La politique communautaire d'accès au marché dans le domaine du transport ferroviaire( Télécharger le fichier original )par Ikboljon Qoraboyev Université de Montpellier I - DEA Droit communautaire européen 2003 |
§4. Les regroupements internationauxL'une des nouveautés introduite par la directive 91/440 est la notion de regroupement international. Les entreprises désireuses d'exercer un droit d'accès au réseau ferroviaire d'un Etat membre devaient constituer un regroupement international pour pouvoir s'en prévaloir. Le regroupement international est toute association d'au moins deux entreprises ferroviaires établies dans des États membres différents en vue de fournir des prestations de transports internationaux entre États membres.86(*) Ces regroupements internationaux devaient se voir reconnaître des droits d'accès et de transit dans les États membres où sont établies les entreprises ferroviaires qui les constituent, ainsi que des droits de transit dans les autres États membres pour les prestations des services de transport internationaux entre les États membres où sont établies les entreprises constituant lesdits regroupements.87(*) Le droit de transit permet l'utilisation de l'infrastructure ferroviaire sans conférer le droit d'effectuer des dessertes sur le territoire des Etats membres.88(*) Il disposera d'un droit d'accès dans les Etats membres où sont établies les entreprises ferroviaires qui le constituent et d'un simple droit de transit dans le territoire des autres Etats membres. Donc, le train de l'entreprise ferroviaire de départ pouvait relier les États de départ et de destination, et procéder sur les réseaux de ces deux pays à des activités de chargement ou de déchargement. Cependant, il ne disposait que d'un droit de transit (excluant toute opération de chargement ou de déchargement) sur le réseau du ou des autres États membres éventuellement traversés. A titre d'exemple, la Deutschebahn (Allemagne) et la Renfe (Espagne) pouvaient ainsi constituer un groupement pour acheminer des convois de marchandises ou de voyageurs entre ces deux pays. Les trains, allemands ou espagnols, avaient donc le droit de circuler, charger et décharger sur les lignes de ces deux pays. Toutefois, ils pouvaient seulement circuler sur les lignes ferroviaires françaises (sans que la S.N.C.F. puisse s'y opposer), sans disposer du droit de procéder à des opérations de chargement ou de déchargement de marchandises ou de voyageurs sur le réseau français.89(*) Les entreprises ferroviaires doivent être libres de constituer des regroupements avec des entreprises ferroviaires établies dans d'autres Etats membres afin de faciliter le transport entre Etats membres.90(*) Selon certains auteurs, le Conseil appelait par ce considérant, à promouvoir l'utilisation des infrastructures des autres Etats membres par des regroupements internationaux.91(*) En pratique, la notion de regroupement international suscitait quelques interrogations. Notamment, se posait la question de la forme juridique que devait revêtir un regroupement international. Si il pourrait se déduire que la forme juridique importait peu, dès lors que le groupement fournit des prestations ferroviaires internationales, la question se compliquait au moment de son examen à la lumière de la notion du droit d'accès.92(*) Pour certains auteurs, la caractéristique essentielle du regroupement est de disposer, sous certaines conditions, de droits d'accès à l'infrastructure. Mais, est-ce qu'une filiale commune créé par deux entreprises ferroviaire et dotée d'une personnalité juridique distincte pourrait se prévaloir du droit d'accès en vertu de l'article 10§ 2 de la directive ? La réponse a été négative. Pour pouvoir bénéficier du droit d'accès, il fallait que cette entité ait la qualité d'entreprise ferroviaire et qu'elle soit établie dans un Etat membre. Mais, les « sociétés mères » étant elles-mêmes des entreprises ferroviaires, la filiale commune ne répondait pas à la condition d'établissement. Elle ne pouvait, donc, pas être considérée comme un regroupement au sens de la directive. La conclusion était que les entreprises ferroviaires n'étaient pas libres de choisir toutes formes juridiques pour constituer des regroupements en constituant de nouvelles entités. Elles devraient, plutôt, avoir recours à des formes plus « souples ». Par exemple, elles pouvaient constituer des « accords d'exploitation en commun » de certains services. Dans le cadre de cet accord, seules les entreprises parties à l'accord peuvent bénéficier du droit d'accès.93(*) Mais, la réponse de certains auteurs semble être contraire. Notamment, l'un d'entre eux interprète le texte de la directive, dans le sens où le droit d'accès décrit à l'article 10§ 2 ne peut bénéficier qu'à une nouvelle entité créée par la directive, le regroupement international.94(*) Cet auteur réfute le raisonnement du précèdent auteur en ce qui concerne le rapport entre le regroupement international et la condition d'établissement. Ainsi, le regroupement international est bien établi dans un Etat membre. Il peut avoir la capacité d'opérer la traction ferroviaire si les sociétés mères font les apports nécessaires, et peut donc prétendre à la qualité d'entreprise ferroviaire ?95(*) Toutefois, ce même auteur accepte la possibilité de rejet de la demande de ce regroupement, doté d'une personnalité distincte des sociétés mères, en raison de la présence d'une seule entreprise ferroviaire, les conditions de l'article 10.1 n'étant pas remplies, puisque le regroupement international implique au moins deux entreprises.96(*) Il faudrait, donc, choisir une approche pragmatique, plus proche de la réalité économique, et non se retrancher derrière la personnalité juridique de la filiale. Une certaine clarté est apportée à la question de la forme que peut revêtir un regroupement international