Traitement de l'information politique dans un médias de service public. Cas du quotidien "la nation".par SàƒÂªmàƒÂ¨vo O. Bonaventure AGBON Université d'Abomey-Calavi (Bénin) - Licence professionnelle en sciences de l'information et de la communication,option Journalisme 2017 |
CHAPITRE TROISIEME : ANALYSE DES DONNEES ET VERIFICATION DES HYPOTHESESSECTION 1. EQUITABILITE ET GENRES JOURNALISTIQUESEn raison de ce que le public est le bénéficiaire des médias publics, ces derniers doivent être politiquement impartiaux et ouvert à tous, d'où leur statut d'organes de service public. Le paragraphe 1 vérifie si « La Nation » respecte ce statut. PARAGRAPHE 1 : UN TRAITEMENT PLUS OU MOINS EQUITABLE A propos de l'équitabilité, Le Réseau du Savoir Electoral (2012)36 s'interroge : La répartition doit-elle être basée sur le principe de l'égalité, c'est-à-dire que chaque partie dispose du même temps, ou sur le principe de l'équité, en répartissant par conséquent le temps en fonction du degré de soutien populaire dont bénéficie chaque parti ? Dans le contexte béninois, il s'agit de l'équitabilité. L'accès équitable aux médias publics par les partis politiques, l'Exécutif, les institutions républicaines et la société civile est organisé par la HAAC, instance de régulation. Elle l'a fait à travers sa Décision n°98-050/HAAC du 17 juin 1998 portant modification de la décision n°95-062/HAAC relative à l'organisation de l'accès équitable des partis politiques, des associations et des citoyens aux médias de service public. L'art. 11 de cette décision dispose que : font l'objet de reportages classiques, ... les congrès, les meetings, les conférences publiques, les conférences de presse et autres manifestations publiques organisés par les formations politiques, toutes tendances confondues, représentées ou non à l'Assemblée Nationale. Pour ces différentes activités, l'article 12 fixe l'espace/durée rapporté dans le tableau 5. Tableau 5 : Répartition horaire de l'accès aux médias du service public
Source : tableau réalisé à partir de l'art. 12 de la décision n°98-050/HAAC 36 Le Réseau du Savoir Electoral : « L'Encyclopédie ACE : Médias et élections », 2012, www.aceproject.org Mémoire soutenu par Sêmèvo O. Bonaventure AGBON / ENSTIC-UAC 20 Traitement de l'information politique dans un média de service public : cas du quotidien La Nation Toutefois, la CC, la CS, le CES et la HAAC, en tant qu'institutions « ne sont pas soumis, dans l'exécution de leur mission constitutionnelle, aux répartitions horaires », (art. 26 de la même décision). ? Vérification de l'équitabilité Pour vérifier si «La Nation» respecte les dispositions de la HAAC supra-mentionnées, deux temps ont été choisis, à savoir : temps ordinaire et période électorale (présidentielles de 2011 et 2016). Mais avant, que pensent les lecteurs de l'équitabilité du quotidien «La Nation»? Le tableau 6 montre qu'aucun d'eux n'en doute. Tableau 6 : Perception par les lecteurs de l'équitabilité de « La Nation »
Source : Enquêtes de terrain, 2016 Comme le montre ce tableau, aucun des 93 abonnés investigués n'a douté de l'équitabilité du contenu de « La Nation » en matière de traitement des sujets politiques. La totalité des enquêtés, soit 77%, trouve que « La Nation » favorise un accès équitable du gouvernement et de l'Opposition à ses pages ou encore qu'au cours des dix dernières années, surtout marquées par la monopolisation notoire de la TV publique sous le président Yayi, il a servi totalement tous les acteurs politiques. Outre cette confiance des lecteurs à « La Nation », il importe de s'intéresser aux archives en temps ordinaire comme en période électorale. 1- Temps ordinaire La couverture des manifestations est organisée en Conférence de rédaction. Le Red Chef ou le SR fait le point des « ordres de reportages » enregistrés et programme une équipe (journaliste + photographe) pour la couverture. Pour cela, le Red Chef tient mensuellement un « Rapport des statistiques de passage des citoyens, des partis politiques et des organisations de la Société civile dans « La Nation ». Ce rapport est élaboré conformément à la note n°12/MCTIC/DC/SGM/CTJ/SP-C relative à la mise en oeuvre du Plan d'action de lutte contre la corruption au sein du MCTIC37. Le principe qui consiste à maintenir un registre, soutient 37 Ministère de la communication et des technologies de l'information et de la communication Traitement de l'information politique dans un média de service public : cas du quotidien La Nation ACE (2012)38 est important : le diffuseur public (ou tout autre) devrait savoir exactement ce qu'il a diffusé afin de pouvoir répondre à toute plainte éventuelle. Parfois, des sujets spéciaux défrayent la chronique et occupent les médias. On enregistre alors plusieurs opinions qui s'affrontent. Les archives révèlent qu'à diverses occasions, « La Nation » se penche du côté de toutes ces opinions, même divergentes ou défavorables au pouvoir en place. Quelques exemples : ? Débat sur les Réformes plitiques et institutionnelles sous la « Rupture » Lesdites réformes entreprises par le président Patrice Talon ont secrété beaucoup d'encres et de salive. Plusieurs organisations de la société civile et des intellectuels s'y sont penchés en fustigeant, en apportant des propositions ou en formulant des doléances. « La Nation » a reçu plusieurs demandes de couverture entrant dans ce cadre. Ce qui a donné les comptes rendus tels que : « Réformes politiques et institutionnelles : Les intellectuels traditionnels exigent le rétablissement de leurs attributs coutumiers » (n°6499, 31 mai 2016) ; « 20è forum des travailleurs et des peuples : Les huit exigences des travailleurs que la Constitution doit intégrer » ( 2 mai 2016) ; etc. Dans son n°6490 (18 mai 2016), on lit à la Une que « Les forces de gauche suggèrent une assise spéciale politique ». L'appréciation du régime du « Nouveau Départ » par la société civile, l'Opposition et les Ong n'a pas été aussi occultée par « La Nation ». On recense à cet effet, des titres évocateurs dont « Gestion du pays à l'ère de la Rupture : Les Fcbe dénonçent les `'incohérences» du Nouveau départ » (n°6553, 18 août 16). ? Les 100 premiers jours Selon E. Ologoudou, Les 100 premiers jours, c'est un « délai raisonnable pour revenir sur l'action d'un nouveau gouvernement, surtout si ce dernier est directement issu de la volonté populaire »39. L'édition 2016 des 100 premiers jours est consacrée au trois premiers mois de gestion du président Talon. On y retrouve le décryptage des premières actions de la Rupture, ses échecs, ses tares et progrès. On retiendra ici les titres forts comme : « Soirée politique à la FES : Les cent jours de Patrice Talon passés au scanner » (14 juillet 2016) et « Spécial 100 jours de Patrice Talon: Les acteurs économiques dans l'expectative de signaux forts » (vendredi 15 juillet 2016) par G. AFANGBEDJI ; « La normo-communication: Le style qui favorise les rumeurs ? » (A. ALLABI). 38« L'Encyclopédie ACE : Médias et élections », www.aceproject.org 7 avril. 2016, 13 h 3 39 La Nation, 1990 Mémoire soutenu par Sêmèvo O. Bonaventure AGBON / ENSTIC-UAC 21 Traitement de l'information politique dans un média de service public : cas du quotidien La Nation 2- Période électorale (Présidentielles de 2011 et 2016) En 2011, la HAAC, par Décision N°11-015/HAAC du 7 mars 2011, dispose : « Article 2 : Chaque candidat bénéficie, jusqu'à nouvel ordre, d'au plus deux reportages par édition du journal parlé et du journal télévisé par jour sur l'audiovisuel de service public, ainsi que d'un reportage dans le quotidien « La Nation ». En outre, les projets de société des candidats sont publiés, excepté celui de Antoine Dayori resté indisponible. La couverture des campagnes est aussi assurée. « La HAAC observe toutefois que, s'agissant des reportages publiés, des dépassements ont été relevés pour le candidat Boni Yayi40 (publication de 09 reportages au lieu de 03) », (Détchénou, cité par Nouwligbèto)41. Quant à 2016, les Programmes de société des candidats dont les fichiers électroniques ont été envoyés par la HAAC sont publiés (et même mis en ligne sur le site du journal, www.lanationbenin.info). Des campagnes sont aussi couvertes. Pour le compte du 1er tour (36 candidats étaient en lice), le tableau 7 présente le nombre de reportages (y compris leurs soutiens) dont chaque candidat a bénéficié ; ces données sont issues des archives de journaux du mois de février 2016.
