Nataly VILLENA
VEGA
Mémoire de Maîtrise rédigé sous la
direction de
M. le professeur Gabriel Saad
Littérature Générale et Comparée
La ville de Cusco et l'image de l'étranger dans
la littérature péruvienne contemporaine :
Inka Trail de Oswaldo Chanove et Señores
destos reynos de Luis Nieto Degregori
Université Paris III Sorbonne Nouvelle
2002
Sommaire
Introduction
________________________________________________________________2
1. Cusco dans la littérature péruvienne
contemporaine.
7
1.1 Fin de la
dualité néo-indigénisme, néoréalisme.
9
1.2 Cusco, entre l'incanisme et le cosmopolitisme.
14
1.3 Nouvelles manifestations littéraires dans
le Sud du pays.
25
2. L'image de l'étranger (du mot à
l'image).
28
2.1 L'étranger, étymologie et
institutions.
28
2.1.1 Inka Trail et Señores destos
Reynos, deux textes imagotypiques.
30
2.2 Facteurs constructifs au niveau textuel.
31
2.2.1 Examen du lexique (Mots-clés et mots-fantasmes).
31
2.2.2 L'espace et l'étranger.
34
2.2.3 Morphologie de l'étranger.
35
2.2.4 Symbolique onomastique
47
2.3 Le stéréotype.
50
2.3.1 Des personnages stéréotypés
51
2.3.2 Stéréotype et lecture littéraire.
54
2.3.3 L'écriture à thèse.
55
3. La relation hiérarchisée de l'image
de l'étranger. (Dimension idéologique des facteurs constructifs).
______________________________________________________________57
3.1 Le cadre spatio-temporel : la topographie
de l'étranger.
58
3.1.1 L'espace du conflit.
60
3.1.2 L'espace de convergence.
67
3.2 Typologie de l'étranger.
71
3.2.1 Procédés d'inclusion - exclusion
74
4. Le Je et l'Autre : littérature et
société. (L'image comme scénario).
79
4.1 Les scénarios ou
l'« agrégat mythoïde ».
80
4.2 Facteurs constructifs à niveau
transtextuel.
82
4.2.1 Intertextualité.
___________________________________________________80
4.2.2 Paratexte
_______________________________________________________84
4.2.3 Hypertextualité
__________________________________________________87
4.3 Le modèle symbolique.
95
4.3.1 La manie.
95
4.3.2 La phobie.
96
Conclusions
98
- Annexes
101
BIbliographie
_____________________________________________________________98
Introduction
La figure de l'étranger, cet Autre qui menace et qui
fascine, est présente dans la littérature péruvienne
depuis ses origines. La culture du continent américain fut construite
sur la rencontre des groupes qui se considéraient mutuellement comme des
étrangers. Dans l'histoire du Pérou, un pays marqué par la
cohabitation de groupes ethniques différents, le caractère
étranger est aujourd'hui relatif.
Etranger fut l'Espagnol aux yeux de l'Inca lors de
l'entreprise de la conquête du nouveau monde. Etrangers furent les
« criollos » et Espagnols aux yeux des indigènes et
des métis de l'époque coloniale. Etrangers sont aujourd'hui les
indigènes, les touristes et les immigrants aux yeux de la
majorité métisse.
Au sens propre, la qualité d'étranger est
définie par un ensemble de dispositions juridiques dont le fondement est
indissociable de la considération de la naissance d'un individu. Deux
lignes de pensée tracent les axes fondamentaux de la législation,
l'une d'elles considère que le facteur déterminant est la
filiation - ius sanguis- et l'autre considère que le facteur
déterminant est le lieu de naissance -ius soli-.
Au sens figuré l'étranger est l'Autre, tout
être différent ou marginal à l'égard aux normes
établies par ceux qui détiennent le pouvoir (pouvoir politique,
pouvoir économique ou pouvoir symbolique : l'écriture).
La notion d'altérité est, certes, trop vaste
pour être opérationnelle, mais il est vrai également que
limiter la définition de l'étranger à une simple question
de nationalité nous ferait emprunter un chemin trop étroit. La
réalité nous a souvent démontré que la
marginalisation d'un groupe peut avoir un faible rapport avec la possession
d'un document qui attesterait de son appartenance légale à la
communauté dans laquelle il vit.
Dans le présent travail nous analyserons ce type
d'altérité, celle qui associe un individu à un groupe
originaire d'une autre terre et d'une autre culture, indépendamment de
sa nationalité.
L'absence de recherches sur les images littéraires de
l'étranger dans la littérature péruvienne contemporaine et
la complexité dont cette figure est investie aujourd'hui sont les
raisons qui ont motivé le choix du sujet.
En effet, une société marquée tout au
long de son histoire par de profonds changements sociaux proportionne une
grande richesse de matériels pour la construction de l'image de
l'étranger.
Afin de mieux préciser notre recherche nous avons
décidé d'étudier deux oeuvres contemporaines dont la
scène est la ville de Cusco1(*). Ancienne capitale de l'empire Inca, berceau de
l'indigénisme et des mouvements de gauche, Cusco est aujourd'hui l'une
des principales destinations touristiques en Amérique du Sud.
Inka Trail, de Oswaldo Chanove et Señores
destos Reynos, de Luis Nieto Degregori, un roman et un recueil de contes
apparus dans les années quatre-vingt-dix, furent accueillis avec
enthousiasme par le public national. Dans ces oeuvres la figure de
l'étranger apparaît de façon particulièrement
intéressante ; ces livres profondément dissemblables, issus
d'une scène littéraire marquée par la diversité,
pourront nous permettre d'emprunter deux voies différentes dans la
construction de l'image de l'Autre.
L'image littéraire est, nous le savons, inscrite dans
un processus de littérarisation mais aussi de socialisation. Elle
révèle les fonctionnements idéologiques et psychologiques
d'une société qui ne peuvent être compris que dans une
réflexion interdisciplinaire.
Pour étudier le thème de l'étranger dans
la littérature péruvienne, il est alors nécessaire, sans
perdre de vue la littérature elle-même, d'inscrire la recherche
dans un contexte historique et social. Le risque de faire une analyse purement
littéraire est celui de transformer la figure de l'étranger en un
topos littéraire, et d'oublier le caractère
indissociable des liens qui existent entre le texte et la société
qui le fait naître.
Cesare Segra dans son étude sur les principes de
l'analyse du texte littéraire affirme que si le texte est conçu
comme faisant partie d'un acte de communication, il est nécessaire de
considérer ses liens avec la culture. De cette façon la
perspective historique est revendiquée parce que l'émetteur se
sert de codes qui proviennent du contexte culturel auquel ils appartiennent, et
le récepteur utilise les codes dont il dispose pour interpréter
le texte. « Les systèmes de signification sont
institués dans une culture et font partie d'elle.[...] Plus que
condamner une lecture qui considère le texte en soi, en mettant entre
parenthèses le contexte, ce qu'il faut faire c'est constater que cela
résulte impossible », ajoute-t-il.
Daniel-Henri Pageaux propose d'étudier l'image à
travers l'analyse de ses composantes : le mot, la relation
hiérarchisée et le scénario.
Une première démarche consiste donc à
connaître le contexte historique, social, culturel, économique et
politique dans lequel naît l'image de l'étranger. Il s'agit de
comprendre à partir de quelles données nos auteurs construisent
cette image de l'Autre et de connaître les mécanismes internes du
fonctionnement de la société. Ces mécanismes seront
identifiés plus tard dans l'utilisation de certains mots, dans
l'établissement de hiérarchies ou dans la configuration des
scénarios.
A la suite de cette analyse du contexte, il faut ajouter celle
de la construction de l'image à partir des mots. La critique
littéraire du siècle dernier et des premières
années du XXIème siècle part des études
effectuées par Ferdinand de Saussure et Albert Secherhaya en 1916 (Cours
de linguistique générale).
Cette approche analytique privilégie la structure ou
forme du texte, en conséquence le texte est aussi étudié
comme un corpus objectivement linguistique. Un examen du lexique nous permettra
donc, dans le deuxième chapitre, de trouver les mots-clés et les
mots-fantasmes ainsi que les mots pris à l'étranger qui composent
les réseaux lexicaux dont l'image est issue. Le comptage d'occurrences
et l'identification des procédés de différenciation ou
d'assimilation serviront à comprendre l'écriture de
l'altérité dans les textes de notre corpus ainsi que la formation
et l'attribution des stéréotypes.
L'analyse des mots qui servent à créer l'image
de l'Autre implique également l'identification des rapports
hiérarchiques dans la structure du texte imagotypique. Dans le
troisième chapitre nous nous occuperons d'établir un
système de personnages à partir de la caractérisation de
l'étranger et de la structuration de son espace, ainsi que de la
formation de l'altérité par la qualification
différentielle.
Toutefois, le texte et le contexte littéraire
transcendent la seule structure. Dans un dernier temps, nous analyserons
l'image de l'étranger comme scénario et nous identifierons des
modèles préétablis dont les auteurs se servent.
L'intertextualité éclairera finalement dans quelle mesure les
textes de notre corpus peuvent aussi être des outils de communication
symbolique.
1. Cusco dans la littérature
péruvienne contemporaine.
« Cuzco que guarda y sustenta une energía
fundamental[...] Esa ciudad esencial que conjuga las viejas experiencias
históricas del país, resume el peregrinaje del hombre peruano y
mantiene el orgullo de esa colectividad ilustre en el continente como forjador
de culturas señeras. »2(*)
Pour un historien comme Luis Enrique Tord, Cusco est
forcément un point de départ intéressant. Impossible de
détacher cette ville de son passé, regretté, nourri,
idéalisé, tergiversé et exploité, latent dans tout
ce que l'on observe. Cusco est en effet une ville aux aspects multiples :
centre des Andes, ville bohème, paradis des touristes et des
aventuriers, centre écologique, espace mystique et lieu de
fête.
L'importance de Cusco dans la littérature
péruvienne a toujours été liée à sa
condition de bastion du mouvement indigéniste. La littérature
péruvienne reconnaît les origines de ce mouvement à Cusco
vers la fin du XIXème siècle, avec la publication du
roman Aves sin nido3(*) de Clorinda Matto de Turner4(*) (1854-1919) et du livre El
padre Horán5(*),
de Narciso Aréstegui.
A l'époque du modernisme, lorsqu'une forte
polémique oppose deux groupes récalcitrants, les
défenseurs nationalistes des indiens et les intellectuels d'inspiration
raciste, Cusco se range du côté indianiste6(*). Pourtant, ce n'est pas
seulement la littérature qui s'y intéresse, d'autres
manifestations artistiques de tendance indigéniste telles que la
photographie et le cinéma sont aussi développées7(*).
Après la Révolution mexicaine,
l'indigénisme pénètre les arts plastiques péruviens
de manière généralisée, mais dans la
littérature, il est encore circonscrit à la zone andine et
privilégie un genre : la poésie. La deuxième vague
indigéniste regroupe ainsi une génération de poètes
de Cusco issus de l'avant-garde postmodernisme : Luis Nieto Miranda,
Gamaliel Churata et Mario Florián. Le mouvement indigéniste
Resurgimiento est fondé à Cusco en 1926 et sa
première action est l'organisation d'une « Cruzada por el
Indio ». Les théoriciens les plus réputés de
l'indigénisme national y sont rassemblés dont l'historien Luis E.
Valcárcel et le sociologue José Uriel García, professeurs
à l'université San Antonio Abad del Cusco. A l'indigénisme
raciste que Valcárcel prône dans son Tempestad en los
Andes (1927), s'oppose l'andinisme d'Uriel García qui, dans El
nuevo indio (1930), considère l'indigène non pas comme un
groupe ethnique mais comme entité morale. Ces thèses seront
reprises par José María Arguedas qui les fera connaître
dans le monde entier.
Cependant, la littérature de Cusco, dont l'importance a
été déterminante dans la première moitié du
XXème siècle, connaît un certain déclin
pendant plus de deux décennies. L'indigénisme qui ne fait que se
mordre la queue depuis longtemps s'engage dans une dérive chauvine. Une
littérature qui semble privilégier la tradition orale et le conte
se fait jour grâce à des écrivains jusqu'alors peu connus
tels que Sueldo Guevara et Raúl Brozovich. Cependant, leurs
intéressants travaux, qui n'ont pourtant pas la charge
idéologique de l'indigénisme, resteront sans suite. Depuis, de
nombreux travaux ont été publiés, l'indigénisme n'a
pas abandonné complètement la plupart de ces oeuvres mais une
nouvelle vision commence à s'instaurer et Cusco n'apparaît plus
seulement liée aux questions d'ordre racial ou historique. Son
atmosphère de plus en plus ouverte au monde par les communications et le
tourisme est observée avec grand intérêt par le pays et
constitue un cadre unique non seulement pour la création
littéraire, mais aussi pour les arts plastiques, le cinéma et la
photographie.
1.1
Fin de la dualité néo-indigénisme,
néoréalisme.
Au Pérou, il était fréquent entre les
années cinquante et les années quatre-vingt, de diviser le champ
de la narration (et d'autres genres) en un secteur indigéniste,
intéressé par le monde andin et les transformations que celui-ci
subissait, et un secteur néoréaliste qui avait comme cadre la
ville et les bidonvilles des alentours, et qui choisissait comme protagonistes
les personnages marginaux de la société urbaine.
Depuis les années cinquante, une grande masse
d'habitants de la province, entassée dans des bidonvilles, modifia le
visage de la capitale socialement, économiquement et même
artistiquement.
L'indigénisme du début du siècle -le
protoindigénisme de Vargas Llosa-, opposé à l'hispanisme
et influencé par le naturalisme français et le positivisme,
s `est effacé lentement. Or, un nouvel indigénisme dont
l'objectif n'est plus la protestation social ni la dénonciation de la
difficile situation de l'indigène prend forme. Confronté à
la nouvelle réalité, cet indigénisme agit pour le
renouvellement des liens avec le monde andin.8(*)
Los ríos profundos (1958) d'Arguedas marque le
début de cette période où le questionnement permanent sur
la façon et la difficulté de conjuguer un monde en
évolution et de le sortir de son régionalisme pour l'inscrire
dans la littérature mondiale allaient être une
préoccupation constante.
Après la mort d'Arguedas, Manuel Scorza prend le
relais. Son roman La Guerra silenciosa jouit d'un grand succès
qui lui permet d'accéder à la reconnaissance internationale.
Le néo-indigénisme utilise les attributs
artistiques modernes sans toutefois rompre complètement avec la
tradition indigéniste classique. Après Arguedas et Scorza,
Edgardo Rivera, Eleodoro Vargas Vicuña et Cronwell Jara
témoignent de l'effacement progressif de la ligne de séparation
entre ce type de littérature et le néoréalisme urbain.
Le néoréalisme urbain, un type de
littérature plus expérimental et moderne, s'intéresse aux
changements de la ville et les phénomènes d'immigration, de
pauvreté et de violence de l'époque. Lima est le sujet central de
cette narrative. Des écrivains tels que le groupe Palermo, dont Julio
Ramón Ribeyro est l'un des meilleurs représentants, produisent
des oeuvres capitales dans la littérature péruvienne pendant deux
décennies.
Entre les années cinquante et soixante-dix, les deux
courants de création développent un travail
complémentaire, chacun avec son propre monde référentiel.
La littérature de cette étape a une image duale dont les deux
faces peuvent s'articuler sans problèmes.
Pourtant, à partir des années quatre-vingt,
cette cohabitation bien délimitée est bouleversée.
Après le retour à la démocratie
marqué par l'élection de Fernando Belaúnde en 1980, la vie
sociale et politique du pays subit une sorte de
désintégration.
Le pays avait vécu sous le gouvernement des Forces
Armées (1968-1975) un
« néo-indigénisme d'Etat »9(*) qui prônait le
nationalisme et prenait l'Indien comme symbole du peuple péruvien. Le
système socio-économique avait été
commotionné par des transformations radicales telles que la
réforme agraire et le contrôle des grandes entreprises par l'Etat.
Le retour à l'état de droit n'est donc pas des plus calmes.
En 1979 le Sentier Lumineux fait son apparition en Ayacucho,
ville de la sierra et commence son action terroriste sans attirer une attention
particulière des médias.
Cette guerre qui durera dix ans et qui plongera le pays dans
la violence et la crise économique les plus dures de son histoire,
n'éveillera l'intérêt national qu'en 198310(*). Un nouveau visage du
Pérou apparaît et le terrorisme qui a, depuis longtemps, fait son
travail, pousse de grandes masses d'habitants au déplacement, à
la migration, phénomène déjà commencé
à partir des années cinquante.
La société en est bouleversée, dans les
grandes villes le paysan, l'intrus, devient un fondateur, c'est lui qui
construit la nouvelle ville et qui forge une nouvelle image de soi et de son
entourage. Le processus de « cholification » est en marche
et une nouvelle culture mi-urbaine, mi-rurale tend à s'imposer à
travers de pratiques économiques telles que le commerce informel, des
expressions culturelles (notamment la musique) et les médias,
particulièrement la radio et la télévision. La migration
fait du pays un ensemble hétéroclite et
déstructuré, les nouvelles circonstances obligent à
s'adapter et à réviser toute classification.
Dans cette culture hybride submergée dans la violence,
la littérature trouve de nouveaux éléments de
création. L'analyse du nouveau panorama et des racines de la violence
terroriste oblige à tourner la vue vers le monde andin et à
essayer de le comprendre. Le néo-indigénisme et le
néoréalisme urbain sont révisés. Aujourd'hui, ils
n'ont plus de signification réelle car ce qui existe est un ensemble
chaotique et intense. Des éléments thématiques ou formels
qualifiés autrefois de purement indigénistes franchissent la
ligne et se mélangent aux aspects urbains et vice versa.
Le néo-indigénisme circonscrivait les arguments
et les personnages à un territoire spécifique, à un
paysage et à certaines formes organisatrices ayant rapport strictement
à la vie paysanne. Ceci rendait impossible le rapport entre le champ et
la grande ville par la conception généralisée de ces deux
mondes comme étant antagoniques. Le changement du mode de vie influence
naturellement la littérature.
Vers la moitié des années 1980 deux lignes
opposées dominent la narration péruvienne, l'une moderne et
cosmopolite et l'autre intéressée uniquement à la
réalité du pays.
Un néo-indigénisme renouvelé
-l'indigenismo-2 de Mirko Lauer-11(*) illustre le statut du monde indigène dans un
contexte socio-politique entièrement différent : celui de la
violence.
La disparition de la dichotomie qui faisait la
spécificité de l'indigénisme, disparition prédite
par Sebastián Salazar Bondy, n'est pas loin d'être une
réalité. Une forte crise des postulats dans les décennies
passées donne comme résultat une superposition de nouvelles
images souvent très conflictuelle. Du conflit de ces images faibles
aucune ne paraît avoir l'hégémonie et le champ
littéraire en rend compte.
Antonio Cornejo Polar affirme à ce sujet que le
néo-indigénisme, qui fondait sa légitimité dans
l'espace andin, s'est désterritorialisé profondément. Il
cite comme l'un des exemples les plus clairs, le roman Patíbulo para
un caballo de Cronwell Jara.
Ce qui donne la particularité à ce roman est le
fait que l'histoire ait lieu à Lima, dans un quartier marginal ;
l'histoire raconte les événements qui conduisent à la
formation d'une barriada. La loi, le regard de la
société et les drames personnels sont mis en scène dans un
mélange hétérogène de contenus andins,
criollos, afro-péruviens, et de la haute culture occidentale.
Dans la narration confluent la sagesse populaire et l'académique mais
cela n'arrive pas vraiment à se consolider dans un symbole totalisateur.
L'impression qu'on a c'est que la narration cherche à montrer cette
atomisation de la réalité, encore plus que le signe majeur de
cette réalité est son caractère changeant,
éphémère et aléatoire.
Le morcellement de la réalité confronte le
lecteur aux mélanges : les personnages sont andins mais aussi de la
côte, ils sont ruraux mais aussi urbains, provinciaux mais aussi de la
capitale. On est donc face à ce que l'on appelle métissage.
Or le problème face auquel on se trouve est que
l'idée de métissage est aussi en crise. Quelques années
auparavant les phénomènes socioculturels pouvaient être
expliqués grâce à l'idéologie du métissage si
bien que l'analyse était simplifié. Le héros de cette
formule idéologique avait été l'Inca Garcilaso de la Vega,
le premier métis, le premier péruvien à avoir
réussi dans la fusion harmonique de ses deux racines. Néanmoins,
avec tout son contenu aristocratique, la figure de Garcilaso, fils d'un noble
et d'une princesse, n'était pas celle d'un métis
quelconque ; sa nouvelle image est aujourd'hui celle d'un être
angoissé, victime de conflits non résolus : le besoin
d'harmonie et la condamnation à l'impossibilité de
celle-ci12(*).
La violencia del tiempo (La violence du temps) de
Miguel Gutiérrez est un autre cas encore plus problématique. Ce
roman raconte l'histoire de la famille du narrateur édifiée sur
un péché originel : le viol de la mère par le
conquistador. Le destin du lignage sera marqué par ce fait, et la seule
façon d'effacer la honte consistera en exterminer la descendance
métisse et donc maudite.
Contrairement à Gutiérrez, Edgardo Rivera
Martínez, dans son País de Jauja (1993) présente
un métissage idéalisé. L'histoire du roman se
développe à Jauja, dans les Andes centrales du
Pérou ; le métissage ne constitue pas ici une condition
problématique, c'est une réalité déjà
constituée que l'on accepte naturellement. L'auteur réalise un
travail d'exploration des possibilités de transculturation entre la
société métisse et les valeurs de la société
occidentale entre le XIXème et le XXème
siècle.
Puisque l'indigénisme, l'hispanisme, le
néo-indigénisme et le néoréalisme urbain n'ont plus
de signification réelle, on peut affirmer que le champ littéraire
a cessé d'être régi par la hiérarchisation et
l'organisation d'autrefois.
On est face à un nouvel espace littéraire,
profondément dispersé, sans organicité et sans
hégémonies. Ce qui existe est « une belligérance
vaste et emmêlée entre diverses périphéries, chacune
avec leurs propres postulations et avec un pouvoir fugace et aléatoire
sur des petits espaces culturels. »13(*)
La vague du libéralisme qui envahi toute
l'Amérique latine prône la nécessité d'une
modernisation de racine, et ce changement est en train de recomposer l'espace
littéraire et culturel du pays.
Face à ce désir de modernisation, deux grandes
postures se sont emparées du milieu culturel, l'une d'elles en faveur de
l'innovation, et le pari pour la modernité, et l'autre, plus
conservatrice qui est en quelque sorte encore liée à la tradition
néo-indigéniste.
1.2 Cusco, entre l'incanisme et le cosmopolitisme.
Une nouvelle dynamique s'est emparée de Cusco dans les
trente dernières années grâce à l'interaction de
deux phénomènes : l'idéologie incaniste14(*) et le tourisme.
L'incanisme pourrait trouver ses origines dans Los
Comentarios Reales de los Incas de l'Inca Garcilaso de la Vega, premier
récit qui présente l'empire du Tawantinsuyu de manière
(aujourd'hui on le sait) idéalisée. D'autres oeuvres ont
naturellement suivi cette idéologie et l'ont renforcée et
incorporé à l'imaginaire social.
