Chapitre II - Minutes 319 : point culminant des relations
hydriques entre les États-Unis et le Mexique et mise en place d'un
programme de surveillance écologique
La
Minute 319
Pour ce qui est de la Minute 319 (Interim
international cooperative measures in the Colorado River Basin through 2017 and
extension of minute 318 cooperative measure to address the continued effects of
the April 2010 earthquake in the Mexicali Valley, Baja California), elle
est d'autant plus cruciale qu'elle met en commun l'eau entre les
États-Unis et le Mexique en cas de sécheresse, ou de tout autre
problème hydrique ne permettant pas un approvisionnement suffisant en
eau, comme avec le lac Mead. Ce lac, situé dans les États de
l'Arizona et du Nevada, est une réserve d'eau formée par le
Hoover Dam sur le fleuve Colorado (« Lake Mead »).
Le niveau de cette réserve a atteint 325,4 mètres (1067,65 pieds)
à la fin de 2021 alors qu'il était de 1 220 pieds (372
mètres) en 2000 (« Lake Mead to a Record Low »
s.d.). Il est ainsi possible de constater que la diminution du niveau de cette
réserve est drastique et nécessite de s'en préoccuper pour
qu'elle puisse conserver sa fonction d'approvisionnement.
Cette Minute date de 2012 et permet notamment,
à travers sa section III.7, des projets et des missions d'enquête
binationale pour la restauration, la conservation du Colorado et le stockage
des allocations d'eau pour le Mexique dans des retenues localisées aux
États-Unis (cf. lac Mead).
Elle est l'extension des mesures prises dans la
Minute 318. Ce sont des mesures coopératives prises dans le
contexte des effets du tremblement de terre dans la vallée de Mexicali,
qui avait eu lieu en 2010 (IBWC 2012).
Analyse de la Minute 319
Cette Minute est un programme pilote de cinq ans qui
s'attache à traiter la pénurie croissante dans le fleuve du
Colorado (Ingram 2004, 164) et qui a été recommandé par le
groupe de travail de la Minute 306. Au commencement des
négociations, toutefois, les États bassins ne pouvaient pas y
participer officiellement, même si les représentants
fédéraux pouvaient les consulter. Les États bassins du
Colorado sont l'Arizona, la Californie, le Colorado, le Nevada, le
Nouveau-Mexique, l'Utah et le Wyoming du côté des
États-Unis et de Basse Californie et de Sonora au Mexique (Carter et al.
2017, 9). Aussi, les volontés de l'IBWC et des États bassins
étaient divergentes puisque la Commission souhaitait rester la seule
organisation capable d'avoir un impact sur les prises de décisions
concernant les eaux partagées alors que les États bassins avaient
des intérêts à protéger leurs ressources et devaient
pouvoir avoir une voix dans la décision finale (Rivera-Torres et Gerlak
2021, 562).
Néanmoins, l'IBWC a finalement permis aux États
bassins de participer aux négociations (Rivera-Torres et Gerlak 2021,
562). C'est ainsi que les discussions pour cette Minute se
déroulèrent entre le Bureau of Reclamation, les
États bassins du Colorado, des ONG, la USIBWC, la Comisión
Internacional de Límites y Agua et des entités plus locales
(Ingram 2004, 172). Ces discussions ont débouché sur la
Minute 319 qui devait être la combinaison de la
coopération entre tous ces acteurs, de leur avis et expertise sur la
situation du fleuve Colorado. Il est ainsi aisé de comprendre le nouvel
enjeu lié aux acteurs non gouvernementaux dans la prise de
décision pour la préservation et la restauration du Colorado.
Cette Minute, comme la Minute 316, oeuvre
pour le delta du Colorado mais, cette fois, plus que de travailler sur des
probabilités, la Minute 319 a permis de répondre
effectivement à un besoin environnemental. En effet, elle a aidé
à restaurer le delta du Colorado et la biodiversité dans la zone.
L'utilisation des débits était ainsi purement environnementale
(Rivera-Torres et Gerlak 2021, 562).
Le programme pilote pour restaurer certaines zones du Colorado
consistait à utiliser divers types de débits afin de reproduire
les conditions de développement de la rivière. Il était
donc question de faire cohabiter des petits lâchers d'eau
périodiques (Base Flow) et d'autres grands lâchers d'eau
simulant des inondations naturelles (Pulse Flow) (Lewis 2019, 239).
L'apport d'eau dans le fleuve devait ainsi favoriser sa restauration et, par
extension, sa conservation dans la mesure où les débits
pulsés (grands lâchers d'eau) visaient à restaurer la
végétation dans le Colorado en remettant en place les
critères pour le développement de la biodiversité au
moment voulu (Lewis 2019, 241). De plus, comme l'explique Lewis, un
débit pulsé a été libéré au barrage
Morelos en Basse Californie, en 2014, pour simuler une crue naturelle, qui
avait eu lieu pendant des millénaires au printemps mais qui ne se
produisait plus. En effet, l'IBWC livra de l'eau au barrage pendant huit
semaines consécutives, entre mars et mai 2014. Il est donc possible de
constater l'efficience de la Minute 319 dans la mesure où la
coopération de la Secrétaire de l'Intérieur
étatsunienne et le Secrétaire mexicain à l'Environnement
et aux Ressources naturelles a permis au Colorado, pour la première fois
depuis presque 20 ans, de finalement atteindre le golfe de Californie (Lewis
2019, 240). Le programme envisageait d'utiliser 158 088 acres-pieds sur cinq
ans (IBWC 2012).
De plus, cette Minute devait permettre le stockage
d'eau pour le Mexique dans des retenues étatsuniennes. C'est le cas avec
le lac Mead, entre autres. Cela démontre aussi un niveau de confiance et
de coopération jamais atteint auparavant entre les États-Unis et
le Mexique (Rivera-Torres et Gerlak 2021, 562). En effet, l'idée pour le
Mexique était de pouvoir utiliser l'eau qu'il a stockée dans les
retenues étatsuniennes en cas de sécheresses ou de
problèmes ne permettant pas un approvisionnement correspondant aux
attentes. Cependant, pour ce qui est du lac Mead, en revanche, si le niveau
d'eau est trop faible, le Mexique ne peut pas demander la fourniture d'eau. De
la même manière, si le niveau d'eau est trop élevé,
le Mexique ne peut pas non plus placer d'eau dans la retenue (Stranger 2013,
92). La coopération entre les deux pays était ainsi
nécessaire pour le bon fonctionnement de la Minute et des
retenues d'eau.
En effet, un objectif de la Minute 319 était
de coordonner les opérations du bassin dans des conditions de
réserves élevées du lac Mead pendant une période
intérimaire afin d'avantager les deux nations (IBWC 2012). Cette
coopération permet des livraisons supplémentaires d'eau,
provenant des États-Unis, à destination du Mexique lorsque
l'élévation du lac Mead était supérieure à 1
145 pieds par rapport au niveau de la mer (349 mètres) et que l'eau en
amont est disponible pour le bassin inférieur des États-Unis
(IBWC 2012). En résumé, le Mexique pourrait disposer d'un
approvisionnement supplémentaire d'eau du Colorado si la quantité
de cette eau en amont était suffisante pour fournir l'aval aux
États-Unis et, par la suite, la partie mexicaine du fleuve. Il est,
néanmoins, possible de penser que les sécheresses auxquelles le
Colorado est confronté en amont ne permet pas nécessairement de
fournir une quantité supplémentaire autre que les 1 500 000
acres-pieds requis par le Traité de 1944 (cf. la faible quantité
d'eau dans le lac Powell).
En revanche, lorsque l'élévation du lac Mead, au
1er janvier, était égale à 1 075 pieds par
rapport au niveau de la mer (327,7 mètres), la quantité d'eau
reçue par le Mexique était amputée de 50 000
acres-pieds ; de 70 000 acres-pieds lorsque l'élévation du
lac était inférieure à 1 050 pieds par rapport au niveau
de la mer et de 125 000 acres-pieds lorsque l'élévation du lac
devait être inférieure à 1 025 pieds (IBWC 2012). Ces
propositions visent ainsi à stabiliser la quantité d'eau de la
retenue du lac Mead. La quantité d'eau supplémentaire
reçue par le Mexique est fonction de la quantité du lac par
rapport à la moyenne pour tenter de maintenir une quantité
minimale dans le lac.
Un autre point fondamental de cette Minute est
l'intégration effective d'ONG dans les parties prenantes devant fournir
de l'eau. En effet, une coalition d'ONG a été fondée en
2008 et a créé le Colorado River Delta Water Trust
(Buono et Eckstein 2014, 273). L'objectif de cette coalition était
d'utiliser les fonds pour des projets de restauration de l'habitat dans le
delta du Colorado. Elle devait aussi acheter ou louer les droits en eau
à des agriculteurs dans la vallée de Mexicali (Clay s.d.). L'eau
ainsi achetée devait permettre de fournir le delta pour la
première fois depuis plusieurs décennies en passant par des
infrastructures préexistantes (Postel 2017, 33). Ce projet a
également pleinement mis en avant les entreprises ayant contribué
au soutien du projet (« Understanding
« Sufficiency » : The Colorado River Delta :
Overdrawn and Dried up (2014) » s.d.).
L'institut de Sonora explique notamment que les ONG ont
été indispensable pour mettre en place la Minute :
« Through the NGO's coalition persistence in
representing the environment in these negotiations, they have at last succeeded
in achieving their goal to bring water and life back to the Delta with the
passing of Minute 319 » (Zamora s.d.).
Ainsi, les débits fournis pour la restauration et la
préservation du Colorado et de son delta ne proviendraient pas
uniquement de l'IBWC mais également des ONG qui auraient,
dorénavant, une responsabilité importante dans cette
préservation (Rivera-Torres et Gerlak 2021, 561).
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