CONCLUSION
Jusqu'à la fin du XXe siècle, la
question environnementale n'était pas centrale dans la prise en charge
des problèmes hydriques par l'IBWC. De la même manière, les
agents non gouvernementaux tels que les ONG, les habitants des États
bassins et les États eux-mêmes ne faisaient pas partie du
processus de décision de la Commission.
Ainsi, ce travail s'inscrit dans une réflexion sur
l'intégration d'entités non gouvernementales dans la prise de
décision de l'IBWC. L'étude de la littérature sur
l'hydro-diplomatie à la frontière États-Unis-Mexique m'a
permis de constater l'impact récent des ONG qui a notamment
favorisé l'adaptabilité de la Commission aux questions
environnementales, même si les réponses ne sont pas toujours
optimales pour la préservation ou la restauration des ressources
hydriques.
L'objectif pour ce mémoire était de donner une
définition générale de l'hydro-diplomatie et des concepts
liés, puis de voir en quoi l'hydro-diplomatie à la
frontière États-Unis-Mexique permettrait de répondre, ou
non, aux problèmes hydriques environnementaux dans les fleuves du
Colorado et du Rio Grande. L'évolution de l'IBWC jusqu'à nos
jours conduit à constater une prise en considération de l'aspect
environnemental, notamment grâce aux Minutes
créées depuis 2000 qui ont permis de réapprovisionner
le delta du Colorado qui n'avait plus atteint l'océan depuis plusieurs
décennies. En effet, un nombre important de Minutes, entre la
Minute 306 de 2000 et la Minute 323 de 2017, ont
démontré une implication de plus en plus importante des ONG, mais
également une implication plus forte de la Commission dans la mise en
oeuvre de programmes de coopération en faveur de la gestion des
problèmes environnementaux à la frontière. En effet,
lorsque la Commission ne considérait que l'avis d'experts, il est
possible de penser que les réponses apportées pouvaient favoriser
un État ou un secteur économique puissant plutôt que
bénéficier aux populations locales.
La gouvernance adaptative de l'IBWC, à travers
l'intégration des populations et des ONG dans le processus
décisionnel, qui permet de rassembler une multitude de connaissances
applicables aux problèmes et menant des solutions plus efficaces, est
indissociable de la gestion intégrée des ressources en eau. En
effet, l'idée de la Commission est aujourd'hui de faire participer une
multitude de décideurs, tels que les riverains et les ONG, pour parvenir
à des solutions les plus satisfaisantes pour toutes les parties
prenantes.
Cette recherche apporte une analyse environnementale à
l'étude des projets de l'IBWC. Elle contribue à l'étude de
l'évolution de l'environnement et de la volonté de
résoudre les problèmes hydriques entre les États-Unis et
le Mexique.
L'analyse finale de quatre Minutes a également
permis de mettre à jour l'implication grandissante d'ONG dans la mise en
oeuvre de solutions environnementales. On constate dorénavant une
coalition d'ONG qui verse des fonds et réapprovisionne certaines zones
du Colorado, entre autres, en eau utilisable.
L'eau dans cette région, comme dans de nombreuses
autres, est un enjeu crucial. L'augmentation constante de la population dans la
région implique des problèmes de pollution liée à
l'agriculture intensive ou aux industries minières, de pénurie et
par là même de sécheresses récurrentes qui impactent
l'environnement et les populations frontalières et nécessitant
des solutions qui permettraient de préserver et de restaurer les
ressources de la zone. De plus, la modernisation des infrastructures hydriques
des deux côtés de la frontière grâce et par l'IBWC a
entraîné plus de coopération entre les États-Unis et
le Mexique et notamment avec la Minute 319 qui a proposé
l'utilisation conjointe de certaines retenues et de drains étatsuniens
pour traiter le problème de la salinité dans le Colorado, par
exemple.
