2.4. Crise
Le concept de crise ou crisis nécessite pour sa
compréhension l'analyse de différentes conceptions
médicale, politique, économique et sociologique.
Dans le domaine médical, une crise est
un changement rapide et grave intervenant dans l'état de santé
d'un malade ou d'une personne apparemment en bonne santé. Ainsi, pour
Bolzinger (1982), la crise se présente-t-elle comme un instant, une
période d'incertitude quant à la santé du patient. Il
déclare que « dans la médecine, le terme de crise
désigne l'instant crucial où la maladie touche à son
terme, à sa résolution, pour le meilleur ou pour le pire. La
crise est un paroxysme d'incertitude et d'angoisse où tout est en
suspens ». Dans cette perspective, la crise n'est pas un signe de
maladie, mais un signe de résistance à la maladie. Non pas une
faillite, mais un sursaut. L'organisme n'est pas devenu incapable de se
régler lui-même, mais il opte provisoirement pour un mode
exceptionnel de régulation à visée défensive.
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Relativement à Bolzinger, Wiener et Kahn (1962),
mettent l'accent sur le sens de l'urgence réactionnelle pendant la
crise. En ce sens, ils affirment que « la crise est
caractérisée par un accroissement de la pression du temps. C'est
une période pendant laquelle les incertitudes sont fortes sur
l'évaluation de la situation et les réponses à apporter ;
ce qui produit souvent stress et anxiété ». En d'autres
termes, elle apparait comme une période relativement courte
caractérisée par un changement brusque qui nécessite une
solution urgente en vue de rétablir l'ordre de départ.
Toutefois, bien que définissant de façon
médicale la crise, cette conception clinique du concept ne prend pas en
compte les malaises brusques observés dans la société et
qui constituent, par extension du terme, une crise. Toute chose qui nous
amène à analyser une autre approche d'obédience
politique.
Dans le champ politique, le concept de changement brutal est
empruntée au corps médical mais diffère en ce sens que ce
changement apparait non pas à l'intérieur du patient mais
plutôt dans la société en général soit dans
l'évolution des choses, soit des événements ou des
idées.
Pour Dumont (2009), « C'est un moment d'extrême
tension, de paroxysme, de conflit, de changement, intervenant lorsque les
régulations et rétroactions des systèmes politiques ou
géopolitiques ne suffisent plus ou ne jouent plus ».
C'est-à-dire une situation nouvelle provoquée par une action, une
inaction ou une décision.
Aussi, mettant en avant la délimitation
spatio-temporelle de la crise, l'auteur ajoute-t-il que « quelle que
soit l'intensité qu'on lui prête ou qu'elle a réellement,
une crise ne peut se pérenniser ». Autrement, bien qu'elle
soit caractérisée par une rupture d'équilibre, la crise ne
peut s'éterniser puisque le choc social qu'elle engendre est tel que la
macro- société se trouve contrainte d'apporter une réponse
appropriée à l'urgence situationnelle.
L'idée de réaction sociale est aussi soutenue
par Guillaumin (1979) lorsqu'il affirme que la crise est un « moment
du jugement, des décisions à prendre ; un croisement qui impose
une option plus ou moins urgente sur la route à suivre ».
Ainsi, la crise se présente-t-elle comme un changement social brusque
qui nécessite une solution urgente et relativement appropriée.
A l'analyse, la crise, du point de vue politique se
caractérise d'une part par la surprise : le côté inattendu
du changement ou non anticipé par les décideurs politiques et
d'autre part par l'insuffisance de temps disponible pour répondre
à l'urgence sociale.
La crise est donc une période fragile marquée
par des contradictions sociales, des hésitations tant au niveau des
administrés qu'au niveau des administrateurs.
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Toutefois, bien que situant la crise dans un cadre politique,
cette approche ne prend pas en compte la dimension économique qui
suppose une récession, un ralentissement, un arrêt ou même
une dépression de la croissance économique.
Ce qui constitue le point de départ de l'analyse de la
« crise » selon les économistes. Dans cette
perspective, Dumont (2009) affirme que « une crise économique
désigne l'arrêt de la croissance, le moment où la
conjoncture se retourne, correspondant au détonateur de la
dépression ». Cette dépression sociale s'explique par
une dégradation brutale de la situation économique,
conséquence d'un décalage entre la production et la
consommation.
Kemal (2009) la perçoit en termes de
désorganisation des systèmes. De ce fait, il affirme, «
la crise est une désorganisation des systèmes de formation
des prix, des marchés, caractérisée par des fluctuations
extrêmes sur de courtes périodes ». Elle se traduit par
une forte augmentation du chômage, par une baisse du PIB (Produit
Intérieur Brut), un accroissement du nombre de faillites, un
effondrement des cours boursiers, une baisse du pouvoir d'achat.
A l'analyse, l'approche économique présente la
crise comme une période marquée par des difficultés
économiques dans un secteur particulier consistant en une
sous-production ou une diminution importante d'activités.
Toutefois, cette approche omet la définition du concept
dans la perspective de fracture sociale, de tension sociale. Ce qui nous
amène à analyser une conception sociologique du concept.
Pour les sociologues, la crise est définie en termes de
fracture, de désaccord, de rupture des liens sociaux, de méfiance
et d'hésitation.
En ce sens, Freund (1976) affirme : « la crise est
une situation collective caractérisée par des contradictions et
ruptures, grosse de tensions et de désaccords, qui rendent les individus
et les groupes hésitants sur la ligne de conduite à tenir, parce
que les règles et les institutions ordinaires restent en retrait ou sont
même parfois déphasées par rapport aux possibilités
nouvelles qu'offrent les intérêts et les idées qui
surgissent du changement, sans que l'on puisse cependant se prononcer
clairement sur la justesse et l'efficacité des voies nouvelles
».
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Cette idée de fracture des liens sociaux est soutenue
par Miller (1963) qui pense que « la crise engendre des tensions au
sein des entités concernées ». De ce fait, la crise
pourrait s'apparenter à une période de rupture et de tensions
multiformes.
Après le rappel de ces différentes
appréhensions du concept, nous souhaiterions retenir à priori les
dénominateurs communs à ces approches : la phase critique et
l'urgence réactionnelle qui caractérise la crise, auxquels nous
voudrions ajouter le cadre sociale dans lequel se manifeste cette crise.
En ce sens, nous voudrions entendre par crise, une situation
sociale critique, fragile caractérisée par des contradictions,
des ruptures, des tensions et des désaccords, qui rendent les individus
et les groupes humains hésitants sur la ligne de conduite à tenir
et qui nécessite une urgence réactionnelle au malaise
sociétal.
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