De même, le tourisme qui n'est pas un
phénomène récent donné à la ville ces
dernières années, un certain caractère cosmopolite. Cette
disposition à rassembler des personnes de plusieurs origines et à
subir des influences des nombreux pays commença au
XVIIIème siècle, époque à laquelle des
célèbres voyageurs tels que Humboldt ou Darwin visitèrent
Cusco pour profiter de la géographie et de la tranquillité de la
zone.
L'incanisme est une idéologie revendicatrice qui fait
partie du mouvement indigéniste. L'incanisme considère le
Tawantinsuyu comme un état modèle de bien-être, un empire
de caractère socialiste. Dans ce « paradis », la
terre appartenait à toute la population et elle était
redistribuée selon les nécessités de chacun, les tributs
bénéficiaient toute la communauté, l'état
protégeait ses citoyens et l'aristocratie contribuait à la
prospérité générale.
L'incanisme et l'indigénisme ont contribué
à développer dans la population de Cusco et de la région
un sentiment d'empathie envers les victimes de la domination (l'Inca ou
l'indigène actuel selon ces idéologies), ce qui a converti la
région en terrain fertile pour l'apparition de mouvements sociaux de
proteste (la gauche est ici l'orientation politique d'acceptation
majoritaire).
L'incanisme agit aussi en renforçant l'image que la
population locale se fait de Cusco. L'habitant rural et urbain a une vision
brillante de sa terre ; le régionalisme et ce sentiment de
fierté adoucissent l'impact que des problèmes tels que le
terrorisme, la corruption, la pauvreté, la contamination, le
chômage, et tant d'autres a dans le reste du pays.
Dans les dernières décennies, l'idéologie
incaniste est intervenue à tout niveau, le premier d'eux, le langage.
L'incanisme prône l'apprentissage et le parler d'un quechua
raffiné et culte, nettement différent de celui parlé par
les indigènes monolingues15(*). Le fait de parler quechua est un motif d'orgueil car
l'habitant se découvre favorisé par rapport aux habitants
monolingues de la côte.
Cependant, cet orgueil est souvent accompagné de
préjugés face aux indigènes contemporains. Si les Inca
sont admirés, ses descendants sont parfois considérés
ignorants, paresseux et alcooliques.
L'incanisme s'exhibe aussi de manière symbolique.
L'exemple le plus frappant est le débat sur la façon correcte
d'écrire le nom de la ville. « Cuzco », la forme
castillane utilisée dès la fondation espagnole de la ville est
refusée par son orthographie trop proche de l'espagnol. La seconde
forme, Cusco, es celle d'usage courant et officialisée par les
institutions régionales. « Qosqo », la
troisième forme d'écrire le nom de la ville, répond au
désir de récupérer la prononciation quechua et fut d'usage
officiel entre 1990 et 1992. Evidemment cette dernière écriture
est celle dont les incanistes se servent par son authenticité
indigène.
L'incanisme se manifeste aussi à travers de nombreuses
représentations visuelles. Le drapeau du Tawantinsuyu est
officialisé et utilisé dans toute cérémonie comme
le symbole de l'incanisme. L'architecture inca est objet de
révérence publique : soigneusement restaurée et
surveillée en permanence, la loi interdit son changement. Le style
architectonique néo-inca envahit les rues et bâtiments du centre
ville avec des monuments aux gouvernants inca, des fresques et des
décorations, la plupart d'entre eux d'une esthétique douteuse.
Les habitants de Cusco, conscients de la valeur du patrimoine
inca, l'exaltent à l'extrême en détriment du patrimoine
colonial, également intéressant, mais commun à d'autres
villes du continent et donc dépourvu du caractère unique.
Les musées reflètent aussi l'incanisme16(*), continuellement
visités par les étudiants de l'école primaire et
secondaire, contribuent à renforcer l'incanisme e indigénisme
transmis à travers les textes d'histoire du Pérou.
Des cérémonies publiques telles que l'Inti
Raymi sont les démonstrations les plus évidentes de
l'incanisme17(*). Des
fêtes telles que le Corpus Christi ou le Cruz Velacuy
(veillée de la croix) sont des rituels de participation massive
où le composant andin et inca est revendiqué sur le composant
espagnol. Conçues comme des expressions d'affiliation collective, ces
festivités marquent le caractère dual de la société
et la culture de Cusco.
Bien qu'une grande partie de ces manifestations ait
été créée pour un public local, aujourd'hui est de
plus en plus destinées aux touristes.
Si le tourisme du XIXème siècle
était occasionnel et élitiste, le tourisme en sens moderne
commence à partir de la découverte de Machupicchu en 1911. Des
publications telles que la National Geographic diffusent cet
événement et, vers 1920, les premiers guides de voyages sont
publiées. La ville reste pourtant de difficile accès jusqu'aux
années soixante, où les premiers vols rendent possible
l'arrivée de grands groupes de visiteurs. Cusco acquiert la
réputation du centre de spiritualité et paix dans cette
décennie de révoltes. Le tourisme de ces années
connaît ainsi d'abord l'arrivée massive des hippies et de
mochileros, jeunes voyageurs à budget réduit qui peuvent
rester dans la région pendant des mois et ensuite du tourisme massif qui
fait augmenter le nombre de vols à trois par jour.
Si en 1963, le nombre total de voyageurs était de
35,767, en 1986 il augmente jusqu'à 144,000, chiffre qui descend suite
aux premières attaques terroristes, à 54,000 touristes en 1991.
Avec la chute du mouvement séditieux, Cusco vécut une explosion
touristique inattendue, en 1995, le nombre de touristes est de 183,000 en 1996,
le gouvernement annonce le chiffre record de 600,000 touristes arrivés
au pays. Les problèmes politiques et divers font que ces
quantités soient très variables, les attentats du 11 septembre
ont ainsi frappé le tourisme du pays et obligé aux acteurs
économiques de varier leurs marchés. Aujourd'hui, le tourisme
à Cusco est principalement européen et l'offre ne se borne plus
au tourisme culturel mais aussi au tourisme écologique, mystique et
d'aventure.
Malgré ses différences, ces
phénomènes agissent de manière complémentaire. Le
tourisme s'appuie économiquement dans l'incanisme18(*).
Le tourisme s'est aujourd'hui diversifié tout comme les
images de la ville. Les jeunes pour la plupart, cherchent le tourisme
d'aventure (randonnée, trekking, parapente, kayak, escalade et autres),
l'écotourisme (voyages à la forêt ou aux réserves
naturelles), le tourisme mystique (visite des lieux énergétiques,
diverses cérémonies religieuses andines) où simplement la
fête (l'ambiance nocturne de la ville est réputée). Ces
formes de tourisme sont cependant liées directe ou indirectement aux
thème inca.
La culture inca à travers le tourisme contribue
à l'économie. Aux yeux de l'habitant de Cusco, la culture inca
n'est plus seulement celle d'une société utopique du
passé, au présent, elle se constitue en tant que soutien
économique et source de reconnaissance. Le tourisme en tant
qu'activité économique agit donc, en renforçant, en
validant et en valorisant économiquement l'idéologie incaniste.
Celle-ci devient en même temps une idéologie de fierté et
de filiation régionale et aussi une marque stratégique pour
vendre la tradition inca en tant que service de consommation pour le visiteur
national et étranger19(*).
Max Hernández donne une intéressante explication
psychanalytique de ces deux phénomènes dans la conscience de
l'individu. La modernité, dit-il, apparaît en occident sous la
forme d'un narcissisme hypertrophique, et dans le tiers monde le conflit que la
modernité génère ont créé un état des
choses qui mène soit à l'affirmation d'une conscience ethnique
passionnée, soit à l'exhibition de formes idéologiques
basées dans un « exécrable
cosmopolitisme »20(*).
L'indigénisme et ses variations plus radicales, dont
l'incanisme, ainsi que le cosmopolitisme et des phénomènes qui
l'accompagnent tels que le bricherismo sont ainsi des symptômes
qui cachent la crise du sujet.
1.2.1 Antécédents.
Avec l'arrivé des espagnols en 1532, Cusco perd son
caractère de « nombril du monde », le centre du
cosmos inca n'a plus d'importance pour le nouveau pouvoir. En 1535 la ville de
Lima est créée et la totalité des organes administratifs
s'y installent. Ceci est le point de départ de l'hégémonie
politique et économique de la côte sur le reste du pays, et
notamment la sierra. Socialement, ce changement se déroulera de
façon plus complexe et moins radicale.
A l'époque coloniale, Cusco occupe encore une place
privilégiée au sein de la Vice-royauté. La Cédule
Royale émise à Madrid en 1540 déclare à Cusco
« Première ville et premier vote de toutes les villes et
villages de la Nouvelle Castille »21(*).
La position géographique de la ville s'avère
être stratégique dans les domaines économique et commercial
parce que Cusco est l'axe du « circuit de l'argent » qui
comprend les mines du sud du Pérou, la Bolivie et le port de Buenos
Aires, une source vitale pour la vice-royauté.
Une grande partie de la noblesse inca habite à Cusco
jusqu'à sa disparition et pendant ce temps exerce encore une certaine
influence sur les décisions du gouvernant, notamment en relation aux
droits et normes qui déterminent la vie des indigènes.
En 1598, les jésuites fondent un séminaire qui
ouvrira les portes à la postérieur création d'une des
premières universités du continent.
Cusco, en tant que point de convergence des quatre
régions inca, et carrefour des chemins qui y mènent, est le lieu
où les mouvements et tentatives de rébellion face à la
domination espagnole se produisent. L'antisuyo ou la jungle, est la
parfaite cachette pour les Inca vaincus qui planifient à plusieurs
reprises des actions militaires telles que la résistance des incas
de Vilcabamba, initiée avec la mort d'Atahuallpa et finie en 1572 et la
rébellion de Túpac Amaru II entre 1780 et 1781. Aux débuts
du XIXème siècle, la noblesse inca est presque
éteinte mais la ville est encore la scène des mouvements
émancipateurs d'Aguilar y Ubalde en 1805 et Mateo Pumacahua et les
frères Angulo en 1814.
Dans la lutte pour l'indépendance, dirigée
fondamentalement par les criollos établis sur la côte, il
y a une absence de bases fortes pour créer une nation
intégrée et juste pour tous ses habitants. Le mouvement
indépendantiste criollo, est marqué par son
caractère fortement élitiste et urbain.
L'établissement de la République oblige le
gouvernement à prendre des mesures particulièrement
conservatrices pour se consolider. Le centralisme fait des ravages et les
frontières avec d'autres Etats son fermées. Les circuits
économiques qui avaient si bien fonctionné pour la Colonie sont
désarticulés.
Dans son désir de rivaliser avec l'Europe, l'Etat
concentre ses efforts de développement dans la capitale et empêche
progressivement celui des régions intérieures du pays. Le cas des
Andes est particulier car la géographie favorise l'isolement des
villes.
Après une période de forte industrialisation qui
avait consolidé l'économie des villes de l'intérieur, les
marchés sont ouverts indistinctement à l'importation de produits
hors du continent américain. Cela détermine la faillite de
nombreuses industries textiles (obrajes) dans la sierra. Cette mesure,
néfaste pour les économies régionales, marque le
début de la décadence des villes de l'intérieur et Cusco
en est le meilleur exemple.
L'énorme chute démographique de Cusco
observée dans le XIXème siècle et aux
débuts du XXème siècle par rapport à
1532, démontre à quel point son importance pour le pays et le
gouvernement avait diminué. De 300 000 habitants en 1532, la ville avait
passé à 12 000 en 1912.
De nombreux documents de l'époque laissent imaginer
Cusco comme une ville obscure, fétide et lugubre,
caractérisée par la bigoterie de sa société.
Paradoxalement, c'est dans ce milieu où le courant indigéniste de
Cusco se développe, accompagné d'un fort anticentralisme et d'une
revendication de Cusco dans l'histoire nationale.
A partir de ce moment un sentiment de fierté
généralisé prendra la forme d'un courant social et
artistique : el cusqueñismo.
1.2.2 La ville et sa nouvelle vision d'elle-même.
En 1950, un terrible tremblement de terre laisse Cusco presque
détruit et ceci attire l'attention des propres habitants et du reste du
pays. Le processus de reconstruction oblige à un rassemblement des
forces locales et une remise en question semble inévitable. Le processus
de reconstruction de la ville détermine les bases de son
développement et marque sa première modernisation.
Les discours indigéniste et cusqueñista
déjà existants sont renforcés par la
généralisation et l'approfondissement des études
andines22(*). La
présence du tourisme s'accroît et cet ensemble sert à
stimuler une importante valorisation de l'entourage.
Dans les années soixante, des grandes mobilisations
paysannes dans les vallées orientales de Cusco appellent
l'intérêt du pays, préparant ainsi la région
à sa future condition de terrain de lutte politique. Plus tard, dans les
années soixante-dix, Cusco devient le siège des grandes
fédérations de travailleurs urbains, paysans et étudiants
et sa population confirme ses préférences politiques de
gauche.
Dans la seconde moitié du XXème
siècle, la population de Cusco se transforme en volume et composition.
Une grande partie de l'élite intellectuelle et économique se
déplace vers Lima et les phénomènes
généralisés de la migration rurale, l'explosion
démographique et la diminution du taux de mortalité touchent
aussi cette ville. Le nombre d'habitants de Cusco est multiplié.
Après douze ans de dictature militaire, le pays rentre
sur le terrain démocratique tout en ayant souffert de grands changements
tels que la Réforme Agraire de 1969.
Vers 1980, avec la vague terroriste du Sentier Lumineux, la
tension économique, sociale et politique explose et engendre une
situation de crise totale. La violence et la répression qui en
résultent n'atteignent pas la ville de Cusco de façon
considérable mais la région en souffre et la misère se
répand dans les alentours. La migration augmente de manière
vertigineuse, particulièrement vers Lima, où tous les services de
l'Etat étaient concentrés et vers la fin des années
quatre-vingt, la violence envahit la capitale qui devient alors le centre du
chaos.
En 1991, la crise du Golfe Persique se répercute
très négativement dans l'économie du pays qui est de
nouveau frappé par l'épidémie du choléra, les
caractéristiques de cette maladie font que la côte soit la seule
région affectée et que le sud andin connaisse une certaine
tranquillité.
La proximité de Cusco et de la campagne fait que la
ville trouve facilement des moyens pour s'approvisionner sans risque. Le
choléra n'apparaît pas dans la ville mais provoque la forte
diminution du tourisme. De nombreux hôtels, agences de voyages et
restaurants ferment leurs portes pendant ces années.
Cependant, Cusco continue à être la destination
favorite du tourisme national et dans le pays, cette ville devient l'un des
derniers endroits de calme et de plaisir. Les habitants de Cusco ont
l'impression de vivre dans un endroit privilégié.
En 1992, le pays est la scène du chaos, de la maladie
et de la crise généralisée. Le gouvernement de Fujimori
proclame un auto coup d'Etat et ferme le Parlement. A Lima on observe tous les
jours l'explosion de voitures piégées qui terrorisent la
population, le même panorama se reproduit dans les zones
d'émergence. La capitale souffre à cause de la destruction des
tours de haute tension et doit supporter des rationnements d'énergie et
d'eau.
Dans la même période, la politique du
gouvernement municipal de Cusco est orientée vers l'embellissement de la
ville. Les oeuvres de construction civile dotent les zones marginales d'eau et
d'énergie.
Le cusqueñismo est la principale
caractéristique de ce gouvernement local, il stimule aussi la
participation aux « Fêtes de Cusco »23(*). La population trouve dans ces
festivités et dans le nouveau visage de la ville une source de
satisfaction et un exutoire au désespoir.
En 1992, de grands événements commotionnent
Cusco et le pays. Au niveau local, la célébration du
Tricentenaire de la fondation de l'Université San Antonio Abad,
principale université de la région, centre culturel de grande
importance pour les habitants de Cusco et berceau des courants de pensée
qui ont dominé le pays dans le passé, mobilisent la population
entière.
En septembre de la même année, le dirigeant du
Sentier Lumineux est capturé, le mouvement subversif est durement
affecté mais la population civile vit dans la peur d'une riposte
violente.
La commémoration du Cinquième centenaire de
l'arrivé des Espagnols en Amérique n'éveille pas de
réactions importantes de la population. Un groupe d'intellectuels issus
de l'indigénisme et dans leur majorité professeurs à
l'université nationale en sciences sociales, décident d'appeler
cette date, « le centenaire de l'invasion espagnole » et de
nombreux documents et articles de protestation sont publiés24(*).
La grande effervescence du cusqueñismo
commence en 1991 pour être, en 1992, un sentiment
généralisé qui dure jusqu'en 1994. Aujourd'hui les
festivités de Cusco occupent une place importante dans le calendrier
annuel mais le cusqueñismo semble être plus stable et
moins débordant.
Pour les habitants d'aujourd'hui, Cusco n'est plus seulement
un espace historique, archéologique ou de fête ; la politique
indigéniste, l'arrivée du tourisme et la prospérité
de la ville au milieu de la crise généralisée ont fait de
cet endroit un ensemble éclectique qui constitue une nouvelle source
d'images sur lui-même et sur sa société.
En réponse au centralisme, les villes
régionales, dont Cusco, ne voient plus en Lima le modèle
idéal de vie. Aujourd'hui ce sont les pays étrangers, et
particulièrement les Etats-Unis qui attirent l'attention.
Le second phénomène de migration cette fois-ci
économique a fait qu'un grand groupe de personnes, spécialement
des professionnels25(*)
soit obligé de chercher de meilleures possibilités de vie
à l'extérieur. Le regard est maintenant posé sur l'espace
étranger et c'est au travers les yeux de l'étranger, une sorte de
miroir, que la société se construit une auto-image.
1.3 Nouvelles manifestations littéraires dans le Sud du
pays.
Aujourd'hui, les frontières du
néo-indigénisme et du néoréalisme ayant disparu, la
scène est ouverte pour les villes de l'intérieur du pays et la
récupération des voix des marges. Les écrivains
péruviens montrent de moins en moins de désir régionaliste
et leur littérature cherche de nouveaux cadres comme une réponse
à la progressive décentralisation culturelle que le pays
expérimente.
Un mouvement littéraire est ainsi initié
à Arequipa vers la fin des années quatre-vingt par le
poète et promoteur culturel Alonso Ruiz Rosas. D'autres poètes
tels que Patricia Alba, Odi Gonzáles, Oswaldo Chanove et Misael Ramos
s'agglutinent autour des magazines Omnibus et Macho
Cabrío et la « República de los poetas »
regroupe les écrivains les plus importants du pays dans des
activités destinées à diffuser la littérature
régionale, une série de lectures littéraires et
d'atéliers d'écriture redonnent du souffle à
l'activité culturelle du Sud péruvien.
La littérature de tendance cusqueñista
prolifère à la même époque, sa thématique est
présente dans presque toutes les publications faites par la
Municipalité ou l'université de Cusco. Un nombre croissant de
touristes arrivent à Cusco à la recherche d'expériences
mystiques et prodigieuses promises dans les brochures et guides de voyage. La
région y est présentée comme une source inépuisable
de magie et d'énergie extraordinaire. De nombreux récits
littéraires ou guides pour des voyages initiatiques dans lesquels ce
stéréotype est renforcé ont été
publiés.
A partir de 1986 la narration andine augmente
considérablement sa production, fortement influencée par les
événements tragiques issus de la subversion (aussi bien du
Sentier Lumineux que du Mouvement Túpac Amaru) ses récits offrent
des points de vue et des traitements divers sur le sujet. Les auteurs d'origine
provinciale sont ceux qui s'occupent le plus du thème de la violence
politique mais l'acceptation nationale est faible. Selon Mark Cox, le
goût et le marché encore faibles seraient à l'origine de
cette situation plus que la qualité même des travaux.
L'anthologie El cuento peruano en los años de
violencia26(*) aborde
le sujet de la violence politique dans les Andes et l'auteur signale qu'il y a
un groupe d'écrivains qui commencent à produire à partir
de l'expérience de la guerre subversive. Parmi les écrivains
réunis, Dante Castro, Luis Nieto Degregori, Enrique Rosas Paravicino et
Jaime Pantigoso Montes, tous nés à Cusco montrent une claire
influence de l'indigénisme, mais comme Cox l'affirme, la narration
andine qui s'occupe du thème de la violence est un trait de plus dans la
littérature péruvienne actuelle.
Néanmoins, au-delà des aspects
thématiques, ces modèles narratifs nous parlent aussi de la
fugacité de ses messages. Ils constituent des codes expressifs
marqués par leur condition éphémère,
c'est-à-dire que dans leur propre forme ils communiquent une vision du
désespoir qui coïncide avec celle dont leurs arguments parlent.
Une nouvelle ligne narrative apparaît pour enrichir le
panorama de la prose de fiction : le récit historique, dont
Señores destos Reynos (1994) de Luis Nieto Degregori27(*) (1955) est un exemple
intéressant. Nieto réalise une vaste recherche historique sur les
événements les plus importants de l'époque coloniale, pour
construire dans une prose élégante, des univers où
l'influence néo-indigéniste est évidente. D'autres
écrivains comme Enrique Rosas Paravicino28(*) (1948) et Jaime Pantigoso
s'intéressent aussi à cette voie.
En revanche, la narrative réaliste d'Oswaldo
Chanove29(*) (1953) et
Mario Guevara30(*)
préfère s'éloigner de la tradition, thématiquement
dans le cas de Guevara et aussi formellement dans le cas de Chanove.
En effet, Chanove, qui s'initie dans le monde de la
littérature à travers la poésie, démontre un fort
expérimentalisme ; ceci avait déjà surpris dans une
poétique nationale dont les signes dominants étaient la
pluralité et la dispersion. Ses premières publications
poétiques étaient caractérisées par un fort
iconoclasme qui pourrait trouver son origine dans le désenchantement
politique et social. Son travail narratif en rend évidemment compte et
l'attention est attirée par l'influence d'autres arts, en particulier le
cinéma et la musique. De même, il y a une revendication de ce qui
est banal, de la production des mass média, la culture pop et les
clichés.
C'est alors dans un contexte littéraire individualiste,
hétérogène et critique envers l'idéologie du
passé où l'écrivain traduit la mise en question permanente
de l'image de soi. Qui suis-je ? semble être la question
sous-jacente dans la plupart des textes, et puisque cette question n'a pas de
réponse, l'écrivain se retourne vers l'autre.
2. L'image de l'étranger (du mot
à l'image).
Il est connu que l'image est une représentation
verbalisée qui ne reflète pas la réalité mais un
ensemble d'aspects basiques d'elle-même. Nous savons aussi que
grâce à ces traits basiques l'homme peut la saisir de façon
simplifiée, il s'investit d'une certaine assurance et agit en
conséquence.
L'image fait partie de la constitution d'une conception du
monde. Cette conception étant assimilée par l'éducation et
par la société, on peut affirmer que l'image est l'une des
façons dont l'homme apprend. L'homme essaie ainsi de se former une image
lucide et simplifiée du monde pour surpasser celui de
l'expérience en essayant de la lui substituer31(*).
L'image littéraire reprend et récrit ces
interprétations verbalisées que l'homme fait sur sa perception de
l'univers. Souvent légitimée ou réfutée, l'image
littéraire peut servir à transmettre des idéologies parce
qu'elle révèle les fonctionnements de la société
Dans les deux oeuvres étudiées, nous verrons
comment les images de l'étranger sont construites et combien elles
répondent à des considérations sociales, historiques et
idéologiques.
2.1 L'étranger,
étymologie et institutions.
Deux mots latins pour désigner l'étranger :
« hospes » et « hostis ».
La dualité est le signe de l'étranger.
L'étranger est l'hôte et l'ennemi.
Hospitalité et hostilité peuvent alors bien
définir les sentiments à l'égard de l'Autre.
L'étymologie des mots révèle trois acceptions : a)
personne qui accueille, b) personne accueillie et dans ce dernier sens, c)
étranger32(*). Plus
tard, « hostis » acquiert une quatrième acception
qui lui assigne la valeur d'« ennemi ». Curieux glissements
sémantiques qui mettent en rapport direct celui que nous jugeons digne
de notre hospitalité, celui que nous signalons comme étant
différent par son origine lointaine et celui envers lequel nous
éprouvons une franche hostilité.
Emile Benveniste, écrit dans un article consacré
au monde étymologique de l'esclave en latin et en grec :
« [...] l'étranger est nécessairement un
ennemi - et, corrélativement, [...] l'ennemi est nécessairement
un étranger. C'est toujours parce que celui qui est né au dehors
est a priori un ennemi, qu'un engagement mutuel est nécessaire
pour établir, entre lui et EGO, des relations d'hospitalité qui
ne seraient pas concevables à l'intérieur même de la
communauté. Cette dialectique [...] joue déjà dans la
notion de philos. [dans la Rome des premiers âges] Les rites,
les accords, le traités, interrompent ainsi cette situation permanente
d'inter-hostilité qui règne entre les peuples ou les
cités. »33(*)
Mais l'étymologie peut nous conduire encore à
d'autres réflexions intéressantes. Le mot
« extranjero » dérivé du latin
exter (du dehors) et extra (hors de) établit un
lien vers les catégories spatiales. Un étranger l'est donc parce
qu'il s'est déplacé dans l'espace. Et si en latin
« dehors » se dit extra et
« près » se dit propre,
l'extraneus devient l'im-propius et s'oppose à
propius. La langue française, pour qui le propius est
« le proche » ou « l'adéquat »,
lui accorde aussi l'acception de « propre », ce qui est en
espagnol « limpio ». L'impropius est ainsi
« l'inadéquat », « le non
proche », « l'impropre », « el
sucio ». L'étranger devient, grâce à ce
réseau sémantique, « le sale ».
La notion castillane « limpieza de
sangre » comprend en soi la polysémie des mots
« propre » et « impropre » et quand on
parle de pureté de sang on pense immédiatement aux mots
« casto »34(*) et « castizo »35(*), tous les deux
dérivés du latin castus (pur, vertueux, chaste).
Comme on peut l'observer, l'étymologie des mots
liés à l'étranger est un point de départ
intéressant pour la réflexion. L'analyse des conceptions
occidentales sur l'étranger que le lexique latin et ses glissements
sémantiques évoquaient peut nous permettre d'éclairer le
sens présent du mot.
2.1.1 Inka Trail et Señores destos
Reynos, deux textes imagotypiques.
Daniel-Henri Pageaux a bien signalé que l'image est un
langage parce qu'elle intervient dans un processus de communication (auteur et
lecteur étant alors émetteur et récepteur). Le choix
délibéré d'une image de l'étranger dans un contexte
précis (dans ce cas-ci celui du Pérou contemporain),
révèle les rapports qui existent entre le Je et l'Autre36(*). Dans notre étude, la
fonction de l'image de l'étranger est donc celle de
révéler les rapports entre le métis d'aujourd'hui,
l'indigène et le visiteur étranger. L'image de l'étranger
a, dans la terminologie de Barthes, une
« fonction-signe ».
Inka Trail et Señores destos Reynos
sont des textes imagotypiques parce qu'ils peuvent être
interprétés (décodés) par le public auquel ces
oeuvres sont dirigées. Leur public lecteur connaît totalement ou
partiellement le contexte culturel auquel les livres font
référence. Il connaît aussi le vocabulaire utilisé
et il peut facilement interpréter l'image de l'étranger.
Le langage utilisé par les auteurs est susceptible de
générer des réflexes sémantiques plus ou moins
univoques. A l'aide de mots-clés, authentifiés par l'histoire,
ces textes permettent un décodage plus ou moins immédiat et le
message transmis par les images de l'étranger peut aussi avoir un
contenu idéologique sous-jacent. « A un moment historique
donné, et dans une culture donnée, il n'est pas possible de dire,
d `écrire n'importe quoi sur l'Autre », nous dit Pageaux.
2.2 Facteurs constructifs au niveau textuel.
2.2.1 Examen du lexique (Mots-clés et
mots-fantasmes).
Notre analyse portera sur l'utilisation de certains mots (les
mots-clès et mots-fantasmes auxquels Pageaux fait
référence) dans la construction de l'image de l'étranger
d'Inka Trail et Señores destos Reynos. Il faut
pourtant ne pas oublier que lorsqu'il s'agit de désigner
l'étranger, l'utilisation de certains mots est elle-même un signe.
En effet, les mots dont chacun des nos auteurs se sert pour le désigner,
ne sont pas les seuls pouvant satisfaire à cette fonction. L'utilisation
de ces mots est sémantisée par leur style.37(*)
Dans Inka Trail, « gringo », est le
mot pour désigner tout étranger. Ce mot péjoratif
utilisé à la base pour parler de l'Américain du Nord
est, dans les oeuvres analysées, un terme d'usage
généralisé. « Gringo » peut ainsi
désigner aussi bien un Suédois qu'un Espagnol. Le mot
« extranjero » est très rarement utilisé.
D'autres variations sont aussi employées :
« crudo » (cru), un mot de l'argot local pour parler de
l'étranger en général qui fait référence
à sa peau très blanche, comme la pâte du pain qui n'est pas
cuite ; « extraterrestre » et
« alien », deux mots qui signalent évidemment leur
appartenance à un ailleurs lointain et à une flagrante
étrangeté ; ou simplement « turista »,
étranger de passage, au premier abord intéressé par la
culture du Je.
Si le mot « gringo » signale initialement
l'Autre, une fois celui-ci intégré à l'histoire
racontée, il est désigné par son prénom ou par des
adjectifs faisant référence à ses traits physiques :
« el viejo », « la rubia », etc. De
même, l'emploi de la nationalité pour l'identification des
personnages est très marqué (« el
inglés », « la sueca », « la
escocesa »), de façon à former ou à renforcer le
stéréotype. Ce procédé est aussi utilisé
dans Señores destos Reynos de façon à
créer des couples oppositionnels : Inca - Espagnol, Péruvien
- Espagnol, et, par extension, indien - métis.
Les personnages nationaux d'Inka Trail sont rarement
mentionnés par leur prénom et apparaissent souvent dans
l'incarnation de rôles ou fonctions (Manuel : « el
cantinero », Víctor : « el
cocinero ») contrairement à ce qui se passe avec les
personnages de Señores destos Reynos, tous clairement
identifiables.
Quant aux mots-fantasmes, il s'agit le plus souvent des mots
en quechua qui ont un rapport avec le monde du Je. Certains de ces mots,
particulièrement ceux utilisés par Nieto, servent le travail
onirique et la communication symbolique. Souvent en rapport à certaines
conceptions métaphysiques et philosophiques du monde andin, ces mots ne
peuvent être compris qu'accompagnés d'autres mots
complémentaires. Ainsi, collana, payan, et
cayao symbolisent la tripartition de l'espace symbolique andin et
hanan et urin, qui correspondent aux notions de haut et de
bas, sont utilisés dans toute conception spatiale.
La création de l'homme selon les Incas commence par les
munay, êtres faits pour l'amour. Comme ces êtres sont
incomplets, les llank'aq sont créés, ces hommes faits
pour le travail ne sont pas heureux. Le troisième âge correspond
donc aux yachay, ceux qui savent penser et qui réussissent
à harmoniser amour et travail.
L'univers andin est encore divisé en trois
parties : l'ukupacha, le monde intérieur ou celui des
dieux, le kaypacha, le monde extérieur ou le monde des humains
et le hanaqpacha, le monde du bonheur auquel seuls les morts arrivent
après un long voyage.
D'autres mots tels que runa (homme initié
à la connaissance ésotérique), mallku (condor,
oiseau sacré qui présage des événements),
apu (dieu qui habite dans la montagne) et ayllu (groupe
indigène vivant en communauté, réunit par des liens
familiaux ou d'affinité) sont aussi utilisés.
Inka Trail inclut d'autres mots-fantasmes tels que :
« Alita de Mosca » et « Caspa del
Inca », noms qui font référence aux drogues et qui sont
utilisés de façon à créer un effet exotique et
à imprégner le monde du Je d'un certain mysticisme.
De même, le mot « brichero »,
utilisé dans les deux livres, introduit la figure du « latin
lover » mystique. Le « brichero », une sorte de
guide spirituel et amoureux, fait connaître les secrets de la culture
andine ainsi que le « véritable » amour à une
étrangère qui avait jusqu'alors fait partie d'un monde
automatisé.
L'analyse lexicale nous permet de détecter aussi un
grand nombre de mots pris à l'étranger, le plus souvent de
l'anglais. La plupart d'entre eux correspondent à des noms de
marques : Epson, Longines, Cheroquee, Pilsen, Coca-cola, Boeing, Chianti,
BMW, Jack Daniels, More, Scania, Absolut ; des mots d'usage courant :
« counter », « jeans »,
« water », « barman »,
« daddy », « the boss »,
« play », « Black label »,
« Rythm & blues », « Hi Fi »,
« Windows » ; des personnages de fiction, bande
dessinée ou de séries télévisées :
Garfield, Indiana Jones, William Body, Billy the kid, Enterprise, Up-Down,
Kamikaze. On trouve aussi des mots hispanisés :
« broder », « taper »,
« chef », « metro »,
« jatear », « sexapil » et les mots en
quechua : « huayqui » ou
« huayquicha », « capero »,
« ukukus », « saya »et
« kirkincho ».
2.2.2 L'espace et l'étranger.
Le comptage des occurrences
montre que du 100% des mentions des lieux spécifiques : 57% font
référence à Cusco, 14% à Paris, 9% à New
York, 9% à Lima, 7% à d'autres villes européennes et 4%
à d'autres villes des Etats-Unis38(*).
Erreur ! Liaison incorrecte.
2.2.3 Morphologie de
l'étranger.
L'étranger d'Inka
Trail apparaît très rarement sous cette dénomination, des
mots populaires ou encore de l'argot sont utilisés à sa place,
alors que celui de Señores destos Reynos se fait le plus souvent
désigner par sa nationalité :
|
Occurrences
|
Gringo
|
Turista
|
Extranjero
|
Crudo
|
Nationalité
|
Inka Trail
Señores destos Reynos
|
40
3
|
8
1
|
2
-
|
2
1
|
70
62
|
a) Saisie extérieure des personnages :
Les premiers signes de différentiation entre les
personnes ont évidemment un rapport avec leur aspect physique. Dans le
tableau suivant, certaines caractéristiques générales nous
aideront à comprendre que l'image de l'étranger et la distance
entre le Je et l'Autre, se construisent très souvent à partir des
différentiations telles que la couleur des yeux ou le teint de peau.
L'étranger est, donc, clairement différenciable
par son physique. Le procédé d'éloignement par le physique
fait qu'aucun péruvien ne peut être confondu avec un
étranger. Or, dans le groupe de personnages péruviens il est
encore possible d'établir certaines différences entre les
personnages andins et ceux de la côte. Cet éloignement
étant trop subtil, les auteurs ont recours aux vêtements et aux
traits de caractère.
Caractéristiques générales
(personnages principaux)
|
|
Yeux
|
Cheveux
|
Peau
|
Taille
|
Noirs
|
Clairs
|
Foncés
|
Clairs
|
Mate
|
Blanche
|
Basse
|
Moyenne
|
Grande
|
Personnages Inka Trail
Alias
Tupi
Autres Cusqueños
Memo
Arturo
Manuel
Gerardo
Autres Costeños
Helène
April
Stephen
Oliver
Autres touristes
Personnages S.d.Reynos
Parte Uno
Manco
Espagnols
Beatriz
Mariano
María Nieves
Parte Dos
Propriétaire
Fernando
Sonia
Abelardo
Laura
Gonzalo
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X
X
X
X
X
-
X
-
-
-
-
-
-
-
-
X
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-
-
X
-
-
-
-
|
-
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-
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-
X
X
-
X
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X
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X
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X
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X
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X
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X
X
X
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X
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--
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X
X
X
X
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X
X
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X
X
X
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X
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X
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X
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X
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X
X
-
X
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-
-
-
-
-
-
-
|
Le « brichero » est
caractérisé de la façon suivante :
« Tupi Velázquez vestía de negro como
fondo a un chaleco colorido con motivos prehispánicos. Coronaba su densa
cabellera con el viejo sombrero de paño de José Gabriel
Condorcanqui, Túpac Amaru, su antepasado inmediato. Llevaba,
además, colgado en su pecho, un medallón de oro puro que le fue
entregado a su padre, y al padre de su padre, y al de éste y al de
éste. Su muñeca estaba ceñida por un lazo tejido por un
artesano semiciego, implacable en cada puntada. »39(*)
« ...cabello largo, sombrero Túpac Amaru,
chaleco de Taquile y camisa de bayeta... »40(*)
- Nationalité de l'étranger.
L'analyse des deux livres nous permet de détecter une
grande diversité de personnages. L'étranger y est en grand
nombre. De la soixantaine de personnages d'Inka Trail, 10 sont des
personnages principaux et parmi eux, 6 sont des péruviens et 4 viennent
d'autres pays. Des personnages péruviens seulement 2 sont de Cusco, les
4 autres viennent de la côte du pays dont 2 de Lima.
Señores destos Reynos rassemble dans sa
première partie plus de 60 personnages, 10 personnages principaux dont 3
indigènes, 3 métis et 4 espagnols. Dans sa deuxième partie
il y a un total de 40 personnages, dont 6 principaux : 5 de Cusco et 1
étranger.
Origines des
Personnages
|
Señores destos Reynos
|
Inka Trail
|
Masculin
|
Féminin
|
Total
|
Masculin
|
Féminin
|
Total
|
De Cusco (métis)
De Cusco (indig.)
De Lima
De Arequipa
Autres péruv.
Chilien
Argentin
Américains
Français
Anglais
Espagnol
Allemand
Hollandais
Belge
Autres
|
18
20
2
-
-
-
-
-
2
-
29
-
-
-
-
|
15
8
-
-
-
-
-
-
-
-
7
-
-
-
-
|
33
28
2
-
-
-
-
-
2
-
36
-
-
-
-
|
9
1
8
2
11
1
1
3
1
1
1
-
-
-
5
|
9
0
2
2
-
-
-
2
3
2
-
2
2
1
4
|
18
1
10
4
11
1
1
5
4
3
1
2
2
1
9
|
Il faut souligner la profusion de personnages masculins
nationaux et féminins étrangers.
Erreur ! Liaison incorrecte.
Les noms et prénoms des personnages sont souvent
substitués par leur nationalité ou lieu d'origine dans un
procédé de nature métonymique. Cette constante mise en
relief de l'altérité du personnage, au détriment d'autres
caractéristiques, finit par le réduire au
stéréotype et par le rendre en quelque sorte interchangeable :
- Profession ou activité de l'étranger
Le personnage a aussi une fonction sociale. L'importance de
cette fonction est fortement déterminée par son activité
économique, métier ou profession. Dans le cadre suivant nous
pouvons distinguer les activités et professions choisies pour
caractériser l'étranger dans les oeuvres
analysées :
Profession/activité
|
De Cusco
|
De Lima
|
D'autres pays
|
Paysan
Anthropologue
Brichero
Patron
Guide Touristique
Chauffeur de taxi
Médecin, avocat
Fonctionnaire
Commerçant
Réalisateur
Mannequin
Ecologiste
Publicitaire
|
16
3
5
1
2
2
1
1
1
-
-
-
-
|
-
-
-
3
1
-
-
2
1
-
-
-
-
|
-
4
-
-
-
-
1
-
-
1
1
1
1
|
La plupart des personnages étrangers sont des gens
éduqués, avec un bon niveau culturel et sans grandes
difficultés économiques. Les auteurs choisissent souvent de les
placer dans le cadre du loisir ou d'études lorsqu'il s'agit
d'anthropologues ou ethnologues. Aucun des personnages principaux ne travaille
de façon permanente à Cusco et les seules activités
occasionnelles qu'ils exercent sont celles qui les mettent en contact avec
leurs semblables : guide de tourisme, barman, etc.
Le Je pour sa part, exerce différentes
activités, il est aussi bien un professionnel de bon niveau culturel
(anthropologue, médecin, avocat) qu'un paysan, mais leurs métiers
ont souvent un rapport avec l'activité touristique.
b) Saisie intérieure de l'étranger.
La saisie intérieure de l'étranger est souvent
faite en termes absolus, particulièrement dans le cas de
Señores destos Reynos. Tant le Je comme l'Autre sont
caracterisés de façon opposée, la confrontation entre les
bons et les méchants est la marque distinctive de la première
partie du livre ; dans la deuxième partie cet effet est
atténué. Inka Trail, pour sa part, pousse au bout
certains traits des personnages et l'effet est proche de la caricature.
L'Inca est ainsi passionné : « En el
afán de recuperar a esa mujer, su única luz entre tanta tiniebla,
[...] quiso atraer [le conquistador] a una celada », et
n'éprouve aucune rancune : « Por qué me has hecho
esto?, le preguntó sin rencor ». L'Inca est digne et
majestueux, capable d'imposer le silence avec un simple mouvement de mains. Sa
nature est divine et il est vénéré par ses citoyens :
« ...la cabeza del príncipe [...] en lugar de ser envilecida
por los gusanos, estaba día a día
embelleciendo... ».
L'indigène est courageux et vaillant, il se bat
héroïquement. Son univers est celui de la magie et du
monde naturel : « ...tenían el don de ver lo venidero en
las nervaduras de las hojas, en las vísceras del cuy, en el
corazón de las llamas... ».
L'indigène souffre à cause de sa nouvelle
condition : « menospreciada en su propio país y apartada
de su gente, no acababa de comprender cuál era su lugar en un mundo tan
hostil » . Il vit en profonde tristesse : « una
profunda melancolía [...] caló en su alma y dejó huella en
su semblante ».
Quant aux étrangers, les métis sont
conjurateurs et lâches : « pusilánimes,
medrosos, sin esas partes nobles que [son] signo de hombría »,
et les Espagnols leur apparaissent en tant qu'êtres magiques :
«... tenían truenos que mataban a la distancia... »,
« ...podían conversar [...] mediante unos pañuelos
blancos... », « No serían de verdad enviados de
Viracocha o de un dios aún más poderoso? ». Ils
symbolisent le mal, ils sont dangereux et ils n'ont pas de merci :
« ...no se fíen de la gente española porque no son
enviados del Viracocha sino siervos del supay, hijos del
demonio... », « [el virrey] es sumamente peligroso,
fríamente calculador y extremadamente soberbio »,
« ni siquiera las montañas más inexpugnables ni los
ríos más caudalosos eran obstáculo insalvable para
ellos », « el virrey Toledo dio muestras de cuán
inflexible podía ser ». Le Je les méprise car ils
sont peu virils, cupides et voleurs : « [Toledo] el
yana del rey de España », « el muy
puerco », « como marido y hombre era tan poquísima
cosa que la había defraudado », « se llevó la
más sagrada de las reliquias,[...] además de otros cuantiosos
tesoros y de un rebaño de cincuenta mil llamas »,
« extranjero usurpador que había robado tierras y
hombres», « el verdadero dios de los españoles era el
oro, [...] por ese metal estaban dispuestos a matar a sus propios padres y
hermanos. », « la voraz codicia de los
españoles », « su codicioso esposo »,
« el verdadero dios de los españoles era el oro y [...] la
codicia guiaba sus actos », « lo que movió al
capitán [...] fue el deseo de hacerse con los aderezos de oro de
Túpac Amaru y con la jugosa recompensa... ».
La cruauté des Espagnols n'a pas de limites :
« Todo en adelante fueron desgracias, vejámenes y saqueos
[...] las peores humillaciones », « mont[ó] en
cólera y viol[ó a Cura Ocllo y orden[ó] luego que la
varearan, flecharan y arrojaran su cuerpo al río en una
cesta... », « pérfidos invasores ».
L'indigène ne peut rien contre eux car ils sont astucieux, faux et
traîtres : « intentó superar a los barbudos en el
arte del engaño y la traición », « ...no se
deje engañar por los españoles, que lo único que buscan es
echarle una argolla en el pescuezo... », « Y si los
españoles, como hacían siempre, burlaban al
Inca... ? », « habían engañado con malas
artes », « ...fue con palabras melosas como me
engañaron [dit l'Inca avant de mourir] ».
L'étranger méprise le Je, cependant celui-ci lui
reconnaît sa bravoure : « [Le mari espagnol de
Beatriz] no perdía oportunidad de denigrar a la nobleza
cusqueña », « [les Espagnols] mostraron gran
arrojo ».
En ce qui concerne l'étranger contemporain, il convient
de signaler séparément les traits de caractère de
l'indigène, de l'habitant de la côte et du touriste.
L'indigène apparaît humble et soumis mais aussi
traître, rancunier, violent et vengeur : « ...Malisco,
indio renegado y rastrero... », « ....fue el traidor Mamani
el que sujetó las bridas de tu caballo ? »,
« ...basta una chispa para inflamar la ira y el rencor que el indio
ha acumulado contra los blancos... », « ...respondieron con
actos horripilantes, arrancándote la barba, sacándote los ojos,
cortándote la lengua... », « ...y tumbaron la
puerta, y me pegaron, y me quebraron los huesos de brazos y piernas, y me
cortaron la lengua, y me saltaron los ojos y -para que nunca te metas con
nuestras mujeres diciendo- me castraron... ».
Lui et son monde restent éloignés et
mystérieux et le Je est partagé entre la fascination et le
mépris envers eux : « [j'étais] uno el que
hablaba de los sufrimientos de los indios y otro el que los hacía
trabajar por cuatro reales, uno el que estaba orgulloso de ellos y otro el que
los despreciaba. », « El detonante [...] fue la innoble y
destemplada reacción de los mistis del lugar, ante el nombramiento de un
indígena [...] como gobernador del pueblo. »,
« ...es necesario escribir con dedicación y cariño la
historia de las luchas campesinas y entregar la existencia a esa
causa », « ...indio mugriento y piojoso de
autoridad... ».
L'habitant de la côte est pour sa part bavard,
extraverti et vantard. Il se lie d'amitié facilement mais dans ses
rapports il y a, sous-jacents, un fort complexe de supériorité et
un sentiment raciste envers l'habitant de la sierra : « Unos metros
más allá, junto al muro, un sujeto flaco, de cabello
castaño y de tez porosa los miraba fijamente. Dijo: -Cholo de
mierda! », « La esposa del gerente era de provincias y
odiaba la servidumbre de la capital. Decía que estaban todos maleados.
