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Transports et développement dans la métropole d'abidjan quel modèle de ville derrière les projets dans les transports ?


par Gaspard Ostian
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master Dynped  2021
  

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Avec un taux de croissance supérieur à 7% depuis une dizaine d'années et le deuxième plus grand PIB d'Afrique de l'Ouest (50 milliards de dollars), la Côte d'Ivoire est, selon une publication de la Banque mondiale de février 2017, « l'une des économies les plus performantes du continent ». Peuplé de près de 25 millions d'habitants, le pays combine un taux de croissance démographique annuel d'environ 2,5%, ce qui signifie un doublement de la population à l'horizon 2050, avec un fort taux de croissance de l'urbanisation, passée de 17% en 1960 à plus de 50% aujourd'hui. Abidjan, capitale économique macrocéphale du pays, est au coeur des dynamiques économiques et démographiques, puisqu'elle concentre 20% de la population pour 60% des richesses nationales. Véritable poumon économique à l'influence extranationale, elle attire des migrants venus de l'intérieur du pays comme des pays voisins, ce qui entretient dans son agglomération une croissance démographique et un étalement urbain soutenus.

Face à un tel dynamisme, le secteur du transport est soumis à une forte pression, et à d'importants enjeux d'adaptation pour parvenir à soutenir les flux croissants de biens et de personnes. Malgré un retour notable des moyens d'action de l'État en tant que planificateur, deux décennies de crise économique et une décennie de crise politique ont laissé en 2011 le secteur du transport et de la mobilité urbaine en difficulté. Ce secteur est pourtant au coeur des intérêts stratégiques du pays, car les autorités ivoiriennes misent beaucoup sur l'urbanisation du pays pour répondre aux divers enjeux socio-économiques auxquels elles sont aujourd'hui confrontées. Selon un rapport de janvier 2019 de la Banque Mondiale, « une ville qui bouge est une ville qui gagne. Pour bénéficier d'économies d'échelle, les entreprises doivent pouvoir accéder aux marchés. Si les travailleurs, fournisseurs et clients se concentrent dans une agglomération urbaine, ces gains peuvent toutefois être annulés par les difficultés et la lenteur de leurs déplacements. Cela est déjà malheureusement le cas à Abidjan, avec des ménages qui dépensent beaucoup d'argent et de temps chaque jour dans les transports ou, pour les plus pauvres qui ne peuvent se déplacer qu'à pied ». Cette citation est à souligner d'un chiffre : le même rapport de la Banque mondiale de 2019 indique qu'à Abidjan, les ménages les plus pauvres investissent environ un tiers de leurs revenus dans les transports, pour un temps de déplacement quotidien de trois heures en moyenne.

Pour les observateurs et les instances décisionnelles du pays, le problème se pose de la façon suivante. On sait que l'état des systèmes de transport des biens et des personnes à Abidjan est un levier efficace de développement économique et humain pour le pays entier. De quelle façon en jouer pour optimiser le potentiel de développement de la ville ? Cette approche n'est

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pas nouvelle, et ce problème se pose depuis la période des indépendances, au début des années 1960. C'est maintenant l'exercice d'un état de la littérature scientifique sur le sujet qui nous permettra de mieux comprendre le contexte actuel abidjanais en matière de transports, et les dynamiques qui l'ont amené.

État de l'art

Les pays d'Afrique de l'Ouest ont connu une urbanisation rapide depuis les indépendances, qui s'est traduite d'une part par le renforcement des grandes agglomérations préexistantes, mais également par la prolifération de villes de taille moyenne. Ainsi, entre 1960 et 1990, les villes ouest africaines de plus de 100 000 habitants ont été multipliées par 7,5 et les villes de plus de 5 000 habitants multipliées par 5 (Club du Sahel, 1998). Néanmoins, les pays de la région ont une tendance marquée à la macrocéphalie et on y trouve de grandes métropoles comme Abidjan et Dakar, qui abritent toutes les deux plus ou moins 1/5 de la population nationale et continuent de grandir à un rythme soutenu.

Confrontées depuis les années 1980 à de sérieuses problématiques liées à la croissance urbaine anarchique, et engagées depuis peu dans la course à l'insertion dans la mondialisation, ces villes connaissent toutes un bouillonnement dans le secteur des transports (Lombard et Ninot, 2010). En effet, les infrastructures et réseaux de transport sont des objets importants à contrôler et développer pour les autorités urbaines et nationales pour relever les deux défis évoqués précédemment : maîtriser l'espace urbain et sa croissance, et connecter la ville aux flux commerciaux et humains à échelle régionale et mondiale.

Nous allons ici tenter de situer dans le champ de la recherche les principales villes d'Afrique de l'Ouest par rapport aux enjeux énoncées précédemment. Nous mobiliserons principalement des textes de géographes. Il s'agit de comprendre certains aspects de contexte, et d'approfondir la compréhension des enjeux déterminés par les auteurs étudiés. L'analyse sera principalement reliée à la métropole d'Abidjan, qui nous préoccupe dans cette étude, mais il apparait important de l'insérer dans son contexte régional, qu'il est nécessaire d'appréhender correctement afin de pouvoir parvenir à une analyse pertinente.

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1- Crise des années 1980, plans d'ajustement structurels : une libéralisation des transports dans les principales centralités urbaines ouest-africaines

À partir des années 1980-90, on assiste à une réémergence des petits transporteurs privés informels, qui tendaient à disparaître peu à peu depuis les années 1950-60. Les difficultés des entreprises publiques de transport collectif, la libéralisation du secteur qui a suivi et surtout l'évolution rapide de la demande et de l'espace ont favorisé l'entrée massive des opérateurs privés dans l'activité de transport. Ces moyens de locomotion sont désormais non plus confinés dans un espace délimité (et périphérique), mais se retrouvent partout dans la ville, y compris dans les quartiers centraux (Kassi, 2007). Désignés en Côte d'Ivoire par les noms de gbaka (minibus) et woro-woro (taxis collectifs), ils sont aujourd'hui encore emblématiques de l'espace urbain et de l'identité de la ville, comme en témoigne la chanson Les gbakas d'Abidjan de Daouda, où l'on peut entendre que « tous les quartiers de la ville ont leur ligne [de gbakas], mes amis je vous le dis, y'en a même à Cocody ».

Ce phénomène est en effet très lié à la crise mondiale qui se diffuse dans les années 1980, et aux mesures budgétaires imposées notamment à nombre de pays en développement par le biais des plans d'ajustement structurel (PAS). Ces derniers ont pour objectif une réduction drastique des dépenses publiques, compensée par un phénomène de libéralisation de certaines activités relevant traditionnellement de la charge de l'État. Les réseaux de transports publics urbains, principalement faits de lignes de bus, voient leur budget diminuer et leurs flottes se réduire. Parallèlement, les villes s'agrandissent, et les réseaux de transport public ne couvrent qu'une part de plus en plus réduite de la ville. C'est cette dynamique de réduction des moyens de l'État, et donc des entreprises publiques de transport comme la Sotra à Abidjan, qui laisse une place croissante aux transporteurs privés et aux caractéristiques informelles (Kassi-Djodjo, 2010).

À échelle plus petite, on peut observer des dynamiques similaires mais distinctes dans le domaine du transport ferroviaire. Anciennement gérées par l'État, les quelques voies de chemin de fer de la région (les deux principales étant la ligne Abidjan-Ouagadougou et la ligne Dakar-Bamako) sont privatisées pour survivre à la baisse drastique de budget liée aux PAS. Récupérées par des filiales de grands groupes comme Bolloré Logistics dans le cas de la ligne Abidjan-Ouagadougou, c'est le début d'un double processus de baisse du trafic passager et

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d'augmentation du trafic commercial sur ces lignes, qui persiste aujourd'hui (Dagnogno et al, 2012).

2- Retour des investissements publics et enjeux d'articulation public-privé

Depuis une vingtaine d'années, le retour d'une croissance économique de plus en plus soutenue et les investissements importants de certaines instances du développement mondial (Banque mondiale, AFD par exemple) ont permis un retour de l'argent public dans le secteur des transports. L'un des secteurs les plus transformés se trouve être le secteur portuaire, vital pour les économies en croissance des états d'Afrique de l'Ouest : dans le cas de la Côte d'Ivoire, il est estimé que 80 à 90% de son économie transite par le port d'Abidjan. Au cours de ces dix dernières années, le domaine portuaire du continent africain a connu une évolution accélérée de ses infrastructures et de ses équipements qui lui a permis de rejoindre les standards internationaux, et ce bien plus rapidement que ce qui était prévu. L'adoption de partenariats public-privé a notamment permis d'apporter la capacité d'investissement nécessaire. Bien que moins visibles, « les infrastructures portuaires ont connu un saut qualitatif du même ordre que celui enregistré par la téléphonie lors de l'arrivée du téléphone mobile sur le continent » (De Noray, 2015). Pour l'État, ces partenariats incarnent une solution très attrayante à court terme puisqu'ils permettent de stimuler l'économie tout en réduisant les investissements publics.

Mais l'idée de partenariats public-privé exige une articulation entre ces deux secteurs, en matière de gestion et d'objectifs. Dans le cas des mobilités intra-urbaines, c'est l'histoire d'une confrontation difficile toujours d'actualité entre une puissance publique de retour avec de grandes ambitions (l'émergence reste un objectif majeur dans la région) et un secteur privé non seulement très important mais aussi désormais puissamment organisé. En effet, les syndicats de transporteurs par exemple sont des interlocuteurs de la puissance publique, mais ils se savent en position de force du fait de la couverture encore proportionnellement faible des réseaux de bus publics et du fait du contexte de décentralisation qui a lieu dans plusieurs pays de la région comme le Sénégal ou la Côte d'Ivoire (Lombard, 2006). Ainsi, l'espace public de transport est au coeur de multiples conflits : entre opérateurs pour l'affectation des lignes les plus rentables, entre groupements professionnels pour le leadership exclusif dans les gares routières, mais aussi entre collectivités locales pour le recouvrement sans partage des taxes, de même qu'entre pouvoirs locaux et état central pour la reconnaissance mutuelle des prérogatives.

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Les autorités publiques ne sont pas actuellement assez influentes pour gérer cette multitude de conflits (Lombard et Bi, 2008).

3- Pour les métropoles, un enjeu d'intégration régionale et d'insertion dans la mondialisation

« La mondialisation économique requiert des pôles d'activités et de peuplement, même distants, connectés les uns aux autres ; elle demande des circulations fluides entre deux terminaux » (Hall et al., 2010), qui ne soient pas entravées par des problèmes logistiques, sociaux ou politiques locaux. C'est dans ce contexte que l'on observe une volonté d'intégration et d'interconnectivité de plus en plus forte des pôles principaux de la région, à savoir les grandes villes concentrant les flux économiques et humains les plus importants.

Depuis le rebond économique des années 2000, et après des années d'entrave des capacités d'investissement des États liée à la conjonction de crises économiques et de la pression des plans d'ajustement structurel, de grands chantiers ont pris place le long des axes majeurs de circulation. La priorité donnée aux interconnexions nationales et internationales est soutenue par des acteurs de première importance tels que les bailleurs internationaux, les gouvernements, les opérateurs privés, mais aussi des organismes panafricains comme le Programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA). Ainsi, cette ligne politique est désormais affichée comme un choix porteur de développement (Mare
· et Ninot, 2018). Sur les chantiers ouest-africains, la présence européenne reste dominante malgré la concurrence qui a permis à Dubai Port World de récupérer la concession du port de Dakar depuis 2007, gagnée pourtant contre le groupe Bolloré qui est présent depuis la fin des années 1920 au Sénégal. Ce dernier a récemment fait parler de lui avec son projet de boucle ferroviaire prévue dans une région où la route a depuis longtemps nettement pris le pas sur le rail dans les projets d'aménagement d'infrastructures de transport. Le projet est de relier cinq pays d'Afrique (la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, le Bénin et le Togo) grâce à 2 700 km de voies ferrées (Mare
· et Ninot, 2018).

