmant comme relais principal dans la diffusion de la
pensée politiquement correcte, ils se font « architecte de
la pensée unique », et nous initient à un
« sentimentalisme de bazar »174(*) qui par une sur
représentation de l'injustice, de la violence, des minorités
victimes, des inégalités en tout genre, garantit une
légitimité à leur maître, le politiquement correct,
illustration d'une véracité indéniable.
En effet, combien de fois n'entendons-nous pas proclamer
« mais si c'est vrai, ils l'ont dit à la télé /
c'était écrit dans le journal » ?
Bouche de vérité des temps nouveaux, les
médias régentent notre monde.
Oracles du 21e siècle qui, notamment par la
télévision et la radio, à travers l'avènement de
l'image et du son, contrôlent le langage.
Cette omniprésence et cette omnipotence contiennent
inévitablement les germes de l'uniformisation de la pensée. Les
mêmes sons, les mêmes images, les mêmes mots partout
s'ordonnent. Tous les médias se jouent du phénomène. Le
panel des réceptions s'élargit et nous devenons alors, sans y
prêter attention, à la fois victimes et complices de cet
état de fait.
En tant que spectateurs, lecteurs ou récepteurs en tout
genre, nous nous mettons à penser, à parler, à agir de
façon politiquement correcte, mais sans nous en rendre compte.
Exerçant une attractivité hypnotique, le
politiquement correct, récurrent, nous obnubile, et faisant de nous tous
des Mr Jourdain en puissance, s'incarne dans un art rhétorique perfide,
celui de la logomachie :
« Art où le politiquement
correct est passé maître. Elle consiste à
pénétrer la faculté de raisonner du public en leur
imposant un vocabulaire qui les contraint à ne fonctionner qu'avec des
termes politiquement corrects, donc à aboutir à des conclusions
politiquement correctes »175(*).
Parce que la télévision et la radio ont sur les
journaux ce pouvoir du direct, de l'instantané, et qu'on est dans une
société de l'immédiateté, ces deux premiers
médias qui garantissent une parole d'évangile, légitiment
leurs dires et leurs dogmes.
Cette civilisation de l'image et du son, appelé
par Régis Debray « la vidéo
sphère »176(*) contribue donc au confortable
épanouissement du mouvement politiquement correct, et garantit sa
durée de vie :
« La machine parle de plus en plus (
...) la télévision, peu importe la masse d'informations q'elle
crache. Sans elle aujourd'hui, il n'est pas de discours politique
admis »177(*).
3) De la récurrence des sons sur le
PAF
Le politiquement correct triomphant insidieusement
et subtilement constitue via les médias, une nouvelle langue commune
dont la priorité n'est pas d'informer sur le contenu mais sur le code et
la forme utilisés pour en faire part.
Il crée le passage d'une langue concrète en une
langue désincarnée.Comme l'explique S.Brunet :
« Tout se passe comme si, pour
reprendre la terminologie de Benveniste avec le langage des médias, le
circuit sémiotique s'était renforcé au détriment du
circuit sémantique »178(*).
La langue française n'est plus populaire ou soutenue,
elle est médiatique :
« L'avenir de la langue
française est pour une large part entre les mains des
médias »179(*).
Le politiquement correct décrypte donc toutes les
situations sociales, politiques, pour nous en avertir au sein d'une Agora
virtuelle, nouvel espace publique de réception que sont la
télévision et la radio. Les animateurs du petit écran
eux-mêmes prennent conscience de ce phénomène qui les
envahit peu à peu. Dans une interview accordée au journal
Libération en juin 2004, Christophe Dechavane va jusqu'à se
plaindre du règne du politiquement correct à la
télévision :
« Le risque a été
stérilisé. Il y a un lissage du langage. Le politiquement correct
s'est installé, je ne pourrais plus refaire les débats de
société que je faisais. La société consensuelle a
rejaillit sur la télévision ».
La tyrannie du « médiatiquement
correct » pour reprendre le terme de J-M. Chardon, échafaude
un tribunal médiatique où siège la pensée unique
qui instaure fièrement la dialectique de l'intimidation, de la
culpabilisation.
L'ampleur inattendue de ce phénomène tend
à le promouvoir au rang de mythe politique ou idéologique.
Le politiquement correct engagé dans une croisade
linguistique vise l'ensemble des sociétés occidentales et
peut-être même plus, à en croire l'aspect un tant soit peu
prophétique d'Umberto Eco qui écrivait il y 15 ans de
cela :
« Le monde vit pour aboutir à
une émission de télé. Et les médias
deviennent la langue du monde »180(*).
L'usage du politiquement correct dans les médias est
donc un phénomène qui n'a cessé de croître comme le
prouvent les relevés de S.Desclous :
« On est passé de 101
entrées du mot dans la presse quotidienne américaine en 1988,
à 3877 entrées en 1991 »181(*).
De même, notre travail de recherche effectué sur
le logiciel Europress nous conduit à une conclusion semblable. Si la
datation de l'apogée du phénomène se confirme aux
alentours des années 1990, on dénombre depuis le mois de janvier
2006, 15 articles faisant référence à la Novlangue, 228
évoquant le politiquement correct, et pas moins de 239 utilisant
l'occurrence « langue de bois ».
Face à une telle présence et à une telle
pression du politiquement correct qui grâce à diverses astuces
linguistiques et au poids des médias, s'est introduit dans le
vocabulaire de la langue française, on est confronté à un
vocabulaire méconnu ou dont l'explication sémantique n'est pas
toujours évidente.
Si l'on est novice en la matière, comprend-on
réellement le sens du terme
« hypovigilance » ? Sait-on ce que fait un
« ingénieur foncier » ? Et ce qu'est
exactement un « conglomérat urbain » ?
Il semble que le politiquement correct impose un univers flou
où la recherche du sens n'est pas toujours primordiale :
« Le politiquement correct,
baigné dans un océan de mots où plus le concept est flou,
plus il a de la chance de se répandre, telle une algue tueuse
déguisée en plante médicinale »182(*).
C'est donc parce que le discours politiquement correct impose
une langue qui n'est pas vraiment la notre, qu'il nous a semblé
important de regrouper en un lexique « du français au discours
politiquement correct », les mots reniés et remplacés
par des expressions qui, sans traductions, demeureraient
incompréhensibles.
V/ Le lexique du nouveau français :
précis de vocable franco-français à l'usage des
novices
« Le politiquement correct est largement une maladie
de l'élite » (P. Roth)
Ce lexique, bien que non exhaustif offre un panel
assez représentatif du vocable politiquement correct.
Nous avons choisi d'adopter un ordre alphabétique car
l'ordre thématique s'est avéré infructueux étant
donné le rapprochement de certaines expressions dans plusieurs domaines.
La colonne de gauche présente les mots tels que nous les
employons ; celle de droite est la traduction pressentie en discours
politiquement correct.
Ce classement fait état, quand cela est flagrant, des
différentes évolutions lexicales ou
« vagues » du politiquement correct. Parmi les expressions
et termes retenus (à la télévision, à la radio ou
empruntés à divers auteurs) ceux en gras sont sensés
être les plus récurrents dans l'usage
« commun » du politiquement correct.
Bien que dans certains cas, l'équivalent proposé
par la bienséance pour palier au langage courant semble
incompréhensible, nous avons tenté, face à ce
« comprenne qui pourra » que dessine le politiquement
correct dans notre langue française, d'en déchiffrer une
partie.
ACCOUCHEMENT : Évènement
ACCUSÉ : Mis en cause
ACNÉ : Peau à problème
ADOLESCENT : Adulte en émergence
ADULTE : Personne expérimentée
ÂGE : Terme qui tend de plus en plus à
disparaître des sphères politiquement correctes / Troisième
âge
ÂGE BÊTE : Âge d'opposition
AGENT DE POLICE : Agent de la sécurité
AGENT IMMOBILIER : Ingénieur foncier
ALCOOLIQUE : Personne à sobriété
différée
AMÉLIORER : Optimiser
ANALPHABÈTE : Illettré / Personne
présentant un déficit de lecture
ARABE : Maghrébin / Beur / Enfant de la 2e
génération / Nord-Africain
ARCHITECTURE COLONIALE : Architecture tropicale
ART PRIMITIF : Art premier
ATHÉISME : Terme tellement politiquement incorrect
qu'il n'existe aucuns remplaçants.
AVEUGLE : Non-voyant / Malvoyant /
Déficient visuel (ces trois termes qui appartiennent à la
première vague de politiquement correct, ont en commun ce qui
représente finalement un problème pour l'idéologie
recherchée, puisqu'ils définissent le dit terme par un manque, un
défaut, ce qui est absolument politiquement incorrect) / Personne
confrontée à un défi oculaire / Personne visuellement
contrariée
AVORTEMENT : IVG
BALAYEUR : Technicien de surface, de conduite /
Agent de propreté
BALLE PERDUE (en temps de guerre) : Erreur de tir
(synecdoque : le tir est désigné par le projectile)
BANDE DESSINÉE : Littérature d'expression
graphique
BANLIEUE : Périphérie / Quartier
sensible / Zone suburbaine de proximité
BASSE PYRÉNÉE : Pyrénées
Atlantique
BAVURE POLICIÈRE : Dysfonctionnement
BÊTE : Personne présentant un
déficit intellectuel / Personne n'ayant pas les
pré-requis cognitifs / Mal-comprenant / Cérébralement
différent
BIBLIOTHÈQUE : Espace d'études
BOMBARDEMENT (en temps de guerre) : Frappe
chirurgicale, frappe ciblée
BORDELS : Maisons closes / Espaces
réglementés
BOSSE : Protubérance
BOULANGER : Employé en terminal de cuisson
BOYCOTT : Posture collective citoyenne
BULLETIN DE NOTES : Livret de compétences
CADAVRE : (Personne non vivante (expression
euphémisante utilisée depuis 1988 en Angleterre)
CADRE DE 50 ANS : Senior confirmé
CAFÉ : Espace de convivialité
CAHIERS DE BROUILLON : Cahiers d'essai
CAISSIÈRE : Hôtesse de caisse
CAMBRIOLAGE : Délinquance de proximité
CAMPING-CAR : Autocaravane
CANCER : Longue maladie
CANCRE : Élève en difficulté
CANTINE : Unité de production culinaire
CENSURER : Modérer
CHARENTE INFÉRIEURE : Charente Maritime
CHARITÉ : Solidarité
CHAT : Félidé domestique
CHERCHER DU TRAVAIL : S'inscrire dans une perspective
professionnalisante
CHOMÂGE : Mot représentatif de l'attitude
volontariste des artisans du langage moderne. Avant, désignait le
désoeuvrement momentané d'un travailleur attendant une nouvelle
embauche. Actuellement il indique un constat, celui de
l'inemployabilité du travailleur / Parcours de
recherche d'emploi / Période transitoire dans le cadre d'une
réorientation de carrière/ congé payé
prolongé / Repos involontaire
CHOMEUR : Demandeur d'emploi / Personne en quête
d'emploi / Personne en cessation d'activité / Offreur de
service (ce dernier terme est préférable dans la mesure
où il présente l'aspect positif de l'inactivité du
chômeur, tandis que les premiers termes le présentaient dans une
posture d'attente, ce qui le mettait en dehors de l'activité sociale,
donc l'excluait, chose intolérable pour le politiquement correct)
CIMETIÈRE : Champ du repos / Espace de fin de
vie
CITADIN : Actif urbain
CITÉ : Zone de non droit / Quartier
sensible
CLANDESTIN : Réfugié économique
débouté du droit d'asile
CLOCHARD : Citoyen en rupture sociale /
Itinérant / Marginal / SDF (sigle
étonnant : un domicile par définition est fixe, et on ne
saurait considérer comme fixe un emplacement ou quelqu'un passe la nuit.
Ce sigle induit l'idée que ce qui définit l'homme social c'est
son domicile, et là, le SDF est définit par ce qu'il n'a
pas ; il est un homme moins la place qu'il devrait occuper. Ce sigle nie
la nature de l'homme en tant que tel.
COALLITION : Belligérance
COIFFEUR : Capilliculteur
COLONISATION : Découverte (ici le politiquement
correct va loin puisqu'il définit une réalité historique
sous une forme quasi négationniste)
COMMENCER : Initialiser
CONCIERGE : Auxiliaire de gardiennage et
de médiation / Surveillante de groupe
CONCLURE : Finaliser
CONNAISSANCES : Compétences
CONSTIPATION : Désordre intérieur
CONTRÔLEURS (de la SNCF notamment) : Agents
commerciaux des trains
COUPE-FAIM : Modérateur d'appétit
COUPLE HOMOSEXUEL : Couple contre nature / Couple
non traditionnel
CRIMINEL : Asocial / Preneur de vie /
Désorienté affectif
DAS : Aide sociale à l'enfance
DÉFAITE : Non-victoire ( ici,
principe de la Novlangue : on prend un mot positif auquel on ajoute un
simple préfixe pour obtenir son antonyme, mais sans avoir à
prononcer donc à évoquer une connotation négative)
DELOCALISATION : Implantation d'emploi à
l'étranger
DÉMODÉ : Folklorique
DÉMOLIR : Déconstruire
DIVORCE : Séparation / Démariage
DROGUÉ : Personne présentant une conduite
addictive / Polytoxicomane
DROGUE : Hallucinogène
DROITS DE L'HOMME : Droits de l'Humain
ÉBOUEUR : Agent de traitement des déchets
urbains et industriels
ÉCHEC : Succès différé
ÉCHOUER : Réussir en dessous de ses
possibilités
ÉCOLE MATERNELLE : Etablissement de cycle
préscolaire
ÉCONOMIE PARALLÈLE : Trafique de drogues
ÉDUCATION : Éducabilité
ÉGLISE : Entité paroissiale /
Espace de culte
ÉLÈVE : Apprenant / Acteur de la
formation
ÉLEVE TURBULENT : Elève d'origine
culturellement défavorisée
EMPLOI DU TEMPS : Planning
ENFANTS ABANDONNÉS : Enfants proposés
à l'adoption
ENFANTS DE PAUVRES : Enfants issus de familles
fragilisées
ENFANT TRISOMIQUE : Enfant différent
ENTERREMENT : Obsèques / Inhumation /
Rituel de fin de vie
ESCLAVAGE : Travail clandestin
ESCROC : Personne éthiquement
déboussolé
ÉTAT MAJOR : Technostructure
ÊTRE AIME : Être un objet d'aimance
ÊTRE DÉPRIMÉ : Être à la
périphérie de soi-même (jargon psychologique typique du
politiquement correct)
ÉTUDE DE MARCHÉ : Merchandising
EXCLU : Sous-privilégié
EXCLUSION : Mot qui n'a pas de remplaçants en
discours politiquement correct car il est étymologiquement (
excludere, maintenir dehors) trop accusateur183(*).
EXPLIQUER : Expliciter
FACTEUR : Préposé à la distribution
du courrier
FAILLITE : Cessation de paiement
FEMME DE MENAGE : Aide ménagère /
Intervenante à domicile / Employée de surface /
Technicienne de surface
FIGURANTS : Acteurs de complément
FOU : Personnalité pathologique de type borderline
/ Déstabilisé mental / Personne à
émotivité différée / Dépressif
GHETTO : Zone urbaine sensible / Quartier
communautaire
GITANS : Gens du voyage
GRÈVE : Mouvement social
GROS : Personne enveloppée / Personne en surpoids
/ Personne présentant une surcharge pondérale / Personne
possédant une image corporelle alternative
HOMOSEXUEL : Gay (franchisé en
« gai » depuis 1997) / Personne à sexualité
alternative / « Queer » venu des États-Unis pour
remplacer « gay »
HÔPITAL : Espace prophylactique
IDIOT : Irrationnel
IGNORANCE : Non-encore savoir
IMMIGRÉS CLANDESTINS :
Sans-papiers / Exclus de la loi républicaine
IMPÔT : Contribution
IMPUISSANCE : Impouvoir
INCAPPABLE : Inapte
INCULPATION : Mise en examen
INFIRME : Handicapé / Personne à
mobilité réduite / Personne à
compétence alternative / Personne
confrontée à un challenge physique
INNATENTION : Hypovigilance
INSTITUT DE BEAUTE : Espace de bien-être (plus
politiquement correct car ne sous-entend pas que c'est un lieu uniquement
réservé aux personnes belles)
INSULTE : Atteinte à la dignité
INTÉGRISTE : Traditionaliste
INVASION (en temps de guerre) : Libération
JARDIN : Espace arboré
JARDINIER MUNICIPAL : Agent d'entretien de la nature /
Agent vert / Animateur d'espaces verts
J'M'EN FOUTISME : Relâchement éthique
JOUETS DANGEREUX : Jouets sensibles (moins effrayant et
plus commercial, politiquement correct donc)
JUIF : Personne de religion juive / Personne de
religion israélite / Peuple du Livre
LAID : Esthétiquement
différent / Cosmétiquement différent /
Physiquement atypique
LÉPREUX : Personne atteinte de la maladie de
Hansen
LICENCIEMENT : Plan d'ajustement social /
Rationalisation des effectifs
MAGHREBIN : Jeune (ici, en dehors d'une
forte valeur euphémisante, il y a une perte de la valeur
sémantique)
MAIGRE : Filiforme
MAISON DE CORRECTION : Structure close
MAÎTRESSE : Institutrice / Professeure des
écoles
MALADE : Patient / Consommateur de soins
MAL DE TÊTE : Migraine / Céphalalgie
MANIFESTATION : Rendez-vous revendicatif
MANIPULER : Motiver
MASSAGES : Techniques manuelles
MAUVAISE RÉPUTATION : Déficit d'image de
marque
MENSONGE : Désinformation /
Vérité différée
MENSTRUATION : Irrégularités
féminines
MENTIR : Être dans le fictionnel
MER : Espace marin
MORGUE : Institut médico-légal
MORT (n.f) : Disparition / Processus biologique
terminal / La grande faucheuse ; la dame en
noir ; la voyageuse de nuit ...
MORT (n.m) : Personne avec un métabolisme
divergent / Personne non-vivante
MORTS (en temps de guerre) : Dégâts
collatéraux
MORT-NÉ : Né sans vie (périphrase,
passe-passe langagier beaucoup plus politiquement correct)
MOURIR : Disparaître /
S'éteindre / S'en aller / Partir / Rendre le dernier
soupir / Rendre l'âme / Partir pour le grand voyage ...
MST : IST (remplacé par un autre sigle mais le
terme « infection » du second, inquiète moins que le
terme « maladie » du premier)
MUSÉE : Pinacothèque / Espace de
renouvellement perpétuel
NAIN : Personne de petite taille / personne
à verticalité contrariée
NOËL : Fête de fin
d'année
Sapin de Noël : Sapin de fêtes ; vacances de
Noël : vacances d'hiver ; Joyeux Noël : Joyeuses Fêtes
NOIR : Personne de couleur /
Black : plus politiquement correct que
« nègre » de l'époque coloniale et que
« noir », puisque fait d'avantage référence
à une culture qu'à une couleur ; il faut attendre la fin des
années 1980 pour que ce mot s'intègre à la langue
courante ; ici, anglomanie salvatrice qui va désigner tout ce qui
appartient à la mouvance noire ; terme qui évite le
colonialisme et le tabou de la race / Minorité visible / Personne
à forte mélanine / Afro-américain /
Africain-américain
NOM : Patronyme
OBSÉDÉ : Obssessioné
OBSTÉTRICIEN : Médecin de naissance
OPÉRATION (chirurgicale) : Intervention
OUVRIER : Collaborateur d'atelier
PÂQUES (vacances de) : Vacances de Printemps
PARTOUZE : Relation à partenaires multiples /
Relation non monogamique
PATOIS : Langue collatérale
PAUVRES : Économiquement
marginalisés / Défavorisés /
Victimes de la fracture sociale / Personnes en situation de grande
détresse / Personne en situation de précarité sociale et
économique / Sinistrés sociaux
PAUVRETÉ :
Précarité
PAVILLON DE CANCEREUX : Service oncologique
PAYS FRANCOPHONES : Pays ayant en commun l'usage du
français
PAYS SOUS DÉVELOPPÉ : Pays en voie de
développement / Pays émergeant
PEAU : Barrière cutanée
PÈRE : Géniteur
PETITS ENFANTS : Épigones
PEUPLE : « Vrais gens » expression
très politiquement correcte pour désigner les gens de la France
profonde
PEUREUX : Prudent
PILULE (contraceptive) : Progestérone de
synthèse
PISCINE : Espace nautique
PLUIE : Ondée
POLICIERS : Forces de l'ordre
POMPIERS : Soldats du feu
PRESSE À SCANDALE : Presse people
PRISON : Centre de retenue / Univers
pénitencier / Espace carcéral
PRISONNIER : Client du système
carcéral / Citoyen détenu
PROBLÈME : Souci / Dysfonctionnement
PROPAGANDE : Campagne de sensibilisation
PROSTITUÉE : Travailleuse du sexe /
Travailleuse sexuelle
PROSTITUER (se) : Exercer des activités
prostitutionnelles
QUOTAS IMMIGRATOIRES : Immigration choisie
RACE : Groupe populationnel ayant des caractères
génétiques en commun
RACISME : Politiquement incorrect non seulement parce que
des atrocités ont été commises en son nom, mais parce que
le seul fait d'admettre qu'il puisse y avoir des différences entre les
hommes qui partagent les mêmes droits, répugne une
sensibilité politiquement correcte. Mot donc totalement exclu de
l'idéologie politiquement correcte et qui ne présente quasiment
pas de remplaçants si ce n'est les termes Haine de proximité ou
Discrimination
RANÇON : Prime de sortie
RATAGE : Contre-performance
REDOUBLER (au sens scolaire) : Être en classe de
rattrapage
RELATION SEXUELLE : Câlin / relation physique /
Relation intime ... le politiquement correct n'a pas vraiment
trouvé de mots pour expliquer cet acte incorrect
RÉPRESSION : Pacification (ici le politiquement
correct donne quasiment dans l'antonymie)
RÉSISTANCE : Résilience
RÉSOUDRE : Solutionner
RETARD ÉCONOMIQUE : Potentiel de croissance
RETRAITE : Cessation anticipée
d'activité
RICHES : Munis
RIDES : Peau mature
SALE : Hygiéniquement contestable
/ Impropre (pour la Novlangue)
SECRÉTAIRE : Assistante
SENSIBILITÉ : Conditionnement émotif
SÉPARATION : Décohabitation
SIDA (avoir le virus du) : Être sidaïque (fin
de l'expression en 1995) / sidéen / sidatique / Être malade du
Sida / Être une personne touchée
SIESTE (après un repas): Somnolence post-prindiale
SOLITUDE : No man's land affectif / Exploration de
soin
SOURD : Mal-entendant / Personne
présentant un déficit auditif / Personne acoustiquement
contrariée
SOUTENIR : Supporter
SURVEILLANTS : Conseillers
d'éducation
TERRORISTES : Criminels dévoyés
(utilisé pour la première fois par les journalistes de la BBC
à Londres après les attentats du métro)
THÊATRE : Espace de représentation
TIERS-MONDE : PVD / « Pays sous
développé mais dont il ne faut surtout pas dire, politiquement
correct exige, qu'il est sous développé »184(*)
TROISIÈME CLASSE (pour le train) : Classe
touriste
UNIFORME : Accessoire de carrière
VANDALISME : Sentiment d'insécurité /
Incivilité
VIEUX : Chronologiquement doué /
Personne du 3e âge / Senior / Personne de l'âge
d'or
VIGNERON : Viticulteur / Oeniculteur
VILLAGE : Complexe rural
VILLE : Conglomérat urbain
VILLE DE PROVINCE : Métropole (provinciale)
VIOLENT : Invalide de l'affectivité
VIRER (se faire..., être ...) :
Bénéficier d'un plan de reclassement
VOISINAGE : Bassin de convivialité
VOYEURISME : Pulsion scopique
VUE (paysage) : Panorama
ZONARDS : Jeunes de quartiers
CHAPITRE 3 :
De limites en excès, la lente décadence
d'un système linguistique indestructible
I/ Limites et critiques d'une grande imposture
« La
bienséance n'est que le masque du vice »(J-J.
Rousseau)
Tout comme le signe est double, le langage l'est aussi dans la
mesure où il présente des aspects opposés.
Comme nous avons tenter de le démontrer le discours
politiquement correct constitue une sorte de sociolecte, et il est de fait,
encore plus sujet aux changements, aux difficultés.
Puisqu'il n'est pas possible d'étudier un tel
phénomène sans prendre en compte les conséquences qui en
découlent, nous avons souhaité faire un été des
lieux du politiquement correct, afin de mettre en avant ses limites.
1) Le politiquement correct, sentinelle des temps
modernes
A- Le déni de l'individu
Il nous faut tout d'abord signaler un paradoxe
propre au discours politiquement correct et qui nous est apparu, eu
égard aux revendications de ce dernier, quelque peu insensé.
Nous l'avons constaté, ce discours se fonde sur
l'utopique mise en application d'une égalité des hommes à
travers le langage.
En effet, il cherche à passer pour un discours
salvateur qui réunit grâce à un vocabulaire
maîtrisé, travaillé, décent, communautés et
minorités afin de confondre tout le monde en une unique et humble
humanité.
Non loin d'un écho communiste « Frères
de tous pays, unissez-vous ! », ce discours fédère
par un altruisme grandiloquent, les marginaux et oubliés de jadis.
Cependant lors de nos recherches, un aspect relativement
surprenant s'est dégagé de cet humanisme bienveillant.
En intégrant l'individu dans une communauté qui
est sensé le représenter, on nie sa personnalité en
l'exposant comme un tout, entrant dans une catégorie précise.
Ainsi par exemple, un homosexuel sera forcément
représenté par la communauté « gay »,
un noir par la communauté
« africano-américaine »...
Cette globalisation de l'humain s'effectue au dépend de
son individualité propre. Et tout le paradoxe idéologique
résulte en cela.
En refusant toute forme quelconque d'exclusion, on assimile
par un automatisme, l'individu à la communauté qu'il est
sensé intégrer et à la minorité qu'il est
sensé incarner.
Et sous prétexte d'intégration volontaire, une
dictature s'impose.
Au nom d'une morale politique, on inclue l'individu dans un
ensemble d'individus lui ressemblant :
« Le politiquement correct s'appuie
sur une culture dominante qui nie l'identité de l'individu au profit du
groupe »185(*).
Dans ce paradoxe s'exprime à la fois le choix d'une
pensée unique et dirigiste, mais également les ravages des
stéréotypes entraînant le classement de chaque individu
dans une caste bien précise.
Croyant échapper à la victimisation de certaines
communautés, le discours et l'idéologie politiquement corrects
basculent dans le repli identitaire.
Ainsi, comme le note A.Santini dans son dictionnaire :
« La revendication identitaire vient
heurter de plein fouet notre credo fondateur, cet universalisme
républicain selon lequel on est avant tout un
citoyen »186(*).
Le discours politiquement correct, devenu donc
anti-démocratique, débouche sur une intolérance reniant
son essence, puisque au lieu de faire entendre les voix de la minorité,
il s'illustre dans l'aseptisation linguistique de nouvelles pseudo
majorités.
Le communautarisme vécu à l'excès
crée la fin des idéaux humanistes.
Et c'est autour de cette même idée de déni
de l'individu que S.Desclous s'insurge contre le politiquement correct qu'il
accuse de produire l'inverse des effets recherchés :
« Favorisant l'émancipation des
minorités en évitant une dénomination blessante, ce
nouveau langage les enferme derrière une dénomination
carcan, (...) redondante et discriminatoire»187(*).
Le politiquement correct apparaît ici complice
d'une dégradation de l'ordre social en reniant tout individualisme.
L'homme dans son unicité semble trop nocif. En prônant la
pensée commune au dépend de la personne minoritaire,
l'idéologie bienséante sacre volontairement le groupe en tant
qu'instance :
« C'est une erreur de croire que la
rectitude politique défend la personne minoritaire. Elle défend
en fait des groupes abstraits au nom d'une idéologie de l'adulation du
collectif et de la haine de l'individu. L'individu y est entièrement
défini en fonction du groupe dont il fait partie »188(*).
Imposant la morale de groupe tel un prisme universel, la
nouvelle doxa commet une erreur philosophique, celle qui consiste à
s'entêter en opposant l'universel et le particulier, sans comprendre que
les sujets existent en eux-mêmes et pour eux-mêmes.
L'universel qu'impose le politiquement correct devrait
être « pensable et accessible que dans l'affirmation de
soi »189(*). Il doit réaliser que les
minorités défendues ne sont des communautés que parce
qu'elles sont d'abord un ensemble d'individus.
Pour changer cette idéologie et se prémunir de
toute faute, il faudrait commencer par considérer l'individu comme le
primat de toute communauté, devenue alors secondaire :
« Si un Afro-américain doit
être respecté, c'est non pas en sa qualité de noir, mais
comme tout un chacun, en tant qu'être humain »190(*).
En jouant le déni de l'individu, le politiquement
correct pratique une politique d'effacement des différences qui lui
permet, en réunissant chaque personne d'une communauté
pré-définie, de maîtriser toute sorte d'écart.
Si certains tendent à défendre cet
aspect en préférant parler du rassemblement des individus en un
seul et même groupe unificateur au nom du refus de l'égoïsme
et de l'exclusion, ne soyons pas dupe.
Ne faut-il pas plutôt voir dans ce cloisonnement de
l'individu une politique dictatoriale se mouvant dans le règne de la
pensée unique ?
Enfermer l'individu dans une caste sociale, sexuelle,
religieuse ... c'est maîtriser ce qu'il pense, ce qu'il dit, c'est le
contraindre à une expression commune, à un conformisme
évident, empêchant ainsi tout avis personnel, tout terme
jugé trop subjectif.
De fait, dès qu'un membre d'une de ces
communautés pense différemment, il est censuré. Et
quiconque soupçonne la prestation des illusionnistes du politiquement
correct est immédiatement renié, peu importe son
éventuelle appartenance aux « minorités
visibles ».
On peut donc penser que cette astuce consistant à
créer des groupes humains au nom de l'altruisme est en fait toute
calculée pour mener à une maîtrise des dires et des gestes
des individus devenus bien plus contrôlables puisque rassemblés en
une communauté.
L'histoire du politiquement correct à ce terme pourrait
alors devenir celle d'un contrôle, d'une persécution envers celui
qui ne dit pas ce qu'il faut dire.
Cinglant paradoxe qui s'impose céans, face à une
idéologie qu'on pensait fondée sur la revendication de l'individu
en tant que personne à part entière, quelles que soient ses
origines, sa couleur, ses orientations religieuses ou ses
préférences sexuelles.
La tolérance du politiquement correct en ce sens,
devient une immonde charité, pensée et calculée,
n'existant que dans le mépris de l'être humain :
« Mépris pragmatique en vertu
duquel on manipule les individus en leur faisant croire qu'ils pensent et
agissent librement »191(*).
Enfermé dans sa communauté, l'individu ne peut
s'exprimer s'il n'entre pas dans la majorité qui lui est imposée.
Chantage délicat, il est dupé par une idéologie promettant
l'accès quotidien au bonheur.
L'épistémologie192(*) du discours nourrit ici
l'objet de sa critique : le caractère biaisé des valeurs du
politiquement correct présentées comme fondatrices, ne peut que
le présenter comme un langage dominant et monoculturel.
Et cet aspect soudain que prend le politiquement correct,
constitue l'une de ses principales failles.
Le politiquement correct qui se révèle à
présent morale de groupe, pensée unique, contraint l'individu
à s'effacer derrière l'attente vaine d'une liberté
d'expression.
Et qu'il s'agisse du politically correct aux
États-Unis, de la langue de bois ou de la préciosité
française, il est un domaine dans lequel toutes ces formes de correction
langagière se rejoignent, c'est celui de la censure, résolvant le
problème de la libre confrontation des idées.
B- Contrôle des mots et des moeurs
« Il n'y a ni bn ni mauvais usage de
la liberté d'expression. Il n'en existe qu'un usage
insuffisant » (R.Vaneigem)
Dans la mesure où le simple fait de communiquer
entraîne systématiquement par divers moyens, une forme de
contrôle, nous ne pouvons qu'infliger aux différentes formes de
bienveillance linguistique citées précédemment, la motion
de langage dictatorial.
Il est indéniable qu'en pratiquant un contrôle
des individus comme le fait le politiquement correct, une influence plus ou
moins directe s'exerce sur les dires et sur la pensée.
À ce sujet, l'auteur d'un article dans le journal La
Croix, établit un parallèle entre les astuces discursives de
parti politique extrémiste tel que le Front National, et celles du
langage politiquement correct. Dans les deux cas nous sommes confrontés
à un discours travaillé qui crée son propre vocabulaire,
n'utilise pas celui de l'opposant et refuse les propos outranciers. Et la
manipulation des esprits est d'autant plus facile que s'applique une
stratégie de brouillage du sens :
« Euphémismes, litotes,
sous-entendus, placent le discours frontiste dans une gourmandise de
l'implicite »193(*).
Si cette comparaison peut choquer ou sembler excessive, elle
semble cependant mettre en place l'aspect adémocratique que peut aussi
revêtir le politiquement correct.
L'hygiénisation lexicale qu'entame le politiquement
correct dans la langue française se cache derrière une
édulcoration permanente des lexèmes qui n'ont plus de
mémoires sémantiques, plus d'essence.
Processus engageant, nous l'avons évoqué, litote
et euphémisme en tout genre, on assiste à un séisme
linguistique qui n'effraie guère.
Là est toute la force de ce phénomène
qui, abusant de sa position dominante joue habilement sur le terrain de la
manipulation, de la désinformation, de la remise en cause...mais avec un
tel pouvoir de conviction que souvent, on ne voit guère le subterfuge.
Le politiquement correct, dans un fantasme d'omnipotence,
s'annonce comme garant de la normalité.
Tout cet arrangement pseudo idéologique n'a pour unique
dessein que la surveillance des interactions verbales de tout un chacun.
Devenant quasiment un phénomène comportemental,
il contrôle la langue en contrôlant ses locuteurs.
Véritable police des moeurs, il s'est immiscé
dans chaque parcelle du quotidien pour contrôler tout discours,
« cette diverticulose du langage a peu à peu
gangrené tous les secteurs de la
société »194(*).
Cette volonté de ramener la langue à de la
sémiotique déterminée contre la liberté de penser
illustre parfaitement le propos de P.Bourdieu :
« Modèle freudien qui fait de
toute expression le produit d'une transaction entre l'intérêt
expressif et la nécessité structurale d'un champ agissant sous
forme de censure »195(*).
Cette « équation » résumant
le politiquement correct nous permet de comprendre que ce ne sont pas tant les
mots que les opinions qui sont surveillés.
Bien que nous ne voulions pas présenter le discours
politiquement correct comme ayant la main mise sur toutes les sphères de
la société, il faut reconnaître qu'en se rapprochant de la
pensée unique, il ne laisse pas présager des meilleurs augures
pour la culture et la liberté d'expression.
C- Une censure légitimée
« Céder sur les mots c'est céder sur les choses»
(S. Freud)
Pris dans un embargo anti-agora, les discours
divergeant de la pensée unique, parce qu'ils risquent de créer un
conflit, sont appelés à disparaître.
Cette crainte n'est pas sans rappeler la vision effrayante
qu'offrait Tocqueville de la liberté dans De la démocratie en
Amérique :
« Celui qui ne pense pas comme le
maître est mis au ban de la société. Ce despotisme est plus
lourd pour quelques-uns que celui de la tyrannie, mais il est moins odieux et
avilissant pour le plus grand nombre »196(*).
La dictature, affirmée par un mécanisme mettant
fin au pouvoir du peuple, entraîne la nouvelle pensée
conseillée dans une incontinence verbale au sein de laquelle le roi,
bienpensant, assure sa postérité par un accord sur
l'évolution de la terminologie générale.
En instaurant un code de correction linguistique, le
politiquement correct se présente comme le recteur d'un certain
moralisme qui raye froidement du langage tous les termes ne lui plaisant
pas.
On dépasse donc ici largement le cadre universitaire
des origines. Instaurant un code de langage revu et corrigé, le
politiquement correct présente un nouveau terrorisme verbal.
Les thèmes tabous en ligne de mire, les élites
imposent aux groupes pré-construits un nouveau langage au moyen d'une
réprobation publique des termes condamnés.
Et l'idéologie s'impose tout naturellement comme
pleinement légale car appuyée par des textes de loi, ainsi que le
révèle cet article :
« Le politiquement correct est un
droit. Mieux : c'est un droit de l'homme. La cour européenne de
Strasbourg, chargée de faire respecter la convention européenne
des droits de l'homme de 1951, a en effet estimé, le 25 novembre
dernier, que la liberté d'expression pouvait être
légitimement restreinte au nom du respect des convictions morales ou
religieuses d'autrui »197(*).
Arme majeure qui dans une extrême adresse se
présente comme toujours légitime, l'idéologie
bienséante confirme son aspect dictatorial :
« C'est l'ensemble des moyens
(pénalisation, réprobation (...) légalisation d'une
opinion ou d'un fait (...) employés pour restreindre le domaine de ce
qui peut être dit (ou débattu) »198(*).
Cette répression qui s'est installée autour de
nombreux thèmes jugés dérangeants, est relayée par
un négationnisme (celui de l'individu notamment) propre au
protectionnisme d'État engagé par le politiquement correct.
2) Le règne de la
« vérité
différée »
« La vérité
est une chienne que l'on doit laisser au chenil » (Shakespeare)
Le règne de la liberté d'opinion et d'expression
est indéniablement révolu et laisse sa place au règne de
l'idéal politiquement correct qui, pour citer A.Dietrich, conduit outre
la censure « à l'enseignement d'une vérité
politiquement et socialement enseignable »199(*).
Dès lors, si un fait discursif est orienté de
façon à sélectionner l'information diffusée, il ne
s'agit plus seulement de maîtriser les codes ou les niveaux de langue.
Ici, la surnorme du politiquement correct semble mener
à un discours ambigu qui, tellement surveillé, devient mensonger.
Le refus de toute spontanéité ne risque-t-il pas
de mener à l'absence de vérité ? N'est-ce pas
d'ailleurs là, l'un des desseins du politiquement correct ?
A- L'ambiguïté du politiquement
correct : flou artistique, abstraction des sens ou manipulation ?
Les tenants du politiquement correct pour garantir la
fiabilité de leur combat vont invoquer la théorie
destructionniste qui tend à prouver que les mots en eux-mêmes ne
correspondent à aucune réalité matérielle.
Au milieu de ce débat sur les mots et les choses, les
pro-politiquement correct en imposant l'idée d'une langue incapable de
dire le vrai, privent les mots de tous sens métaphysique.
Faisant écho au philosophe G.Berkeley qui attribuait au
langage une voix émettant des mots forcément trompeurs, il y a
dans la volontaire reformulation linguistique du politiquement correct,
l'esquisse d'une violation de sincérité : en effet, si les
mots sont maîtrisés puis remplacés par d'autres, le sens
premier est indéniablement modifié, parfois même
étouffé, et l'emploi du discours politiquement correct revient
à légitimer des artifices langagiers qui imposent une certaine
trahison sémantique.
P.Merle à ce sujet donne l'exemple du mot
« tolérance » qui depuis le début des
années 1990 est devenu un polysème pouvant désigner
à la fois l'adhésion, l'accord, l'encouragement...
Ce type d'exemple est fréquent et tend à prouver
que le détournement du sens des mots est chose courante dans cet
univers.
Cette manoeuvre permet de garder un même mot, mais avec
un sens différent.
Les exemples proposés par V.Volkoff à ce sujet
sont nombreux : « complice » a pris le sens
d'« ami », la
« discrimination » n'est plus que synonyme de
l'« exclusion », le verbe
« gérer » signifie dorénavant
« diriger », tout comme le verbe
« investir », s'« engager ».
De même le « nazi » est simplement
« raciste », le « misogyne »,
un homme qui « aime les femmes de façon
politiquement incorrecte », et tout cela n'est plus un
« problème », au pire, une
« difficulté »200(*).
Le discours politiquement correct ici empêche
volontairement toute clarté, toute précision à tel point
qu'on oublie le sens premier de chaque mot.
La suppression ou le changement arbitraire des significations
permettent à l'émetteur de manipuler la langue, en
effaçant le sens des mots dans une appellation différente.
Cela contribue à créer un flou linguistique qui
offre une place de choix à la déformation, « la
franchise n'est pas vraiment le fin du fin en matière de politiquement
correct »201(*).
Et cette déformation n'est pas sans influer sur la
désinformation, processus qui manipule distinctement l'opinion publique,
puisque l'information y est traitée de façon
détournée, et/ou en tout cas, sous le joug de la
bienséance :
« Le politiquement correct
défriche le terrain pour la désinformation (...) d'où il
fait disparaître les obstacles naturels (...) la désinformation
fait régner ce qu'on appelle la pensée unique, elle rend pour
ainsi dire, la politesse au politiquement correct en lui préparant les
voies par lesquelles il pourra se répandre à son
tour »202(*).
De fait, c'est par un schème circulaire et
dépendant que le politiquement correct se lie à une
volonté d'abstraction de déni du sens commun pour reconstruire,
avec la désinformation, une réalité nouvelle baignant dans
une atmosphère permanente de déformation du réel.
Le politiquement correct et la désinformation forment
un couple mythique qui participe au non arbitraire de la langue.
Ainsi que l'a analysé le linguiste Ihanar Evan-Zohar,
tout code sémiotique transmet des renseignements sur le monde
réel au sein d'un « répertoire ». Ce
dernier se fonde sur les conventions culturelles de sa société.
Ici c'est le politiquement correct qui est responsable du tenu
sémantique de ce répertoire, de ces
« réalèmes », qui deviennent
rapidement, suite à un filtrage excessif du lexique, des
« idéologèmes »203(*), répertoire du
réel soumis aux jugements de valeur.
Mais dès lors que le politiquement correct manipule la
langue, il se joue également de ses usagers.
S'il ne s'agit pas de faire croire à autrui,
grâce à une rhétorique finement choisie, que ce que l'on
affirme est vrai, puisque l'intention du locuteur n'est ni de faire croire
à une vérité, ni de mentir de façon
éhontée, le discours politiquement correct qui s'oppose à
la manipulation, acte rhétorique par lequel on cherche à imposer
une parole, poursuit néanmoins sa quête d'embellissement du
réel.
Et force est de constater que ce discours s'exerce, pour
illustrer ses idéaux, à construire une parole convenable et
convaincante pour ses futurs locuteurs.
Reprenant l'hypothèse du Père Malgarida,
jésuite du 18e siècle cité par Stendhal dans
Le Rouge et Le Noir, l'homme dès qu'il surveille son
expression, par gêne, par peur, par intérêt, par honte...
cesse d'utiliser la langue comme un miroir, et la manie tout naturellement
comme un leurre, « la parole a été donné
à l'homme pour cacher sa pensée ».
Écarter tous les mots porteurs d'une trop lourde charge
émotionnelle ou connotative ne serait donc que le fruit d'une
éthique sans limites.
Et les pratiques mises en place pour y parvenir
évoquent étrangement celles relevées par P.Breton qui voit
dans le 20e siècle, le siècle où sonne
« l'heure de gloire des techniques
manipulatoires », et l'une d'elles justement se rapproche
curieusement des techniques du politiquement correct, « l'usage
des figures de style littéraire est un des ressorts les plus
fréquents de la manipulation »204(*).
De l'euphémisme on passe au mensonge ou plutôt
à une affirmation « en dessous de la
vérité », car à trop enjoliver la
réalité, on modifie ses caractéristiques. L'expression
voilée du réel finit par le travestir.
Et sous prétexte de toujours utiliser le
politiquement correct, on finit par tout dire, même si plus aucun terme
n'a conservé son sens originel. Dès lors, on peut dire ce qu'on
veut, peu importe l'adéquation au réel, tant que c'est bien dit.
Le politiquement correct rejoint là le dessein de la
manipulation, « force de séduction
démagogique »205(*).
B- Une peur évidente du réel
Le politiquement correct illustre alors sa morale sous les
traits d'un sophisme quelconque, dans la mesure où si on ne juge pas la
vérité d'un discours à partir de la chose même dont
il parle, alors il suffira de parler pour dire vrai, et il n'y aura plus de
différence entre vrai et faux.
Dans ce brouillard antinomique entre réalité et
mensonge, une question émerge : si l'idéal du politiquement
correct tend à adoucir la langue, que dire de cet enjolivement incessant
du réel ? Le politiquement correct entretient-il volontairement un
rapport faussé à la société ?
Dépassant la simple hypothèse de J-L.Chiflet
notamment, qui veut que le politiquement correct s'exerce pour diminuer et
faire taire les inégalités, S.Brunet dans Les mots de la fin
du siècle, résume plutôt la négation
généralisée de la parole bienpensante en la
présentant comme :
« Un métalangage artificiel et
abstrait qui (...) permet de se voiler la face, de fuir la
réalité, d'en masquer les désagréments ou la
laideur ».
Se perçoit donc dans l'usage de cette langue, une
manigance, une volonté réelle de modifier la
réalité lorsqu'elle est cruelle, de la taire quand elle devient
insoutenable.
Et cette coutume est ancestrale. Par une sorte de
superstition, on a souvent cru que tant qu'on ne nommait pas l'objet de nos
cauchemars, il ne pouvait se manifester. Ainsi, à l'époque
médiévale, les gens redoutaient tant la Peste que son nom
même était devenu imprononçable.
On retrouve cette même superstition dans le
politiquement correct qui, sous prétexte de bonne foi, impose une
réalité déformée qui crie en fait sa peur du monde
extérieur, « rage issue de l'impossibilité de
maîtriser le concret »206(*).
Le politiquement correct, pris d'une phobie du réel,
choisit par un mécanisme d'autodéfense, d'occulter la
réalité.
Non loin du Misanthrope de Molière, son usage,
proche du travail de beaucoup d'artistes, prouve sa lâcheté
à affronter le vrai :
« Il atténue la grimace de la
douleur, l'avachissement de la vieillesse, la hideur de la perversité,
quand il arrange la nature, quand il la gaze, la déguise, la
tempère pour plaire (...) il a peur de la nature »207(*).
