2.3. Mise en gage
Elle est définie par l'enquêté G. de
Manoufla (cultivateur, 28 ans, entretien en Juin 2016) comme « un
contrat par lequel un propriétaire remet sa terre à un
créancier et lui donne le droit de garder et d'exploiter cette terre
jusqu'au remboursement de sa dette ». En d'autres termes, la mise en
gage est un mode de consolidation foncière qui accorde une jouissance
totale au nouvel acquéreur durant la durée du contrat et ne
prescrit aucune forme de reconnaissance ou de civilités du
créancier à l'égard du propriétaire et
vis-versa.
Toutefois, celui-ci reste tenu d'effectuer des cultures
exclusivement vivrières sur la portion de terre en raison de
l'incertitude de la date de remboursement. Dans certains cas peu
fréquents, les conventions entre ces acteurs peuvent prescrire la
conservation de l'espace par le créancier en cas de non-respect du
chronogramme de remboursement arrêté par ces acteurs.
2.4. Métayage ou « zépa »
Cette pratique assez fréquente dans le
Département de Sinfra, peut être perçue comme « un
contrat entre un propriétaire terrien et un migrant,
spécialisé dans les activités champêtres, qui
consiste pour le propriétaire à céder une partie ou la
totalité de son espace foncier à ce migrant qui, devra dans une
période déterminée, valoriser l'espace de sorte à
en faire un champ productif ; une sorte de planter-partager »
(enquêté de la direction départementale de
l'agriculture ; Avril, 2015) ;
123
Cette durée de mise en valeur qui
régulièrement varie entre 5 et 8 ans, est
rémunérée selon des conventions départementales, au
1/3 de l'espace cultivé pour le métayeur.
Toutefois, avec cette pression foncière observée
depuis quelques temps à Sinfra, il n'est pas rare d'observer des
conflits multiples entre ces nouveaux partenaires fonciers. De nombreuses
causes y sont parfois évoquées :
- Non-respect de la période de production convenue dans
le contrat.
- Décès du donateur et la tentative de
redéfinition du contrat par les descendants.
- Nature du contrat qui pose la question de savoir si le
métayage s'exerce seulement sur les cultures ou à la fois sur la
portion de terre et les cultures.
- Maladies de cacaoyers telles que « le swoollen
shoot » qui déciment la plantation de cacaoyers avant le
partage (enquêtés de la direction départementale de
l'agriculture et certains ruraux ; Avril, 2016).
De ce fait, l'on note de nombreuses divergences entre ces
acteurs (nouveaux partenaires), qui se métamorphosent assez rapidement
en violences physiques, avec une tendance mutuelle d'engloutissement ou de
phagocytage de la résistance de l'adversaire par la mise en
évidence du réseau social ou des liens socio-affinitaires avec
les autorités locales.
Une enquête-interrogation effectuée auprès
d'une sous-population de 123 individus de notre échantillon
d'enquête (dans le souci de noter les modes d'accès
fréquemment observés à Sinfra) a permis d'obtenir les
résultats suivants :
124
Tableau 8 : Fréquence des modalités
d'accès fonciers à Sinfra
Modes d'accès à la terre
Sous
Préfectures
|
Héritage et
autres donations
|
Prêt
|
|
Achat/Mise en gage
|
Métayage
|
Total
|
|
Sinfra
|
24
|
36%
|
9
|
13%
|
15
|
23%
|
19
|
28%
|
67
|
100%
|
Bazré
|
8
|
45%
|
4
|
22%
|
2
|
11%
|
4
|
22%
|
18
|
100%
|
Kononfla
|
11
|
48%
|
2
|
9%
|
2
|
9%
|
8
|
35%
|
23
|
100%
|
Kouêtinfla
|
10
|
67%
|
1
|
7%
|
1
|
7%
|
3
|
20%
|
15
|
100%
|
Total
|
49
|
40%
|
19
|
15%
|
20
|
16%
|
35
|
29%
|
123
|
100%
|
Source : Terrain
? Sur les 123 enquêtés du département de
Sinfra, 49 personnes ont reçu leur bien foncier par héritage et
autres donations, soit 40% de l'effectif total.