Source : tableau réalisé à partir des archives de « La Nation », AGBON, 2016 40 Il faut souligner que ce dernier était candidat à sa propre sucession et a donc eu plus d'emprise que les autres. 41 Friedrich Ebert Stiftung. Actes du dialogue régional des instances de régulation et d'autorégulation sur l'accompagnement des médias en période électorale, Cotonou, Imprimerie COPEF, 2011 Mémoire soutenu par Sêmèvo O. Bonaventure AGBON / ENSTIC-UAC 22 Traitement de l'information politique dans un média de service public : cas du quotidien La Nation Ce tableau montre que les candidats au 1er tour de l'élection présidentielle de 2016 n'ont pas bénéficié du même nombre de reportages. Le candidat de l'Alliance Républicaine (FCBE-RB-PRD), Lionel ZINSOU bat le record avec 16 reportages, suivi de Patrice TALON 08 et de ADJAVON et KOUPAKI 06 reportages. Trois candidats n'ont même pas leurs noms dans les archives, peut-être parce qu'ils ont désisté finalement au profit d'autres présidentiables. Si l'on allait faire une lecture comme celle rapportée supra par Détchénou, on observera qu'il y a d'énormes déséquilibres et que la HAAC semble verser dans l'égalité en période électorale lorsqu'elle dit relever des dépassements. Mais loin d'être la marque d'une « in-équitabilité », le tableau 7 révèle que les quatre premiers candidats, étaient visiblement les plus en vue lors de la campagne. Preuve que la pléthore de candidats est une difficulté pour le traitement équitable. Concernant le 2nd tour, les comptes-rendus/reportages de déplacements sur le terrain des candidats Patrice TALON et Lionel ZINSOU ou de leurs soutiens se résument comme suit dans le tableau 8. Tableau 8 : Nombre de reportages par candidat, 2nd tour/ Présidentielle 2016
Source : tableau réalisé à partir des archives de « La Nation », AGBON, 2016 Ce tableau montre que 15 reportages sont pour Patrice TALON et 06 pour Lionel ZINSOU. Ce qui donne un écart de 09 reportages. L'on comprendra qu'au-delà de la pléthore des candidats, il y aussi le terrain (la présence) qui joue sur le traitement. PARAGRAPHE 2 : GENRES JOURNALISTIQUES DOMINANTS« La Nation» s'acquitte convenablement de son rôle d'information. L'étude des archives révèle que le taux des différents genres journalistiques varie notamment en 1990, 2008 et 2016 comme le témoigne le tableau 9. Mémoire soutenu par Sêmèvo O. Bonaventure AGBON / ENSTIC-UAC 23 Traitement de l'information politique dans un média de service public : cas du quotidien La Nation Tableau 9 : Taux genres journalistiques dans La Nation, 1990, 2008 et 2016
Source : Enquêtes de terrain Les données de ce tableau montrent que le contenu de « La Nation » est beaucoup plus du compte rendu suivi du reportage. Ces données témoignent que « La Nation » est avant tout informatif, premier rôle des médias d'ailleurs. Le mois de mai 1990 bat le record des articles d'opinion (réflexions, critiques, éditoriaux, commentaires). Pendant ce temps, mai 2016 quoique riche en comptes rendus et reportages (333 sur 342 articles, soit plus de 80 %), fait figure pauvre en analyses et enquêtes. C'est le mois de janvier 2008 qui est le plus florissant en analyses et enquêtes. La présence de plusieurs droits de réponse témoigne de la vitalité du débat autour de certains sujets, ce que corrobore l'encadré 1 : Encadré 1 De 1990 à janvier 2008, plusieurs droits de réponse sont publiés dans le journal. Ils ne sont pas forcément la preuve que les journalistes ont publié des mensonges ou diffamations. Mais le signe que le journal est lu et que le débat sur les sujets (contradictoires) sont vifs. D'ailleurs, certains droits de réponse sont en déphasage avec le contenu de l'article querellé. C'est le constat de la rédaction par rapport au droit de réponse de la Soneb relatif à l'article « Approvisionnement en eau potable en milieu urbain : La Soneb dans les eaux troubles » de S. LOUMEDJINON, 3 janvier 2008. Le journal écrivait : « ...nous souhaitons une relecture de notre article aux fins d'une comparaison avec le contenu du droit de réponse. A terme, on se rendra compte que la cellule de communication mérite d'être étoffée de journalistes émérites. », La Nation, 9 janvier 2008. Les personnes enquêtées sont conscientes que « La Nation » abonde de plus en plus en comptes rendus classiques au détriment des analyses et enquêtes, même si elles sont satisfaites du traitement que le journal fait de l'actualité politique. C'est ce que renseigne le tableau 10. Mémoire soutenu par Sêmèvo O. Bonaventure AGBON / ENSTIC-UAC 24 Traitement de l'information politique dans un média de service public : cas du quotidien La Nation Tableau 10 : Satisfaction des lecteurs du traitement de l'information
Source : Nos enquêtes A la lumière de ce tableau, la satisfaction des lecteurs de « La Nation » n'est pas liée à la diversité des genres journalistiques pratiqués. Si à la question « Êtes-vous satisfait des informations politiques qu'apporte « La Nation » ? », la plupart des abonnés, à 74 % cumulé, répondent « Oui », c'est soit parce que : « La Nation » ne fait pas du sensationnel, de la propagande », soit qu' « il n'est jamais accusé pour diffamation » ou parce que « le traitement est équilibré ». Elles souhaitent alors que « La Nation » aille au-delà des comptes rendus pour servir de chien de garde de la démocratie béninoise, leur offrir plus de moyens d'appréciation de la politique béninoise et susciter le débat démocratique comme ce fut le cas dès 1990 et qui s'est brutalement estompé au début de l'année 2008. 1- 1990: liberté d'expression au service de la moralisation de la vie publique Dans l'entousiasme de la liberté retrouvée en 1990, année du Renouveau démocratique, plusieurs rubriques et articles d'appréciation de l'actualité politique sont enregistrés. Avec des titres incitatifs, les journalsites ou leurs invités, entre autres, prônent la moralisation de la vie publique, dénonçent « sécheresse morale », « débauche politique », bref les inconduites des gouvernants. L'étude des journaux du mois de mai 1990 permet de noter les rubriques telles que : Editorial, Réflexions, Libre opinion, Point de mire, L'invité de la semaine, sans oublier les commentaires. On peut retenir les titres passionnants suivants : - Où trouver les hommes nouveaux ?; De grâce, madame le minitre de la santé !; et Des institutions pour des hommes ! (S. Vidéhouenou) ; - Pourquoi tuer notre voirie ? (L. Brathier) ; - La gestion des affaires de l'Etat : La chasse gardée brisée ! (G. Adissoda); La moralisation de la vie publique : une lutte prioritaire (N. Alagbada), etc. « On venait de rentrer dans le Renouveau démocratique. Il fallait dénoncer le PRPB ». C'est ainsi que B. Sewadé analyse les débuts du journal en 1990, débuts très féconds en critiques et dénonciations pas forcément dans les règles de l'art journalistique. « Aujourd'hui, le métier est régi par des textes » et il y a obligation de professionnalisme, conclut-il. Mémoire soutenu par Sêmèvo O. Bonaventure AGBON / ENSTIC-UAC 25 Traitement de l'information politique dans un média de service public : cas du quotidien La Nation 2- Début de l'année 2008 : déclin des articles de fond Autour des années 2000, c'est le tour des journalistes E. Couao-Zotti, B. Sewadé, R. Azifan et W. L. Houngbédji de s'investir dans la critique de l'action gouvernementale à travers « Contre-poing » et bien d'autres articles de dénonciations, de critiques ou d'analyses. « Un ministre dans du faux ? » (30 nov. 2005) de W. Houngbédji, article dénonçant un ministre du président Kérékou qui, abusant de sa position, a récupéré un