MARJORIE PONTOISE
DRM (DIGITAL RIGHTS MANAGEMENT)
LES MESURES TECHNIQUES DE
PROTECTION DES OEUVRES
|
MASTER PROFESSIONNEL DROIT DU CYBERESPACE
COURS DE SECURITE INFORMATIQUE &
CRYPTOLOGIE
M.HOANG / 2006
SOMMAIRE
Introduction...............................................................................................3
I. Les DRM consacrés par la loi : les enjeux
de la gestion des droits numériques
A) Les enjeux juridiques et
économiques.........................................................7
1. Directive européenne 2001 et transposition en droit
français........................................7
2. Les nouveaux usages des
consommateurs.....................................................9
B) La titularité des droits et l'exploitation des
droits..........................................10
1. Le contrôle de l'accès aux
oeuvres.............................................................10
2. Le contrôle de la copie des
oeuvres............................................................12
3. La création d'un collège de
médiateurs......................................................14
II. Les DRM en pratique : l'approche technique
A) L'architecture des
DRM........................................................................17
1. Les mesures de protection techniques des contenus en 4
étapes..........................18
2. Le chiffrement des
contenus...................................................................21
3. Le
watermarking.................................................................................22
B) La contestation de la légalité des mesures
par les consommateurs........................27
1. La copie privée remise en
cause ?.................................................................................27
2. Du problème de
l'interopérabilité ............................................................29
- Les incompatibilités avec certains appareils de
lecture.......................................30
- Les exemples
jurisprudentiels............................................................30
- Les incompatibilités entre les différents
formats propriétaires.....................33
3. Les
XrML..........................................................................................34
C) Un exemple concret de protection :
« Windows Media Rights Manager »...............36
Bibliographie...........................................................................................40
« La protection des contenus permet d'abandonner
définitivement le concept de copie en tant que pierre angulaire de la
protection des titulaires de droits »
L.Chiariglione, Rapport CSPLA (2001).
INTRODUCTION
Les droits de propriété littéraire et
artistique et les libertés individuelles connaissent actuellement une
phase de tension. En effet, le développement simultané des
technologies numériques et du réseau Internet, tout en offrant
des possibilités nouvelles d'exploitation et d'utilisation licites des
oeuvres, favorise la multiplication des actes de contrefaçon. Or le
souci légitime des titulaires de droits de propriété
littéraire et artistique d'assurer l'effectivité de leurs
prérogatives dans l'environnement numérique, que ce soit par le
développement de systèmes de gestion numérique des droits
ou l'adaptation à ce nouvel environnement des instruments techniques et
juridiques traditionnels de prévention et de répression de la
contrefaçon, suscite parfois des inquiétudes de la part des
utilisateurs, qui redoutent l'impact de ces initiatives sur les libertés
individuelles, au nombre desquelles figure le droit au respect de la vie
privée. Les DRM (Digital Rights Management) sont des systèmes de
gestion des droits dont la vocation est avant tout de permettre d'identifier
une oeuvre et ses ayant droit, et d'assurer un suivi des exploitations qui en
sont faites dans un environnement numérique. Accessoirement, peuvent
leur être associés des règles d'utilisation de l'oeuvre et,
le cas échéant, des dispositifs de contrôle d'accès
à cette oeuvre, qui rendent le respect de ces règles
contraignant. Mais gestion des droits et contrôle d'accès sont
deux choses bien distinctes.
Les systèmes de gestion numérique des
droits
Les systèmes de gestion numérique des
droits ont pour objet de permettre l'exploitation et l'utilisation
d'oeuvres sous forme numérique dans des conditions propres à
assurer le respect des droits de propriété littéraire et
artistique, notamment par l'octroi d'autorisations correspondant aux
prérogatives conférées par la loi aux titulaires de tels
droits. A ce titre, leur développement répond à une
préoccupation légitime des ayants droit, qui a d'ailleurs
trouvé une consécration juridique dans la protection
accordée aux mesures techniques auxquelles ont recours ces
systèmes par les traités de l'Organisation mondiale de la
propriété intellectuelle (OMPI) du 20 décembre 1996 sur le
droit d'auteur (article 11) et sur les interprétations et
exécutions et les phonogrammes (article 18), d'une part, et par la
directive européenne du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains
aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société
de l'information (articles 6 et 7), d'autre part, ainsi que par la
récente promulgation de la loi DADVSI : le 23 mars 2006. Il
convient en outre de souligner que ces systèmes présentent, par
rapport aux canaux traditionnels de distribution des oeuvres, des avantages
pour les utilisateurs, en permettant notamment le développement de
nouveaux usages et de nouveaux services.
