Isolationnisme et la géoéconomie des états-Unis d'Amérique sous Donald Trump. Enjeux et perspectives.par Raphael Mbumba Muamba Université de Lubumbashi(UNILU) /RDC - Licence en Relations Internationales 2018 |
§2. La guerre commerciale contre l'Union EuropéenneTrump s'est montré constant dans sa critique du libre-échange, qu'il accuse d'avoir porté préjudice aux ouvriers américains171(*). Il a insisté pendant sa campagne sur le fait que son objectif de placer «l'Amérique d'abord» impliquerait la renégociation des accords avec les partenaires commerciaux des États-Unis afin d'obtenir des termes plus favorables aux intérêts économiques américains. Trump a affirmé que «l'américanisme, et non le mondialisme, sera notre credo», exprimant ainsi qu'il était favorable à une certaine forme de protectionnisme172(*). Il est intéressant de noter que la campagne de Trump a même réussi à changer l'opinion des électeurs républicains au sujet du libre-échange : 61% d'entre eux pensent que le libre-échange est une «mauvaise chose» en 2016, contre seulement 36% en 2014173(*). Durant sa campagne, Trump s'est engagé à remettre en cause les fondements mêmes de la politique commerciale des États-Unis en renégociant ou, au besoin, en se retirant d'une large série d'accords, comme l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), le Partenariat transpacifique (TPP en anglais), et même de l'Organisation mondiale du commerce174(*). Par conséquent, l'élection de Donald Trump risque de geler les négociations en cours entre l'Union européenne et les États-Unis sur le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI), dont l'objectif est de créer une zone de libre-échange transatlantique (TAFTA en anglais). Ces négociations ont été lancées en 2013, dans le but de redynamiser l'économie transatlantique suite à la crise financière mondiale. Il est indéniable que le gel des négociations en cours sur le PTCI ne contribuerait pas à renforcer les relations transatlantiques. Toutefois, ce coup d'arrêt ne nuirait pas de manière substantielle à l'Alliance atlantique, étant donné que les négociations se trouvent d'ores et déjà bloquées par une opposition importante aux États-Unis, et tout particulièrement en Europe, où des milliers de personnes ont manifesté contre le PTCI. Si l'arrêt des négociations sur le PTCI est une conséquence probable de l'arrivée de Trump au pouvoir, il existe un autre scénario, moins plausible, mais qui comporte des risques beaucoup plus grand pour l'Alliance atlantique. En effet, Trump peut décider d'exercer une forme plus radicale de protectionnisme, peut-être même en se lançant dans une guerre commerciale avec les principaux partenaires des États-Unis, y compris avec l'Union européenne. Par exemple, Trump a menacé d'imposer des droits de douane allant jusqu'à 45% vis-à-vis de plusieurs des partenaires commerciaux à moins que ces derniers n'acceptent de négocier des conditions plus favorables aux États-Unis175(*). Compte tenu de la fragilité de l'économie européenne, des hausses tarifaires sévères porteraient gravement préjudice à l'Union européenne. Les préoccupations de Trump sont liées au fait que le déficit de la balance commerciale des États-Unis s'est sérieusement aggravé au cours des dernières décennies. Les États-Unis sont en déficit commercial avec 15 de leurs 20 principaux partenaires commerciaux. Étant donné que le déficit par rapport à l'Union européenne a augmenté au cours des dernières années, l'éventualité que Trump décide de mettre en oeuvre son discours protectionniste radical suscite des inquiétudes en Europe. De fait, l'Union européenne représente le deuxième déficit commercial des États-Unis, après la Chine176(*). Malgré cela, tout au long de sa campagne, Trump a à peine mentionné l'Europe à propos du commerce extérieur, et a plutôt concentré ses attaques sur la Chine et le Mexique. Sa principale cible est sans conteste la Chine: « La Chine nous tue... l'argent qu'ils ont tiré des États-Unis constitue le plus grand vol de l'histoire de notre pays »177(*). De fait, le déficit commercial des États-Unis par rapport à la Chine est presque deux fois plus important que par rapport à l'Union européenne178(*). La chose est surprenante quand on sait que le déficit commercial des États-Unis vis-à-vis de l'Union européenne est près de trois fois plus élevé que celui du Mexique et quatre fois supérieur. Une explication possible des raisons pour lesquelles Trump a largement ignoré l'Union européenne à propos du commerce extérieur est le fait que ses attaques contre l'Europe visent principalement la réticence de cette dernière à payer pour sa propre défense. Néanmoins, l'Union européenne doit se tenir prête à affronter un scénario du pire. En effet, ce n'est pas parce que Trump a omis d'attaquer l'Europe au sujet du commerce pendant sa campagne qu'il ignore nécessairement le fait que le deuxième plus grand déficit commercial des États-Unis est celui de l'Union