Le système de preuve devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda( Télécharger le fichier original )par Liliane Egounlety UNIVERSITE D'ABOMEY-CALAVI (Bénin) - DEA Droits de l'Homme et Démocratie 2005 |
B- Le problème de l'anonymat des témoinsLa protection des témoins constitue pour le TPIR une mesure importante, non seulement parce qu'elle est prévue par le Statut129(*), mais aussi et surtout en raison du système probatoire qui est le sien, et qui repose essentiellement sur les témoignages. Les crimes graves et horribles qui relèvent de la compétence du Tribunal sont de nature à raviver les angoisses et les peurs des témoins oculaires qui viennent déposer, et qui sont pour la plupart, les victimes de ces crimes. Ces personnes souvent, refusent de témoigner si la protection de leur vie privée n'est pas assurée, mettant ainsi le Tribunal face à un dilemme. Ce dernier, étant tributaire de leur témoignage, n'a souvent pas d'autre choix que celui d'accéder à leur demande, en ayant à l'esprit tout de même, l'obligation qui lui est faite de ne pas assurer la protection des témoins au détriment des droits de l'accusé et de l'équité dans le procès130(*). Ainsi, avant le procès, comme sus-précisé, la protection peut consister entre autres en la non-divulgation de l'identité des témoins à charge. Mais, à partir de la comparution de l'accusé devant l'organe juridictionnel, son exclusion n'est prévue nulle part dans les textes du Tribunal. Dans une décision, l'une des chambres du TPIY a estimé que les témoins et victimes méritent la protection durant le déroulement des procédures préliminaires et jusqu'à un intervalle raisonnable avant le début du procès. Mais, dès que commence le procès, c'est le droit de l'accusé à un procès équitable qui avait préséance et exigeait que soit levé en sa faveur le voile de l'anonymat131(*). Une autre chambre du TPIY, dans l'affaire TADIC a tout de même estimé que le pouvoir octroyé aux juges d'assurer une protection aux témoins des deux parties, l'autorise à permettre les témoignages sous couvert d'anonymat, sans que les données permettant d'identifier le témoin ne soient transmises à l'accusé ou à son conseil. Les chambres ont reconnu que l'anonymat restreint le droit de l'accusé de contre-interroger les témoins à charge et dès lors, est susceptible de porter préjudice à son droit à un procès équitable132(*). En effet, en cas d'anonymat du témoin, la défense ignore l'identité de la personne et se trouve privée des informations lui permettant de montrer que ce témoin a des préjugés, lui est hostile, ou n'est pas digne de confiance. Elle ne peut donc pas jeter le doute sur ce témoin. Pour cela, les chambres ont pris soin de préciser que l'accusation doit apporter la preuve que toutes les conditions justifiant cet anonymat soient satisfaites. Ainsi dans l'affaire BLASKIC, la chambre a estimé qu'il appartenait à l'accusation de montrer, que la situation avait un caractère exceptionnel, que les témoins dont l'anonymat étaient requis sont essentiels à la preuve de la poursuite, que les témoins sont crédibles et enfin, que la division de protection des victimes et des témoins reconnaissait qu'on ne pouvait assurer la protection de ces témoins133(*). Il faut remarquer que, même dans le strict respect de ces conditions, l'anonymat du témoin à charge jusqu'à l'exclusion de la défense constitue à n'en point douter une entorse aux textes du TPI et une violation manifeste du droit à l'égalité des armes. Mais il faut reconnaître aussi que l'obligation de résultats qui incombe au Tribunal place ce dernier dans une situation que nous qualifions, avec le Pr Eric DAVID, d'« état de nécessité »134(*), et qui amène le Tribunal à permettre l'anonymat des témoins jusqu'à l'exclusion de la défense. L'objectif ici n'est pas de justifier cette mesure extrême, mais d'essayer de comprendre le fondement de cette licence prise par la chambre du TPIY135(*). En effet, conformément à la volonté du CS/NU, le Tribunal doit rendre justice, et cette justice ne peut être rendue sans le concours des témoins, ces derniers troquant leur collaboration contre la garantie de leur sécurité. Confrontée à ces deux exigences contradictoires, -rendre justice en limitant l'équité ou sacrifier la justice dans le strict respect de l'équité-, le Tribunal a fait, dans un souci d'efficacité, le choix d'une justice imparfaite, plutôt que celui d'une absence de justice. Ce qui à notre sens paraît défendable. L'originalité du système de preuve du TPIR peut s'apprécier au regard de sa souplesse et du cadre respectueux des droits de l'homme mis en place pour la recherche de la vérité. Mieux, cette originalité doit être appréciée à travers le plus qu'elle apporte au Tribunal dans la réussite de la mission qui lui est assignée. La liberté qui le caractérise, comme nous avons pu le voir, favorise une recherche étendue des preuves pour une manifestation plus juste de la vérité. Une liberté qui parfois semble prendre le pas sur les exigences qui lui sont faites quant aux garanties de procès équitable. En effet, tout au long de l'étude de ce système probatoire et des garanties y afférentes, il en est ressorti que certains choix procéduraux allaient à l'encontre de la pratique internationale. Mais ces constats étaient à un niveau superficiel. Une analyse approfondie à la lumière des réalités et des difficultés du TPIR, ont révélé, que ces choix, dans un contexte particulier de crimes graves et d'une faiblesse institutionnelle du Tribunal due à sa nature internationale, pouvaient être tolérés. En réalité, ces choix dénoncés surtout par la défense, et qui dans des circonstances normales sont attentatoires à certains droits fondamentaux de la personne humaine, sont guidés par le souci du TPIR d'être opérationnel. En effet, la diversité des moyens de preuve admis, la latitude laissée aux parties dans leurs recherches, le dynamisme de l'organe juridictionnel qui peut intervenir pour approfondir la recherche de la vérité, le pouvoir d'injonction du Tribunal aussi bien à l'égard des Etats que des particuliers, les entorses faites à l'équité des procès, sont autant d'éléments qui présagent de l'efficacité du système probatoire du tribunal. De plus, l'effort d'encadrement de la mise en oeuvre du système de preuve dans le respect des garanties judiciaires en ajoute à sa crédibilité. Quant à l'efficacité effective de ce système probatoire, c'est à la lumière des faits et des difficultés de sa mise en oeuvre qu'elle pourra être appréciée. * 129 Statut du TPIR, art. 21. * 130 Statut du TPIR, art. 19 §1. * 131 Aff. n°ICTY-IT-95-14-T, Le procureur c/ Tihomir BLASKIC, Protection des témoins, 5 novembre 1996, § 41. * 132.Aff. n° ICTY-IT-94-1-T, TADIC, décision du 10 août 1995, relative à l'exception préjudicielle soulevée par le procureur aux fins d'obtenir des mesures de protection pour les victimes et les témoins, §§.70-71, citée par Anne-Marie La ROSA, op. cit., p. 273. * 133 Aff. n°ICTY-IT-95-14-T, BLASKIC, décision du 20 octobre 1996sur la protection des témoins. * 134 Eric DAVID, op. cit., p. 433. * 135.Idem. |
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