UFR 08-- Géographie
Master 1 de Géographie-- parcours DynPED Année
universitaire 2020-2021
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Transports et développement dans la
métropole d'Abidjan
Quel modèle de ville derrière les projets dans
les transports ?
Un conteneur de la compagnie Bolloré Logistics devant le
porte-conteneur « African Wind » dans le Port Autonome
d'Abidjan. Source : Gaspard Ostian, 2021
Gaspard Ostian
Session du 7 juillet 2021
Sous la direction de Nora Mare ·
Soutenu devant le jury de Nora Mare · et
Jérôme Lombard
2
3
REMERCIEMENTS
J'ai une pensée ici pour l'ensemble des personnes dont
j'ai croisé la route dans le cadre de ce travail, souvent fugitivement,
parfois plus durablement. Tout au long des mois qui se sont
écoulés, c'est le souvenir de ces très nombreuses
interactions humaines qui m'a permis de réfléchir et d'avancer.
Ce mémoire est le produit de la croisée de tous ces chemins.
Je remercie ma directrice Nora Mareï, d'abord pour avoir
accepté d'encadrer ce mémoire, mais aussi pour la qualité
de son accompagnement universitaire. Vos conseils toujours efficaces m'ont
donné jusqu'à la fin l'énergie de chercher le mieux.
À Abidjan, je remercie du fond du coeur la famille
Anoh, qui m'a accueilli chez elle durant les trois mois passés sur
place. Vos conseils, vos indications et vos réponses à mes
questions m'ont aidé au quotidien. Par votre sens de l'accueil dont je
me souviendrai toujours, j'ai pris la pleine mesure du sens des toutes
premières paroles de l'hymne national ivoirien : « Salut
Ô terre d'espérance, pays de l'hospitalité ».
De l'université Félix Houphouët-Boigny de
Cocody, je souhaite remercier, pour leur accueil et leur disponibilité,
les professeures Irène Kassi-Djodjo et Adjoba Marthe Koffi-Didia. Votre
aide m'a permis d'avancer plus efficacement et plus sereinement dans mon
travail.
Je remercie également les amis et amies
rencontrés sur place, Martin, Rokia, Djigbé, Aïcha,
Joël, Sandrine, Marc, Michel, et tous les autres. Au-delà du
travail, c'est vous qui m'avez permis de découvrir et d'aimer votre
ville et votre pays.
Depuis la France mais aussi depuis le Sénégal,
le Gabon, la Jordanie et en esprit le Kenya, je vous remercie, Anne-Victoire,
Ilanne, Juliette, Clémence, chères camarades dans ce cheminement.
Je vous souhaite une belle réussite, et j'ai hâte de lire vos
travaux !
4
Sommaire
ABRÉVIATIONS 6
INTRODUCTION GÉNÉRALE 8
PREMIERE PARTIE : CARACTERISTIQUES DE LA METROPOLISATION
D'ABIDJAN 26 CHAPITRE 1 : UNE CAPITALE AFRICAINE OÙ PRÉDOMINE LE
SECTEUR ARTISANAL DANS LES
MOBILITÉS 27
1- Une capitale économique macrocéphale qui
polarise les flux de transport au sein du pays 27
2- Des mobilités urbaines dominées par le
transport artisanal 33
3- Évolutions de la place de la SOTRA dans les
mobilités et introduction de nouveaux acteurs
conventionnés : vers l'officialisation de la fin d'un
monopole ? 45
CHAPITRE 2 : LES SIGNAUX DE LA MÉTROPOLISATION
52
1- Caractéristiques de la métropolisation
d'Abidjan : vers une métropole africaine ? 52
2- Des dix communes initiales au « Grand Abidjan » :
nouveaux moyens, nouvelle échelle pour
penser les transports abidjanais 56
PARTIE 2 : LE FUTUR DU TRANSPORT ABIDJANAIS : AMBITIONS,
ACTEURS,
MOYENS 61
Chapitre 3 : Une volonté de faire d'Abidjan un
leader régional 62
1- Les ambitions de l'État : Abidjan, premier hub de la
sous-région 62
2- Les enjeux identifiés au niveau des transports 67
3- Ses moyens d'action : l'arsenal administratif mis en place
pour des efforts de planification urbaine 74
Chapitre 4 : les projets dans les transports
82
1- Les projets d'infrastructures à influence
extranationale 82
2- Vers une mobilité urbaine moderne 90
3- L'effort porté sur les infrastructures routières
100
5
PARTIE 3 : ABIDJAN, UN EXEMPLE DE VILLE NEOLIBERALE DANS
LES
TRANSPORTS ? 105
Chapitre 5 : Aspects néolibéraux dans
les transports 106
1- Des politiques urbaines qui laissent une place croissante
aux acteurs privés 106
2- Une ville attractive orientée vers l'offre : les
transports au service de la croissance 113
3- Des externalités négatives difficiles
à maitriser pour un État contraint par de grands besoins de
résultats 117
Chapitre 6 : les conséquences sociales des
projets dans les transports 122
1- Des améliorations générales notables
122
2- Une mobilité urbaine toujours limitée 127
3- Des aménagements qui bénéficient
d'abord aux classes les plus intégrées 132
CONCLUSION GÉNÉRALE 137
BIBLIOGRAPHIE 140
ANNEXES 146
TABLES 154
6
ABRÉVIATIONS
AAI : Autorité Administrative
Indépendante
AFD : Agence Française de
Développement
AGEROUTE : Agence de Gestion des Routes
AGETU : Agence de Gestion des Transports
Urbains
AMUGA : Autorité de la Mobilité
Urbaine du Grand Abidjan
BAD : Banque Africaine de
Développement
BHNS : Bus à Haut Niveau de Service
BIT : Bureau International du Travail
BNI : Banque Nationale d'Investissement
BOT : Build Operate Transfer
BRT : Bus Rapid Transit
CEDEAO : Communauté Économique
Des États d'Afrique de l'Ouest
CRS : Compagnie Républicaine de
Sécurité
DAA : District Autonome d'Abidjan
EVP : Équivalent Vingt Pieds
FEM : Fonds Environnemental Mondial
FHB : Félix Houphouët-Boigny
FMI : Fonds Monétaire International
HKB : Henri Konan Bédié
INS : Institut National de la Statistique
JICA : Agence Japonaise de Coopération
Internationale
NTIC : Nouvelles Technologies de
l'Information et de la Communication
ONG : Organisation Non-Gouvernementale
OSM CI : OpenStreetMap Côte d'Ivoire
PAA : Port Autonome d'Abidjan
PABC : Projet d'Aménagement de la Baie
de Cocody
PAS : Plans d'Ajustement Structurels
PIDA : Programme de Développement des
Infrastructures en Afrique
PMA : Pays les Moins Avancés
PMUA : Projet de Mobilité Urbaine
d'Abidjan
PND : Plan National de
Développement
7
PPP : Partenariat Public-Privé
PPU : Programme Présidentiel
d'Urgence
PTUA : Projet de Transport Urbain
d'Abidjan
SACPRM : Société Anonyme de
Construction du Pont Riviera Marcory
SAE : Système d'Aide à
l'Exploitation
SDUGA : Schéma Directeur d'Urbanisme
du Grand Abidjan
SICMA : Société Ivoirienne de
Construction du Métro d'Abidjan
SICTA : Société ivoirienne de
contrôle technique automobile
SITARAIL : Société
Internationale de Transport Africain par Rail
SOCOPRIM : Société
Concessionnaire du Pont Riviera Marcory
SONATT : Société Nationale des
Transports terrestres
SOTRA : Société des Transports
Abidjanais
STAR : Société des Transports
Abidjanais sur Rail
STL : Société de Transport
Lagunaire
TCSP : Transport Collectif en Site Propre
UTB : Union des Transporteurs de
Bouaké
8
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Avec un taux de croissance supérieur à 7% depuis
une dizaine d'années et le deuxième plus grand PIB d'Afrique de
l'Ouest (50 milliards de dollars), la Côte d'Ivoire est, selon une
publication de la Banque mondiale de février 2017, « l'une des
économies les plus performantes du continent ». Peuplé de
près de 25 millions d'habitants, le pays combine un taux de croissance
démographique annuel d'environ 2,5%, ce qui signifie un doublement de la
population à l'horizon 2050, avec un fort taux de croissance de
l'urbanisation, passée de 17% en 1960 à plus de 50% aujourd'hui.
Abidjan, capitale économique macrocéphale du pays, est au coeur
des dynamiques économiques et démographiques, puisqu'elle
concentre 20% de la population pour 60% des richesses nationales.
Véritable poumon économique à l'influence extranationale,
elle attire des migrants venus de l'intérieur du pays comme des pays
voisins, ce qui entretient dans son agglomération une croissance
démographique et un étalement urbain soutenus.
Face à un tel dynamisme, le secteur du transport est
soumis à une forte pression, et à d'importants enjeux
d'adaptation pour parvenir à soutenir les flux croissants de biens et de
personnes. Malgré un retour notable des moyens d'action de l'État
en tant que planificateur, deux décennies de crise économique et
une décennie de crise politique ont laissé en 2011 le secteur du
transport et de la mobilité urbaine en difficulté. Ce secteur est
pourtant au coeur des intérêts stratégiques du pays, car
les autorités ivoiriennes misent beaucoup sur l'urbanisation du pays
pour répondre aux divers enjeux socio-économiques auxquels elles
sont aujourd'hui confrontées. Selon un rapport de janvier 2019 de la
Banque Mondiale, « une ville qui bouge est une ville qui gagne. Pour
bénéficier d'économies d'échelle, les entreprises
doivent pouvoir accéder aux marchés. Si les travailleurs,
fournisseurs et clients se concentrent dans une agglomération urbaine,
ces gains peuvent toutefois être annulés par les
difficultés et la lenteur de leurs déplacements. Cela est
déjà malheureusement le cas à Abidjan, avec des
ménages qui dépensent beaucoup d'argent et de temps chaque jour
dans les transports ou, pour les plus pauvres qui ne peuvent se déplacer
qu'à pied ». Cette citation est à souligner d'un
chiffre : le même rapport de la Banque mondiale de 2019 indique
qu'à Abidjan, les ménages les plus pauvres investissent environ
un tiers de leurs revenus dans les transports, pour un temps de
déplacement quotidien de trois heures en moyenne.
Pour les observateurs et les instances décisionnelles
du pays, le problème se pose de la façon suivante. On sait que
l'état des systèmes de transport des biens et des personnes
à Abidjan est un levier efficace de développement
économique et humain pour le pays entier. De quelle façon en
jouer pour optimiser le potentiel de développement de la ville ? Cette
approche n'est
9
pas nouvelle, et ce problème se pose depuis la
période des indépendances, au début des années
1960. C'est maintenant l'exercice d'un état de la littérature
scientifique sur le sujet qui nous permettra de mieux comprendre le contexte
actuel abidjanais en matière de transports, et les dynamiques qui l'ont
amené.
État de l'art
Les pays d'Afrique de l'Ouest ont connu une urbanisation
rapide depuis les indépendances, qui s'est traduite d'une part par le
renforcement des grandes agglomérations préexistantes, mais
également par la prolifération de villes de taille moyenne.
Ainsi, entre 1960 et 1990, les villes ouest africaines de plus de 100 000
habitants ont été multipliées par 7,5 et les villes de
plus de 5 000 habitants multipliées par 5 (Club du Sahel, 1998).
Néanmoins, les pays de la région ont une tendance marquée
à la macrocéphalie et on y trouve de grandes métropoles
comme Abidjan et Dakar, qui abritent toutes les deux plus ou moins 1/5 de la
population nationale et continuent de grandir à un rythme soutenu.
Confrontées depuis les années 1980 à de
sérieuses problématiques liées à la croissance
urbaine anarchique, et engagées depuis peu dans la course à
l'insertion dans la mondialisation, ces villes connaissent toutes un
bouillonnement dans le secteur des transports (Lombard et Ninot, 2010). En
effet, les infrastructures et réseaux de transport sont des objets
importants à contrôler et développer pour les
autorités urbaines et nationales pour relever les deux défis
évoqués précédemment : maîtriser l'espace
urbain et sa croissance, et connecter la ville aux flux commerciaux et humains
à échelle régionale et mondiale.
Nous allons ici tenter de situer dans le champ de la recherche
les principales villes d'Afrique de l'Ouest par rapport aux enjeux
énoncées précédemment. Nous mobiliserons
principalement des textes de géographes. Il s'agit de comprendre
certains aspects de contexte, et d'approfondir la compréhension des
enjeux déterminés par les auteurs étudiés.
L'analyse sera principalement reliée à la métropole
d'Abidjan, qui nous préoccupe dans cette étude, mais il apparait
important de l'insérer dans son contexte régional, qu'il est
nécessaire d'appréhender correctement afin de pouvoir parvenir
à une analyse pertinente.
10
1- Crise des années 1980, plans d'ajustement
structurels : une libéralisation des transports dans les principales
centralités urbaines ouest-africaines
À partir des années 1980-90, on assiste à
une réémergence des petits transporteurs privés informels,
qui tendaient à disparaître peu à peu depuis les
années 1950-60. Les difficultés des entreprises publiques de
transport collectif, la libéralisation du secteur qui a suivi et surtout
l'évolution rapide de la demande et de l'espace ont favorisé
l'entrée massive des opérateurs privés dans
l'activité de transport. Ces moyens de locomotion sont désormais
non plus confinés dans un espace délimité (et
périphérique), mais se retrouvent partout dans la ville, y
compris dans les quartiers centraux (Kassi, 2007). Désignés en
Côte d'Ivoire par les noms de gbaka (minibus) et woro-woro
(taxis collectifs), ils sont aujourd'hui encore emblématiques de
l'espace urbain et de l'identité de la ville, comme en témoigne
la chanson Les gbakas d'Abidjan de Daouda, où l'on peut
entendre que « tous les quartiers de la ville ont leur ligne [de gbakas],
mes amis je vous le dis, y'en a même à Cocody ».
Ce phénomène est en effet très lié
à la crise mondiale qui se diffuse dans les années 1980, et aux
mesures budgétaires imposées notamment à nombre de pays en
développement par le biais des plans d'ajustement structurel (PAS). Ces
derniers ont pour objectif une réduction drastique des dépenses
publiques, compensée par un phénomène de
libéralisation de certaines activités relevant traditionnellement
de la charge de l'État. Les réseaux de transports publics
urbains, principalement faits de lignes de bus, voient leur budget diminuer et
leurs flottes se réduire. Parallèlement, les villes
s'agrandissent, et les réseaux de transport public ne couvrent qu'une
part de plus en plus réduite de la ville. C'est cette dynamique de
réduction des moyens de l'État, et donc des entreprises publiques
de transport comme la Sotra à Abidjan, qui laisse une place croissante
aux transporteurs privés et aux caractéristiques informelles
(Kassi-Djodjo, 2010).
À échelle plus petite, on peut observer des
dynamiques similaires mais distinctes dans le domaine du transport ferroviaire.
Anciennement gérées par l'État, les quelques voies de
chemin de fer de la région (les deux principales étant la ligne
Abidjan-Ouagadougou et la ligne Dakar-Bamako) sont privatisées pour
survivre à la baisse drastique de budget liée aux PAS.
Récupérées par des filiales de grands groupes comme
Bolloré Logistics dans le cas de la ligne Abidjan-Ouagadougou, c'est le
début d'un double processus de baisse du trafic passager et
11
d'augmentation du trafic commercial sur ces lignes, qui
persiste aujourd'hui (Dagnogno et al, 2012).
2- Retour des investissements publics et enjeux
d'articulation public-privé
Depuis une vingtaine d'années, le retour d'une
croissance économique de plus en plus soutenue et les investissements
importants de certaines instances du développement mondial (Banque
mondiale, AFD par exemple) ont permis un retour de l'argent public dans le
secteur des transports. L'un des secteurs les plus transformés se trouve
être le secteur portuaire, vital pour les économies en croissance
des états d'Afrique de l'Ouest : dans le cas de la Côte d'Ivoire,
il est estimé que 80 à 90% de son économie transite par le
port d'Abidjan. Au cours de ces dix dernières années, le domaine
portuaire du continent africain a connu une évolution
accélérée de ses infrastructures et de ses
équipements qui lui a permis de rejoindre les standards internationaux,
et ce bien plus rapidement que ce qui était prévu. L'adoption de
partenariats public-privé a notamment permis d'apporter la
capacité d'investissement nécessaire. Bien que moins visibles,
« les infrastructures portuaires ont connu un saut qualitatif du
même ordre que celui enregistré par la téléphonie
lors de l'arrivée du téléphone mobile sur le continent
» (De Noray, 2015). Pour l'État, ces partenariats incarnent
une solution très attrayante à court terme puisqu'ils permettent
de stimuler l'économie tout en réduisant les investissements
publics.
Mais l'idée de partenariats public-privé exige
une articulation entre ces deux secteurs, en matière de gestion et
d'objectifs. Dans le cas des mobilités intra-urbaines, c'est l'histoire
d'une confrontation difficile toujours d'actualité entre une puissance
publique de retour avec de grandes ambitions (l'émergence reste un
objectif majeur dans la région) et un secteur privé non seulement
très important mais aussi désormais puissamment organisé.
En effet, les syndicats de transporteurs par exemple sont des interlocuteurs de
la puissance publique, mais ils se savent en position de force du fait de la
couverture encore proportionnellement faible des réseaux de bus publics
et du fait du contexte de décentralisation qui a lieu dans plusieurs
pays de la région comme le Sénégal ou la Côte
d'Ivoire (Lombard, 2006). Ainsi, l'espace public de transport est au coeur de
multiples conflits : entre opérateurs pour l'affectation des lignes les
plus rentables, entre groupements professionnels pour le leadership exclusif
dans les gares routières, mais aussi entre collectivités locales
pour le recouvrement sans partage des taxes, de même qu'entre pouvoirs
locaux et état central pour la reconnaissance mutuelle des
prérogatives.
12
Les autorités publiques ne sont pas actuellement assez
influentes pour gérer cette multitude de conflits (Lombard et Bi,
2008).
3- Pour les métropoles, un enjeu
d'intégration régionale et d'insertion dans la
mondialisation
« La mondialisation économique requiert des
pôles d'activités et de peuplement, même distants,
connectés les uns aux autres ; elle demande des circulations fluides
entre deux terminaux » (Hall et al., 2010), qui ne soient
pas entravées par des problèmes logistiques, sociaux ou
politiques locaux. C'est dans ce contexte que l'on observe une volonté
d'intégration et d'interconnectivité de plus en plus forte des
pôles principaux de la région, à savoir les grandes villes
concentrant les flux économiques et humains les plus importants.
Depuis le rebond économique des années 2000, et
après des années d'entrave des capacités d'investissement
des États liée à la conjonction de crises
économiques et de la pression des plans d'ajustement structurel, de
grands chantiers ont pris place le long des axes majeurs de circulation. La
priorité donnée aux interconnexions nationales et internationales
est soutenue par des acteurs de première importance tels que les
bailleurs internationaux, les gouvernements, les opérateurs
privés, mais aussi des organismes panafricains comme le Programme de
développement des infrastructures en Afrique (PIDA). Ainsi, cette ligne
politique est désormais affichée comme un choix porteur de
développement (Mare · et Ninot, 2018). Sur les chantiers
ouest-africains, la présence européenne reste dominante
malgré la concurrence qui a permis à Dubai Port World de
récupérer la concession du port de Dakar depuis 2007,
gagnée pourtant contre le groupe Bolloré qui est présent
depuis la fin des années 1920 au Sénégal. Ce dernier a
récemment fait parler de lui avec son projet de boucle ferroviaire
prévue dans une région où la route a depuis longtemps
nettement pris le pas sur le rail dans les projets d'aménagement
d'infrastructures de transport. Le projet est de relier cinq pays d'Afrique (la
Côte d'Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, le Bénin et le Togo)
grâce à 2 700 km de voies ferrées (Mare · et Ninot,
2018).
Concernant l'enjeu d'intégration à la
mondialisation, c'est le secteur portuaire qui est le plus important. Les ports
majeurs de la région (Lagos, Abidjan, Dakar, Douala, Tema) rivalisent de
grands projets et de grands aménagements pour revendiquer le titre de
premier port de la
13
région (Chauvin et al, 2017). Ce qui a permis cette
évolution très rapide des infrastructures portuaires, en à
peine dix ans, c'est avant tout l'adoption progressive par la majorité
des pays africains d'une organisation portuaire fondée sur le
modèle des partenariats publics-privés (De Noray, 2015). Il
s'agit d'un mode de gestion et de financement qui vise à la fois
à maintenir l'État dans une position de propriétaire et
à l'inciter à mettre en concession les principales
activités de ses ports à caractère industriel et
commercial, en les spécialisant par types de produits auxquels sont
consacrés des terminaux dédiés. C'est ainsi que dans un
port de bonne taille, on peut trouver à la fois un terminal pour les
produits pétroliers, un autre pour les conteneurs, un autre encore pour
les céréales, etc. Tout cela implique des aménagements
conséquents et en perpétuelle évolution dans les
principaux ports ouest-africains.
Enseignements des lectures
Les auteurs et autrices dressent le constat suivant : avec le
retour depuis les années 20002010 d'une certaine croissance et d'une
présence renforcée de la puissance publique, les grandes villes
ouest-africaines, dans leur reconquête de la maîtrise de la
production de l'espace urbain et dans leurs projets d'insertion dans la
mondialisation sont très contraints par l'influence
prépondérante qu'ont pris les différents acteurs
privés, formels ou moins formels, dans les différents domaines du
transport humain et marchand. Ces dynamiques s'intègrent à un
contexte concurrentiel entre les métropoles de la région, qui
recherchent toutes à leur façon le meilleur équilibre
possible des partenariats public-privé dans un objectif clair : la
course à la croissance et au développement.
Dans ce contexte régional, Abidjan se positionne,
cherche à asseoir sa réputation de tête de l'Afrique de
l'Ouest francophone, ambitionnant même de concurrencer Lagos, son
imposante voisine. Dans le domaine des transports, elle met en place des
projets à la hauteur de ses ambitions, visant peut-être autant
à fluidifier et à renforcer ses flux qu'à accroitre son
prestige. Ce sera l'objet d'une part importante de cette étude.
14
Définition des termes
Le caractère scientifique de l'étude impose un
cadrage théorique rigoureux du sujet. Nous nous en acquitterons ici dans
un exercice de définition des termes, selon une double approche de
définition théorique et dans certains cas de positionnement dans
le champ de l'étude.