terrain frappé d'indisponibilité. « Un ministre du gouvernement impliqué dans un litige domanial » de Assévi vient compléter le premier et rapporte que les citoyens expropriés ont été rétablis dans leurs droits. C'est dans cette même période qu'il faut situer le débat sur le couplage des élections. En effet, dans la perspective de la présidentielle de 2006, certains acteurs politiques étaient acquis au report du scrutin et à son couplage avec les municipales prévues pour 2008. « La Nation » s'oppose à cette démarche. Ce que les journalistes dénonçaient notamment, ce sont les députés plutôt obsédés par la prolongation de leur mandat que la consolidation de l'héritage démocratique. Mais le FNCE (Front National pour le Couplage des Elections) qui était acquis à cette cause obtient un droit de réponse dans lequel il charge le journal. La réaction de ce dernier ne tarda pas. Quelques titres le prouvent éloquemment : - « Le Front dans les abîmes ? » (29 nov. 2005), « Affaire couplage des élections : tentative de remise en cause de la démocratie (les nouvelles stratégies des partisans du report) » (n°3881, 5 déc. 2005), « Débat sur le couplage des élections en 2008 : Des députés bientôt dans la danse ? », tous de W. Houngbédji et « Front aux abois » de A. Assévi. Les archives de cette période révèlent de Grands reportages, quelques enquêtes et plusieurs articles d'analyses, de critiques sur la politique. L'on peut retenir, à titre illustratif « Bagan-Dohô dans les Collines : Ce qui compromet la scolarisation des enfants » (12 janv. 2006). A travers cette enquête, P. Gnangnon, alors en service à l'antenne régionale Zou-Collines, expose l'échec des populations à obtenir une école. Or, la région compte environ 6000 habitants. Ces derniers ont dû construire des hangards , « recruter sur le tas un maître du niveau Bepc » et initia une cotisation de 500F par parent pour le payer. Ce qui fait dire au journaliste que « les autorités n'ont pas fait preuve de volonté ». Dans la même ligne, on retrouve B. Sewadé et R. Binazon qui dénonçent respectivement la candidature des ministres, et l'anarchie dans les dépôts de candidature à travers : « Les conséquences de la candidature des ministres sur l'administration », (17 janv. 2006) et « La frénésie des ambitions ». L'on mentionnera également les articles : « Crise morale au Bénin : A qui la responsabilité ? » de Mémoire soutenu par Sêmèvo O. Bonaventure AGBON / ENSTIC-UAC 26 Mémoire soutenu par Sêmèvo O. Bonaventure AGBON / ENSTIC-UAC 27 Traitement de l'information politique dans un média de service public : cas du quotidien La Nation E. Couao-Zotti (2 janv. 2016) et « Polémique autour du discours du président sortant de l'Assemblée Nationale : S'achemine-t-on enfin vers une opposition déclarée ? » (14 mai 2007) de Hyacinthe A. Koudhoro. Les exemples du genre sont légion. « Notre équipe, sous la conduite de la DP Azifan, encourageait les collègues à produire des papiers de fond et les mettait en valeur par annonce à la Une du journal », se souvient W. L. Houngbédji. Les journalistes savent apprécier à juste valeur la gestion du pays par les gouvernants. Mais de plus en plus, depuis 2008, on remarque que ce rôle s'effrite. ? Des moyens d'appréciation Les organes de presse sont des instruments très précieux pour le développement d'un pays, à travers les moyens que les journalistes donnent à leurs lecteurs, à leurs auditeurs, à leurs téléspectateurs, pour mieux appréhender l'actualité, les décisions qui se prennent pour la gouvernance du pays, afin qu'ils se sentent impliqués, responsables du développement du pays. (Sélo, 2013)42 C'est ainsi que N. Alagbada interviewé par Sélo du journal « La Nouvelle Tribune » appréhende la notion de service public. Les démocraties africaines, en l'occurrence