Les DRM, ces "logiciels de gestion des droits"
de lecture des fichiers numériques qui verrouillent l'accès aux
films et musiques sur Internet, sont au coeur du débat de la loi DADVSI
qui transpose en droit français la directive européenne sur "la
compensation équitable", et qui a pour ambition de trouver un
équilibre entre la nécessité de rémunérer
les auteurs, de films ou de musique, et le développement de
l'accès aux oeuvres sur Internet.
M. Donnedieu de Vabres (ministre de la Culture) a
insisté sur la nécessité de garantir
l'interopérabilité, c'est-à-dire "de permettre de
lire, quel que soit le support, des oeuvres acquises légalement".
La légalisation des mesures techniques de protection destinées
à empêcher les copies : recouvre les technologies qui
vérifient si le consommateur a bien le droit d'écouter une
chanson ou regarder un film acheté sur Internet, qui fixe le nombre de
copies qu'il a le droit de faire, et surveille les transferts vers les
différents appareils numériques : baladeurs, ordinateurs ou
décodeurs à disque dur.
Contrairement aux fichiers MP3, les DRM permettent ainsi
à Apple, pionnier de la musique en ligne avec plus d'un milliard de
morceaux téléchargés, de réserver à ses
baladeurs iPods la lecture des musiques achetées sur le site
AppleMusicStore.
Conçus par des sociétés de logiciels, au
premier rang desquelles Microsoft, RealNetworks, ContentGuard et Intertrust,
à l'intention des industriels de la musique ou du cinéma, ces DRM
constituent des verrous très contraignants : ils empêchent
souvent de donner à un proche un morceau de musique que l'on a
acheté ou de l'écouter sur plusieurs appareils.
Le simple fait de changer la configuration de l'ordinateur
peut empêcher de retrouver sa musique, parce que les licences ne sont
plus accessibles.
Les industriels et les éditeurs assurent que les
problèmes liés à l'utilisation des DRM sont en voie de
règlement. Mais l'utilisateur ignore généralement les
contraintes qu'ils font peser, et seuls des sites Internet en anglais remplis
d'explications techniques livrent des solutions aux difficultés de
lecture des musiques ou des films ainsi protégés.
La mesure technique de protection se définit comme
« toute technologie, dispositif ou composant qui, dans le cadre
normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher
ou à limiter, en ce qui concerne les oeuvres ou autres objets
protégés, les actes non autorisés par le titulaire
d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur prévu par la
loi. Les mesures techniques sont réputées efficaces lorsque
l'utilisation d'une oeuvre protégée, ou celle d'un autre objet
protégé, est contrôlée par les titulaires du droit
grâce à l'application d'un code d'accès ou d'un
procédé de protection, tel que le cryptage, le brouillage ou
toute autre transformation de l'oeuvre ou de l'objet protégé ou
d'un mécanisme de contrôle de copie qui atteint cet objectif de
protection » (article 9-3 de la directive 2001/29/CE1).
Des nouvelles formes de consommation
En pratique, les mesures techniques de protection ont toujours
existé mais elles ont actuellement tendance à se
généraliser. En effet, avec l'évolution constante des
technologies le problème de la copie illicite d'oeuvres
protégées prend une importance considérable et
inquiète les industries productrices d'oeuvres protégées
(industrie du disque, du cinéma, du logiciel....). Il leur est donc
apparu nécessaire de réagir afin d'essayer d'enrayer le
phénomène de la copie illégale et de ce point de
vue elles ont considéré que les mesures techniques de
protection peuvent constituer un remède à cette pratique
illégale et difficilement contrôlable.
Au-delà du problème de la lutte contre la copie,
il apparaît également que ces mesures permettent de
développer de nouvelles formes de consommation. Ainsi, les mesures
techniques de protection permettent et accompagnent les nouvelles formes
d'utilisation des oeuvres telles que le téléchargement
légal de certaines créations proposées par les auteurs, le
jeu en ligne, le paiement à la séance qui permet de voir un film,
ou bien encore le « streaming».
