Antécédents des relations hydro-diplomatiques
entre les États-Unis et le Mexique
Pour mieux comprendre les enjeux et problèmes actuels
de l'eau à la frontière, il faut revenir au siècle
dernier.
Même s'il n'est pas le premier accord à
gérer les eaux frontalières entre les deux pays, le Traité
de 1944 est le premier à instaurer des limites d'utilisation et une
vraie réglementation à la frontière. Toutefois, il faut
rappeler que l'asymétrie des relations politiques au niveau
régional et des statuts des États-Unis et du Mexique en 1944 ont
probablement pu avantager les États-Unis dans la signature de ce
Traité quand le Mexique a, en quelque sorte, été contraint
de le signer. En effet, en 1944, les États-Unis étaient en pleine
construction de leur superpuissance au niveau militaire, économique et
diplomatique. En d'autres termes, ils construisaient leur
hégémonie alors que le Mexique, économiquement faible et
fragilisé par une corruption institutionnalisée
post-révolution (Rubenstein 2001, 180), se développait et faisait
face, une nouvelle fois, aux conséquences d'une sécheresse dans
la vallée de Mexicali. Ceci le plaçait encore plus en position de
faiblesse par rapport aux États-Unis (Anderson 1972, 607-8).
En outre, plus de soixante-dix ans après sa mise en
place, le Traité de 1944 est critiqué puisqu'il ne fait, en aucun
cas, référence ni à la gestion durable des ressources
hydriques, ni à la gestion de la pollution, de la qualité de
l'eau ou des nappes phréatiques et des écosystèmes (Wilder
et al. 2019). Ainsi, il est possible de remarquer que la gouvernance des eaux
en 1944 et, plus généralement, dans la première
moitié du XXe siècle ne se focalisait ni sur la
conservation de l'environnement ni sur la biodiversité, mais
plutôt sur une préservation de la paix dans la région et
une répartition équitable des ressources hydriques à la
frontière. Cependant, l'augmentation et l'aggravation des
problèmes environnementaux ont poussé les deux pays et l'IBWC
à favoriser, de plus en plus, une approche écologique pour la
résolution de ces problèmes.
Pour tenter de pallier ces problèmes hydriques, les
États-Unis et le Mexique ont signé l'Accord de La Paz en 1983,
aussi connu sous le nom d'Accord États-Unis-Mexique sur la
coopération pour la protection et l'amélioration de
l'environnement dans la zone frontalière (Mumme et Duncan 1997-8, 44),
mettant ainsi en place une coopération entre les deux nations pour la
protection de la frontière et, par la même occasion, la
préservation des rivières frontalières. Cet accord fut
créé, en particulier, pour augmenter les marges de manoeuvre de
l'IBWC dans la résolution des problèmes. De plus, les enjeux de
cet accord n'étaient pas uniquement environnementaux, mais aussi
économiques puisqu'il s'agit de résoudre des problèmes de
types environnementaux et hydriques qui coûtent de plus en plus, sur le
plan politique, économique et environnemental, aux deux nations.
Plus récemment encore, en 1994, les États
d'Amérique du Nord ont signé l'ALENA, l'Accord de
coopération économique et de libre-échange entre le
Canada, les États-Unis et le Mexique (NAFTA - North-American Free
Trade Agreement), qui a été remplacé par l'Accord
Canada-États-Unis-Mexique - ACEUM en 2021. Au début des
années 1990, les critiques concernant l'IBWC et l'Accord de La Paz
étaient de plus en plus vives dans une période où les
problèmes hydriques à la frontière se succédaient
(Mumme et al. 2012, 10). On peut citer, entre autres, la multitude de
sécheresses qui a touché le Mexique à cette époque
et la période qui a vu un déficit de précipitations
prolongé et extrême (Stahle 2016, 36). Dans cette mesure, l'accord
de l'ALENA devait permettre, comme il en sera question plus tard, d'apporter
davantage de nouvelles solutions à l'IBWC pour résoudre les
problèmes hydriques entre les deux pays.
Faciliter la résolution de problèmes
environnementaux a pu se faire d'une part grâce à la Commission de
coopération environnementale, créée également en
1994 - qui a mis en oeuvre l'Accord nord-américain de coopération
dans le domaine de l'environnement (ANACDE) (Lavoie 2001, 3-4) - et d'autre
part à la Banque de développement d'Amérique du Nord
(Seelke et Klein 2021, 29). L'objectif de ces deux institutions était
d'offrir un financement pour les projets qui visaient à rétablir
un environnement sain, mais les résultats obtenus ne furent pas ceux
escomptés ; les organisations citées restaient passives
malgré les projets et les fonds disponibles n'étaient pas
utilisés de façon optimale pour répondre aux attentes
environnementales (Runde et Rice 2021).
Le nouvel accord de l'ACEUM reprend notamment les principales
dispositions de l'ALENA et modernise les dispositions de l'ANACDE et de la
Commission de coopération environnementale avec un nouvel accord de
coopération dans le domaine de l'environnement (Gouvernement du Canada
2020, 3).
Tous ces accords ont permis à l'IBWC de progresser en
lui donnant, grâce à la mise en place de nouvelles
réglementations, la possibilité de travailler sur la
préservation de l'environnement en particulier. Par exemple, la
Minute 319 de 2012, qui sera analysée plus tard, a permis des
flux d'eau vers le delta du fleuve Colorado, situé dans l'État de
Basse Californie, au Mexique. Il s'agissait de la première fois
où les États-Unis et le Mexique fournissaient de l'eau au delta
dans le but de promouvoir la restauration de l'écosystème (Wilder
et al. 2019). Il est ainsi possible de distinguer, depuis le début des
années 2000 notamment, une intensification du travail de la Commission
ainsi que des ONG environnementales en faveur de la préservation et de
la réhabilitation environnementale des rivières. Les ONG sont
ainsi supposées permettre depuis plusieurs décennies de
réunir les fonds pour respecter les engagements de préservation
et de restauration (Wilder et al. 2019).
En somme, on peut considérer que l'évolution de
l'IBWC depuis sa création lui a permis d'intégrer le concept
d'hydro-diplomatie à sa définition. Pour ce faire, l'instauration
de Minutes a été primordiale depuis 1944 et a rendu
possible un changement d'axe plus environnemental au fil des décennies
tout en préservant le rôle traditionnel de la Commission.
Cependant, les problèmes environnementaux se multiplient et posent la
question de l'adaptabilité de la Commission aux questions
environnementales. En effet, à quel degré l'IBWC est-elle
efficace face à la préservation de l'environnement et dans quelle
mesure l'évolution de la Commission lui permet-elle, aujourd'hui, de
pallier les problèmes environnementaux, de plus en plus
prépondérants ?
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