2. Présentation des différentes
procédures de gestion
2.1. Procédure coutumière 2.1.1.
Fondement ancestral
La procédure de gestion des conflits fonciers à
Sinfra se fonde, selon un chef traditionnel (entretiens effectués de
Janvier 2015 à Mai 2016 dans la tribu Vinan) « sur des rites et
rituels sacrés que nous effectuons depuis des générations.
Ces rituels et libations que nous établissons sur la terre, servent de
ciment à nos communautés, conformément aux sens
d'associer, relier et se recueillir. Pour nous, il faut associer les
ancêtres dans nos activités, notre quotidien, notre vie car nous
estimons qu'ils nous voient, sont attentifs à nos besoins et prennent
soin de nous. Donc, nous les appelons quand on manque de pluie, en cas
d'épidémie, d'initiation des adolescents au masque Djê,
d'intronisation d'un chef et pour régler les palabres de terre
».
Partant de ces propos, il apparait que la population
sédentaire rurale de Sinfra accorde une place
prépondérante aux rituels et libations en vue d'ingérer
les ancêtres dans la gestion des questions villageoises en
général et des questions foncières en particulier. Dans
cette mesure, les ancêtres se voient attribuer des rôles d'acteurs
de gestion au sommet de la hiérarchie pyramidale. Ils transcendent le
cadre de la passivité pour se présenter comme de
véritables acteurs actifs de la gestion, une sorte de juridiction
coutumière suprême (les points suivants donneront les
détails de leur intervention).
2.1.2. Procédure de gestion
La procédure de gestion des conflits fonciers à
Sinfra varie selon le type de conflit en présence : conflits
intrafamiliaux (1), conflits interfamiliaux et intercommunautaires (2) et
conflits agriculteurs et transhumants (3).
2.1.2.1. Procédure de gestion des conflits
intrafamiliaux
Dans le contexte intrafamilial, deux cas de figures se
présentent. Les belligérants peuvent solliciter l'aide d'un oncle
pour la gestion du différend (1) ou s'en remettre au tribunal coutumier
(2).
174
2.1.2.1.1. Procédure de gestion par
l'oncle
2.1.2.1.1.1. Plainte
La plainte se fait selon Z. (35 ans, planteur de djamandji)
« par appel ou sollicitation d'un oncle proche qui a connaissance de
l'histoire de la famille, qui a eu des liens étroits avec le père
donateur avant sa mort et qui a toujours eu une attitude paternaliste envers
les descendants de son défunt frère ». De ces propos,
il ressort que la plainte concernant la gestion d'un conflit intrafamilial est
déposé chez un oncle assez proche du défunt père et
qui a suivi avec attention le processus d'attribution des terres à ces
descendants.
Après réception verbale de la plainte par
téléphone ou par un vaguemestre, l'oncle après
consultation de son emploi du temps professionnel et/ou familial, propose une
date à ses « fils » pour une séance
d'écoute et ci-possible de règlement.
Dans la plupart des cas observés,
l'enquêté L. affirme que la convention sur la date de la
séance familiale d'écoute « dure environ cinq jours
à une semaine pour deux ».
Après avoir fixé collégialement cette
date, les « fils », par le biais de l'héritier
désigné, reçoivent instruction de créer un cadre de
paix avant la date convenue.
2.1.2.1.1.2. Séance d'écoute et tentative
de règlement
« L'oncle peut venir seul ou appeler des ainés
et frères pour l'aider à résoudre la question ».
Ces propos recueillis auprès de l'enquêté K. (planteur
à progouri, entretien de Novembre 2016) montrent que l'oncle a le choix
en matière de gestion de la gestion. Il peut venir seul s'il estime
être en mesure de la régler la question ou solliciter l'aide de
frères s'il note d'autres implications traditionnelles ou sent la
nécessité d'associer toute la famille afin d'éviter un
conflit qui peut désagréger le tissu familial.
A une séance ouverte qui voit participer tous les
membres de la famille, le conseil familial se réunit pour écouter
les belligérants, les femmes, enfants et autres frères. Ainsi,
après avoir écouté les acteurs du conflit familial,
l'oncle ou le conseil familial donne la parole aux autres membres de la famille
pour leur part de vérité concernant la situation qui
prévaut à la maison.