Concernant l'enjeu d'intégration à la mondialisation, c'est le secteur portuaire qui est le plus important. Les ports majeurs de la région (Lagos, Abidjan, Dakar, Douala, Tema) rivalisent de grands projets et de grands aménagements pour revendiquer le titre de premier port de la

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région (Chauvin et al, 2017). Ce qui a permis cette évolution très rapide des infrastructures portuaires, en à peine dix ans, c'est avant tout l'adoption progressive par la majorité des pays africains d'une organisation portuaire fondée sur le modèle des partenariats publics-privés (De Noray, 2015). Il s'agit d'un mode de gestion et de financement qui vise à la fois à maintenir l'État dans une position de propriétaire et à l'inciter à mettre en concession les principales activités de ses ports à caractère industriel et commercial, en les spécialisant par types de produits auxquels sont consacrés des terminaux dédiés. C'est ainsi que dans un port de bonne taille, on peut trouver à la fois un terminal pour les produits pétroliers, un autre pour les conteneurs, un autre encore pour les céréales, etc. Tout cela implique des aménagements conséquents et en perpétuelle évolution dans les principaux ports ouest-africains.

Enseignements des lectures

Les auteurs et autrices dressent le constat suivant : avec le retour depuis les années 20002010 d'une certaine croissance et d'une présence renforcée de la puissance publique, les grandes villes ouest-africaines, dans leur reconquête de la maîtrise de la production de l'espace urbain et dans leurs projets d'insertion dans la mondialisation sont très contraints par l'influence prépondérante qu'ont pris les différents acteurs privés, formels ou moins formels, dans les différents domaines du transport humain et marchand. Ces dynamiques s'intègrent à un contexte concurrentiel entre les métropoles de la région, qui recherchent toutes à leur façon le meilleur équilibre possible des partenariats public-privé dans un objectif clair : la course à la croissance et au développement.

Dans ce contexte régional, Abidjan se positionne, cherche à asseoir sa réputation de tête de l'Afrique de l'Ouest francophone, ambitionnant même de concurrencer Lagos, son imposante voisine. Dans le domaine des transports, elle met en place des projets à la hauteur de ses ambitions, visant peut-être autant à fluidifier et à renforcer ses flux qu'à accroitre son prestige. Ce sera l'objet d'une part importante de cette étude.

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Définition des termes

Le caractère scientifique de l'étude impose un cadrage théorique rigoureux du sujet. Nous nous en acquitterons ici dans un exercice de définition des termes, selon une double approche de définition théorique et dans certains cas de positionnement dans le champ de l'étude.

Ville et métropole

Le terme de « ville » est un terme à la fois polysémique et peu délimité. On peut affirmer en tout cas qu'il s'oppose à celui de « campagne », bien qu'aucune opposition nette entre les deux termes ne puisse être définitivement tranchée (Géoconfluences, 2019). La complexité des débats qui existent vient entre autres de la double question du seuil statistique et spatial du mode de définition de la ville. Il n'existe pas à échelle mondiale de consensus sur un seuil statistique (un nombre minimum d'habitants) ni spatial (question des limites de la ville). Par ailleurs, il apparaît que l'identité de la ville ne puisse être réduite qu'à des définitions de seuils. Elle exerce, par les fonctions et les activités qu'elle concentre, une influence qui s'étend au-delà des limites de son implantation physique. C'est de cette influence qu'émerge dans la modélisation scientifique une classification des villes nommée « hiérarchie urbaine », qui a été théorisée en premier par la loi de Zipf en 1949. À échelle de la Côte d'Ivoire, Abidjan se classe au sommet de la hiérarchie urbaine, puisque les dix communes d'Abidjan comptent environ cinq millions d'habitants, tandis que la seconde ville de Côte d'Ivoire, Bouaké, n'en abrite que 500 000 à 600 000. Seconde ville d'Afrique de l'Ouest après Lagos, et capitale économique de la Côte d'Ivoire, Abidjan a des effets structurants sur l'espace, qu'elle influence sur tout le territoire ivoirien mais également au-delà de ses frontières.

Cela fait d'Abidjan une véritable métropole, car, selon le site Géoconfluences de l'École Normale Supérieure de Lyon, « la métropole est avant tout un ensemble urbain de grande importance qui exerce des fonctions de commandement, d'organisation et d'impulsion sur une région et qui permet son intégration avec le reste du monde ». Ainsi, l'une des caractéristiques principales d'une métropole, et qui définit sa place dans la hiérarchie métropolitaine, est sa concentration de lieux de pouvoir ou d'influence. Le cas d'Abidjan est intéressant du fait d'une ambiguïté liée à son statut officiel : Abidjan n'est plus la capitale politique de la Côte d'Ivoire, au profit depuis 1983 de Yamoussoukro, ville de l'intérieur du

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pays plus de dix fois moins peuplée. Néanmoins, Abidjan concentre des fonctions politiques majeures : l'Assemblée nationale, la plupart des ministères et les ambassades par exemple se trouvent à Abidjan. La résidence du président de la République, actuellement Alassane Ouattara, est également à Abidjan, de même que le bâtiment de la Banque mondiale qui s'y est implanté depuis son retour dans le pays. Il apparaît ainsi que le véritable coeur politique du pays est à Abidjan et non à Yamoussoukro, malgré les efforts qui ont été faits pour procéder à la décentralisation, notamment par le premier président, Félix Houphouët-Boigny, ou encore Laurent Gbagbo après lui.

Le poids démographique et économique d'Abidjan, de même que la concentration des fonctions de commandement en son sein, sont autant de facteurs qui lui confèrent le statut de métropole de rang régional. Néanmoins, ce schéma d'analyse, s'il trouve sa pertinence dans une étude qui s'intéresse à la place d'Abidjan dans la mondialisation, trouve certaines limites dans son approche occidentalo-centrée. Nous nous attacherons donc dans cette étude à caractériser Abidjan selon une grille de lecture « mondialisée », mais également à dégager certaines spécificités selon une approche plus localisée.

Produire la ville

La ville est un objet géographique dont la forme est influencée en permanence par l'intégralité des acteurs qui s'y côtoient, par leurs pratiques et leurs initiatives. Selon Roger Brunet, dans Le déchiffrement du monde paru en 2014, « la géographie contemporaine est la science qui étudie la façon dont les sociétés fabriquent des espaces ». Le terme de « sociétés » est ici délibérément vague et pluriscalaire, car une société est une entité sociale très complexe à délimiter : une ville est une société, de même qu'elle s'intègre à des sociétés plus vastes, et abrite une multitude de sociétés plus petites. Traditionnellement, l'acteur au sein des sociétés humaines qui est chargé de penser l'aménagement de l'espace est l'État. L'une des activités d'un état est de construire l'espace, au grès des forces politiques qui se succèdent à sa tête, en s'appuyant pour cela sur des moyens importants d'ordre financier, intellectuel, mais aussi législatif. Mais l'espace est également construit par des acteurs privés, et notamment des entreprises ou organisations. Le mode de production de la ville à Abidjan ne peut être détaché de l'histoire nationale récente. La crise des années 1980 a engendré une forte baisse des moyens de la puissance publique. Cela s'est entre autres manifesté dans la capacité de l'État à maîtriser la fabrication de l'espace sur le territoire ivoirien. Très affaibli, l'État a dû se retirer de ses fonctions de planificateur. Mais à Abidjan, cela n'a pas stoppé le processus de croissance

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urbaine déjà à l'oeuvre. Cette dernière est donc devenue anarchique, car beaucoup moins encadrée par la puissance publique. Cela a par ailleurs renforcé l'influence des acteurs privés dans la production de l'espace urbain. Le retour en force de l'État qui est en cours depuis une dizaine d'années, se fonde sur un contexte économique favorable, et a vu un nouveau mode d'aménagement se généraliser : le partenariat public-privé. L'État est aux commandes, mais il compense des moyens toujours limités en déléguant des activités à des entreprises privées, dont il encadre l'exercice.

Cette façon de faire influence l'espace urbain abidjanais, et contribue à le fabriquer. Nous tâcherons de caractériser le mode de production de l'espace urbain qui en découle, selon l'angle des projets dans les transports.

Abidjan

Il convient de délimiter spatialement ce que l'on entend par Abidjan. L'analyse sera cadrée sur trois échelles distinctes.

D'abord, l'échelle traditionnelle est celle de la ville d'Abidjan au sens administratif. Il s'agit de l'échelle la plus commune entendue par les auteurs et autrices des travaux sur la ville. Elle regroupe dix communes : Abobo, Adjamé, Attécoubé, Cocody, Koumassi, Marcory, Le Plateau, Port-Bouët, Treichville et Yopougon.

La seconde échelle est également de nature administrative : il s'agit du District Autonome d'Abidjan (DAA). En plus de la commune d'Abidjan, il rassemble trois de ses quatre communes périphériques les plus proches : Songon à l'Ouest, Anyama au Nord et Bingerville à l'Est. Nous retenons cette échelle car le district possède certaines prérogatives concernant les transports, notamment les transports urbains, ce qui en fait un des acteurs de notre sujet. Par ailleurs, le Grand Abidjan dont nous allons beaucoup parler se calquait initialement sur le district.

Enfin, la dernière échelle est celle à laquelle pensent désormais les autorités planificatrices pour l'aménagement urbain à Abidjan : il s'agit du Grand Abidjan. Défini officiellement en 2015 par le Schéma directeur d'urbanisme du Grand Abidjan (SDUGA), cette échelle de pensée dépasse les frontières du district pour englober six communes périphériques supplémentaires : Grand Bassam, Bonoua, Alépé, Azaguié, Dabou et Jacqueville. Seule la commune de Grand Bassam se situe véritablement dans l'unité urbaine d'Abidjan, c'est-à-dire qu'elle s'agglomère au district d'Abidjan sans discontinuité du bâti. Cela forme un périmètre d'environ 80 kilomètres d'Ouest en Est, et de 60 km du Nord au Sud. La première ligne du

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SDUGA définit clairement son objectif : « Le présent projet a pour objectif de formuler, pour la Zone du Grand Abidjan, un plan de développement urbain durable et conforme au Plan National de Développement » (SDUGA, p.14). Ce plan comporte un large volet de planification des transports, qui nous intéresse particulièrement dans le cadre de cette étude.

Carte n°1 : Les trois échelles d'Abidjan

Commune d'Abidjan Communes du district autonome Forêt du Banco Zones urbanisées Grand Abidjan Lagune Ébrié

Réalisation : Gaspard Ostian, 2021.

Les grands projets dans les transports

La thématique des transports à Abidjan regroupe de très nombreuses dynamiques qu'il nous faudra appréhender. Longtemps en difficulté, le retour des investissements, d'une meilleure santé économique et d'un certain optimisme national ont entrainé dans ce secteur le retour sur le devant de la scène d'une multitude de projets les concernant. Ces projets sont trop nombreux pour tous les aborder en détail, et il est important pour la suite de déterminer le cadre retenu dans cette étude.

