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Etre présent(e) au travail à  l'heure du coronavirus: comment les employés juniors se rendent-ils visibles au télétravail ?


par Laureline MICHAUD
Sorbonne Université - Chargé(e) d'études sociologiques 2022
  

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A. SYNTHÈSE DES RÉSULTATS ET DISCUSSION

La question centrale de recherche était de savoir comment les employés juniors se rendaient visibles en télétravail (à l'heure du Coronavirus). Il était néanmoins nécessaire d'adresser au préalable l'attitude des organisations des participants vis-à-vis du télétravail en général, et son évolution éventuelle.

1. ATTITUDE DES ORGANISATIONS VIS-A-VIS DU TELETRAVAIL

Nous avons posé qu'il existait une dichotomie entre d'un côté les grandes entreprises internationales, en partie déjà rompues à l'exercice (en particulier la multinationale d'agro- alimentaire qui l'autorisait à partir d'une année de seniorité) et sous le feux des projecteurs (ce qui impliquait une application irréprochable des directives) ; et, de l'autre, des plus petites organisations qui n'ont pas forcément les moyens nécessaires de mettre en place un tel mode de fonctionnement et sont globalement plus frileuses à l'idée de distance. Cette dichotomie pouvait être remise en question premièrement par le côté sans précédent de la crise (avec l'exemple de l'entreprise (ETI) de Thomas dont le dirigeant avoue son ignorance sur certains sujets), et deuxièmement par l'apprentissage que chaque organisation a pu expérimenter.

Ce sont donc des attitudes plurielles, structurées par la différence de moyens et le cours exceptionnel des événements qui ont caractérisé les organisations étudiées.

On peut opposer le devoir l'irréprochabilité des grandes entreprises aux résistances : une enquête Harris Interactive montre que 15% des chefs d'entreprises refusent catégoriquement le télétravail - et l'on peut supposer qu'à minima des ETI font partie de cette proportion. En ce qui concerne les plus petites entreprises, il aurait sans doute fallu mentionner la mise en place d'attestation de travail qui posent officiellement que le télétravail est «impossible», permettant à l'employé d'aller sur son lieu de travail lors des confinements et de rentrer plus tard que le couvre-feu.

Il est toutefois certain que toutes les organisations ne jouent pas à armes égales, que l'on parle de moyen ou de volonté de l'employeur (en lien avec une forme de culture de l'institution).

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2. ATTITUDE ET VECU DES EMPLOYES JUNIORS VIS-A-VIS DU TELETRAVAIL

En ce qui concerne le vécu et les attitudes des participants vis-à-vis du télétravail, nous avons remarqué le même degré de surprise qu'en entreprise. Cependant, cette surprise était accompagnée d'une dose de curiosité car la plupart des interviewés n'avaient jamais télétravaillé et, en temps normal, n'y auraient pas été autorisés.

Nous avons globalement retrouvé les mêmes conséquences du télétravail que celles recensées par la psychologue Emilie Vayre : pour les effets positifs, on note une meilleure concentration, un gain de temps, et parfois un évitement de conflit ; pour les effets négatifs on retrouve l'augmentation du temps de travail, fatigue - parfois proche du burn out (Delphine travaillant jusqu'à 2heures du matin régulièrement).

Ceci étant, la meilleure concentration ne vaut pas pour tous : certains se plaignent d'une augmentation de leur dispersion qui peut parfois mener au décrochage (comme pour le cas d'Emilie).

Le statut socio-économique des participants n'étant pas d'une différence extrême, trois participants ont évoqué le fait qu'ils «n'avaient pas à se plaindre» dans le sens où ils pouvaient se reposer sur leurs proches ou leurs parents pour éviter un isolement trop rude. Les périodes d'entre-deux (confinements) ont permis aux interviewés de profiter du télétravail «à sa juste valeur», ce qui les pousse à vouloir garder cette pratique sur le long terme, sur une base de deux jours par semaine.

