Le face à face dans totalité et infini d'Emmanuel Levinas: Essai de lecture du rapport entre le retraitant et Dieu dans les Exercices spirituels de saint Ignace( Télécharger le fichier original )par Jean-Luc Malango Kitungano Faculté de philosophie saint Pierre Canisius - baccalauréat philosophie programme spécial 1 2006 |
I.2. La transcendance comme idée de l'infiniLa métaphysique précède l'ontologie. Voilà une affirmation qui ouvre le quatrième paragraphe de la section première de Totalité et infini. La métaphysique renvoie ici à l'éthique et l'ontologie correspond à ce que nous appelons communément métaphysique, comme science de l'être en tant qu'être ou encore comme étude des essences. Ne pourrions-nous pas affirmer que la morale ouvre ainsi la dimension qui fonde la transcendance en philosophie ? Pour Levinas, il faut explorer une conception nouvelle de la morale. La morale s'identifie habituellement à la recherche de la perfection, laquelle peut prendre de multiples formes. Il peut s'agir de l'établissement de l'harmonie ou d'un juste milieu dans le comportement, la maîtrise des pulsions, l'obéissance de l'homme à la loi morale que sa propre raison lui impose, l'accès à la contemplation ou encore l'impératif portant sur l'action et la réalisation..., autant de modèles dont le dénominateur commun est le sujet. Le sujet doit alors viser telle ou telle perfection et ainsi accomplir sa véritable nature. Même la morale existentialiste, qui rejette la notion de nature humaine, maintient l'exigence d'authenticité et de réalisation de soi par soi. Levinas se démarque de ces différents schémas : chez lui, l'impulsion éthique ne vient plus du moi. Elle procède de la révélation d'autrui, de l'autre homme. Comment Levinas arrive à établir cette impulsion éthique qui vient d'autrui? L'infini dans le fini, le plus dans le moins, qui s'accomplit dans l'idée de l'infini, se produit comme désir. Le désir se présente donc comme le tout autre du besoin. La jouissance qui répond au besoin est dans l'économie du monde habité. Dans la jouissance, le besoin s'éprouve au sein d'une totalité. La séparation entre le sujet et le monde dans le besoin n'est que formelle. Certes, le besoin manifeste un manque, un vide qui nécessite d'être comblé, mais le Même vit une sorte de complaisance de ce dont il jouit. Du désir, il n'en est pas ainsi, car le désir se creuse alors même qu'on cherche à le combler, il s'approfondit. Le désir est tourné vers l'absolument autre, il est désir de l'invisible. Ce désir est métaphysique, c'est-à-dire un mouvement partant d'un chez soi vers un ailleurs, vers un « hors-de-soi ». Le cogito, caractéristique de la philosophie cartésienne, est écarté par Levinas ; par contre, il reprend à son compte l'idée de l'infini. D'où nous vient l'idée de l'infini ? Elle n'est pas engendrée par le sum cogitans ; c'est donc Dieu qui l'a implantée dans la conscience. Cette position de Descartes est également, dans la forme où elle se présente, écartée par Levinas. Pour lui, l'éveil de la conscience morale qui coïncide avec la manifestation de l'infini, procède de l'autre homme qui me suscite dans le face-à-face12(*). A ce titre, l'ontologie comprise comme philosophie première est une philosophie de la puissance. Elle ne met pas en question le Même, elle est donc une philosophie injuste, car justifier appartient à cet abord de face de l'autre qui n'est ni psychagogie, ni pédagogie. Paul Ricoeur estime que la rupture entre le Même et l'Autre intervient au point d'articulation de la phénoménologie et de l'ontologie des « grands genres ». La conception de l'ontologie que Levinas décrit n'a jamais été admise par lui : Chez Emmanuel Levinas, l'identité du Même a partie liée avec une ontologie de la totalité que ma propre investigation n'a jamais assumée, ni même rencontrée...La philosophie de Levinas...procède plutôt d'un effet de rupture qui survient au point où ce que nous venons d'appeler une phénoménologie alternative s'articule sur un remaniement des « grands genres » du Même et de l'autre. Parce que le Même signifie totalisation et séparation, l'extériorité de l'autre ne peut plus désormais être exprimée dans le langage de la relation. L'autre s'absout de la relation, du même mouvement que l'infini se soustrait à la Totalité. Mais comment penser l'irrelation qu'implique une telle altérité dans son moment d'ab-solution ? 13(*) Paul Ricoeur estime qu'une ontologie reste possible de nos jours dans la mesure où les philosophies du passé restent ouvertes à des réinterprétations et à des réappropriations, à la faveur d'un potentiel de sens laissé inemployé, voire réprimé, par le processus même de systématisation, de scolarisation auquel nous devons les grands corps doctrinaux, que nous identifions d'ordinaire par leurs maîtres d'oeuvre que sont Platon, Aristote, Descartes, Spinoza, Leibniz, etc. * 12 Néanmoins le Je, le sujet n'est pas réduit à une pure réceptivité. Il est appelé à entendre la parole enseignante de l'autre, convoqué à se justifier. * 13 RICOEUR P., Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 387-388. |
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