Se pose d'abord la question de la temporalité. Nous avons fait le choix de choisir comme bornes chronologiques la décennie 2011-2021. L'étude commence en 2011 car c'est l'année de la fin officielle de la crise politico-militaire en Côte d'Ivoire, et du début d'un important retour

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en force économique : entre 2011 et 2012, le taux de croissance passe de -4,4% à +10,71% selon la Banque mondiale, et se maintiendra à une moyenne de plus de 8% annuels jusqu'à 20191. C'est ce contexte économique favorable qui a permis depuis des investissements massifs dans les transports. Cela a permis de relancer des projets préexistants, et d'en concevoir de nouveaux.

Il faut ensuite préciser ce que l'on entend par « grands projets dans les transports ». Nous limiterons ainsi cette étude à l'ensemble des projets en matière d'infrastructures, d'équipements et d'organisation des réseaux et des flux à l'échelle du Grand Abidjan qui ont été achevés ou sont en cours de réalisation entre les années 2011 et 2021, année à laquelle a été terminée cette étude. Nous n'aborderons ainsi que les projets estimés comme étant ancrés dans le réel, c'est-à-dire ceux qui sont achevés ou ceux, déjà commencés, qui présentent toutes les chances d'être terminés. Nous n'aborderons ainsi pas les projets qui sont au pur état théorique, car ils sont nombreux à être annoncés sans être par la suite réalisés, notamment en période d'élections : cela ferait l'objet d'une intéressante analyse discursive, qui ne sera néanmoins pas notre présent objet. Il faut préciser ici que la liste des projets qui seront abordés est non-exhaustive. Tout en essayant d'en présenter un panel le plus large possible, il a fallu faire des choix sur le développement ou non autour de certains projets. Ce choix a toujours été fait en fonction du critère de la pertinence en fonction des analyses présentées.

Le transport artisanal : positionnement dans le débat sémantique

Si le présent travail touche aux projets dans les transports au sens global, une grande partie de l'analyse sera tournée autour des questions liées à la mobilité urbaine. À Abidjan, le transport public, incarné par la SOTRA (Société des transports abidjanais) ne représente qu'environ 10% de l'offre de mobilité. La voiture individuelle représente une proportion équivalente des déplacements. C'est donc le transport collectif privé, comme partout dans la région, qui domine les mobilités, représentant ici près de 80% des déplacements motorisés. Il existe depuis plusieurs décennies un débat d'ordre sémantique entre les chercheurs travaillant sur ces questions concernant la désignation de cette offre de transport. Nous allons nous appliquer à les présenter brièvement, et à prendre position afin d'éviter toute ambiguïté dans la suite de l'étude.

1 La pandémie de Covid-19 a impacté négativement la croissance ivoirienne sans qu'il ne soit encore possible de connaître ses conséquences à moyen terme.

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Le terme de « transport informel » a dominé pendant un temps. Le Bureau international du travail (BIT) est l'une des premières organisations à l'employer et le définir en 1974. La définition évoluera peu à peu par la suite. Aujourd'hui, le monde de la recherche semble tendre à s'accorder pour l'éliminer du fait de plusieurs faiblesses. D'abord, il désignait à l'origine des activités proches de la survie, au faible investissement de départ et faibles revenus. Avec le transport motorisé, ce n'est plus le cas. Ensuite, il existe des règles internes, externes, des normes, et il s'agit d'une activité souvent assujettie par exemple à des taxes. Cela tranche avec l'informalité. Enfin, le terme suggère l'illégalité, alors que c'est en général au minimum une activité tolérée, voire parfaitement légale, comme c'est le cas à Abidjan (avec quelques exceptions que nous évoquerons). De ce fait, nous ne pouvons retenir ici le terme de « transport informel » pour désigner les mobilités collectives privées à Abidjan. Ainsi, s'il y a des caractéristiques de l'informel dans la mobilité collective privée à Abidjan, nous ne pouvons la qualifier de « transport informel ».

Il existe de nombreuses autres appellations concurrentes. Certains parlent de « transport non conventionnel » (Coing, 1981), d'autres de « transport transitionnel » (Bugnicourt, 1981) « non incorporé », « clandestin » ou « artisanal » (Godard et Teurnier, 1992 ; Godard, 2002) etc. Nous passerons sur ces appellations souvent déjà assez anciennes, pour nous concentrer sur les deux qui nous apparaissent comme étant les plus pertinentes et intéressantes dans le cadre de cette étude.

Irène Kassi-Djodjo, principale spécialiste actuelle des mobilités à Abidjan, a introduit en 2007 dans sa thèse le terme de « transports populaires ». Elle justifie cette appellation en trois points principaux : ces transports d'abord ont vocation à déplacer les couches les plus populaires, qui selon elle sont les plus importantes dans les villes africaines. Cette terminologie lui semble également appropriée car elle laisse entrevoir le caractère spontané et peu organisé de ces mobilités. Elle les oppose aux bus, qui, s'ils sont collectifs et destinés à tous, sont trop peu développés pour mériter l'appellation de populaires. Enfin, elle rappelle que les transports populaires, du fait de leur coût réduit, ont depuis leur origine été accessibles à tous.

La dernière appellation est celle de « transport artisanal ». Elle désigne l'exploitation à une échelle individuelle de véhicules de transport public dont la propriété est atomisée, c'est-à-dire répartie entre de nombreux propriétaires (Godard, 2007). Cette exploitation peut être régie par des organisations professionnelles, que sont à Abidjan les syndicats, qui intègrent des règles collectives. Cette conception met en évidence le rôle majeur du chauffeur : la

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responsabilité du véhicule leur est largement confiée, et il apparaît comme un gestionnaire de terrain. Les choix qu'il fait sont sanctionnés ou valorisés par la recette. Ainsi, le chauffeur peut être considéré comme l'exploitant, bien plus que le propriétaire qui apparaît plutôt comme un loueur ou un rentier.

Les observations menées sur le terrain nous amènent, dans le cadre de la présente étude, à privilégier le terme de « transport artisanal ». Cela se justifie doublement : d'abord, si le qualificatif « artisanal » nous a surpris et paru inadéquat au début, les éléments de définition en revanche nous apparaissent très révélateurs de la réalité du fonctionnement de de ces mobilités et évocateurs quant aux problématiques qu'ils peuvent soulever, et qui sont des enjeux actuels à prendre en compte dans le processus de restructuration des mobilités qui est en cours à Abidjan. Par ailleurs, la définition d'Irène Kassi-Djodjo nous a semblé trouver ses limites dans la question du prix notamment : les tarifs pratiqués par les gbakas et woro-woro ne sont pas, à échelle des revenus de la population, particulièrement bon marché. En effet, à Abidjan, « environ 40 % des déplacements se font à pied, comme dans les principales villes européennes. La différence est qu'en Côte d'Ivoire, il s'agit plus d'un choix forcé que d'une option, en raison de la contrainte financière qui pèse sur les ménages les plus pauvres » (Banque mondiale, 2019). Ainsi, si les « transports populaires » sont en effet pratiques car omniprésents, ils reviennent plus cher au kilomètre que les bus de la Sotra. L'ensemble de ces éléments nous mène à privilégier l'appellation de « transport artisanal ».

Problématisation

À l'issue de ce travail de cadrage conceptuel, nous pouvons faire émerger plusieurs problèmes du sujet.

D'abord, quelle est la sphère d'influence d'Abidjan à l'heure actuelle, et quelles sont ses ambitions en la matière ? Il s'agit de mettre en rapport le positionnement d'Abidjan dans la l'archipel métropolitain mondial, et les dynamiques créées par la puissance publique pour faire évoluer ce positionnement, à différentes échelles.

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Comment les ambitions d'Abidjan se traduisent-elles dans les projets dans les transports ? Il nous faut observer les projets en termes d'infrastructures mais aussi de réorganisation des flux, de modernisation de l'expérience passager. Poser cette question nous permettra de comprendre les problématiques auxquelles la ville est confrontée aujourd'hui en matière de mobilités urbaines notamment, et la méthode mise en place par les autorités afin d'y répondre.

Quel mode d'action pour la mise en place des projets ? L'État ivoirien, malgré le dynamisme économique de son pays, n'a pas à lui seul les moyens de ses grandes ambitions. Nous devons donc comprendre précisément comment il agit de concert avec des acteurs privés afin de pouvoir mobiliser des moyens importants.

Quelles conséquences ont les dynamiques actuelles de fabrication de l'espace urbain abidjanais sur la population ? Se poser cette question nous permettra d'aborder des questions de développement humain, et d'essayer d'analyser les retombées des projets dans les transports sur les habitants de la ville.

De l'ensemble de ces questionnements, nous tirons le fil directeur suivant pour cette étude : Comment les projets dans les transports sont-ils mis au service des ambitions de la métropole d'Abidjan, et que révèlent-ils de son modèle de production de l'espace ?

Méthodologie de recherche

Le travail de recherche pour cette étude s'est déroulé en deux temps : un premier temps bibliographique, qui s'est déroulé à Paris entre septembre et décembre de l'année 2020. Puis, les trois premiers mois de 2021 ont été passés sur le terrain, à Abidjan, afin de collecter des données, confronter les hypothèses tirées des lectures préliminaires, et ainsi construire véritablement la structure et le corps du travail. Le temps passé sur place m'a mené à obtenir dix-huit entretiens formels avec des acteurs du secteur du transport, ainsi que des dizaines d'échanges informels, notamment dans les transports ou dans la rue, avec des usagers, des habitants de la ville. L'un des grands avantages de mon terrain aura été que, travaillant sur les transports et les mobilités, tout déplacement dans la ville était l'occasion de faire de nouvelles

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observations, de tirer de nouvelles analyses, ou surtout de nouvelles questions, à noter pour tenter d'y trouver une réponse par la suite. À ce propos, la famille Anoh qui m'a hébergé pendant les trois mois sur place, de même que les divers amis ou connaissances rencontrés sur place, m'ont souvent permis de trouver des réponses à des questions que je n'aurais pas eu tout seul. Par ailleurs, ce temps de terrain a été l'occasion de tenir quotidiennement un carnet de terrain, dans lequel j'ai pu recenser un maximum d'informations et de souvenirs, beaucoup transcris des notes prises durant les journées. Le travail de rédaction, au retour en France, s'est beaucoup appuyé sur ce carnet afin de retrouver jour par jour certaines informations précises et précieuses. Les méthodes de recherche employées, comme vous allez le constater, ont été essentiellement qualitatives.

Les entretiens formels

Les entretiens formels sont le pilier central de mon travail de recherche, car ce sont eux qui m'ont permis d'obtenir la majeure partie des données concernant les divers projets étudiés. Ils désignent la série d'entretiens que j'ai obtenu sur rendez-vous, avec des individus souvent haut placés dans les structures abordées, à l'image du directeur du projet de métro d'Abidjan, ou bien l'un des directeurs du Port Autonome d'Abidjan. Ces entretiens sont au centre de l'aspect « par le haut » de ma recherche qui vise à répondre aux questions : à quel besoin répond le projet ? Quelle est sa nature exacte ? Quels sont ses objectifs ? Quels moyens y sont alloués ? Dans quelle stratégie d'aménagement s'intègre-t-il ? Ces entretiens m'ont permis de confronter les discours officiels aux réalités pratiques, mais également d'observer le discours des acteurs en eux-mêmes et de les mettre à distance. Lors de la période de sollicitation des rendez-vous, j'ai été confronté à des réactions très différentes de la part des différents acteurs : certains m'ont reçu très facilement et rapidement, et se sont montrés très prompts à me fournir parfois plus d'informations que je n'en demandais. D'autres acteurs ont été très compliqués à contacter, à rencontrer, et se sont montrés beaucoup moins coopérants dans les entretiens. Un cas notamment l'illustre bien : la SITARAIL, qui exploite le rail ivoiro-burkinabé, malgré des semaines de démarches, quelques réponses épisodiques de leur part, des courriers, de nombreuses et régulières relances, n'ont jamais mené à un entretien, ce que je regrette beaucoup. La liste des acteurs interrogés lors de ces entretiens formels est disponible dans les annexes.