Après avoir écouté les différents
intervenants, l'oncle ou le conseil de famille essaie de situer les choses
concernant l'ordre hiérarchique et hégémonique des choses
dans
175
la tradition gouro, les confidences du défunt
père et les souhaits en son absence avant de décider d'une
solution qui privilégie l'intérêt de la famille et qui
préserve l'unité des membres du groupe.
Une ou deux personnes sont désignées dans le
groupe pour veiller ou suivre l'application de la décision et faire des
rapports verbaux (appels téléphoniques, déplacements et
explication de l'évolution des choses à ou aux oncles).
Il est également à noter que dans la tradition
gouro, l'oncle est considéré comme ayant les mêmes droits
que le père géniteur et ses décisions ne font et ne
doivent aucunement faire l'objet de contestation par les fils.
Dans le second cas, les membres de la famille rejettent cette
esquisse familiale et sollicitent directement le tribunal coutumier.
2.1.2.1.2. Procédure de gestion par le tribunal
coutumier
Dans le cadre familial, la gestion des conflits de terre se
structure exclusivement autour de la plainte (1), de la séance
d'écoute et de la décision du tribunal sur la base des
interventions d'oncles (2).
2.1.2.1.2.1 Plainte
Le dépôt de la plainte ou « tôla
tchi » se fait à deux mille (2.000) francs CFA en vue de
permettre l'enregistrement de sa déposition parmi les questions à
résoudre. Le tribunal coutumier programme une séance
d'écoute et l'urgence de la question est évaluée selon
deux thématiques bien précises : ordre des questions à
résoudre et leur importance sociale.
2.1.2.1.3 Séance d'écoute et association
des oncles pour la gestion
Selon I. (déscolarisé à Blontifla,
entretien de Juin, 2016) « quand il y a un problème de terre au
sein d'une même famille, la question est sensible puisque les individus
habitent la même maison et si le jugement n'est pas bon, ils peuvent se
faire mal à la maison ». Il apparait donc que vu la
sensibilité et la délicatesse des conflits fonciers
intrafamiliaux, les chefs coutumiers dressent une oreille attentive à
cette séance d'écoute et font intervenir succinctement
accusateur, accusé, sachants de la famille et oncles pour avoir de
nombreux outils pouvant permettre de comprendre et d'élucider
176
la question tout en évitant les prises de position
figées susceptibles de provoquer des regains de violences
intrafamiliales.
Dans cette dynamique, l'intervention des oncles est cruciale
dans l'issue à trouver au conflit : ils sont comme des pères au
sens strict du terme et doivent peser les mots tout en insistant et plaidant
pour le maintien des liens fraternels et la grandeur d'esprit face à ce
genre de problème.
Après avoir écouté les protagonistes, les
observateurs directs et indirects, les chefs coutumiers donnent un verdict
amiable pour à la fois réunir, consolider les liens familiaux et
préserver l'unité du groupe catalyseur de la paix familiale.
2.1.2.2. Procédure de gestion des conflits
interfamiliaux, intercommunautaires
La procédure de gestion des conflits fonciers
interfamiliaux et intercommunautaires par les différents tribunaux
coutumiers de Sinfra répond selon 90% des chefs traditionnels
(interviews réalisées de Février 2015 à Avril
2015), à un processus linéaire qui part de la plainte (1), au
verdict (5) en passant succinctement par la convocation des parties (2), le
déplacement sur l'espace (3) et la séance de jurement (4).
2.1.2.2.1. Plainte
Dans les contrées rurales de Sinfra, le chef T. (61
ans, retraité à Djamandji) affirme que « processus de
gestion des conflits fonciers part de la déposition d'une plainte de
l'une ou l'autre partie des belligérants ».
Cette déposition « tôla tchi »
consiste en la saisine des autorités traditionnelles par un acteur
rural se disant propriétaire d'une portion de terre litigieuse. A cet
effet, l'accusation ou l'accusateur s'acquitte d'une somme de deux mille
(2.000) francs CFA en vue de permettre l'enregistrement de sa déposition
parmi les questions à résoudre. Dès lors, l'information de
la déposition est portée à la connaissance de
l'accusé par le biais du griot, pour lui permettre à la fois de
verser également la somme de deux mille (2.000) francs CFA dont le
délai d'exécution n'excède pas trois jours et de
s'apprêter pour la première séance d'écoute et
ci-possible, de règlement.
Après acquittement de ce montant par les deux parties,
la chefferie procède à l'information de l'ensemble de la
communauté villageoise par le canal de ce même
177
griot qui, avec une cloche artisanale et un bâtonnet
métallique, sillonne les grandes artères du village pour informer
les administrés, à voix audible.
Cette séance d'information permet à tous les
sachants de la répartition foncière ancestrale et de ce litige
foncier spécifique, de se prononcer lors de la prochaine convocation des
parties.
Selon le même chef T. (61 ans, retraité à
Djamandji) « Une à deux semaines après la
déposition de la plainte, la chefferie convoque les parties ainsi que
tous les sachants, à une séance d'écoute qui se tient
régulièrement les mercredis ».
2.1.2.2.2 Convocation des parties
A cette première étape de la gestion
coutumière des litiges fonciers, le tribunal traditionnel, après
avoir informé l'ensemble de la communauté villageoise de la tenue
d'une première séance d'écoute, fait comparaître les
deux parties, dans une séance publique sous les arbres prévus
à cet effet (arbres à palabre).
Lors de cette séance, la chefferie écoute
successivement l'accusateur, l'accusé, les sachants avant d'en venir aux
témoins. A ce niveau, le tribunal intente une transaction amiable pour
estomper le cours de la procédure. Mais si l'une ou l'autre des parties
refuse, la procédure suit son cours normal et la séance est
ajournée à une semaine avant le déplacement du bureau de
la chefferie, des protagonistes, le comité de gestion foncière,
des sachants, parents, amis sur l'espace faisant l'objet du conflit.
2.1.2.2.3. Déplacement sur l'espace
conflictuel
Pour le chef de Tricata (chef S., 69 ans) « le
déplacement de la chefferie, des protagonistes et des sachant sur la
terre qui fait l'objet de litige, est une phase délicate et purement
mystique où les ancêtres agissent sévèrement envers
celui qui a tort. Les protagonistes reprennent les explications en illustrant
leurs propos par soit les activités champêtres menées dans
le champ, soit tout ce qu'il faut pour attester leurs propos. Ils se munissent
donc de nid d'écureuil, d'un coq blanc ou rouge chacun et de 10 litres
de vin de palme».
Cette phase apparait assez délicate car elle ouvre la
voie à une implication des ancêtres et semble ne pas
épargner le protagoniste qui, à tort, s'approprie l'espace
d'autres ruraux.
178
La charge financière du déplacement de ce
comité de gestion revient aux belligérants qui se munissent
à la fois de tout le nécessaire pour la séance de
jurement. Concrètement, il s'agira pour chacun des protagonistes, avant
cette première expédition sur la terre conflictuelle, de
débourser la somme de cinq mille (5.000) francs en plus de pot de dix
(10) litres de vin de palme, d'un coq blanc ou rouge et d'un nid
d'écureuil. Puis, le comité en séance
plénière donne encore la possibilité aux deux parties de
désister puisque cette prochaine étape se soldera
inéluctablement par la mort d'une des parties.
Cette phase réflexive s'étend sur une ou
plusieurs semaines ; période pendant laquelle, les formules occultes
d'interruption de la procédure par une partie, en raison de la
conscience de leurs erreurs d'appropriation foncière par maraudage, sont
tolérées par la chefferie. Ainsi, le bureau de la chefferie se
charge de la restitution de l'espace au véritable propriétaire ;
et ce, de façon sournoise pour éviter les effets ignominieux chez
le repenti-actif, puisqu'il pourrait s'agir d'un acteur villageois dont la
réputation ne doit être salie ou d'un père de famille.
Toutefois, en cas d'insistance des deux parties à aller
à la séance de jurement, la chefferie traditionnelle,
après des semaines d'attente, convoque uniquement protagonistes et
témoins ainsi que son comité de gestion pour se rendre
secrètement sur l'espace conflictuel en vue de passer à la
séance de jurement.
2.1.2.2.4. Séance de jurement
C'est une séance tenue à huis clos entre le
bureau de la chefferie, les belligérants et un témoin de chaque
protagoniste.
