Chapitre I : Joué-lès-Tours : la
première couronne et le tramway
Ce chapitre, présente le contexte, la
problématique, met en relief les hypothèses et les objectifs de
la recherche. Il permet également de faire l'état des lieux de la
commune de Joué-lès- Tours, notre terrain d'étude.
I. Problématique, objectifs et
méthodologie de recherche
A. Contexte, problématique et hypothèses
La problématique des déplacements des personnes
est au coeur des préoccupations de politiques publiques d'hier et
d'aujourd'hui. « En France, comme en Europe, depuis la fin de la seconde
guerre mondiale, l'histoire des déplacements urbains est tributaire du
développement de l'automobile, qui bouscula et remit en cause les autres
modes de déplacement » (Lacombe et Malterre, 1983 ; L'Host et al,
2000, cité par Wolff, 2015). En effet, à la fin du XIXe
siècle les réseaux du tramway ont connu une expansion rapide mais
dès le début du XXe siècle, les lignes du tramway ont pour
la plupart été démantelées. « La France se
voit ses réseaux fermer les uns après les autres et au terme de
ce processus rapide et violent, il ne subsiste que trois lignes
rescapées et 35 kilomètres » Wolff (2012) et on a
assisté à la promotion de la voiture qui représentait
à cette époque l'avenir. Or les autres nations ayant
adopté le tramway comme l'Allemagne et les démocraties de l'Est
ne l'ont pas abandonné alors que « tous ces Etats sont
confrontés à la nouvelle donne technologique mais aucun d'eux n'a
réagi avec une intensité égale à l'exemple
français » (Larroque, 1989).
Plusieurs facteurs ont contribué à la
disparition du tramway en France. Pour Larroque, « le raz-marrée du
tout automobile, naturellement constitue la composante principale du processus
qui a conduit au déclin du tramway » (1989). Aussi le tramway
était qualifié, selon Ribadeau-Dumas, « d'ennemi du peuple,
de tortillard, de brinquebalant, de ferraillant, de lent, avec des rails
glissants et dangereux et était accusé d'entraver la circulation
»(2010). De même, « le tramway était accusé
d'occuper trop de place et d'être à l'origine d'accidents»
(Gwiazdzinski, 2013). Toutes ces accusations ont favorisé l'essor de
l'automobile et de l'autobus avec pour conséquence la disparition des
tramways du paysage urbain.
C'est dans ce contexte du « tout voiture qu'il faut
replacer la réflexion globale sur les mobilités urbaines et en
particulier, questionner le rôle des transports collectifs
capacitaires
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et le retour du tramway en France depuis une trentaine
d'années » (Dupuy, 1995). L'usage de la voiture depuis les
années 1950, crée d'énormes problèmes dans les
centres urbains surtout aux heures de pointe sans régler toutefois les
préoccupations pour lesquelles les lignes de tramway avaient
été supprimées. Le règne du «tout
automobile» contribuait aussi à la pollution de l'environnement et
générait beaucoup de bruit. Il favorisait fortement
l'émission des gaz à effet de serre et la pollution
atmosphérique. Face à tous ces problèmes, on a
assisté à une prise de conscience sur des questions
écologiques dans les années 1990. Au cours de cette
période, une forte mobilisation s'était formée autour des
questions du développement durable, nouvelle conception apparue pour la
première fois en 1987 dans le rapport Brundtland de la commission
mondiale sur l'environnement et le développement de l'Organisation des
Nations Unies (ONU).
À cet effet, « le développement urbain
durable affirme la nécessité de limiter la place de l'automobile
dans la ville, faisant renaître une contestation déjà
ancienne » (Sauvy, 1968 et Illitch, 1974 cité par Pouyanne, 2005).
Face à cet état de chose, les politiques publiques
décident d'inverser l'ordre des priorités avec aussi le
renouvellement des principes de la planification urbaine et l'adoption de
plusieurs lois. Entre autres, la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de
l'énergie (LAURE) du 30 décembre 1996 dans son article 14 qui
modifie la Loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI) en son
article 28, fait obligation aux agglomérations de plus de 100.000
habitants de se doter des plans de déplacements urbains (PDU) et
d'intégrer dans ces derniers des projets des TCSP. Aussi la loi sur
l'utilisation rationnelle de l'énergie (SRU) du 13 décembre 2000
alliant la planification urbaine et des politiques de déplacements,
exige que les Plans Locaux d'urbanisme (PLU) soient conformes avec les PDU et
que les documents d'urbanisme cherchent à maîtriser la circulation
automobile et l'urbanisation des zones desservies par les transports en
commun.
Au-delà, le contexte législatif a par ailleurs
évolué avec l'adoption de nouvelles lois comme la loi du 11
février 2005 relative à l'égalité des droits et des
chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées, qui intègre la prise en compte des besoins des
personnes handicapées et à mobilité réduite. Ainsi
donc, l'espace public au sens large doit leur être accessible. Aussi, la
réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre
d'ici à 2020, est le principal objectif fixé par les deux lois
Grenelle de 2009 et de 2010 en matière de protection de
l'environnement.
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Toutes ces mesures prises permettront de limiter la place de
l'automobile dans la circulation, de promouvoir les transports collectifs afin
d'assurer une meilleure protection de l'environnement, de garantir un
équilibre durable en matière de mobilité et
l'accessibilité des espaces publics. Il est alors important de
promouvoir les moyens de déplacement non polluant, écologique
comme le vélo, les TCSP. Dans ce dernier cas de figure, « la
politique des transports est intégrée à la politique de
protection de l'environnement » (Wolff et al. 2013).
Le retour du tramway dans les grandes agglomérations
françaises devient donc une nécessité. Comme l'indique
Foot, « la France a mis autant d'enthousiasme à démanteler
ses réseaux de tramway à partir des années 30 qu'à
en construire de nouveaux depuis le milieu des années 80 » (2009).
De nombreuses villes françaises se dotent de cette nouvelle
infrastructure de transport, technique, silencieuse et écologique en
site propre. Le tramway devient alors une solution pour réduire le
trafic automobile et favoriser les transports collectifs mais aussi dans la
perspective de relier les quartiers périphériques au
centre-ville. La mise en place de cette nouvelle offre de transports,
s'accompagne de nombreux projets à diverses échelles.
Que savons-nous des effets du tramway dans les grandes villes
françaises ?
Beaucaire cité par Stambouli qualifie le tramway
«d'acteur de renouvellement urbain » (2005) puisque son
arrivée dans un secteur est souvent accompagnée de plusieurs
types d'aménagements permettant le développement urbain de la
localité. Pour Wolff, le tramway est considéré de nos
jours très vite comme un outil de requalification urbanistique de
l'espace public altéré par la déferlante automobile depuis
la fin de la seconde guerre mondiale, limite l'usage de la voiture dans la
ville et il participe à la politique de « toilettage » de
certains secteurs urbains (2012).
En effet, l'implantation de cette nouvelle offre de transport
dans les centres urbains, devient non seulement une solution aux
problèmes de transports mais il permet également de
réaliser des opérations d'urbanisation. « Le tramway
s'accompagne inévitablement d'actions d'aménagement et de
valorisation des espaces publics qu'il crée, traverse ou borde »
(Volle et Bernie Boissard, 2008). Son introduction avec de nouvelles
infrastructures induit d'autres effets. Par exemple, Stambouli (2005) a
étudié les effets dans trois villes françaises ayant
implanté ou modernisé un réseau de tramway notamment
Nantes, Grenoble et
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Strasbourg. Dans ces trois agglomérations relativement
comparables en matière de population, à la mise en place du
tramway, les effets urbains recensés de cette infrastructure moderne
comme l'indique Stambouli, se manifestent dans des domaines extrêmement
variés : effets sur la demande de transport, sur le service de transport
offert aux usagers, sur les valeurs immobilières le long de la ligne,
sur les commerces, les emplois; mais aussi sur les espaces publics, sur la
sécurité, sur l'image même de l'agglomération; et
encore sur le bruit, la pollution de l'air, la consommation d'énergie
(2005).
En effet, à Nantes, à Grenoble et à
Strasbourg, parmi les effets recensés par Stambouli on pouvait noter :
une augmentation générale de l'offre de transports collectifs
dans le périmètre des transports urbains, un développement
des pratiques intermodales voitures particulières-transports collectifs,
une amélioration de l'accessibilité à partir ou vers le
centre-ville, une hausse des prix des terrains à bâtir, des
logements et des loyers dans le corridor (400 mètres de part et d'autre
de la ligne), une polarisation de certaines activités économiques
dans le corridor, le long de la ligne. Il a également observé un
nouveau partage des espaces publics le long de la ligne en faveur des
transports collectifs, des piétons, parfois des vélos, de
nombreuses opérations de restructuration urbaine dans le corridor et le
long de la ligne, une plantation d'arbres et l'augmentation des espaces verts
dans le corridor etc.
