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Thèse unique de doctorat criminologie.


par Jean Noel PacàƒÂ´me KANA
Université Félix Houphouet Boigny d'Abidjan - Doctorat en Criminologie 2019
  

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2.3. Mise en gage

Elle est définie par l'enquêté G. de Manoufla (cultivateur, 28 ans, entretien en Juin 2016) comme « un contrat par lequel un propriétaire remet sa terre à un créancier et lui donne le droit de garder et d'exploiter cette terre jusqu'au remboursement de sa dette ». En d'autres termes, la mise en gage est un mode de consolidation foncière qui accorde une jouissance totale au nouvel acquéreur durant la durée du contrat et ne prescrit aucune forme de reconnaissance ou de civilités du créancier à l'égard du propriétaire et vis-versa.

Toutefois, celui-ci reste tenu d'effectuer des cultures exclusivement vivrières sur la portion de terre en raison de l'incertitude de la date de remboursement. Dans certains cas peu fréquents, les conventions entre ces acteurs peuvent prescrire la conservation de l'espace par le créancier en cas de non-respect du chronogramme de remboursement arrêté par ces acteurs.

2.4. Métayage ou « zépa »

Cette pratique assez fréquente dans le Département de Sinfra, peut être perçue comme « un contrat entre un propriétaire terrien et un migrant, spécialisé dans les activités champêtres, qui consiste pour le propriétaire à céder une partie ou la totalité de son espace foncier à ce migrant qui, devra dans une période déterminée, valoriser l'espace de sorte à en faire un champ productif ; une sorte de planter-partager » (enquêté de la direction départementale de l'agriculture ; Avril, 2015) ;

123

Cette durée de mise en valeur qui régulièrement varie entre 5 et 8 ans, est rémunérée selon des conventions départementales, au 1/3 de l'espace cultivé pour le métayeur.

Toutefois, avec cette pression foncière observée depuis quelques temps à Sinfra, il n'est pas rare d'observer des conflits multiples entre ces nouveaux partenaires fonciers. De nombreuses causes y sont parfois évoquées :

- Non-respect de la période de production convenue dans le contrat.

- Décès du donateur et la tentative de redéfinition du contrat par les descendants.

- Nature du contrat qui pose la question de savoir si le métayage s'exerce seulement sur les cultures ou à la fois sur la portion de terre et les cultures.

- Maladies de cacaoyers telles que « le swoollen shoot » qui déciment la plantation de cacaoyers avant le partage (enquêtés de la direction départementale de l'agriculture et certains ruraux ; Avril, 2016).

De ce fait, l'on note de nombreuses divergences entre ces acteurs (nouveaux partenaires), qui se métamorphosent assez rapidement en violences physiques, avec une tendance mutuelle d'engloutissement ou de phagocytage de la résistance de l'adversaire par la mise en évidence du réseau social ou des liens socio-affinitaires avec les autorités locales.

Une enquête-interrogation effectuée auprès d'une sous-population de 123 individus de notre échantillon d'enquête (dans le souci de noter les modes d'accès fréquemment observés à Sinfra) a permis d'obtenir les résultats suivants :

124

Tableau 8 : Fréquence des modalités d'accès fonciers à Sinfra

Modes d'accès à la terre

Sous

Préfectures

Héritage et

autres donations

Prêt

 

Achat/Mise en gage

Métayage

Total

 

Sinfra

24

36%

9

13%

15

23%

19

28%

67

100%

Bazré

8

45%

4

22%

2

11%

4

22%

18

100%

Kononfla

11

48%

2

9%

2

9%

8

35%

23

100%

Kouêtinfla

10

67%

1

7%

1

7%

3

20%

15

100%

Total

49

40%

19

15%

20

16%

35

29%

123

100%

Source : Terrain

? Sur les 123 enquêtés du département de Sinfra, 49 personnes ont reçu leur bien foncier par héritage et autres donations, soit 40% de l'effectif total.

? 35 individus sur les 123, ont obtenu leur portion de terre par métayage, soit 29% de la population totale.

? 20 enquêtés sur 123 ont acheté leur potion de terre, ce qui correspond à 16% de la population totale.

? 19 personnes sur 123, ont obtenu leur propriété foncière par prêt, soit 15% de l'effectif total.

A l'analyse, l'héritage prédomine les modalités d'accès à la terre, ce qui est lié au fait que dans la coutume gouro, les terres ont été reparties selon les familles, les lignages et tribus par les ancêtres. Chaque village ou lignage était affecté sur des terres sectorielles de sorte à éviter les effets de dispersion des membres, de désordre ou de litiges entre autochtones eux-mêmes. C'est pourquoi dans le département de Sinfra, l'appellation d'un village donne implicitement des informations sur la situation

125

géographique et les limites des différentes portions de terre appartenant aux habitants de cette lignée autochtone.

A titre illustratif, nous pouvons mentionner que dans le village Digliblanfla, selon les distributions et redistributions des ancêtres, les autochtones disposent des forêts « plaplowouo », « voêagloudji », « valsigoêwi », « zablagoli », « goazi », « gloutaplô » que chaque autochtone est censé connaitre (noms, emplacements et limites) de sorte à mieux les transmettre des descendants aux descendants.

L'héritage est donc le moyen de transmission le plus utilisé par la population rurale. Les prêts, mises en gage et ventes que l'on observait depuis quelques temps à Sinfra, ont été progressivement substitués par le métayage qui semble être au confluent de ces deux types de transactions, en ce sens que pour nombre d'enquêtés, il profite autant au propriétaire terrien qu'au métayeur.

Cette pratique relativement nouvelle connait un grand succès dans le département de Sinfra vu que certains autochtones, même infirmes, physiquement affaiblis ou régulièrement absents, peuvent par ce biais, valoriser leur portion de terre sans toutefois s'investir eux-mêmes dans les activités champêtres.

La représentation graphique des différents modes d'acquisition des terres à Sinfra, pourrait donner la schématisation suivante.

126

Droit du premier autochtone occupant
et ses héritiers : propriétaires
originels : Droit perpétuel

Acquisition des terres en milieu rural
à Sinfra : propriétaires secondaires

Achat: occupation permanente
moyennant une contrepartie
financière ou matérielle

Métayage : Droit de mise
en valeur contre une
rémunération foncière

Prêt / Mise en gage : Droit
d'usage momentané sans
droit de propriété

Figure 2 : Modalités d'acquisition des terres à Sinfra

Source : Terrain

Dans la conception traditionnelle gouro, la terre appartient aux ancêtres (propriétaires originels). Elle est léguée (en héritage) exclusivement aux descendants. Sacrée, la terre dans la coutume kwênin permet l'affirmation de l'identité culturelle et sociale ; elle constitue le préalable pour contracter un mariage ou avoir la possibilité de s'exprimer dans les assemblées villageoises. Les générations se fidélisent à cette consigne ancestrale et la transmettent aux descendants. Cette pratique bien qu'ancrée dans les valeurs culturelles kwênins, s'effectuait sans aucune prévision migratoire future de certaines populations allogènes en quête d'espaces de cultures ou de refuge.

A partir de la seconde décennie après l'accession à l'indépendance ivoirienne, l'on va assister à des vagues croissantes de migrations des populations allogènes vers les

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terres nationales en général et des terres du sud-ouest (Sinfra) en particulier, usant de méthodes multiformes pour consolider des droits de propriété foncière à Sinfra : propositions financières (achat, vente), amicale (demande de prêt), protectionniste (métayage) et dépendantiste (tutorat). Ceux-ci constituent désormais des propriétaires secondaires.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote