Situation inégale entre les deux pays lors de la
signature du Traité de 1944
L'un des facteurs qui illustrent l'échec du Mexique
face aux États-Unis est le rôle prépondérant de ces
derniers dans la conception des principes du Traité. En outre, lors de
la signature du Traité, puisque ni l'environnement ni la qualité
de l'eau n'étaient jugés importants, le Mexique devait recevoir
1 500 000 acres-pieds du Colorado par les États-Unis, peu
importe que cette eau soit utilisable, consommable ou non (Bulson 1975, 286).
Bulson l'explique notamment : « if read literally [what] would
mean highly saline water returning to the river as drainage and even possible
saline groundwater pumped into the Colorado » (Bulson 1975, 286).
Ainsi, le problème de salinité dans le fleuve Colorado à
l'époque du Traité et dans les décennies qui suivirent
affaiblit le Mexique, mais puisque le Traité ne faisait pas
référence à la qualité de l'eau, les
États-Unis n'ont pas jugé bon d'agir afin d'aider leur voisin. En
ce sens, le Mexique comprit que tous les droits et acquis qu'il pensait avoir
obtenus par le biais de traités, d'accords et de conventions
n'étaient pas certains et pouvaient être déviés pour
profiter à l'autre pays (Anderson 1972, 601) :
« The full measure of the sacrifice Mexico was
forced to make has only recently come to light in the context of the Colorado
River salinity problem, as Mexico has discovered just how ephemeral are the few
rights and remedies thought to have been acquired by her under this
Treaty » (Anderson 1972, 601).
De plus, avec le Colorado River Compact de 1922, il
était prévu que le Mexique ait accès à l'eau
excédentaire des seize millions d'acres-pieds (19 735 680 000
mètres cubes) réservés à l'usage des
États-Unis (Ross 1965, 91). Aussi, la qualité n'a pas
été prise en considération et les États-Unis
auraient pu potentiellement fournir de l'eau très salée et
très polluée.
De plus, il est essentiel de souligner que, même si les
États-Unis ont essayé d'apparaître comme favorables
à leur voisin du sud, avec la Good Neighbour Policy, par
exemple, il semble que cela n'ait pas été suffisant face aux
mauvais comportements entre les deux pays. En effet, cela n'a pas
contribué à améliorer les relations binationales sur l'eau
puisque le Mexique a eu le sentiment d'avoir été trahi en raison
du problème majeur de salinité mentionné plus haut. De
plus, les intérêts et les avantages que les deux pays tirent de
l'utilisation de l'eau à la frontière ont rendu la conclusion
d'un traité compliquée, car le Mexique et les États-Unis
souhaitaient tous deux poursuivre leur propre développement agricole et
leurs projets d'irrigation à la frontière.
En outre, les États-Unis prétendaient, à
l'époque de la mise en oeuvre du traité sur l'eau de 1944, avoir
mieux et plus largement développé leur irrigation pour
l'agriculture dans le Sud-ouest et que c'était une raison valable pour
recevoir plus d'eau. En outre, comme l'écrit Stephen Mumme dans son
article « Leadership, politics, and administrative reform at the
United States Section of the International Boundary and Water Commission,
United States and Mexico » :
« The political coalition supporting the treaty accepted
Texan leadership in designing a treaty agency that was meant to be highly
responsive to a border constituency. At the time, that constituency was an
elite constituency of government water managers, irrigation districts, and
agricultural and municipal interests directly dependent on the allocation and
management of international river water » (Mumme et Little 2010, 256).
La citation ci-dessus, ainsi que différentes autres
mentions des États, montrent un rôle important de ces derniers en
tant que « parties prenantes » dans les décisions
prises liées à l'eau. Les États Étatsunien et
Mexicain frontaliers, les districts d'irrigation et les agriculteurs avaient
différents intérêts à défendre dans
l'approvisionnement et la régulation des eaux frontalières.
Dans le cas du Texas, il fût un acteur
privilégié dans la mise en oeuvre de l'IBWC et du Traité
de 1944, notamment dans le sens où l'USIBWC était
localisée à El Paso, au Texas, plutôt que dans la capitale
fédérale (Mumme et Little 2010, 256). De plus, le Texas, à
cette époque, possédait un poids politique important à
l'échelle nationale ; étant l'un des États les plus
puissants et essentiels d'un point de vue politique et électoral, il
était crucial de prendre son avis en compte pour les décideurs
fédéraux. Ceci lui avait permis d'influencer le Traité de
1944. Selon Mumme, la délégation texane au Congrès avait
une influence disproportionnée sur la politique américaine de
l'époque (Mumme et Little 2010, 256). L'État voulait garder le
contrôle sur tout organisme international, telle que la Commission, qui
aurait une quelconque influence sur la gestion des eaux frontalières
pour valoriser ses propres intérêts hydriques et les
préserver (Mumme et Little 2010, 256). Il est également possible
de penser que la croissance démographique dont il a déjà
été question, notamment au Texas, a influencé
l'État à demander une importante quantité d'eau du Rio
Grande pour son agriculture et sa population.
C'est aussi pour cette raison que, lors de la
sécheresse de 1943, les agriculteurs mexicains se sont tournés
vers l'Imperial Irrigation District californien. Ce district d'irrigation avait
accepté de procurer de l'eau aux agriculteurs à des prix
exorbitants puisqu'elle disposait de la partie supérieure du Colorado et
qu'elle contrôlait les barrages dans la zone, entre autres (Fradkin 1996,
300). Ainsi, on peut constater l'implication d'entités régionales
dans la mise en oeuvre de décisions hydriques.
De plus, les États-Unis pensaient surtout que la
quantité d'eau reçue devait être proportionnelle à
l'utilisation alors en cours et aux besoins supposés en eau des deux
parties. Cependant, étant donné que les dirigeants texans
étaient membres de la coalition politique soutenant le traité
à venir, il était très probable que les agriculteurs
texans demandent plus d'eau que le Mexique. Ils ont présenté les
besoins en eau de l'agriculture étatsunienne de sorte à recevoir
davantage d'eau que la quantité qu'ils auraient pu recevoir sans le
traité. En effet, comme le mentionne Kristen J. Anderson dans son
article « A History and Interpretation of the Water Treaty of
1944 », les États-Unis tireraient beaucoup plus de
bénéfices dans le traité final que ne le ferait le
Mexique. Avant toute chose, il est important de rappeler que les
États-Unis possédaient le cours supérieur du fleuve
Colorado, ce qui leur donnait encore plus de poids. De plus, les
États-Unis disposaient de beaucoup plus de ressources, que ce soit sur
le plan technologique ou financier, qui leur permettaient de mener des
recherches dans la région. Cela leur a permis, d'ailleurs, d'adapter le
traité potentiel à leurs besoins. Ils ont beaucoup investi dans
le contrôle du stockage et ont supposé que cela leur donnait plus
de légitimité pour utiliser davantage d'eau que le Mexique.
Finalement, un avantage reconnu pour le Mexique était de posséder
une grande partie des affluents du Rio Grande (Anderson 1972, 611) et donc une
grande part des eaux du fleuve. Le poids des États-Unis sur le Mexique
ne permettait cependant pas à ce dernier de négocier de
manière significative la quantité ou la qualité d'eau
qu'il pouvait recevoir chaque année. La sécheresse à
laquelle le Mexique avait été confronté l'année
précédente et dont il ressentait encore les effets, avec l'aide
apportée par l'IDD, ainsi que le poids du Texas, n'a pas permis au
Mexique de peser considérablement sur les termes du Traité.
En résumé, il est possible de penser que le
Mexique n'avait d'autre choix que d'accepter le Traité qui devait, en
principe, l'aider à mieux gérer son eau et à mettre fin
aux importants problèmes hydriques. Pourtant, cette situation ne pouvait
pas conduire à un accord égal entre deux nations aux
capacités et aux pouvoirs très différents. De plus,
l'aspect environnemental n'était pas pris en considération.
|