Le mouvement féminin et féministe au nord du Maroc. Objectifs et répertoire d'actions: 1990-2010par Fadma Ouaiaou ULB - Master 2011 |
II.2.3.Répertoire de l'action collectiveLes mobilisations collectives menées parles acteurs dans une société sont au centre des travaux de Charles Tilly, historien américain. Il désigne un champ bien plus large que ce qu'un mouvement social peut atteindre. Ainsi, selon lui,les mobilisations collectives se font à l'intérieur du processus politique de la protestation. Tillydistingue deux éléments qui éclairent son approche sur les mobilisations collectives : le premier s'intéresse à la manière par laquelle se forment les mouvements et le deuxième s'intéresseaurépertoire de l'action collective68(*). Le répertoire de l'action collective selon Tilly « se caractérise par l'utilisation des moyens d'action plutôt autonomes différents de ceux dont font l'usage les autorités ; l'apparition fréquente d'intérêt définis comme tels, dans un cadre associatif ou quasi associatif, (« coalition pour la justice », « citoyens unis contre », etc) ; les défis directs aux concurrents, ou aux autorités surtout nationales, et à leurs représentants, plutôt que des appels à des patrons puissants ; la tenue délibérée d'assemblées pour l'élaboration de programmes ; la présentation publique de programmes, des slogans, l'exhibition d'insignes d'appartenance et de solidarité ; une préférence pour l'action en espace publique. »69(*) Ainsi, Charles Tilly est le premier à inventer ce concept qui va connaitre une évolution marquante et positive depuis les années 80 et 90. Le répertoire de l'action collective des mouvements sociaux va connaitre une évolution avec des théories de d'autres sociologues, particulièrement de ceux qui ont étudié les nouveaux mouvements sociaux. Cependant, le répertoire d'action collective va aussi développer des critiques et des études d'évaluation. Ontrouve alors à titre d'exemple, Alberto Melucciqui a étudié « l'action collective ». Selon lui, « l'action collective implique l'existence d'une lutte entre deux acteurs pour l'appropriation et l'orientation de valeurs sociales et de ressources, chacun des acteurs étant caractérisé par une solidarité spécifique»70(*). Toutefois, Mellucci établitune séparation au sein de ces nouveaux mouvements sociaux, celle-ci se fait entre le mouvement revendicatif et le mouvement contestataire, en se référant pour chacun, à son répertoired'action collective. Le répertoire de l'action collective désigne alors un ensemble de moyens mis à disposition des mouvements sociaux contestataires. Ceci est bien démontré par la diversité du répertoire de l'action des mouvements sociaux contemporains, (grèves, manifestation, settings, caravanes, marches, occupation des endroits publics, débats et discussions sur les réseaux sociaux,). Au Maroc, depuis les années 1990 et 2000, les mouvements contestataires de toutes tendances inventent des actions collectives de protestation. L'association des chômeurs diplômés est l'exemple le plus marquant. Il s'agit d'un mouvement social unique au monde et qui a articulé ses manifestations sur « al waqfa71(*) » (setting), appelés également: rassemblement debout. Ce settingdeviendra au répertoire d'action collective des mouvements sociaux marocains ce qu'était la grève des ouvriers. L'approche du répertoire d'actions collectives du mouvement féminin au nord du Maroc que nous aborderons dans notre recherche, sera pertinente dans la mesure où elle vise à cerner l'objectifprincipal des mouvements féministes marocains. En effet, les actions des associations féminines (durant la période 1990- 2010) se déroulent autour du changement du statut juridique de la femme. L'importance de ce changement découle dela nature de la subordination et de l'oppression qu'exerce un tel statut sur les femmes marocaines. Par ailleurs, le changement du statut de la femme est conditionné par le changement des politiques qui visent la condition féminine. Ainsi, la place de la femme dans la sphère privée est fortement liée à se place dans la sphère publique, « ce qui est personnel est politique » »72(*). Cette devise est rapidement devenue le principe fondateur de la pensée et de l'action féminine. L'espace privée est ainsi réintroduit dans le politique. »73(*). Toutefois, il importe de souligner la difficulté qui a surgit lors de la conceptualisation du féminisme marocain, étant donné le vide théorique dont souffre le contexte marocain en ce qui concerne l'associatif et le militantisme féministe. Ce vide renvoi à des contraintes qui poussent les intervenants et les acteurs de la condition des femmes au Maroc à véhiculer la politique du possible. C'est cette stratégie qui va pousser les autorités et la société à accepter un changement du juste milieu entre les traditionnalistes et les modernistes. Cependant, ce juste milieu va engendrer des doutes sur une réelle volonté politique de répondre à la revendication de l'état de droit pour tous les marocains et toutes les marocaines. Nous pouvons présenter le féminisme marocain comme unmouvement social qui se caractérise par les traits des nouveaux mouvements sociaux, comme les a identifiéAlain Touraine (Identité, opposition et totalité).En effet, à partir des années 80, le mouvement féministe a construit son identité propre en opposition à des nouveaux conflits autour des questions féminines.Le mouvement féministe marocain se manifeste par les valeurs et les principes partagés entre ses membres fondateurs, en se libérant de la tutelle partisane74(*), qui a dominé le champ (Bourdieu, 1980) social et politique depuis l'indépendance et même au moment du mouvement nationaliste pendant la période coloniale. La présente recherche adoptera les trois formes de féminisme marocain comme elles ont été développées par Dialmy. Par ailleurs, il nous semble nécessaire de souligner que le développement du sujet va également se faire autour des interactions et des corrélations entre les trois tendances qui sont les plus actives et qui gagnent du terrain : Féminisme d'Etat/ Féminisme islamiste / Féminisme universaliste. Comment se construisent, les rapports d'alliance et d'opposition entre les trois composantes citées ? Pourquoi ces rapports se basent sur le statut juridique de la femme marocain ? Comment la condition juridique de la femme marocaine est devenue à la fois un enjeu et un jeu politique75(*) entre les trois composantes du mouvement féministe au Maroc ? « Le sort de la Moudawana peut emprunter plusieurs voies. On peut considérer que l'Etat, arbitre, gère bien les contradictions dans un espace très complexe. Il calme le jeu. L'Etat médiateur traite d'une manière modérée les problèmes dans leurs difficultés. Et c'est la voie qui est suivie. »76(*). En conclusion, étant donné que le féminisme marocain vit en paradoxe permanent, il crée en tant que concept encore et toujours des polémiques. En effet, à partir du moment où l'Etat marocain s'est engagé dans la question de l'égalité entre les femmes et les hommes, le féminisme marocain ne peut plus être présenté uniquement comme un mouvement contestataire. Selon Alami M'Chichi, il importe de s'interroger: « comment comprendre le féminisme d'Etat dans un pays à faible potentiel démocratique ou en transition démocratique ? »77(*). La nécessité d'une conceptualisation de la notion «islamisme » est pertinente dans le cadre de cette recherche, puisque émerge depuis quelques années un débat sur un féminisme islamiste. Ainsi,le champ d'action de ce mouvement s'étend au niveau mondial, il a mêmeété institutionnalisé en Occident78(*). Notre recherche adoptera le féminisme marocain pour désigner tous les mouvements des femmes qui se présentent comme des organisations non gouvernementales, dites associations féministes, travaillant avec les femmes et sur les problèmes de discriminations basées sur le genre dans la région du nord du Maroc et dans leur diversité idéologique (on peut inclure aussi les associations de quartiers locales ou de sections locales des associations nationales). La recherchemènera aussi à uneréflexion sur le Féminisme d'Etat, sur son apparition, ses tendances en Occident et dans les pays arabo-musulmans. Comment se manifeste, le concept « Féminisme d'Etat » dans les pays démocratiques et dans les pays en transition comme au Maroc? * 68ibedem * 69 TILLY, C, (1986), La France conteste de 1600 à nos jours, Paris, Fayard, 1986, p .87 * 70 MELLUCCI, A en ligne http://www.crasc-dz.org/article-530.html consulté le 12 février 2010. * 71Waqfa signifie « rassemblement debout » une action inventée par les militants et militantes des droits humains au Maroc. Elle s'organise devant les tribunaux, les parlements, les sièges des ministères concernés et sur les grandes places des villes. * 72 ALAMI M'CHICHI, H, (2002), Genre et politique au Maroc : les enjeux de l'égalité hommes-femmes entre islamisme et modernisme, Paris : L'harmattan, p 24. * 73 COMBE, J,( 2001),La conditionde la femme marocaine, Paris : L'Harmattan, p 8. * 74NACIRI, R, (2006), Le mouvement féminin au Maroc, Rabat : Publication ADFM. * 75ALAMI M'CHICHI, H, (2010), Le féminisme d'Etat au Maroc: Jeux et enjeux politiques, Paris : L'Harmattan. * 76 MY RCHID, A, (2003) la Moudawana en question in Condition féminine au Maroc sous direction de Abdelkrim Gherib, Casablanca : NAJAH EL JADIDA, p 21. * 77(Alami M'Chichi, 2010, p13). * 78Exemple : femme musulmane en Europe, groupe international d'étude et de réflexion sur la femme en Islam (GIERFI) et Europe Forum of Muslim Women (EFOMW). |
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