Le mouvement féminin et féministe au nord du Maroc. Objectifs et répertoire d'actions: 1990-2010par Fadma Ouaiaou ULB - Master 2011 |
IV.3.2. Arguments des féministes islamistespour le maintien de la loiSur le sujet de l'héritage, sujet très sensible au sein de la société marocaine, les féministes islamistes appuient l'importance du maintien de cette loi. Elles prônent le cadre islamique pour le partage de l'héritage. Leur principal argument est évidemment le Coran, à travers l'exemple suivant: « Devant la loi divine, l'homme est obligé de prendre en charge les femmes de sa famille : mères, soeurs, filles, épouses. C'est une obligation juridique et non un octroi d'aumône alors que cette obligation ne concerne pas la femme. La part d'héritage de cette dernière constitue un capital dont elle n'usera que pour ses extras (habits, bijoux, achats de biens, etc) et non pour le dépenser à ses besoins primaires. »153(*). Cependant, pour les féministes islamistes, il y'a des cas où la part d'héritage d'une femme est égaleou même supérieureà celle de l'homme. Le texte coranique est clair et détaillé sur la succession et l'héritage. Les inégalités sont claires certes,mais elles sont liées à la période et les circonstances de vie des arabes et des autres peuples.Ainsi, il est nécessaire que les textes religieux soient compatibles avec le temps et non l'inverse. Ne nous pouvons donc pas nier que si les situations historiques changent, le discours et les textes religieux doivent être interprétés pour en sortirce qui est encore applicable et ce qui peut être changé en fonction de l'époque154(*). En clair, il s'agit d'interpréter les textes religieux selon l'époque. Il n'est pas sans importance de souligner que le courant chiite par exemple, à l'inverse du courant sunnite malékite adopte une loi plus égalitaire envers les femmes en matière d'héritage. Cette loi bien plus égalitaire est notamment appliquée depuis 1963 en Irak. Celle-ci est appliquée aux deux communautés qui y vivent: sunnites et shiites155(*)». (Deux doctrines islamiques (voir Glossaire). Nous sommes donc forcés de conclure que le problème des islamistes est que leur discours est passé de discours de Nahda (renaissance) avecles réformistes fin 19èmesiècles vers un discours de Azma (Crise)avec les fondamentalistes islamistes au début des années 1990156(*) IV.3.3.Arguments des féministes universalistes en faveur du changement de la loiLes féministes universalistes représentées par les associations féminines revendiquent la nécessité de changer la loi sur l'Héritagedu fait que le Maroc a levé toutes les réserves sur l'article de la convention CEDAW qui prône l'égalité en matière d'héritage .Toutefois, il importe de dire que lors des entretiens pour la présente recherche, les interviewésn'avaient aucune idée de l'état d'avancement et de la mise en oeuvre du contenu de la lettre royale157(*) daté du 10 décembre 2008 qui ordonne la levé de toutes les réserves sur la convention CEDAW. Ainsi la présidente de l'association Mains Solidaires pour le droit à la citoyenneté et à la dignité, Asma Elbaghdadi explique qu' « il n'y a jusqu'à ce jour, aucune procédure d'opérationnalisation du contenu de la lettre royale, ni un communiqué officiel sur le levé des réserves sur la convention CEDAW »158(*). Les féministes universalistes mettent en avant diverses raisons pour revendiquer le changement de la loi sur l'héritage. En effet, la situation de la femme au Maroc a tellement changé ces dernières années. Le changement s'est surtout opéré au niveau du rôle de la femme dans le foyer. Elles prennent de plus en plus de place dans la famille. Par exemple, plusieurs chefs de familles sont des femmes, que ce soit dans le milieu rural ou dans le milieu urbain. On estime alors qu'entre 1960 et 2000, le nombre de femmes actives est passé de moins de 1 millions à 2,4 millions159(*). Parmi ces femmes actives, la majorité participe aux dépenses liées aux besoins primaires du ménage. Cette réalité contredit l'idéologie que le principal chef de famille est l'homme. Au nord du Maroc, beaucoup de jeunes femmes célibataires immigrent à Tanger pourtravailler dans le domaine du textile (une de formes d'exploitation des multinationales) dans les zones industrielles de la ville. La majorité de ces ouvrières prennent en charge leurs familles restées à la campagne ou dans les autres villes marginalisées160(*). En conclusion, l'utilisation de l'Islam n'est qu'un prétexte qui justifie l'inégalité dans la loi sur l'héritage. * 153Explication recueillie de l'entretien avec Mrini Mohammed, journaliste et chercheur dans la question des mouvements islamistes à Tanger en octobre 2010. * 154 ABOU ZAID, N. (2004), p 122-123 (en arabe) * 155 MINCES,J. (1980), p 100. * 156ABOU ZAID, N. (2004), p 40-44 (en arabe) * 157La lettre royale envoyée au conseil consultatif des droits de l'homme organisé à l'occasion de la déclaration universelle des droits de l'homme le 10 décembre 2008. * 158L'entretien s'est déroulé le 12 décembre 2010 à Larache. * 159ZIRARI, H. (2006), « Femmes au Maroc : entre hier et aujourd'hui quels changements ? », Critiques internationales, 77 :65-80. * 160 Les observations personnelles tirées lors de la période de travail sur terrain, entre 2000 et 2007. |
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