par la Commission. En effet, la Commission, saisie d'un litige concernant le refus d'un gestionnaire d'infrastructure d'octroyer les droits d'accès à une entreprise communautaire, a été amenée à se prononcer sur le caractère des regroupements internationaux.97(*) Elle a opté pour une approche assez souple pour définir un regroupement international. Elle renvoi notamment, à l'arrêt ENS du Tribunal de première instance pour entériner sa position.98(*) Pour elle, la directive 91/440 ne définit pas les formes précises d'un regroupement international. Un regroupement international n'est pas tenu de prendre la forme d'un accord traditionnel d'exploitation en commun dans le secteur ferroviaire. Dans la pratique, les entreprises concluent souvent des accords visant exclusivement à conférer un accès contractuel à l'infrastructure ferroviaire, sans nécessairement signer des accords commerciaux sur l'exploitation en commun des services. Ces accords sont considérés comme un regroupement international dans la mesure où ils associent au moins deux entreprises établies dans les Etats différents en vue de fournir des prestations de transports internationaux entre les Etats membres. La notion de regroupement international se situe donc à mi-chemin entre un accord commercial à part entière dans le cadre duquel les parties partagent les risques et un accord aux termes duquel elles ne se confèrent mutuellement que des droits d'accès sur la base de la directive 91/440 et ne supportent aucun risque.99(*)
Une autre question naît de la qualité et le nombre des parties au regroupement international. Selon la lettre de la directive, le regroupement doit lier au moins deux entreprises ferroviaires établies dans des Etats membres différents.100(*) Mais rien dans la directive n'oppose à ce qu'une troisième entreprise qui n'a pas la qualité d'entreprise ferroviaire fasse partie d'un regroupement international dès lors qu'au moins deux entreprises ferroviaires situées dans des Etats membres différents le composent.101(*) Si certains auteurs ne voyaient pas un intérêt pour les entreprises autres que ferroviaire à se joindre à un regroupement international,102(*) aujourd'hui le droit d'accès pour les candidats autorisés, mais non ferroviaires, est devenu réalité en raison de l'évolution du marché.103(*) En fait, l'état actuel du droit communautaire104(*) laisse aux Etats membres la possibilité d'ouvrir le droit d'accès à d'autres entreprises autres que les entreprises ferroviaires mais qui ont des raisons commerciales ou de service public, telles que certaines autorités publiques, les chargeurs, les transitaires ou encore les opérateurs de transports combinés.105(*) Mais la transposition de ces dispositions en droit français étant minimale, il n'est accepté de demandes de sillons que de la part d'entreprises ferroviaires.106(*) Pour ce qui est du nombre des participants à un regroupement international, d'aucuns ont proposé de limiter ce nombre. En présence d'un nombre élevé d'entreprises situées dans des Etats géographiquement contigus, la notion du droit d'accès pourrait être vidée de son contenu puisque, par essence, si des entreprises concluent un accord entre elles, elles sont nécessairement d'accord pour utiliser réciproquement leur infrastructure.107(*) Mais, pour d'autres ce raisonnement est contestable. Il ne faudrait pas confondre deux questions distinctes : le droit d'accès pour un regroupement international et la compatibilité de ce regroupement avec les règles de concurrence. Si la directive réponde à la première question, la seconde doit être examinée par rapport aux règles de concurrence du droit communautaire, notamment, l'article 85 TCE.108(*) Si, en général, le principe du droit d'accès pour les entreprises ferroviaires est posé par la Directive 91/440, qui fut modifiée déjà deux fois et qui est en attente d'une troisième modification109(*), ce droit est exercé différemment, selon le type de transport emprunté ou le type de service de transport presté. On distingue, tout d'abord, le transport combiné international de marchandises du transport conventionnel. Pour le transport conventionnel, il y a une différence de traitement entre le transport de marchandises ou fret ferroviaire et le transport ferroviaire de voyageurs. L'étendue du droit d'accès varie selon cette classification. Cette différence est expliquée par le souci du Conseil d'introduire des étapes dans la libéralisation du transport ferroviaire.110(*) * 86 Art. 3 de la Directive 91/440, op.cit. * 87 Art. 10 de la Directive 91/440. * 88 Article 5 du décret n° 95-666 du 9 mai 1995, JO n° 109 du 10 mai 1995, p. 7732. * 89 Limousin, P., et Cantier, B., op.cit. * 90 Considérant 8 de la Directive 91/440. * 91 Alexis, A., op.cit., p. 507. * 92 Ibid. * 93 Ibid., p. 507-508. * 94 Idot, L., op.cit., § 29. * 95 Ibid., § 36. * 96 Ibid. * 97 2004/33/CE: Décision de la Commission du 27 août 2003, Georg Verkehrsorganisation GmbH c. Ferrovie dello Stato SpA, relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE ,JOCE n° L 011 du 16/01/2004 p. 0017 - 0040 * 98 Affaires jointes T-374/94, T-384/94 et T-388/94, ENS, EPS, UIC, NS et SNCF c./ Commission, Recuil, 1998, p. II-3141, point 220. * 99 Ibid., § 71. * 100 Ibid., § 33. * 101 Alexis, A., op.cit., p. 512. * 102 Idot, L., op.cit., p§ 33. * 103 Voir en ce sens, Gauthier, Laure, L'accès des tiers au réseau ferroviaire français, AJDA, 25 août 2003, pp. 1441-1445, notament, p. 1442. * 104 Notamment, l'article 2 b de la directive 2001/14/CE, op.cit. * 105 Gauthier, L., op.cit., p. 1442. * 106 Article 2 du décret n° 2003-194 précité. * 107 Alexis, A., op.cit., p. 512. * 108 Idot, L., op.cit., § 34. * 109 Un projet de troisième paquet ferroviaire a été adopté le 16 juin 2004. * 110 Idot, L., op.cit. , § 25. |
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