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Les observations et entretiens informels

La recherche « par le haut » que je viens de présenter a, tout au long du terrain, été contrebalancée par une recherche « par le bas », qui m'a beaucoup permis de ne pas me laisser trop influencer par les discours des acteurs du transport, et de rester le plus possible connecté à la réalité quotidienne des habitants de la ville. Deux éléments majeurs s'intègrent à ce processus : les observations et les échanges informels réalisés quotidiennement dans la ville. Les observations m'ont occupé pleinement les deux premières semaines de mon terrain, et m'ont permis deux choses : commencer à me familiariser avec la mobilité dans la ville, et notamment avec le transport artisanal qui m'était tout à fait inconnu, ainsi qu'aller sur place pour voir l'état d'avancement d'un certain nombre de projets parmi ceux étudiés, comme le chantier du quatrième pont par exemple. Les échanges informels, eux, constituent toutes les conversations que j'ai pu avoir lors de mes déplacements et observations, avec des chauffeurs, des passagers, des passants, des amis ou connaissances, etc. L'ensemble des données collectées, consignées le plus possible dans mon carnet de terrain, représentent une très grande part de ma compréhension des dynamiques à l'oeuvre dans la ville. Les déplacements sont souvent lents à Abidjan, et il n'a pas été rare que je passe quatre heures dans une journée à aller et venir. Je crois aujourd'hui que toutes ces heures dans les transports constituent l'un des aspects les plus importants de ma recherche dans l'orientation que je lui ai donnée.

Le défi de la cartographie

Je suis arrivé sur le terrain avec l'ambition de collecter un maximum de données géoréférencées afin de produire des cartes pour spatialiser mon approche le plus possible. Très vite, je me suis heurté à ce qui restera comme une des difficultés majeures de ma recherche : le faible accès aux données. J'ai passé plusieurs semaines à mon arrivée sur place à ne rien trouver d'exploitable dans le cadre de mon sujet, en-dehors d'une base administrative en libre accès assez peu étoffée. Ce qui m'a permis une grande avancée est un échange avec un membre de la communauté OpenStreetMap Côte d'Ivoire, qui m'a parlé d'un projet qui a été réalisé par eux avec un financement de l'AFD, quelques mois auparavant : il s'agit de la cartographie de l'ensemble des lignes de bus du réseau SOTRA, et surtout des lignes de transport artisanal (woro-woro et gbaka) de la métropole abidjanaise. La récupération de ces données a permis la production d'une majeure partie des cartes présentées dans ce travail.

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Être blanc sur le terrain

Il n'est pas anodin d'être blanc et d'autant plus français lorsque l'on effectue un travail de recherche en Côte d'Ivoire, du fait des liens particuliers qui unissent l'histoire de ces deux pays. Cela affecte la recherche de plusieurs façons, à commencer par la plus évidente : la difficulté de passer inaperçu, notamment dans les quartiers les plus populaires. J'ai souvent été confronté à la surprise des gens rencontrés dans les transports ou dans la rue. Un voisin de ma cité de résidence m'a résumé les choses de la façon suivante, quand je l'interrogeais à ce propos : « eh bien, disons que, ici, les blancs ne marchent pas, ils sont toujours en voiture ». Ainsi, ma présence dans les gares de bus ou dans les gbaka a souvent suscité des réactions. La plus notable s'est déroulée alors que j'attendais le bus pour rentrer chez moi à la gare Nord de la SOTRA, située à Adjamé. Un voyageur m'a pris en photo à mon insu, et a diffusé la photo sur un groupe Facebook abidjanais. La photo a été partagée des centaines de fois, et m'est parvenue par quatre personnes différentes qui m'ont reconnu. Cet évènement, et la photo en elle-même illustrent bien la difficulté de passer inaperçu lors des observations. J'ai plusieurs fois perçu que ma couleur de peau et mon pays d'origine étaient la source de discours biaisés que l'on me tenait, comme par exemple lorsque mon guide d'Aeria pour visiter les infrastructures de l'aéroport a beaucoup insisté pour que je voie que les activités étaient gérées par des Ivoiriens et non par des occidentaux, notamment l'entretien des avions de la compagnie Air Côte d'Ivoire. Cela a souvent été un avantage, car la curiosité de mes interlocuteurs m'a régulièrement permis d'obtenir des réponses ou de lancer des conversations, voire d'être carrément interpellé. Ainsi, être blanc a incontestablement influencé la façon dont s'est déroulé mon terrain, que ce soit visible ou invisible pour moi. J'admets ne pas mesurer précisément à quel point.

Les difficultés : l'analyse discursive et le positionnement de neutralité

L'une des difficultés principales rencontrées sur place réside dans l'interprétation des discours entendus et du réel observé. Mon objectif, que j'ai présenté en introduction, était de ne m'attacher qu'aux projets ayant un potentiel que j'estime sérieux de réalisation. Mais dans un contexte aussi bouillonnant de projets qu'Abidjan, il est souvent compliqué de déterminer avec certitude ce qui a un réel potentiel de réalisation ou non. La question ne se pose pas pour les projets déjà achevés et très peu pour les projets en construction, comme le quatrième pont. C'est plus compliqué pour des projets comme le métro, qui est financé, dont les travaux préparatoires sont en cours, mais dont le chantier des infrastructures n'a pas réellement commencé. Par ailleurs, certains projets qui peuvent paraître sérieux un moment peuvent finalement ne pas se réaliser, à l'image de la gare routière d'Adjamé, lancée en 2013, prévue

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pour 2015, financée à hauteur de 42 milliards de francs, et qui pourtant n'a jamais vu le jour. Par ailleurs, j'ai beaucoup rencontré la difficulté de la neutralité, à laquelle je suis attaché. La confrontation entre le discours de certains acteurs, notamment publics, et la réalité du quotidien des personnes rencontrées, m'a souvent affecté. Il est dans ces conditions plus compliqué de mettre en recul son propre point de vue pour tâcher de rester neutre.

Les limites : étudier dans un contexte très évolutif

La limite majeure de ce travail est qu'il s'inscrit dans un contexte qui bouge très vite. Les projets dans les transports à Abidjan sont nombreux, et se succèdent rapidement au fil des années, de même que le cadre institutionnel. Il est donc très probable que des projets d'envergure et très structurants soient mis en place très vite après l'écriture de ce mémoire, et lui fassent perdre son actualité, ou bien que certains projets que j'ai considérés comme sérieux ne se réalisent finalement pas, ou pas complètement. Je me suis donc appliqué à saisir, au-delà des projets, des dynamiques générales afin de conserver de la pertinence le plus longtemps possible, sur le modèle de l'ouvrage Se déplacer dans les métropoles africaines d'Irène Kassi-Djodjo et Jean-Yves Kiettyetta. Cet ouvrage a été publié juste avant l'apparition de l'AMUGA et donc ne la mentionne pas, mais il conserve un grand intérêt scientifique sur de nombreux autres points et sur les dynamiques à l'oeuvre au moment de la rédaction de l'ouvrage.

Le terrain en période de Covid

Il s'agit d'un élément marquant de ces mois de recherche. La pandémie de Covid-19 a impacté la recherche mondiale en limitant très fortement les possibilités de se déplacer. Dans le cas de ce mémoire, l'incertitude liée au contexte sanitaire a entretenu le doute permanent quant à la possibilité de pouvoir partir pour Abidjan au mois de janvier, ce qui force à penser à des solutions de secours en amont. Heureusement, une fois sur place, le Covid-19 n'a pas été un élément très contraignant, du fait de son importance limitée sur le territoire ivoirien. Le virus ne m'a en tout et pour tout contraint à déplacer qu'un seul rendez-vous, du fait de la contamination de mon interlocuteur. Le rendez-vous s'est finalement tenu, ce qui n'a pas gêné la recherche donc. En revanche, le Covid a eu des conséquences sur le sujet de mon étude, car il a ralenti de nombreux projets, comme le chantier du quatrième pont qui devrait déjà être fini, et surtout il a causé de notables difficultés à la Côte d'Ivoire, qui a connu un frein dans sa croissance économique pourtant très dynamique jusque-là. Il sera intéressant d'observer à moyen terme les conséquences sur le transport abidjanais et ses nombreux projets.

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Première partie : Caractéristiques de la

métropolisation d'Abidjan

Cette première partie sera consacrée à une caractérisation d'Abidjan en tant que première entité urbaine de Côte d'Ivoire selon certains critères de mesure de l'importance d'une ville en géographie comme par exemple sa taille, sa démographie, son économie. Nous aborderons ces thématiques selon une approche liée aux transports, en analysant notamment les flux polarisés par Abidjan. Nous serons particulièrement attentifs à caractériser les mobilités urbaines, afin de poser les bases théoriques utiles à la suite de ce travail qui porte sur les projets dans les transports.

La problématique que nous avons construite aborde la ville d'Abidjan en tant que métropole. Ainsi, après l'avoir caractérisée en tant que capitale, nous analyserons plus précisément sa capacité à influer sur l'espace, et tenterons de définir sa sphère d'influence, et donc son rang au sein de la hiérarchie urbaine mondiale.

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CHAPITRE 1 : UNE CAPITALE AFRICAINE OÙ PRÉDOMINE LE SECTEUR ARTISANAL DANS LES MOBILITÉS

1- Une capitale économique macrocéphale qui polarise les flux de transport au sein du pays

Dans le cas d'une ville au dynamisme similaire à celui d'Abidjan, les chiffres sont délicats à aborder, et imposent de prendre certaines précautions. L'importance de l'informalité rend pour les autorités les chiffres complexes à produire avec précision. Nous les considèrerons donc ici en premier lieu comme des indicateurs afin de souligner l'importance de la ville à échelle nationale, ainsi que ses dynamiques de croissance.

A) Abidjan, moteur politique et économique d'un PED dynamique

Une croissance spatio-démographique rapide et consommatrice d'espace dans le premier pôle économique national

Abidjan est la première ville d'un pays très fortement caractérisé par sa macrocéphalie. Lors du recensement de 2014, la commune d'Abidjan comptait alors, selon l'Institut national de la statistique (INS), près de 4,4 millions d'habitants, contre environ 530 000 à Bouaké, deuxième ville du pays par la démographie. Le district autonome d'Abidjan, qui compte trois communes périphériques supplémentaires, comptait selon ce même recensement 4,7 millions d'habitants. Mais l'agglomération d'Abidjan, que nous définissons comme un ensemble urbanisé en continuité, donc sans rupture du bâti, dépasse les frontières du district, et comprend notamment la commune de Grand Bassam, qui comptait en 2012 près de 90 000 habitants. De ce fait, l'INS estimait en 2014 la population de l'agglomération d'Abidjan à près de 6 millions d'habitants.

Mais la croissance urbaine est dans cette ville l'une des plus fortes d'Afrique de l'Ouest. En 1975, la ville comptait 1 250 000 habitants, ce qui signifie qu'elle a été multipliée par cinq jusqu'à 2014. Du fait d'une croissance aussi dynamique, certains observateurs estiment qu'à l'heure actuelle, la population urbaine abidjanaise se rapproche probablement déjà des sept

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millions d'habitants, contre 1,5 million à Bouaké. Yamoussoukro, la capitale politique, ne rassemblerait en comparaison que 450 000 personnes.