? 35 individus sur les 123, ont obtenu leur portion de terre
par métayage, soit 29% de la population totale.
? 20 enquêtés sur 123 ont acheté leur
potion de terre, ce qui correspond à 16% de la population totale.
? 19 personnes sur 123, ont obtenu leur
propriété foncière par prêt, soit 15% de l'effectif
total.
A l'analyse, l'héritage prédomine les
modalités d'accès à la terre, ce qui est lié au
fait que dans la coutume gouro, les terres ont été reparties
selon les familles, les lignages et tribus par les ancêtres. Chaque
village ou lignage était affecté sur des terres sectorielles de
sorte à éviter les effets de dispersion des membres, de
désordre ou de litiges entre autochtones eux-mêmes. C'est pourquoi
dans le département de Sinfra, l'appellation d'un village donne
implicitement des informations sur la situation
125
géographique et les limites des différentes
portions de terre appartenant aux habitants de cette lignée
autochtone.
A titre illustratif, nous pouvons mentionner que dans le
village Digliblanfla, selon les distributions et redistributions des
ancêtres, les autochtones disposent des forêts «
plaplowouo », « voêagloudji », «
valsigoêwi », « zablagoli », « goazi », «
gloutaplô » que chaque autochtone est censé connaitre
(noms, emplacements et limites) de sorte à mieux les transmettre des
descendants aux descendants.
L'héritage est donc le moyen de transmission le plus
utilisé par la population rurale. Les prêts, mises en gage et
ventes que l'on observait depuis quelques temps à Sinfra, ont
été progressivement substitués par le métayage qui
semble être au confluent de ces deux types de transactions, en ce sens
que pour nombre d'enquêtés, il profite autant au
propriétaire terrien qu'au métayeur.
Cette pratique relativement nouvelle connait un grand
succès dans le département de Sinfra vu que certains autochtones,
même infirmes, physiquement affaiblis ou régulièrement
absents, peuvent par ce biais, valoriser leur portion de terre sans toutefois
s'investir eux-mêmes dans les activités champêtres.
La représentation graphique des différents modes
d'acquisition des terres à Sinfra, pourrait donner la
schématisation suivante.
126
Droit du premier autochtone occupant et ses
héritiers : propriétaires originels : Droit
perpétuel
Acquisition des terres en milieu rural à
Sinfra : propriétaires secondaires
Achat: occupation permanente moyennant une
contrepartie financière ou matérielle
Métayage : Droit de mise en valeur contre
une rémunération foncière
Prêt / Mise en gage : Droit d'usage
momentané sans droit de propriété
Figure 2 : Modalités
d'acquisition des terres à Sinfra
Source : Terrain
Dans la conception traditionnelle gouro, la terre appartient
aux ancêtres (propriétaires originels). Elle est
léguée (en héritage) exclusivement aux descendants.
Sacrée, la terre dans la coutume kwênin permet l'affirmation de
l'identité culturelle et sociale ; elle constitue le préalable
pour contracter un mariage ou avoir la possibilité de s'exprimer dans
les assemblées villageoises. Les générations se
fidélisent à cette consigne ancestrale et la transmettent aux
descendants. Cette pratique bien qu'ancrée dans les valeurs culturelles
kwênins, s'effectuait sans aucune prévision migratoire future de
certaines populations allogènes en quête d'espaces de cultures ou
de refuge.
A partir de la seconde décennie après
l'accession à l'indépendance ivoirienne, l'on va assister
à des vagues croissantes de migrations des populations allogènes
vers les
127
terres nationales en général et des terres du
sud-ouest (Sinfra) en particulier, usant de méthodes multiformes pour
consolider des droits de propriété foncière à
Sinfra : propositions financières (achat, vente), amicale (demande de
prêt), protectionniste (métayage) et dépendantiste
(tutorat). Ceux-ci constituent désormais des propriétaires
secondaires.
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