béninoise, sont gravement malades, parce qu'en proie aux problèmes de corruption, de détournement de deniers publics, de pauvreté, ce qui demande l'intervention de la presse. Les moyens d'appréciation de la gestion du pays, c'est à travers sa manière de traiter l'information que le journaliste les donne aux citoyens. Les genres journalistiques, renvoyant « aux différentes manières de rédiger un article, sont l'un des points forts de l'écriture de presse, à laquelle ils confèrent diversité et originalité » (Agnès, 2008)43. Au nombre de ceux que les lecteurs suggèrent davantage à « La Nation », il y a, entre autres, l'analyse, l'enquête, l'investigation et le commentaire. A l'ère de la radio/télévision où le public est déjà informé de l'actualité, ce que la presse écrite apporte de nouveau, c'est une valeur ajoutée grâce aux genres journalistiques expliqués dans l'encadré 2. Encadré 2 *L'analyse : à travers l'analyse, « le journaliste dissèque les faits et cherche à leur donner un sens. Il ne donne pas son opinion, mais une explication », (Yves, A., 2008). Selon lui, elle donne « au lecteur le maximum d'éléments d'appréciation de la réalité sociale » en s'appuyant notamment sur d'autres faits, contexte, historique. Il faut noter que sans l'analyse le public ne 42 SELO, http://www.lanouvelletribune.info/interview/14403-noel-alagbada-a-propos-des-problemes-de-la-presse-beninoise-le-journaliste-ne-doit-pas-etre-au-service-des-politiques consulté le 20 août 2016, 22h 43 Yves, A., Y. Manuel de journalisme, Paris, Collection Guides grands repères, La découverte, 2008, 480 p Traitement de l'information politique dans un média de service public : cas du quotidien La Nation peut pas comprendre le sens réel de certains faits. L'analyse constitue un instrument d'éclairage pour le public. (Azokpota, 2015)44 / *L'enquête donne le résultat du travail d'investigation, révèle ou explique des faits ou des situations ; *L'investigation : Pour Lucinda (1998), elle aborde le problème dans son cadre général, redresse les torts causés, explique les problèmes sociaux complexes, révèle des faits de corruption, des délits ou des abus de pouvoir ; *Le commentaire fournit une interprétation : il n'expose pas les faits mais les interprète. Dans un journal (presse écrite ou audiovisuelle), on peut avoir plusieurs commentaires qui accompagnent les articles ou les « papiers » d'information. (Azokpota, 2015). Selon Yves, ces trois premiers genres journalistiques produisent une valeur ajoutée suffisante par rapport à l'information de base. Il fait de l'analyse l'un des fleurons des genres journalistiques, même s'il reconnaît toutefois que ces genres nécesitent assez d'investissement (temps, financement, journalistes) que les responsables d'organe réchignent à offrir. A partir de ces genres, Cognat et al. (2012)45 attribuent au journaliste plusieurs rôles dont quatre sont définis dans l'encadré 3 : Encadré 3 « 1- rôle moral : il est un intellectuel et en tant que tel, il a des responsabilités. Le public lui reconnaît le droit de chercher et de dire la vérité, de critiquer et de dénoncer des faits mais il ne doit pas abuser de sa position pour le tromper ; 2- rôle pédagogique : le journaliste ne fait pas l'opinion publique mais il éclaire l'opinion publique en expliquant les événements ; 3- rôle d'enquêteur : le journaliste a une démarche scientifique. Il se pose et pose des questions dans le but de rechercher la vérité. Il doute en permanence ; et 4- rôle politique : Le journaliste défend l'intérêt général, s'intéresse à la vie publique et non à la vie privée, excepté dans le cas où cette dernière interfère avec la vie publique ». ? Doléances des lecteurs Pour ne pas garder une abstention/silence soupçonneux face aux problèmes qui se posent, la quasi-totalité des personnes enquêtées suggèrent à «La Nation » plus d'audace à faire des analyses, critiques, commentaires, etc. pour des raisons rapportées dans ce tableau. Tableau 11 : Souhait des lecteurs
