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Le face à  face dans totalité et infini d'Emmanuel Levinas: Essai de lecture du rapport entre le retraitant et Dieu dans les Exercices spirituels de saint Ignace

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par Jean-Luc Malango Kitungano
Faculté de philosophie saint Pierre Canisius - baccalauréat philosophie programme spécial 1 2006
  

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Chapitre II : LE FACE-A-FACE, RELATION IRREDUCTIBLE

La philosophie occidentale est une philosophie de la « force qui va »14(*). Elle est fondée sur l'exercice de la raison, de la liberté qui se donne comme « conscience de... ». La critique du réel s'effectue à partir de cette « ontologie » comme discours sur « l'être de l'étant ».

L'entreprise ontologique pose-t-elle la question de la légitimité de son action, de sa compréhension, de son intelligibilité, de son objectivité... ? On dirait que son action de compréhension, de rationalisation, d'objectivation se pose comme un axiome à partir duquel tout est démontré, mais qui lui-même est indémontrable. On peut distinguer dans la pensée européenne la prédominance d'une tradition qui associe l'indignité à l'échec, la générosité morale elle-même, aux nécessités de la pensée objective. La spontanéité de la liberté ne peut être mise en question. Sa limitation seule serait tragique et ferait scandale15(*). C'est pourquoi la notion de la liberté telle qu'elle a été comprise par les philosophes qui en font la vérité première, en tant que toute puissance et auto - position, ne supporte pas la critique. La rationalisation s'arroge la primauté de passer au crible toute réalité et se pose comme base de toute entreprise philosophique.

II.1. La liberté mise en question

L'existence en réalité n'est pas condamnée à la liberté, mais est investie comme liberté. La liberté n'est pas nue, sans « contenu » qui la fonde. Philosopher, c'est remonter en deçà de la liberté et découvrir l'investiture qui libère la liberté de l'arbitraire. Le savoir comme critique ne peut surgir que dans un être qui a son origine en deçà de lui-même comme origine, qui est créé16(*). Le propre du savoir n'est pas dans la possibilité d'aller vers un objet, mouvement par lequel il s'apparente aux autres actes. Son privilège consiste à pouvoir se remettre en question, à pénétrer en deçà de sa propre condition. Le savoir est un retrait par rapport au monde non pas parce qu'il a le monde pour objet mais parce que son exercice consiste à tenir en mains, en quelque sorte la condition même qui le soutient jusqu'à cet acte même de tenir en main.

Dès lors, identifier le problème du fondement avec une compréhension objective de la connaissance, c'est d'avance considérer que la liberté ne peut se fonder que sur elle-même. Or, le savoir dont l'essence est critique, ne peut se réduire à la connaissance objective. Il est direction vers autrui. Accueillir autrui, c'est donc mettre ma liberté en question17(*). La raison qu'il s'agit de mettre ainsi en question est celle qui se constitue comme instance de jugement et d'identification. Dans un tel cadre, la liberté se comprend comme identification du sujet qui ne se laisse pas « aliéner » par l'Autre, mais qui, plutôt, réduit l'altérité à une facticité capable d'être intégrée. La thèse de la liberté totale du Même voit donc en l'Autre, l'adversaire, ce qui met en danger de facto le Même. L'Autre n'y apporte que gêne et limitation. Cette conception estime que la liberté ne peut être mise en question que dans la mesure où elle se trouve, en quelque sorte imposée à elle - même. Le sujet apparaît ici comme totalitaire et injuste. En effet, il est « pour soi », il possède, il domine et il étend son identité à ce qui vient. Cet impérialisme du même est l'essence d'une certaine saisie de la liberté18(*).

Néanmoins, le doute de Descartes a perçu les limites du même. Ce doute qui fait rechercher la certitude en est la preuve. Ce soupçon, cette conscience du doute, suppose comprend-il, l'idée du parfait. Le savoir du cogito renvoie ainsi à une relation avec le Maître - à l'idée de l'infini ou du parfait. L'idée de l'infini n'est ni l'immanence du « Je pense », ni la transcendance de l'objet. Le Cogito s'appuie chez Descartes sur l'autre qui est Dieu et qui a mis dans l'âme l'idée de l'infini. Qui l'aurait enseignée, remarque Levinas, sans susciter simplement, comme le maître platonicien, la réminiscence de visions anciennes19(*).

L'accueil d'autrui est ipso facto la conscience de l'injustice du Même, la honte que la liberté éprouve pour elle-même. Si la philosophie consiste à savoir d'une façon critique, c'est-à-dire à chercher un fondement à la liberté, à la justifier, elle commence avec la conscience morale où l'Autre se présente comme autrui et où le mouvement de la thématisation s'invertit.

Autrui se situe ainsi dans une dimension de hauteur. Il n'est pas transcendant parce qu'il serait libre comme moi. Sa liberté, au contraire, est une supériorité qui lui vient de la transcendance même. Le rapport avec autrui ne se mue donc pas, comme la connaissance, en jouissance et possession, en liberté injuste. Autrui s'impose comme une exigence qui domine ma liberté et, dès lors, comme plus originelle que tout ce qui se passe en moi. Autrui dont la présence exceptionnelle s'inscrit dans l'impossibilité éthique où je suis de le tuer, indique de la sorte la fin des pouvoirs. Si je n'ai plus de pouvoir sur lui, c'est qu'il déborde absolument toute idée que je peux avoir de lui. Le moi peut, certes, chercher à s'engager dans une autre voie. Il peut chercher à se saisir dans un système, telle semble être la justification de la liberté à laquelle aspire la philosophie qui, de Spinoza à Hegel, identifie volonté et raison, qui contre Descartes, enlève à la vérité son caractère d'oeuvre libre, pour la situer là où l'opposition du moi et du non-moi s'évanouit, au sein d'une raison impersonnelle. La liberté se ramène au reflet d'un ordre universel, lequel se soutient et se justifie tout seul, comme le Dieu de l'argument ontologique20(*).

Ce n'est donc pas ma liberté qui doit rendre compte de la transcendance d'autrui ? C'est la transcendance d'autrui qui rend compte de la liberté du Même. L'homme est libre mais il est libre pour servir Autrui. Autrui s'impose au Même comme moralité. Le désir métaphysique sème toujours l'inquiétude au sein du moi-même. Le visage en appelle à la responsabilité, comme convocation à répondre de l'Autre. La relation éthique devient ainsi l'origine de toute relation et fonde la raison. C'est ici que Levinas introduit la notion de substitution.

La substitution chez Levinas signifie que je me substitue à autrui, mais que personne ne peut se substituer à moi en tant que moi. Quand on commence à dire que quelqu'un peut se substituer à moi, commence l'immoralité. Par contre, le moi, en tant que moi, dans son individualité radicale qui n'est pas une situation de réflexion sur soi, se découvre responsable du mal qui se fait21(*).

Dans De Dieu qui vient à l'idée, Levinas ouvre une voie pour la religion. A la question de H. Phillipse, concernant la relation entre la religion et la philosophie et entre « votre » religion et « votre » philosophie ; Levinas répond en substance que la philosophie ne peut consoler. La consolation est une fonction tout à fait différente ; elle est religieuse22(*). Je pense, en effet, que la relation à Dieu - foi - ne signifie pas originellement l'adhésion à quelques énoncés constituant un savoir auquel manquerait la démonstration, et qui, de temps à autre, s'exposerait à l'inquiétude habitant une certitude sans preuves. Pour moi, religion veut dire transcendance qui en tant que proximité de l'absolument autre - c'est-à-dire de l'unique dans son genre - n'est pas une coïncidence manquée, et qui n'aurait pas abouti à quelque fin sublime projetée, ni une non-compréhension de ce qui aurait dû être saisi et appréhendé comme objet, comme " ma chose"; la religion c'est l'excellence propre de la socialité avec l'absolu...: la paix avec l'autre23(*). Je ne voudrais rien définir par Dieu, parce que c'est l'humain que je connais. C'est Dieu que je peux définir par les relations humaines et non inversement (...) Quand je dois dire quelque chose de Dieu, c'est toujours à partir des relations humaines24(*)

* 14Lentiampa Shenge s.j., Questions spéciales sur la responsabilité chez Levinas, Kimwenza, Faculté de philosophie saint Pierre Canisius, année académique, 2002-2003, notes de cours polycopiées, p. 31 

* 15 T.I. Ibid., p. 55

* 16 Ibid., p. 57

* 17 Ibid., p. 58

* 18 T.I., Ibid., p. 59

* 19 T.I., Ibid., p.58

* 20 Ibid., p. 59

* 21 DQVI, ibid., p. 135

* 22 Ibid.., p. 137

* 23 Emmanuel Levinas et Françoise Armengaud, "Entretien" in Revue de Métaphysique et de morale, n°3 (juillet-septembre 1985) , p. 299

* 24 Emmanuel Levinas, Liberté et commandement, Cognac, Fata Morgana, 1994, p. 94

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein