Cusco et l'image de l'étranger dans Inka Trail et Senores destos Reynospar Nataly Villena Vega Université Paris III - Maitrise en Littérature Générale et comparée 2001 |
2.2.3 Morphologie de l'étranger.L'étranger d'Inka Trail apparaît très rarement sous cette dénomination, des mots populaires ou encore de l'argot sont utilisés à sa place, alors que celui de Señores destos Reynos se fait le plus souvent désigner par sa nationalité :
a) Saisie extérieure des personnages : Les premiers signes de différentiation entre les personnes ont évidemment un rapport avec leur aspect physique. Dans le tableau suivant, certaines caractéristiques générales nous aideront à comprendre que l'image de l'étranger et la distance entre le Je et l'Autre, se construisent très souvent à partir des différentiations telles que la couleur des yeux ou le teint de peau.
L'étranger est, donc, clairement différenciable par son physique. Le procédé d'éloignement par le physique fait qu'aucun péruvien ne peut être confondu avec un étranger. Or, dans le groupe de personnages péruviens il est encore possible d'établir certaines différences entre les personnages andins et ceux de la côte. Cet éloignement étant trop subtil, les auteurs ont recours aux vêtements et aux traits de caractère. Caractéristiques générales(personnages principaux)
Le « brichero » est caractérisé de la façon suivante : « Tupi Velázquez vestía de negro como fondo a un chaleco colorido con motivos prehispánicos. Coronaba su densa cabellera con el viejo sombrero de paño de José Gabriel Condorcanqui, Túpac Amaru, su antepasado inmediato. Llevaba, además, colgado en su pecho, un medallón de oro puro que le fue entregado a su padre, y al padre de su padre, y al de éste y al de éste. Su muñeca estaba ceñida por un lazo tejido por un artesano semiciego, implacable en cada puntada. »39(*) « ...cabello largo, sombrero Túpac Amaru, chaleco de Taquile y camisa de bayeta... »40(*) - Nationalité de l'étranger. L'analyse des deux livres nous permet de détecter une grande diversité de personnages. L'étranger y est en grand nombre. De la soixantaine de personnages d'Inka Trail, 10 sont des personnages principaux et parmi eux, 6 sont des péruviens et 4 viennent d'autres pays. Des personnages péruviens seulement 2 sont de Cusco, les 4 autres viennent de la côte du pays dont 2 de Lima. Señores destos Reynos rassemble dans sa première partie plus de 60 personnages, 10 personnages principaux dont 3 indigènes, 3 métis et 4 espagnols. Dans sa deuxième partie il y a un total de 40 personnages, dont 6 principaux : 5 de Cusco et 1 étranger.
Il faut souligner la profusion de personnages masculins nationaux et féminins étrangers. Erreur ! Liaison incorrecte. Les noms et prénoms des personnages sont souvent substitués par leur nationalité ou lieu d'origine dans un procédé de nature métonymique. Cette constante mise en relief de l'altérité du personnage, au détriment d'autres caractéristiques, finit par le réduire au stéréotype et par le rendre en quelque sorte interchangeable : - Profession ou activité de l'étranger Le personnage a aussi une fonction sociale. L'importance de cette fonction est fortement déterminée par son activité économique, métier ou profession. Dans le cadre suivant nous pouvons distinguer les activités et professions choisies pour caractériser l'étranger dans les oeuvres analysées :
La plupart des personnages étrangers sont des gens éduqués, avec un bon niveau culturel et sans grandes difficultés économiques. Les auteurs choisissent souvent de les placer dans le cadre du loisir ou d'études lorsqu'il s'agit d'anthropologues ou ethnologues. Aucun des personnages principaux ne travaille de façon permanente à Cusco et les seules activités occasionnelles qu'ils exercent sont celles qui les mettent en contact avec leurs semblables : guide de tourisme, barman, etc. Le Je pour sa part, exerce différentes activités, il est aussi bien un professionnel de bon niveau culturel (anthropologue, médecin, avocat) qu'un paysan, mais leurs métiers ont souvent un rapport avec l'activité touristique. b) Saisie intérieure de