Ainsi, lorsqu'on préfère désigner l'homme
qui dort dans la rue comme un SDF et non plus comme un clochard, c'est pour
tenter d'adoucir la cruauté incluse dans le mot.
S.Desclous illustre d'ailleurs parfaitement cet aspect en
expliquant que nommer « afro-américain » un
noir ou « client du système
carcéral » un prisonnier, n'a d'autres ambitions et
d'autres desseins que de « mythifier la
réalité » et d'
« esthétiser le réel »208(*). Et cette
volonté répond au principe de précaution qui semble
s'être inscrit dans la constitution française.
Le politiquement correct a donc ici une fonction exorcisante.
Il conjure le mot brutal ou tabou. Tout ce qui peut être
jugé comme traumatisant est remplacé, comme l'affirme J.Vendryes,
« les noms de défauts, d'infirmité étaient
particulièrement exposés aux interdictions »209(*).
Sont donc reformulés par euphémismes, les noms
de maladie, tares physiques, tout ce qui est gênant et fait peur, comme
on a vu s'imposer le « séropo » qui bannit par le
biais de l'apocope l'insupportable contenu clinicien
« positif ».
Néanmoins, en prônant l'atténuation de
toute souffrance, le politiquement correct entraîne la disparition du
vrai, de la connaissance, qui prisonnière d'un processus de
socialisation n'a plus le droit de nommer :
« Le 20e siècle est
le siècle de la propagande, du pouvoir des mots. Il y a la censure du
politiquement correct, mais aussi une peur latente de ce que les mots peuvent
déchaîner. Il est des mots qui font événement. Le
politiquement correct les gomme »210(*).
Les mots dans leur vérité sonnante ne sont plus
à l'honneur dans la mesure où le politiquement correct
privilégie l'apaisement général :
« Nous voyons se
généraliser la fausse monnaie d'un vocabulaire truqué qui
donne les apparences de l'or à la réalité de plomb d'une
dignité perdue »211(*).
Que dire alors de la belle idéologie du politiquement
correct qui semble n'incarner in fine rien de plus que la peur véritable
du réel ?
Et si toutes les astuces du politiquement correct pour
camoufler la misère ambiante n'était que l'illustration d'une
politique de l'autruche refusant de prendre à bras le corps, la
réalité ?
Ici, nous sommes face à l'une des limites du
politiquement correct, qui tend à prouver que la grande utopie qu'il
incarne ne peut être que factice.
C- Rhétorique et politiquement correct :
l'impossible vérité
« Il n'y a
qu'un monde et il est faux, cruel, contradictoire et dépourvu de sens.
Un monde ainsi constitué est le monde réel. Nous avons besoin de
mensonge pour conquérir cette réalité, cette
vérité » (F. Nietzsche)
Dès lors que le politiquement correct choisit
d'évaluer le réel au profit du convenable, la quête de la
vérité semble impossible.
Reprenant l'hypothèse du « noyau au fond
de vérité », de G.Amossy212(*), il est impossible qu'une
image qui n'illustre en rien la vérité, puisse s'imposer avec
persistance.
Si le sophisme antique présentait le langage comme
l'outil qui, grâce à la disputatio menait à la
vérité, il semble que le discours politiquement correct soit un
leurre éternel au sein duquel « jamais la
vérité en ce qu'elle a de décisif, de décapant, ne
peut exister »213(*).
Et cette même idée nous la retrouvons dans la
philosophie platonicienne : Platon oppose deux types de
rhétorique : la rhétorique de droit et la rhétorique
sophistique214(*). Cette
dernière qui a pour objet l'illusion et s'intéresse à la
manière d'y faire adhérer autrui, correspond à notre
description du politiquement correct puisqu'en tant que forme
d'élocution, la rhétorique sophistique use des même moyens
langagiers que la bienséance pour se répandre : attention
particulière portée au vocabulaire et aux registres de langue,
jeu sur la structure des phrases, et usage intensif des figures de style.
Le politiquement correct qui ne laisse rien au hasard,
s'éloigne alors de la fonction phatique du langage, fonction
prédominée par le langage vrai. Et dans cette
impossibilité qui le caractérise à dire le vrai, il fausse
son rapport à la société, comme le faisait
déjà la langue de bois :
« Langue conçue comme un miroir
déformant pour donner à la réalité sociale une
image rassurante mais inexacte et fausser ainsi le rapport entre la
pensée et le réel »215(*).
Cette analyse est confirmée par les propos de J-F.
Coppé216(*) qui
distingue deux types de langue de bois : la langue de bois
inévitable et la langue de bois insupportable, qui consiste à
dire que tout va bien alors qu'il y a de réels problèmes.
Cette dernière prouve que toutes les formes de
correction, de bienséance langagière, incluent un rapport
faussé au réel.
De cette perte de contact direct entre la langue et le
réel va alors résulter l'apparition d'une réalité
illusoire et inventée dont l'unique existence sera verbale. Le discours
politiquement correct, condamné à une inaccessible
vérité n'est donc plus que parure pleine de rouille, fabulation
dans la mesure où il n'existe et ne procède que par :
« Dissimulation, suppression ou
atténuation (...) expression d'une conduite fallacieuse où le
brouillage de sens y manifeste l'intention avérée de duper,
d'exploiter »217(*).
En pesant sur les usages et en contrôlant le code du
langage, la police mise en place finit par appauvrir la langue dont
l'édulcoration permanente mène à sa perte. À trop
user de l'art périphrastique, le politiquement correct a fait de la
langue française, une langue lourde, froide, sans ambiguïté
aucune. À force de remplacer chaque mot concret déplaisant par
une idée abstraite, il a appauvri la langue française,
empêchant la richesse de ses nuances sémantiques.
La phraséologie servile et bienséante, et la
surveillance linguistique qu'elle impose, dessert les subtilités de la
langue française qui, étouffée dans des formules
écoeurantes, est condamnée à sa propre
desémantisation.
Le travail d'épuration linguistique engagé aux
prémisses du politiquement correct se heurte donc à cette
réalité prévisible : il ne peut se réaliser
sans supprimer le langage libre pour exister. Simple intolérance ou
prémisse d'un fascisme langagier ?
« Comment ne pas voir que (...) le
nivellement des énoncés, recteur et facteur d'une pensée
unique, s'en va (...) rejoindre les pires erreurs des régimes
totalitaires ?»218(*).
Ici, on se retrouve confronté à un discours qui
finalement n'est plus lui, à une langue déformée.
Le politiquement correct empêche toute ethnologie de la
conversation : la politique linguistique mise en place dit des choses mais
en signifie d'autres. Le lien entre analyse conversationnelle et discours
politiquement correct est donc entièrement faussé : tout le
monde est amené à parler en version politiquement correcte, sans
toujours comprendre le sens qui en découle.
Caractéristique de la rigidité de ce type de
discours, la conversation politiquement correcte n'existe plus que sous la
forme d'une rectitude linguistique qui ignore les sujets polémiques,
empêche de dire ce qui est, et rend caduque toute conversation. La
pensée unique menace la liberté sous toutes ses formes. Et elle
entretient les correspondances d'une liaison dangereuse avec le politiquement
correct : tant que la démagogie fait loi, le champ du dicible reste
prisonnier du mensonge. Et le politiquement correct créa la non-langue
...
3) Nihilisme de la langue et de la
pensée
« Le politiquement
correct c'est le discours du fast-food-thinking » (P-E. Saubade)
Par opposition à la parole
libérée, le dictat du politiquement correct rejoint la tradition
du parler pour ne rien dire, et muré dans des commodités
linguistiques se voulant rassurantes, le langage s'amenuise et
s'anémie :
« Comme d'habitude dans la
phraséologie politiquement correcte, on s'enferre, on s'empêtre,
on a tellement noyé le poisson (...) on ne dit finalement
rien ! »219(*).
Omerta culturelle et politique, imposant triomphalement le
goût du fade, le politiquement correct dans son conformisme
stérilise l'imagination, anéantit toute possibilité de
débat, de polémique.
Mécanisme d'engourdissement de la pensée par la
langue, il a construit à force de voiler la réalité, un
univers du faux dans lequel plus rien ne se nomme, plus rien ne subsiste.
Emprunt cependant de bonne conscience, il semble
irréprochable et trie au grand jour les mots exclus :
« Il finit ou plutôt commence
par enlever aux mots toute image, toute couleur, toute saveur, et c'est bien
embêtant, tout sens »220(*).
Le politiquement correct est allé trop loin et se
voulant idéologie de l'ouverture à l'Autre, est en fait devenu
idéologie de fermeture au monde.
Ici, nous sommes arrivés à un tel extrême
que tout chemin inverse semble impossible.
Le mythe imposé devient oubli de la pensée, et
dans le schème jakobsonien de la communication, le politiquement correct
n'est plus qu'un parasite.
Détournant la création verbale, il impose une
phraséologie pré-construite qui empêche tout esprit
d'analyse :
« Instrument de formation de la
conscience, au moyen de phrases rabâchées et dénuées
de sens, qui ne communiquent rien, servent à faire un bruit de fond,
bloquent l'espace qu'aurait pu remplir une information authentique (...).
Il détruit la sensibilité au mot, l'habitude
d'écouter, l'attention, la concentration, et forment des gens qui ne
pensent plus »221(*).
Sorte de gangrène, la langue de la propagande
politiquement correcte pénètre la langue commune de ses formules
toutes faites. Nous l'avons constaté, il existe un réel
décalage entre le discours politiquement correct et la
réalité, et c'est justement ce décalage qui va
entraîner une réelle pollution de la langue, menant jusqu'au
non-sens.
Et par cette « recherche
frénétique d'un consensus sur les termes
acceptables »222(*), la rectitude lexicale annihile le langage en
le contraignant à une unicité de ton, à une similitude de
pensée qui, couverte de paroles vaines, signe son absence.
L'unicité sémantique qui émerge de ce
système lexical figé, aboutit à un totalitarisme de la
pensée. Plus le choix des mots se réduit, plus la tentation de
réfléchir s'affaiblit :
« À vouloir aseptiser le
vocabulaire pour conjurer le risque d'irriter les épidermes, on finit
par réduire à néant ses plus vives facultés
d'expression »223(*).
Se voulant majoritaire, la pensée unique renie tout ce
qui n'est pas elle « le politiquement correct exclut toutes les
exclusions de qui que ce soit d'où que ce soit »224(*), s'affirmant ainsi
comme une doctrine sans essence, comme une forme intégrale de censure et
de nihilisme.
Pour J-M.Rouart, journaliste au Figaro Littéraire, on
peut même évoquer un massacre linguistique tant la
bienséance a affadi tous les mots non convenus,
« l'histoire de la langue c'est un peu la lente domestication des
mots violents, sauvages, impudiques »225(*). S'il proteste ici
contre l'insignifiance de toute une partie du lexème c'est que
l'affaiblissement de celle-ci est également lié à la mort
de nombreux mots :
« (...) Quel appauvrissement !
Quel cimetière pourrait abriter les cadavres de tous les mots qui ont
disparu sans sépulture, abandonnés, délaissés
(...) »226(*).
En voulant imposer sa morale, le politiquement correct
crée un conformisme bien pensant qui annule tout espoir d'analyse, de
jugement critique, de débats « Meccano des idées
toutes faites, le politiquement correct pratique le rejet forcené de
tout esprit critique »227(*).
S'établissant dans un no man's land représentant
la déliquescence de la démocratie contemporaine, il
étrangle le débat et ne dit plus rien. Sans essence, sans
substance, il n'est plus qu'un :
« Ectoplasme idéologique
tendant toujours à remplacer le concret par l'abstrait, lequel
s'infiltre d'autant mieux dans les édifices lézardés de la
pensée humaine »228(*).
Ainsi personne n'est à l'abri.
Puisque tout acte langagier peut être
considéré s'il est mal appliqué, comme une attaque
volontaire, le discours neutre et neutralisé gagne en puissance,
à tel point que la langue n'émet plus aucuns sons.
Règne du silence forcé et de la phrastique
mesurée, raisonnée, le politiquement correct annihile toute
nouvelle pensée.
« Forteresse du royaume de
l'indicible » selon la jolie formule de A.Dietrich, la censure
du politiquement correct s'applique aux gestes, aux actes et aux dires, et
s'impose comme le nouvel opium de ce siècle à en croire la
règle des composantes de V.Volkoff :
« Le politiquement correct participe
premièrement, de l'entropie ambiante, puis de la manipulation
désinformante de l'opinion, dernièrement, de la tendance au
nivellement absolu »229(*).
Et c'est effectivement sous la forme d'une hiérarchie
que le politiquement correct par son omniprésence, s'impose comme un
nouveau dictat.
Il y a donc dans cette manipulation et dans
l'anéantissement linguistique qu'elle entraîne, un aspect
écoeurant à se présenter toujours comme l'essence d'un
phénomène langagier purificateur..
Cette idéologie se sert de l'individu, des
minorités et de leurs faiblesses pour pouvoir imposer un langage
jugé non discriminatoire, donc à vertu déculpabilisante,
qui au nom d'un altruisme bienveillant prescrit ses règles et ses lois
à une société déstabilisée.
Terrorisme politique et intellectuel qui s'introduit par une
préméditation perçue comme légitime, le
politiquement correct se présente dans ses paradoxes et ses limites,
comme un mouvement dangereux reposant sur un espoir qu'il semble difficilement
combler.
Utopie mornée, « comportement
étriqué, anti-intellectuel et pesant qui pourrit
l'atmosphère »230(*), le politiquement correct n'est plus
à ce stade qu'un avorton inqualifiable qui porte en lui les gênes
du mensonge et de l'avilissement.
Et s'il reste pour certains le symbole d'une révolte
utopiste, avec l'idée qu'on ne peut changer les choses que si on
s'attaque aux mots qui les désignent, d'autres vont largement s'y
opposer.
4) La difficile quête de
légitimité de « la langue de
sucre »
Entre attente et désillusion, deux visions
diamétralement opposées s'affrontent. Si certains continuent
à prôner le pouvoir guérisseur du politiquement correct,
d'autres ont compris qu'il ne pouvait peut-être pas répondre
à toutes ses exigences. Le langage « commun » semble
alors se rappeler aux esprits qui, même sans le percevoir distinctement,
commencent à souhaiter son retour.
A- Un nouveau regard sur le politiquement
correct : la théorie d'A.Semprini
Parce que les polémiques sur les fonctions du langage
ont toujours existé, nous avons choisi de nous pencher sur l'analyse
d'A.Semprini, présentée dans son ouvrage, Le
multiculturalisme.
Cette analyse a pour particularité de mettre en avant
deux clans : d'un côté les partisans du politiquement correct
qui vont voir dans son usage le recours à un langage devenu
décadent ; de l'autre côté, les résistants qui
vont le condamner au nom de ses vices.
Le premier clan qui représente ceux convaincus que le
politiquement correct a réellement le pouvoir, non pas de changer le
monde, mais au moins de modifier les comportements, s'oppose au second pour qui
le dit phénomène n'a aucun avenir, n'est qu'un espoir vain.
Autrement dit, si les premiers espèrent trouver dans le
politiquement correct la solution au malheur des êtres, les seconds
savent pertinemment que le langage n'a pas la capacité de modifier
l'état du monde.
Le clan des partisans du politiquement correct,
considérant que le langage peut avoir les moyens de faire changer les
choses défend en fait selon A. Semprini, une conception
constructiviste.
Pour eux, le langage est une entité en construction, un
outil qui influence notre perception externe du monde et des rapports humains
qui s'y jouent :
« Le langage est identifié
comme le lieu où les rapports de domination et d'exclusion se
cristallisent ».
Sans le langage nous ne serions pas à même de
nous représenter la réalité puisqu'on ne pourrait pas la
nommer :
« D'un point de vue cognitif, le
langage joue un rôle actif dans la production de la
réalité, car il fournit l'outillage conceptuel sans lequel la
réalité (...) ne serait ni identifiable, ni
compréhensible ».
Dans cette conception constructiviste, langage et
réalité du monde sont étroitement liés. Ils se
construisent en réciprocité.
Dès lors, l'évolution du langage se fait en
parallèle de l'évolution de la société qu'il a
intégré.
Si cette dernière décide alors de modifier l'une
de ses réalités, le langage sera apte à le faire et le
changement de sens des mots entraînera successivement le changement des
regards portés jusqu'alors sur ces dits mots.
Ainsi par exemple, refuser l'emploi du grossier terme
« pédé » pour lui préférer le
décent « homosexuel » ou le politiquement correct
« gay »contribuera non pas à modifier le statut
individuel de la dite personne, mais autorisera certainement une
intégration plus réussie dans la réalité
sociale.
L'hypothèse constructiviste tend donc à adopter
et à légitimer le politiquement correct qui offre la
possibilité d'une (r)évolution des mentalités :
« Un aveugle ne sera pas moins
aveugle du fait d'être appelé mal-voyant. Ce terme,
néanmoins, peut modifier la perception que les individus ont de la
cécité ».
Ici à priori, l'usage d'un terme bienséant
permettrait de déplacer l'accent cognitif de la cécité
comme caractéristique première de l'individu, comme
résumé de son identité, à l'handicap qu'il
subit.
Opposés à cette vision du langage, se trouvent
les réfractaires du politiquement correct, ceux considérant qu'il
n'y a dans ce phénomène linguistique pas plus d'espoir que dans
un autre, dans la mesure où le langage ne peut aucunement influencer la
réalité des choses.
Ce point de vue, toujours pour citer A.Semprini, est propre
à une conception référentielle.
Selon eux le langage n'est qu'un outil vide de sens comme de
substance, dont l'unique fonction est de désigner les
référents du monde qui l'entoure mais auquel il n'appartient
pas.
Ainsi donc, le langage est « une technologie
cognitive » qui permet de nommer (c'est pourquoi cette vision
est également appelée conception nominaliste) et voilà
tout.
Le langage se trouve donc être indépendant de
toute évolution sociale, « dans une perspective
référentielle, une démarche volontariste d'amendement de
la lange est inutile ».
Ici les inventions ou les mutations linguistiques sont
autonomes.
Si l'on suit l'idée de cette conception,
préférer parler d'un « gay » plutôt que
d'un « pédé » ne changera rien à la
réalité de la personne.
Le politiquement correct ne permet pas
d'expurger de la langue ses aspects désagréables.
Un homosexuel ne sera pas mieux intégré si on le désigne
comme « gay ». La société a ses propres
moeurs, et le langage n'y changera rien.
Le langage rapporte un fait sans prendre partie, contrairement
à ce que pensent les partisans de la bienséance qui voient dans
son refus, les conséquences dramatiques d'une société
déboussolée, et qui entrevoient dans son acceptation, la cause
merveilleuse d'une société nouvelle.
La fonction référentielle du langage ne fait
qu'enregistrer une situation existante. Il la décrit, il la
nomme, mais jamais ne la transforme.
Dès lors, considérer que le langage est
responsable des mots employés pour désigner telle ou telle
réalité, affirmer qu'il est complice des situations qu'il
décrit, c'est commettre une grave erreur selon les opposants du
politiquement correct, puisque prêter au langage le statut d'une
entité vivante et pensante c'est « se tromper sur la
direction de la chaîne causale ». Si le langage dit le
réel il ne le légitime pas pour autant.
B- De l'inutilité du langage politiquement
correct
Prise dans un complexe de culpabilisation, la langue par les
mots soignés qu'elle impose, tente de se déresponsabiliser du
sexisme, du racisme et autres formes de discrimination.
Cet aspect quelque peu romantique, revêtit par le
langage bienséant, nous fait cependant prendre conscience d'une
réalité : s'il est évident que le langage dans son
évolution peut contribuer à changer les mentalités, il ne
peut modifier la réalité des choses.
Un aveugle que tout le monde nommera
« mal-voyant » sera peut-être moins blessé,
mais ne retrouvera pas pour autant la vue. Bien que les appellations changent,
la réalité elle, reste la même.
Le langage, s'il cache un aspect déplaisant de la
réalité n'a pas a lui seul, le pouvoir d'améliorer cette
dernière. La bêtise, la pauvreté, l'ignominie ne se
découragent pas en interdisant leur expression.
Parce que « nègre » est insultant
car il rappelle à chaque prononciation le drame de l'esclavage et de la
colonisation, et que « noir » n'est pas plus doucereux, la
bienséance, poussée à l'extrême, propose
l'expression « personne à forte mélanine ».
Mais là encore, le vocable ne suffit pas à combler le
traumatisme.
Le politiquement correct n'est peut-être pas un recours
suffisant à la discrimination.
L'insertion sociale des exclus, des minorités ne se
fera pas en les protégeant par un imperméable linguistique.
Cette croyance faisait déjà bondir R.Barthes il
y a plus de dix ans, lorsqu'il s'inquiétait « d'une
société qui consomme si avidement l'affiche de la
charité » :
« De façon
générale, les gens qui n'apprécient pas les
assistés sociaux n'apprécient pas plus les
bénéficiaires du bien-être
social »231(*).
Ce que nous cherchons donc à mettre en avant, ce n'est
pas tant l'incapacité du pouvoir du langage, que l'inutilité du
politiquement correct.
Et bien que ce phénomène linguistique cherche
toujours à faire mieux, on peut légitimement se questionner sur
sa capacité à créer un univers meilleur.
Beaucoup de journalistes, d'écrivains vont d'ailleurs
s'interroger à ce sujet, plein de pragmatisme ou d'ironie :
« Le sans-papiers est un
immigré en situation irrégulière et non plus un
expulsé du territoire français, est-ce pour autant qu'il
est ramené en voiture à la frontière et qu'on lui tient la
main ? »232(*) .
« L'invalide accepte-t-il plus
souriant d'être cloué à son fauteuil, sous prétexte
qu'on a décidé d'en faire une personne physiquement
défiée ? L'homosexuel a-t-il l'impression qu'on le
déteste moins parce qu'on l'appelle
gay ? »233(*).
Alors si les pauvres ne paraissent pas moins pauvres sous le
label « économiquement marginalisés »,
à quoi bon enrubanner les mots ?
L'usage automatique de l'euphémisme comme moyen de
protection semble considérablement s'affaiblir :
« L'exclu n'est pas d'avantage
considéré sous prétexte qu'il est sociologiquement
répertorié, dénombré et siglé comme un
proche enrégimentement : RMI, SDF... »234(*).
Ici nous sommes donc confrontés à un
paradoxe : pourquoi écarter de la nomenclature les mots que le
politiquement correct rejette, et risquer de brouiller des repères
pré-établis, si l'on sait qu'on ne parviendra pas à
enrayer les jugements négatifs, les stéréotypes et
amalgames habituels ?
Débaptiser les faits ne résolve pas et ne
résoudra jamais les conflits.
L'aspect constructiviste du langage, qui permet de faire
croire à une amélioration des choses, est très vite
rattrapé par la conception nominaliste du langage, seule description
objective et sincère de la réalité, qui condamne alors
l'embellissement des moeurs, à l'éphémère.