-Rateros! », « ...Gerardo explicaba, con ese tono pedante
característico de los no nacidos en la Capital Imperial, cómo los
urbanistas cusqueños contemporáneos se habían ganado
laboriosamente el título de perfectos imbéciles. »
Le touriste européen ou américain du Nord
apparaît le plus souvent comme un individu sympathique et communicatif,
insouciant, impulsif, curieux et extravagant, toujours à la recherche de
soi, de nature libre et sans préjugés : «-Hola patas
-saludaba, intentando mitigar la natural aspereza que le imponía su
lengua y acortar así las distancias. », « [Stephen]
me estrechó la mano con calidez paternal. No parecía recordar
nada desagradable en su vida larga y llena de oprobio. »,
« -No eres de ningún lugar? -se burló él. -Soy
de una ciudad. Todas las grandes ciudades son iguales. »,
« las hondas arrugas que configuraban aquel rostro neoyorquino no
exhibían su exaltación característica sino que
parecían suavizadas por la luz transparente de un nuevo día en el
Imperio de los Incas. »
Attaché à ses habitudes :
« Apareció un gringo que a pesar de la cordillera de los Andes
seguía aferrado a su chaqueta de tweed. ». Sale ou propre
selon les origines : « La complicidad del idioma común,
de la piel, del código de señales, de la escasa tolerancia ante
las bacterias. », « -Qué tal el viejo mundo? -Son
peores que nosotros: se bañan cada quince días. ».
Strict, décidé et profondement individualiste.
La femme étrangère est indépendante et sa
sexualité est débordante, caractéristiques décrites
de façon positive : « Helène bailaba a pocos
metros, sola, con movimientos ondulantes que parecían dictados por una
necesidad de explicar algo. », « Frente a Manuel se
habían ubicado dos fulanas que emitían su sexapil con cierta
impaciencia », « Katjia era una gigante. Pero era la reina
del reino de las gigantes. Tal vez medía dos metros pero eran dos metros
llenos de amor. » Son excentricité et son hystérie sont
des traits négatifs soulignés de façon
répétée : « A pocos pasos se agitaba un
alien. Sin duda era norteamericano, pero de ascendencia sueca o danesa. En su
amarillento brazo derecho ostentaba un complicado tatuaje. »,
« ..una joven europea lucía un ancho pantalón floreado
que denunciaba su franca opinión sobre los principios generales de la
estética. », « -Es una gringa loca, pero lo que pasa
es que hemos enganchado. », « Contó que Helène era
una loca.[...] - Lo que más odio son las mujeres histéricas
-gritó. », « -Está loca -dijo el chileno-. Ya
te lo dije. »
La religion, les croyances et les partis pris de
l'étranger sont traités avec une certaine ironie :
« ...un estado de nervios que nadie sabía explicar [...]
terminó siendo achacado a la acción del maligno »,
« ...rezos y penitencias fueron el remedio... »,
« el severo Dios de los cristianos », « Las
alemanas expertas en ecología jamás tocan los pelos de sus
axilas. Y estos crecen exuberantes. No mancillan tampoco el lugar con productos
químicos. », « El Atómico mostró una
sonrisa iluminada e informó, con palabras rebuscadas, algo sobre el
centro magnético del universo. -Hay un encuentro. Han venido maestros de
renombre mundial -detalló. Parecía contento. »
- Le parler de l'étranger.
Pour traiter le thème du parler de l'étranger
dans les oeuvres analysées il est nécessaire de faire quelques
observations :
- Il faut, en premier lieu, dire que tous les personnages
étrangers ne parlent pas dans les textes étudiés.
- Il faut noter ensuite que, lorsque les personnages
étrangers parlent, le texte ne transmet pas toujours leurs paroles par
l'entremise du discours direct.
- En dernier lieu, il faut souligner que, même lorsque
les paroles de l'étranger sont retranscrites dans un discours direct, il
existe une convention littéraire tacite selon laquelle tout personnage,
même étranger, s'exprime dans la langue dans laquelle est
écrite l'oeuvre narrative. Cependant, dans le cas d'Inka Trail,
il est possible de trouver quelques phrases en anglais, particulièrement
lorsque les personnages étrangers parlent entre eux.
Selon cette convention les textes peuvent choisir de ne pas
retranscrire les nuances particulières de l'accent de chacun (de fait,
dans les textes que nous analysons, 40 personnages étrangers sur 44,-
c'est-à-dire 90% des personnages étrangers du corpus- ou bien ne
parlent pas ou bien, s'ils le font, ils s'expriment dans un espagnol neutre),
ce qui arrive dans presque la totalité des cas :
« -O sea que tú eres nada menos que el
cantinero -dijo el anciano, con un castellano aprendido en Tijuana.
Examiné sus ojos azules que parecían esmaltados
a fuego vivo.
-Vives para mezclar tragos que no son para ti? »
Quant aux paysans indigènes ou indigènes de la
ville, il faut souligner que leur origine ne peut être
déterminée que par leur parler. C'est à travers la
subtilité du langage que les différences régionales sont
établies.
Dans ce contexte, les personnages de la côte sont
reconnaissables par leur utilisation de l'argot et de clichées :
« - Aprendí a imponerme -siguió Gerardo-.
Alquilé un depto en un edificio que daba al Golf -arqueó una
ceja-. Hasta les dejaba sus dolarillos a mis viejitos.
-Lo importante no es sólo ser el mejor sino parecerlo.
Soltó una carcajada.
Manuel llenó un vaso hasta el borde con agua mineral.
-Tú nunca chupas? -le preguntó Gerardo por
enésima vez. »
Les personnages de la sierra parlent en argot s'ils habitent
dans la ville et les paysans ne le font pas :
« -Yo era durazo, compadre, pero creo que eso a ella
no le molestaba. Ahí empecé a entender que a las crudas les
gustamos nosotros los indios de mierda. »
« -Qué le pasa, maestro? -se
sorprendió el otro, divertido.
-Tienes vaina? -preguntó Manuel.
Tupi lo estudió un instante.
-A usted le gusta la cochinada.
-Dos mogras -dijo el cantinero, entregándole el
billete. »
Le quechua est la langue douce que les indigènes
luttent pour conserver et parler l'espagnol est pour eux l'équivalent
d'un châtiment : « [le quechua était] el idioma
dulce en el que [Beatriz] se comunicaba con su madre »,
« [L'espagnol] tortura[ba] su entendimiento ». La langue
sert aussi à rapprocher le Je et l'Autre : « ... el suave
torrente del quechua borraba la hosquedad de los rostros y todos, embrujados
por las palabras, olvidaban que ahora él era un
intruso... »
- Cadre spatio-temporel de l'étranger :
L'analyse des deux oeuvres porte sur deux moments historiques
différents. Dans ces deux contextes on est confronté à des
situations sociales, économiques et politiques qui déterminent le
statut d'étranger.
Señores destos Reynos, qui traite dans sa
première partie la période de la conquête espagnole et les
débuts de la Colonie, présente un étranger
conquérant. Les rapports entre l'étranger et le natif sont
conflictuels, leur confrontation est violente car c'est la rencontre de mondes
antagoniques et inconnus l'un pour l'autre. Cet étranger envahi,
détruit, s'impose.
La vision actuelle de cet étranger du passé est
particulièrement polarisée et stéréotypée.
Le poids psychologique et idéologique dans l'interprétation d'un
moment historique que l'auteur n'a pas vécu est clairement
perceptible.
Dans un contexte différent, l'Autre de l'époque
contemporaine est aussi bien l'indigène que le touriste étranger.
Señores destos Reynos (dans sa deuxième partie) et
Inka Trail explorent le tissu social contemporain et l'interaction
entre le touriste et le métis. Si dans le cas de l'indigène nos
auteurs exposent aussi bien le conflit que la cohabitation ; dans le cas
du touriste, il s'agit plutôt de l'observation mutuelle car nul n'envahit
le monde de l'autre et leur contact est bref.
2.2.4
Symbolique onomastique
Le choix du nom propre revêt une importance capitale
dans la littérature réaliste. En effet, au-delà de la
fonction de désignation, le nom propre de l'étranger est aussi
porteur de connotations de caractère symbolique.
Les noms et prénoms attribués aux personnages
des deux oeuvres portent en eux les échos des langues
étrangères ou des temps anciens. Le personnage étranger
subit ainsi une sorte de dissolution de sa particularité individuelle
car son nom propre est associé à une communauté.
Lorsque nous considérons la question du nom propre des
personnages étrangers dans nos deux oeuvres, force est de souligner,
tout d'abord, que le 45 % des personnages étrangers n'ont ni
prénom ni nom, 5 % n'ont qu'un prénom, 2 % ont seulement un nom
de famille et 48 % ont et un nom et un prénom.
Dans le choix d'un nom propre, deux types de mécanismes
sont mis en oeuvre : sa configuration phonique, qui se limite à
mettre en évidence l'appartenance de ce nom à une certaine langue
étrangère et, par ce biais, à une certaine
communauté d'origine ; et ses connotations associatives, qui
inscrivent le nom propre (donc le personnage qu'il désigne) dans
certains réseaux sémantiques de la langue castillane.
Les noms propres des personnages des oeuvres
étudiées ont une configuration phonique telle que le lecteur est
capable d'identifier immédiatement leur communauté d'origine.
Certains noms et prénoms font référence
aux communautés étrangères : allemande (Heide, Siggi
Haas), française (Helène), hollandaise (Katja, Marion),
anglo-saxonne (April, Stephen, Oliver), et aussi aux groupes régionaux
du pays : de la côte (Arturo, Manuel) et de la sierra (Pascucha,
Carmena, Agripina, Adela, Malisco). Dans ce dernier cas, le caractère
métis de la combinaison de prénoms et noms sert à
différencier les personnages d'origine Quechua et, à quelques
exceptions près, l'habitant rural (Adriana Condori, Teodomiro
Gutiérrez, Benito Kana, Josefa Chillo, Túpac Velásquez) de
l'habitant de la ville (Gerardo Villegas, Manuel Zapata).
La fonction du nom propre n'est pourtant pas seulement celle
d'identifier le personnage en tant qu'individu et, dans le cas de
l'étranger, en tant que membre d'une communauté d'origine. Les
sèmes que le nom possède ou évoque par association avec
certains mots de la langue espagnole y ajoutent d'autres connotations.
Ce mécanisme, dénommé,
« motivation » du nom, cherche à renforcer certains
aspects de la caractérisation d'un personnage et rend le texte
« lisible » (selon les termes de Roland Barthes) 41(*), cette
« légibilité » étant l'objectif
essentiel de la fiction réaliste.
Philippe Hamon affirme que dans la fiction réaliste
« la famille forme une sorte de champ dérivationnel
`motivé', `transparent' (Saussure), où les noms jouent un
rôle de radicaux véhiculant une certaine information [...] et les
prénoms, celui d'une sorte de flexion apportant une information
complémentaire [...], structures fonctionnant comme une sorte de
`grammaire' des personnages (mode de classement, restrictions
sélectives, prévisibilité de comportement, etc.)42(*)»
Dans Inka Trail la motivation du prénom est
particulièrement importante car il préfigure les traits de
caractère des personnages que le lecteur découvre progressivement
dans la lecture. Cette motivation explique le prénom du
protagoniste : Manuel, (du latin manualis ou
manuarius : main, symbole de la force et de l'autorité
maritale sur la femme, et voleur), qui s'enferme dans sa chambre pour
écrire, qui aime les femmes et qui finit par causer la mort de son rival
pour lui prendre la sienne. Arturo (de arto : étroit,
serré, réduit), est le machiste vantard, affectueux et profiteur,
propriétaire de l'Enterprise, son petit monde, en dehors duquel
il n'« existe » pas. Gerardo Villegas (de villa,
nom lié à l'idée d'une ville dans son acception de lieu
qui jouit de petits privilèges) est le jeune cadre aisé et
talentueux qui laisse ses commodités et son ambiance à la mode
à Lima pour reconstruire sa vie à Cusco. Túpac
Velásquez dont le nom même signale son
hétérogénéité est à la fois
descendent direct d'un Inca, brichero professionnel, trafiquant de
drogues et grand voyageur.
Le prénom a la même importance lorsqu'il s'agit
des personnages féminins. Hélène43(*) est ainsi
l'étrangère mariée à un habitant local dont l'union
enflammée bascule entre l'ici et l'ailleurs et sépare le Je de
ses semblables. April44(*), l'étrangère dont la beauté et
la féminité séduisent le Je, découvre et fait
découvrir à ses partenaires une seconde vie. Alias45(*) est la jeune et
mystérieuse fille du pays, insaisissable et étrangère
à tous les autres personnages, qui finira inexplicablement par
s'approprier l'Enterprise et le renommer Inka Trail.
Dans la première partie de Señores destos
Reynos, Nieto met en scène des personnages historiques et choisit
de conserver leurs noms et prénoms. Dans la deuxième partie,
l'onomastique des personnages est aussi évocatrice que celle
d'Inka Trail. Nous avons ainsi Laura Cristóbal, dont le
nom nous rappelle évidemment le prénom de Christophe Colomb, ce
qui instaure l'idée de la découverte, et Gonzalo,
prénom du « dernier inca », est aussi celui de Gonzalo
Pizarro, l'un des premiers conquistadores arrivés à Cusco.
Il est évident que dans les oeuvres
étudiées la signification du nom renforce et arrive même
à synthétiser ou condenser le jugement de valeur que le texte
assigne au personnage
2.3 Le stéréotype.
Etymologiquement le stéréotype correspond
à l'idée de « type solidifié »
(stereos : solide), il est « l'image figée qu'un
groupe diffuse de lui-même et des autres »46(*), il relève donc du
préconçu. Les stéréotypes désignent des
« unités préfabriquées à travers
lesquelles se révèle le discours de l'Autre »47(*), affirme Amossy et John
Harding signale ses caractéristiques les plus importantes :
1) il est simple plutôt que complexe ou
différencié ;
2) il est erroné plutôt que correct ;
3) il a été acquis de seconde main plutôt
que par une expérience directe avec la réalité qu'il est
censé représenter, et
4) il résiste au changement.
Claude Duchet fait aussi référence au
caractère de « discours déjà tenu » du
stéréotype. Le stéréotype ferait donc partie du
déjà-dit.
A ce point le stéréotype pourrait
apparaître comme un mécanisme plutôt nocif. Or, il peut
aussi avoir un caractère bénéfique. Les sociologues
affirment que le stéréotype protège une communauté
contre toute menace de changement et lui permet de perpétuer des
éléments de son histoire.
La force historique des stéréotypes
réside ainsi plus dans leur valeur de reconnaissance que dans leur
valeur de réalité. Les stéréotypes fonctionnent
parce qu'ils sont familiers au lecteur et parce que celui-ci finit par
confondre leur familiarité et leur validité.
Le stéréotype a toujours été
présent dans l'histoire de l'homme ; on sait aujourd'hui que la
représentation des personnages d'une nation particulière en tant
que tradition textuelle obéit à certaines règles
préétablies et indépendantes de la réalité
politique et sociale du moment.
Deux de ces constantes sont intéressantes pour notre
analyse48(*) :
- La périphérie d'une zone particulière
est plus traditionnelle, atemporelle, réactionnaire et
« naturelle » ; le centre de cette zone est plus
cosmopolite, moderne, progressif, « culturel ». Or, ces
valeurs peuvent acquérir, selon le contexte, un caractère positif
ou négatif.
Prenons le Pérou avec Lima pour centre et les autres
départements, dont Cusco en tant que périphérie. Prenons
une région : Cusco en tant que centre et la campagne et les
alentours comme périphérie. Prenons encore le monde :
l'Europe et les Etats-Unis comme centre et le Tiers Monde en tant que
périphérie. Dans tous ces cas le tempérament
attribué au centre et à la périphérie est similaire
structurellement : développement et changement contre tradition et
retard.
- Les stéréotypes nationaux sont souvent
contradictoires d'une façon spécifique : leur attribut le
plus caractéristique suppose son opposé. Ainsi, l'Inca est
courageux, loyal, stratège mais aussi lâche, traître et
naïf ; les conquistadores sont vaillants et ambitieux, mais aussi
vils et cupides ; le touriste anglo-saxon est soit sérieux,
distant, rationnel soit informel, passionné, excentrique. Le
cliché ultime que l'on puisse dire d'une nation est qu'elle est pleine
de contrastes. L'indigène proche du primitif sauvage, et
l'indigène détenteur d'un savoir millénaire sont ainsi,
pour les auteurs qui réconcilient aujourd'hui ces deux positions, un
seul individu à la fois attaché aux traditions archaïques et
à la fois habile pour s'habituer aux nouvelles circonstances et en tirer
profit.
2.3.1 Des personnages stéréotypés
Le choix du nom ou prénom des personnages dans les deux
oeuvres et plus particulièrement dans Inka Trail, tend vers
l'indifférenciation de l'individu en faveur de l'association au
stéréotype d'une communauté. L'image de la
communauté d'origine sert au lecteur comme cadre de
référence pour comprendre l'altérité de celui qui
ne partage avec lui ni l'histoire, ni les codes sociocognitifs, ni les affects,
ni même, dans la plupart des cas, la langue. Le stéréotype
s'interpose entre l'observateur et la réalité de façon
presque systématique. Dans la caractérisation des personnages
étrangers, la simple attribution d'un nom est conditionnée
dès le début par des facteurs d'ordre idéologique.
La « légibilité » des
oeuvres étudiées est atteinte dans la mesure où le sens du
nom propre des personnages fonctionne comme dispositif de redondance sur le
plan idéologique. Le choix onomastique est lié aux thèmes
de la découverte, du conflit, du voyage et de la séduction.
L'Autre
|
Stéréotype positif
|
Stéréotype négatif
|
Passé
Inca
(Nieto)
|
Beau, noble, passionné, courageux, digne dans la
défaite, généreux, nostalgique, puissant.
|
Fataliste, autoritaire.
|
Métis
(Nieto)
|
Bon négociateur, fidèle à la tradition,
courageux.
|
Lâche, traître, pusillanime.
|
Conquistador
(Nieto)
|
Aventurier, vaillant, fidèle, obéissant, magnanime.
|
Assassin, peureux, cupide, traître, cruel.
|
Présent
« Cholo »
(Nieto, Chanove)
|
Habile, humble, martyr, travailleur, fidèle.
|
Brute, vaniteux, violent, feignant, traître.
|
« Brichero »
(Nieto Chanove)
|
Sensuel, mystérieux, tendre, attentif.
|
Dissolu, infidèle, machiste, intéressé,
égoïste.
|
« Limeño »
(Chanove)
|
Extraverti, sociable, gai.
|
Vantard, beau parleur, agressif.
|
« Gringo »
(Nieto, Chanove)
|
Riche, aventurier, crédible, sérieux, propre,
gentil, bon vivant, généreux.
|
Pauvre, peu crédible, informel, immoral, sale,
dangereux, drogué, profiteur, individualiste
|
L'Inca est ainsi noble, passionné et courageux, digne
dans la défaite. Vaincu, il est nostalgique et mélancolique mais
n'éprouve pas de rancune. L'Inca est de nature divine et son univers,
profondément lié à la nature et à la magie.
L'Espagnol est cruel et traître, capable des pires
atrocités mais aussi un brave aventurier.
Les traits de l'indigène contemporain ont souvent un
rapport avec les questions affectives, il peut être tendre et
fidèle ainsi que violent, machiste et feignant. Le touriste et le
« limeño » sont, de leur côté,
stéréotypés en fonction de leur comportement social et
leur condition économique.
En ce qui concerne les
stéréotypes du passé, l'écriture de Nieto est
traditionnelle. Tout comme la tradition qui définit le bon, le beau et
le vrai par leur fidélité aux stéréotypes,
l'écriture de Nieto est dans ce cas en conformité aux normes
dominantes. Curieusement, dans son travail sur l'époque contemporaine il
y a un changement d `approche. Les stéréotypes sont
renversés et il y a une quête de nouveauté et de
surprise.
Chanove, pour sa part, fait une sorte de déconstruction
générale dont l'objectif semble être, plus que la simple
opposition au stéréotype, celui de jouer avec le langage. Il y a
un intérêt à préserver sa polysémie et les
incertitudes qui en résultent.
Certains personnages utilisent les stéréotypes
idéalisés de l'amant latin et de la culture Inca comme des outils
pour la conquête des femmes étrangères
(« gringas »).
Il est intéressant de signaler que, lorsqu'il s'agit du
touriste, tant Nieto comme Chanove montrent que la façon dont le Je et
l'Autre se rapprochent, tend aussi vers la stéréotypie.
Le tourisme est « la généralisation
d'un mode de connaissance »49(*) dit Jean-Didier Urbain, ce qui appelle à la
réflexion sur l'impossibilité, pour le touriste, de
s'échapper des limites. La figure du touriste est aussi quelque peu
stéréotypée. A la différence du voyageur, le
touriste a une approche superficielle et artificielle de la culture de l'Autre.
Le voyageur serait donc une sorte d'initié et le voyage serait une
pratique partagée entre initiés. La différence entre le
touriste et le voyageur se place alors du côté de
l'authenticité.
2.3.2 Stéréotype
et lecture littéraire.
On part du principe que le lecteur est capable de manipuler
des stéréotypes et que sa liberté de lecture ne peut
s'exercer qu'à partir de la reconnaissance de ces structures de sens
minimales.
L'évaluation d'un texte littéraire reposera
ainsi, selon Claude Lafarge, sur un double processus : a) la
célébration par le lecteur des
« clichés » qui forment sa
« compétence » et, b) la célébration
des éléments qui s'écartent de cette compétence.
Le lecteur devrait alors pouvoir combler son
« horizon d'attente » en reconnaissant des formules
familières mais en même temps devrait attendre du texte un minimum
d'information, « que le stéréotype soit
actualisé de manière quelque peu
inédite »50(*).
La lecture des deux livres analysés est
canalisée et modalisée par la manière dont ces
stéréotypes se trouvent énoncés.
Inka Trail installe le lecteur dans un espace de
tension, cette tension étant créée par le plaisir de la
célébration des stéréotypes et le plaisir de les
mettre à distance. Les stéréotypes agissent au
troisième degré, ils sont tour à tour
légitimés et dénoncés, utilisés et
déconstruits. On part des préjugés physiques et
psychologiques sur l'étranger, validés par l'écriture, qui
sont ensuite relativisés.
Le cas de ce roman est intéressant parce que l'auteur
met en évidence le texte en tant que construction verbale par
l'utilisation manifeste et non pas sans ironie des signifiants reçus.
Les formules préconstruites, les lieux communs, dans le sens de
« formules banales » sont elles-mêmes
déjouées. Si le banal se situe du côté de la
très forte chance d'apparition, les lieux communs d'Inka Trail
n'ont pas d'effet de banalité. Au contraire, ces lieux communs
produisent un effet de surprise.
Dans Señores destos Reynos les
stéréotypes apparaissent tant au premier degré qu'au
deuxième. L'observation révèle qu'il n'y a pas une mise
à distance des stéréotypes historiques sur le conquistador
et l'Inca. Leurs images classiques (conquistador cruel et cupide et Inca noble
et courageux) ne sont pas renouvelées. Or les
stéréotypes actuels sur le même et l'Autre apparaissent au
deuxième degré ; fortement critiqués, leur mise
à distance est constante ce qui empêche l'adhésion aux
valeurs qu'ils véhiculent. Curieusement la critique s'étend aux
personnages et groupes sociaux dont les attitudes révèlent
l'exploitation des stéréotypes historiques.
Le lecteur d'Inka Trail et
Señores destos Reynos est ainsi confronté au
désir de censurer la mise à distance des idées
préconçues sur le passé et à la validation sur
le plan éthique, esthétique et référentiel des
stéréotypes historiques sur l'altérité.
2.3.3 L'écriture à
thèse.