Il peut être reproché à cette analyse de prendre un angle de vue plus psychologique que sociologique, puisque nous nous basons sur les travaux d'Emilie Vayre pour confirmer ou infirmer ses conclusions. Le télétravail, en effet, peut être vu comme l'affaire d'un individu seul, de ses sentiments, de sa santé mentale. Cela serait peut-être le cas d'une personne en totale autonomie avec son travail, comme un écrivain. Ici, la personne étudiée est toujours «en relation avec». C'est en fonction de la culture de son entreprise que l'interviewé va, par exemple, faire des heures supplémentaires. La relation avec la hiérarchie est également clé. Il nous semble que le fait d'intégrer une dimension psychologique à la recherche ne peut que l'enrichir, et que la micro-sociologie flirte souvent avec la psychologie sociale.

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3. DE LA MISE EN DISPONIBILITE A LA MISE EN SCENE DE LA PRESENCE

Cette partie constitue le coeur de notre recherche : il s'agit de savoir si la présence reste une norme, même à distance et si les télétravailleurs mettent en place des stratégies pour la notifier.

La théorie de la mise en disponibilité - avancée par Greer & Payne (p : 23) - est toujours valide, mais complétée : on retrouve ce besoin de prouver que l'on est actif pour compenser le fait d'être loin. A cela s'ajoute une mise en disponibilité réactionnelle face à un micro-management. Enfin, plusieurs répondants estiment que leur réactivité est un trait de leur caractère.

Pour ce qui est de la mise en scène, nous avons repris la métaphore d'Erving Goffman en observant que les coulisses (le salon, la chambre) étaient en très grande proximité du public (les collaborateurs) et que pour ce faire, l'acteur était parfois - pas nécessairement - amené à déployer des stratégies pour garder une bonne façade : celle de travailler. La scène, qui fait le lien entre le coulisse et le public peut se traduire par les divers moyens de communication, comme les mails ou le téléphone, mais surtout par ceux qui opèrent une réduction de l'espace-temps comme le tchat (et en particulier Teams) ou bien la visioconférence. Ces deux derniers outils retracent la présence : c'est pourquoi la plupart des interviewés y prêtent attention. Mais il est possible de duper la technologie, et mettre en scène cette même présence.

La plus grande objection qui peut être faite dans la démarche de reprise des travaux d'Erving Goffman consiste à rappeler que ce dernier n'envisage la mise en scène que si - et seulement si - les protagonistes sont dans le même espace-temps. Sans ce cadre de référence, le jeu perd son sens. C'est certainement le cas pour les mails, peut-être pour le téléphone. Mais le tchat et la visioconférence confèrent une instantanéité qui se rapproche de l'interaction réelle. Ce n'est pas un hasard si les réunions en «visio» ont été si populaire durant le confinement : c'était le moyen qui pouvait, au mieux, recréer un sentiment de proximité (sans le remplacer bien sûr).

Ensuite, il peut être pointé le fait que la mise en disponibilité, et a fortiori la mise en scène n'est pas quelque chose d'automatique. C'est également un résultat de notre recherche. Néanmoins nous remarquons que l'absence de présence est rarement neutre : elle témoigne d'un haut niveau de responsabilité, d'une très grande autonomie et d'un faible nombre d'interactions.

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B. LIMITES

Les limites de notre recherche sont avant tout d'ordre méthodologique : la population étudiée est trop homogène socialement (même niveau d'études, revenus similaires) et elle comporte une surreprésentation des femmes ce qui empêche une analyse genrée. Les organisations choisies sont majoritairement privées, deux sont publiques ou semi publiques et une est une association. Le pays retenu reste la France, mais un participant travaille à Londres pour une entreprise française tandis qu'un autre travaille de chez lui en France pour une entreprise basée au Royaume Uni. Le curseur ne va donc ni dans un sens (totale homogénéité) ni dans l'autre (proportions égales) pour tirer des conclusions ou des comparaisons culturelles. Il reste que le but de l'analyse qualitative ne se trouve pas dans la représentativité à grande échelle. Ces échanges nous permettent surtout d'avoir une approche compréhensive du sujet, ce qui n'empêche pas de réaliser une enquête quantitative par la suite. Cela aiderait même, par exemple, à isoler l'effet d'une variable comme l'autonomie sur la mise en disponibilité. Il serait toutefois nécessaire d'utiliser un certain nombre de questions pour évaluer chaque variable afin d'éviter tout contre sens.

La deuxième catégorie de limites s'ancre autour de l'articulation entre le but de la recherche et les moyens d'y arriver : on peut estimer que le fait de confirmer la norme de disponibilité ou bien de dépeindre la mise en scène du télétravail n'apporte pas de théorie fondamentalement nouvelle. Ce qui rend toutefois cette recherche pertinente, c'est le contexte exceptionnel dans lequel la recherche est menée. Nous ne reverrons probablement pas des confinements de cet ordre ni une généralisation du télétravail, juniors inclus. Nous pourrions continuer de nous interresser aux employés juniors, ou bien conduire une expérience longitudinale auprès des personnes interrogées pour évaluer leur rapport au télétravail à différentes étapes de leur vie active.

Enfin, on peut trouver une limite dans la structuration de cette recherche : la disponibilité et la mise en scène ne correspondent qu'à une sous-partie, alors qu'il s'agit du coeur du sujet. Ceci est dû au caractère extraordinaire du contexte, et à la prescription stricte du télétravail qui n'a jamais eu lieu auparavant. Il était important de recueillir les propos sur la manière dont les différentes entreprises et organisations ont réagi à un tel changement, mais également comment nos participants ont vécu cette année atypique et cette nouvelle manière de travailler. Cela nous a aidé à fournir un cadre clair pour analyser la disponibilité et la mise en scène.

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5/ CONCLUSION

Au terme de notre recherche, nous pouvons tirer plusieurs enseignements.

Premièrement, nous avons vu que les entreprises étaient plus ou moins armées face au télétravail. Certaines restent frileuse face à ce mode d'organisation et sont revenues le plus vite possible vers le présentiel. D'autres ont connu, tout au long de l'année, un processus d'apprentissage qui les amènent, parfois même, à intégrer le télétravail dans leur propre fonctionnement.

Deuxièmement, les employés juniors que nous avons interrogés ont une attitude ambivalente face au télétravail : l'aspect pratique et flexible est globalement reconnu, mais le degré de concentration peut aussi bien être favorisé qu'altéré. Au premier confinement, le côté inédit et la découverte d'une nouvelle façon de travailler permettait de soutenir une motivation qui s'est détériorée au fur et à mesure que la crise a perduré.

Troisièmement, nous avons observé que malgré la distance, la problématique de présence est déterminante. La disponibilité peut être soit réactionnelle à un micro-management, soit le résultat d'une volonté de faire ses preuves, ou bien un indice de tempérament personnel. Le fait qu'il y ait une mise en scène ou non de cette présence dépend du degré d'autonomie du télétravailleur, de ses contacts avec ses collaborateurs et son rapport (utilitariste, stratégique) aux moyens de communication.

De ces enseignements, certains enjeux peuvent apparaître :

D'abord la prise de conscience que les Techniques d'Information et de Communication dépassent largement leur rôle premier et qu'ils sont un outil de contrôle de résultat. Puis, que les employés juniors, s'adaptant facilement aux nouvelles technologies, peuvent contourner ce contrôle. On peut se demander, enfin, si le contrôle de la présence est amené à perdurer face au contrôle de résultat (que l'on voit transparaître dans beaucoup d'entretien), ou si les deux pourront toujours coexister.

Le monde du travail « post covid » est rempli d'interrogations.

Quels seront les dommages économiques exacts de la crise ? Y aura-t-il une réorganisation des secteurs, voire des métiers ?

En ce qui concerne le télétravail, combien d'entreprises continuerons de l'intégrer, et ce, avec flexibilité ?

Enfin, quel sera le degré d'importance de la présence sur le long terme ?

Il faudra un certain temps pour répondre à ces questions. Ce que l'on peut admettre aujourd'hui, c'est que le monde du travail n'est plus le même. L'analyse de ce qui se passe entre temps appartient, entre autres, au champ de la recherche sociologique.

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