Dès lors, s'il est admis que le langage ne peut changer
les esprits, on peut s'inquiéter du pseudo bien fonder du politiquement
correct ? Quel est l'intérêt d'un tel martèlement,
d'une telle pression, si la visée utopique n'est pas atteinte ?
Parce que transformer la langue, même d'une
manière volontariste et réfléchie ne peut suffire à
améliorer les réalités sociales, le politiquement correct
perd tout son pouvoir :
« Si ces contorsions
maniérées amenaient les gens à faire preuve de plus de
courtoisie les uns envers les autres, elles pourraient se défendre. Mais
les glissements linguistiques ne pourront jamais réduire les
intolérances »235(*).
Et c'est cet aspect affaibli de la bienséance
langagière qu'E. Dupin, écrivain, conteste. La langue de bois est
en copeau, elle n'a plus rien à voir avec l'orthodoxie communiste. Ce
qu'il faut combattre aujourd'hui c'est « la langue de
sucre »236(*), langue doucereuse qui n'ose plus dire et ne
sert donc à rien.
Le politiquement correct qui justifiait le mensonge pour faire
naître l'espoir, n'a plus aucune excuse, et nous apparaît aussi
exténué que la langue de bois :
« Victimaire et lacrymale, confite de
bons sentiments, obsédée de préventions, de protection et
de précaution »237(*)
De plus, n'est-ce pas finalement dangereux d'utiliser un
langage bienséant à tort et à travers, lorsque l'on sait
qu'il n'a aucune efficacité ? Comme tout médicament non
adapté au symptôme qu'il souhaite guérir, la maladie risque
d'empirer.
La dérive était pourtant tangible comme le
prévenait Constantin Leontniev, penseur russe du 19e
siècle, qui redoutait cette société dans laquelle nous
risquions de sombrer :
« Une telle société, une
fois constituée sous la forme d'un état universel (...) on
enseignera à chacun à s'auto détruire, tout à fait
légalement et avec beaucoup de savoir-faire »238(*).
Non content de se présenter pour beaucoup comme un
phénomène dangereux et inutile qui ne justifie aucunement ses
modifications à outrance dans le vocabulaire de la langue
française, le politiquement correct affaiblit, finit d'accabler sa
réputation eu égard aux dérives qu'il entraîne.
II/ Aléas et dérives d'une pseudo
bienpensance
Tout du long nous avons constaté que les liens entre le
mouvement politiquement correct, et la société dans laquelle il
se meut, sont très complexes.
Cette partie nous permet in fine, de prendre conscience de la
puissance de ce phénomène sociolinguistique qui, au-delà
de la forme de censure qu'il impose, semble instaurer son droit de veto sur ce
qu'il considère comme ennemi de l'ordre et de son bon maintien.
Du ridicule au danger, petit relevé chronologique des
anecdotiques excès du dictat politiquement correct...
1) L'incrédule déraison du
politiquement correct
Le politiquement correct qui régente vie
quotidienne et vie politique, nous laisse apercevoir l'étendue de sa
force. Parmi les anecdotes relevées, certaines ne sont qu'un clin d'oeil
au moralisme bien connu, d'autres entraînent plus de violence dans la
mesure où elles se présentent comme de véritables
dérives de ce phénomène.
En 1991 tout d'abord, le gouvernement français publie
une brochure décrivant les termes politiquement corrects
autorisés pour décrire les maladies.
Ainsi, le très médiatisé débat sur
le choix de la terminologie « sidaïques -
sidéens... » prend place.
Outre, comme nous l'avons mentionné, les sigles ou
périphrases employés pour évoquer certains actes ou faits
tabous, il faut préciser qu'un certain stratège consista à
l'époque à tenter de diminuer la souffrance en la
dénommant.
Aussitôt, certaines phases de maladie furent
désignées par des périphrases plus que discutables, comme
par exemple « le stade Lune de miel » pour désigner
une phase d'accalmie dans la maladie de Parkinson. Cohérence
médicale ou non, le terme était extrêmement mal choisi.
Que le politiquement correct se risque à adoucir la
réalité c'est une chose. Mais que par un cynisme involontaire il
la ridiculise, cela en est une autre.
Un an plus tard, il fait parler de lui dans un autre
domaine. L'époque, peu propice aux débats d'idées l'est
plus au débat de mots.
Cela nous est confirmé par Pierre Merle qui,
évoquant l'extrême vigilance des bien-pensants qui chassent la
moindre faille sémantique, en vient à se demander si l'hymne
nationale français n'est pas trop politiquement incorrect. Il illustre
cette idée, plein d'ironie, en interrogeant les paroles brutales de la
Marseillaise, entre soldats et sang impur239(*).
Puis, c'est en 1997 que la délicatesse linguistique
atteint son comble : certains bouchers-charcutiers se réunissent
pour fonder un collectif qui au nom du bien parler souhaite interdire l'usage
du substantif « boucher » autre que dans son contexte
premier. Autrement dit, cette confédération réclame le
droit de restreindre l'usage de ce mot, pourtant polysémique, sous
prétexte qu'il évoque la torture, comme lorsque nous nommons
certains massacres, des « boucheries », connotation
visiblement déplaisante et douloureuse pour cette communauté :
« Le boucher distribue la viande que
l'on partage en même temps que le vin et le pain. Notre rôle
évoque la paix et la fraternité. Il n'a rien d'un bourreau ou
d'un tortionnaire »240(*).
Le problème ici est que l'acception rejetée par
la confédération, celle associant le boucher à un homme
cruel est un des sens principaux accordés au dit substantif, et ce
depuis le 17e siècle.
P. Merle qui fait référence à cette
dérive anecdotique la compare avec humour à une
confédération de cuisiniers qui se plaindraient de l'usage abusif
et malencontreux du verbe « cuisiner » dans le sens de
« procéder à un interrogatoire
musclé ». Et sur ce même schèma,
l'auteur imagine également des dentistes protestant contre l'expression
« menteur comme un arracheur de dents » ou des
prostituées salies par l'expression « langue de
pute ».
Toujours dans la même optique, c'est aux
États-Unis cette fois que le langage est critiqué. Des agents
immobiliers américains ont reçu pour ordre de ne plus
indiquer que « telle maison à vendre se trouve
à telle distance de l'école `` à pied'', parce que cela
pourrait offenser les handicapés »241(*).
De même, en 1999, un instituteur américain est
mis à pied pour avoir lu à ses élèves, Nappy Hair,
l'histoire d'une petite fille noire qui a « les cheveux les plus
crépus du monde ». Le terme, jugé trop
injurieux par un collectif de parents bien-pensants, conduit finalement au
renvoi du professeur242(*).
De retour en France quelques années plus tard, on
apprend par le qu'en-dira-t-on qu'il est devenu trop grossier de parler
« d'amuses gueules » et qu'il faut donc
préférer « amuses bouches ». De la même
façon on recommande de ne plus utiliser les trop triviales
« gueules d'amour » et « gueules
cassées »243(*). Les expressions reniées font florès.
En 2004, Claude Duneton dans un article du Figaro
précise que la familière expression « avoir
roulé sa bosse » se trouve glosée sous prétexte
que c'est « une allusion à peine déguisée
à la misère des infirmes d'antan ».
Mais lorsqu'il ne peut supprimer les mots
dérangeants, le politiquement correct finit toujours par trouver une
autre solution, et non des moindres.
Le 15 mai 2004 dans un article de l'Humanité, on
atteint un stade critique, celui d'un fait divers où le politiquement
correct révèle à la fois toute sa puissance mais aussi
toute sa folie. Le journaliste Lionel Venturini nous apprend qu'un logiciel
américain et politiquement correct vient d'être
commercialisé. Plus précisément, ce logiciel permet de
censurer « en direct », sur le moment même, les
scènes mais surtout les mots tabous de films ciblés grâce
à une base de données
présélectionnées :
« Un nouveau copieur de DVD permet de
supprimer les scènes violentes, érotiques ou argotiques. Ce
« clear play », logiciel à 79 euros, propose donc
des filtres éliminant les scènes critiques dans plus d'une
centaine de films ».
Cette anecdote, dans son invraisemblance, illustre l'aspect
effrayant que peut prendre le politiquement correct qui dans son omnipotence se
révèle sans limites.
Et cette surpuissance tombe aussi parfois dans le burlesque
comme le révèle une dépêche de l'AFP, daté du
6 avril 2006, intitulée « Les dérives du
politiquement correct ».
Le titre évocateur ne relate pourtant à
première vue qu'un fait divers : un jeune garçon
âgé de 11 ans s'est disputé avec un autre enfant dans la
cour de son école, et a traité ce dernier de « Ben
Laden ».
Mais, c'est là que l'affaire prend une tournure
nouvelle : les maîtresses présentes ont informé le
directeur qui en a informé la police.
L'enfant, ou « l'agresseur » a
été présenté au parquet de Salford (Nord de
l'Angleterre) pour « injures racistes ».
Le juge en charge de l'affaire, Jonathan Finestein, s'est
inquiété de ce « politiquement correct dingue qui
dirige un système judiciaire stupide » et a
ajourné le procès dans l'attente d'une décision du
parquet.
Ce qui n'aurait pu être qu'une simple dispute de
récréation est devenue, aux yeux d'une société
ultra médiatique, un fait divers qui, pris dans la mouvance du
politiquement correct, s'est transformé non pas en affaire
d'État, mais en tout cas en querelle de quartier, en procès
régional.
Ici, on ne peut que constater les dangers réels
liés à l'omniprésence du politiquement correct qui
s'impose comme unique juge.
2) Les excès de la
féminisation
Toujours mu par son désir de
fraternité, le politiquement correct ne cesse d'égaliser pour
tous, la langue, avec en son sein, une grande oubliée, la place de la
femme, même si cela doit entraîner certains excès.
S'il n'est pas question ici de plaider pour
l'idéologie féministe, d'expliquer à quel point la femme
depuis la nuit des temps est soumise, oubliée, secondée, par un
Dieu, par un homme, par une société, il n'en reste pas moins
évident que dans son intégralité humaine, dans son
individualité, elle a souvent été présenté
en seconde place, en fond de tableau. C'est donc eu égard au droit
à la différence que des protestations vont naître.
Après avoir revendiqué en mai 1968 le droit
à être libre de leurs actes et paroles tout simplement, les femmes
ont décidé de saisir la balle au bond, celle d'un idéal
sociopolitique qui permet de rétablir dans la langue et donc
peut-être dans les mentalités, le peu d'importance qu'on leur
accorde.
Pour répondre à l'idéologie du
politiquement correct en tant que mouvement offrant aux communautés et
aux minorités visibles le droit d'exister, les femmes vont s'empresser
de s'imposer non pas en tant qu'être de sexe féminin, mais en tant
qu'être de sexe équivalent à celui de l'homme. Et c'est
tout simplement en féminisant les déterminants directs et
indirects, que va se développer cette idée, rencontrant ici et
là, « une maire, la
gymnaste, une marionnettiste, la
député ... ».
Les premières revendications de taille apparaissent aux
États-Unis où les femmes investissent le Governement Printing
Office (organisme fédéral chargé de la publication des
documents officiels) pour mener court au langage sexiste.
Et le résultat est là, comme l'explique Pierre
Merle :
« Cette éminente institution
décida donc tout naturellement de supprimer de ses publications tous les
mots commençant ou finissant par Man (homme), jugés
discriminatoires vis-à-vis des femmes »244(*).
Dès lors, les mots
« supprimés » vont devoir trouver des
remplaçants, des substituts lexicaux dignes de revendications
féministes et d'une langue bienpensante.
La tâche s'annonce alors difficile puisque par souci
d'équité, un anglophone politiquement correct ne devra plus dire
« There is a man in the street » (bien que
« man » soit employé au sens d'homme en
général), mais plutôt « There is a person in the
street ».
Dans la même logique les noms composés du
substantif « man » devront être transformés,
« chairperson » remplaçant par exemple
« chairman » (président d'une réunion de
travail ou autre), et cela autant que faire se peut, même si on
frôle le ridicule comme lorsque le bon usage a cherché à
rebaptiser des expressions telles que « no man's land » ou
« mankind ».
La féminisation est poussé à
l'extrême avec la revendication de l'emploi de
« womyn » en lieu et place de « women »
permettant ainsi de distinguer les femmes (« women »), des
hommes (« men ») desquels elles étaient jusque
là, sémantiquement dépendantes.
Et dans ce même esprit, l'utilisation du pronom
féminin « she » à côté de son
compère masculin « he » est exigé dans les
phrases où le sexe de sujet n'est pas précisé245(*).
Le phénomène bien évidemment
s'étend, et c'est au Canada qu'on décide de bannir la
« Déclaration des droits de l'homme » pour lui
préférer la « Déclaration des droits de
l'humanité ».
La dérive frappe également la France où
« certains mots prennent l'allure d'inculpations
incontestables »246(*). On bannit « l'homme
d'affaire » pour lui préférer le risible
« gens d'affaire ».
Bien que le terme « homme » vienne du
latin « homo » et se réfère à l'humain
au sens générique, le lexique politiquement correct qui s'impose
sans se préoccuper de la langue française exige donc qu'on parle
des « droits de la personne (humaine) » en non plus des
« droits de l'homme ».
Suivant le même schéma, certains mots
formés sur la racine latine Pater, entraînent une
polémique. Peut-on réellement tolérer des mots tels que
« patriotique » ou « parents »
lorsqu'on sait que leur étymologie privilégie l'homme, au
dépend de la femme ?
La démarche est donc claire : on substitue aux
hommes et aux femmes tous les hommes et toutes les femmes, autrement dit
l'espèce humaine dans son intégrité annihilant ici toute
forme de différence. C'est donc cette configuration idéelle que
souhaitent construire les féministes dans la langue.
Mais leurs revendications dépassent le simple refus des
termes présentant l'homme dans son unicité (détenteur
d'une loi, d'un titre, d'un rôle, d'un droit, d'un poste ...) pour
s'attaquer plutôt à l'homme
« grammaticalement » si l'on peut dire.
Ainsi, les femmes ne veulent pas simplement être
« Madame le député », ou se présenter
comme « femme médecin ».
Ce désir de féminisation des noms de
métier est éminemment politiquement correct bien que
l'idée surgisse quelque temps avant la naissance plus ou moins
officielle du dit-phénomène en France.
C'est en mars 1986 qu'une circulaire sur la
féminisation des noms de fonction est présentée.
Malgré la rectification de certains linguistes qui ont
utilement précisé que la distinction entre genre masculin et
féminin n'était pas le fait d'une différenciation sexuelle
mais celui d'une opposition entre genre marqué et non marqué, la
circulaire est tout de même présenté comme une solution
à la lutte contre le lexique sexiste du français.
Ainsi, on va privilégier dans un premier temps, la
féminisation « à la
Québécoise » : on garde la terminaison en
« EUR » à laquelle on ajoute seulement un E final.
On parlera alors dorénavant, d'une
professeure, d'une auteure, d'une
ingénieure, préférant cela à la
féminisation française, imposant la terminaison en
« EUSE », qui peut parfois se révéler
délicate d'un point de vue sémantique247(*).
Le langage politiquement correct continue alors à
suivre ce chemin, dépassant le simple stade des revendications
féministes pour s'imposer comme une correction linguistique
évidente.
Néanmoins, certains mots posent problème. Ainsi,
comme le relève P.Merle248(*), le présentateur du flash-info sur France
Inter en novembre 2001, s'emmêle les pinceaux en évoquant
« la substitut du procureur »249(*) puis « la
substitute du procureur ».
Le parti pris est délicat surtout quand il se
mêle à la mode ou à l'humeur.
Les locuteurs du politiquement correct pêchent alors
parfois sur certaines étourderies, tous n'étant pas à
l'abris d'une inattention comme le montre l'anecdote relevée par
P.Merle :
« Le 7décembre 1997 sur
France-Inter, on nous apprend que la ministre de la Justice
Elisabeth Guigou a été prise d'un léger
malaise, et que par conséquent le garde des Sceaux a
été transporté à l'hôpital
du Val-de-Grâce »250(*).
L'usage du politiquement correct reste donc délicat
puisque ici pour parler de la même personne, E.Guigou, deux genres sont
utilisés, le féminin d'abord, puisqu'il s'agit d'une femme, et
laissant en quelque sorte la nature revenir au galop, le locuteur oublie ses
lois de bienséance et emploi le genre masculin.
Emprunte des attentes féministes, la bienséance
tombe également dans quelques maladresses lexicales avec par exemple la
féminisation du terme « sans-papier » datant de
1997 :
« Était-il bien normal (...)
que seuls existent des sans-papiers (...) alors qu'il y a aussi des femmes qui
sont sans papiers ? Non ! Alors furent créées les
sans-papières »251(*)
L'une des autres astuces propres à la
féminisation consiste à résider dans l'emploi permanent du
substantif « femme », notamment devant des noms de
métiers que la pensée commune voulait réserver aux hommes.
Si cette astuce a permis de justifier l'égalité
linguistique, elle n'a pas empêché néanmoins la redondance
des expressions telles que « femme policière, femme
camionneure ... ».
Dans cette même optique, on notera quelques
années plus tard, en 2001, une nouvelle trace de féminisation
excessive avec l'emploi admis du terme « une temps
partielle » pour désigner une employée
à temps partiel, et celui de
« pédégère », encore
plus laid que son homonyme masculin.
Cependant, c'est en voulant prouver sa bonne foi envers la
parité que le politiquement correct exerça une
réciprocité lexicale envers les professions estampillées
féminines, comme ce fut le cas notamment avec le titre de sage-femme
qu'on pouvait devoir légitimement masculiniser en « homme
sage-femme » « comme l'explique le Petit Larousse 1998,
la profession étant devenue accessible aux hommes depuis
1982 »252(*).
Ainsi donc, les pressions faites sur la langue par
les groupes féministes trouvent un écho retentissant grâce
au pouvoir du politiquement correct qui dans un élan
révolutionnaire d'égalité pour tous, désenclave la
langue de tous les termes sexistes, et impose une reconnaissance
légitime des femmes victimes de la société et jusque dans
la langue, même si cela tend parfois au burlesque.
Mais si l'excès peut ici sembler plein de charmes, ce
n'est pas toujours le cas.
Il trouve parfois place là où on ne l'attendait
pas, entre étonnement et consternation.
3) Blanche-Neige sans les sept nains : Index
des contes et de la littérature de jeunesse
La culture politiquement correcte ... culture infantile,
processus d'édulcoration du réel, culte de la candeur, de la vie
en rose...
Et pourtant.
Il est assez étrange que l'univers politiquement
correct pour lequel on se plaît à employer autant de termes
propres au domaine de l'enfance soit justement si peu apte à s'entendre
avec ce dernier.
En effet, ce n'est pas un hasard si nous avons choisi de nous
pencher en particulier sur le paradoxe qui existe entre le monde merveilleux
pressenti et rêvé par le politiquement correct, et celui que nous
offre la lecture des contes de fées ou des romans pour enfants.
Car si les deux acteurs tentent d'aboutir à un
même scénario, celui d'un monde où « tout le
monde est beau, tout le monde est gentil », il s'avère que
l'entente n'est pas des plus cordiale.
Le conte pour enfant est probablement le dernier des
domaines où l'on s'attendait à rencontrer les exigences du
politiquement correct.
Que redire à un conte vantant les mérites d'un
vaillant prince venu délivrer sa dulcinée des horribles griffes
d'une vilaine sorcière ? De même quel problème peut
bien poser l'amitié de Blanche Neige et des sept nains ? Que
peut-on reprocher aux trois petits cochons qui se protègent du grand
méchant loup ?
À priori rien n'est dérangeant, sauf qu'ici, aux
yeux du politiquement correct, pratiquement tout est inacceptable.
Ce n'est pas tant les héros ou les situations qui le
sont, que le vocabulaire employé pour en parler.
Car si la plupart du temps, « ils vécurent
heureux, se marièrent eu eurent beaucoup d'enfants », avant
tout cela, princes et princesses ont du affronter les aléas de la vie,
incarné ici par des monstres, des sorcières, des animaux
terrifiants, des pièges diaboliques, des péripéties
infernales et parfois même ils se sont battus contre la maladie ou la
mort.
Le politiquement correct étant l'affirmation d'un mode
de pensée, c'est finalement aussi l'affirmation d'un choix d'expression
opposant, fière d'un manichéisme récurrent, bonne et
mauvaise lecture, autrement dit livres orientés ou tendancieux,
bientôt censurés.
Ainsi, la purge commence très tôt, dès
1950 avec la série des Babar, roi des
éléphants de Jean de Brunhoff 253(*) au sein de laquelle les
trois premiers livres se présentent comme les victimes d'une morale
extrémiste qui impose de supprimer tous les moments dramatiques.
Dans Babar le petit éléphant, la
maladie du chef de la tribu ainsi que la mort de la mère du jeune
héros par un cruel braconnier n'apparaissent plus ; dans Le Roi
Babar on va même jusqu'à supprimer un incendie dans le camp
des éléphants et les cauchemars du dit roi (Babar d'ailleurs n'a
plus aucune raison de pleurer la nuit puisque la mort de sa mère n'a pas
eu lieu).
Ces omissions volontaires, caractéristiques du
règne de la censure, vont en se multipliant.
Quelques années plus tard, en 1980, alors que le
politiquement correct en est encore à son éclosion, une action
d'élus départementaux tente de faire retirer des rayons des
bibliothèques une centaine de titres sous prétexte qu'ils peuvent
perturber les plus jeunes, avec notamment en tête de liste, Un sac de
billes de Joseph Joffo (la guerre en fond narratif serait susceptible de
traumatiser le lecteur) et Mon ami Frédéric de Richter (
qui nous raconte la montée du nazisme).
Ce procédé appliqué à une
littérature de jeunesse frôle ici le négationnisme.
Un autre sujet tabou est renié de beaucoup
d'ouvrages, celui du sexe, et à travers lui, la reproduction, à
tel point qu'on tente, comble du ridicule, d'en faire un
phénomène inhumain au sens premier du terme.
Si l'on peut penser que ce moralisme fort discutable, est
propre à une société où les moeurs étaient
encore pudibondes, on est surpris de constater que l'évolution sociale
ne change pas grand chose.
En effet, paraît aux éditions Gallimard en 1996
un atlas, La magie du corps humain, qui au chapitre
« D'où venons-nous ? », traite de la conception
en l'illustrant par la photographie d'une statue représentant un couple
et son enfant avec comme légende : « L'élan
vital soutenu par l'amour attire l'homme vers la femme pour
créer ».
Ici, face à un sujet tabou empreint d'un moralisme
rébarbatif, et qui est présenté en pleine vague du
politiquement correct, la censure, bien que discrète, est
réelle.
La même année, Nathan publie Mon grand livre
du corps, et là encore, on frôle le ridicule avec le chapitre
sur la digestion représentant par un dessein au combien discutable,
l'appareil digestif, illustré par ce texte : « La
digestion commence au niveau de la bouche et se termine au niveau du
rectum »...dans le dessein il y a bien la bouche, mais de rectum
point.
Le même oubli est visible dans le schéma de la
vessie où l'on voit deux reins reliés à la vessie, mais
rien ensuite, alors que le texte indique : « Quand ta vessie
est pleine, tu vas aux toilettes pour la vider »...oui mais
comment ?
