Isolationnisme et la géoéconomie des états-Unis d'Amérique sous Donald Trump. Enjeux et perspectives.par Raphael Mbumba Muamba Université de Lubumbashi(UNILU) /RDC - Licence en Relations Internationales 2018 |
§3. L'isolationnisme et son impact sur l'ordre commercial mondialEtant partisan d'un isolationnisme farouche, sur le ton de l'ultimatum, Donald Trump a réaffirmé sa défiance à l'égard de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), de l'accord de libre-échange Nord-américain (ALENA), bref de beaucoup de traités internationaux de nature à privilégier le commerce déloyale, lors d'un entretien accordé à Bloomberg News Trump estime que si on ne la remet pas en ordre, il se retirera de l'OMC. Déjà, lors de la campagne présidentielle, le candidat à la Maison-Blanche qualifiait l'organisation et multilatéralisme de "désastre", laissant entendre que, lui président, les Etats-Unis pourraient bien finir par en claquer la porte. Voici les conséquences que pourrait avoir une telle prise de distance.L'OMC a deux attributions principales. Celle de libéraliser les échanges commerciaux entre ses 164 pays membres, notamment en négociant la plus grande baisse possible droits de douane et celle de proposer un cadre juridique qui veille au respect des accords. L'OMC constitue de fait un obstacle aux guerres commerciales dont Donald Trump a fait sa spécialité depuis son entrée à la Maison Blanche. Chine, Union Européenne, Mexique, Canada : tous ont en ont déjà fait les frais cette année.En quittant l'OMC, les Etats-Unis se délivreraient donc de règlements que Donald Trump considère comme des obstacles. Par exemple, les droits de douane aux Etats-Unis ne seraient plus régulés et le pays pourrait librement pratiquer des "prix de dumping" des prix inférieurs aux coûts de production qui visent à gagner des parts de marché et donc à favoriser la production nationale. Pas pour longtemps, expliquait Akiko Suwa-Eisenmann, chercheuse à l'Ecole d'économie de Paris, dans Les Echos : "A court terme, certains emplois dans les régions les plus vulnérables seront effectivement sauvés. Mais les consommateurs seront tous affectés par le renchérissement des importations"193(*).La sortie de l'OMC et du multilatéralisme pourrait à terme coûter davantage aux Etats-Unis qu'elle ne lui rapporte, puisque le pays serait bien sur obligé, en retour, de faire une croix sur les avantages octroyés par les pays membres. La clause de la nation la plus favorisée (NPF), l'un des principes fondamentaux de l'OMC, garantit notamment l'égalité de traitement entre les signataires. "Les producteurs américains qui utilisent des intrants importés perdront en compétitivité", poursuit l'économiste194(*). Depuis le début de son mandat, l'administration Trump n'a pas cessé de décrier l'efficacité des accords multilatéraux, favorisant les ententes plus confidentielles à deux Etats. "Nous n'aimons pas les palabres infinies, nous préférons les actions bilatérales pour négocier. Les réunions multilatérales prennent beaucoup de temps et nous sommes animés d'un sentiment d'urgence", assénait le secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross, en juin dernier. Donald Trump pourrait donc tenter, en remplacement de l'OMC, de conclure des accords bilatéraux avec les pays membres qu'il entend garder dans son giron commercial195(*). Les Etats-Unis sont les premiers partenaires commerciaux de l'Union européenne, totalisant 16,3% des échanges de biens de l'UE en 2017. Alors en attendant la conclusion d'accords bilatéraux, il faudra bien compenser la nouvelle politique protectionniste des Etats-Unis. L'importance de l'Union européenne s'en trouverait largement renforcée, explique Agnès Bénassy, professeur d'économie à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne. "Dans le domaine commercial, les accords régionaux représentent de véritables ceinture de sécurité"196(*). Les plus petits pays européens souffriraient les premiers de l'augmentation des droits de douane américains, perdant l'avantage de négociations menées via la voix forte de l'UE. La nouvelle politique commerciale américaine, de plus en plus protectionniste, est en porte-à-faux avec la dynamique d'ouverture qui domine les échanges internationaux depuis la Seconde Guerre mondiale. En 1995, l'OMC succède à l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), créé en 1947 sous l'impulsion des Etats-Unis pour instaurer un code de bonne conduite libérale et multilatérale. Sa place au sein de l'organisation fait craindre que les autres membres ne la suive, ce qui marquerait un regain protectionniste au niveau mondial, et non plus à la seule échelle d'un pays. Ce scénario s'est déjà produit dans les années 1930.Alors depuis la Première Guerre mondiale, les échanges internationaux se libéralisaient de plus en plus, la crise de 1929 a occasionné un repli protectionniste, sous l'impulsion des Etats-Unis. Promulguée en 1930, la loi