1.4. Autochtone
Ce terme qui se compose de « autos : soi-même
» et « khtôn : la terre » peut être
perçu selon deux approches anthropologique et sociologique.
Dans la dimension anthropologique, les auteurs mettent
l'emphase sur la morphologie du groupe autochtone, non perçue comme un
isolât mais dans sa structure compacte nourrie à la sève de
l'unité et la complémentarité des membres qui le
composent.
Est donc considéré comme autochtone, le «
groupe, communauté d'une région ou un pays donné et
dont tout indique qu'il (elle) n'est pas venu(e) d'ailleurs »
UNESCO
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(2002). Autrement, les autochtones seraient des groupes
sociaux fortement soudés, dont les membres éprouvent un sentiment
d'unité et de solidarité. Ces liens unifieraient les membres du
groupe, c'est-à-dire des individus qui ont vécu et qui vivent
ensemble depuis une durée relativement longue dans une région
donnée.
Dans cette même perspective, Barth (1969) a
développé la notion de groupe ethnique dominant. Il a
considéré les groupes ethniques dominants non comme des groupes
isolés, mais comme des formes d'organisation sociale résultant de
l'interaction du groupe et de son environnement.
Pour lui, se prétendre autochtone nécessite,
mobiliser dans une certaine structure, des ressources (langue, territoire,
religion, mémoire, histoire) et rendre « saillants »
et certains traits culturels ; ce qui permettrait de s'identifier au groupe
ethnique.
Outre cet auteur, Lespinay (2016) affirme que les autochtones
sont des peuples distincts des autres par leurs patrimoines particuliers, leur
langue, leurs habitudes culturelles et leurs croyances spirituelles. Ainsi, il
nomme autochtone, « le membre d'une population installée sur un
territoire donné avant tous les autres, qui a établi des
relations particulières, anciennes et toujours actuelles avec ce
territoire et son environnement, et qui a des coutumes et une culture qui lui
sont propres ». En d'autres termes, il s'agit d'un acteur social qui
se caractérise par un pouvoir dominant et qui prend ses origines dans
l'histoire d'une localité spécifique.
Cette conception anthropologique a certes le mérite de
nous renseigner sur la texture du concept d'autochtonie en ce sens qu'il
renferme une structure compacte alimentée à la sève de la
complémentarité, des liens historiques et l'unité.
Toutefois, cette dimension semble rejeter le caractère relationnel que
les autochtones établissent avec la terre ; ce qui, selon Giddens (1990)
« intensifie les relations sociales ».
Cette approche nouvelle dite sociologique prend à la
fois en compte la dimension anthropologique, c'est-à-dire le groupe dans
son ensemble avant de mettre l'accent d'une part sur le caractère
relationnel des situations dans lesquelles les groupes se trouvent en
interaction et d'autre part sur la relation que ces groupes entretiennent avec
la terre.
Ainsi, Morin (2006) entend par « peuples autochtones
», des peuples ayant des liens spécifiques avec la terre. Elle
affirme de ce fait que « par communautés, populations et
nations autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une
continuité historique avec les sociétés antérieures
à l'invasion et avec les sociétés précoloniales qui
se
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sont développées sur leurs territoires, se
jugent distinctes des autres éléments des sociétés
qui dominent à présent sur leurs territoires ou font parties de
ces territoires. Ce sont aujourd'hui des éléments non dominants
de la société qui sont déterminées à
conserver, développer et transmettre aux générations
futures le territoires de leurs ancêtres et leur identité ethnique
qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que
peuple, conformément à leurs propres modèles culturels,
à leurs institutions sociales et à leurs systèmes
juridiques ».
Dans cette optique, bien qu'évoquant l'évolution
et la continuité historiques des autochtones, Martinez (1987) insiste
sur le fait que les autochtones sont caractérisés par la
transmission générationnelle des valeurs et des biens. Il affirme
que les autochtones sont « des peuples et nations qui
présentent une continuité historique avec les
sociétés précédent la conquête et la
colonisation de leurs territoires, qui se considèrent comme distincts
des autres secteurs de la société dominant aujourd'hui ces
territoires ou qui en sont partie. Ils constituent aujourd'hui, des secteurs
non dominants de la société et sont déterminés
à préserver, développer et transmettre aux
générations futures leurs territoires ancestraux et leur
identité ethnique, sur la base de leur existence continue en tant que
peuple, en accord avec leurs propres systèmes culturels, leurs
systèmes légaux et leurs institutions sociales ».
Avec Renahy (2010), ce concept s'appréhende en termes
de relations symboliques locales. Il affirme qu' «
elle est l'ensemble des ressources que procure l'appartenance
à des réseaux de relations localisées. Il s'agit de nommer
les ressources symboliques en ce sens qu'elles ne tiennent ni d'un capital
économique, ni d'un capital culturel mais d'une notoriété
acquise et entretenue sur un espace singulier ».
Bourdieu (1980), bien que mettant l'accent sur le fondement
relationnel de ce concept, va plus loin pour montrer la nécessité
d'être reconnu par les siens comme appartenant au groupe. Ce concept
transcende donc le cadre de relations localisées pour déboucher
sur une appartenance mutuellement reconnue par les autres membres du groupe.
Ainsi, il affirme que le concept suppose « l'ensemble des ressources
actuelles ou potentialités qui sont liées à la possession
d'un réseau durable de relations plus ou moins
institutionnalisées d'interconnaissance ou d'inter-reconnaissance ou en
d'autres termes, à l'appartenance à un groupe, comme l'ensemble
des agents qui ne sont pas seulement dotés de propriétés
communes
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(susceptibles d'être perçues par
l'observateur, par les autres ou par eux-mêmes) mais sont unis par des
liaisons permanentes et utiles.
Dans ce travail, nous souhaiterions appréhender ce
concept dans une dimension à l'aboutage des approches anthropologique et
sociologique ; celle-ci prendrait en compte à la fois la structure
compacte du groupe fortement soudé, les relations historiques entre les
individus eux-mêmes et la terre et la reconnaissance des uns par les
autres membres, comme appartenant au groupe.
Nous proposerons donc la définition suivante : un
peuple ou un groupe est dit autochtone si sa présence dans un lieu
déterminé est avérée depuis une période
relativement longue, si ce peuple présente une continuité
historique et s'il y a une inter-reconnaissante ou une reconnaissance mutuelle
des membres comme appartenant au groupe.
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