A ce niveau, le plaignant est le premier à prendre la
parole et à marcher le long de la limite de son champ, suivi de son
témoin. Mon monologue doit exclusivement se circonscrire sur
l'indication des limites de son champ et l'invocation de ses ancêtres qui
lui ont légué cette portion de terre.
Ainsi, suivi de son témoin, il marche le long de sa
propriété foncière, tout en indiquant les
termitières, bas-fonds, palmiers à huile ou fromagers qui bordent
cette propriété et simultanément, celui-ci invoque ses
ancêtres en vue de les associer à la gestion de la question.
Pendant qu'il marche le long sa portion de terre, le plaignant
se fait frotter le dos avec le nid d'écureuil préparé
à cet effet, par son témoin.
179
Pour le chef T. (61 ans, retraité à Djamandji)
« l'accusateur puis l'accusé doivent chacun à son tour,
faire le tour de leurs propriétés respectives; peu importe qu'il
s'agisse d'1, 2 ou 100 hectares ».
Ensuite, la chefferie fait intervenir l'accusé qui suit
la même procédure en invoquant lui aussi, ses ancêtres
donateurs.
Après cette phase, les coqs sont tués sur le
champ, le sang est relativement éparpillé sur l'espace
conflictuel. Puis à la hâte, on coupe du bois de chauffe pour y
mettre du feu, les coqs sont préparés, consommés par tout
le collège des participants à la séance, puis les os sont
distillés sur l'espace en question avant de revenir au village. De
retour au village, la chefferie ajourne la séance à une, deux
voire trois (1, 2 voire 3) semaines afin de donner le temps aux ancêtres
d'agir et de punir celui qui a tort.
2.1.2.2.5. Verdict ancestral
C'est la phase terminale de cette procédure lanternante
qui s'étend fréquemment sur deux ou trois (2 ou 3) mois. Au bout
d'un intervalle d'une à trois semaines, l'un des protagonistes trouve la
mort de façon mystérieuse et le sang s'écoule de son nez
comme marque du passage des ancêtres.
Après la mort de l'un des acteurs en conflit, la
chefferie en séance publique, autorise au « survivant »
de récupérer sa portion de terre, parce qu'il a
été jugé véritable propriétaire selon les
ancêtres.
Toutefois, il est à préciser selon ce collectif
des chefs traditionnels de « Sian » (entretien de Mai, 2016)
que « cette phase de jurement, jusque-là n'a encore jamais
laissé impuni celui qui a tort lors d'un différend foncier. C'est
pourquoi, avant d'y arriver, nous prévenons les parties du danger de
cette étape et les encourageons à arrêter la
procédure ».
2.1.2.3. Procédure de gestion des conflits entre
agriculteurs et transhumants 2.1.2.3.1. Plainte
« Elle se fait comme toutes les autres plaintes avec
une somme de 2000 f et une date pour régler le problème. Mais
c'est souvent difficile puisque c'est difficile de savoir si ce sont les boeufs
de tel ou tel transhumant ». En d'autres termes, la procédure
concernant la plainte reste intacte : dépôt de la plainte contre
paiement d'une somme
180
de deux mille francs (2000f), mais celle de la
détermination des boeufs destructeurs et de leur propriétaire
parait plus problématique.
Dans ce cas d'espèce, en l'absence de preuves formelles
prouvant l'implication directe des boeufs d'un transhumant dans la destruction
ou le saccage de plantations, il reste difficile d'établir la
responsabilité et par ricochet, d'engager une procédure de
dédommagement.
Dans la plupart des cas, S. (cultivateur à
Sanégourifla, Novembre 2016) affirme « Tu es au village le soir
et matin, quand tu vas au champ, tu trouves ton champ dévasté
avec des boeufs à l'intérieur. Donc ce sont eux ». De
ces propos, il revient qu'il est difficile de déterminer les boeufs
dévastateurs vu que les planteurs dès dix-huit (18) heures du
soir, sont à la maison et le constat se fait le matin avec un intervalle
de temps assez considérable pour permettre à n'importe quel
transhumant de promener ses boeufs, dévaster la plantation et
s'éclipser.
Ainsi, à défaut de prendre des positions
partiales, les plaignants planteurs sont sommés dans bien des cas par le
tribunal traditionnel, de prouver le lien entre les boeufs trouvés sur
place et le saccage des plantations.