Et tout le livre n'est qu'illustrations de corps
asexués. Gageons que le politiquement correct y est pour quelque chose.
Quoi qu'il en soit, la punition est rude. Comment
espérer mettre fin au mythe de la cigogne, de la rose ou du chou en ce
début des années 1990, si ni les images, ni les mots, ne
permettent à l'enfant de se représenter le réel.
Plus que la sexualité, c'est le corps entier qui est
« taboué », censuré, terrain fertile au
politiquement correct qui sème ses termes, ses lois, ses dictats.
Malheureusement, il n'est pas la seule victime.
Le mal est plus profond, plus installé, à tel
point que le politiquement correct, en toute impunité, présentant
une sorte d'Index, en vient à reformuler les contes de notre
enfance : les sorcières (qui ne doivent plus être
nommées ainsi) ne sont plus ni laides ni cruelles, mais simplement
esthétiquement différentes et en déficit
d'affectivité.
J-P. Léonardini dans Sauve qui peut la
langue, nous confie que La petite sirène d'Andersen n'est
plus blanche (l'adjectif n'est plus mentionné nulle part dans le conte)
et que La petite fille aux allumettes, quand à elle,
ne meurt plus de faim puisqu'elle devient riche et donc heureuse. Si, si...
De même, le site Lmsi nous présente, après
expurgation, une édition des contes de Grim où l'on retrouve une
belle jeune femme à faible mélanine et ses sept amis
à verticalité différée, version donc
qui :
« (...) destitue Blanche-Neige et
édulcore les sept nains pour ne heurter ni nos amis
afro-américains, ni les personnes d'une taille
alternative ».
C'est dans le même esprit que l'auteur James Finn Garner
propose dans son Politically correct bedtime254(*),
« tâche de salubrité publique », un
aperçu des contes de notre enfance, enfin expurgé
« de tous les préjugés odieux qu'ils
véhiculaient ».
Ici, l'attitude politiquement correcte, appliquée aux
contes les ridiculise, les destitue de leurs caractéristiques
principales (il y a toujours dans les contes une sorcière, un ogre ou un
« méchant » qui cherche à piéger ou
tuer le héros, alors qu'ici, plus rien), et les dénature à
tel point qu'ils en deviennent parfois incompréhensibles.
C'est d'ailleurs ce qu'illustre parfaitement le travail
réalisé par des élèves de Terminale de
l'académie d'Amiens, sur l'initiative de leur professeur de
français.
Ce travail ironique offre une perspective très
intéressante, puisqu'il traduit quatre grands classiques des contes pour
enfants, en version politiquement correcte255(*).
On prend alors conscience, non seulement de l'ampleur du
politiquement correct, mais aussi de sa pesanteur.
Le politiquement correct en s'imposant dans le monde des
enfants crée un cercle vicieux.
En excluant des contes ou de la littérature de jeunesse
tous les éléments perturbateurs jugés immoraux ou
traumatisants (nains, sorcières, héroïne blanche comme la
neige, monstres et décès), il propage l'idée d'un monde
idéal, et reprenant le credo du « tout va pour le mieux dans
le meilleur des mondes », impose une vision déformée de
la réalité.
Sorte d'embrigadement, formatage de l'esprit, le politiquement
correct oblige les enfants à croire en un monde parfait.
Dès lors, lorsqu'ils se retrouvent confrontés
à la réalité, les enfants du politiquement correct
s'étonnent de ce qu'ils ne connaissent pas, et, devenus jeunes adultes,
s'insurgent contre une langue immodérée qui ne ménage
personne, qui n'a de considération pour rien.
Enfants de Candide et de Pollyana, la boucle est
bouclée, et les jeunes recrues ne parviennent que difficilement à
s'échapper du joug parental, assurant ainsi au politiquement correct de
beaux jours devant lui ou tout du moins une certaine cohérence, une
utilité reconnue de droit public.
Limites, dérives, excès... peu importe les
termes utilisés puisqu'ils révèlent tous une seule et
même chose : le politiquement correct, caché par le masque de
la bonne conscience est loin de toujours répondre à son
idéologie première.
Face à cette abrupte constatation, comment croire
encore en ce nouveau fait sociolinguistique ?
III/ Être ou ne pas être politiquement
incorrect : la nouvelle donne existentialiste
Le politiquement correct qui semble avoir perdu ses lettres de
noblesse, est abandonné et attaqué de toutes parts.
Présenté comme expression repoussoir, symbolisant la
rigidité, la pensée unique, il n'est plus simplement l'art de
bien pratiquer la langue de bois, il devient, pour reprendre un
néologisme charmant, l'art du
« complexificationnage ».
Illustrant l'adage « pourquoi faire simple quand on
peut faire compliqué ? », il n'est plus qu'une
manipulation langagière.
Fondé sur un leitmotiv qui dit toute l'hypocrisie de
son essence, ses opposants prouvent l'inutilité de sa
démarche.
De fait, puisque le politiquement correct ne sert à
rien et ne trompe plus personne, moqueries et injures coulent à flot.
1) De l'humour à l'ironie, le politiquement
correct ridiculisé
« Le
politiquement correct est la meilleure des choses que l'on ait inventées
pour permettre aux imbéciles de l'ouvrir, et obliger les gens de bon
sens à la fermer » (P. Pigeolet)
A- Un jeu burlesque sur la langue
La dérision semble être la
méthode la plus utilisée pour se démarquer des
proclamateurs politiquement corrects256(*).
Lorsqu'on ridiculise la langue française à
l'extrême, on est confronté à la vision la plus accablante
du politiquement correct qui, dépassant le simple stade du parler
hexagonal ou précieux, se présente comme la métamorphose
pathétique d'une langue. Emmuré dans son utopie, le politiquement
correct s'est déplacé sur le terrain d'une grotesque
charité.
La bienséance, facilement ridicule parce que
fondée sur un lit de bons sentiments, suscite aisément la
moquerie, « discours emphatique bercé de litanies de
causes altruistes (...) posture prométhéenne ».
Elle incarne :
« L'ère du français
phraseur et flatteur, une langue à l'esbrouffe faite de formules
toujours plus nulles ou décalées »257(*).
C'est en tout cas cet aspect principal qui émerge
lorsqu'on fait un tour d'horizon des sites Internet sur le sujet, puisqu'on
constate que la plupart est consacré à l'aspect humoristique pour
ne pas dire ridicule de ce langage taboué.
En effet, comment ne pas sourire lorsque pour parler d'une
personne sensible on use de la périphrase « personne
conditionnée émotivement » ? Comment ne pas
rire lorsqu'on entend une institutrice dire à un élève
« cesse tes métamorphoses
posturales » au lieu du simpliste « arrête
de bouger » ?
De même, comment ne pas être
déstabilisé si notre chère et tendre nous déclare
« tu es mon objet d'aimance »,
préféré à la trop classique déclaration
« je t'aime »...
Si la vision que nous proposons ici du politiquement correct
est très caricaturale et en une certaine mesure, faussée, c'est
pourtant celle-ci que tendent à mettre en avant la plupart des sites
consultés, et notamment les forums de discussion au sein desquels
certaines personnes, jouant en quelque sorte aux devinettes, s'amusent à
ne communiquer qu'en politiquement correct.
Ainsi par exemple, dans un chat où deux locuteurs
s'entretenaient sur une auteure francophone, l'un d'eux écrivait
« elle s'affirme dans son unicité, c'est une hexagonale
convaincue (...) c'est un organisme explicite dans la réalité des
vivants et dans la relation commune avec l'autre ».
Ici on est interloqué. Au prime abord, la
séquence est quasiment incompréhensible.
Le même locuteur en donne la traduction dans les lignes
suivantes : «elle est unique, c'est une vraie française
(...) elle est spécialiste en ce qui concerne la vie et
l'amour ».
Toujours sur le même site on trouve un peu plus loin
différentes traductions de séquence d'hexagonal (comprenons ici
de français bienséant) en phrases de langue française
(sous-entendu de langage standard). Voici deux d'entre elles :
Séquence 1)
En hexagonal : « Ceci va faire
naître des risques d'incertitudes dans l'esprit, au plus profond de votre
âme (sa finalité est rationalisée) à vous d'y
investir une somme de pensées convaincantes et pertinentes ...
explication parvenue en sujets collectifs, je ferais découvrir
l'explicite de cela »
En français : « Cette de
vinette n'est pas si simple (c'est étudié pour) à toi de
bien y réfléchir... donne ta réponse en commentaires et je
donnerais la mienne ».
Séquence 2)
En hexagonal : « C'est un existant
ambitieux de très haut rang, il m'accepte comme telle (lui étant
l'unique fondateur de ce bien-être) quelque fois ses attitudes mentales
m'échappent, jamais il ne me minimise, c'est un
psychédélique convaincu et mon coeur l'accepte avec certitude
comme le premier des existants ambitieux, par conséquent, ne le
victimisez jamais ».
En français : « C'est un ami
qui m'est cher, il me tolère et c'est bien un des seuls ! Jamais il
ne me sous-estime, il est capable de tout quand il le veut vraiment, et je
l'adore vraiment, donc ne lui faites jamais de mal ».
Ce site se conclue sur les commentaires d'un des visiteurs qui
explique tout l'intérêt du politiquement correct. Selon lui c'est
un jeu linguistique, une sorte de code, un peu comme le javanais des cours de
récréation, en plus complexe bien sur.
Ici on est bien loin de l'utopie première du
politiquement correct. Avec le temps, il s'est démocratisé, non
pas dans sa forme, mais bien dans son usage, puisque tout le monde le parle
pour être bien « vu ».
B- Une cabale ridiculisée
Devenu notion fourre-tout, le politiquement correct qui est
utilisé à tout va, perd le symbole de sa préciosité
langagière et adopte de nouvelles règles.
Prônant un aspect multiculturel du langage (on use
d'anglicismes, de technolectes, d'un jargon psychologique...) le nouveau
politiquement correct, toujours servit par un abus d'euphémismes se
reconnaît dans sa capacité à laisser coi ses interlocuteurs
et auditeurs.
Cette réalité qui lui est toute personnelle, et
qui est par ailleurs profondément incompatible avec la fonction de
communication propre au langage, tend à devenir omniprésente chez
ses locuteurs, à tel point que le contenu sémantique de certains
mots est parfois annihilé.
Un journaliste des Échos ironise à ce sujet en
montrant à quel point le politiquement correct, spécialement dans
le milieu des affaires est ridicule :
« Dites : `` Nous assistons
à une forte réduction de la visibilité à moyen
terme sur notre marché''. C'est mieux que : `` On s'est
planté ce trimestre'' (...) plutôt que d'annoncer `` On s'est
lourdement trompé et il va falloir licencier'', dites plutôt `` On
va faire jouer l'effet de levier de nos synergies, pour capitaliser sur notre
paradigme intellectuel de base'' »258(*).
C'est dans ce même esprit moqueur que R.Beauvais
rédige son lexique traduisant le français bon usage en
français courant, L'Hexagonal tel qu'on le parle, où il
met en avant, plein d'ironie, l'indéniable emphase qui
caractérise ce discours.
Il traduit dans un usage courant de la langue toutes les
phrases bienséantes qui nous laissent sans répliques tellement
elles nous sont incompréhensibles.
Dans ce manuel décryptant les us des conversations en
politiquement correct, l'auteur s'intéresse à de multiples
domaines organisés par chapitres : la famille (« Comment
va votre épigone ? » pour parler du petit-fils),
l'artisanat (« Auriez-vous les coordonnées d'un
capilliculteur ? » pour demander le numéro de
téléphone d'un coiffeur), le monde du travail
(« Nos marges sont substantielles » pour
« Les affaires vont bien »), l'université
(« C'est un séminaire à fonction
théorique pluridisciplinaire » pour « C'est un
cours où on enseigne plusieurs matières »)...
R.Beauvais dénonce également les conversations
pleines de lieux communs : « Le recours aux
hallucinogènes est consubstantiel à l'incomplétude
fondamentale » pour « L'abus de drogues vient d'une
sentiment d'insatisfaction ».
Il se moque par la même de la tonalité
politiquement correcte et de ses marques imposées dans des phrases
redites maintes et maintes fois, devenues quasiment à force, des
adages : « Nous nous trouvons en présence
d'une perspective univoque » pour « Il n'y a pas
trente six solutions » ainsi que des phrases banales
à tonalité populaire : « Ils sont
liés par un facteur de cohésion extrinsèque d'ordre
socio-affectif » pour « Ils s'entendent comme
larrons en foire ».
Le milieu politique, propice aux paraphrases et
euphémismes est également attaqué avec des emphases comme
« La prévalence des novations est au premier plan
des préoccupations gouvernementales » au lieu de dire
« Le gouvernement est partisan des réformes avant toute
chose ».
Tout au long de ce livre riche d'exemples illustrant l'ampleur
risible du phénomène, R.Beauvais qui joue au vrai hexagonal,
tente d'assommer le lecteur de toute la stupidité propre à la
pédanterie de ce type de discours.
Il conclue d'ailleurs en précisant que ce charabia en
vogue, pandémie des temps modernes, est dangereux.
Par une métaphore filée le présentant
comme un poison ou tout du moins comme un virus, il tente d'anéantir,
toujours plein d'humour, les excès du politiquement correct qui dans
l'enfer verbal qu'il impose provoquent « vertiges (...) et
bourdonnement intérieur lancinant »,
symptôme d'une maladie d'un nouveau genre.
Ici, l'auteur, par l'intermédiaire de cet ouvrage qui
ridiculise le politiquement correct prouve non seulement son inutilité,
mais aussi sa dangerosité d'un point de vue psychologique,
communicationnel, et quasiment métabolique « s'il vous a
servi de vaccin, ce livre aura atteint son
but »259(*).
Si la condamnation n'est pas toujours aussi vindicative, nous
sommes bien obligés de constater que le nombre des adhérents du
politiquement correct ne cesse de croître.
Le phénomène critiqué perd maintenant
toute légitimité et l'individu non autonome,
déterminé par la société, semble laisser place
à un « Je cartésien », individu pleinement
auteur de la société qu'il habite.
2) Le politiquement correct, vendu et pendu
S'il est évident que le politiquement correct est
reconnu par tous comme le phénomène sociolinguistique majeur de
ces trente dernières années, il semble néanmoins difficile
de faire lier ses exigences lexicales avec le traitement des mots dans les
dictionnaires, qui ne doivent idéalement subir aucunes prises de
position.
A- Une impossible norme dictionnairique
Si les dictionnaires devaient répondre aux exigences
lexicales du politiquement correct, hormis le fait que cela entraînerait
la disparition de plusieurs dizaines de mots, cela instaurerait
inévitablement une représentation faussée de la langue. Et
parce que le dictionnaire doit se faire instance représentative du
langage courant, il ne peut voiler ni la langue, ni la
réalité.
Le lexicographe a pour mission de représenter au mieux
et le plus objectivement possible la langue, et non pas le rapport
langue-société.
Ainsi, si un lexicographe quelque peu machiste doit
éviter toute illustration sémantique par des exemples
stéréotypés tel que « La femme fait le
ménage, l'homme lit son journal », il ne doit pas non plus,
sous prétexte de s'accorder à une morale bienpensante, risquer le
ridicule en écrivant « La femme lit son journal, l'homme fait
le ménage ».
Pour le lexicographe, le mot est une entité propre au
langage, et les connotations qui lui sont rattachées ne doivent pas
envahir sa définition.
Inclure dans un dictionnaire la pensée politiquement
correcte au point de la présenter comme un nouveau déictique, et
de modifier l'explication sémantique d'un mot, est impensable puisque
cela anéantirait tout esprit dictionnairique.
Lorsqu'un lexicographe a à traiter le mot
« nègre » par exemple, il ne doit pas s'abstenir de
donner l'intégralité du sens de ce terme, au nom d'une gêne
éthique.
Car ancrer le langage dans une telle perspective risquerait
d'entraîner une véritable absence lexicale.
Le mot « nègre »,
désigné coupable eu égard à toute l'histoire que la
langue y rattache, ne doit être pour le lexicographe, qu'une unité
lexicale équivalente à toutes les autres. Ce terme ne doit pas
être banni du dictionnaire par peur de porter préjudice à
une minorité.
Dès lors, si le dictionnaire garantit la valeur
sémantique et non idéologique d'un mot, il ne peut
répondre aux attentes du politiquement correct.
Pour preuve, quelques définitions relevées dans
différents dictionnaires de langue française (le Petit
Robert 2003, le Robert junior illustré de 1999, le
Petit Larousse illustré de 2005, le dictionnaire
Hachette de 1998), prouvent la force de l'instance dictionnairique,
là où l'univers politiquement correct aurait exigé, face
à ces mots dérangeants, moult changements :
- Termes concernant l'apparence physique :
* Gros :
-Qui est plus large que la moyenne des êtres
humains ; corpulent, empâté...(P.R)
-Personne corpulente - Subst. Un gros, une grosse
(Hachette)
* Handicapé :
-Personne qui est infirme ou dont le développement
du cerveau est anormal (Robert junior)
-Se dit d'une personne atteinte d'un handicap ou
défavorisée de façon quelconque (P.L)
* Laid :
-Qui produit une impression désagréable en
heurtant le sens esthétique (P.R)
-Dont l'aspect heurte le sens esthétique,
l'idée qu'on a du beau (P.L)
* Nain :
-Personne d'une taille anormalement petite ;
avorton... (P.R)
-Personne beaucoup plus petite que la normale (Robert
junior)
- Termes concernant les origines et les ethnies :
* Arabe :
-Originaire de la péninsule arabique (...) du
Maghreb : maghrébin. Jeune arabe de la 2e
génération : beur (P.R)
-Qui se rapporte à des arabes (P.L)
* Juif :
-Nom donné depuis l'exil aux Hébreux
(P.R)
-Personne appartenant à la communauté
israélite, au peuple juif (P.L)
* Noir :
-Qui appartient à la race mélano-africaine
à peau très pigmentée ; race noire ; FAM. Black
(P.R)
-Race des gens dont la peur est très foncée,
nègre (Robert junior)
-Personne mélanoderme ayant la peau noire
(P.L)
- Termes concernant les réalités
politico-sociales :
* Chômeur :
-Travailleur qui se trouve involontairement privé
d'emploi, sans-emploi, demandeur d'emploi (P.R)
* Clochard :
-Personne socialement inadaptée, qui vit sans
travail ni domicile, dans les grandes villes ; FAM. Clodo, mendiant,
SDF... (P.R)
-Personne pauvre et souvent alcoolique qui vit sans
travail ni maison (Robert junior)
-Personne qui, en milieu urbain, est sans travail ni
domicile et vit de mendicité, d'expédients (P.L)
* Immigré :
-Qui est venu s'installer dans un pays qui n'est pas le
sien (Robert junior)
* Prostitution :
-Avoir des relations sexuelles avec quelqu'un pour de
l'argent et le faire souvent (Robert junior)
-Acte par lequel une personne consent à des
rapports sexuels contre de l'argent ; état d'une personne qui en
fait son métier (P.L)
- Termes concernant la sexualité :
*Faire l'amour :
-Relation sexuelle, avoir des rapports sexuels ; FAM.
Baiser, coucher, forniquer (P.R)
*Sexe :
-Partie du corps située entre les cuisses et qui
est différent chez les hommes et chez les femmes : testicules et
vagin (Robert junior)
-Ensemble des caractères qui permettent de
distinguer chez la plupart des êtres vivants le genre mâle et le
genre femelle (P.L)
- Termes concernant la maladie et la mort :
*Cancer :
-Tumeur ayant tendance à s'accroître,
à détruire les tissus voisins et à donner d'autres tumeurs
à distance de son lieu d'origine (P.R)
-Maladie très grave provoquée par des
tumeurs qui détruisent le corps (Robert junior)
-Tumeur maligne caractérisée par la
prolifération anarchique des cellules d'un organe (Hachette)
* Mort :
-Arrêt de la vie, décès,
disparition (Robert junior)
-Fin de la vie, cessation définitive de toutes les
fonctions corporelles (Hachette)
Ici, force est de constater que les définitions de ces
termes-cibles, taboués dans le langage politiquement correct, sont, si
l'on se fonde sur les bases de la bienséance, profondément
politiquement incorrects, dans la mesure où le traitement
sémantique, les exemples et les synonymes proposés ne
ménagent nullement le lecteur qui est confronté à la
vérité. Le nanisme est présenté comme une tare
physique, l'homme de couleur appartient à la race noire, et le clochard,
subissant un fléau contemporain, est condamné à la
pauvreté, tandis que la sexualité expose toute sa crudité
et que la mort impose toute sa cruauté.
Et si certaines définitions peuvent paraître
choquantes, elles ont toutefois le mérite de remplir leur
rôle : définir les diverses acceptions d'un mot.
Étant impossible d'intégrer l'idéal
politiquement correct aux définitions des dictionnaires de langue, faire
valoir du bon usage, l'idéologie bienséante va vite être
pointée du doigt.
Annonçant l'amère goût d'une trahison,
cette Novlangue des temps modernes va devenir la principale source de
déformation linguistique. Entre caricature tranchante et contestation
sérieuse, et de la moquerie à l'injure, est signé
lentement son arrêt de mort.
B- Le politiquement correct à reculons
Le politiquement correct, devenu synonyme de
veulerie, on utilise avec fierté le politiquement incorrect,
indéniable label de qualité intellectuelle, pour désigner
des propos personnels et anti-conformistes qui osent prendre le risque de
déranger ou de choquer.
Pour contrer les différents auteurs des ouvrages sur le
politiquement correct qui ne remarquent dans ce phénomène que ce
que leur propre correction politique leur recommande de remarquer, les
détracteurs du politiquement correct vont s'imposer par des
dictionnaires ou des oeuvres qui vont rester clés dans cette
volonté de dénigrement et de négationnisme.
Et ce désir de dire le politiquement incorrect s'appuie
sur une base solide, celle de la liberté de penser.
De fait, nous allons constater dans cette mouvance, une
évolution dans la définition de la locution
« politiquement correct ». La définition
proposée par le logiciel Words offre un aspect nouveau en analysant la
locution sous l'angle de ses principaux défauts :
« Politically correct
adj.(1970): conforme à un corps de doctrine
d'inspiration libérale ou radicale (...)
caractérisé par (...) le rejet d'un
langage ou d'un comportement, etc., considéré
comme discriminatoire ou offensant (...) souvent utilisé dans un sens
ironique par ceux qui n'épousent pas ces thèses
(...) ».
Langage du conformisme, de la censure, donc, cette
récurrence se retrouve également dans le supplément du
Trésor de la Langue française qui propose ceci :
« Manière d'exprimer sous une forme
codée, dans une phraséologie
stéréotypée et dogmatique, à
l'aide d'euphémismes, de lieux communs, de termes
généraux et/ ou abstraits, un message
idéologique (...) compris dans son vrai sens par un petit
nombre d'initiés ; p.ext. tout langage qui s'alimente au
dictionnaire des idées et des formes
reçues ».