Malgré cette coopération actuelle, il
était important d'étudier la diplomatie de l'eau entre les
États-Unis et le Mexique qui implique l'analyse de la diplomatie et de
l'histoire entre les deux pays. En effet, cela permet de comprendre les
potentielles retenues de ces derniers dans une coopération en faveur de
l'environnement, entre autres. La thématique des problèmes
environnementaux à la frontière et de la résolution de ces
derniers est devenue prépondérante dans une zone qui a
été source de nombreux conflits au fil du temps.
Il est important de distinguer un lien entre les relations
diplomatiques et les relations hydriques entre les deux pays puisqu'à
l'époque où le Traité de 1944 a été
signé, l'interventionnisme des États-Unis au Mexique et la peur
de perdre son identité mexicaine mettait en péril la
coopération souhaitée entre les deux pays. Il y avait un conflit
d'intérêt entre les deux pays.
Une question soulevée par ce travail est celle de
l'apparition de l'hydro-diplomatie dans les relations entre les
États-Unis et le Mexique. En effet, beaucoup d'auteurs déclarent
que le Traité marque le premier pas dans l'hydro-diplomatie entre les
deux pays alors qu'il ne s'agissait que de la gestion et de la
répartition des eaux entre différents États et qu'il
n'incluait aucunement un aspect environnemental à sa création.
Ainsi, il est possible de penser que l'hydro-diplomatie, définie comme
une coopération environnementale entre des États limitrophes de
rivières, est apparue après la signature du Traité de La
Paz de 1983 qui intégrait effectivement l'aspect environnemental.
En outre, une conclusion à laquelle il est possible de
parvenir à travers ce travail est l'impact ambigu de l'ALENA sur les
ressources hydriques à la frontière. En effet, même si cet
accord a permis la création d'une banque de développement et un
accord de coopération dans le domaine de l'environnement qui ont
favorisé la mise en place de projets environnementaux et de
préserver certains secteurs liés à l'environnement, la
mise en place d'une zone de libre-échange et donc l'impossibilité
pour les États de gérer leurs ressources, avec des entreprises
qui s'établissent dans la région, a entraîné des
conséquences négatives pour les ressources hydriques. Cela a
notamment impliqué la surexploitation des ressources hydriques au profit
de croissances économiques de certaines industries, dont l'industrie
minière au Mexique.
En somme, même si ce travail porte sur les
rivières frontalières entre les États-Unis et le Mexique,
la plupart des analyses se focalisent surtout sur le fleuve du Colorado. La
troisième partie, par exemple, n'analyse que des Minutes
pourtant sur le Colorado et son delta.
De plus, il était impossible de couvrir tous les
aspects de la gouvernance de l'eau et de l'hydro-diplomatie à la
frontière États-Unis-Mexique. En effet, il s'agit d'un vaste
champ de recherche qui nécessite de reprendre l'histoire des relations
entre les deux pays depuis l'indépendance des États-Unis pour
comprendre la situation au XXe siècle et aujourd'hui.
Il serait question, pour prolonger cette recherche, de
travailler sur le Rio Grande et sur l'impact des décisions de l'IBWC sur
d'autres communautés touchées par les problèmes hydriques
(par exemple, les Pueblos qui sont des peuples indigènes). En effet,
alors que le Traité de 1944 codifiait la distribution des ressources
hydriques entre les États-Unis et le Mexique, les Pueblos,
localisés pour la plupart à la frontière mexicaine dans
les États du Nouveau-Mexique, de l'Arizona et du Texas, n'étaient
pas pris en compte. Avant le Traité de 1944, ces peuples
indigènes étaient censés pouvoir prélever l'eau des
cours sur leurs territoires pour l'usage de ses habitants. Le Traité de
1944 a changé la relation des Pueblos avec l'eau puisqu'il avait la
mainmise sur la totalité des flux du Colorado et du Rio Grande
grâce à l'IBWC. Ainsi, les Pueblos n'étaient plus
souverains des eaux qui leur avaient été accordées,
même avec le principe d'appropriation préalable, mentionné
dans la deuxième partie, et devaient se soumettre aux termes de ce
Traité. Par conséquent, la seule façon pour les
autochtones d'avoir des droits sur l'eau était de passer par la justice.
Dans cette mesure, et puisque l'eau appartient aux États où elle
se trouve, les autochtones ne peuvent pas gérer directement de l'eau
qu'ils sont censés posséder, mais ont besoin que la justice
intervienne pour résoudre toute situation litigieuse. Il est possible de
citer l'année 1966 qui a vu la naissance d'un procès entre
l'État du Nouveau-Mexique et d'un Pueblo :
« [New Mexico] brought a water adjudication suit in
the United States District Court for the District of New Mexico to determine
the rights to use waters of the Nambe-Pojoaque River system, a tributary to the
Rio Grande, which drains the land of four Indian pueblos north of Sante Fe, New
Mexico » (Merrill 1980, 56).
Même si souvent, les États bassins
étatsuniens agissent avec la totalité des eaux du Rio Grande et
du Colorado comme si elles leur appartenaient, ce procès montre la
limite de cette pensée. En effet, la finalité du procès a
laissé les débits du Nambe-Pojoaque, au nord de Santa Fe, aux
Pueblos plutôt qu'au Nouveau-Mexique. Dans cette perspective, il
s'agirait d'étudier la manière dont les eaux des Pueblos sont
gérées par les États et de savoir si l'IBWC pourrait,
à terme, prendre en charge ses problèmes.
Dans un autre temps, il serait aussi utile de se focaliser sur
les nappes phréatiques et l'évolution de leur
réglementation. En effet, elles n'étaient pas prises en compte
dans le Traité de 1944 et sont, encore aujourd'hui, difficiles à
contrôler puisque souterraines et ne respectant pas les frontières
terrestres. Ainsi, il serait intéressant de s'attarder sur les
potentiels amendements de l'IBWC et du Traité de 1944 pour faire face
aux problèmes liés à la pénurie des eaux
souterraines aujourd'hui. Après avoir fait de nombreux pas en faveur de
l'environnement et de l'écosystème des rivières et des
eaux de surface, l'hydro-diplomatie mexicano-étatsunienne, avec l'aide
des ONG et des populations, pourrait tenter de résoudre certains des
différends liés aux nappes phréatiques. Ainsi, il serait
question d'étudier davantage les solutions apportées par les
États-Unis et le Mexique pour traiter les problèmes d'eaux
souterraines.
Comme le mentionnent Barbara G. Burman et Thomas G. Cornish
dans l'article « Needed : A Groundwater Treaty Between the United
States and Mexico » :
« a successful solution must also take into
consideration the singular attributes of groundwater, particularly the slowly
replenishing nature of the supply, which demands that it be treated as a finite
resource » (Burman et Cornish 1975, 387).
Il s'agirait d'étudier plus en détail les
solutions que pourraient apporter les instances mexicaine et
étatsunienne de l'IBWC pour résoudre les problèmes
liés aux eaux souterraines qui se remplissent bien plus lentement
qu'elles ne se vident. Un compromis devrait pouvoir être trouvé
entre ce problème et celui de pollution et de salinité des eaux
des fleuves. En effet, l'IBWC doit continuer de trouver des moyens de
résoudre les problèmes dans les eaux du Colorado et du Rio Grande
pour permettre aux populations de les utiliser, plutôt que de se
concentrer sur l'utilisation des nappes phréatiques.
En outre, la surexploitation des eaux souterraines, pour
l'agriculture intensive ou pour la consommation des populations, comme il l'a
été expliqué, entraîne encore plus de
sécheresses de part et d'autre de la frontière dans la mesure
où les ressources se raréfient et disparaissent. Cet enjeu doit
ainsi être approfondi.
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