2.1.2.3.2 Transaction amiable et
indemnisation
A cette étape, le tribunal intente une transaction
amiable sur la base des preuves traduisant l'intention criminelle du
transhumant et sa responsabilité directe dans le saccage de
plantations.
Ce type de transaction n'aboutit que par l'acceptation des
deux parties sur les clauses de la transaction ; ce qui n'est pas le cas dans
la plupart des situations observées sur le terrain.
Le cas de figure ci-contre exprime mieux cette
complexité à trouver une solution amiable lorsqu'il s'agit des
conflits entre agriculteurs et transhumants.
Un enquêté (K., 46 ans, planteur à
Kouêtinfla, entretiens d'Août 2015) nous racontait que trois mois
avant notre arrivée sur le terrain d'étude, la gestion d'un
conflit foncier avait provoqué des murmures au sein de la
communauté villageoise. Il s'agit d'un conflit qui a opposé G.,
une autochtone du village Kouêtinfla à K., un jeune
transhumant.
En effet, G. qui était partie effectuer des travaux
dans son champ de maïs, constata que son champ avait été
dévasté par des boeufs. Ainsi, dans la recherche
d'éventuels
181
coupables, retrouva le transhumant K., suivi de son troupeau
aux abords de son champ. Elle prit donc sa machette puis blessa une bête
avant de rentrer au village pour entamer une procédure d'indemnisation.
La chefferie traditionnelle gouro, dans la gestion du conflit, donna raison
à G. et exigea une indemnisation immédiate en tenant compte des
dimensions du champ de maïs et de sa valeur pécuniaire. Une
décision qui a été fortement contestée par la
communauté allochtone qui l'a trouvée purement affinitaire, avant
de remonter à l'échelle administrative.
A ce niveau, la plaignante du village devenue l'accusée
de cette nouvelle procédure et le plaignant se retrouvèrent face
à un juge qui avait des antécédents fonciers avec certains
autochtones de la localité. De ce fait, la décision rendue de
cette juridiction fut qu'au lieu de prétendre vouloir se faire
indemniser par le transhumant, ce serait plutôt G. qui devait dans un
bref délai, indemniser le transhumant K. pour la bête
blessée. Cette nouvelle décision a créé un choc
social au sein de la communauté gouro et attisé la stigmatisation
des allochtones (décideurs, transhumants et cultivateurs) de la
localité.
2.2. Procédure pénale de gestion 2.2.1.
Fondement normatif
La gestion du domaine foncier rural ivoirien s'appuyait
principalement sur un ensemble clivé de démarches qui cumulaient
pratiques coutumières, décrets et arrêtés de
l'époque coloniale. Dès lors, tandis que les détenteurs
coutumiers cédaient ou louaient des terres aux migrants en dehors de
tout contexte légal, l'administration s'efforçait
d'établir des bases textuelles de ces transactions.
Relativement, de nombreux textes ont été
élaborés et ceux-ci se sont vus amendés au fil des
années jusqu'à déboucher sur la loi foncière
actuelle (loi n°98-750 du 23 Décembre 1998).
Quelles sont ces normes qui ont permis de règlementer
le foncier national avant et après l'indépendance ivoirienne ?
2.2.1.1. Mesures en vigueur avant l'indépendance
2.2.1.1.1. Décret du 25 Novembre 1930
Ce décret règlemente l'exploitation pour cause
d'utilité et l'occupation temporaire des espaces en Afrique occidentale
française promulguée par arrêté 2980 AP du 19
182
Décembre 1930. Ce texte prévoit que les
indigènes s'approprient les terres à des fins exclusivement
d'exploitation agricole. En ce sens, les terres ne pouvaient être
consolidées pour une exploitation future, elles devaient être
mises à profit dans l'immédiat et dans l'intérêt
public.
Aussi, ce décret fixe-t-il les conditions
d'expropriation des indigènes pour cause de non-exploitation des espaces
consolidés. En son article 1, il dispose « l'exploitation pour
cause de nullité publique, s'opère en Afrique occidentale
française par l'autorité de justice. En d'autres termes,
l'exploitation à des fins personnelles constatées par
l'autorité de justice, entrainait inéluctablement l'expropriation
de l'indigène.
Par ailleurs, ce texte mentionne que les tribunaux ne peuvent
prononcer l'exploitation qu'autant que l'utilité publique en a
déclaré et constaté dans les formes prescrites. Toutefois,
les terres formant la propriété collective des indigènes
ou que les chefs indigènes détiennent comme représentants
des collectivités indigènes conformément aux règles
de droit coutumier local, restent soumises aux dispositions de la
règlementation domaniale qui les concerne.
Les conditions d'expropriation des indigènes pour cause
de travaux publics se trouvent précisées aux termes de l'article
3 de ce décret qui dispose que «le droit d'expropriation
résulte :
- De l'acte qui autorise les opérations telles que
la construction des routes, chemins de fer ou ponts, travaux urbains, travaux
militaires,...
- De l'action qui autorise les travaux ou
opérations par une loi, un décret ou un arrêté du
gouverneur général en conseil de gouvernement.».
Concernant les formalités et modalités
d'indemnisation des personnes expropriées, ce décret
prévoit que les propriétaires intéressés (chefs des
travaux) disposent d'un délai de 2 mois à dater des publications
et notifications pour faire connaître les personnes concernées
(fermiers, locataires ou détenteurs de droits réels) faute de
quoi, ils resteraient seuls chargés envers ces derniers, des
indemnités que ceux-ci pourraient réclamer.
2.2.1.1.2. Arrêté n°83 du 31 Janvier
1938
Cet arrêté règlemente l'aliénation
des terrains domaniaux en Côte d'Ivoire ; autrement la mise à
disposition des terrains domaniaux à des fins d'utilisation
industrielles ou de travaux publics. Il désigne sous le vocable de
« concessions rurales », les terrains
183
situés en dehors des centres urbains et
réservés ou utilisés en principe pour des entreprises
agricoles et industrielles.
Relativement, les investisseurs bénéficient de
certains avantages liés à la mise en valeur des espaces, dont le
principal reste prescrit en l'article 2 du présent arrêté
« les terrains ruraux sont attribués à titre
onéreux à des clauses et à des conditions spéciales
qui sont insérées dans un cahier de charges annexé par
l'activité d'octroi ».
Aussi, la libre concurrence de structures
spécialisées dans les travaux publics et industriels
était-elle autorisée par l'administration coloniale qui
évaluait les
propositions faites dans un délai de 2 mois. Cette mise
en adjudication se présentait comme une forme d'évaluation de
propositions lorsque l'administration se trouvait saisie par deux ou plusieurs
demandes concurrentes.
L'article 3 fixe la stratification procédurale pour
l'obtention d'une concession provisoire, qui prend en compte les acteurs
administratifs et la souscription à certaines
modalités administratives. Il dispose que «
quiconque veut obtenir une concession provisoire d'un terrain doit, par
l'intermédiaire et sous-couvert de l'administration du cercle, adresser
au lieutenant-gouverneur une demande timbrée énonçant nom,
prénoms, qualités, régime matrimoniale et
nationalité,... ».
2.2.1.2. Mesures en vigueur après
l'indépendance
Au lendemain de l'indépendance, la Côte d'Ivoire
amorce un développement grâce à la mise en valeur des
espaces ruraux (développement des cultures d'exportations et d'essences
forestières) provoquant des vagues de migrations internes et externes
vers les terres nationales en général et forestières en
particulier.
Dès lors, il s'est avéré nécessaire
de repenser la question foncière dans la perspective d'adapter ces
textes aux réalités démographiques nouvelles de ce pays.
De nombreux décrets et arrêtés y ont été
élaborés dans le cadre du domaine foncier.
? Arrêté n°673 MFAEP-CAB du 20 Avril
1962 portant création du service
du cadastre ivoirien (J.O du 10-05-1962 p516)
? Rapport du 29 Mars 1962 sur le projet de loi
portant code domanial (J.O du 13-06-1962).
? Loi n°71-338 du 12 Juillet 1971 relative
à l'exploitation rationnelle des terrains détenus en pleine
propriété.
184
? Loi 71-338 du 12 Juillet 1971 relative
à l'exploitation des terrains ruraux
pour insuffisance de mise en valeur (J.O du 5-08-1971).
? Décret de 1971 sur les procédures
domaniales : reconnaissance limitée des droits
coutumiers.
? Loi de 1984 rendant l'enregistrement
obligatoire pour les baux conduisant à l'appropriation des terres.
? Loi n°98-750 du 23 Décembre 1998
portant organisation et règlementation du foncier rural.
Dans un souci de concision, nous ne proposerons que le texte
de 1971 (1) et la loi de 1998 (2) en raison de leur correspondance aux
réalités socio-rurales actuelles.
2.2.1.2.1. Loi n°71-338 de Juillet 1971
Cette loi dispose en son article 1 que « tout
propriétaire des terrains ruraux est tenu de mettre en culture et de
maintenir en bon état, la production, l'intégrité des
terres qu'il exploite ». Autrement, cette loi s'apparente à
une forme d'incitation des ruraux au développement des activités
agricoles émergentes (cultures de rentes).
Cette mise en valeur s'appliquait à l'exploitation des
produits agricoles, à l'élevage et à l'usage industriel.
Les terrains ruraux acquis en pleine propriété à quelque
titre que ce soit et dont la mise en valeur n'a pas été
assurée par les conditions fixées, peuvent faire l'objet d'un
retour en totalité ou en partie du domaine de l'Etat en vue de leur
utilisation à des fins économiques et sociales.
Aussi, cette loi précise-t-elle que le défaut de
mise en culture, de tout entretien et de toute production qu'il s'agisse des
cultures ou des produits de l'élevage, sur une période de 10 ans
sur les terres consolidées, entraine une appropriation des terres par
l'Etat.
2.2.1.2.2. Loi n°98-750 du 23 Décembre 1998
et la procédure de délivrance du certificat
foncier
2.2.1.2.3. Loi n°98-750 du 23 Décembre
1998
Cette loi constitue l'instrument juridique à partir
duquel les droits fonciers coutumiers peuvent être transformés en
droit de propriété. Elle se caractérise par trois
innovations majeures : l'encouragement des ruraux à mettre en valeur les
terres (art
185
18), la résolution conjointe des questions liées
aux expropriations répétées de certaines populations (art
4) et l'identité foncière des allogènes
sédentarisés (art 26). En ce qui concerne la mise en valeur des
terres et gestion du domaine foncier rural, cette loi prévoit en son
article 18 que « la mise en valeur d'une terre du domaine foncier
rural résulte de la réalisation soit d'une opération de
développement agricole, soit de toute opération
réalisée en préservant l'environnement et
conformément à la législation et la règlementation
en vigueur ».
Relativement aux expropriations de certaines personnes, cette
loi dispose que les acteurs sociaux et ruraux, dans le but d'attester leur
droit de propriété sur les espaces fonciers, se fassent
établir un certificat foncier aux termes de l'article 4 de ladite loi.
Lequel certificat foncier s'apparente à l'acte par lequel
l'administration constate l'occupation paisible et continue d'une terre du
domaine foncier rural par une personne ou groupement informel d'ayants droits
se disant détenteurs des droits coutumiers.
Concernant l'identité socio-foncière
accordée aux allogènes sédentarisés, cette loi
prévoit en son article 26 que ces acteurs ayant consolidés des
espaces fonciers à travers des contrats avec des propriétaires
terriens nationaux, soient reconnus propriétaires de ces espaces qu'ils
exploitent.
Concernant la procédure de délivrance du
certificat foncier, elle reste soumise selon termes des dispositions du
décret n° 99-594 du 13 Octobre 1999 fixant les modalités
d'application au domaine foncier rural coutumier de la loi n°98-750 du 23
Décembre 1998, à une série stratifiée de dix-neuf
étapes. Ces étapes se résument grosso-modo
à la rédaction de la demande, au dépôt de cette
demande, à l'ouverture du dossier d'enquête, au layonnage du
périmètre à délimiter, à la
désignation du commissaire-enquêteur, au règlement des
frais d'enquête, à l'ouverture de l'enquête foncière,
à la constitution de l'équipe d'enquête officielle, au
recensement des droits coutumiers, au constat des limites de la parcelle,
à l'établissement du plan de délimitation, au
contrôle du dossier de délimitation, à l'annonce de la
publicité d'enquête, à la séance publique de
présentation, à la clôture de la publicité des
résultats d'enquête, au constat d'existence des droits de
propriété, à la validation du dossier d'enquête,
à la préparation et signature du certificat foncier, à
l'enregistrement-diffusion et enfin, à la publication du certificat
foncier.
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