l'étranger. La saisie intérieure de l'étranger est souvent faite en termes absolus, particulièrement dans le cas de Señores destos Reynos. Tant le Je comme l'Autre sont caracterisés de façon opposée, la confrontation entre les bons et les méchants est la marque distinctive de la première partie du livre ; dans la deuxième partie cet effet est atténué. Inka Trail, pour sa part, pousse au bout certains traits des personnages et l'effet est proche de la caricature. L'Inca est ainsi passionné : « En el afán de recuperar a esa mujer, su única luz entre tanta tiniebla, [...] quiso atraer [le conquistador] a una celada », et n'éprouve aucune rancune : « Por qué me has hecho esto?, le preguntó sin rencor ». L'Inca est digne et majestueux, capable d'imposer le silence avec un simple mouvement de mains. Sa nature est divine et il est vénéré par ses citoyens : « ...la cabeza del príncipe [...] en lugar de ser envilecida por los gusanos, estaba día a día embelleciendo... ». L'indigène est courageux et vaillant, il se bat héroïquement. Son univers est celui de la magie et du monde naturel : « ...tenían el don de ver lo venidero en las nervaduras de las hojas, en las vísceras del cuy, en el corazón de las llamas... ». L'indigène souffre à cause de sa nouvelle condition : « menospreciada en su propio país y apartada de su gente, no acababa de comprender cuál era su lugar en un mundo tan hostil » . Il vit en profonde tristesse : « una profunda melancolía [...] caló en su alma y dejó huella en su semblante ». Quant aux étrangers, les métis sont conjurateurs et lâches : « pusilánimes, medrosos, sin esas partes nobles que [son] signo de hombría », et les Espagnols leur apparaissent en tant qu'êtres magiques : «... tenían truenos que mataban a la distancia... », « ...podían conversar [...] mediante unos pañuelos blancos... », « No serían de verdad enviados de Viracocha o de un dios aún más poderoso? ». Ils symbolisent le mal, ils sont dangereux et ils n'ont pas de merci : « ...no se fíen de la gente española porque no son enviados del Viracocha sino siervos del supay, hijos del demonio... », « [el virrey] es sumamente peligroso, fríamente calculador y extremadamente soberbio », « ni siquiera las montañas más inexpugnables ni los ríos más caudalosos eran obstáculo insalvable para ellos », « el virrey Toledo dio muestras de cuán inflexible podía ser ». Le Je les méprise car ils sont peu virils, cupides et voleurs : « [Toledo] el yana del rey de España », « el muy puerco », « como marido y hombre era tan poquísima cosa que la había defraudado », « se llevó la más sagrada de las reliquias,[...] además de otros cuantiosos tesoros y de un rebaño de cincuenta mil llamas », « extranjero usurpador que había robado tierras y hombres», « el verdadero dios de los españoles era el oro, [...] por ese metal estaban dispuestos a matar a sus propios padres y hermanos. », « la voraz codicia de los españoles », « su codicioso esposo », « el verdadero dios de los españoles era el oro y [...] la codicia guiaba sus actos », « lo que movió al capitán [...] fue el deseo de hacerse con los aderezos de oro de Túpac Amaru y con la jugosa recompensa... ». La cruauté des Espagnols n'a pas de limites : « Todo en adelante fueron desgracias, vejámenes y saqueos [...] las peores humillaciones », « mont[ó] en cólera y viol[ó a Cura Ocllo y orden[ó] luego que la varearan, flecharan y arrojaran su cuerpo al río en una cesta... », « pérfidos invasores ». L'indigène ne peut rien contre eux car ils sont astucieux, faux et traîtres : « intentó superar a los barbudos en el arte del engaño y la traición », « ...no se deje engañar por los españoles, que lo único que buscan es echarle una argolla en el pescuezo... », « Y si los españoles, como hacían siempre, burlaban al Inca... ? », « habían engañado con malas artes », « ...fue con palabras melosas como me engañaron [dit l'Inca avant de mourir] ». L'étranger méprise le Je, cependant celui-ci lui reconnaît sa bravoure : « [Le mari espagnol de Beatriz] no perdía oportunidad de denigrar a la nobleza cusqueña », « [les Espagnols] mostraron gran arrojo ». En ce qui concerne l'étranger contemporain, il convient de signaler séparément les traits de caractère de l'indigène, de l'habitant de la côte et du touriste. L'indigène apparaît humble et soumis mais aussi traître, rancunier, violent et vengeur : « ...Malisco, indio renegado y rastrero... », « ....fue el traidor Mamani el que sujetó las bridas de tu caballo ? », « ...basta una chispa para inflamar la ira y el rencor que el indio ha acumulado contra los blancos... », « ...respondieron con actos horripilantes, arrancándote la barba, sacándote los ojos, cortándote la lengua... », « ...y tumbaron la puerta, y me pegaron, y me quebraron los huesos de brazos y piernas, y me cortaron la lengua, y me saltaron los ojos y -para que nunca te metas con nuestras mujeres diciendo- me castraron... ». Lui et son monde restent éloignés et mystérieux et le Je est partagé entre la fascination et le mépris envers eux : « [j'étais] uno el que hablaba de los sufrimientos de los indios y otro el que los hacía trabajar por cuatro reales, uno el que estaba orgulloso de ellos y otro el que los despreciaba. », « El detonante [...] fue la innoble y destemplada reacción de los mistis del lugar, ante el nombramiento de un indígena [...] como gobernador del pueblo. », « ...es necesario escribir con dedicación y cariño la historia de las luchas campesinas y entregar la existencia a esa causa », « ...indio mugriento y piojoso de autoridad... ». L'habitant de la côte est pour sa part bavard, extraverti et vantard. Il se lie d'amitié facilement mais dans ses rapports il y a, sous-jacents, un fort complexe de supériorité et un sentiment raciste envers l'habitant de la sierra : « Unos metros más allá, junto al muro, un sujeto flaco, de cabello castaño y de tez porosa los miraba fijamente. Dijo: -Cholo de mierda! », « La esposa del gerente era de provincias y odiaba la servidumbre de la capital. Decía que estaban todos maleados. -Rateros! », « ...Gerardo explicaba, con ese tono pedante característico de los no nacidos en la Capital Imperial, cómo los urbanistas cusqueños contemporáneos se habían ganado laboriosamente el título de perfectos imbéciles. » Le touriste européen ou américain du Nord apparaît le plus souvent comme un individu sympathique et communicatif, insouciant, impulsif, curieux et extravagant, toujours à la recherche de soi, de nature libre et sans préjugés : «-Hola patas -saludaba, intentando mitigar la natural aspereza que le imponía su lengua y acortar así las distancias. », « [Stephen] me estrechó la mano con calidez paternal. No parecía recordar nada desagradable en su vida larga y llena de oprobio. », « -No eres de ningún lugar? -se burló él. -Soy de una ciudad. Todas las grandes ciudades son iguales. », « las hondas arrugas que configuraban aquel rostro neoyorquino no exhibían su exaltación característica sino que parecían suavizadas por la luz transparente de un nuevo día en el Imperio de los Incas. » Attaché à ses habitudes : « Apareció un gringo que a pesar de la cordillera de los Andes seguía aferrado a su chaqueta de tweed. ». Sale ou propre selon les origines : « La complicidad del idioma común, de la piel, del código de señales, de la escasa tolerancia ante las bacterias. », « -Qué tal el viejo mundo? -Son peores que nosotros: se bañan cada quince días. ». Strict, décidé et profondement individualiste. La femme étrangère est indépendante et sa sexualité est débordante, caractéristiques décrites de façon positive : « Helène bailaba a pocos metros, sola, con movimientos ondulantes que parecían dictados por una necesidad de explicar algo. », « Frente a Manuel se habían ubicado dos fulanas que emitían su sexapil con cierta impaciencia », « Katjia era una gigante. Pero era la reina del reino de las gigantes. Tal vez medía dos metros pero eran dos metros llenos de amor. » Son excentricité et son hystérie sont des traits négatifs soulignés de façon répétée : « A pocos pasos se agitaba un alien. Sin duda era norteamericano, pero de ascendencia sueca o danesa. En su amarillento brazo derecho ostentaba un complicado tatuaje. », « ..una joven europea lucía un ancho pantalón floreado que denunciaba su franca opinión sobre los principios generales de la estética. », « -Es una gringa loca, pero lo que pasa es que hemos enganchado. », « Contó que Helène era una loca.[...] - Lo que más odio son las mujeres histéricas -gritó. », « -Está loca -dijo el chileno-. Ya te lo dije. » La religion, les croyances et les partis pris de l'étranger sont traités avec une certaine ironie : « ...un estado de nervios que nadie sabía explicar [...] terminó siendo achacado a la acción del maligno », « ...rezos y penitencias fueron el remedio... », « el severo Dios de los cristianos », « Las alemanas expertas en ecología jamás tocan los pelos de sus axilas. Y estos crecen exuberantes. No mancillan tampoco el lugar con productos químicos. », « El Atómico mostró una sonrisa iluminada e informó, con palabras rebuscadas, algo sobre el centro magnético del universo. -Hay un encuentro. Han venido maestros de renombre mundial -detalló. Parecía contento. » Pour traiter le thème du parler de l'étranger dans les oeuvres analysées il est nécessaire de faire quelques observations : - Il faut, en premier lieu, dire que tous les personnages étrangers ne parlent pas dans les textes étudiés. - Il faut noter ensuite que, lorsque les personnages étrangers parlent, le texte ne transmet pas toujours leurs paroles par l'entremise du discours direct. - En dernier lieu, il faut souligner que, même lorsque les paroles de l'étranger sont retranscrites dans un discours direct, il existe une convention littéraire tacite selon laquelle tout personnage, même étranger, s'exprime dans la langue dans laquelle est écrite l'oeuvre narrative. Cependant, dans le cas d'Inka Trail, il est possible de trouver quelques phrases en anglais, particulièrement lorsque les personnages étrangers parlent entre eux. Selon cette convention les textes peuvent choisir de ne pas retranscrire les nuances particulières de l'accent de chacun (de fait, dans les textes que nous analysons, 40 personnages étrangers sur 44,- c'est-à-dire 90% des personnages étrangers du corpus- ou bien ne parlent pas ou bien, s'ils le font, ils s'expriment dans un espagnol neutre), ce qui arrive dans presque la totalité des cas : « -O sea que tú eres nada menos que el cantinero -dijo el anciano, con un castellano aprendido en Tijuana. Examiné sus ojos azules que parecían esmaltados a fuego vivo. -Vives para mezclar tragos que no son para ti? » Quant aux paysans indigènes ou indigènes de la ville, il faut souligner que leur origine ne peut être déterminée que par leur parler. C'est à travers la subtilité du langage que les différences régionales sont établies. Dans ce contexte, les personnages de la côte sont reconnaissables par leur utilisation de l'argot et de clichées : « - Aprendí a imponerme -siguió Gerardo-. Alquilé un depto en un edificio que daba al Golf -arqueó una ceja-. Hasta les dejaba sus dolarillos a mis viejitos. -Lo importante no es sólo ser el mejor sino parecerlo. Soltó una carcajada. Manuel llenó un vaso hasta el borde con agua mineral. -Tú nunca chupas? -le preguntó Gerardo por enésima vez. » Les personnages de la sierra parlent en argot s'ils habitent dans la ville et les paysans ne le font pas : « -Yo era durazo, compadre, pero creo que eso a ella no le molestaba. Ahí empecé a entender que a las crudas les gustamos nosotros los indios de mierda. » « -Qué le pasa, maestro? -se sorprendió el otro, divertido. -Tienes vaina? -preguntó Manuel. Tupi lo estudió un instante. -A usted le gusta la cochinada. -Dos mogras -dijo el cantinero, entregándole el billete. » Le quechua est la langue douce que les indigènes luttent pour conserver et parler l'espagnol est pour eux l'équivalent d'un châtiment : « [le quechua était] el idioma dulce en el que [Beatriz] se comunicaba con su madre », « [L'espagnol] tortura[ba] su entendimiento ». La langue sert aussi à rapprocher le Je et l'Autre : « ... el suave torrente del quechua borraba la hosquedad de los rostros y todos, embrujados por las palabras, olvidaban que ahora él era un intruso... » * 39 Chanove, p. * 40 Nieto, p. 140. |
|