La première partie de Señores destos
Reynos se rapproche de la littérature à thèse. Les
traits avec lesquels Susan Rubin Suleiman élabore sa définition
du « roman à thèse » d'un point de vue
théorique peuvent bien être généralisés pour
parler de littérature à thèse : la littérature
à thèse s'inscrit ainsi dans le canon réaliste, sa fiction
véhicule un message doctrinal et il y a un lien d'intertextualité
monologique du texte de fiction par rapport au discours de la doctrine. De
même, le pluriel du texte est réduit par le biais de la redondance
opérant à plusieurs niveaux pour transmettre un sens
virtuellement unique. Le monde présenté est dominé par une
sorte de manichéisme qui sépare les bons d'un côté
et les méchants de l'autre et l'interprétation des personnages
est toujours claire. Les commentaires interprétatifs du narrateur
laissent la place à un sens unique d'interprétation des
actions.
Les limites entre réalité et fiction des
récits de Nieto sont très faibles. Tout d'abord, parce qu'il
s'agit de récritures de faits historiques consignés dans des
chroniques du XVIème siècle et des recherches
spécialisées, et ensuite parce que ces récits naissent
dans un contexte très précis : la célébration
de l'arrivé des espagnols en Amérique en 1992, le nouvel
élan pris par les études indigénistes dans les deux
dernières décennies et l'officialisation de l'idéologie
incaniste par le gouvernement local entre 1990 et 1995.
Les récits de la première partie du livre ont un
sens qui va au-delà des faits qu'ils évoquent et des personnages
qu'ils mettent en scène. Ils ont aussi un caractère
rhétorique dans le sens littéral de ce terme
(rhétorique : art de la persuasion). L'histoire narrée dans
les quatre récits est en rapport avec la vie des indigènes et des
espagnols après leur arrivée au Pérou. Sont
également traitées leurs relations, amicales ou conflictuelles,
dans le contexte de la destruction de l'empire Inca et de
l'établissement de la vice-royauté. De cette histoire peuvent se
dégager deux thèses : soit la présence de
l'étranger (le conquistador) est positive pour le pays, soit elle est
nuisible. Nieto est plus proche de la dernière, c'est-à-dire du
côté des idéologies indigéniste et incaniste.
L'idéologie incaniste, qui exalte les gloires de
l'empire disparu est accompagnée d'un sentiment xénophobe
à l'égard de l'Espagnol conquistador. La polarisation
idéologique fonctionne comme principe structurel organisateur et comme
thème fondamental des textes. Deux espaces sémantiques ou
plutôt idéologiques peuvent ainsi être
distingués : l'un d'eux, concernant le Je, doté du signe de
l'euphorie (valorisation positive absolue) et le deuxième, en rapport
avec l'Autre, doté du signe de la dysphorie (valorisation
négative absolue).
3. La relation hiérarchisée de l'image
de l'étranger. (Dimension idéologique des facteurs
constructifs).
3.1 Le cadre spatio-temporel : la topographie de
l'étranger.
N'appartenir à aucun lieu, aucun temps, aucun
amour. L'origine perdue, l'enracinement impossible, la mémoire
plongeante, le présent en suspens. L'espace de l'étranger est un
train en marche, un avion en vol, la transition même qui exclut
l'arrêt.51(*)
Aristote disait que l'effet salutaire et la distraction que le
récit procure n'appellent pas nécessairement des lieux fictifs.
L'importance de l'espace dans la littérature moderne est
indéniable. Les événements situés dans des espaces
que l'on connaît, que l'on peut visiter ou fréquenter, ont en
général une valeur plus grande pour le lecteur que s'ils
s'étaient produits dans un lieu inaccessible. Dans la littérature
réaliste, c'est souvent le lieu qui fonde le récit. Dans ce
contexte, l'affirmation de Henri Mitterand sur le fait que
« ...l'événement a besoin d'un ubi autant que
d'un quid ou d'un quando » nous paraît
intéressante. A propos de la production de l'illusion
référentielle, il ajoute que « le nom du lieu proclame
l'authenticité de l'aventure par une sorte de reflet métonymique
qui court-circuite la suspicion du lecteur : puisque le lieu est vrai,
tout ce qui lui est contigu, associé, est vrai.52(*) » L'espace est donc
important lorsqu'il s'agit de fictionnaliser des faits historiques ou
simplement de recréer une atmosphère.
Señores destos Reynos et Inka Trail
placent ses histoires à Cusco (Pérou). La ville y est
dessinée sous deux traits différents, lieu de conflit culturel
dans le premier cas, Cusco est la scène de la violence ; point de
rencontre dans le deuxième, il s'agit d'une ville à multiples
visages.
L'étranger mis en scène l'est aussi à
deux niveaux : il y a un étranger qui provient d'un espace
éloigné, le visiteur, le touriste, et un étranger qui
appartient à une autre époque, l'indigène.
Une personne peut toutefois être
considérée comme étrangère par un compatriote si
elle est née dans un groupe minoritaire ou dépourvu du pouvoir.
Dans ce second cas l'idée du déplacement spatial est aussi
présente, car une minorité provient toujours d'un horizon plus ou
moins éloigné. Cet horizon peut être éloigné
dans l'espace mais aussi dans le temps, il s'agit donc d'un horizon perdu ou
irrécupérable. A partir de ces écarts d'espaces
géo-culturels les deux oeuvres peuvent construire leur image de
l'étranger.
Les axes principaux de la topologie de l'étranger dans
les oeuvres analysées sont la ville (locale ou étrangère)
et la campagne. La topographie présentée est variée et
l'on remarque que le degré de complexité de l'espace est
fortement lié à la présence de l'étranger.
C'est-à-dire que c'est là que l'étranger est le plus
présent ou présent de façon plus active que l'espace se
montre dans toute sa complexité.
Toutefois, si dans cette analyse on s'occupe de la
topographie, on est obligé de considérer aussi le temps, car
l'espace et sa valorisation changent selon le moment historique dans lequel les
personnages sont situés.
Alors que Inka Trail place ses personnages à
l'époque actuelle, Señores destos Reynos regroupe, dans
sa première partie, des nouvelles sur l'époque coloniale et, dans
sa seconde partie, des nouvelles sur l'époque contemporaine. La
topographie de l'étranger apparaît donc de façon
très différente dans les oeuvres étudiées.
3.1.1 L'espace du conflit.
Les notations relatives à l'espace dans le livre de
Nieto enferment le récit dans un univers clos et dans des
atmosphères oppressantes. Les personnages sont des prisonniers à
la recherche permanente d'un ailleurs qu'ils ne retrouvent jamais ou auquel ils
renoncent pour revenir au point de départ. L'étranger est souvent
un envahisseur et l'espace lui est hostile, toutefois il y retourne avec
acharnement ce qui entraîne sa perte. L'espace est insaisissable,
incompréhensible et immuable, impregné par la fatalité.
Dans la première partie de Señores destos
Reynos, les indications de lieu sont rapides. Les récits ne sont
pas alourdis par la description des lieux car les actions tirées des
faits historiques et des chroniques donnent beaucoup d'informations. Le lecteur
est censé participer activement pour ne pas s'égarer car l'espace
reste flou et le texte manque en quelque sorte d'ancrage réaliste.
L'espace a donc une importance plutôt thématique car la
scène des actions, avec son caractère minimaliste et symbolique,
a du mal à produire l'illusion référentielle.
Pour l'indigène des débuts de la Colonie, le
métisse et l'Espagnol sont des étrangers et c'est ce que l'on
voit dans les deux premiers récits de Nieto53(*). En même temps, l'auteur
raconte du point de vue de l'Espagnol. Celui-ci considère
évidemment l'Inca comme étranger à lui (et dans ce cas-ci,
la notion d'espace propre ou étranger n'est pas en jeu, mais celle de
groupe dominateur et de groupe dominé). Dans les deux récits
suivants54(*), seulement
les figures du criollo ou métis de l'apogée colonial
apparaissent et ces personnages-ci considèrent aussi l'Espagnol comme
étant étranger. La topographie de l'étranger à
l'époque coloniale que Nieto nous décrit s'accommode de cette
conception.
Au-delà des sujets tels que la vengeance, l'amour et la
mort, la conquête (ou la reconquête) de l'espace est le moteur de
toutes les actions. Il y a un envahisseur qui cherche à s'emparer des
territoires qui ne lui appartiennent pas et un habitant originaire, qui
consacre sa vie à empêcher un processus qui semble d'ailleurs
inéluctable.
L'Espagnol, l'étranger, est donc placé dans
l'espace urbain. La ville est à la fois son refuge et la scène de
ses actions. Tout ce qui se trouve au-delà de la ville lui est inconnu
car c'est dans la ville qu'il se sent en sécurité, qu'il est
écouté et respecté, et où il peut exercer son
pouvoir.
La ville n'apparaît pas comme une scène de
déploiement physique et toutes les actions qui impliquent des
confrontations ou des batailles entre l'étranger et l'indigène
auront lieu en dehors d'elle. Toute action développée dans la
ville est déterminée par sa condition de centre administratif et
politique. Les enquêtes, les conversations, les commérages, en
somme, toutes sortes de communication serviront à faire avancer la
diégèse.
Nieto situe les actions des personnages dans deux
villes : Cusco, comme scène principale et Lima, fréquemment
présentée de façon indirecte et sous l'appellation de
« Ciudad de los Reyes »55(*), de façon à souligner son importance
historique. D'autres villes coloniales sont mentionnées : Huamanga,
Sicuani, Arequipa et Concepción, ainsi que Vilcabamba, seule ville inca
à apparaître, étant alors présentée en tant
que dernier bastion des insoumis.
C'est à Cusco que les personnages de la première
partie de Señores destos Reynos vont être placés.
Chez Nieto, Cusco est le lieu des souvenirs, dans cette ville le passé
est quelque chose de latent qui ne laisse pas de place à l'oubli ;
les protagonistes sont envahis d'un sentiment de non-résignation, Cusco
est le lieu des insoumis où les mouvements rebelles sont en gestation
permanente.
Il est évident que le Cusco que Nieto présente a
déjà les caractéristiques urbanistiques de l'Espagne du
XVIème siècle : une place centrale qui sert
à la fois de marché et autour de laquelle les maisons et les
palaces des nobles ont été construits, une église
importante et un couvent. Le Cusco de Nieto maintient encore certains avantages
de son ancienne condition de capitale d'un empire56(*), tels qu'un réseau de
communication efficace et un système de routes qui conduisaient aux
villes des quatre points cardinaux en excellent état.
Nieto nous introduit donc dans une ville que nous sommes
censés connaître à priori, ce qui explique peut-être
la monotonie dans le traitement de l'espace et le caractère symbolique
dont chaque lieu présenté est investi. La topographie est
construite de façon générale et les descriptions sont
absentes, nous la devinons ou nous la supposons mais elle ne nous est pas
imposée, c'est à travers les personnages et leurs actions que
nous arrivons à pressentir l'atmosphère qui l'imprègne.
L'espace est donc à construire par la lecture.
En ce qui concerne l'espace fermé, l'église est
par excellence le territoire de l'étranger, l'indigène n'y va
jamais et seulement les métis nobles le font. L'église est le
centre du pouvoir religieux et en même temps un lieu de rencontres
sociales. Les cérémonies célébrées à
l'église sont de connaissance publique et acceptées par
l'autorité, si elles n'y prennent pas place, elles n'ont pas un
caractère officiel : Beatriz, jeune princesse inca protagoniste de
Reina del Perú, est mariée au métis noble
Cristóbal Maldonado dans sa résidence et non pas à
l'église, car cette union est un pacte politique et économique
contre l'autorité espagnole.
La force de la religion est encore soulignée par la
présence du couvent. Ce lieu intermédiaire est pour les
protagonistes féminines le passage du monde inca à l'espagnol. Le
couvent a la triple condition de prison, lieu de conversion religieuse et
refuge. Une princesse inca enfermée dans un couvent est
surveillée, initiée au catholicisme et à la connaissance
du monde de l'Espagnol et en même temps protégée des
machineries et arrangements politiques pour lesquels elle est une sorte de
butin ou garantie d'exécution. Le couvent est donc, un lieu de transit
vers le monde extérieur et une nouvelle condition sociale, un lieu
d'attente. La durée de cette attente peut néanmoins
s'étendre à des périodes entières de la vie. La
jeune Beatriz passe toute son enfance dans le couvent pour y revenir à
deux reprises. Le couvent est pour les femmes de Nieto une sorte de
fatalité : Beatriz décide à sa mort que sa jeune
fille y restera jusqu'à l'âge adulte et María Nieves
accepte par deux fois consécutives son enfermement avec
résignation.
Le couvent est vaguement décrit et des
caractéristiques classiques telles que le silence, l'existence de
cellules, les règles à respecter, et la surveillance constante,
servent à construire une ambiance oppressive et angoissante pour les
protagonistes. Le parloir est le seul contact des personnages avec
l'extérieur, leur lien à la réalité. Le
témoignage des faits historiques leur est impossible et leur
capacité d'action est limitée. Les protagonistes subissent les
événements, même ceux qui concernent leur propres vies.
C'est donc dehors que les décisions sont prises et que les personnages
participent aux faits d'importance.
La place est une sorte de scène pour des
événements historiques de grande transcendance. Lorsque le
père de Beatriz et sa famille rentrent à Cusco en grande pompe,
ils le font par la place, et les derniers résistants rentrent à
Cusco par un quartier métisse pour être jugés et
exécutés publiquement sur la place.
L'étranger de Nieto choisit la place pour montrer sa
capacité d'action, sa puissance et son inflexibilité. Elle est le
cadre de la violence la plus crue et les exécutions qui y sont
présentées ont pour but de montrer la destruction progressive du
pouvoir inca. C'est la place où la tête de Manco Inca, le dernier
gouvernant, est plantée sur un bâton et là aussi où
le prodige de son embellissement progressif a lieu. C'est, finalement, dans une
place du centre ville où Diego Cristóbal Túpac Amaru et sa
mère sont horriblement torturés et assassinés.
D'autres villes sont mentionnées dans ces récits
en fonction des activités des personnages. Les
« repartimientos » de Yucay, Jaquijaguana, Gualequipa y
Pucara, les « corregimientos » de Huamanga et Huancavelica
au Pérou, Potosí en Bolivie et Concepción au Chili, sont
des centres économiques d'importance où les nobles exercent des
fonctions administratives ; dans sa construction de l'espace, l'auteur
montre un désir de fidélité historique.
Les centres peuplés d'indigènes sont des lieux
de résistance ou de refuge. L'infrastructure pré-hispanique
s'avère utile pour les rebelles, c'est le cas de Vilcabamba au
Pérou et Curalaba au Chili.
Lima, « la ville des rois » est
très présente, soit dans l'action elle-même57(*), soit indirectement. A Lima
confluent les forces politiques de la vice-royauté et le texte de Nieto
recrée une atmosphère de centralisme à tout niveau. La
plus haute autorité, le vice-roi, vit à Lima et il
détermine le destin des protagonistes, ce lieu fonctionne comme un
échiquier.
Dans María Nieves, Lima a acquis avec le temps
le caractère de centre culturel ce qui fait de Cusco un endroit
périphérique. Les noblesses inca et métisse vont
progressivement s'y installer suivre des études ou exercer des fonctions
administratives. Cependant, la capitale apparaît toujours comme un espace
étrange et incompréhensible pour les personnages, un lieu
gouverné par des règles qui leur sont étrangères et
qui les obligent à se soumettre même dans la vie quotidienne.
Dans la deuxième partie de Señores destos
Reynos, la campagne est au contraire, l'espace du Je, celui auquel l'autre
peut accéder mais de façon limitée. Tout comme la ville,
la campagne n'est pas décrite en détail, le paysage est
dessiné dans le texte par des lieux communs : les montagnes sont
inextricables, les rivières ont un fort débit, la jungle est
inaccessible et dangereuse. Les récits de Nieto montrent une vision
partielle de la géographie du pays, la sierra et la jungle sud sont les
seules régions présentes et la côte ainsi que la
forêt amazonienne sont ignorées.
Aucune action directe des personnages n'a lieu dans la
campagne, celle-ci apparaît à travers les souvenirs des histoires
racontées aux protagonistes ou par eux. La campagne est un territoire
absent, le cadre des seuls faits qui font avancer la diégèse.
L'indigène de Nieto, vainqueur des confrontations entre
le Je et l'Autre, domine la campagne. Elle est donc le terrain inconnu de
l'étranger, le lieu mystérieux, réservé aux
initiés parce que même les métis semblent ne pas y
appartenir.
Chez Nieto, la campagne est l'espace où tout est
à créer. Le métis y va fonder, inventer, construire, car
le paysan demeure paralysé dans le temps, loin de la
« civilisation ». Dans ce monde étranger, le Je est
un agent de dynamisation qui ouvrira les portes à la modernité et
qui introduira une nouvelle valorisation de l'espace.
Alors que pour le paysan la terre est une partie de
lui-même58(*), le
métis lui accorde un intérêt purement économique ou
sentimental. L'espace est donc l'enjeu de telles confrontations.
Pour le métis, l'espace peut être organisé
uniquement selon ses codes, il ne reconnaît pas l'organisation de l'autre
(les communautés paysannes en tant que centres urbains) ou la
considère insuffisante. L'espace est alors recréé à
sa façon et les règles de la cohabitation son établies par
lui. Il y a un partage du territoire mais en même temps, une relation de
hiérarchie.
Le village métis est le symbole de la vie moderne,
créé avec une vision pratique économiquement et
géographiquement, il est aussi marqué dès son origine par
une froide manipulation des codes culturels paysans ainsi que la conscience des
besoins de la ville moderne :
« Ya tenía de todo El Descanso, pensiones,
escuela, cementerio, pero le hacían falta todavía tres cosas para
que, cuando los viajeros se alejaban del pueblo, no mostrara un aire
desolado : una feria, su fiesta y un milagro, sin importar el orden de los
factores. »59(*)
Mi sangre teñirá la nieve raconte ce
conflit à travers la vie du personnage principal et fondateur du
village. Son pragmatisme dans la conception de l'espace et ses rapports duaux
avec les paysans font de lui un marginal, un étranger permanent pour qui
le seul espace familier est celui des souvenirs.
Les routes sont des espaces de grande importance, à la
campagne elles fonctionnent comme les artères par lesquelles circulera
le sang du commerce. Dans cet espace créé par l'homme moderne, le
commerce et les communications sont vitaux. Le village grandit et se
développe grâce à ses routes et celles-ci rendent possibles
les échanges sociaux, culturels et politiques.
La campagne, dans son isolement, libère l'individu de
toute contrainte sociale et morale, il se livre à lui-même car il
n'y a pas de témoin ni de juge. La campagne devient la scène de
la violence primitive, de la passion exacerbée, de l'abandon des
règles imposées par le groupe. Elle peut pourtant être
aussi le lieu de l'utopie : Fernando, l'un des personnages de
Dónde está la verdad Gadafito?, confronté dans
les espaces familier et urbain aux frustrations économiques et sociales
se réfugie dans le monde rural en la croyance de pouvoir atteindre ses
idéaux politiques.
La ville actuelle de Nieto est le lieu de l'individualisme pur
et froid. La solidarité n'y existe pas, tout est régi par les
apparences, par l'exploitation de ce que la culture ancienne a laissé
comme héritage car la vie moderne se nourrit de la
médiocrité. Les personnages locaux s'accrochent aux conceptions
mystiques andines et Nieto s'en sert pour initier le lecteur aux connaissances
anthropologiques de la philosophie et aux croyances incas60(*).
L'incompréhension des codes culturels de l'autre fait
que l'étranger ne trouve pas sa place dans le monde qu'il visite, c'est
seulement dans le domaine du rêve que la réconciliation entre
l'étranger et le Je est possible, c'est là que le Je s'approche
finalement de l'étranger « en égalité de
conditions », et non pas « comme le ferait le vaincu du
vainqueur »61(*)
et prend sa revanche.
Il est inutile de rêver le départ, car l'espace
emprisonne ; marqué par la fatalité il fonctionne comme un
piège qui se referme sur les protagonistes pour les mettre face à
leur destin, Fernando ne sera donc pas élu député et Sonia
devra oublier ses illusions d'une nouvelle vie dans la capitale ; le grand
propriétaire fondateur de El Descanso subira le même sort que son
père, assassiné par les paysans ; et Laura, la visitante
espagnole finira par tomber sous le charme du soi-disant dernier inca.
3.1.2 L'espace de convergence.
De la même façon que Nieto dans la
deuxième partie de son livre, Chanove recrée la nouvelle vie
urbaine du péruvien moyen ; la société qui nous est
décrite est celle des migrants, de la polarisation et de l'abandon
progressif de la campagne. Le paysan est devenu un étranger pour la
nouvelle majorité métisse. Le visiteur venu d'autres pays en est
évidemment un aussi et sa condition d'individu de passage se traduit par
le changement continuel du cadre.
Une vision ironique et humoristique de la topographie souligne
la vision stéréotypée que l'étranger a de la ville.
Les descriptions de la ville et de la campagne dessinent un univers
dominé par l'ignorance et la naïveté où l'espace a
pour l'habitant local la valeur que l'étranger lui donne.
L'espace est fragmenté, possible influence du roman
américain, et le narratif et le descriptif ne s'opposent pas.
Grâce à ce procédé, la construction même de
l'intrigue exprime le foisonnement nocturne de la ville, ses contrastes et la
multiplicité des temps vécus qui s'y inscrivent.
Comme dans le roman moderne, il y a un effort pour rendre
intime l'articulation entre le descriptif et le narratif ; le décor
complètement divisé est intégré à la
matière même du récit. Le rythme est donc trépidant,
comme si le fait de promener le regard contemplatif pouvait faire perdre le fil
de l'intrigue ; il est évident que le texte est articulé de
façon à ne pas briser le mouvement et à ne pas casser le
rythme. A la différence de l'atmosphère recréée par
Nieto, celle de Chanove a, grâce aux notions spatiales, introduit une
dynamique d'évasion.
L'espace de convergence de Nieto apparaît ainsi sous un
point de vue différent. Fernando, le protagoniste de Dónde
está la verdad Gadafito?, présente cet espace comme le
symbole de la décadence de la société. Il décrit le
lieu de façon péjorative :
« semipenumbra, música estridente, bancas,
banquitos y mesas rústicas, dibujos harekrishna en las paredes y sobre
todo esa sarta de autistas decadentes que entraban en trance a punta de
contorsiones o brincos [...] ese antro que seguramente nunca hubiera pisado en
otras circunstancias »62(*), et plus loin : « Era ése
uno de los lugares que se debía borrar del mapa del Perú, ese
antro que se proclamaba lugar de reunión de los locos
responsables... »63(*).
Quand le protagoniste de la culture d'origine
pénètre l'espace étranger, l'opposition entre le Je et
l'Autre est évidente, mais l'incompréhension première de
l'espace et de ses règles est finalement surmontée quoiqu'encore
critiquée :
« La primera noche no pasó de la barra y de
asomar con desconfianza, desde una de las dos puertas que daban acceso a ese
ambiente alargado repartido mitad mitad entre el espacio ocupado por sillas y
mesas y la pista de baile, a esa atmósfera saturada de emanaciones y
vibraciones que le eran completamente extrañas. Luego, a punta de
observar hora tras hora y cerveza tras cerveza ese caos, fue descubriendo las
normas que lo regían... »64(*).