européenne. De plus, le tempérament de Trump semble de nature imprévisible. Certains observateurs ont souligné que le Congrès et d'autres institutions du système américain de poids et contrepoids (checks and balances) pourraient être en mesure de limiter les aspects les plus radicaux du protectionnisme de Trump179(*). Cependant, si le Congrès est capable de limiter Trump sur des questions telles que la politique fiscale, il à moins de pouvoir sur la politique commerciale internationale, domaine où le président jouit d'une grande marge de manoeuvre.Par exemple, la loi de 1974 sur le commerce extérieur des États-Unis autorise le Président à imposer des quotas et des tarifs douaniers pouvant atteindre 15% pendant 150 jours aux pays qui présentent des excédents importants dans leur balance des paiements vis-à-vis des États-Unis180(*). Par conséquent, Trump a le pouvoir de mettre en place des tarifs radicaux sur les produits de l'Union européenne s'il en décide ainsi. Compte tenu du préjudice économique potentiellement considérable qui en résulterait pour les deux parties, le déclenchement d'une véritable guerre commerciale entre l'Union européenne et les États-Unis reste très improbable. Cependant, il n'est pas impossible que l'administration Trump augmente les tarifs douaniers sur certains produits en provenance d'Europe afin de corriger le déficit commercial. L'Union européenne devrait réagir énergiquement et mettre en avant sa capacité de riposte. En effet, malgré la multitude de crises auxquelles elle est confrontée, l'Union européenne reste le plus grand marché unique au monde et le premier partenaire commercial des États-Unis. L'Union européenne se trouve en fait dans une position plus solide qu'il n'y paraît pour négocier avec Trump sur des questions commerciales. Il est donc essentiel que l'Union européenne et ses États membres s'engagent et dialoguent activement avec le nouveau gouvernement américain afin de parvenir à une entente commerciale au plus vite. L'Union européenne doit souligner l'importance économique cruciale du commerce transatlantique pour les deux parties, et se tenir prête à faire preuve de bonne volonté en faisant quelques concessions pour réduire le déficit commercial. Même si l'Union européenne devait perdre un peu d'argent sur le plan économique, elle bénéficie actuellement d'un excédent commercial très élevé vis-à-vis des États-Unis et peut se permettre des compromis afin de conserver des relations commerciales saines au cours des quatre prochaines années181(*). S'il reste en accord avec ses discours de campagne, Trump se concentrera probablement sur la question des dépenses militaires et demandera aux pays européens d'augmenter substantiellement leur contribution à l'OTAN. La guerre commerciale des Etats-Unis contre l'Union Européenne oriente nos analyses dans les lignes suivantes vers les impacts de l'isolationnisme dans la géoéconomie américaine sous le règne trumpien. * 171 Son point de vue sur cette question remonte aux années 1980, lors des débats sur le commerce entre les États-Unis et le Japon, où Trump pensait que les élites avaient sacrifié les intérêts des travailleurs américains pour attirer des alliés (comme le Japon) et les éloigner de l'Union soviétique. * 172Blake A., «Donald Trump's strategy in three words: `Americanism, not globalism'», The Washington Post, 22 juillet 2016. Retrouvable sur: https://www.washingtonpost.com/news/the-fix/wp/2016/07/22/donald-trump-just-put-his-border-wall-around-the-entire-united-states/?utm_term=.6318fe62b549 consulté le 29/12/2018 à 12h07. * 173 Shapiro J., The Everyday and the Existential: How Clinton and Trump Challenge Transatlantic Relations, in New York time, n°34, pp.3-5. * 174 «Full text: Donald Trump 2016 RNC draft speech transcript», Politico, 21 juillet 2016 retrouvable sur:http://www.politico.com/story/2016/07/full-transcript-donald-trump-nominationacceptance-speech-at-rnc-225974 consulté le 29/12/2018 à16h09.
* 175 The Economist, Dealing with Donald, 16 - 10 décembre 2016. * 176 En 2015, alors que les Etats-Unis exportaient 276 142 millions de dollars de marchandises vers l'UE, ils en importaient 418201 millions de dollars, ce qui a produit un déficit commercial de -142 059 millions de dollars. * 177 The Economist, America and the World: The Peacemakers, 12 - 18 novembre 2016. * 178 En 2015, alors que les États-Unis exportaient 123 676 millions de dollars de marchandises vers la Chine, ils en importaient 466 754 millions de dollars, ce qui a produit un déficit commercial de -343 078 millions de dollars. * 179 Voir : Département du commerce des États-Unis, Top U.S. Trade Partners, Ranked by 2015 U.S. Total Export Value for Goods. * 180 Barichella, A., « La présidence de Trump : quelles conséquences pour l'Europe? », fondation robert Schuman, in question d'Europe n°417, 16 janvier 2017, pp.2-3. * 181 Barichella, A., Art.cit., p.2. |
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