Cette définition très pertinente tend à
présenter le politiquement correct sous un jour nouveau puisque pour la
première fois on l'envisage comme un langage d'influence (termes en
gras) pouvant sembler presque dialectal à des novices.
Ici donc, l'adverbe « politiquement »
prend toute l'ampleur attendue.
Ce qui est également mis en avant à travers ces
lignes c'est la dépendance du politiquement correct aux
préjugés (« lieux communs ; formes
reçues »).
Lorsque G. Flaubert entreprit son fameux dictionnaire du
même nom, il tentait de se libérer de la sottise qui l'entourait
et qui s'exprimait dans la paresse langagière. Il se faisait en quelque
sorte précurseur du refus de la préciosité
langagière.
On retrouve de nos jours la même analyse, notamment avec
F.Brune qui préconise vivement dans l'avertissement de son
ouvrage260(*) de
refuser, de renier, d'oublier le politiquement correct qui
inévitablement, mène d'une manière ou d'une autre à
la stupidité.
S'il affirme que « dans un monde où la
bêtise est virulente, il faut rendre l'intelligence
contagieuse », c'est bien parce qu'il perçoit dans
l'usage du politiquement correct, un danger pour l'épanouissement de la
langue et de la pensée.
En présentant le politiquement correct comme une
modalisation discursive déformante, F.Brune ne confère à
ce phénomène aucun autre rôle que celui de la
réduction burlesque de tout un lexique jugé inconvenant. Ainsi,
dans un ouvrage de presque cinq cents pages au titre très ironique, il
établit un lexique virulent et succulent de ce qu'il ne faut jamais dire
si l'on veut adhérer à la mouvance politiquement correcte.
Nous avons choisi de retranscrire ici les définitions
les plus cyniques :
« -Avortement : mieux que la solution finale,
c'est la solution initiale : elle résout les problèmes avant
qu'ils ne se posent ;
-Baiser : soin palliatif ;
-Blacks : désignation antiraciste de ceux que
les racistes nomment Noirs ;
-Chômage : paresse ;
-Chômeurs : malade de longue durée dont
la maladie profite à ceux qui ne l'ont pas ;
-Décès : dysfonctionnement de longue
durée ;
-Maison de retraite : se dit de certaines morgues non
encore climatisées ;
-Mariage des homosexuels : dernier rempart contre
l'IVG ;
-Obésités : aux Etats-Unis, moyen de
communication de masse ;
-Pauvres : on dit toujours que c'est le pauvre qui
paie, cela prouve qu'il ne manque pas de moyens ;
-Seniors : vieux qui tentent, en mimant les jeunes,
de leur transmettre l'oubli du passé ;
-Vérité : dans le discours dominant,
effet d'une défaillance rhétorique »
Par le biais de toutes ces définitions, l'auteur
ridiculise, détériore et en quelque sorte annihile la
pensée commune et unique que prône le politiquement correct, ce
qui n'est pas sans rappeler le sarcasme de certaines des définitions du
Manuel de V.Volkoff, clairement politiquement incorrect, comme nous le
prouve par exemple cette définition :
« Foetus : seul être humain
dont il est politiquement correct de trancher la vie sans réprobation,
et dont la mort est remboursé par la sécurité
sociale »261(*) .
Et c'est sur ce même constat, que de nombreux auteurs
vont jouer la provocation à l'extrême en prônant l'usage du
politiquement incorrect, qui semble apparaître comme la nouvelle marque
d'une préférence linguistique.
C- Sous les normes, la liberté : la fin
d'un règne
« Il y a des choses avec lesquelles on ne plaisante pas, pas
assez ! » (R. Ménard)
En 2004 paraît, sans étonnement, le Petit
traité de l'injure de P.Merle, sorte de relevé
dictionnairique des grossièretés insupportables aux oreilles du
politiquement correct. « Pied de nez à la langue de
bois », pour reprendre l'analyse qu'en a fait C.Duneton, P.Merle
s'intéresse ici aux gros mots tant reniés par la
bienséance, et prouve que la discrimination lexicale est parfois
incompréhensible.
Les valeurs diffusées par le politiquement correct
n'ont pas d'assises réelles, ainsi que le confirme l'ironie de
C.Duneton :
« Le gros mot par excellence, le plus
menaçant (...) en...foiré, n'est plus que l'ombre d'une insulte
(...) pouffiasse traîne quelques relents d'efficacité (...) salope
se porte assez bien, sans doute une question de sonorité heureuse
(...) »262(*).
Ainsi, les auteurs vont miser sur le fait que les
gens sont de moins en moins dupes des simagrées langagières
imposées par le politiquement correct, et ils prônent alors dans
un élan de libération, d'affranchissement, la provocation comme
nouvelle idole, huant Précieux et Tartuffes.
Et les auteurs sont nombreux : entre ironie et cynisme,
on rit d'autant plus que finalement le politiquement correct a offert à
ses détracteurs, clefs en main, les conditions de sa destruction.
La plupart des définitions ne sont en fait rien de
plus qu'une reprise caricaturale de ses commandements :
-Camp de nudistes : Plage d'habillement optionnel
(J-L.Chiflet)
-Chaise de restaurant : Commodité de
la dégustation (C.Duneton)
-Chauve : Personne confrontée à un
défi capillaire (A.Santini)
-Fleur : Compagnon végétal
(L.Ferry)
-Funérailles : Manifestation de masse au cours
de laquelle les manifestants brandissent un cercueil (J-F.Kahn)
-Obsèques : Dernier voyage
bénéficiant d'un tarif de groupe (J-F.Kahn)
-Occasion : Fenêtre d'opportunité
(P.Merle)
-Pauvres : Grévistes de la consommation
(A.Santini)
-Suicide : Contribution personnelle à la lutte
contre la surpopulation (id.)
-Transpiration : Stress hydrique (P.Merle)
C'est un peu dans le même état d'esprit que
Jean-François Kahn un an plus tard rédige Le Dictionnaire
incorrect qui, mêlant satire, farce, dérision, et pamphlet
politico-social, démystifie l'hégémonie du politiquement
correct.
Ce dictionnaire en dénonçant les idées
reçues, la bêtise, le conformisme, prône indiscutablement le
retour au parler-vrai, via une méthode encyclopédiste (au sens du
18e siècle) qui consiste à parler de tout, donc
à démystifier tout vocabulaire condamné, à nier la
notion même de tabou, dont la définition, interne à ce
dictionnaire est d'ailleurs des plus savoureuses :
« Tabous : évoluent selon
les époques. Aujourd'hui on peut dire « bite » et
« enculé », même au cours d'un dîner
mondain, mais on ne peut plus dire « prolétaire » ou
« lutte des classes ». Il y a 50 ans c'était
l'inverse ».
Et si ce terme fait écho à la définition
de la bienpensance, présentée comme fléau des temps
modernes, ce n'est pas sans hasard :
« Bien-pensance : consensus
normatif (...) qui s'appuyant sur le pouvoir médiatique dominant,
instrumentalise l'intelligentsia dominante pour imposer une quasi dictature
idéologique (...) ce qu'on appelait, en autre temps, la `` ligne du
parti'', le `` cercle de la raison'' ».
Avec ce dictionnaire, J-F.Kahn entend dénoncer et
critiquer ce qui jusqu'alors était protégé par le cachet
« norme française » du politiquement correct.
Et qu'il exerce sa provocation avec humour ou cruauté,
elle est omniprésente :
- « Allah : est grand. Il faudrait nous
expliquer comment un dieu unique pourrait être petit. Et pourquoi,
surtout, il convient de répéter ce stupide pléonasme
plusieurs fois par jour. Y'aurait-il un doute ? »
- « Marie : mère juive. Maman du
fils du père. A fait un enfant toute seule. Seul cas connu
d'insémination artificielle par rayon divin, méthode ancienne
intitulée `` opération du St Esprit'' »
Et du plus odieux des sacrilèges, il passe à un
relativisme des plus cynique :
- « Auschwitz : vertigineuse
bienséance du siècle (...) production de masse de l'effacement de
masse (...) la socialisation planifiée du meurtre exceptionnellement
alliée au capitalisme du carnage. Dieu même pas sur
répondeur (...) »
- « Plan social : Décision
antisociale qu'on a du prendre par absence de plan. Synonyme de licenciement
collectif ».
Cependant, avec de tels commentaires, J-F.Kahn court le risque
de susciter de vives polémiques. Dans les définitions d'Allah et
de Marie notamment, la parole divine est remise en cause, invoquant
incontestablement, une tonalité blasphématoire.
On prend alors céans conscience d'une donnée
nouvelle : si le discours politiquement correct, trop intensif, a subit
moult excès dérangeants, le discours politiquement incorrect,
noyé dans un flux de paroles enfin libérées, peut
être confronté aux même revers.
3) Une dérive prévisible : le
refus du politiquement correct ou l'acquiescement de la haine
« Soyez abjects, vous serez vrais » (M.
Houellebecq)
Sous prétexte de condamner le politiquement
correct, certains auteurs ou usagers abusent du politiquement incorrect
à tel point que malgré la satire ou l'humour mis en avant, une
gêne persiste.
Pour répondre à cette idée, il nous
semble indispensable d'évoquer l'excellent Nouveau dictionnaire des
idées reçues, d'Alain Schifres qui, plein de cynisme, offre
à ses lecteurs dans la préface intitulée
« pour se rendre intéressant à peu de
frais », quelques « conseils »
primordiaux :
« 1) Faire l'éloge vibrant
d'une personne dont personne n'a rien à foutre ; 2) Refuser le
politiquement correct. Défendre la cause de Milosevic ou Saddam Hussein
(...) Avoir pour auteur de chevet un écrivain antisémite.
Descendre Godard (...) Faire son Nietzschéen (...) D'un grand
écrivain rabaisser les chefs-d'oeuvre. Dire de Flaubert qu'il est
meilleur dans le court ».
A. Schifres concocte ici une sorte de recette illustrant les
pièges et astuces à éviter et à suivre pour se
déclarer officiellement anti-politiquement correct.
Il suit ses propres conseils dans les définitions qu'il
propose. Ainsi, si l'on peut rire du peuple antillais définit par
stéréotypes, « l'antillais est postier,
l'antillaise est aide-soignante », on est plus choqué par
la définition du peuple arménien, « très
sympas à cause du génocide ».
Et outre les définitions ethniques, les autres propos
ne sont guère plus corrects à l'égard des fameuses
minorités : les aveugles « ont leur façon de
voir », tandis que les sourds-muets « sont des
gens très expressifs ». Le gay, quant à lui,
« évite aux homosexuels d'être des
pédés ».
La définition la plus gênante reste
peut-être celle de l'article « trisomiques :
très doués pour le théâtre, ils sont toujours
prêt à faire rire ».
Si nous pouvons admirer ici la franchise de l'auteur qui a su
se défaire des règles dictatoriales du politiquement correct,
l'impression majeure d'un malaise persiste dans la mesure où il semble
que ce ne soit pas tant le politiquement correct qu'A.Schiffres ait voulu
combattre, que le « moralement correct ».
De même, les Notes pour un dictionnaire de la
rectitude politique, des euphémismes et de la bienséance,
découvert au fil de nos recherches sur Internet263(*), semble avoir la même
portée.
Ce dictionnaire rédigé par un(e) certain(e)
Amadantine, qui a pour épigraphe « évitons les
sujets qui fâchent », surprend
énormément.
Le titre est réellement antithétique par rapport
aux définitions affreusement cyniques et souvent ignobles qui le
suivent : là où A.Schifres, plein d'humour noir nous propose
à la définition de l'Afrique, « mis de
côté les massacres, les guerres, les famines, les dictatures...
c'est un merveilleux continent. On y voit des oiseux en
liberté », le dictionnaire d'Amadantine
préfère « Afrique : l'une des cinq parties du
monde, la plus ancienne, et surtout la plus riche ». L'ironie
est extrêmement gênante.
Et le dictionnaire semble avoir cette même
tonalité tout du long.
Ces « notes » pour la rectitude politique
concernent essentiellement les hommes ou les religions ayant marqués
l'histoire. Fièrement subjectives, les définitions imposent
l'unique vision de l'auteur(e), et dépassent la simple incitation au
politiquement incorrect.
Provocantes, allant même jusqu'au négationnisme,
elles sont intolérables :
- « Christianisme : religion du Christ
apparu en Judée, fut assez répandu (...) mais il ne faut rien
exagérer. Selon une analyse très contestée, le
christianisme aurait peut-être inspiré certaines de ses valeurs
à la civilisation européenne »
- « Himmler (Heinrich) : éleveur de
poules (1900-1945) »
- « Hitler (Adolf) : peintre d'origine
autrichienne (...) Hitler fut un aquarelliste délicat (...) on
déplore que ses nombreuses activités ne lui aient pas
laissé le temps de développer son oeuvre
(189-1945) »
- « Islam : (...) est résolument
pacifique (...) préconise une stricte égalité entre les
hommes et les femmes ; néanmoins, il est conseillé à
celles-ci de bien se couvrir si elles doivent sortir, afin d'éviter
qu'elles ne prennent froid (en hiver) ou que le soleil ne leur gâte le
teint (en été).l'Islam est une religion de tolérance et
ses fidèles cohabitent dans une joyeuses harmonie avec les autres
religions »
- « Judaïsme : (...) les juifs passent
beaucoup de temps à rappeler qu'ils ont été naguère
victimes de certaines tracasseries administratives de la part des
Allemands, dans la simple intention de se faire plaindre »
- « Mussolini (Benito) : instituteur
italien, propagandiste de méthodes éducatives basées sur
la persuasion (1883-1945) »
- « Nazisme : mouvement folklorique (...)
qui préconisait l'interprétation des chansons populaires (...) la
vie au grand air et le sport »
- « Zedong (Mao) : poète et
lettré chinois »
Outre cette prise à partie évidente de
l'auteur(e), et malgré la prétendue ironie de la plupart des
définitions, ce dictionnaire ignoble qui entend choquer pour se
démarquer de l'apathie du politiquement correct, dépasse des
limites sans finalement parvenir à faire mieux.
Pour rectifier l'hypocrite mièvrerie du politiquement
correct, l'auteur(e) procède au contre-pied des définitions
habituelles, à tel point que les nouvelles définitions qu'il/elle
propose, entrent dans la catégorie d'un encyclopédisme trompeur,
raciste et aberrant.
Comme toujours, un excès en cache un autre, et le
politiquement incorrect est devenu une aubaine pour répandre certaines
thèses répugnantes.
À trop vouloir choquer, à trop plaider
le politiquement incorrect, certains auteurs n'ont pas su se modérer, et
l'usage du politiquement incorrect a mené à la
stupidité.
Une fois ce constat posé, et sachant que le discours
politiquement correct ou quelle que soit la dénomination que nous lui
infligeons, se présente tel un langage pernicieux qui, sous
prétexte d'offrir une éthique, cache une vile hypocrisie, que
faire ?
Pour en sortir, mais sans tomber dans l'autre extrême
tout aussi dangereux du politiquement incorrect, quelle langue utiliser ?
Comment parler encore en toute simplicité ? Et cela est-il encore
possible ?
Face à ces interrogations, une seule évidence,
favoriser un retour au langage vrai, à la langue du coeur contre celle
de bois ...
IV/ Le franc parler, ultime recours contre la langue de
l'envahisseur ?
« Le courage c'est de
chercher la vérité et de la dire »
(J.Jaurès)
1) Penser l'impensable : les hommes politiques
au service de la vérité
Si au début les anti- langue de bois
étaient pointés du doigt et écoutés, sourire
ironique aux lèvres, comme des marginaux ennemis de la
bienséance, l'ordre établi va vite se renverser. Divers
collectifs ou personnalités publiques vont s'unir contre la pudeur et la
désinformation imposées par les médias et la
société.
Fameux paradoxe, ce sont les hommes politiques de tous bords
qui les premiers vont s'engager en prônant le « langage de la
vérité », parole libérée de toute
mascarade et tromperie.
A- Petite chronique politicienne au royaume du
politiquement correct
En 1979, Michel Rocard publie un livre qui fit
à l'époque grand bruit, Parler vrai. Ce nouveau regard
porté sur le langage va de pair avec le déni de la langue de bois
au profit d'un « parler cru » dont le livre de M.Rocard se
fait annonciateur. Il semble qu'à partir du début des
années 1980, la phrastique de la sphère politique change
radicalement.
En 1988, Michel Charasse (à cette date, ministre du
Budget) s'emportait contre « les banquiers qui nous piquent not'
blé ».
Quelques années plus tard, Jean-Pierre
Chevènement (à l'époque, ministre de la Défense)
affirmait qu'un ministre qui n'est pas d'accord « ferme sa gueule
ou s'en va ».
En 1995, c'est Laurent Fabius qui à son tour va user du
franc parler lorsqu'il demande à des journalistes de bien vouloir lui
« lâcher la grappe », succédant
à Edith Cresson qui trois ans plus tôt avait déclaré
« la Bourse, j'en ai rien à cirer !».
En 1998, J-P.Chevènement une fois encore oublie toutes
les bonnes leçons du politiquement correct et avec son fameux
« sauvageons », bien trop proche du colonialiste
« sauvages » pour désigner de jeunes
délinquants, crée la polémique.
En 2000, Claude Allègre qui participait à
l'émission « Bouillon de culture » se fait
décerner la palme de la bonne conduite par un B.Pivot lui
déclarant plein d'enthousiasme « Votre livre est vraiment
anti-langue de bois ! ».
Mais cette vigueur semble atteindre un paroxysme comme
l'analyse le site de l'Asmp, lors de la tragédie du 11 septembre 2001
qui fait naître un besoin inédit de vérité dans les
paroles, au sein de l'univers politico-médiatique.
Il semble en fait que le choc traumatique de cet
événement ait crée un renversement de l'ordre
établi, illustré notamment par les propos très francs du
secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld
présenté dès lors comme la nouvelle star du parler
vrai.
Ce trait est mis en avant par le journaliste du Monde
envoyé sur place :
« Qui eût pensé (...) que
son franc parler (...) à mille lieues du politiquement correct,
des prudences et des euphémismes diplomatiques enchanteraient le public,
nullement offusqué (...) de son peu de révérence à
l'égard des médias ? (...) sa réputation de dire
à tous, y compris au président, ce qu'il veut ou pense,
détonne dans un aréopage marqué par la prudence et la
langue de bois »264(*).
Ainsi donc, il serait possible de traiter avec les
médias sans utiliser un langage politiquement correct...
En février 2002, de retour en France, c'est une femme
qui cette fois-ci choque : il s'agit de Dominique Voynet qui lors d'un
congrès des Verts entame son discours par cette interjection
« alors on se met au boulot oui ou
merde ? »265(*). La même franchise est très mal
perçue lorsqu'elle s'accole à des notions de mépris comme
cela a été le cas lors de la maladroite et malheureuse expression
utilisée par J-P.Raffarin pour désigner la « France
populaire ».
En mars 2002 c'est autour d'un ministre italien Roberto
Calderoli, de faire un écart de langage, lors d'une conférence,
en s'insurgeant contre le mariage homosexuel en ces termes, « je
refuse les prétentions absurdes de ces
pédés »266(*).
Le politiquement correct se faisant de plus en plus
présent, les attaquants le sont aussi et l'audace est de mise.
Après un article sur « La tyrannie du
médiatiquement correct », J-M. Chardon, journaliste à
France Culture, ausculte les ravages du politiquement correct dans les
médias à travers un essai, La Tyrannie des
Bien-Pensants267(*),au sein duquel interviennent non moins de
trente-quatre auteurs d'horizon divers (le politiquement correct
dépassant ici le traditionnel et trop réducteur clivage droite
versus gauche).
Dans cet ouvrage, l'auteur révèle les
débats interdits et autres polémiques escamotées
discrètement par les médias afin d'éviter tout manque de
respect au mouvement du politiquement correct.
Dénonçant les bien-pensants « qui
ne sont ni ouverts, ni tolérants, ni libérés, ni modernes.
C'est tout le contraire », il s'insurge contre la pensée
unique imposée jusqu'à présent par les médias, et
qu'il qualifie de « suivisme béat ».
B- Le politiquement correct en chute libre
Ce déni de la pensée unique ne saurait
oublier l'année 2006268(*) marquée par les frasques langagières
opposant le président italien Silvio Berlusconi à son
présidentiable, Romano Prodi.
« De `` couillons'' à
`` pédés'', les mots choisis de la campagne
électorale ». Tel est le titre d'un article de l'AFP
daté du 4 avril 2006. À quelques jours des élections
législatives les propos se font de plus en plus désobligeants, et
ce en plein débat télévisé. Si R.Prodi compare
S.Berlusconi à un « ivrogne », ce dernier
assure que « les italiens ne sont pas suffisamment couillons pour
voter pour un idiot ».
Des mots jusqu'à présent bannis des ondes
télévisuelles font une entrée fracassante sous les yeux
incrédules des spectateurs : « nain, bouffon, salaud,
délinquant, pédé, menteur, nazi... »
pleuvent de toutes parts. Il semble que sous le règne du franc-parler,
tous les mots soient bons pour arriver à ses fins, même si cela
conduit à l'anarchie la plus totale.
De même en France, la précieuse bienséance
semble perdre de l'altitude chez les politiques. Nous ne citerons pour exemple
que le commentaire du député UMP, André Santini,
concernant l'interdiction de fumer dans les lieux publics, qui, cigare à
la main ironisait « il ne manquait plus que ça, boire
c'est dangereux, maintenant fumer c'est mal, bientôt on nous interdira
même de baiser »269(*) .
Tiens, tiens... s'enrôler dans les sphères
du « parler vrai » serait-il devenu gage de bonne
foi ? Y'aurait-il un quelconque mérite à dire
dorénavant le Vrai ?
Il semble en tout cas que l'idée soit à la mode.
Au mois de mai 2006 paraît un ouvrage dont le titre pour
le moins évocateur, entend y répondre. Il s'agit du livre de
J-F.Copé, Promis, j'arrête la langue de bois. Et si
l'auteur reçu dans diverses émissions pour sa promotion,
s'affiche, sourire chaleureux et sans cravate, il ne faut pas s'y tromper,
l'influence du politiquement correct n'est jamais bien loin, comme le
confirment les dires de l'auteur-ministre lui-même lorsqu'il
s'étend sur la crise socio-financière française,
« C'est vrai que la période qu'on vit aujourd'hui est une
période difficile, marquée par un blocage, des
incompréhensions »270(*).
S'il est laborieux de se défaire des habitudes de la
logorrhée politicienne, il semble toutefois très en vogue de s'y
essayer.
Cette toute nouvelle valorisation du parler-vrai donne alors
sens à la distinction établie par P.Merle dans Le Dico du
français qui se cause entre d'une part, «
le français qui se parle » désigné
comme le français tel qu'on doit le parler, dans le sens où il
nous est présenté en tant que norme absolue et d'autre part,
« le français qui se cause », le vrai
français avons-nous envie de préciser, celui de la
spontanéité, de la liberté d'expression, celui du
quotidien qui vit sa vie.
Ici donc, les politiciens qui ont joué le jeu
permettent d'illustrer parfaitement la théorie de P-E.Saubade :
« L'opinion brute de l'homme de la
rue, du `bon sens populaire' peut seul discréditer le discours
enroué des politiques »271(*).