Si les territoires visités par les personnages
étrangers d'Inka Trail se répètent, cette
révélation progressive de détails ou de
caractéristiques fait qu'ils sont en mutation permanente aux yeux du
lecteur. L'image qu'on perçoit est enregistrée à grande
vitesse et le monde auquel on a accès est trop éclaté et
insaisissable, ce qui donne une sensation d'impuissance.
Le morcellement de l'espace permet d'observer
l'étranger sous différentes facettes, l'espace fait le personnage
et lui donne de l'épaisseur ; ainsi Manuel, le protagoniste du
roman et barman de l'Enterprise, est, dans son domicile,un individu
angoissé et tourmenté alors qu'il se montre audacieux et
désinvolte au bar.
Dès le début du récit, l'idée de
déplacement est instaurée, tous les personnages sont des
étrangers, ils se sont tous déplacés pour se retrouver de
manière fortuite à Cusco, à l'Enterprise ;
ils viennent d'autres pays ou d'autres villes du pays. Ces personnages sont en
mouvement continu, ils passent d'un lieu à l'autre dans des
scènes qui se succèdent de façon presque vertigineuse mais
les différents territoires que l'on observe trouvent leur point de
convergence à l'Enterprise.
Malgré la claire délimitation de ce point de
rencontre, il semble labyrinthique et difficile à maîtriser. Dans
la foule d'images qui assaillent le lecteur, celui-ci ne retient que ce qui lui
semble nouveau ou inquiétant et sa perception doit être à
l'oeuvre pour lui permettre de trouver l'élément qui restructure
tout.
L'Enterprise, l'espace du bonheur, est une sorte de
zone affranchie que l'on trouve au-delà de la dernière
frontière, le domaine de la liberté où celle-ci ouvre les
portes de la lucidité et de la folie. L'Enterprise est «
el mejor lugar para los que esta[n] hartos », c `est l'espace de
l'étranger par excellence où toutes les histoires sont possibles
mais où l'oubli est garanti, car il s'agit d'un vaisseau qui navigue
toujours vers le présent.
Ce territoire présente néanmoins une
particularité, il a un cycle vital qui se reproduit quotidiennement.
L'Enterprise ouvre à la tombée de la nuit , le
bruit, l'alcool et la foule en composent l'ambiance générale, une
agitation dont le rythme progressif éclate au-delà de minuit, il
attire toutes sortes de gens. Le petit matin est le temps de l'agonie et dans
les premières heures l'espace meurt. « En el
Enterprise todas las noches son iguales », dit l'un des
personnages. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, cette
répétition incessante n'a rien de monotone et apparaît
même comme une nécessité. Par imitation, d'autres endroits
similaires prolifèrent.
L'Enterprise rassemble une grande diversité
d'individus venus d'ailleurs, c'est le territoire du hasard dans la mesure
où des rencontres improbables s'y produisent. Le hasard est pourtant
limité aux possibilités combinatoires et l'espace est régi
par des codes stricts naturellement compris et appliqués par les uns et
irrémédiablement incompris pour d'autres. Le lieu de la
liberté est donc marqué par ces règles universelles (et
non pas régionales) que certains comme Manuel, le protagoniste,
choisissent de ne pas respecter. Il n'est pas gratuit que toutes les
activités interdites ou illégales (le commerce et la consommation
de drogues, la prostitution et l'assassinat) trouvent d'autres cadres pour
être accomplies.
La fin de l'histoire marque aussi la fin de
l'Enterprise, comme pour confirmer la narrativité de cet espace
et son lien étroit avec le déroulement des actions. Le bar sera
ainsi acheté par Alias, le seul personnage féminin local, et
changera de nom : Inka Trail ; son ambiance, son
décor et même son identité seront changés, l'espace
du roman est aussi celui du changement. L'espace de l'Autre sera,
symboliquement, incorporé à l'espace du Je.
3.2 Typologie de
l'étranger.
Les images de l'étranger sont le résultat d'une
mise en jeu d'éléments d'ordre pulsionnel, ce qui leur donne une
certaine continuité et les met en relation. L'histoire des
mentalités agit, selon Solange Alberto, dans des champs
d'intérêts dominés par la sensibilité en opposition
à ceux régis par la conscience. Le psychologique prévaut
ainsi sur l'intellectuel tout comme ce qui est automatique et inconscient
prévaut sur ce qui provient d'opérations mentales
délibérées65(*).
Les traits physiques fonctionnent en tant que marques des
différences sociales, ils sont à l'origine des associations
binaires du type blanc - beau ; foncé - laid ; homme
supérieur - homme inférieur, mépris - haine. Les traits
physiques sont importants par la forte valorisation dont ils sont objets dans
le contexte socioculturel analysé.
- Sexe masculin féminin :
Les positions de Nieto et Chanove à ce sujet sont
opposées. L'étranger de Nieto est, la plupart du temps,
décrit de façon péjorative, particulièrement
lorsqu'il s'agit de l'homme étranger. Si Chanove en fait autant, l'effet
est atténué par la sympathie que ses personnages dégagent
et par l'humour. Quant à la femme native, le traitement que Nieto fait
d'elle est euphorique. La femme native ne présente aucun défaut.
Dans le cas de Chanove le traitement est dysphorique. Son physique n'est pas
présenté comme étant agréable et encore moins son
comportement. Seul un personnage féminin natif, Alias,
révèle certains traits positifs (mais aussi neutres : le
mystère, l'indépendance, l'audace, une certaine
masculinité) et curieusement il ne s'agit pas d'une femme typique, elle
est hors-normes, une sorte d'étrangère.
La femme étrangère est dans les deux cas objet
de désir. De sensualité débordante, elle invite à
l'exogamie. Si pour Chanove la femme étrangère rend possible la
découverte d'autres réalités, pour Nieto
l'étrangère ouvre les portes à la réconciliation
des mondes.
L'étranger qui traverse une frontière et qui se
retrouve loin de sa famille, de son cercle social n'est plus soumis à
leurs règles ni à leurs contraintes. Son corps en est un nouveau,
le regard des autres l'a rendu différent, cette nouveauté et la
curiosité qu'elle engendre déclenchent chez l'étranger le
désir de l'auto-exploration. Kristeva explique que l'audace de venir se
poser ailleurs est accompagnée de l'éclatement du refoulement et
de la frénésie sexuelle car l'interdit n'existe plus et tout est
possible. L'Autre reproduit dans nos deux oeuvres le comportement
déréglé typique de l'étranger ; ce
dérèglement se manifeste fondamentalement dans les moeurs
sexuelles et dans l'illégalité, c'est-à-dire, dans la
consommation de stupéfiants et d'alcool ou dans les infractions des lois
que l'on ne tolérerait pas dans son propre pays.
Inka Trail fait aussi allusion de façon
répétée au mythe de la femme fatale. Les personnages
féminins : Helène et April, ainsi que les autres femmes
évoquées par l'intertexte : Rita Hayworth et Marlène
Dietrich,
Nieto fait de son Je un nostalgique. Max Hernández
définit la nostalgie comme l'affection intermédiaire
-agréable et désagréable- qui alterne entre les objets du
passé et ceux qui apportent les nouvelles circonstances et c'est ce que
l'on observe chez Cristóbal Túpac Amaru, Fernando et le
protagoniste de Mi sangre teñirá la nieve.
- Sauvage - civilisé :
L'opposition entre sauvage et civilisé est
utilisée de façon à valider une position
idéologique particulière. Alors que dans la plupart des oeuvres
contemporaines qui ont comme thème la confrontation entre Espagnols et
indigènes, celui-ci apparaît comme étant le moins
civilisé, Nieto renverse cette idée en faisant apparaître
l'étranger comme un être violent et sans contrôle.
L'étranger, cruel, traître et assassin, est le sauvage, incapable
de comprendre le natif et le fonctionnement de sa société tandis
que ce dernier vit dans l'ordre, dans le respect de ses normes et de sa
religion.
Si le conquistador du XVème siècle
commet des crimes impunément, le métis en fait autant avec les
indigènes vers la moitié du XXème
siècle. Le métis est à la fois sauvage et civilisé.
Il peut aimer et admirer le monde de l'Autre mais il est aussi capable des
pires atrocités. L'indigène d'aujourd'hui que Nieto
caractérise est aussi le sauvage. Irréflexif, vengeur, il est
également cruel.
L'étranger venu d'autres pays est, pour Chanove, un
porteur de nouveauté. Alors que le Je peut être machiste,
profiteur et violent, l'étranger est libéré de ces tares.
Nieto, pour sa part le présente comme un libertin, amant des
excès, de sexualité débridée, consommateur de
drogues et d'alcool. Ces caractéristiques sont communes aux personnages
de Chanove, mais leur caractère négatif est fortement
accentué dans Señores destos Reynos.
L'étranger est toujours seul et souvent cette
solitude peut le faire apparaître comme un sauvage, un « alien
». Dans un monde inconnu il ne peut qu'être artificiel.
L'excentricité est sa marque.
3.2.1 Procédés
d'inclusion - exclusion
a) Procédé d'exclusion.
Parmi les procédés d'exclusion que l'on trouve
dans les oeuvres de Nieto et Chanove, celui de l'utilisation d'un nom
spécifique pour l'étranger est le plus efficace.
Le « choleo », la principale forme
d'exclusion au sein de la société dont on s'occupe, est
utilisé par les auteurs pour souligner les rapports discriminatoires du
métis envers l'indigène, et de l'habitant de la capitale envers
l'habitant de province. Si le métis appelle
« cholo » celui dont les traits physiques sont
indigènes, il est à son tour un « cholo »
pour l'individu blanc de la capitale.
De même, lorsque le touriste étranger est
confronté au Je ou lorsque sa compréhension de l'habitant local
est entourée de difficultés, il est automatiquement appelé
« el gringo », de façon à souligner son
altérité. La curiosité du lecteur est
éveillée, il fixera alors dans son imaginaire le
« comportement étranger » et l'opposera
naturellement au « comportement du Je » en
renforçant le stéréotype.
b) Procédé d'inclusion.
Les procédés d'inclusion identifiés dans
les livres analysés, ont la particularité de concerner plus
la femme que l'homme étranger.
La plupart des personnages étrangers rentrent dans le
régime de non-personnes (en tant que personnes absentes de l'espace de
l'interlocution). Mais lorsqu'ils arrivent à établir un rapport
plus approfondi avec le natif, ils ont droit à des dialogues
présentés dans des discours directs.
Pourtant, au-delà de leur présence dans
l'interlocution, l'homme étranger demeurera toujours un Autre, alors que
la femme, souvent grâce à l'exogamie, pourra faire partie du monde
du Je.
L'étrangère est décrite initialement
comme « la gringa », à ce stade, elle est objet de
curiosité ou d'admiration. A mesure que la rencontre amoureuse avec
l'homme natif se produit et que la routine s'établit, la femme
étrangère est désignée par son prénom ou un
substantif générique, elle est décrite de façon
moins enthousiaste. Une fois que ses actions, réactions et dialogues
s'avèrent être les mêmes que ceux d'une femme native et que
l'adjectivation en rend compte, tout comme les femmes natives elle est
qualifiée par les personnages masculins de façon
péjorative (« la muy puta », « está
loca », « hembra »,
« histérica »).
3.2.2 Relations hiérarchisées.
a) Maître - esclave
Le rapport conquistador-indigène est chez Nieto, une
forme d'interaction sociale basée sur l'abus d'un côté et
la terreur panique de l'autre comme un patron de domination total. Ce type de
rapport, présent à l'époque de la Conquête, est
reproduit dans la vie rurale contemporaine, dans la relation
métis-paysan ou maître-esclave, sujet traité par Hegel dans
sa Phénoménologie de l'esprit.
Les personnages de Nieto, en tant qu'opprimés,
répondent de deux façons : soit par la rébellion et
la recherche de leur liberté, comme Cristóbal Túpac Amaru
ou María Nieves ou par la complaisance et la résignation, comme
la jeune Beatriz. De la même façon et dans le contexte
contemporain, la première réaction apparaît dans la lutte
des paysans contre les latifundistes et la deuxième dans la vie
quotidienne où les indigènes sont au service du métis.
Julia Kristeva écrit que « l'étranger
perçu comme un envahisseur dévoile chez l'enraciné une
passion ensevelie : celle de tuer l'autre, d'abord craint ou
méprisé, puis promu du rang de déchet au statut de
persécuteur puissant contre lequel un `nous' se solidifie pour se
venger. »66(*)
Dans la société contemporaine, tout
indigène se sent plus ou moins étranger à sa propre terre.
Kristeva explore la valeur métaphorique du terme étranger et
affirme que l'indigène expérimente « une gêne
concernant son identité sexuelle, nationale, politique professionnelle.
Elle le pousse ensuite à une identification [...] avec
l'autre. »
Les nouveaux maîtres et les nouveaux esclaves,
affirme-t-elle, ont une sorte de complicité sans conséquences
pratiques. Toutefois cette complicité pousse l'indigène à
se questionner sur son identité psychologique, sa véritable
appartenance au lieu où il habite, son destin et son libre arbitre.
« Ne sont-ils pas maîtres de l'avenir ? » est
pour Kristeva la question ultime que l'indigène se pose.
b) Homme conquistador - femme indigène
Le sexe établit un rapport de domination. La femme,
comme l'affirme Lévi-Strauss, a une nature ambiguë, elle peut
être marchandise, valeur et symbole à la fois. Les rapports de
couple que Nieto tisse dans la première partie de son livre sont
empreints de conflits. Les unions entre conquistadores et indigènes ne
sont pas des alliances matrimoniales, mais de simples rencontres sexuelles. La
peur de l'endogamie, donc de l'inceste, pousse l'homme occidental vers
l'exogamie. Cependant, lorsque celle-ci implique des groupes humains si
différents, ethniquement et culturellement, elle devient une
transgression et le fruit d'une telle union est regardé avec
méfiance. Le métis est, chez Nieto, une sorte d'hybride,
rejeté des deux côtés et indigne de confiance.
Le rapport entre l'homme étranger et la femme native a
aussi un caractère symbolique pour Nieto. L'entreprise de la
conquête est celle de la domination d'une terre d'origine de
caractère féminin (« madre tierra »,
pachamama). Tout comme le conquistador prend une femme native,
l'Espagne s'empare des territoires nouveaux.
c) Homme indigène (local) - Femme
étrangère
La distribution numérique des personnages fait qu'il y
a une interaction importante entre les personnages natifs masculins et les
personnages féminins étrangers.
Le rapport de domination actuel que Nieto et Chanove laissent
entrevoir est l'opposé de celui que Nieto établit entre les
conquistadores et les femmes indigènes dans la première partie de
son livre.
Dans ce contexte, la figure du brichero67(*) apparaît. Comme
Mark Cox l'a bien signalé, le brichero apparaît en tant
que reflet symbolique des rapports économiques du Pérou avec des
pays impérialistes. « Depuis longtemps on parle d'une
économie postindustrielle ou d'une économie de services. Le
brichero représente ce nouveau secteur de services qui continue
à croître »68(*) dit Cox. Ce que le brichero offre, son
produit, c'est l'amour exotique et mystérieux, intéressant
seulement pour les femmes étrangères.
Inka Trail rassemble une grande quantité de
personnages masculins nationaux et de personnages étrangers
féminins.
4. Le Je et l'Autre :
littérature et société. (L'image comme
scénario).
Nous avons abordé dans le premier chapitre certains
aspects historiques et sociaux d'importance qui nous ont servi à mieux
connaître les bases de la construction de l'image de l'étranger.
Daniel-Henri Pageaux affirme que l'image ne peut pas être pleinement
autoréférentielle et que sa signification est garantie par le
code social et culturel qui cautionne sa circulation et sa
validité ; dans ce contexte, nous sommes bien obligés de
penser l'image dans un cadre historique et social précis à partir
duquel les oeuvres analysées peuvent élaborer des
scénarios. Dans ce chapitre nous analyserons l'image en tant que
scénario et nous essayerons de déterminer dans quelle mesure elle
est tributaire d'autres scénarios.
Comme nous l'avons déjà mentionné, les
deux textes étudiés correspondent à deux traditions
idéologiques, culturelles et esthétiques différentes.
Nieto choisit dans Señores destos Reynos, de donner une libre
continuité au courant néo-indigéniste analysé dans
notre premier chapitre et Inka Trail, pour sa part, est un roman plus
expérimental qui suit la ligne du roman policier et dont
l'originalité repose sur le travail formel, issu de la poésie.
L'imaginaire que nos textes exploitent et vers lequel ils se
dirigent est celui d'une société métisse, de traditions
fortement enracinées et de grande diversité qui ouvre depuis peu
de temps ses portes au tourisme massif. La mise à jour d'importants
faits historiques et cette vague de nouveauté à laquelle la
société se voit confrontée depuis plus de vingt ans,
présentent à la littérature de nouveaux
scénarios.
Señores destos Reynos et Inka Trail,
deux textes imagotypiques, agissent, dans les scénarios qu'ils
proposent, sur l'opinion du lecteur de la société
péruvienne en renforçant le sentiment de sa propre valeur, en
renforçant l'amour et l'admiration pour sa propre culture et en leur
permettant de prendre en quelque sorte une revanche sur les
événements historiques qu'ils considèrent comme leur ayant
été défavorables.
Les textes analysés agissent aussi de façon
à permettre au lecteur de comprendre l'Autre et d'accepter ses
différences. Certes, l'image historique de l'étranger que nos
auteurs construisent est parfois fidèle au stéréotype, (et
dans certains cas, notamment chez Nieto, tend même à le
légitimer). Cependant, lorsqu'il s'agit de l'image de l'Autre
contemporain, la lecture des deux oeuvres permet de réaliser qu'on est
tous des étrangers et que toute société est construite sur
la différence.
4.1 Les scénarios ou
l'« agrégat mythoïde ».
Les
différentes images de l'étranger fournissent des
« modèles » ou des scénarios en puissance. Il
s'agit des « agrégats mythoïdes » de Michel
Cadot auxquels Daniel-Henri Pageaux fait référence en les
plaçant « à mi-chemin entre le stéréotype
et le mythe ». Les textes analysés nous permettent de
dégager différents scénarios à partir des images de
l'étranger qu'ils nous proposent.
Señores destos
Reynos reproduit ainsi dans ses deux premiers récits les invariants
identifiés par Jean Marc Moura dans une étude de textes
consacrés au tiers monde : l'euphorie primitive, le personnage
occidental fasciné et la destruction d'un monde primitif.
L'étranger de Hijos de Supay et Reina del Perú,
connaît les prodiges d'une culture inconnue, jouit de ses bonheurs et
finit par imposer ses propres lois. Ceci entraîne la destruction de
l'ancien ordre.
Un scénario plus
contemporain met en scène un étranger hautain et sûr de lui
confronté à l'inconnu par un habitant indigène et qui
finit par être intégré dans son monde. Tant les personnages
de nationalité étrangère, les
« gringos », que les habitants de la capitale, les
« limeños » d'Inka Trail, succomberont au charme du
monde andin et seront subjugués par ses mystères.
Des variations sur ce
scénario incluent la figure du « brichero »,
espèce d'amant entretenu dont le rôle est souvent celui de guide
mystique. Ce scénario que l'on trouve de manière
répétée dans les textes de Chanove et Nieto est aussi
présent depuis presque vingt ans dans de nombreux récits de la
littérature du Sud du Pérou. Dans le roman de Chanove ce
scénario apparaît à cinq reprises, c'est l'argument du
récit Buscando un inca et apparaît indirectement dans Dónde
está la verdad Gadafito? de Luis Nieto.
Inversement, lorsque le Je
se trouve dans l'espace et le monde de l'étranger, le scénario
est celui du personnage éblouit par la modernité, qui
expérimente l'incommunication et l'isolement et qui finit par en vouloir
l'Autre. Il faut bien noter que la distance entre le Je et cet Autre peut bien
être géographique et culturelle (c'est le cas quand le personnage
de Tupi Velásquez, marié, doit vivre à Paris) ou
simplement socioculturelle (quand le même personnage étant enfant
voyage à Lima et devient l'employé de maison d'une famille
bourgeoise).
Les rapports entre
métis et indigènes fournissent aussi des scénarios, des
« modèles » déjà classiques dans la
littérature indigéniste dont Nieto se sert pour son récit
Mi sangre teñirá la nieve et auxquels Chanove fait allusion. Le
métis, père et bourreau des indigènes, voit ses
protégés se soulever et finit par être puni. Dans le
récit de Nieto, le métis latifundiste qui protège et qui
exploite les paysans indigènes réveille leur colère et
finit par être cruellement assassiné. Ce scénario, qui se
produit une fois avec le père du protagoniste, va se reproduire avec le
protagoniste lui-même.
4.2 Facteurs constructifs à niveau transtextuel.
Après avoir analysé les procédés
que, au niveau textuel, nous considérons les plus importants dans la
construction de l'image de l'étranger, nous pouvons passer à
l'analyse des phénomènes transtextuels.
La notion de « transtextualité » a
été définie par Gérard Genette et à partir
de cette catégorie un grand nombre de phénomènes peut
être étudié. Ces phénomènes vont de
l'allusion et la citation aux rapports existants entre le texte de fiction et
autres textes, de la signification de titres et sous-titres à
l'imitation et la parodie. Nous sommes conscients de l'ampleur et de
l'hétérogénéité de la
transtextualité, mais c'est bien ceci ce qui nous intéresse.
Cette ampleur nous permet de réunir des aspects très divers mais
intrinsèquement liés à la construction des deux
oeuvres.
La transtextualité d'Inka Trail et
Señores destos Reynos privilégie les relations
d'intertextualité et hypertextualité dans le premier cas et
uniquement l'hypertextualité dans le second.
4.2.1 Intertextualité.
Il est possible de distinguer dans Inka Trail une
palette d'intertextualité avec une forte relation de co-présence.
Plusieurs textes sont effectivement présents dans le roman sous les
formes d'allusions et de citations évidentes et masquées et
parfois accompagnées des références. Une grande partie des
liens intertextuels ont été tissés par euphonie, par
conséquent on s'occupera uniquement des liens en rapport avec l'image
de l'étranger.
De l'observation on peut se rendre compte qu'un bon nombre de
citations ont été intégrées sans le suggérer
au lecteur. Les oeuvres et auteurs faisant partie de cette
intégration-absorption (sous la forme que Thiphaine Samouyault appelle
impli-citation) peuvent être facilement identifiés
grâce à une liste que l'auteur cite à la fin du livre.
Ce procédé invite le lecteur à pratiquer
une lecture ouverte à un deuxième niveau et à rechercher
les citations ou références au-delà du texte.
L'intertextualité nous permet de faire une
réflexion sur le texte, et ce faisant nous plaçons le
récit de fiction sous une perspective relationnelle car il y a un
échange constant entre les textes.
Cet échange est le résultat d'un travail de
bricolage69(*), d'une
opération qui implique le recyclage de matériaux
(littératures, médias, lieux communs), de collages et de
combinatoire. Le procédé d'intégration par
découpage ou écriture par montage, caractéristique de
Chanove, rend ce travail évident.
L'intertextualité dans Inka Trail souligne le
problème de la discontinuité. Par les citations, le roman de
Chanove est ouvert à l'extérieur, à l'Autre. La
conséquence en est une perte d'unité dans la lecture, une
certaine dispersion et multiplicité, deux caractéristiques
communes à la narration elle-même.
Les récits de Señores destos Reynos ont
comme origine des recherches historiques minutieuses dont le bricolage,
à la différence de celui d'Inka Trail, donne un effet de
continuité. Si l'auteur réalise un énorme travail de
récupération et de montage, il se préoccupe d'en effacer
les traces.
Tout comme les histoires que le roman de Chanove et les
nouvelles de Nieto racontent sont marquées par l'altérité
et construites à travers elle, l'écriture nous
révèle la présence de l'Autre, de l'étranger, par
son intertextualité. Le roman policier, les chroniques, les
études historiques, la science fiction, la poésie, les lieux
communs et les clins d'oeil cinématographiques et
télévisuels se retrouvent de façon directe ou indirecte
dans ces textes.
a) Citations et allusions.
De la lecture d'Inka Trail on a réussi
à identifier 46 citations de 42 auteurs70(*) dont moins de la moitié ont un rapport avec
l'image de l'étranger. Bien que la plupart d'entre elles fasse partie du
paratexte, certaines sont inclues dans le corpus textuel.
Les allusions retrouvées dans Inka Trail ont
en général un rapport avec la culture populaire. La plupart
d'entre elles vise à rappeler au lecteur des faits et des personnages
historiques tels que les chroniques (p. 157), la religion (p.55), des films
(p.173), des séries télévisées (p.145) ou la
publicité (pp.92, 120), des personnages héroïques (pp. 28,
141, 168, 169) ou de fiction (pp.53, 125, 144).
b) La mémoire ludique (les lieux communs et
l'ironie).
La mémoire s'expose ici sous la forme de clins d'oeil
et plus particulièrement par l'utilisation de clichés et de lieux
communs.
Le cliché est la phrase qui a été dite
une fois et qui a finit par être généralisée
jusqu'à devenir monnaie courante. Cette forme de communication qui fait
partie de la mémoire collective d'une société est
continuellement exploitée par nos auteurs.
Inka Trail introduit de nombreux clichés, la
plupart d'entre eux rentrent dans le discours direct et soulignent le parler de
certains personnages. Les phrases faites ont un effet clairement
humoristique.
Lorsqu'il s'agit de Cusco et de son atmosphère, les
stéréotypes sont renforcés : « Escucha tu
voz interior » dit l'un des personnages étrangers en cherchant
à convaincre son amante française, et Cusco apparaît encore
comme une ville unique71(*).
Les lieux communs utilisés dans certains
épisodes soulignent le côté beau parleur et vantard du
stéréotype de l'homme de la capitale72(*). Manuel, le protagoniste,
semble être la cible des lieux communs sur l'homme et son comportement
social73(*). De
même, la femme l'est sur son côté complexe, et en
conséquence incompréhensible pour l'homme74(*). Finalement la fatalité
est annoncée et assumée avec humour75(*).
4.2.2 Paratexte.
Le paratexte est souvent formé par des citations, la
lecture au premier niveau d'Inka Trail n'est donc pas marquée
par une co-présence totale (ou maximale) des textes, car ces citations
sont identifiables. Clairement détachées du corpus textuel, elles
ont été placées en tant que sous-titres ou
épigraphes et mises en évidence. Le lien intertextuel n'est pas
complètement effacé.
La préface, un monologue du protagoniste, culmine avec
une citation de Melville : « Aunque no lo sepan, casi todos los
hombres, en una o en otra ocasión, abrigan sentimientos muy parecidos a
los míos respecto a partir. » Les idées du
déplacement et de la condition d'étranger sont
déployées dès le début du récit.
Quant aux 143 sous-titres et 7 titres du livre, ils
fonctionnent de façon complémentaire à la narration qu'ils
précédent et l'imprègnent souvent d'ironie.
Des thèmes tels que le voyage76(*), le tourisme77(*), des clins d'oeil au
western78(*), à la
science fiction79(*),
à la métaphysique80(*), au cinéma81(*) et la musique82(*), des citations d'auteurs83(*) et des expressions
locales84(*) ont un
rapport avec le thème de l'étranger de façon souvent
superficielle.
Certaines caractéristiques de l'étranger sont
renforcées aux yeux du lecteur car elles sont annoncées par les
sous-titres : « (Viejo Lobo del Norte) »,
« April Es El Mes Más Cruel », « (Casta De
Malditos) », « El Héroe », « Las
Emociones De Los Corredores De Bolsa », « (El Verdadero
Enemigo) », « Gerardo Villegas, La
Biografía », « (Manual Supersecreto Del
Bacán) ».
Par une opération de collage, l'une des marques les
plus caractéristiques du roman, un bon nombre de citations apparaissent
sous la forme d'épigraphes. Certaines sont accompagnées de leurs
références alors que d'autres ne le sont pas.
L'épigraphe joue
à plusieurs niveaux : le roman commence85(*) avec une épigraphe qui
porte et résume une part de la complexité du texte en faisant du
voyage un motif récurrent dans la narration. En effet, le motif du
déplacement réapparaît plus tard et donne une nouvelle
signification à l'espace de l'étranger86(*).
La perception de la femme étrangère en tant
qu'objet de désir est anticipée par l'épigraphe alors que
dans le cas de l'homme étranger, l'épigraphe détourne le
modèle pour provoquer un effet parodique87(*).
L'atmosphère de toute confrontation entre le Je et
l'Autre88(*) est
préfigurée par les épigraphes et leurs rapports amoureux
sont imprégnés d'un teint artificiel et
éphémère89(*).
La matérialité de l'écriture est donc
mise en évidence de façon permanente par le collage,
procédé qui est mené à sa limite dans l'inclusion
d'une recette en tant que note marginale90(*).
L'épilogue est une sorte de revendication du Je et
l'étranger finit par disparaître91(*).
4.2.3 Hypertextualité.
En ce qui concerne l'hypertextualité, nous analyserons
les textes du corpus et nous essayerons de déterminer dans quelle mesure
ils sont tributaires d'autres textes.
La transtextualité de Señores destos
Reynos est marquée fondamentalement par une relation de
dérivation. Luis Nieto écrit la première partie de son
livre à partir des recherches historiques sur les récits des
chroniqueurs du XVIIème siècle. Il se sert de ces
événements qui fonctionnent en tant que scénarios
préétablis pour écrire des récits de fiction. En
plus des chroniques, de nombreux textes historiques constituent les
références culturelles ou
« autorités » auxquelles l'auteur obéit.
A la différence des événements
historiques modernes, ceux racontés par les récits des
chroniqueurs et les documents d'époque peuvent difficilement être
corroborés ou comparés. Il s'agit souvent de documents uniques
dans lesquels la subjectivité du chroniqueur façonne les images
du Je et de l'Autre. L'exotisation de l'Inca est la marque la plus courante des
textes les plus anciens, car ces écrits furent rédigés par
des chroniqueurs et des autorités d'origine espagnole.
Nieto se sert des documents des archives historiques tels
que : l'Instrucción del Inca don Diego de Castro Titu Cusi
Yupanqui92(*) ;
des lettres de Cusi Huarcay adressées au Vice-roi Comte de Villar
don Pardo en 1586 ; des registres du couvent de Santo Domingo à
Cusco, Pérou ; des documents datant de 1640 à 1650 qui ont
servi à l'auteur pour reconstituer la vie de la jeune Beatriz ; le
« Testamento inédito de doña Beatriz Clara Coya de
Loyola, hija del Inca Sayri Túpac »93(*) ; une lettre de Cusi
Huarcay, mère de Beatriz94(*) ; l'« Información de servicios
de Martín García de Oñaz y Loyola »95(*) qui raconte la capture de
Túpac Amaru et la « Descripción y sucesos
históricos de la provincia de Vilcabamba »96(*).
L'auteur utilise aussi les chroniques du frère
Martín de Murúa, ainsi que des recherches historiques
diverses : Vida del conquistador del Perú don Francisco
Pizarro, de Rómulo Cúneo Vidal97(*) ; El
Señorío de los Marqueses de Oropesa en el Perú, de
Guillermo Lohmann98(*) ; La conquista de los Incas de John
Hemmings99(*) ;
Nacimiento de una utopía. Muerte y resurrección de los
Incas, de Manuel Burga100(*) ; l'article « Los mestizos rebeldes
del Perú », de Héctor López
Martínez101(*) et
l'article « Amor y rebelión en 1782 : El caso de Mariano
Túpac Amaru y María Mejía », de Kathryn
Burns102(*).
Dans la deuxième partie du livre, le récit
Mi sangre teñirá la nieve, tiré d'un fait divers,
est aussi le résultat d'une abondante recherche, notamment dans le
domaine des sciences sociales.
L'auteur construit l'univers de l'étranger à
partir de différentes études ethnologiques et sociologiques. Les
oeuvres utilisées sont : Kunturkanki, pueblo del Ande
(Cusco, 1961), l'article « Chiaracke » (Túpac
Amaru, Vol. II, N°2 y 3, Cusco, 1943) et la monographie
« Sublevaciones indígenas » (conservée dans
les archives historiques de la ville) du poète Andrés Alencastre,
la nouvelle étant tirée de sa biographie. D'autres textes tels
que le livre Vidas símbolos y batallas. Creación y
recreación de la comunidad de indígenas. Cusco, siglos
XVI-XX, de Luis Miguel Glave103(*) et les articles : « Las batallas de
Rumitaqe. Movimientos campesinos en 1921 en Canas », de Abraham
Valencia104(*) ;
« De Taki Parwa a Taki Ruru »105(*) et « La
canción mestiza en el Perú. Su valor documental y
poético »106(*) de José María Arguedas ; et
« Apu Qorpuna. Visión del mundo de los muertos en la comunidad
de Awkimarka », de Ricardo Valderrama sont aussi utilisés.
Mi sangre teñirá la nieve est un
récit particulièrement intéressant parce que le
protagoniste agit comme un double de l'auteur et sa recherche sur l'Autre est
comparable à la sienne. Tout comme l'auteur, le protagoniste plonge dans
l'univers de l'étranger pour en tirer un profit artistique.
Chanove se sert pour sa part de textes divers. A la
différence de Nieto, où l'on identifie une relation de
dérivation plus ou moins encadrée par un domaine précis,
les références culturelles que Chanove emprunte concernent des
domaines divers.
Parmi ses sources on compte les Fleuves profonds, de
José María Arguedas, un classique de la littérature
péruvienne. L'une des premières scènes est curieusement
récrite lors de la rencontre amoureuse dans les rues anciennes de
Cusco de deux des protagonistes étrangers, une femme anglaise et un
homme de Lima. L'homme déclare son admiration pour les murs inca et la
femme exprime son désir d'y faire un serment ; le passage nous
rappelle celui où Ernesto, protagoniste des Fleuves profonds,
accompagne son père à Cusco pour la première fois et,
émerveillé par l'architecture des Incas, veut en faire
autant107(*). Le motif
de l'étranger et son enthousiasme pour la culture du Je est
traité dans les deux cas avec humour.
L'image littéraire de l'Autre est confrontée
à des témoignages parallèles et contemporains aux
représentations véhiculées par la presse, la
télévision, la paralittérature, le cinéma et les
arts.
Lors de la lecture d'Inka Trail nous trouvons de
nombreux indices intertextuels tels que mots clés, citations, allusions
et choix onomastiques, en rapport avec la science fiction.
Pour bien comprendre combien le lien avec la science fiction
est intéressant pour notre analyse sur l'image de l'étranger,
nous mentionnerons certaines des caractéristiques
générales de ce genre dans le XXème
siècle :
- La science fiction raconte des voyages épiques de
découverte vers une altérité radicale et qui peuvent
être évalués pat la richesse des relations
présentées.
- Il y a dans toute histoire de science fiction un
désir d'établir la communication (par l'intervention de langages
par codes, télépathie ou inventions technologiques).
- La plupart des romans de science fiction posent le
problème de cultures en contact et prônent le respect absolu de
l'Autre.
- Il s'agit de légitimer une espèce de
subversion de la réalité, de montrer que tout n'est qu'illusion,
que rien n'est sûr et que l'homme n'est pas ce qu'il croit être.
- Une fin qui prend en compte à la fois le principe
d'espérance et le principe de réalité.
Ces caractéristiques nous placent encore une fois face
au thème de l'étranger. Dans de nouveaux espaces utopiques et
lointains, dans de nouveaux cadres, on trouve aussi de nouveaux habitants. Ces
étrangers (quelles que soient leur forme ou leur nature) sont des
reflets de l'homme, tout comme ce lieu inconnu est le reflet de son monde.
Notre analyse des mots clés, nous avait
déjà montré ce rapport linguistique avec la science
fiction, l'étranger était appelé
« extraterrestre » et « alien ».
Le lien hypertextuel le plus intéressant du roman
concerne l'une des séries télévisées les plus
populaires aux Etats-Unis pendant trente ans, Star Trek. Cette série
fait partie de ce qu'on appelle le space-opera, des récits de
science fiction qui racontent l'exploration de mondes fabuleux.
Filmée dans un décor immuable, le croiseur
galactique Enterprise, la série rassemble une diversité de
personnages. Le capitaine français, Jean- Luc Picard, le second
vulcanien Spock, le médecin irlandais Mac Coy, le chef-mécanicien
écossais Scott et l'officier de transmission ougandais Uhara ainsi que
de nombreux autres personnages qui changent au fil du temps s'y retrouvent.
L'Enterprise est une goélette de l'espace
commandée par une sorte de « Christophe Colomb »
spatial, un conquistador, chargé par une instance majeure (la
Confédération) d'explorer l'espace jusqu'à
découvrir une terre inconnue intersidérale. On pourrait bien
voire ici une transposition futuriste de l'entreprise de découverte du
nouveau continent.
De même, cette recherche de mondes nouveaux est
marquée par l'espoir de trouver dans l'inconnu, le lieu idéal, le
groupe humain, l'organisation ou l'intelligence capables d'incarner le Bien.
Mais si la science fiction ne véhicule pas souvent les
stéréotypes de la supériorité de l'homme sur les
autres êtres vivants, ni ceux d'une race chargée de civiliser les
autres, la série Star Trek le fait. L'évidence du lien
intertextuel entre Inka Trail et la série nous fait
considérer attentivement cette particularité.
Tout comme Star Trek, Inka Trail, réunit
à la fois les paramètres formels d'unicité des lieux et
des héros, et les paramètres thématiques de constante
découverte d'information.
Si dans la série créée par Gene
Rodenberry, le lieu est un vaisseau spatial, Inka Trail emprunte son
nom, l'Enterprise, pour désigner le bar où son histoire
se déroule. L'équipage du vaisseau y est littéralement
concentré par les contraintes physiques et celui du roman l'est par
son atmosphère envoûtante.
L'équipage du vaisseau explore l'espace lointain,
l'espace donc de l'étranger, tout comme le font les personnages du roman
qui se retrouvent à l'Enterprise.
Mais le choix de Star Trek est aussi étroitement
lié à l'action de la télévision. La
télévision a un rôle de témoin de son époque
et sa fonction est celle de faire une médiation entre l'homme et toute
espèce d'événement. « La vocation originelle de
la télévision est de conférer l'ubiquité à
nos sens infirmes » dit Michel Mourlet108(*). Cela voudrait dire que nous
désirons explorer le temps aussi complètement que l'espace, car
le présent ne comble pas notre quête.
Les choix de Chanove (séries
télévisées, sitcoms, publicités, etc.) sont
articulés dans le texte de façon similaire à la
façon dont la télévision agit. Si la
télévision est capable de reconstruire le monde à partir
d'éléments bruts, l'écriture de Chanove essaie d'en faire
autant. Ce travail qui exploite certaines caractéristiques de la
télévision est pourtant possible seulement à partir d'une
attitude active et critique à son égard. Par ces choix
délibérés, Chanove met en évidence le manque
d'innocence des médias.
Le roman a lui-même une structure de série
télévisée, c'est-à-dire épisodique. Certains
des principes appliqués par les séries
télévisées sont exploités par le roman. Pour qu'une
série ait du succès, il faut des personnages récurrents
auxquels le public puisse s'attacher ainsi qu'une nouvelle surprise à
chaque épisode. Ces principes semblent régir aussi le
roman :
- La fragmentation de chaque chapitre et l'utilisation de
titres comme s'il s'agissait d'un épisode de série.
- La présence des personnages est
caractérisée par son intermittence.
- Le lecteur peut s'attacher aux personnages, par l'absence
de polarisation, tout comme les protagonistes de la série, les traits de
caractère des personnages du roman engendrent de la sympathie.
4.3 Le
modèle symbolique.
Toute représentation des rapports culturels est une
représentation de confrontation culturelle, et les valeurs culturelles
de l'auteur ainsi que ses préjugés sont inévitablement
mêlés à cette confrontation. Il y a toujours un
degré de subjectivité (auto-image) dans la représentation
d'une autre culture. Cet inavouable degré de subjectivité est
l'une des différences les plus importantes entre
l'« image » et l'information objective.
4.3.1 La manie.
L'image de l'étranger que Chanove véhicule dans
Inka Trail est fondamentalement positive. L'étranger est
observé avec curiosité et bienveillance alors que le regard
porté sur le Je est extrêmement critique. Si les défauts du
Je sont soulignés, ironisés ou directement critiqués, ceux
de l'Autre apparaîssent plutôt en tant qu'excentricités.
Tant que les personnages demeurent des étrangers par les
procédés d'exclusion déjà mentionnés ils
sont l'objet d'une adjectivation neutre ou positive alors qu'une fois inclus
dans le monde du Je, ils sont qualifiés de façon moins
favorable.
Une vision romantique de l'Autre est celle de Mi sangre
teñirá la nieve et Buscando un Inca, deux des
nouvelles de Luis Nieto. L'indigène, étranger pour le
métis, est porteur d' « essences » culturelles,
invariables à travers les siècles, éternelles et
représentatives du Pérou profond. Cet étranger
apparaît comme étant congelé dans le temps et sa culture
n'est pas transformée bien que des événements de grande
importance politique et sociale le secouent. Le Je dans ces textes ne cherche
pas à le faire changer, il souhaite, au contraire, lui faire garder son
« authenticité ». Cette vision révèle
une forte exotisation de l'Autre. Cet étranger est admiré. Cet
étranger possède quelque chose d'implicitement supérieur
à la culture urbaine du métis, du Je, dont la culture est
contaminée, polluée ou dégradée par la technique et
la vie moderne.
4.3.2 La phobie.
L'Autre, l'étranger, traduit son défi de la
morale de son pays en excès qui, perçus de façon
ambivalente par le Je, peuvent devenir et une ligne de conduite et un
comportement condamnable.
D'après le sémiologue Jean-Didier Urbain, le
mépris du touriste et sa transformation en stéréotype
révèle un modèle profond concernant le territoire
symbolique du voyage et le rôle de l `individu109(*).
La phobie envers le touriste serait ainsi un
phénomène d'origine interne, résultat de la
répulsion du voyageur qui se trouve face à des doubles trop
nombreux.
Les personnages de Nieto révèlent un sentiment
de phobie à l'égard de l'étranger. Le comportement du Je
est marqué par le mépris envers l'Autre et vice versa. Le langage
utilisé par le narrateur pour exprimer la position des personnages ne
ménage pas les invectives. Fernando de Dónde está la
verdad Gadafito?, pense ainsi que le comportement de l'étranger
« era lo que más detestaba [...], de lejos la peor lacra de la
sociedad humana, contra la que había que apuntar las
baterías », et Laura, de Buscando un Inca, pense que
« los peruanos eran un hato de zoofílicos : las doncellas
se enredaban con osos y los hombres se excitaban frotando con unas ratas
peludas a sus mujeres.110(*) »
Conclusions
La cohabitation de groupes sociaux différents tant
ethniquement que culturellement a fait historiquement du continent
américain un continent d'étrangers. Ce phénomène
présente aussi ses particularités lorsqu'on parle du
Pérou, pays construit sur une civilisation native bien
consolidée, qui subit jusqu'à ce jour, un processus de
métissage généralisé.
Dans certains endroits de grande importance historique, ces
changements sont encore plus complexes. C'est le cas de Cusco, ancienne
capitale de l'empire Inca et aujourd'hui destination
préférée du tourisme.
Dans un contexte politique et économique où le
pays entier est dominé par la violence, Cusco vit une décennie
fleurissante. Deux phénomènes sociaux : l'incanisme et le
cosmopolitisme, agissent de manière complémentaire et permettent
aux habitants locaux de créer une auto-image positive. Les sentiments
qui en résultent adoucissent l'impact négatif que les grands
problèmes économiques ont dans le reste du pays.
La littérature péruvienne traditionnellement
divisée entre l'indigénisme et le réalisme voit ces
courants opposés se moderniser dans les années quatre-vingts. Le
pays subit une mutation sociale de grande importance, un processus de
« cholification » qui instaure une nouvelle culture
mi-urbaine, mi-rurale. Le néo-indigénisme et le
néoréalisme urbain répondent à cette nouvelle
situation et finissent par former un tout hétérogène.
La littérature de Cusco, lieu d'origine de
l'indigénisme, subit aussi ces changements mais l'influence de cette
idéologie est encore très forte.
Señores destos Reynos de Luis Nieto et
Inka Trail d'Oswaldo Chanove sont deux des oeuvres apparues dans les
années quatre-vingt-dix, une époque particulièrement
intéressante en raison de la commémoration du cinquième
centenaire de l'arrivée des Espagnols en Amérique et de
l'accroissement du tourisme.
Dans ces livres nos auteurs reprennent et récrivent des
interprétations verbalisées que le Péruvien d'aujourd'hui
fait sur sa propre condition, celle de l'Autre (l'étranger), et sa
perception du monde. L'image littéraire de l'étranger
révèle les fonctionnements de la société
péruvienne.
L'étymologie nous permet de créer un
réseau sémantique pour le mot
« étranger » à partir duquel il
s'avère être en même temps l'hôte et l'ennemi.
Nieto et Chanove, par l'utilisation de certains
mots-clés, de mots-fantasmes et d'un lexique pris à
l'étranger écrivent l'altérité à leur
façon. A partir de la lecture analytique nous pouvons établir des
rapports hiérarchiques entre le Je et l'Autre ainsi que
reconnaître la récriture de scénarios récurrents
dans la littérature péruvienne.
Les images de l'étranger que Nieto et Chanove
construisent sont pourtant opposées. Si le premier choisit une
démarche plus proche de la tradition littéraire locale, Chanove
en est libéré, son travail étant expérimental et
novateur.
Alors que Nieto écrit à partir d'une recherche
historique approfondie, Chanove utilise les moyens d'information, la
télévision, la paralittérature et la publicité.
Nieto valide dans ses nouvelles les stéréotypes
historiques de l'étranger. L'étranger est un ennemi qui arrive
pour détruire l'ordre du Je. La qualité d'étranger change
toutefois selon les époques et l'étranger d'autrefois ne l'est
plus dans un cadre socio-économique et culturel différent.
En effet, le travail de Nieto est un parcours historique des
rencontres entre le Je et l'Autre. Et leurs rapports sont ceux du conflit, ceux
d'adversaires qui mesurent leurs forces. Les personnages de Nieto n'ont jamais
la paix, la confrontation est leur caractéristique. L'ensemble de son
livre propose des scénarios différents qui évoluent dans
un sens ou dans un autre, comme un combat tantôt gagné par le Je,
tantôt par l'Autre. Ces confrontations finissent toujours par une
réconciliation. Le natif et l'étranger s'unissent finalement,
après cinq cents ans de rancune.