Ces nouvelles formes de consommation sont elles aussi
accompagnées de la mise en place de systèmes de protection qui
« permettent aux sociétés commercialisant des
produits multimédias sur Internet d'associer ces contenus à des
droits d'usage prédéfinis donnant lieu à paiement par le
consommateur final ». Par exemple dans le secteur de la
musique, la fonction des DRM est de restreindre l'usage possible des titres
téléchargés par le consommateur, conformément aux
droits qui ont été négociés entre le producteur (la
« maison de disques ») et le distributeur (la plate-forme de
téléchargement). Les droits en question concernent principalement
le nombre d'ordinateurs différents sur lesquels la musique peut
être téléchargée, écoutée et
copiée, le nombre de gravures sur CD des titres
téléchargés et le nombre de transferts autorisés
vers des baladeurs numériques.
Bien que parfaitement compréhensible, la mise en place
de ces mesures n'est pas sans poser quelques problèmes, en effet, elle
vient heurter de plein fouet les droits du public, des consommateurs et met
à mal l'exception pour copie privée consacrée par M. Le
Chapelier (1793) et Lang (1985). D'une part elles restreignent la
manière dont le public peut consulter une oeuvre protégée
(ainsi, par exemple, certaines oeuvres protégées ne peuvent
être consultées que sur un certain matériel ou en faisant
usage de certaines technologies du fait d'incompatibilité liées
aux mesures techniques de protection). D'autre part ces mesures empêchant
la copie prive également l'utilisateur final du bénéfice
du droit de copie privée dont dispose normalement toute personne sur les
oeuvres protégées qu'elle acquière légalement.
Dès lors, comment concilier la mise en place de mesures techniques de
protection avec les dispositions légales autorisant le public à
réaliser des copies privées des oeuvres et avec celles
protégeant les droits du consommateur sur le support qu'il
acquiert ?
Avec la généralisation à venir des
mesures techniques de protection des oeuvres il est essentiel de savoir si l'on
peut considérer que l'utilisateur d'une oeuvre dispose d'un
véritable « droit à la copie privée »
ou s'il ne s'agit que d'une simple exception. Sur cette question fortement
controversée, les associations de consommateurs estiment que la copie
privée est un « droit reconnu aux consommateurs »
qui, en tant qu'acquéreurs et utilisateurs, doivent pouvoir utiliser
librement l'oeuvre dans la sphère privée. Au contraire, selon les
auteurs les producteurs et les éditeurs, la copie privée n'est
qu'une tolérance, ou tout au plus une exception au monopole de l'auteur,
qui doit être limitée pour ne pas porter atteinte à
l'exploitation normale de l'oeuvre ou causer un préjudice
injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.
Le problème se pose d'autant plus que les textes
internationaux relatifs au droit d'auteur ne qualifient pas la copie
privée de « droit ». Ainsi, par exemple, la
directive européenne du 22 mai 2001 dont la transposition donne lieu
à de nombreux débats parle pour sa part simplement de
« faculté pour les États membres de prévoir
une exception de copie privée ».
Dans tous les cas, qu'il s'agisse d'un véritable droit
ou d'une simple exception, la copie privée est remise en cause par les
mesures techniques de protection qui empêchent sa réalisation.
Les mesures techniques de protection de l'accès ont
affaire avec l'économie de la distribution de contenus numériques
culturels, sa concentration, sa gestion, etc. ; elles ont aussi affaire avec la
liberté des différentes catégories d'utilisateurs
d'accéder aux oeuvres ainsi protégées. Les DRM
comprennent des mesures techniques de protection et de contrôle de
copie mais visent surtout à donner une traduction technique à
l'exercice de l'exception de copie privée des droits exclusifs des
auteurs et de titulaires de droits voisins.
Malgré les difficultés posées par ces
moyens et vu leur importance économique (selon l'institut
d'études IDC, l'industrie des DRM a représenté en 2005 un
chiffre d'affaires de 3,6 milliards de dollars) le principe de leur mise en
oeuvre a été consacré par la loi (I); il
faudra alors s'intéresser à leur mode de fonctionnement et leur
technicité pour aborder le problème de la légalité
de ces mesures techniques de protection et la méfiance des consommateurs
qui voient dans ce système une atteinte au droit d'utilisation du
produit (II).
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