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La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

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par Audrey DUPONT
Université Aix-Marseille - Master professionnel Anthropologie et Métiers du Développement durable 2015
  

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Introduction

Le dugong (appelé couramment « vache marine » en Nouvelle-Calédonie) est un mammifère marin, classé parmi les « espèces emblématiques », qui, avec le lamantin, est le seul représentant des dugongidés (Siréniens). Cet animal est un herbivore qui se nourrit d'herbiers de phanérogames. Il fréquente les zones côtières tropicales ou sub-tropicales d'environ trente-sept pays dans le monde entre l'Afrique de l'est et le Vanuatu. Le Pacifique est la zone où la population est la plus abondante : le Détroit de Torres en Australie concentre la première population mondiale (60 - 70 000 individus) et la Nouvelle-Calédonie représente la troisième mondiale (un peu plus de 1000 animaux).

La distribution de cette espèce dépend de la profusion de nourriture, ce qui signifie que le dugong est particulièrement présent dans les zones marines possédant des herbiers, comme en Nouvelle-Calédonie. Sur ce territoire, il fréquente souvent les zones lagonaires coralliens et sablonneux en eaux peu profondes, où se trouvent les herbiers. Des sessions de comptage de l'espèce par survols aériens en 2003 et en 2008 ont permis aux biologistes de repérer les régions de Nouvelle-Calédonie les plus densément peuplées en dugongs. Le plus grand nombre de dugongs vit dans les zones côtières, où le trafic maritime et les activités humaines sont les plus développées : 84% de la population vit sur la côte Ouest et 16% dans le Nord. Ils ont aussi constaté une possible diminution de la population.

Cette diminution est donc la conséquence de diverses pressions observées sur l'animal. Si les dugongs peuvent mourir de « causes naturelles » en étant la proie potentielle de requins ou en mourant de vieillesse1, le trafic maritime, la dégradation de l'habitat par l'homme, les pollutions, la chasse ou encore le braconnage sont autant de menaces qui nuisent à sa survie (Cléguer, 2010). Il s'agit d'un mammifère marin en danger de disparition qui a été classée en 2010 parmi les espèces vulnérables dans la liste rouge de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Les environnementalistes et les décideurs concernés par sa sauvegarde en Nouvelle-Calédonie ont alors pensé qu'ils devaient/pouvaient agir sur les menaces d'origine anthropique et c'est pourquoi ils se sont associés dans la création du « Plan d'actions dugong Nouvelle-Calédonie 2010-2015 ».

Dans un premier temps, la priorité était donnée par les acteurs du Plan d'actions à l'amélioration des connaissances sur l'animal quant à son comportement biologique, ses déplacements et sa physiologie afin de mieux le protéger et de mieux cibler les menaces qui pèsent sur lui. Il s'agissait donc d'acquérir certains savoirs biologiques et écologiques nécessaires à la mise en oeuvre des stratégies de conservation efficaces, qui devaient être complétés d'une connaissance anthropologique et ethnoécologique pour comprendre la valeur du dugong en Nouvelle-Calédonie et intégrer les habitants de l'archipel dans l'effort de protection. Puisque l'objectif est actuellement de partager les savoirs scientifiques portant sur l'animal et d'améliorer les modes de gestion en place, il est important de mieux comprendre la population locale, de la consulter et de l'inclure dans la gestion des ressources maritimes, notamment du dugong.

Les membres du Plan d'actions ont alors émis le besoin de mieux comprendre les relations que les Néo-calédoniens entretiennent avec l'animal et ont prévu des fonds pour financer un stage en anthropologie afin de répondre à ce questionnement. Cette recherche est

1 Ils peuvent vivre jusqu'à 70 ans, voire plus.

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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et

pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

d'autant plus importante que le dugong jouit d'un statut particulier en Nouvelle-Calédonie puisqu'il est classé parmi les « espèces emblématiques » du territoire. Ainsi, en collaboration avec les membres et partenaires du Plan d'actions, nous avons établi un projet d'étude mobilisant les outils de la socio-anthropologie et de l'ethnoécologie, dont l'objectif principal était de définir et d'analyser la place de l'animal dans les diverses communautés de la société néo-calédonienne. Cette étude était orientée sur deux zones d'enquête, qui présentaient la particularité d'accueillir une forte densité de dugongs : la commune de Pouébo - où la population est connue pour sa tradition de la chasse à ce mammifère - et la Zone Côtière Ouest (ZCO) entre Bourail-Poya - où des rumeurs de braconnage circulent abondamment.

Durant cette enquête, il nous a été demandé de travailler sur le plus grand nombre et le plus « diversifié » possible d'individus, et ce dans des contextes variés. Nous avons été particulièrement marquée par la multiplicité des discours, par la complexité des relations entretenues avec le mammifère marin et par les décalages voire les incompréhensions entre les différents groupes en présence dans ce projet. Nous nous sommes alors interrogée sur l'origine de ces barrières. L'une des explications les plus évidentes est à chercher dans le rassemblement de personnes appartenant à des identités culturelles et des cultures professionnelles diverses. Ils possèdent des savoirs et des pratiques de nature différents. Ainsi, nous avons formulé une problématique sur la mobilisation de certaines connaissances et pratiques liées à l'animal dans ce projet, et qui parfois se confrontent. Ces thématiques guident le développement de notre réflexion qui vise finalement à mettre en avant le fait que le milieu de la conservation est, pour reprendre la terminologie d'Olivier de Sardan (1995), une « arène » où s'affrontent divers groupes sociaux avec divers savoirs. Enfin, dans une moindre mesure, nous posons quelques jalons qui nous permettent de comprendre le processus de mise au rang de « patrimoine » d'un élément naturel dans le contexte de la Nouvelle-Calédonie, autrement dit de cerner la dynamique de « patrimonialisation » du dugong.

Pour se faire, nous introduirons le contexte de l'étude en présentant la situation sociale, politique et environnementale sur l'archipel et sur les différents terrains de l'enquête, puis le Plan d'actions dugong Nouvelle-Calédonie 2010-2015 dans lequel s'incère notre étude. Ensuite, nous décrirons la méthodologie que nous avons suivi durant l'enquête ainsi que celle déterminée par les membres du Groupe Restreint de Travail (GTR) du Plan d'actions, et nous proposons une problématisation de ce mémoire à partir de cette expérience et des diverses lectures réalisées pour l'analyse des données.

Dans une seconde partie, nous nous attachons à comprendre comment le dugong est devenu un objet de conservation et à décrire les logiques des acteurs institutionnels qui ont menées à l'élaboration de ce programme de conservation. Nous mettrons en évidence le positionnement des différents acteurs vis à vis du projet et nous tenterons de déterminer quels savoirs ont été mobilisés pour mettre en place cette politique de conservation.

Enfin, nous mettrons en exergue la diversité des perceptions, des savoirs et des pratiques concernant l'animal détenus par la « population locale », leurs éventuelles contradictions ainsi que leurs confrontations avec les représentations et les stratégies des acteurs institutionnels pour protéger le dugong. Nous présenterons les actions actuellement menées par les différents acteurs pour tenter d'atténuer les pressions d'origine anthropique exercées sur ce mammifère et nous montrerons que les intérêts divergents des acteurs locaux et institutionnels peuvent constituer un frein à l'élaboration d'une stratégie cohérente à l'échelle de l'archipel.

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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et

pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

I. Contexte de l'étude

I.1. Contexte sociopolitique et environnement en Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie (cf. figure 2) est un archipel dans l'océan Pacifique - à 1500 km à l'est de l'Australie, à 2000km au Nord de la Nouvelle-Zélande et à plus de 17 000km de la France - qui relève de la souveraineté française depuis 1853, date du début de la colonisation. Selon le recensement de 2014, il compte 268 767 habitantsi (soit 23 200 habitants de plus qu'au dernier recensement en 2009), répartis sur l'île de la Grande Terre, l'île des Pins, l'archipel de Belep et les îles Loyautés (Ouvéa, Lifou et Maré). Sur l'ensemble de l'archipel, environ 23% de la population vit en tribu, 11% en milieu rural et 66 % en zone urbaine (« Évolution et structure de la population », ISEE, 2009).

Cet archipel possède un statut particulier selon le droit français, celui de collectivité territoriale française « sui-generis » et procède à un transfert progressif des compétences régaliennes depuis la signature des accords Matignon-Oudinot en 1988. Suite à ces accords, des consultations électorales sont prévues entre 2014-2018 afin de prendre une décision collective sur la question de l'indépendance nationale et le « pays » travaille à la formation d'une identité et d'une communauté politique néo-calédonienne. L'ensemble de ce processus de « décolonisation » est le fruit d'une « histoire » qui s'est complexifiée dès les premières explorations européennes en 1774.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo