Section 2. L'exclusion sociale
en milieu urbain:
Au Maroc, l'exclusion sociale est un phénomène
essentiellement urbain, puisque les facteurs qui la produisent massivement sont
constitutifs de bouleversements sociétaux occasionnés par un
exode rural exponentiel.
L'analyse détaillée de ces facteurs devrait
permettre de mieux repérer les formes et les facteurs d'exclusion qui
sont actuellement les plus visibles.
Le passage d'un mode sociétal à un autre a
généré deux modes de fonctionnement très
différents. Le lien social qui assurait la cohésion de la
société rurale traditionnelle s'est progressivement
délité sans que de nouvelles formes de solidarité aient pu
s'instaurer, l'ampleur du phénomène et de ses conséquences
ayant semble-t-il été sous évaluée. Face à
cette déstructuration sociétale l'individu est totalement
désemparé car privé de ses repères fondamentaux il
n'a, à sa disposition, aucun modèle de substitution.
Cette situation devrait perdurer puisqu'il est prévu
que 64 % de la population vive en milieu urbain en 2014, ce qui signifie une
transformation radicale de la structure sociale puisqu'en 60 ans, le rapport
rural urbain se sera pratiquement inversé.
Il faut se garder toutefois de toute division
manichéenne urbain/rural. Ce ne sont pas des mondes étanches et
cloisonnés qui évoluent parallèlement. Bien au contraire,
de nombreux facteurs externes et internes interfèrent entre ces deux
types de société.
Au niveau interne, la circulation des individus entre ville et
campagne, une administration centralisée commune, agissent bien
évidemment interactivement. De même que, au niveau externe les
choix politiques (plan d'ajustement structurel, accords de libre
échange) ont eu des incidences aussi bien en milieu rural qu'en milieu
urbain, tant au plan économique que social.
C'est ce qui permet de penser qu'actuellement la
société marocaine contemporaine résulte d'une
confrontation mais aussi d'un brassage de deux modèles
sociétaux.
L'occupation de l'espace s'est considérablement
modifiée, impliquant nécessairement sa réorganisation en
même temps que la mise en place d'un modèle sociétal
adapté. En se substituant à la collectivité qui assurait
la cohésion sociale en milieu rural traditionnel, l'État doit
assurer ces mêmes fonctions dans la société contemporaine
en tant qu'élément fédérateur et régulateur
d'un système légitimé par des règles, des normes et
des lois.Il doit, de ce fait, garantir à chacun une place dans la
société.
Or, lorsque la prise en charge de l'individu par le groupe
cesse d'être opérationnelle, il perd ses repères.
Pour qu'il puisse changer ses modes de représentation
et se percevoir en tant qu'élément particulier mais indissociable
et indissocié d'un ensemble socialisé, d'autres repères et
d'autres modèles doivent lui être proposés.
Même si le bon fonctionnement de la
société est l'affaire de tout citoyen, c'est à
l'État qu'il appartient d'assurer ces fonctions.
De fait, bien que conscient du rôle qu'il doit assumer,
ce dernier s'est trouvé débordé par la rapidité de
la mutation sociétale et n'a pu faire face à la demande, qu'il
s'agisse de la scolarisation, de la santé, de l'habitat ou de l'emploi.
Cette incapacité de l'État à remplir ses engagements peut
expliquer pour partie que la société marocaine oscille toujours
entre tradition et modernité. Car, et c'est un principe universel,
lorsqu'on vit dans un présent incertain, on a tendance à prendre
comme référentiel les valeurs séculaires connues et
sécurisantes, la famille, la tribu, la religion, etc.
Cette situation est d'autant plus mal vécue qu'en 1956,
à l'instauration de l'Indépendance, la population tout
entière, villes et campagnes confondues, fut portée par un grand
élan national.
Les membres du parti nationaliste s'étaient alors
fixé pour principaux objectifs de donner à tout citoyen
l'accès à l'instruction, à la santé et le droit au
travail.
En 2005 et malgré de notables efforts accomplis de la
part de l'État et de la Société civile, force est de
constater que non seulement ces objectifs ne sont pas atteints mais qu'à
l'inverse, la situation sociale s'est progressivement
détériorée à l'intérieur du pays.
L'État doit encore faire face à un déficit patent en
matière d'éducation, de santé, d'habitat et d'emploi,
principaux domaines générateurs d'exclusion.
L'une des principales raisons invoquées est d'ordre
conjoncturel : à partir des années 82, la mise en place du PAS a
contraint l'État à privilégier les équilibres
financiers au détriment de la politique sociale interne.
Il n'en demeure pas moins que les politiques sociales
instaurées par l'État devraient être encore
renforcées si on veut donner à tout individu (des deux sexes) le
droit au travail, à l'instruction, au logement et à une
protection sociale. Ainsi pourrait on diminuer sensiblement les cohortes
d'exclus.
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