De nombreuses autres études sur les impacts du tramway
dans les centres urbains ont montré que cet équipement de
transport, loin d'être un simple objet de transport, participe au
remodelage de la ville, à sa structuration et à son
développement urbain. A Montpellier par exemple, d'après les
études réalisées par Volle et Bernie-Boissard (2008), la
construction d'un réseau de tramway a permis de
rééquilibrer le territoire et de le densifier. De même, les
travaux ont permis de restructurer les espaces publics en les rendant plus
accessibles, d'atténuer les ruptures imaginaires ou réelles du
territoire, de maîtriser l'urbanisation et la construction sociale de la
ville. Par ailleurs, l'image de la ville est aussi un élément
clé dans la programmation et la réalisation des lignes de
tramway. Le tramway est à la fois une réponse en termes de
politique de transports dans un contexte du développement durable avec
injonction environnementale, mais au-delà de cela, il constitue
l'ossature et soutient un certain nombre de projets urbains. Le tramway met en
jeu l'image de la ville, participe donc à la construction de l'image de
la ville, ses recompositions, son renouvellement avec des actions
d'aménagement, d'embellissement qui mettent en valeur les quartiers
traversés. Nous
adhérons au propos suivant : « En quelques
années, le tramway est passé du statut d'objet technique et de
réseau de transport à celui d'aménageur omnipotent, outil
de requalification urbaine et icône. Son impact dépasse la seule
question de l'accessibilité pour retrouver l'embellissement urbain
» Gwiazdzinski (2013).
Ce processus, identifié et analysé dans le
centre urbain, se retrouve-t-il dans les communes de premières couronnes
? Dans ces espaces moins denses et plus hétérogènes,
l'arrivée du tramway est-il également un puissant levier du
renouvellement urbain ? Peut-on fait l'hypothèse que les mêmes
effets sont observés dans les banlieues ? Si oui, les processus sont-ils
différents ou processus relativement similaires ? À
Joué-lès-Tours, banlieue d'une ville intermédiaire comme
Tours, le tramway a-t-il été déclencheur de
transformations urbaines ? Si oui, ces transformations sont-elles liées
à la mise en oeuvre d'une urbanisation programmée, soutenue et
planifiée ?
L'agglomération tourangelle n'est pas restée en
marge de cette nouvelle donne technologique et de cette injonction
environnementale. Elle s'est dotée d'une ligne de tramway. De par sa
position géographique, Joué-lès-Tours, commune de
première couronne, deuxième ville en nombre d'habitants de
l'agglomération de Tours et aussi du département
d'Indre-et-Loire, est desservie par le réseau de bus et de tramway.
Celui qui nous intéresse dans le cadre de cette étude est la
ligne du tramway qui est entrée en service en 2013. Par
conséquent, nous formulons l'hypothèse que, dans des espaces
comme la banlieue qui sont d'un point de vue général, un tout
petit peu en marge de l'action publique c'est-à-dire où il y a
moins de projets que dans les hyper centres et où par contre
l'arrivée des transports collectifs comme le tramway, cette
infrastructure devient brutalement un moteur très puissant de
transformations urbaines. À Joué-lès-Tours,
l'arrivée du tramway va entrainer des modifications sur les
différents espaces traversés et desservis. Aussi, sur le
modèle de ce qui se passe dans les quartiers centraux, l'arrivée
du tramway contribue à un renouvellement urbain. Elle confère
à la banlieue une urbanité absente au départ dans ces
espaces. Urbanité, qu'on peut définir et analyser à partir
par exemple par la création et de la recomposition des espaces publics,
d'autre part la dynamique de l'offre commerciale et par les effets
éventuels sur les logiques immobilières et verticalisation.
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De toutes ces hypothèses, découle un certain nombre
de questions :
En quoi le tramway transforme-t-il et recompose-t-il la banlieue
?
En quoi le tramway devient-il un vecteur d'urbanité des
quartiers traversés dans la banlieue ?
En quoi l'arrivée du tramway devient-elle un
accélérateur indéniable de spéculation pour
l'immobilier de banlieue ?
En quoi la mise en service d'une ligne de tramway devient-il
un élément de redynamisation du secteur commercial de la banlieue
?
Pour répondre au questionnement, nous nous sommes
fixés plusieurs objectifs afin de vérifier nos hypothèses
de recherche.
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