Smoot Hawley a augmenté d'un seul coup les droits de douane américains à l'importation. Par mesure de rétorsion, de nombreux pays avaient à leur tour modifié leur régime de taxation. Les échanges mondiaux ont alors fortement diminué, accentuant l'impact de la crise économique. "Maintenir les échange commerciaux internationaux et donc éviter un retour au protectionnisme pendant la crise de 2008 explique en partie le fait que l'on se soit mieux tirés de celle-ci que de celle de 1929", explique Agnès Bénassy197(*). Pendant sa campagne, le président n'a pas ménagé Pékin, accusant notamment les Chinois d'être des manipulateurs de devise. Et il les a menacés d'imposer des droits de douane élevés : 45 %, des droits prohibitifs, en plus illégaux en regard des règles du commerce international. Donc ce sera applicable car les Etats-Unis ont choisi l'isolationnisme partiel. Ce scénario déprime Pierre Defraigne, directeur de la Fondation Madariaga - Collège d'Europe : "Ce serait franchement assez navrant de voir le pays qui a oeuvré pour le libre-échange, avec l'Union européenne, en devenir le fossoyeur"198(*). En attendant, les Chinois vont sans doute être très attentifs à ce qui va se passer. Mais ils ne devraient pas être trop inquiets. L'économie américaine a besoin de l'économie chinoise et réciproquement. N'empêche que les Chinois ne devraient pas rester les bras croisés. Ils pourraient profiter de la situation pour faire bouger les lignes, selon Pierre Defraigne : " Si par exemple Donald Trump ne ratifie pas le Traité transpacifique qui intéresse 11 pays de la région, l'Amérique va perdre du crédit, si ce n'est déjà fait en Asie. L'idée d'un pivot asiatique chère à Obama devient caduque. Du coup, la Chine retrouve un espace géopolitique plus libre, où elle va pouvoir exercer son influence et régionaliser à son avantage l'ensemble de l'économie du monde asiatique". L'isolationnisme des USA constitue un risque très important pour l'économique européenne. Elle pourrait éventuellement profiter d'un refroidissement des relations économiques entre les deux grands. En même temps, le risque de voir la Chine plus agressive sur le marché européen serait réel. Pour Pierre Defraigne, quelle que soit la politique effectivement appliquée par Trump, l'Europe doit prendre son avenir en main : " Nous sommes dans le même cas de figure que le Brexit. Le Brexit devient une vraie tragédie si l'Europe n'en profite pas pour resserrer son unité. La présidence de Trump devient un risque économique et géopolitique majeur si l'Europe ne profite pas pour refaire son unité. Pierre Defraigne craint plus la faiblesse de l'Europe que n'importe quoi. Et donc c'est là-dessus qu'il faut rappeler aux gens avec insistance que c'est l'unité politique de l'Europe qui est la meilleure réponse aux incertitudes politiques et économique du moment "199(*). Toutefois, nous notons que l'isolationnisme des USA alimenté par le protectionnisme limite la marge de manoeuvre de la géoéconomie américaine dans la zone euro et profitera alors à la Chine qui pourra y délocaliser largement ses investissements. Ce qui est encore une note négative pour la géoéconomique américaine, mais aussi sur l'ordre économique mondial devenu fragile avec le protectionnisme américaine. Ainsi les analystes craignent que les USA soient un modèle à suivre pour leurs alliés, qui pourront se mettre dans la violation massive des règles massives de l'organisation mondiale du commerce. Ainsi, l'isolationnisme des USA sera une manière pour les USA d'imposer son expression hégémonique sur le reste du monde et s'imposer comme un modèle à suivre sur la scène économique internationale. Cela mettra en péril le multilatéralisme mondial et portera atteinte les princiques libre-échangistes. * 193Analyses de Akiko Suwa-Eisenmann, sur https://www.lejdd.fr/International/quelles-seraient-les-consequences-dun-retrait-des-etats-unis-de-lomc-3744737 consulté le 06/02/2019 à 12h11. * 194 https://www.lejdd.fr/International/quelles-seraient-les-consequences-dun-retrait-des-etats-unis-de-lomc-3744737, arcit. * 195explique Agnès Bénassy, analyses retrouvables sur https://www.lejdd.fr/International/quelles-seraient-les-consequences-dun-retrait-des-etats-unis-de-lomc-3744737, déjà cit * 196 Idem. * 197 Ibidem. * 198 Defraigne, P., « Trump choisit l'isolationnisme économique cela pourrait favoriser la Chine », in Fondation Madariaga, n°12, 10 décembre 2016, sur https://www.rtbf.be/info/dossier/election-presidentielle-americaine-la-course-est-lancee/detail_si-trump-choisit-l-isolationnisme-cela-pourrait-favoriser-economiquement-la-chine?id=9451961 consulté le 06/02/2019 à 19h11. * 199Defraigne, P., Arcit., sur https://www.rtbf.be/info/dossier/election-presidentielle-americaine-la-course-est-lancee/detail_si-trump-choisit-l-isolationnisme-cela-pourrait-favoriser-economiquement-la-chine?id=9451961. Idem. |
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