Source : Traitement des données, 2016. 44 Azokpota, F., Sources d'informations dans les médias : aspects théoriques et pratiques, Star Editions, Cotonou, Bénin, 2007, 241 p 45 Cognat, C., et al. Le journalisme en pratique, les bases du métier, Reporters solidaires Paris, Presse Universitaire de Grenoble, 2012 Mémoire soutenu par Sêmèvo O. Bonaventure AGBON / ENSTIC-UAC 28 Traitement de l'information politique dans un média de service public : cas du quotidien La Nation D'après ce tableau, les lecteurs, à 77 % (pourcentage cumulé) souhaitent vivement que « La Nation » s'investisse également dans les analyses, enquêtes, commentaires politiques. En hiérarchisant les raisons évoquées, on découvre que les enquêtés (à 41%) cherchent des outils pour mieux comprendre les faits politiques. Ainsi, leur conscience se trouvera éveillée (24%) et ils pourront aisément opiner sur la gestion du pays, sens d'une démocratie participative. Aussi, grâce à leurs investigations, les journalistes vont révéler les abus des dirigeants afin de les amener à gouverner avec plus de responsabilité. 12 % des abonnés enquêtés le soulignent. Quoiqu'elle passe pour modèle en Afrique, la démocratie béninoise demande encore assez de soins (vigilance, responsabilité) pour ne pas vaciller. « La Nation » peut donc mieux faire. L'encadré 5 complète les résultats du tableau 11. Ce sont des propos de lecteurs-élites interviewés par « La Nation » à l'occasion du 25è anniversaire dudit journal en 2015 : Encadré 4
De cet encadré, où les déclarations rejoignent ceux des personnes enquêtées dans le cadre de la présente recherche, la remarque qui se dessine est que les personnes interviewées Mémoire soutenu par Sêmèvo O. Bonaventure AGBON / ENSTIC-UAC 29 Traitement de l'information politique dans un média de service public : cas du quotidien La Nation s'appuiyent plus sur la période d'après fin 2007 pour apprécier voire juger « La Nation ». Lesdites repproches conviennent effectivement mieux à « La Nation » (d'après 2007) dont l'ardeur a été quelque peu atténuée par la volonté de mainmise du régime du `'Changement». Dans le rapport annuel sur la situation de l'Etat de droit et de la démocratie au Bénin dont l'édition 2008 est intitulée « Les médias à l'ère du changement », réalisé par Fernand Nouwligbèto, le même constat est fait, avec la nuance qu'il s'applique à toute la presse béninoise. En effet, Guédénon (2016) présente ainsi le rapport : (...) Disparition graduelle des débats contradictoires, régression graduelle de la pluralité des opinions, uniformisation graduelle des programmes au niveau des organes de presse » et autres constats malveillants caractérisent depuis avril 2006, selon le politologue Mathias Hounkpè, les médias béninois et leurs acteurs. Et pour cause ! « Le pouvoir arrête le contrepouvoir » selon Me Joseph Djogbénou, président de l'Ong Droits de l'homme, paix et développement (Dhpd), initiateur du rapport (...) Or, les résultats des recherches du consultant commis par l'Ong Dhpd, Fernand Nouwligbèto, révèlent que les médias, à l'ère du Changement, jouent de moins en moins leur rôle de contre-pouvoir dont ils sont investis par la Constitution du 11 décembre 1990. Ceci à travers leur souscription à des contrats de propagande initiés par le gouvernement du changement qui y met des centaines de millions mais aussi à travers la persistance de certains problèmes structurels internes à la corporation tels que la mauvaise gestion de l'aide de l'Etat à la presse privée, l'absence de formation des acteurs des médias...46 |
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