Chanove, au contraire, fixe le moment actuel dans un espace
précis, comme dans un instantané. L'espace est
privilégié, l'étranger se déplace et le natif le
fait aussi.
Les stéréotypes de l'étranger sont tour
à tour utilisés et rejetés, validés et
déjoués, et son but semble être purement ludique.
Le Je et l'Autre d'Inka Trail font tous les deux
partie d'un micro-univers où la qualité d'étranger est un
trait commun et partagé. Nous sommes tous des étrangers semblent
dire les personnages. Peut importent ses origines, l'étranger devient le
Je dans ce nombril du « nombril du monde ».
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Harta cerveza y harta bala (1987)
La joven que subió al cielo (1988)
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Fuego del sur : tres narradores cusqueños
publié en collaboration avec Enrique Rosas Paravicino et Mario Guevara.-
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* 1 Nous préférons
Cusco, au lieu de Cuzco ou Qosqo, l'utilisation de ce mot étant d'usage
général.
* 2 Tord, Luis Enrique,
Crónicas del Cusco, Lima, Ed. Delfos, 1977.
* 3 Aves sin nido,
Ediciones Sempere, Valencia, 1889.
* 4 Clorinda Matto publie aussi
le livre Tradiciones Cusqueñas (1910).
* 5 El padre
Horán, Tipografía de El Comercio, Cusco, 1918.
* 6 Le député
José Angel Escalante de Cusco, commence cette polémique avec la
publication d'une critique caustique à l'indigénisme de
José Carlos Mariátegui pour « profiter de la grande
masse indigène (...) pour l'intronisation des idéaux bolcheviques
et communistes au Pérou ».
L'indianisme, à différence de l'indigénisme,
suppose un traitement idéalisateur de la figure de l'Indien, issu d'une
culture paternaliste et sentimentale.
* 7 Les photographes Eulogio
Nishiyama et Martín Chambi entreprennent un travail qui aboutira
à la formation d'une « Escuela Cusqueña » de
cinéma.
* 8 Il faut distinguer
l'indigénisme en tant que mouvement culturel et politique. Comme Mirko
Lauer l'a bien défini, l'indigénisme est « dans le
mouvement politique [...] une métonymie de paysan, alors que dans le
mouvement culturel il est une métonymie d'autochtone ».
Deux oeuvres ont traité ce sujet à profondeur et
sous deux points de vue opposés. L'essai L'utopie
archaïque (1996) de Mario Vargas Llosa, analyse l'oeuvre et la
pensée de José María Arguedas ainsi que le mouvement
indigéniste. Pour l'auteur, l'indigénisme fut non seulement un
courant littéraire et artistique mais aussi une fiction
idéologique dépassée et réactionnaire, une utopie
archaïque qui tissait des éléments collectivistes, magiques,
antimodernes et antilibéraux. La perception de l'indigénisme
politique de l'historien Alberto Flores Galindo, est aussi
d'intérêt ; son livre Buscando un Inca est une
exploration historique de longue haleine sur les utopies
élaborées par les peuples andins. Ces utopies seraient les
réponses à un présent d'oppression par la
recréation idéalisée du pays des Incas. Aujourd'hui, les
revendications politiques marxistes et socialistes de Flores Galindo semblent
ne plus correspondre à la réalité du pays, toutefois, son
analyse historique est de grande justesse.
* 9 Fauve, Henri, Reforme
agraire et ethnicité au Pérou sous le gouvernement des Forces
Armées 1968-1980, Berlin : Colloquium Verlag,
Ibero-Americanisches Archiv, 17-1-33, p.9.
* 10 Année du massacre
d'un groupe de journalistes à Uchuraccay, village des Andes, aux mains
des paysans ignorés par le gouvernement et restés dans
l'isolement pendant des décennies.
* 11 Lauer, Mirko, Andes
imaginarios. Discursos del indigenismo-2, Lima : Sur, 1997.
* 12 Le travail de Max
Hernández sur la psychanalyse de Garcilaso : Memoria del bien
perdido, aborde à profondeur ce sujet.
* 13 Cornejo Polar, Antonio,
Perú 1964 - 1994 : economía sociedad y
política, Lima, IEP, 1995, p. 300
* 14 Appelée ainsi par
l'anthropologue Jorge Flores Ochoa.
* 15 L'Academia Peruana de la
Lengua Quechua, créée en 1958 et formée par des
intellectuels de classe moyenne avec des études supérieures est
à l'origine de cette pratique.
* 16 Le Musée Inca, le
plus important de la ville, rassemble la plus grande collection d'objets inca
de Cusco et la Maison de Garcilaso de la Vega exhibe ses objets personnels et
d'autres oeuvres d'art précolombien.
* 17 L'Inti raymi ou
fête du soleil, est une mise en scène du rituel d'état inca
qui rassemble plus de 500 acteurs. Parlée et chantée en quechua,
cette représentation théâtrale attire des centaines de
touristes et une grande quantité d'habitants locaux.
* 18 Si le touriste moyen qui
arrive à Cusco est à priori intéressé dans la
culture inca et désireux de visiter Machupicchu, Cusco, sa porte
d'entrée n'est pas moins intéressant car le lieu présente
toute une atmosphère qui exploite le thème inca, colonial ou
indigène. Tout centre archéologique de la ville est ses alentours
est accessible au visiteur ; des restaurantes et commerces dont les noms
sont en quechua et dont la décoration utilise l'artisanat local sont
nombreux.
* 19 Flores Ochoa, Jorge, Van
der Berghe, Pierre, « Turismo e incanismo en el
Cusco », in Andes, n° 3, 1999, p. 179-200.
* 20 Hernández Max,
Memoria del Bien Perdido, Madrid : Ed. Encuentros, 1992, pp.
177-178.
* 21 « Primera ciudad
y primer voto de todas las ciudades y villas de la Nueva
Castilla ».
* 22 Création du
« Centre Bartolomé de las Casas », organisation non
gouvernementale dont le travail de recherche des thèmes andins est une
source d'information de grand intérêt.
* 23 Festivités autour
du 21 juin, le jour de l'Indien et anniversaire de la ville.
* 24 Le 12 octobre de 1992, la
cathédrale apparaît couverte d'une pancarte où l'on peut
lire : « 500 ans de Résistance Andine »
à côté du torse nu de Túpac Amaru avec la
poignée en haut. Un défilé silencieux autour de la Place
d'Armes et une plaque commémorative clôturent cette date.
* 25 Ce phénomène
a été nommé la « fuite de
talents ».
* 26 Cox, Mark, El cuento
peruano en los años de violencia, Lima, Ed. San Marcos, 2001.
* 27 Harta cerveza y harta
bala (1987), La joven que subió al cielo (1988), Como
cuando estábamos vivos (1989), Con los ojos para siempre
abiertos (1990) et Fuego del sur : tres narradores
cusqueños (1990) publié en collaboration avec Enrique Rosas
Paravicino et Mario Guevara.
* 28 El gran
Señor, Cusco: Municipalidad del Qos1qo, 1994, Ciudad
apocalíptica. Lima : Libranco, 1998 et Al filo del rayo,
Lima : Lluvia, 1988.
* 29 El héroe y su
relación con la heroína (1983), Estudio sobre la
acción y la pasión (1987), El jinete pálido
(1994), Canción de amor de un capitán de
caballería para una prostituta pelirroja (2001).
* 30 Cazadores de gringas y
otros cuentos (1993).
* 31 Heyles, Katherine, La
evolución del caos. El orden dentro del desorden en las ciencias
contemporáneas, Barcelona, GEDISA, 1993.
* 32 Meillet, A, Ernout, M.,
Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris,
Klincksieck, 1959, pp.300-302.
* 33 Benveniste, Emile,
« L'hospitalité », dans Le vocabulaire des
institutions indoeuropéennes, Paris : Minuit, 1969, volume I,
livre I, section II, chapitre 7, p. 361.
* 34 casto, ta. Dícese
de la persona que se abstiene de todo goce sexual, o se atiene a lo que
considera como lícito. // 2. Que no posee en sí sensualidad.
CASTO AMOR DELEITE. // 3. Referido al estilo, castizo, puro. »
(Diccionario de la Real Academia, volume I, p.436).
* 35 castizo. adj. De buen
origen y casta.// 2. Por ext., típico, puro, genuino de cualquier
país, región o localidad. // Aplícase al lenguaje puro y
sin mezcla de voces ni giros extraños. // Muy prolífico, referido
a animales. » Ibid, p. 436.
* 36 Pageaux, Daniel-Henri,
La littérature générale et comparée,
Paris : Armand Colin, 1994, p.62.
* 37 Sur ce point Barthes
précise qu'une utilisation qui devient, du fait de la
sémantisation, un signe, est une
« fonction-signe ».
* 38 Occurrences :
Cusco : 40, Paris : 10, Nueva York, New York, N.Y. : 6,
Lima : 6, Londres : 2, Italia : 2, USA : 1, Chicago :
1, Johannesburgo : 1, Estocolmo : 1.
* 39 Chanove, p.
* 40 Nieto, p. 140.
* 41 Barthes, Roland,
S/Z, Paris, Seuil, 1970.
* 42 Hamon, Philippe,
« Un discours contraint », Poétique
N°16, Paris, Seuil, 1973, p. 425.
* 43 Du grec
Helenêa ou helios : torche, corps enflammé,
brandon et par extension du sens, brandon de discorde ce qui nous rapproche de
la figure mythique d'Hélène de Troie.
* 44 De aprilis,
dérivé du mot indo-européen áparah et
Apollo : avril, postérieur par rapport à l'autre
ou être dont la beauté est éblouissante.
* 45 De alius,
alter, alienus : autre, différent, celui qui
s'oppose aux autres, d'autrui, étranger, hostile.
* 46 Amossy, Ruth, Les
idées reçues, Paris, Nathan, 1991, p.8.
* 47 Ibid., p.10.
* 48 Leerssen, Joep,
« Mimesis and steteotype », in Yearbook of European
Studies, n°4, 1991, pp. 165-176. (p.167).
* 49 Urbain, Jean-Didier,
L'idiot du voyage, Paris, 1997, p.89.
* 50 Lafarge, Claude, La
valeur littéraire,
* 51 Kristeva, Julia,
Etrangers à nous mêmes, Paris, Fayard, 1998.,
pp.17-18.
* 52 Mitterand Henri, Le
discours du roman, p.194
* 53 Hijos de
Supay.
* 54 Reina del
Perú et María Nieves.
* 55 Ville des Rois.
* 56 Un empire, d'ailleurs,
dont les caractéristiques sont très proches de la conception
européenne d'un empire : contrôle d'un peuple nombreux et
varié, un langage imposé, des tributs minutieusement
calculés qui soutiennent la bureaucratie, une religion d'état,
une armée et une aristocratie.
* 57 Gabrielico,
ángel del demonio.
* 58 Le paysan appelle la terre
la pachamama (la mère).
* 59 Nieto, 1994, p.92.
* 60 On rappelle ici,
l'imaginaire auquel certains des mots- fantasmes font appel : la
tripartition de l'espace symbolique en collana, payan et
cayao, la division omniprésente entre le hanan (en
haut) et le urin (en bas) et les trois mondes existants : le
ukupacha (le monde intérieur), le kaypacha (le monde
extérieur) et le hanaqpacha (le monde supérieur).
* 61 Op. cit., p.141.
* 62 Ibid., p. 127.
* 63 Ibid., p.131.
* 64 Ibid., pp.127-128.
* 65 Alberro, Solange,
« La historia de la mentalidad: trayectoria y
perspectivas », in, Historia Mexicana N° 166, Vol.
XLII, N°2, 1992, p.334.
* 66 Kristeva, Julia, op.cit.,
p. 33.
* 67 Dans le prologue de
« Cazadores de gringas », Eduardo Gonzáles
Viaña décrir le brichero comme « une
espèce d'indien proffesionnel dont l'attractif réside dans toute
sa mimesis avec la couleur locale qui lui confère de l'exotisme et de la
bonne fortune ».
* 68 Cox, Mark, « De
pishtacos a bricheros », p.1
* 69 Terme auquel
Lévi-Strauss faisait référence dans son étude de la
pensée mythique.
* 70 William Blake, C. S.
Lewis, S. Begley, J. Salinger, Sartre, Cioran, J.M. Arguedas,
Lautréamont, Joseph Roth, Thomas Mann, Steiner, James Blish, Melville,
Luis Hernández, H.P.Lovacraft, William Gibson, Yukio Mishima, M.
Yourcenar, Ray Bradbury, W. Miller, Tolstoi, Jorge Eduardo Eielson,
José Donoso, José Carlos Marátegui, Igor Davies,
Rubém Fonseca, Barry Gifford, Tobias Wolf, Brautigan, James Thompson,
Erich Segal, Jack Kroll, Quintiliano, Carson Mc. Cullers, Chesterton, C. M.
Talkington, Pessoa, Denis Hooper, Curtis Bernhardt.
* 71 « -No existe
otra ciudad como el Cusco -declaró Gerardo, mientras liquidaba la
última gota de su trago »
« -Cusco es patrimonio de la humanidad! -clamaba
Gerardo »
« (Patrimonio De La Humanidad) »
« -Dicen que Cusco es la mejor ciudad de América
-dijo el chileno, intentando animarse con algo de
conversación »
« April aplastó la punta de su hermosa nariz
contra el grueso cristal de la ventana. -Parece otro mundo -exclamó en
castellano. »
* 72 « Ladrón
que roba a ladrón...-rió Memo. Sus dientes eran cortos y
desiguales. No era indio. Tampoco era blanco. En realidad ni siquiera era
mestizo. »
« -Tú eres mejor de lo que piensas -dijo.
-Tú eres el único que se salvará
-cargoseó. »
« La buena vida y la poca verguenza. »
« -Sí. Es hora de cruzar el charco -repuso
Arturo, satisfecho. »
« -Claro, aunque no lo creas yo estaba muy cerca de la
cresta de la ola -se ufanó Gerardo. Manuel lo contempló con una
de sus gastadas sonrisas indescifrables, ponzoñosas. -El éxito
temprano enloquece a las estrellas. »
« -Para mí la plata era como agua. Qué
digo! Era peor que agua. »
« -Lo importante no es sólo ser el mejor sino
parecerlo. »
* 73 « -Pareces un
hombre nuevo -aduló alguien »
« -Éste es un asunto de caballeros y se resuelve
como caballeros... »
« -Pórtate bien que nada te cuesta
-recitó el mistiano a manera de despedida. »
« -Creo que has visto demasiadas películas.
»
« Todo un mundo negado al mejor de los
hombres. »
« (Peruano No Mea Solo) »
* 74 « -Las
mujeres siempre se las arreglan para apoderarse de todo. »
« "Escuchen bien, porque sólo lo diré una
vez: las mujeres no buscan sexo, buscan amor" »
* 75 « (Dios Pone A
Prueba A Las Personas Que Ama) »
« (Nadie Puede Ser Tan Feliz Sin Ser
Castigado) »
« En la última ceremonia en su honor alguien
dijo: -No te has ido, vives en el corazón de los que te
conocieron. »
« El Ocaso De Una Estrella »
« Jamás se volvió a saber de ellos.
Quién puede creer en nadie en esta época? »
* 76 Bitácora de vuelo,
Busco Mi Destino, La Ilusión Viaja en ENAFER (publicité),
Boarding Pass, Desayuno Americano.
* 77 « El
MachuPicchu », « Extraña Luminosidad De Las Grandes
Piedras », « Anthropological Work In
Perú », « Inka Trail, (Handbook Of The Inca
Empire) », « (Imperio De La Luna)
* 78 « A La Conquista
De La Última Frontera, Una Bala Sin Nombre, (Todas Hieren, La
Última Mata) , (Soy Joven, Fuerte, Y Estoy Enojado). »
* 79 « (Viaje A Las
Estrellas) »
« Gran Parte Del Planeta Sigue Siendo Un Lugar Inseguro
E Incierto »
« Un Meteoro Caerá Sobre La
Tierra »
« (Estos Impactos Personales Se Prestan A Grandes
Interrogantes Como Cuál Será El Efecto De Ampliar Tan
Considerablemente Las Facultades Humanas?) »
* 80
« Irrupción Del Azar »
« (Intromisión Del Azar) »
« El Sentido De La Vida »
« El Espíritu Triunfó Sobre La
Adversidad »
« (Causa Y Efecto1, Sustancia Y Accidente, Posibilidad
Y Realidad, Cantidad Y Calidad, Etc. ) »
« Algo Absolutamente Extraordinario Es Acaso
Demasiado? »
« Uno Mismo No Es Suficiente »
« Absolutamente, Tal Vez »
* 81 (Nadie puede ser tan feliz
sin ser castigado)- Cyd Charisse, El Hombre Que Sabía Demasiado, Easy
Rider, Cusco, Ciudad Abierta, Perfume De Mujer, El Angel Azul (Una Bonita
Gringa), Los Cuatrocientos Golpes, Corazón Salvaje, Love And A 45, La
Noche Del Cazador (Radiocarbon Dating).
* 82 « (Riders On The
Storm) », « Escalera al cielo »,
« (Noche de ronda) », « All You Need Is
Love »
* 83 (Cantan Con Sus Dulces
Bocas Circulares- William Blake, (Escribo para los ignorantes sobre cuestiones
que yo mismo ignoro) - C.S.Lewis, Limpiarme Los Dientes, Peinarme, A Toda Costa
Disimular Mi Risa Realmente Aterradora - Salinger, (La Tentación De
Existir) - Cioran, (Yawar Mayu) - Arguedas, Abandonad Toda Desesperanza -
Lautréamont, Esa Dinámica Ontológica Que Llamamos "Vida" -
Steiner, La Energía Es La Delicia Eterna - William Blake, (La Noche
Oscura Del Alma) - Juan de la Cruz, Qué Tal Imbécil Mi
Corazón, Crece Y Crece Como Un Tumor De Terciopelo - Eielson, (Infiel
Siempre, Desleal Jamás) - José Donoso, El Arte De Amar - Ovide,
(Cordura) - Tobias Wolff, (Su Comportamiento Provee De Municiones Tanto A Sus
Partidarios Como A Sus Críticos), Exagrama 44, Kou et (Es Propicio
Atravesar Las Grandes Aguas) - Yi King, La Balada Del Café Triste -
Carson McCullers, (Love Story) - Erich Segall, Quién, Qué,
Dónde, Por qué medios, Por Qué, Cómo,
Cuándo? - Quintiliano, La Casa Verde - Vargas Llosa.
* 84 « (Alita de
Mosca) », « Sánguche De Pollo »,
« Señor Conchesumadre », « (Saltado Con
Papas Fritas) », « Salud! ».
* 85 « El ser es
la más estricta de las prisiones. »
* 86
« -Qué te trajo aquí?
-Mi salud. Vine por el mar
-Qué mar? Aquí no hay mar.
-Estaba mal informado.
En Casablanca »
« Este bar es la última oportunidad para los
refugiados que buscan una visa para la salvación. Este bar es el
purgatorio. Un punto intermedio.
En Casablanca »
« ...un impresionante torbellino de guitarras
eléctricas, percusión reiterativa, teclados y fanfarrones ganchos
pop »
* 87 « Here it
comes, here it comes/ Here it comes your nineteenth nervous breakdown
M. Jagger »
« Hogar? Yo no tengo hogar. Perseguido!
Despreciado! Viviendo como un animal. La selva es mi hogar. Pero le
demostraré al mundo que puedo ser su amo. Perfeccionaré mi propia
raza de gente. Una raza de superhombres atómicos que conquistará
el mundo.
En Ed Wood, de Tim Burton. »
* 88 « Es de
guerreros vencer o ser derrotados.
Atahualpa »
« Por qué es incapaz el oído de
permanecer cerrado a su propia destrucción y el rutilante ojo al veneno
de una sonrisa?
Blake »
« El ejercito se pone en marcha al son de los
clarines. Si los clarines están desafinados es un mal signo.
La frívola alegría no es la debida
disposición de ánimo para el comienzo de una guerra.
Exagrama 7 »
« Todos hablan de él como de un asesino,
pero nadie menciona lo bien que tocaba el piano.
Comentario de Michline Reynaers a propósito de Josef
Mengele. »
* 89« -Tú
me amas?
-Más que nada en el mundo.
-Más de lo que el motor ama al aceite?
-Más de lo que el motor ama al aceite.
en Love and a 45 de C.M. Talkington »
« Nunca amamos a nadie. Amamos, sólo, la
idea que tenemos de alguien. Lo que amamos es un concepto nuestro, es decir, a
nosotros mismos.
Pessoa »
* 90 «Kirkincho.
Ingredientes:
Un puñado de hojas de coca.
Dos limones.
Una medida de pisco puro.
Miel de abejas.
Preparación:
Se coloca el puñado de hojas de coca en un recipiente y se
le agrega agua hirviente. Se deja reposar unos quince minutos y luego se cuela.
Se endulza con miel de abeja. Se exprime los limones. Antes de tomar se aplica
el pisco. »
* 91 « Post
scriptum: Alias también fue feliz, aunque eso no estaba en el
primer lugar de su agenda. De alguna manera consiguió el dinero
suficiente y compró el Enterprise. Sólo le cambió
de nombre: Inka Trail. Música folcklórica cada
noche. »
* 92 Edition de Luis Millones
(Ediciones El Virrey, Lima, 1985).
* 93 Dans la revue
Fénix, Revista de la Biblioteca Nacional (N°7, Lima,
1950).
* 94 Dans la revue Revista
del Archivo Histórico de Cusco (N°13, Cusco, 1970).
* 95 Dans le tome VII de
l'édition de Víctor M. Maurtúa, Juicio de
Límites entre el Perú y Bolivia (Imprenta de Henrich y Comp.
Barcelona, 1906).
* 96 Ibid.
* 97 Obras Completas.
Vol. III. Edit. Ignacio Prado Pastor, Lima, 1978.
* 98 Instituto Nacional de
Estudios Jurídicos. Anuario Historia del Derecho Español, Madrid,
1948-1949.
* 99 Fondo de Cultura
Económica, México, 1982.
* 100 Instituto de Apoyo
Agrario, Lima, 1988.
* 101 Dans le livre
Rebeliones de mestizos y otros temas quinientistas, Edit. P. L.
Villanueva, Lima, 1972.
* 102 Dans la revue
Histórica, Vol. XVI, N°2, Pontificia Universidad
Católica del Perú, Lima, 1992.
* 103 Fondo de Cultura
Económica, Lima, 1993.
* 104 Dans Rebeliones
indígenas quechuas y aymaras, Centro de Estudios Andinos, Cusco,
1980.
* 105 Dans la revue
Revista Peruana de Cultura, N°3, Lima, 1964.
* 106 Dans Indios,
mestizos y señores, Ed. Horizonte, Lima, 1985.
* 107 «- Où que
j'aille, les pierres que l'Inca Rica a fait assembler m'accompagneront. Je
voudrais faire un serment ici même.
- Un serment ? Tu n'es pas dans ton état normal, mon
petit. Allons voir la cathédrale. Ici c'est très
sombre. » Les fleuves profonds, p.13.
* 108 Mourlet, Michel, La
télévision ou le mythe d'Argus, Clichy-la-Garenne, France
Univers, 2001, p.
* 109 Urbain, Jean-Didier,
« Sémiotiques comparées du touriste et du
voyageur », in Semiotica, LVIII, p. 269-286. (p. 271)
* 110 Nieto, 1994, p.140.
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