Et le déni du politiquement correct permet donc aussi
de rétablir le credo fondateur du franc-parler : rien n'est tabou,
aucune idée n'est irrecevable, aucun propos ne doit échapper
à la critique, à la caricature.
Le franc-parler refuse le monde de l'optimisme au profit d'une
société du réalisme, et c'est en adoptant ce discours que
la langue de bois deviendra désuète.
De la même façon que pour combattre la
bêtise il faut travailler à faire disparaître les conditions
qui la rendent possible, la liberté ne peut s'acquérir qu'en
oubliant le politiquement correct.
C- Le cas Sarkozy
Si l'expression « politiquement
correct » contient le sème « correct »,
c'est que ce domaine est particulièrement propice à la
consommation effrénée de « parler propre ».
L'homme politique d'aujourd'hui est d'autant plus engagé dans cette
bienséance que, via les médias, l'homme du peuple a les yeux
rivés sur lui. Dès lors, si cette entente réciproque n'est
pas respectée, on peut d'attendre à l'une des plus graves crises
de la politique interne française.
En novembre 2005, Nicolas Sarkozy, ministre de
l'intérieur en « visite » dans l'un des nombreux
quartiers sensibles qu'abrite l'Île de France, dérape
linguistiquement ou plutôt politiquement parlant.
En utilisant les mots « racaille » ou
« karcher » devant un parterre de journalistes, le ministre
semble avoir utilisé des termes trop connotés, insuffisamment
bienséants.
Qu'il s'agisse de spontanéité, de provocation,
de maladresse, de mépris, de franchise ou autre, le choix de ses mots
n'a pas été accepté.
Le problème ici c'est qu'un homme politique
(sensé donc utiliser admirablement le discours politiquement correct) a
employé certains termes qui suggéraient bien des choses
jugées profondément anti-démocratique et opposées
à l'idéologie politiquement correcte. Forcément...
Le mouvement politiquement correct qui lutte aux quotidiens
contre les infractions langagières et tente de convertir bon gré
mal gré, le maximum de citoyens, ne peut tolérer qu'un homme
politique échappe à cette mouvance. Et lorsque cela arrive, rien
ne va plus.
Ainsi, ce que tout un chacun s'est empressé de
critiquer, ce que les médias se sont délectés de rapporter
ce n'est pas tant le signifié que le signifiant.
Effectivement, beaucoup ont hué le Premier ministre du
fait de l'utilisation de ces termes jugés racistes,
réactionnaires ...
Bien qu'il soit évident que les termes employés
n'étaient pas les plus appropriés, la polémique entourant
cet abus langagier a été excessive. Et s'il en a
été ainsi c'est que nous sommes bel et bien dans l'ère du
politiquement correct.
Choisir de dire, de nos jours, pour un homme politique, ce
qu'on pense comme on le pense, c'est s'engager sur une route bien sinueuse,
c'est refuser de collaborer avec le régime en place et de ne laisser
transparaître ses idées que derrière le coton de la
bienpensance.
Et c'est à cette perspective que Nicolas Sarkozy semble
s'opposer.
Dans une interview donnée le 22 décembre 2005 au
journal Libération, suite aux émeutes des banlieues, il
s'insurgeait contre le règne omniprésent de la pensée
unique « on ne peut plus rien dire sans être
immédiatement accusé de pensées
nauséabondes ».
Se présentant comme revendicateur d'un cynisme moderne
qui s'affiche sans langue de bois, ses propos, parce qu'ils ne
répondaient pas aux normes dictées, ont été
responsables de la mise à feu et à sang d'un pays dit
démocratique, prouvant là une fois de plus, l'impressionnant
pouvoir du politiquement correct..
2) Le franc-parler, un souffle
nouveau
A- Les clefs du « parler-vrai »
Pour accéder à un nouvel élan
linguistique, il semble qu'il faille impérativement repenser la
structure du langage via celle de la société.
Car si le distinguo entre discours de faux-semblant et parler
cru, qui oppose admirateurs du politiquement correct et nouveaux
révolutionnaires, est discordant, il scinde surtout la
société en deux clans : l'individu et le groupe, l'individu
face au groupe.
Groupe dominé par la rectitude politique.
Communauté dominante donc, qui nie l'identité de l'individu.
Culture puissante d'une omerta publique qui ne
disparaîtra que le jour où nous nous débarrasserons de
l'oppressant politiquement correct.
Si pour y parvenir il suffit comme le préconise
P.Lemieux de « parler le français de Guillaume
Apollinaire », il n'est pas si facile de faire comprendre
à qui veut bien l'entendre que l'époque de surveillance du
langage est passée, que la délation pour un mot trop haut, trop
cru, est révolue.
Comment faire admettre à quiconque que le politiquement
correct, largement utilisé et revendiqué jadis par tous n'a pu
être qu'une aberration, qu'une sournoiserie ?
Et c'est ce même obstacle que met en avant l'un des
articles du journal Le Québec Libre, lorsque après avoir
encouragé ses lecteurs à sortir des sentiers battus de la
pensée unique, il précise que « la
difficulté c'est que nombre de nos concitoyens se sont habitués
à se taire par peur de prendre des coups »272(*).
Effectivement, qui oserait de nouveau nommer l'épicier
en bas de chez soi, « l'arabe du coin » ? Face au
serpent qui se mord la queue que faire ? Comment faire comprendre à
un enfant dont la punition a été un recopiage de deux cents
lignes d'un impératif « je ne mangerai plus de chewing-gum en
classe », qu'il peut désormais en mâchouiller tant qu'il
le souhaite ? Comment expliquer qu'on peut dorénavant dire d'un
noir qu'il est noir et que cela n'est ni grossier, ni raciste, ni
réactionnaire ?
Ici, dernier recours, que ce soit le directeur de
l'école qui autorise le chewing-gum, que ce soit les médias qui
préconisent le dit terme.
Il faudrait alors adhérer à la doxa
d'É.Benveniste, « le langage sert à
vivre », pour comprendre que si le langage est nécessaire
à l'homme, la notion de tabou devient inexplicable, et que seul peut
être admis l'emploi du franc-parler comme révélateur du
langage, comme exorcisme linguistique de la langue de bois.
B- Une reconnaissance de droit commun
Parce que les médias peuvent influencer parfois
considérablement les moeurs d'une société et parce qu'ils
ont conscience de leur pouvoir, ils rejoignent les hommes politiques et autres
personnalités littéraires ou artistiques dans une quête
d'une nouvelle pensée nommée « brutalisme »
par certains, comme le révèle P.Merle en faisant
référence au journal anglais « le très chic
Globe Hebdo»273(*) qui dans un article intitulé
« La nouvelle pensée réactionnaire »
évoquait ce nouveau phénomène comme :
« Un parler clair et net, sans
ambages, comme on le pense (...) appeler un chat un chat, un Juif un Juif, un
Arabe un Arabe, un homosexuel un pédé, etc. ».
Et alors ? À bien y réfléchir quel
est le problème à dire d'un chat que c'est un chat, à dire
d'un Juif que c'est un Juif... ? Cela entacherait-il une quelconque forme
d'éthique, de morale ?
Si le brutalisme c'est de parler sans flou, sans
détours, sans mensonge, alors nous signons pour.
Dès lors qu'un médium comme la presse
écrite rend compte des aspects pernicieux du politiquement correct, il y
a peut-être l'espoir d'entrevoir la réappropriation des
médias par la presse d'opinion et donc contre le règne du
politiquement correct.
Et les quelques médias qui ont compris que le
politiquement correct en dépassant le simple phénomène de
mode était devenu un délicat voir dangereux
phénomène de société, tentent de protester contre
ce catéchisme obscurantiste.
Ainsi, en janvier 1995, le journaliste I.Ramonet dans un
article du Monde Diplomatique, dénonce le culte de la pensée
unique, « visqueuse doctrine » qui en se cachant
sous les traits d'un dogmatisme moderne, parvient à inhiber, à
« étouffer tout raisonnement rebelle »,
toute pensée qui ne serait pas unique.
De même, dans un article du Monde en avril
2003274(*), on prend
conscience que le politiquement correct est peu à peu en train de se
désagréger de l'univers bienpensant des médias. Les
journalistes y relatent l'attitude des médias face à la guerre en
Irak et ils attirent l'attention du lecteur sur le fait que dans ce conflit,
les termes trop politiquement corrects ont été
refusés :
« Les médias français
ont banni les termes destinés à donner de la guerre une image
désincarnée comme les fameux dégâts
collatéraux (...) le traitement du conflit (...) s'est
révélé `décent' et le discours militaire
`très neutre' ».
Il semble ici que soit enfin envisagée l'idée
qu'un discours puisse être décent sans politiquement correct. Et
aussi paradoxal que cela paraisse, on peut dorénavant aborder sainement
la perspective d'un langage de la vérité, dans la mesure
où le politiquement correct cesse de nier l'ampleur des
dégâts de la guerre et sa tragédie en bannissant des
expressions comme « tirs amis » ou « frappes
chirurgicales »275(*).
Les deux journalistes font d'ailleurs référence
à Alain Rey qui semble être dans les premiers à avoir
noté cette absence de vocabulaire politiquement correct, conduisant donc
à un retour vers une terminologie militaire beaucoup plus classique avec
des termes comme « bombardements » ou
« pillages » qu'on n'osait pas jusqu'alors prononcer.
Cet article qui propose dans le cadre d'une guerre, le
déni du vocabulaire précieux comme une reconnaissance de la
souffrance ambiante, mène à mal la langue de bois pour
privilégier distinctement le franc parler qui tend à
présenter la réalité sous sa forme la plus correcte et la
plus honnête, sans propagande ni idéologie.
Le créneau est donc posé, le franc parler semble
être l'unique recours au prosélytisme du politiquement correct
qui annihile la pensée.
3) Une dichotomie redoutable : entre
franc-parler et politiquement correct
« Je désapprouve ce que vous dîtes, mais je
défendrais jusqu'à la mort votre droit de le dire »
(Voltaire)
Prôner le parler vrai ne consiste pas, comme certains
ont voulu le faire croire276(*), à se débarrasser de toute forme de
morale, de décence ou tout simplement de politesse, et de revendiquer
alors, au nom de la liberté d'expression, le droit à
l'incorrection, aux stéréotypes ou à la moquerie.
Comme l'explique parfaitement R. Ménard dans l'oeuvre
de R.Vaneigen qu'il préface :
« Tolérer toutes les
idées n'est pas les cautionner. Tout dire n'est pas tout
accepter »277(*).
Le dessein du franc-parler ce n'est pas l'expression à
n'importe quel prix de l'innommable. Il ne s'agit pas de simplement remplacer
le mot acceptable par un mot censuré.
Revendiquer ce droit perdu de la liberté d'expression
ce n'est pas revendiquer celui de porter des jugements négatifs ou
cruels sur tel ou tel groupe communautaire, ce n'est pas rétablir
l'injustice ou le racisme.
Et pour citer l'exemple de P.Merle, oser dire
« jeunes issus de l'immigration » plutôt que le
réducteur et bien trop généraliste
« jeunes » ne devrait pas contribuer à passer pour
du fascisme. Le franc parler peut au contraire, mener à la
vérité perdue.
Ainsi, R.Godienne explique avec pertinence dans son
travail278(*) que si
l'injure blesse celui à qui elle s'adresse, le dictionnaire ne doit ni
servir à panser cette blessure, ni à en infliger une plus grande.
Le rôle d'un dictionnaire est de refléter la norme et
l'utilisation des mots avec les connotations qu'ils sont susceptibles de
rencontrer dans la société.
Ainsi, pour l'adjectif « gros », il donne
une définition simpliste « Personne plus large et
plus grosse que la moyenne » en précisant bien
que le terme est utilisé avec « mépris »,
tout comme pour la définition du substantif « nain :
Désigne avec mépris une homme de petite
taille ». Les exemples de R.Godienne nous prouvent qu'il est
parfaitement envisageable d'appliquer une idéologie bienséante
à la langue courante.
Néanmoins, s'il est possible de donner le vrai sens
d'un mot en l'annotant de quelque remarque sur ses éventuelles
connotations si cela est nécessaire, on ne doit pas se laisser
piéger par les excessives revendications du politiquement correct. Tout
mot existant dans la langue, peu importe ses connotations, doit s'y
maintenir.
C'est donc pour contrer cette dérive
systématique du politiquement correct qui se présente toujours
comme une tentative de reformulation sémantique, au dépend de la
langue dite normale, qu'un ras-le-bol va émerger.
Le franc parler va être conseillé, voir
même réhabilité par certains, au nom d'un retour
purificateur des origines.
Molière, ici précurseur l'a dit mieux que
personne « ce n'est que jeu de mots, qu'affection pure, et ce
n'est point ainsi que parle la nature »279(*). Car il était
bien contre nature de laisser se morceler la France face à la
tartufferie du politiquement correct, comme le confirme Ivan Riafol, le 30
avril 2004 dans un article du Figaro où il dresse le bilan quelque peu
dramatique de la bienpensance :
« La France est immobilisée
sous le poids d'un conformisme compassionnel. Le langage qu'attendent les
français est celui de la brutale vérité. Ils attendent des
politiques, des médias, des intellectuels qu'ils mettent des mots sur
les réalités nouvelles, sans craindre les indignations du
politiquement correct ».
Si tous ne mesurent pas encore le mauvais pas engagé
par le politiquement correct, beaucoup commencent à se méfier de
cette omniprésente bienpensance.
Notre politiquement correct ne semble plus avoir si
fière allure, il laisse mourir la langue française à petit
feu :
« Notre langue se perd dans ces
méandres de l'insignifiance, elle se vide de substance sous ces
hypocrisies de bazar »280(*).
La langue s'affadit à tel point qu'elle en devient
ridicule.
Dès lors, il faut se défendre, protester, agir
contre la non assistance à idiome en danger :
« Une langue qui n'a plus simplement
le courage de nommer les gens ou les choses est une langue honteuse
d'elle-même, donc une langue en train de mourir »281(*).
Là où É.Zola au 19e
siècle employait le terme « vermine » sans vergogne,
nous bafouillons et ne savons plus que dire.
Si le recours au franc-parler apparaît alors comme
l'unique alternative pour sauver la langue courante et préserver ses
nuances et sa richesse, il faut cependant prêter attention à son
droit cheminement.
Il ne s'agit pas de condamner le politiquement correct au nom
de ses simulacres pour que règne à sa place, sous couvert
d'honnêteté, un langage injurieux et cruel.
Pour cette raison et probablement pour d'autres, il peut
être délicat de renier le politiquement correct pour y substituer
le règne du franc-parler sans en connaître les éventuelles
dérives.
Ainsi, pour lutter contre l'omniprésence d'un
politiquement correct devenu insupportable, et pour ne pas tomber,
réciprocité cruelle, dans un abominable parler vrai, la solution
la plus adéquate semble être celle donnée par
V.Volkoff :
« Pour combattre le politiquement
correct la pensée ne doit pas être unique, la langue ne doit pas
être de bois, la compassion ne doit pas virer à la
sensiblerie »282(*).
Recette secrète, formule magique, le véritable
recours est peut-être dans cette équation.
CONCLUSION
La langue est la forme qui fonde tous les contenus, et elle
est le contenant qui rend tous les fonds possibles.
Champ d'investigation inouïe, elle offre un débat
sans commune mesure qui, entre babils primaires et discours emphatique, pose la
question de la libre circulation des mots.
Mais, dans une société où tout le monde
parle, braille, converse haut et fort, un éventuel contrôle du
lexique semble bien délicat.
Le politiquement correct, dont l'essence repose sur cette
volonté de surveillance linguistique, tente de lutter contre les
clichés, les connotations et autres ambiguïtés qui
assaillent chaque jour un peu plus les mots de la langue française, et
ce, quels que soient les moyens mis en oeuvre pour y parvenir.
Tout au long de cette étude, nous avons donc
tenté d'analyser la complexité du phénomène
politiquement correct en répondant à nos questions initiales,
mais aussi à toutes celles émergeant au fur et à
mesure.
Au travers des ouvrages et des articles parcourus, nous avons
réalisé qu'il était impossible de proférer un avis
tranché sur un tel mouvement sociolinguistique.
Faisant écho aux habituelles polémiques sur la
qualité, le dessein, le sens du langage, ce phénomène ne
permet pas d'affirmer s'il est une avancée flagrante pour la langue en
tant que faire valoir de la morale humaine ou s'il est au contraire, un
fléau sémantique anéantissant la force des mots.
Afin d'éviter tout jugement de valeur trop hâtif,
nous avons essayé de comprendre ce phénomène, dans son
intégralité, et de façon objective en prenant fait et
cause, à la fois pour ses défenseurs, mais aussi pour ses
détracteurs.
Pour ce faire, nous avons procédé à son
étude étymologique et sémantique au sein de
différents dictionnaires qui, en tant que reconnaissance officielle des
mots nous ont permis d'illustrer les différents points de vue
présentés, et d'asseoir en synchronie et en diachronie, le
bouillonnement permanent de ce phénomène dans la langue
française.
Nous nous sommes également intéressés
à l'image que les médias en donnaient.
Au début simple court métrage, le mouvement
politiquement correct a su, fort de ses figurants, créer un
scénario toujours plus long.
Lors de sa sortie en salle, il a fait grand bruit. Qu'on ait
aimé ou non, qu'on ait crié au scandale ou chanté la
superbe réussite, une chose est sûre, le politiquement correct
s'est imposé dans la petite catégorie des films cultes de ce
siècle et du dernier.
Et ce n'était pas chose aisée au
départ.
Nous l'avons évoqué, le politiquement correct a
difficilement trouvé ses marques en France, puis s'affirmant comme
préciosité langagière il a su, en manipulant à
souhait la langue, se rendre indispensable.
Des dictionnaires à la radiodiffusion, ce mouvement n'a
cessé de croître, de s'uniformiser, et de tant investir la langue
française qu'il en est devenu l'essence même. Omniprésent,
il est devenu omnipotent.
Cependant, en plein apogée et contre toute attente, le
politiquement correct s'est violemment fait critiquer. Accusé de n'avoir
finalement jamais répondu à son idéologie première,
beaucoup l'ont renié pour lui préférer un langage plus
franc.
Mais ce que ce bref synopsis ne dit pas, c'est que jamais le
phénomène de politiquement correct n'aura de fin.
Fondé sur une morale et une norme communes, il n'est
qu'une variante de la bienséance langagière, qu'une forme
améliorée de la lointaine langue de bois.
Car tant que l'homme vivra en société, il devra
répondre à des règles qui s'appliquent également
dans le langage. Et tant que le langage servira l'homme pour parler de
lui-même et des autres, la notion de « bon usage »
demeurera.
Et cet aspect normatif semble condamner une éventuelle
liberté du langage qui détermine notre manière de voir le
monde et nous enferme dans un système conceptuel se mouvant dans un
conformisme ambiant qui impose un point de vue pré-construit.
Dès lors, parce que le phénomène de
politiquement correct, fort de la pensée unique, contribue à
créer ce prisme erroné de la réalité, il fausse son
rapport à la langue.
Si chaque langue définit son réel par ses
propres mots ou par ceux imposés par la société ou le
groupe qu'elle habite, la tromperie sémantique est inévitable.
Et c'est bien ce à quoi nous avons été
confronté durant ce travail. En imposant la bienséance comme son
axiome majeur, le politiquement correct a entraîné une vision
difforme du réel.
L'hypothèse Sapir-Whorf, poussée ici à
l'extrême, dépasse le simple stade de la langue évoquant
une réalité différente, pour enrôler
l'ethnolinguistique dans une manoeuvre plus perverse : accompagné
du politiquement correct, on ne s'intéresse plus à l'universel du
langage, mais bien à l'arbitraire, à la spécificité
de la langue en tant qu'outil de pensée qui engage un processus
analytique nouveau nous permettant d'envisager l'étude de la
préciosité langagière sous un aspect philosophique :
la langue, objet de communication, devenant outil de propagande.
C'est du moins ce que nous a donné à voir cette
étude qui nous a mis au devant d'un renversement mené par l'homme
lui-même, du rôle mythique du langage qui n'informe plus, mais
manipule.
Et sans adhérer au jugement manichéen de
certains critiques, « il ne nous reste plus qu'à faire
tomber sur ce politiquement correct désastreusement
dévoyé le plus silencieux des
rideaux »283(*), il reste toutefois évident que
certaines actions du politiquement correct sont condamnables.
Lorsque des mots disparaissent parce qu'ils deviennent
inadéquats à ce qu'ils prétendent nommer, cela ne pose
aucun problème ; en revanche, lorsque le dictat du politiquement
correct prive la langue française de mots qui lui convenait encore, cela
l'appauvrit et s'en ressent aussi sur la pensée, les moeurs, la
société.
À force de tout contrôler, le politiquement
correct a fini par s'inscrire dans un projet implicite de perfectionnement dans
tous les domaines. Prônant le religieusement correct, le sexuellement
correct..., le mouvement linguistique court à la perte de sa propre
identité, « le compte à rebours final est
enclenché»284(*).
Aussi, enrôlé dans ses frasques et ses
excès, il est difficile de concevoir le politiquement correct autrement
que comme une grande supercherie qui laisse derrière elle, une
langue malade.
Sans doute trop en décalage avec le monde
extérieur réel, le politiquement correct a
discrédité les idées qu'il prétendait
défendre et n'a pas su maintenir son utopie originelle, laissant
amèrement l'impression d'un gâchis.
Prisonnier d'une controverse complexe qui oppose des valeurs
fondamentales inconciliables avec d'une part, la recherche de la
vérité, objectif même de la connaissance humaine et
liée à la liberté d'expression, et d'autre part, une
morale garantissant le respect des personnes et de leurs droits, le
phénomène de politiquement correct pose ses fondements ailleurs.
Son intérêt est peut-être moins dans les
solutions qu'il propose que dans les problèmes qu'il dénonce.
Phénomène sociolinguistique qui conserve tout
son mystère, il reste enclin à la polémique, ce qui lui
confère les aspects, les avancées et les dangers aussi d'une
grande utopie contemporaine.
Bibliographie
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- Le dictionnaire Hachette, de 1994 à 1999
- Le Grand Robert de la langue française 2001
- Le Petit Robert, de 1995 à 2005
- Le Robert junior illustré, 1999
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2005
- Le Petit Larousse, de 1995 à 2005
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127p.
-VANEIGEM, Raoul, Rien n'est sacré, tout peut se
dire, Paris : La Découverte, 93p.
-VEYRON, Martin, 1995, Politiquement incorrect,
Paris : Hoebeke, 167p.
-VIALLON, Jacques, 1998, La langue de bois,
Belgique : Lansman, 43p.
-VOLKOFF, Vladimir, 1999, Petite histoire de la
désinformation : du cheval de Troie à
Internet, Monaco : Éd. du Rocher, 289p.
2001, Manuel du
politiquement correct, Monaco : Id., 175p.
-WINDISCH, Uli, 1990, Le prêt à penser :
les formes de la communication et de l'argumentation quotidiennes,
Lausanne : L'âge d'Homme, 226p.
-WITTGENSTEIN, Ludwig, 2002 (réimpression),
Tractatus Logico-philosophicus, Paris : Gallimard, 121p.
III/ Presse quotidienne et
hebdomadaire :
· Agence France Presse :
-article du 17 février 1993
- 04 avril 2006
- 06 avril 2006
· Le Point :
-article du 10 juin 1995, de Pierre-André Taguieff
· Les Échos :
- article du 8 juillet 2002, de Luc Fayard
· L'Humanité :
- article du 15 mai 2004, de Lionel Venturini
- article du 13 décembre 2005, d'Arnaud Spire
· La Croix :
- article du 25 septembre 1995, de Geneviève Jurgensen
- 27 mars 1997, de Michel Hastings
- 01 février 2000
· Le Monde :
- article du 03 novembre 1992, de Philippe Roth
- 23 février 1993, de Josée
Doyère
- 29 avril 2003, de Laurence Girard et Martine
Valo
· Libération :
- article du 27 avril 1993, de Pierre Merle
- 19 avril 1995, d'Anette Levy-Willard
- 06 décembre 1996, de Jean Quatremer
- 03 février 1999, de Patrick Sabatier
- 22 décembre 2005, interview de Nicolas
Sarkozy
· Le Figaro :
- article du 17 octobre 1997, de A-G. Slama
- 02 avril 1998, de Jean-Marie Rouart
- 22 mars 2000, d'A.Grjebine
- 30 avril 2004, d'Ivan Riafol
- 27 mai 2004, de Claude Duneton
- 02 juin 2005, de Catherine Maliszewski
- 27 janvier 2006, de Claude Duneton
IV/ Sites Internet
consultés :
-http://lmsi.net/article
-http://fr.wikipédia.org/wiki/politiquement_correct
-................................/novlangue
- ............................. ./ doxa
-http://gaf.free.fr
-www2.unil.ch/slav/ling/recherche/biblio/86.MOTS
-www.asmp.fr
-www.vox-poetica.org
-www.linguistes.com/externes/sociolinguistique
-www.mrap.asso.fr/communiques/littre
-http://paris.indymedia.org
-http://ottawa.blog.lemonde.fr/ottawa/2005
-www.radio-Canada.ca/radio/indicatifpresent/chroniques
-www.ssjbmauricie.qc.ca/global
-www.sdv.fr/pages/adamantine/dicopolcor.htm
V/ Revues, forums, émissions, et autres sources
:
- Émission de télévision, Fr.3, Cultures
et Dépendances, avril 2006, « La langue de bois est-elle
une maladie française ? »
-Logiciel informatisé de recherche sur la presse
européenne quotidienne de 1989 à nos jours, « Logiciel
Europress », consultable à la bibliothèque
d'étude et d'information de Cergy-Préfécture
- MARGARITO, Mariagrazzia, Études de linguistique
appliquée, juillet-septembre 1997, vol.107,
« Stéréotypes et alentours »,
Paris : Didier Erudition, p.262-384
-SÉRIOT, Patrick, Mots, 1986, n°13,
« Langue et langue de bois en Pologne », Paris :
Belin, p.181-189
-THOUVENIN, Françoise, Défense et
illustration de la langue française, n°192
-WEIL, Nicolas, Dir. de publication, 2003, Que reste-t-il
de nos tabous ?, 15e forum « Le
Monde », Rennes : PUF
* 1 On rencontre diverses
attestations de cette expression dans plusieurs langues européennes dans
les années 1950, et elle serait même présente, selon la
définition donnée dans le Dictionnaire d'analyse du
discours, dès les années 1930 en Allemagne et en France.
Mais, cette analyse est récusée par G.Antoine à
l'Académie des Sciences morales et politiques, « la langue
allemande commune ignore « la langue de bois » -de
même d'ailleurs que la langue anglaise. Ni l'une ni l'autre ne semble
éprouver le besoin de lui trouver un équivalent de réelle
notoriété. Quant au français il attendra jusque dans les
années 1970 pour lui faire accueil ».
* 2 Voir note ci-dessus
* 3 À ce sujet, consulter
l'art de P. Seriot dans la revue Mots
* 4 A. Goldschlager,
Laïcité..., p.8
* 5 Le Figaro, mars 2000
* 6 A. Goldschlager,
Laïcité..., p.7
* 7 N'oublions pas ici de
préciser que la datation de l'apparition de la langue de bois
étant incertaine (les hypothèses vont de 1930 à1970), il
n'est pas possible d'affirmer de façon définitive que l'oeuvre
d'Orwell soit en réaction à ce phénomène.
* 8 Extrait de
1984
* 9 J. Karpinski
* 10 J-P. Leonardini, Sauve
qui peut..., p.118
* 11 Extrait de
1984
* 12 Exemple proposé par
Wikipédia.org
* 13 Afin que cette langue
bénéficie d'une assise réelle, un esprit académique
s'en est emparé avec « les 9e et 10e
éditions du dictionnaire Novlangue » (1984,
G.Orwell)
* 14 G. Orwell, extrait de
1984
* 15 J-L. Chiflet, Et si on
appelait ..., p.29
* 16 Interview d' Annette
Levy-Willard, dans le journal Libération, avril 1995
* 17 Le Monde, février
1993
* 18 www.asmp.fr
* 19 A. Santini, De tabou
à boutade..., p.23
* 20 Expression quasiment
inexistante en France
* 21 Terme qui offre en France
peu de définitions admises, bien qu'il trouve sa place, contrairement
à l'expression « nouvelle orthodoxie ».
* 22 Terme utilisé par
P.Merle dans différents ouvrages.
* 23 Dans le cadre de notre
étude nous réduirons la Préciosité à
l'analyse de ses excès langagiers
* 24 P.Merle, Précis
...
* 25 A.B. de Somaize,
écrivain du 17e siècle, cite par P.Merle, id.
* 26 R-A. Lodge, Le
français..., p.128
* 27 (1597-1648), il fut
considéré comme le maître de la
Préciosité.
* 28 (1601-1655)
* 29 Consulter Annexe
n°1
* 30 Exemples
répertories par P.Merle, Précis..., p.18
* 31 Phénomène
étudié par Peter Fryer dans Studies in English Prudery,
New-York, 1963
* 32 Cité par R.
Duchêne, Les Précieuses..., p.77
* 33 Ce n'est pas un hasard si
Molière a choisi des femmes comme cible principale puisqu'elles jouent
un rôle capital dans ce courant du 17e siècle.
* 34 Datant de 1690
* 35 Précis...,
p.19-20
* 36 H. de Balzac, La
Mode, 22 mai 1830, cité par P.Merle, Précis...,
p.19
* 37 T. Mercury, Petit
lexique..., p.133
* 38 Cependant la crise qu'a
connu la France en mai 1968, notamment avec le réveil houleux des
féministes, n'était-elle pas déjà une protestation
identitaire ?
* 39 P.Mangeot, sur le site
Internet www.lmsi.net
* 40 P.Merle, Lexique du
français tabou
* 41 « Qui
concerne l'Hexagone, la France », Petit Larousse 2003
* 42 R.Beauvais,
L'hexagonal..., p.8
* 43 F-B.Huyghe, La
soft-idéologie, introduction
* 44 A.Semprini, Le
multiculturalisme, p. 42
* 45 S.Desclous, Le
politiquement correct, p.37-38
* 46J-F.Kahn,
Dictionnaire..., p.32
* 47 P.Merle, Le dico du
français..., p.218
* 48 Site Internet Agoravox
* 49 A.Semprini, Le
multiculturalisme, chap.3
* 50 G.Racle, site
http://ottawa.blog.lemonde
* 51 V.Volkoff,
Manuel..., p.8
* 52 Id.
* 53 S.Desclous, Le
politiquement..., p.31-32
* 54 V.Volkoff,
Manuel...
* 55 Article du 30 septembre
2005
* 56 Toutes ces citations sont
extraites du site www.paris.indymedia.org
* 57 M.Margarito,
Stéréotypes..., p.266
* 58 Terminologie
empruntée à A. Semprini, Le multiculturalisme
* 59 P.Sabatier, article du
mois de février 1999
* 60 Sujet évoqué
par P.Merle, Le prêt..., p.97
* 61 Article du journal Le
Point, 10 juin 1995
* 62 Geneviève Fraisse,
la Philosophie, citée par J-L.Chiflet, Et si on
appelait...
* 63 S.Brunet, Les
mots..., p.233
* 64 J-C Boulanger, Aspects
de l'interdiction dans la lexicographie contemporaine, cité par
S.Brunet, id., p.145
* 65 P.Merle, Le prêt
à parler, p.120
* 66 A.Semprini, Le
multiculturalisme, p. 18
* 67 Ce que confirme, nous
l'avons déjà évoqué, la théorie du
« programme de déconnotation »
révélée par A. Semprini.
* 68 A.Semprini, Le
multiculturalisme, p.48
* 69 Id., p.50
* 70 A.Semprini,
Op.cit
* 71 Site www.ottawa.blog
* 72 Id.
* 73 Un prêt à
parler..., chapitre « la lecture du sens dans les
articles »
* 74 F. de Saussure, Cours
de linguistique générale
* 75 Petit Robert, 1975
* 76 Id.
* 77 Saussure,
op.cit
* 78 Petit Robert, 1975
* 79 F.de Saussure, Cours
de linguistique générale
* 80 Idée
développée par R.Beauvais, L'Hexagonal..., p.140
* 81 Définition du Petit
Robert 1975
* 82 Néologisme
emprunté à J. Pruvost et étudié dans le cadre du
séminaire « Langue et Société » de
2e semestre (2006), Faculté des Chênes à
Cergy-Pontoise.
* 83 Article
« idiome », Petit Robert, 1975
* 84 P.Charaudeau,
Dictionnaire de l'analyse du discours
* 85 www.linguistes.com
* 86 P. Seriot,
Mots
* 87 Id.
* 88 Ce qualificatif
assigné au politiquement correct est relativement récurrent,
à diverses époques, et selon divers auteurs.
* 89 Publiée en 1990
sous l'intitulé, Le prêt à penser ...
* 90 À ce sujet, Le
prêt à penser..., p.25-26
* 91 U. Windisch,
op.cit.
* 92 In
Stéréotypes ..., p.114
* 93 U.Windisch, Le
prêt à parler...
* 94 In Sauve qui peut la
langue
* 95 In Le français,
Histoire d'un dialecte..., chapitre 6
* 96 Id., p.207
* 97 Citée par
A.Semprini, Le multiculturalisme, chap. III
* 98 Définition
du Littré
* 99 Petit
Larousse 1998
* 100 L.Wittgenstein,
Tractatus logico-philosophicus
* 101 F.Caradec, N'ayons
pas peur..., p.16
* 102 A.Santini, De tabou
à boutade..., p.8
* 103 in
Britannicus
* 104 in « Booz
endormi »
* 105 Article du Monde, 29
avril 2003
* 106 Article du Monde, juin
1996
* 107 Consulter notamment
Le prêt à parler, p.137
* 108 Axel Kahn,
interviewé par PPDA, dans Vol de Nuit, TF1, le 17-01-06
* 109 J-J. Franckel,
L'indicible..., Introduction
* 110 Id.,
p.23
* 111 P-A. Taguieff,
cité par P. Merle, Le prêt à ..., p.97
* 112 N.Chomsky, Le
langage et la pensée, cité par T.Mercury, Petit
lexique..., p.10-12
* 113 P.Charaudeau,
Dictionnaire d'analyse du discours
* 114 In Paraphrase et
énonciation
* 115 C.Fuchs,
id., introdution
* 116 L'étymologie
et l'origine sont détaillées dans le premier chapitre de
l'ouvrage de C.Fuchs, op.cit.
* 117 C.Fuchs,
Paraphrase..., p.21
* 118 Un peu plus loin dans
la démonstration, C. Fuchs présente le Contenu comme la clef de
voûte de la reformulation de X en X'.
* 119 C.Fuchs,
Op.cit, p.77
* 120 Petit Larousse
2005
* 121 Corneille, Le
Cid, litote servant ici un amour impossible
* 122 Article du Monde,
février 1993
* 123 P.Merle,
Précis de langue..., p.37
* 124 P.Merle,
Op.cit
* 125 V.Volkoff,
Manuel..., p.131-132
* 126 Ces deux exemples
sont cités par D.Arcand
* 127 Thèse datant de
1996, présentée par Sophie Hamon
* 128 Ces
périphrases sont abordées dans la thèse de S.Hamon
* 129 S.Hamon,
op.cit
* 130 C.Fromilhage, Les
figures de style, p.115
* 131 S.Brunet citant
Joseph Vendryes, Le langage, 1923, dans Les mots ...
* 132 P.Bourdieu, Ce que
parler ..., p.78
* 133 Id, p.167
* 134 D.Arcand, Les
figures...
* 135 In Rhétorique
et argumentation
* 136
« Procédé de langage par lequel on exprime un
concept au moyen d'un terme désignant un autre concept qui lui est uni
par une relation nécessaire (la cause pour l'effet, le contenant pour
le contenu) », définition du Dictionnaire
d'analyse du discours
* 137 Néologisme
emprunté à J. Doyère, Le Monde, février 1993
* 138 Ces termes appartenant
à la première vague euphémique du politiquement correct,
sont toujours d'usage dans les conversations orales menées dans un
langage courant voir populaire.
* 139 Pour plus
d'informations, consulter l'article de Josée Doyère du 23
février 1993 dans Le Monde
* 140 Id.
* 141 Propos relaté par
Geneviève Jurgensen, La Croix, 25 septembre 1995
* 142 P.Merle,
Précis..., avant-propos, p.7-8
* 143 P. Merle,
Précis ..., p.20
* 144 V.Volkoff,
Manuel..., p.75-76
* 145 P.Merle, Le
prêt à parler, p.136
* 146 Id.
* 147 P.Merle,
Précis..., p.64
* 148 Cité par P.Merle,
Le dico du français ..., p.225
* 149 Définition du
Petit Robert 1975
* 150 Cette risible
précision est donnée par R.Beauvais, L'Hexagonal...,
p.57
* 151 Toute remarque à
ce sujet serait sincèrement politiquement incorrect
* 152 C. Duneton, Le Figaro,
27 janv.2006
* 153 Petit Robert, 1975
* 154 A.Santini, De tabou
à boutade..., p.87
* 155 P.Merle, Le
prêt à parler
* 156 P.Merle,
Précis de français..., p.40
* 157 L'utilisation des
guillemets autour du terme « normal » est la preuve
même de la surprécaution propre au discours précieux. Le
terme « normal » sous-entend celui
« d'anormal » donc d'exclusion. De fait, la
normalité ne peut être utilisée sans guillemets.
* 158 Le mot le plus sensible
ici ne serait-il pas plutôt
« handicapé » ?
* 159 Daté du 27 avril
1993
* 160 Article du 1
février 2000
* 161 P.Merle, Le
prêt à parler, p.132
* 162 Id.
* 163 P.Merle,
Précis de français..., p.40
* 164 P.Merle, Le
prêt à parler, p.133
* 165 « Sigle
prononcé comme un mot ordinaire (Capes, Sofres...) »,
définition du Petit Larousse 2003
* 166 Définition du
Petit Larousse 2003
* 167 P.Merle,
Précis de la langue ..., p.74
* 168 Exemples de titres pris
au hasard des recherches dans des journaux de 2002 à 2006
* 169 V.Volkoff, Manuel
..., p.132
* 170 P.Merle, Le
prêt à parler, p.106
* 171 P.Merle,
Précis..., p.75
* 172 S.Desclous, Le
politiquement correct
* 173 Article du 2 juin
2005
* 174 P-E.Saubade, La
pensée unique..., p.22
* 175 Définition de la
« logomachie », par V.Volkoff, Petite histoire de la
désinformation, p.105
* 176 In Supplique aux
nouveaux progressistes du 21e siècle, R.Debray
cité par C.Duneton dans un article du Figaro, en janvier 2006
* 177 A.Santini, De tabou
à boutade..., p.109
* 178 S.Brunet, Les
mots..., conclusion
* 179 Claude Hagège
cité par S.Brunet, id.
* 180 U.Eco, 1990, cité
par S.Brunet, Op.cit.
* 181 S.Desclous, Le
politiquement correct, p.15-16
* 182 L. Fayard, Les Echos,
juillet 2002
* 183 À ce sujet,
consulter l'intervention d'Alain Rey dans l'article du journal La Croix du 27
février 1997
* 184 P.Merle, Le
prêt à parler
* 185 P.Lemieux, La
souveraineté de l'individu...
* 186 A.Santini, De
tabou à boutade ..., p.8
* 187 S.Desclous, Le
politiquement correct, p.40
* 188 P.Lemieux,
Op.cit
* 189 www.asmp.fr
* 190 Luc Ferry
* 191 T.Mercury, Petit
lexique..., p.134
* 192
« Étude critique des sciences, destinée à
déterminer leur origine logique, leur valeur et leur
portée », définition du Petit Robert 1975
* 193 Miche Hastings, La
Croix, article de mars 1997
* 194 Luc Fayard, Les Echos,
article du 8 juillet 2002
* 195 P.Bourdieu, Ce que
parler ..., p.167-168
* 196 Tocqueville, t.1
* 197 Jean Quatremer,
Libération, rubrique « culture », le 6
décembre 1996
* 198 Pierre Thibaud, site
Wikipédia
* 199 Auguste Dietrich,
penseur contemporain allemand, essentiellement connu pour ses traductions en
français, de l'oeuvre philosophique de Schopenhauer.
* 200 Ces exemples sont
tirés du Manuel ... de V.Volkoff, p.52-53
* 201 P.Merle, Le
prêt à parler
* 202 V.Volkoff,
Manuel..., p.50-51
* 203 Cette terminologie,
empruntée à I. Even-Zohar, est détaillée sur le
site Wikipédia, à l'article « doxa ».
* 204 P.Breton, La parole
manipulée, p.83
* 205 P. Breton, id.,
p.104
* 206 Philippe Muray,
préfacier de l'ouvrage de B. de Koch, Histoire universelle de la
pensée : de Cro-Magnon à Steevy, 2205
* 207 Auguste Rodin,
L'Art
* 208 S.Desclous, Les
mots..., p.42
* 209 J.Vendryes, Le
langage, introduction linguistique à l'histoire, cité par
S.Brunet, Les mots...
* 210 P.Guyomard cité
par S.Brunet, id.
* 211 A.G.Slama, Le Figaro, 17
octobre 1997
* 212 In
Stéréotypes et clichés..., p.36
* 213 T.Mercury, Petit
lexique..., p.134
* 214 À ce sujet,
consulter Wikipédia.org/wiki/Rhétorique
* 215 T.Mercury,
op.cit, 4e de couverture
* 216 Interviewé pour
l'émission « Cultures et Dépendances », Fr.3,
avril 2006
* 217 J-P.Léonrdini,
Sauve qui peut ..., p.116
* 218 www.asmp.fr
* 219 P.Merle, Le
prêt à parler
* 220 P.Merle, Le dico du
français..., p.13
* 221 J. Puzynina, cité
par P. Sériot dans la revue Mots.
* 222 P.Merle, Le dico du
français..., p.22
* 223 www.asmp.fr
* 224 V.Volkoff,
Manuel..., p.76
* 225 J-M.Rouart,article du 2
avril 1998
* 226 id.
* 227 V.Volkoff, Manuel..,
p.167
* 228 V.Volkoff,
Manuel..., p.165
* 229 Vladimir Volkoff,
Id.
* 230 Philippe Roth, Le Monde,
novembre 1992
* 231 J-C.Boulanger,
Aspects de l'interdiction...
* 232 S.Brunet, Les
mots...
* 233 R.Hughes, La culture
gnangnan..., p.35
* 234 R.Barthes, cité
par A.G.Slama, Le Figaro, 17 octobre 1997
* 235 R.Hughes, La
culture gnangnan..., p.38
* 236 E. Dupin, auteur de
Une société de chiens. Petit voyage dans le cynisme
ambiant. Invité à l'émission « Cultures et
Dépendances », Fr.3, avril 2006
* 237 M. Richard, La
République compassionnelle, cité lors de la même
émission
* 238 C. Leontiev cité
par V. Volkoff, Manuel..., p.171
* 239 P. Merle, Le
prêt à parler, p.100
* 240 id., p.121
* 241 Exemple donné par
V.Volkoff, Manuel...
* 242 Anecdote relatée
par Patrick Sabatier dans le Libération du 3 février 1999
* 243 Consulter à ce
sujet l'article de C. Duneton, Le Figaro, janvier 2006
* 244 P.Merle, Le
prêt à parler, p.92.
* 245 Anecdote relevée
par A.Semrpini, Le multiculturalisme, p.43
* 246 P.Lemieux, La
souveraineté...
* 247 A ce sujet consulter
Le Nouveau Charabia de P.Merle : « La
féminisation de certains noms donna lieu à de distrayantes
empoignades sémantique (...) comme par exemple `` l'entraîneuse''
dont tout homme connaît le sens », p.94.
* 248 P.Merle,
Précis de langue..., p.59
* 249 Substantif qui pose
déjà un problème orthographique : doit-on
écrire « une substitut/e » ?
* 250 P.Merle, Le
prêt à parler, p.95
* 251 Id. p.94
* 252 P.Merle,
Op.Cit
* 253 Aux Éd.
Hachette
* 254 1994, aux Ed. Grasset,
1995 pour la traduction française
* 255 Consulter Annexe
n°2
* 256 Pour preuve, les
illustrations humoristiques présentées en Annexe n°3
* 257 Site Internet
www.ssjbmauricie.qc
* 258 Les Echos, 8
juillet 2002
* 259 R.Beauvais,
L'Hexagonal..., conclusion
* 260 In
Médiatiquement correct...
* 261 V.Volkoff,
Manuel..., p.84
* 262 Le Figaro, mai 2004
* 263
www.sdv.fr/pages/amadantine
* 264 www.asmp.fr
* 265 Cette brève
chronologie est plus détaillée dans le Précis de
langue française... de P.Merle, p.30-33
* 266 La Reppublica, 12 mars
2002
* 267 Éd.
Économica, 2003
* 268 Jusqu'au mois de mai
2006 notamment
* 269 Interviewé
à la sortie de l'Assemblé Nationale, le 12 avril 2006
* 270 Fr.3, journal
régional, avril 2006
* 271 In La
pensée unique...
* 272 Site Internet,
www.ottawa.blog
* 273 Article du 17
février 1993
* 274 Article du 29 avril
2003
* 275 Pour la signification de
ces termes, se reporter à notre lexique français/ politiquement
correct
* 276 À ce sujet,
consulter le site Internet www.scom.ulaval
* 277 R.Ménard,
préfacier de Rien n'est sacré ...
* 278 Dictionnaire des
mots qu'on dit gros
* 279 Misanthrope,
acte I, sc.
* 280 C.Duneton, Le Figaro
Littéraire, 27 janvier 2006
* 281 F.Thouvenin,
Défense de la Langue française, n°192
* 282 V.Volkoff,
Manuel..., p.176
* 283 www.asmp.fr
* 284 S.Desclous, Le
politiquement correct..., p.93
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