La croissance démographique forte d'Abidjan s'explique par deux facteurs principaux. Le taux de fécondité d'abord est important, dans un pays qui accomplit toujours sa transition démographique. En 2017, le taux de fécondité était de 4,85 enfants par femme en âge de procréer, ce qui justifie en bonne partie le taux national de croissance démographique supérieur à 2% annuels. Il est à noter qu'il est en baisse régulière depuis 1972, où il se trouvait à près de huit enfants par femme. À Abidjan, ce taux de fécondité est néanmoins inférieur à la moyenne nationale, ce qui est explicable par plusieurs facteurs socioéconomiques, mais notamment par le coût de la vie dans la capitale économique (Fluchard, 1989). Entretenir un enfant à Abidjan nécessite en effet bien plus de moyens qu'ailleurs dans le pays. Ainsi, le second paramètre expliquant la croissance démographique abidjanaise est l'importance des flux migratoires. De nombreux migrants économiques sont attirés par la première ville ivoirienne, à échelle nationale mais aussi de l'Afrique de l'Ouest. Les migrants étrangers sont souvent issus de pays francophones, mais une part non négligeable d'entre eux provient également du Ghana et du Nigéria, anglophones. Selon un rapport des Nations Unies de 2017, la Côte d'Ivoire est le second pays d'Afrique après l'Afrique du Sud en matière d'accueil des migrants, et donc le premier d'Afrique de l'Ouest. À l'origine répartie dans les milieux ruraux du fait du dynamisme de l'agriculture ivoirienne dans les années 1960-70, les flux migratoires internes et étrangers ont tendance de plus en plus à se concentrer dans les villes, désormais plus attractives économiquement (Fluchard, 1989). Cela vaut tout particulièrement pour la capitale ivoirienne, moteur économique du pays.

Encadré n°1 : Abidjan, une ville pas si jeune

Les taux impressionnants d'accroissement démographique de Côte d'Ivoire ne sont pas particulièrement visibles à Abidjan. Certes, les enfants sont très visibles dans certains espaces définis, notamment à proximité des écoles, où leurs uniformes et leur concentration les rendent très repérables. Mais ce caractère visible est très cantonné à des espaces spécifiques. À titre de comparaison, un déplacement à l'intérieur du pays, dans le village de N'Douffoukankro, à une trentaine de kilomètres de la ville de Bouaflé, m'a beaucoup plus confronté aux dynamiques et enjeux démographiques en Côte d'Ivoire que tout ce que j'ai pu remarquer à Abidjan. Dans ce village très rural, à des kilomètres de la première route goudronnée, l'omniprésence des jeunes

enfants est bien plus frappante. Dans ce village dont on m'a dit qu'il abrite environ 4 000 âmes, la visite de l'école et des calculs personnels m'ont mené à penser que, probablement, environ une personne sur deux dans ce village est un enfant en âge d'être scolarisé en primaire. Pour nombre d'entre eux, ces enfants, arrivés à l'âge de travailler, ne trouvent pas d'activité dans leur village, et tentent leur chance ailleurs, souvent en ville. Cette dynamique, à échelle nationale, explique en partie l'exceptionnelle croissance d'une ville comme Abidjan.

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Pour ce qui est de l'accès au travail pour cette population nombreuse, Abidjan est décrite par de multiples sources comme « le moteur économique du pays ». Selon un rapport du Trésor français de 2020, « 80% de l'économie ivoirienne relèverait de la seule ville d'Abidjan ». Cette position de centralité économique nationale s'illustre spatialement au quartier du Plateau, au coeur de la ville, qui est le quartier d'affaires d'Abidjan. La ville concentre le tissu industriel le plus dense du pays et une économie de service en plein essor. Néanmoins, une large frange de la population ne trouve pas sa place dans les emplois formels, et vit d'activités informelles, très caractéristiques de l'économie abidjanaise.

Abidjan, une capitale au statut politique ambigu

Le statut d'Abidjan sur le plan de la centralité politique est assez ambigu. La capitale politique officielle est Yamoussoukro, ville située à l'intérieur du pays, à 200 kilomètres au Nord-Ouest d'Abidjan. Néanmoins, la réalité technique pose question. D'abord, il est à noter qu'Abidjan est l'ancienne capitale politique et administrative du pays, qui a été changée pour Yamoussoukro en 1983, sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny (FHB). Si des efforts ont été produits pour construire une nouvelle capitale digne de ce nom pour la Côte d'Ivoire, la transition effective ne s'est jamais vraiment faite, et la plupart des fonctions de commandement politique restent à Abidjan. À titre d'exemple, l'Assemblée nationale et la résidence du président de la République sont à Abidjan, dans les quartiers du Plateau et des ambassades. Il apparaît aujourd'hui que Yamoussoukro fut un projet cher au premier président FHB, mais que depuis son décès en 1993, aucun de ses successeurs n'a poursuivi ce projet urbain. Aujourd'hui, Yamoussoukro est décrite comme une ville qui se meurt (Memel, 2020), et la capitale politique et administrative officieuse du pays s'avère être restée Abidjan. Un bref passage sur place m'a permis d'observer des infrastructures aux proportions impressionnantes, mais un important effet de vide, voire d'abandon par endroits.

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B) Le hub national des flux humains et marchands

Tant dans le domaine des flux humains que marchands, Abidjan a un très important effet polarisant à échelle nationale, et notamment dans les domaines du transport aérien et portuaire.

Secteur portuaire

Dans le secteur du transport maritime, la façade littorale ivoirienne est polarisée par deux ports principaux : celui d'Abidjan et celui de San Pedro. Néanmoins, ces deux ports ne sont pas comparables en importance, puisque le port d'Abidjan a vu transiter plus de 25 millions de tonnes de marchandises en 2019, pour 5 millions de tonnes de marchandises à San Pedro. Le port autonome d'Abidjan (PAA) est une structure étatique, néanmoins de plus en plus concédée par terminaux et activités à des exploitants privés. On estime à l'heure actuelle qu'au moins 70% de l'économie ivoirienne transite par le PAA, qui représente 90% des recettes douanières du pays, et voit exercer en son sein deux tiers des unités industrielles du pays.

Secteur aérien

L'aéroport Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan est le seul aéroport international du pays. Il appartient à l'État. Après un fort ralentissement de son activité lors de la crise politique des années 2000, jusqu'en 2011 où l'aéroport a connu sa pire année depuis les années 1970 (640 000 passagers), le trafic a repris à la hausse avec un croissance forte et régulière sur la décennie 2010, le portant à 2,2 millions de passagers en 2019. Les investissements se sont multipliés sur la même période, afin de moderniser et d'agrandir cette infrastructure si importante pour le pays. Entre 2015 et 2019, un plan de modernisation d'un coût de 42 milliards de francs CFA (soit 64 millions d'euros) a permis l'ouverture de nouvelles portions de piste. C'est un aéroport très relié avec l'Europe, notamment par Air France qui propose dix-huit vols hebdomadaires. Mais il est également très relié au reste de l'Afrique de l'Ouest : au total, il est desservi par plus de vingt-cinq compagnies aériennes, reliant près de quarante destinations, d'après le chef des opérations aéronautiques d'AERIA, la compagnie qui exploite l'aéroport. L'aéroport international d'Abidjan, qui est public, est donc l'un des atouts de l'intégration ivoirienne et connait une dynamique actuelle de croissance utile au pays en améliorant son intégration à échelle régionale et mondiale.

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Secteur ferroviaire

La Côte d'Ivoire compte une unique ligne de chemin de fer, qui relie Abidjan à Ouagadougou, dans l'actuel Burkina Faso, ancien Niger au temps de l'occupation coloniale Longue de plus de 1200 km, dont la moitié se trouve en Côte d'Ivoire, cette ligne a été construite sur une initiative de la puissance coloniale, la France, pendant la première moitié du XXe siècle. Artère principale de l'économie de la colonie, le chemin de fer a été jusqu'en 1950 le moteur de développement socio-économique et spatial de la plupart des localités traversées (Chaléard, 2006). Comme on le voit sur la carte (CARTE 2), le chemin de fer permettait une bonne desserte rurale selon un axe nord-sud, permettant non seulement un transport plus rapide et sûr que la route, mais aussi une intégration économique des localités desservies qui ont toutes vu leurs activités se développer. Mais ce service a, comme le réseau routier, beaucoup pâti des conséquences de la crise des années 1980, et s'effondre alors du fait de la mauvaise gestion et de la concurrence de la route (Dagnogno et al, 2012). En 1993, la gestion de la ligne est récupérée par la Société internationale de transport africain par rail (SITARAIL), une filiale du groupe Bolloré, ce qui lui permet de ne pas fermer du fait du manque d'investissements. Mais les intérêts de l'ancien gestionnaire et du nouveau ne sont pas les mêmes : le transport de marchandises représente 80% du chiffre d'affaires sur cet axe, car la ligne est une voie majeure du désenclavement du Burkina Faso, qui n'a pas d'accès à la mer, en le connectant avec le port d'Abidjan. Le transport de voyageurs est donc depuis une vingtaine d'années de plus en plus écarté, et beaucoup de trains sont supprimés. L'année 2011 voit la suppression du service d'omnibus, qui était la ligne desservant le mieux les petites entités rurales.

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Carte n°2 : Le chemin de fer Abidjan-Ouagadougou (Côte d'Ivoire-Burkina Faso)

Source : Peter Christener, 2017

Avec 95% du trafic réalisé entre Abidjan et le Burkina Faso et la forte baisse du nombre de passagers depuis quarante ans, on peut dire que l'unique ligne de chemin de fer du pays est

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aujourd'hui à l'origine « d'effets tunnels » sur le territoire ivoirien : un train qui ne fait que passer sans s'arrêter a peu d'incidence spatiale, sociale ou économique sur les territoires traversés. Ces évolutions ont en tout cas accentué la place polarisante d'Abidjan, aujourd'hui principal point d'entrée ivoirien sur ce réseau ferroviaire.

Secteur routier

Abidjan est également une centralité spatiale pour le transport routier, du fait de son dynamisme économique et humain. Cela est renforcé par des aménagements récents réalisés dans le domaine des infrastructures : les deux autoroutes de Côte d'Ivoire, l'autoroute du Nord et celle de Bassam, partent d'Abidjan. La première rejoint Yamoussoukro, et la seconde rallie Grand Bassam, ville de la périphérie abidjanaise et intégrée au Grand Abidjan. En effet, la Côte d'Ivoire est connue pour son réseau routier parmi les plus développés de la région. Mais une part majoritaire du réseau est en mauvais état, et il compte peu de routes revêtues, ce dont résulte une vitesse moyenne de déplacement faible et pas notablement meilleure que ses voisins. Abidjan se positionne donc en centralité à échelle nationale de par la proportion de routes revêtues dont elle dispose, et par sa capacité de propulsion dans le réseau routier national, grâce aux autoroutes et autres voies rapides revêtues notamment.

2- Des mobilités urbaines dominées par le transport artisanal

Nous avons caractérisé la centralité d'Abidjan à échelle nationale. La partie suivante prendra comme échelle d'étude la ville d'Abidjan, et se concentrera sur les mobilités urbaines.

A) Des mobilités urbaines caractéristiques d'une ville des Suds

La mobilité urbaine à Abidjan s'insère dans un contexte multi-scalaire, d'abord à échelle du monde en développement, mais également à échelle du continent africain, et d'Afrique de l'Ouest en particulier. Ce sont ces éléments de contexte que nous allons poser maintenant.

Les mobilités urbaines dans les métropoles du monde en développement sont caractérisées par la présence de modes de transport collectifs privés (Godard, 2007), aux caractéristiques informelles, que nous avons choisi de nommer transport artisanal dans cette étude. Ces modes

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de transport, s'ils existaient déjà, ont connu une montée en puissance dans le monde en développement dans la seconde moitié du 20e siècle, du fait de dynamiques démographiques et de croissance urbaine trop importantes pour être absorbées par les offres de transport public des états (Teurnier, 1987). Le transport artisanal est donc devenu, de façon représentative sur la période, le mode de transport accompagnant la croissance urbaine non maitrisée des grandes villes des Suds. En l'absence de capacités de régulation et de planification suffisantes, la croissance urbaine, accompagnée par le transport artisanal, s'est alors faite de façon anarchique (Lombard et Bi, 2008).

Le second mode de déplacement majeur, avec les transports informels dans les villes africaines, est la marche à pied. Elle représente 50 à 80% des mobilités dans la plupart des villes africaines (Godard, 2009). À Abidjan, la part de la marche à pied est estimée à 40% des déplacements, ce qui la propulse dans la catégorie des métropoles subsahariennes les plus motorisées.

Encadré n2 : marcher dans les métropoles ouest-africaines

Dans les principales villes d'Afrique de l'Ouest, la marche à pied reste le premier mode de déplacement. Un travail de Lourdes Diaz Olvera, Didier Plat et Pascal Pochet chiffre en 2005 la part que représente la marche dans quatre capitales de la région : Ouagadougou, Bamako, Niamey et Dakar. Dans ces quatre villes, la part de la marche dans la mobilité totale s'élève entre 42% à Ouagadougou et 73% à Dakar. Cela s'explique beaucoup par l'inadéquation économique entre le pouvoir d'achat des citadins et le coût de la mobilité, même dans les transports en commun. Cela a des conséquences sociales, puisque cela participe d'une logique de ségrégation spatiale : toujours selon la même étude, près de la moitié des déplacements à pied se feraient sur une distance inférieure à deux kilomètres. Cela signifie que statistiquement, les citadins qui n'ont pas les moyens de la mobilité motorisée sont significativement cantonnés dans leur quartier. La mobilité ici représente donc un frein dans l'accès à l'emploi, qui se trouve mieux dans les quartiers les plus aisés.

L'ouvrage Se déplacer dans le métropoles africaines, publié en 2020 sous la direction d'Irène Kassi-Djodjo et Jean-Yves Kiettyetta, permet de placer Abidjan dans le contexte subsaharien. Il met en lumière le fait que, malgré toutes les spécificités en matière de mobilité

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urbaine des métropoles africaines2, un évènement commun a influencé durablement leur paysage : la crise des années 1980, et les Plans d'ajustement structurels (PAS) qui ont suivi, imposés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Ces plans ont mené à une vague de libéralisation, ici des transports, qui a vu considérablement affaiblir voire disparaître l'offre de transport public au profit du transport artisanal, dans un contexte de forte croissance urbaine.

Dans le contexte ouest-africain, Abidjan présente dans les mobilités urbaines une double-spécificité majeure que nous allons présenter maintenant. D'abord, elle dispose de la plus importante compagnie de bus publics de la région, la Société de transport abidjanais (SOTRA). Abidjan est la seule ville de la région à avoir maintenu une compagnie de transport public de cette envergure, malgré les très grandes difficultés connues d'abord lors des deux décennies de crise économique entre les années 1980 et 2000, puis lors de la décennie de crise politique et plusieurs fois militaire entre 1999 et 2011. De ces difficultés majeures, la Sotra est sortie en 2011 avec moins d'une centaine de bus en état de fonctionnement, ce qui était bien loin de suffire à la mobilité des habitants de l'agglomération. Néanmoins, la plupart des compagnies fondées sur le même modèle ont disparu dans les années 1990, à l'instar de la Société des transports du Cap-Vert (SOTRAC) à Dakar. Nous reviendrons plus précisément sur le cas de la SOTRA plus loin dans le développement. Néanmoins, elle a connu une très importante reprise en main depuis la fin de l'année 2011, et renforce depuis régulièrement sa flotte, comptant désormais environ 1250 bus fonctionnant sur son réseau, d'après le directeur du réseau bus de la compagnie3. Elle représente environ 10% de l'offre de mobilité motorisée de l'agglomération, soit 800 000 voyageurs par jour.

La seconde spécificité d'Abidjan, surnommée la perle des lagunes, est le vaste plan d'eau lagunaire qui scinde la ville en deux, d'Est en Ouest. À l'origine exploitée exclusivement par la SOTRA dans le secteur formel, la mobilité lagunaire se partage désormais entre trois opérateurs, depuis l'arrivée de la Société de transport lagunaire (STL) et le service Aqualines de la compagnie Citrans. Les acteurs formels du plan d'eau lagunaire sont depuis leur création concurrencés par les acteurs artisanaux que sont les pinasses, des embarcations souvent faites de bois et anciennement propulsées à la rame, désormais équipées de moteurs.

2 L'ouvrage aborde dans des études de cas détaillées les villes d'Abidjan, Ouagadougou, Yaoundé, Abéché, Cotonou, Mbouda.

3 Entretien réalisé le 26 février 2021 dans les locaux de la SOTRA.

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Carte n°3 : Les gares lagunaires des compagnies conventionnées

Gares SOTRA Gares STL Gares Aqualines

Réalisation : Gaspard Ostian, 2021. Source : OSM CI.

On peut observer sur la carte ci-dessus (CARTE 3) que les gares des différentes compagnies couvrent une part non-négligeable du plan d'eau lagunaire de la ville. Abidjan ne compte à l'heure actuelle que trois ponts franchissant la lagune Ébrié, reliant la partie nord à la partie sud de la ville, qui sont souvent embouteillés aux heures de pointe. Ce mode de transport représente donc une alternative intéressante et relativement bon marché pour connecter les deux rives de la ville.

Enfin, on ne peut mentionner la mobilité urbaine à Abidjan sans mentionner les taxis-compteurs. Ces derniers sont des taxis individuels qui, à la différence des woro-woro ne suivent pas d'itinéraire prédéfini mais se rendent à la destination voulue par le client. Malgré leur coût nettement supérieur à celui des transports en commun, ils sont omniprésents dans la ville, en partie car ils présentent l'avantage de se rendre partout, y compris là où les transports en commun ne passent pas.

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B) Structuration du transport artisanal abidjanais

Le transport collectif artisanal abidjanais est principalement scindé entre deux modes de transport : le taxi collectif, appelé woro-woro, et le minibus appelé gbaka. Ils se distinguent dans leur périmètre de desserte : les woro-woro sont communaux, c'est-à-dire qu'ils sont rattachés à une commune de la ville et n'en sortent pas. Les gbakas, eux, peuvent traverser différentes communes, comme rester au sein d'une seule, en fonction de l'itinéraire desservi. Les woro-woro sont identifiables à leur couleur, qui est indicative de leur commune de rattachement. Ainsi, les woro-woro de Cocody sont jaunes, ceux de Yopougon sont bleus, ceux d'Adjamé sont verts, etc. Traditionnellement, ce sont des véhicules de cinq places, qui permettent donc de charger jusqu'à quatre passagers en plus du conducteur. Les gbakas, eux, ne sont pas caractérisés par un code couleur. Ils sont en revanche très régulièrement décorés et peints, devenant ainsi des membres très identifiables et partie intégrante du paysage urbain. En témoigne par exemple l'existence du compte Instagram « gbaka_abidjan », qui recueille et expose une collection de photos de gbakas décorés. Ce compte donne une définition évocatrice du mot « gbaka » :

« Gbaka (n.m) : Véhicule utilitaire reconverti en minicar accueillant jusqu'à 20 personnes, il sillonne parfois avec style les routes d'Abidjan . »

Photo n°1 : Un gbaka abidjanais à Yopougon

Source : Instagram, page « gbaka_abidjan », 2019.

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L'illustration ci-dessus (PHOTO 1), extraite du compte Instagram « gbaka_abidjan », témoigne de l'identité visuelle très marquée que peuvent avoir ces modes de transport collectif. Souvent décrits dans les textes comme des minibus, on constate ici que la définition donnée par l'éditeur du compte semble du point de vue de l'équipement plus proche de la réalité. En effet, les sièges que l'on aperçoit par la fenêtre arrière ont été rajoutés dans ce véhicule qui semble manifestement être à l'origine une camionnette, un « véhicule utilitaire ». C'est le cas de la plupart des gbakas que j'ai eu l'occasion de prendre sur le terrain, et je n'ai pas observé de façon représentative de minibus au sens formel du terme dans la flotte de gbakas desservant l'agglomération abidjanaise.

Dans le fonctionnement de l'exploitation, l'organisation des gbakas et woro-woro est similaire. Suivant un itinéraire défini à l'avance, ils attendent d'être suffisamment pleins pour démarrer. Les passagers peuvent demander à descendre plus ou moins partout sur l'itinéraire. Il est également possible, dans la limite du critère défini de place disponible, de monter dans le véhicule simplement en se positionnant sur l'itinéraire et en se signalant au chauffeur (ou à l'apprenti, dans le cas du gbaka) lors de son passage. Le véhicule s'arrête ainsi très régulièrement sur le bas-côté, afin de faire monter ou descendre des passagers.

La commune d'Adjamé est une centralité dans les mobilités urbaines d'Abidjan. Spatialement, elle est une constellation de gares, ce qui s'explique principalement par son importance commerciale. Elle polarise fortement les itinéraires de transport collectifs, notamment ceux des gbakas (rappelons que les woro-woros sont communaux). Adjamé compte ainsi une concentration de gares au kilomètre carré inégalée dans la ville, et son paysage est très marqué par les files de gbakas en attente, ou circulant sur les routes très embouteillées de la commune.

L'organisation interne des transporteurs fonctionne aussi de façon similaire pour ces deux modes de transport. Dans la plupart des cas, les chauffeurs ne sont pas propriétaires du véhicule qu'ils conduisent (Kassi, 2007). Le propriétaire et le chauffeur s'organisent donc de la façon suivante : le chauffeur paie l'essence consommée sur la journée de travail, et doit au propriétaire une recette quotidienne de 14 000 francs CFA (21,28€) en moyenne pour un woro-woro, et de 21 000 francs CFA (31,92€) en moyenne pour un gbaka, d'après les différents chauffeurs interrogés sur place. Le reste sert de salaire au chauffeur, qu'il partage dans le cas du gbaka avec l'apprenti, dont le rôle est de gérer la montée et la descente des voyageurs et

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d'encaisser la recette auprès d'eux. Il existe différentes façons de s'organiser, mais celle décrite précédemment est apparue majoritaire dans les différents témoignages obtenus.

Il existe deux autres charges principales liées au fonctionnement du transport artisanal à Abidjan : les frais d'entretien du véhicule, et les droits d'exercer. Les frais d'entretien du véhicule, qui peuvent s'avérer importants du fait de l'âge moyen très avancé des véhicules, sont soutenus par le propriétaire. Le paiement des droits d'exploitation est double : d'une part, il faut se déclarer à l'État et payer son titre de transporteur, qui implique également le passage validé d'une visite technique auparavant. D'autre part, il faut payer des droits aux organisations syndicales qui s'occupent de la gestion des gares. Circuler sur une ligne de transport artisanal implique le passage par certaines gares stratégiques, qui sont la plupart du temps très peu territorialisées car sans infrastructures dignes de ce nom. Concrètement, les gares de transport artisanal ont tendance à occuper un espace situé sur le bord d'une route ou d'un carrefour. L'exploitation de ces gares est tenue par des organisations syndicales, qui font payer les transporteurs en fonction de leurs passages. Les frais induits sont assumés par le chauffeur.

Les transports populaires sont connus et appréciés pour l'ampleur de leur desserte au sein de la ville. Ils couvrent en effet bien plus de routes que les bus publics de la SOTRA. On peut observer dans la carte ci-dessous (CARTE 4) leur desserte complète en 2020, grâce à une étude financée par l'Agence française de développement (AFD) qui a cartographié tout le réseau abidjanais de bus publics, woro-woro, gbaka et transport lagunaire. Organisée par le ministère des transports et réalisée avec l'aide de l'association des contributeurs OpenStreetMap de Côte d'Ivoire, elle recense sur la carte ci-dessous 73 lignes de gbakas et 133 lignes de woro-woros.

Mais, l'observation de cette cartographie permet de constater la chose suivante : si la desserte du transport artisanal couvre plus de routes que celle des bus de la Sotra, elle ne sort néanmoins quasiment pas des limites de la commune d'Abidjan, lorsqu'on observe à échelle du Grand Abidjan. Cela s'explique par le fait que cette initiative de géoréférencement des lignes de transport artisanal s'est cantonnée aux lignes desservant l'agglomération abidjanaise, et s'arrête donc à la rupture du bâti. Ainsi les lignes qui desservent les communes périphériques appartenant au Grand Abidjan, comme par exemple Dabou ou Bonoua, ne sont pas représentées.

Mais force est de constater que, au sein même d'Abidjan, des disparités spatiales de desserte existent. Il apparaît nettement que les zones situées en périphérie de l'agglomération sont

beaucoup moins desservies que les quartiers plus centraux, exception faite du Plateau, où les transports artisanaux sont théoriquement interdits. Pourtant, face à la déficience du réseau de bus publics dès les années 1980, le transport artisanal est le mode de déplacement sur lequel s'appuie l'étalement urbain très fort qu'a connu Abidjan ces dernières décennies (Kassi-Djodjo, 2010). On comprend donc que, si le transport artisanal, par sa remarquable adaptabilité à la demande, est le seul capable d'accompagner la croissance urbaine vers les quartiers périphériques, et ainsi de connecter les moins aisés aux emplois du centre, il n'en demeure pas moins régi par des motifs économiques de rentabilité. Cela explique donc la desserte, certes existante mais bien plus réduite des quartiers périphériques et populaires. C'est particulièrement flagrant dans les communes populaires d'Abobo et Port-Bouët, au Nord et au Sud de la ville, où les quartiers les plus isolés se trouvent à plusieurs kilomètres d'une ligne de gbaka ou de woro-woro. Selon des données de la Société ivoirienne de construction du métro d'Abidjan (SICMA), la commune d'Abobo compterait pourtant à elle seule près de trois millions d'habitants.

Carte n°4 : Les réseaux de transport artisanal à Abidjan

Lignes de woro-woro Lignes de gbaka Routes du Grand Abidjan Zone urbanisée Grand Abidjan Lagune Ébrié

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Réalisation : Gaspard Ostian, 2021. Source : OSM CI.

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C) De l'artisanal à l'informel : les limites du contrôle exercé par la puissance publique

Afin de compléter cette première description des mobilités à Abidjan, et malgré notre positionnement sémantique en faveur de l'appellation de « transport artisanal », nous allons préciser maintenant les aspects informels du transport à Abidjan. Une meilleure compréhension du caractère informel des mobilités abidjanaises est nécessaire pour aborder la suite de l'étude, qui s'intéressera à l'avenir des transports par le biais des projets.

Si le transport artisanal est en grande partie toléré, et même plus ou moins encadré par les autorités, le contrôle exercé par ces dernières trouve ses limites à la fois dans l'ambiguïté de leurs positions en la matière, et dans leur (in)capacité à faire respecter leurs décisions. Cela s'illustre par exemple très bien dans le cas d'un nouveau type de transport informel qui a émergé il y a quelques années : les tricycles. Il s'agit de petits véhicules motorisés à trois roues qui sont aménagés de deux façons possibles : soit pour transporter une cargaison matérielle, soit pour transporter des gens. Dans ce cas, il est aménagé derrière la place du pilote un espace permettant à une ou plusieurs personnes de tenir assises. Ce mode de transport s'est développé à Abidjan après la fin de la crise de 2011, et repose sur le principe du « dernier kilomètre ». Nous avons déjà expliqué que les transports en commun sont loin de desservir toutes les routes existantes de l'agglomération. Les tricycles existent sur le service qu'ils offrent de déposer, moyennant une somme modique, les voyageurs au plus près de leur domicile. Ce mode de transport a été rapidement interdit par les autorités, du fait de leur dangerosité notamment : ces derniers sont à l'origine d'un grand nombre d'accidents, du fait de leur conduite à risque et du manque de stabilité de ces véhicules qui se renversent facilement. Mais, malgré leur interdiction, ces véhicules sont toujours répandus dans les parties les plus périphériques de la ville, et notamment dans la commune d'Abobo, qui est à la fois la plus populaire, l'une des plus peuplées, et celle qui a la desserte en transports en commun « traditionnels » la moins large. Leur existence révèle la capacité limitée de la puissance publique à faire respecter ses décisions.

Cela s'explique en bonne partie par une problématique à laquelle sont confrontées les autorités décisionnelles, à toute échelle en Côte d'Ivoire : les pratiques de corruption des

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fonctionnaires, ici des fonctionnaires de police. Tiémoko Doumbia en 2010 analyse les dynamiques socio-économiques autour de la pratique de la corruption dans le secteur du transport en Côte d'Ivoire. Il démontre que c'est une pratique très courante et codifiée. Il l'explique par une double analyse économique et culturelle : selon lui, la corruption trouve à la fois sa source dans les faibles salaires des agents de police, mais également dans le fait que c'est une pratique qui est très intégrée dans la culture locale, et donc acceptée par les acteurs non-étatiques. Dans le cas des transports, il démontre que la corruption permet aux agents de police d'augmenter leurs revenus, et aux transporteurs d'échapper aux règles et normes parfois contraignantes imposées par les autorités, notamment en termes de contrôle technique des véhicules.

Si la corruption dans le secteur du transport est de plus en plus combattue par les dirigeants, et qu'elle est bien moins importante qu'il y a dix ans car bien plus durement sanctionnée qu'avant, elle en reste néanmoins un facteur limitant pour l'État dans sa capacité d'action et de contrainte sur les transporteurs. Cela contribue à rendre le secteur du transport très accidentogène, du fait du mauvais état des véhicules et des pratiques de conduite dangereuses des conducteurs. En témoigne la photo ci-dessous (PHOTO 2), qui représente un woro-woro de Cocody accidenté. Cette image est représentative du discours général des abidjanais, qui voient les transports artisanaux, et notamment les gbakas, comme des modes de déplacement dangereux.

On retrouve cette réputation dans la chanson Les gbakas d'Abidjan de Daouda, dans laquelle on l'entend dire « il est vrai que les gbakas, font souvent des dégâts, je n'dis pas le contraire, mais comment peut-on faire ? ».

Photo n°2 : Un woro-woro accidenté à la Riviera Palmeraie, Cocody

Source : Gaspard Ostian, janvier 2021.

Par ailleurs, la puissance publique, que j'ai tendance à évoquer comme un acteur uniforme dans cette analyse, a tendance à adopter un comportement pour le moins ambigu dans ses rapports au transport artisanal, en fonction des positions des différentes structures publiques sur la question. Exemple en est donné à la mairie du Plateau, l'une des dix communes d'Abidjan, par le directeur du service de gestion des transports en commun4. Celui-ci explique que, sur la commune du Plateau, les transporteurs artisanaux n'ont pas le droit d'exercer. Néanmoins, il reconnaît que le transport artisanal existe sur la commune, sous la forme des banalisés, qu'ils préfèrent appeler covoiturage.

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4 Entretien réalisé le 3 février 2021 à la mairie du Plateau.

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Encadré n3 : les banalisés

Les « banalisés » sont un mode de transport artisanal particulier à Abidjan. À mi-chemin entre le woro-woro habituel et le gbaka, il s'agit de taxis collectifs intercommunaux. Les véhicules utilisés sont la plupart du temps des monospaces de sept places. Ils sont appelés « banalisés » car ils ne sont pas identifiables par un code couleur comme les woro-woro classiques. Leur fonctionnement est très similaire à celui des autres modes de transport artisanal. Ils se révèlent très utiles pour se déplacer sur des axes où il y a très peu de gbakas, par exemple pour rallier la commune de Cocody qui en compte très peu.

La mairie du Plateau indique avoir connaissance de l'existence de quatre gares de banalisés sur son territoire, pour un total d'environ deux cents véhicules. Le directeur du service affirme que la mairie du Plateau ne fait pas payer de taxes aux transporteurs qui circulent sur la commune, puisqu'elle ne les reconnait pas officiellement. En revanche, l'administration du District automne d'Abidjan (DAA), elle, fait payer des taxes aux banalisés, car ils font du transport intercommunal, qui relève de l'autorité du district. Par ailleurs, la mairie du Plateau délivre néanmoins des autorisations « sur le principe » aux transporteurs pour exercer.

On observe donc toute la complexité et la pluralité du rapport que peut avoir la puissance publique avec le transport artisanal : dans le cas présent, ce dernier est interdit sur la commune du Plateau, non-reconnu par la mairie qui le connaît néanmoins bien et délivre des autorisations « sur le principe » d'exercer, mais ne lui fait pas payer de taxes alors que l'administration du district, elle, en fait payer.

Il apparait donc que, si le transport artisanal est une pratique globalement tolérée et encadrée par la puissance publique, cette dernière est limitée dans sa capacité à le contraindre efficacement. Nous avons vu que cela s'explique en partie par la pratique de la corruption, encore courante. Cela est également et surtout dû à l'importance majeure que revêt le transport artisanal dans la mobilité de la ville, qui représente plus de 80% de l'offre motorisée de transport en commun. Ce monopole écrasant sur le secteur lui confère une force de résistance face à la puissance publique, qui ne peut le contraindre à sa guise, et l'oblige à la discussion, à la tolérance et au compromis.

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3- Évolutions de la place de la SOTRA dans les mobilités et introduction de nouveaux acteurs conventionnés : vers l'officialisation de la fin d'un monopole ?

La Société de transport abidjanais, ou SOTRA, est un acteur incontournable de la mobilité abidjanaise depuis sa création le 16 décembre 1960, l'année de l'indépendance de la Côte d'Ivoire. Créée pour moderniser la mobilité et remplacer le transport artisanal qui faisait alors l'offre, elle est la première société de transport urbain organisée d'Afrique de l'Ouest. Nous allons voir ici l'évolution de son rôle dans la mobilité abidjanaise depuis 60 ans.

A) Évolutions du monopole de la SOTRA depuis l'indépendance

En décembre 1958, la Côte d'Ivoire devient une République autonome par référendum. Moins de deux ans plus tard, le 7 août 1960, elle obtient l'indépendance de l'ancienne puissance colonisatrice, la France. La période de l'indépendance est celle d'une très forte augmentation du budget des administrations, car la Côte d'Ivoire n'est plus contrainte de partager ses ressources avec les autres colonies plus pauvres de l'empire français. Le budget public augmente donc de 152%, et des plans d'investissements publics massifs sont très rapidement mis en place. Malgré l'indépendance, la politique ivoirienne menée par le premier président Félix Houphouët-Boigny conserve des liens étroits avec la France, qui lui propose des partenariats techniques. C'est dans ce contexte que nait la Sotra, quelques mois plus tard. Société d'économie mixte à 35% publique, elle signe une convention de concession de service public d'une durée de quinze ans, renouvelable, et est placée sous tutelle du ministère des travaux publics et des transports. La convention de concession accordait à la SOTRA l'exclusivité du service de transport en commun de voyageurs dans Abidjan, et prévoyait la suppression des " 1000 kg " (actuels gbakas) et des taxis collectifs (woro-woro), ne laissant subsister comme transport public que les taxis à compteur, qui sont individuels. Le monopole fut effectivement appliqué à partir de juillet 1964 : l'exploitation de la société jusqu'alors déficitaire devint bénéficiaire, les propriétaires des taxis collectifs reçurent en compensation des autorisations de transport sur des lignes non urbaines ou des vignettes de « taxi-compteur ».

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Le capital social de la SOTRA, porté de 50 millions en 1960 à 800 millions de FCFA en 1974 et à 3 milliards F CFA en 1983, est détenu en 2014 à hauteur de 60,13 % par l'État Ivoirien, 39,80 % par IRISBUS/IVECO et de 0,07% par le District d'Abidjan5.

Forte de grands investissements et de partenariats avec des entreprises françaises comme Renaud, la flotte de la SOTRA s'est très vite renforcée, jusqu'à atteindre environ 1200 bus sur ses lignes dès les années 1970. Ce chiffre est comparable à aujourd'hui, mais l'agglomération abidjanaise était alors trois fois moins étendue. La ville d'Abidjan dispose alors d'un réseau de transport public effectif, efficace et en réelle position de monopole sur la mobilité urbaine.

Mais la crise économique qui débute dans les années 1980 fait prendre à la mobilité abidjanaise un nouveau tournant. Depuis l'indépendance, l'économie ivoirienne se trouve dans une santé remarquable, en croissance élevée et stable, grâce à un modèle fondé sur l'agro exportation de café et cacao principalement. Les cours internationaux étant stables, la culture et l'exportation de ces deux denrées fortifie la Côte d'Ivoire au point que l'on parle de « miracle ivoirien ». Mais les années 1980 voient un effondrement du cours du café-cacao, ce qui porte un coup très sévère à une économie ivoirienne encore très peu diversifiée. C'est le début d'une crise qui mènera à un tournant libéral, piloté par des institutions financières internationales comme la Banque mondiale ou le FMI. L'objectif est de réduire les dépenses publiques et améliorer la compétitivité dans les pays en développement pour surmonter les conséquences de la crise. Cette tendance touche tous les pays d'Afrique, et a des conséquences directes assez similaires sur la mobilité urbaine dans les métropoles du continent : le transport public chute, voire disparait, au profit du transport artisanal (Lombard, 2006). À Abidjan, la baisse des budgets publics se fait ressentir : la SOTRA, chez qui les chercheurs et chercheuses s'accordent à pointer des problèmes de gestion, est immédiatement en difficulté. Ne bénéficiant plus des largesses financières de l'État d'un pays en pleine croissance économique, la SOTRA est rapidement contrainte à réduire son activité. Il y a alors une double dynamique de déprise de la compagnie de transport public : elle est contrainte de réduire sa desserte, et n'est par ailleurs plus capable d'accompagner la croissance urbaine très forte qui est en cours, en partie expliquée par l'exode rural lié aux importantes difficultés du monde agricole ivoirien sur la période. C'est la fin du monopole effectif de la SOTRA sur les mobilités urbaines, qu'elle n'a à l'heure actuelle pas récupéré.

5 Ces chiffres ont été donnés par la SOTRA sur son site internet en 2014.

Le transport artisanal se développe, et c'est lui qui accompagne désormais la croissance urbaine de la ville. Cela a des conséquences sur la morphologie urbaine : les autobus, qui avaient jusque-là permis une croissance urbaine maitrisée d'un tissu urbain relativement dense, ne le permettent plus. « Or, il ne faut pas perdre de vue, qu'à travers les modes de transports disponibles, l'urbanisation observe des tendances consommatrices ou économes d'espace. Par conséquent, les choix d'urbanisation favorisent ou pénalisent tel ou tel mode de transport. En général, l'urbanisation diffuse, dévoreuse d'espace, est cause ou conséquence d'un mode de transport individuel ou collectif de faible capacité. Au contraire un habitat dense favorise les transports de masse et vice-versa. La capacité des autobus à assurer, à l'époque, la majeure partie de la demande en transport, leur a permis d'être un outil essentiel au service des stratégies des planificateurs » (Kassi-Djodjo, 2010). C'est donc le début d'une urbanisation diffuse, peu dense, consommatrice d'espace, et aux caractéristiques anarchiques, puisque l'État n'a plus les moyens de mettre en oeuvre une politique de planification urbaine efficace.

À l'heure actuelle, et malgré une reprise très forte sur la décennie 2011-2021 grâce au retour d'un contexte politico-économique favorable, les bus et bateaux de la SOTRA ne fournissent que 10% de l'offre de transport de la ville, pour environ 800 000 passagers transportés par jour6.

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6 Chiffres fournis par la SOTRA sur son site internet et en entretien.

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Carte n°5 : Cartographie des itinéraires desservis par les bus de la SOTRA

Itinéraires desservis par les bus SOTRA Zone urbanisée

Gares Nord et Sud

Réalisation : Gaspard Ostian, 2021. Source : OSM CI.

La carte ci-dessus (CARTE 5) présente l'actuelle desserte du réseau de bus de la SOTRA, d'après des données collectées en 2020. On observe que le maillage du réseau se fait de moins en moins dense à mesure que l'on s'éloigne des quartiers centraux. Le trafic est organisé autour de deux hubs principaux : la gare Sud, située au Plateau près du pont Félix Houphouët-Boigny, et la gare Nord à Adjamé. Ces deux gares sont des points logistiques très importants, car elles sont un terminus ou point de passage pour une vingtaine de lignes chacune. Un élément important pour l'appréhension du réseau SOTRA est la superposition des lignes, que cette carte ne met pas en valeur. La très forte concentration autour des gares Nord et Sud fait que de très nombreux tracés de lignes se superposent. Au plateau par exemple, sur le boulevard de la République, une dizaine de lignes se superposent, pour scinder leurs itinéraires plus tard. Il se pose donc à la SOTRA des problèmes d'optimisation de ses moyens pour mettre en place la meilleure couverture possible. Du fait en partie de ce fonctionnement très centralisé, mais également de moyens encore trop limités, on constate sur la carte que les bus publics ne

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desservent que très peu, voire pas du tout les quartiers les plus périphériques (et récents) de l'agglomération.

Par ailleurs, la couverture de la SOTRA apparait très cantonnée à la commune d'Abidjan. On observe en effet qu'il ne s'agit pas d'un réseau à échelle du Grand Abidjan, ni même vraiment du District d'Abidjan. Les seules communes périphériques atteintes par les bus publics sont Bingerville à l'Est (deux lignes), et Anyama au Nord (deux lignes).

Irène Kassi a proposé en 2010 une schématisation de l'articulation du transport public et artisanal à Abidjan, qui résulte des dynamiques présentées précédemment.

Figure 1 : Schéma de l'articulation des transports publics et artisanaux à Abidjan

Source : Irène Kassi, 2010

Ce schéma (FIGURE 1) met en évidence le fait que le transport artisanal émerge de la périphérie, où il est en situation de monopole. Cela s'explique par le fait que la périphérie est à la fois moins bien desservie par le transport public, et moins soumise au contrôle de la puissance publique. Les quartiers centraux sont mieux contrôlés et desservis par le bus public. Afin de compléter l'analyse, il est important de considérer le fait que les quartiers périphériques (C et D sur le schéma) aujourd'hui couvrent une superficie largement supérieure aux quartiers centraux (A et B sur le schéma).

B) Apparition de nouveau acteurs formels et projet de modification de la convention de la Sotra

Malgré la fin effective du monopole de la SOTRA depuis les années 1980-90 sur les mobilités abidjanaises avec l'émergence d'acteurs privés aux caractéristiques informelles, le monopole théorique concédé par l'État en 1960 a survécu près de trois décennies, jusqu'en 2015. L'année 2016 marque une étape importante dans ce que nous analyserons comme un processus de déconstruction progressif du monopole concédé à la SOTRA : sur la lagune, deux nouveaux acteurs formels sont introduits pour compléter l'offre. Jusqu'alors, la SOTRA et ses navettes lagunaires étaient concurrencées par des acteurs artisanaux, les pinasses. Mais face au constat de la sous-exploitation du plan d'eau lagunaire mise en lumière par le Schéma directeur urbain du Grand Abidjan, la décision a été prise de permettre l'introduction de deux nouveaux acteurs formels : la Société de transport lagunaire (STL) du groupe Snedai et Aqualines de la compagnie Citrans. Ces deux entreprises ont été conventionnées par l'État pour développer une activité de transport sur la lagune Ébrié, afin de relancer le secteur, après que des études début 2010 révèlent un potentiel de demande de 800 000 passagers par jour sur la lagune, quand la SOTRA n'en transportait que quelques milliers. Les conventions, quasiment identiques, sont d'ores et déjà signées pour aller jusqu'en 2040, soit une période initiale de 25 ans, avec possibilité de prolongement.

Les activités de la STL et d'Aqualines ont été lancées en 2017. D'après son directeur d'exploitation, la STL compte à l'heure actuelle une vingtaine de bateaux et sept gares, pour plus de 20 000 passagers par jour7. La convention de concession prévoit qu'ils aillent jusqu'à 55 bateaux, pour 70 000 passagers par jour, soit environ un dixième de la demande potentielle étudiée. Le nombre de 30 navettes devrait être atteint d'ici à 2022. À titre de comparaison, la SOTRA exploite quatre gares, trois lignes et transporte environ 30 000 passagers par jour. Il apparait donc que la mobilité sur la lagune Ébrié voit désormais trois acteurs formels d'importance comparable se concurrencer.

Sur le plan terrestre, la SOTRA est à l'heure actuelle le seul acteur conventionné en exercice. Mais il semblerait que l'avenir tende, comme sur la lagune, vers une diversification

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7 Entretien réalisé le 3 février 2021.

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des acteurs formels. Plusieurs projets d'envergure sont en cours dans le secteur de la mobilité terrestre à Abidjan, et ne sont pas menés par la SOTRA. Les deux principaux sont la construction du métro d'Abidjan, et du Bus rapid transit (BRT). Le projet de métro est mené par la Société ivoirienne de construction du métro d'Abidjan (SICMA), filiale du groupe Bouygues, qui fera l'exploitation avec le consortium d'entreprises françaises STAR (Société des transports abidjanais sur rail). Le BRT, lui, n'a pas encore d'opérateur désigné, mais d'après le directeur de la contractualisation et des aménagements à l'Autorité de la mobilité urbaine du Grand Abidjan (AMUGA), il s'agira d'une entité à capitaux privés.

La SOTRA est une entreprise déficitaire, malgré sa bonne santé relative et la croissance rapide de ses capacités. De ce fait, l'État ivoirien tend à se tourner vers des entreprises privées pour assurer des missions de service public, pour des raisons budgétaires : cela coûte moins cher. Dans cette logique, il a donc mis fin au monopole de la SOTRA sur le plan d'eau lagunaire. D'après le chef des statistiques à la SOTRA, l'entreprise et l'État (par le biais de l'AMUGA) travaillent déjà sur une révision de la convention, pourtant renouvelée en 2013 pour quinze ans.

Il apparait donc qu'au terme de soixante années de concession conférant à la SOTRA une situation, d'abord effective puis théorique de monopole sur les mobilités abidjanaises, cette dernière s'est terminée sur la lagune, et se terminera selon toute probabilité dans les années à venir sur le plan terrestre. La nouvelle question qui se pose est donc de déterminer la nouvelle articulation qui existera entre les mobilités publiques formelles, privées formelles (ou conventionnées) et artisanales. Cette question sera étudiée plus tard dans ce travail.

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