Ville et métropole
Le terme de « ville » est un terme à la fois
polysémique et peu délimité. On peut affirmer en tout cas
qu'il s'oppose à celui de « campagne », bien qu'aucune
opposition nette entre les deux termes ne puisse être
définitivement tranchée (Géoconfluences, 2019). La
complexité des débats qui existent vient entre autres de la
double question du seuil statistique et spatial du mode de définition de
la ville. Il n'existe pas à échelle mondiale de consensus sur un
seuil statistique (un nombre minimum d'habitants) ni spatial (question des
limites de la ville). Par ailleurs, il apparaît que l'identité de
la ville ne puisse être réduite qu'à des définitions
de seuils. Elle exerce, par les fonctions et les activités qu'elle
concentre, une influence qui s'étend au-delà des limites de son
implantation physique. C'est de cette influence qu'émerge dans la
modélisation scientifique une classification des villes nommée
« hiérarchie urbaine », qui a été
théorisée en premier par la loi de Zipf en 1949. À
échelle de la Côte d'Ivoire, Abidjan se classe au sommet de la
hiérarchie urbaine, puisque les dix communes d'Abidjan comptent environ
cinq millions d'habitants, tandis que la seconde ville de Côte d'Ivoire,
Bouaké, n'en abrite que 500 000 à 600 000. Seconde ville
d'Afrique de l'Ouest après Lagos, et capitale économique de la
Côte d'Ivoire, Abidjan a des effets structurants sur l'espace, qu'elle
influence sur tout le territoire ivoirien mais également au-delà
de ses frontières.
Cela fait d'Abidjan une véritable
métropole, car, selon le site Géoconfluences de
l'École Normale Supérieure de Lyon, « la
métropole est avant tout un ensemble urbain de grande importance qui
exerce des fonctions de commandement, d'organisation et d'impulsion sur une
région et qui permet son intégration avec le reste du monde
». Ainsi, l'une des caractéristiques principales d'une
métropole, et qui définit sa place dans la hiérarchie
métropolitaine, est sa concentration de lieux de pouvoir ou d'influence.
Le cas d'Abidjan est intéressant du fait d'une ambiguïté
liée à son statut officiel : Abidjan n'est plus la capitale
politique de la Côte d'Ivoire, au profit depuis 1983 de Yamoussoukro,
ville de l'intérieur du
15
pays plus de dix fois moins peuplée. Néanmoins,
Abidjan concentre des fonctions politiques majeures : l'Assemblée
nationale, la plupart des ministères et les ambassades par exemple se
trouvent à Abidjan. La résidence du président de la
République, actuellement Alassane Ouattara, est également
à Abidjan, de même que le bâtiment de la Banque mondiale qui
s'y est implanté depuis son retour dans le pays. Il apparaît ainsi
que le véritable coeur politique du pays est à Abidjan et non
à Yamoussoukro, malgré les efforts qui ont été
faits pour procéder à la décentralisation, notamment par
le premier président, Félix Houphouët-Boigny, ou encore
Laurent Gbagbo après lui.
Le poids démographique et économique d'Abidjan,
de même que la concentration des fonctions de commandement en son sein,
sont autant de facteurs qui lui confèrent le statut de métropole
de rang régional. Néanmoins, ce schéma d'analyse, s'il
trouve sa pertinence dans une étude qui s'intéresse à la
place d'Abidjan dans la mondialisation, trouve certaines limites dans son
approche occidentalo-centrée. Nous nous attacherons donc dans cette
étude à caractériser Abidjan selon une grille de lecture
« mondialisée », mais également à dégager
certaines spécificités selon une approche plus
localisée.
Produire la ville
La ville est un objet géographique dont la forme est
influencée en permanence par l'intégralité des acteurs qui
s'y côtoient, par leurs pratiques et leurs initiatives. Selon Roger
Brunet, dans Le déchiffrement du monde paru en 2014, « la
géographie contemporaine est la science qui étudie la
façon dont les sociétés fabriquent des espaces ». Le
terme de « sociétés » est ici
délibérément vague et pluriscalaire, car une
société est une entité sociale très complexe
à délimiter : une ville est une société, de
même qu'elle s'intègre à des sociétés plus
vastes, et abrite une multitude de sociétés plus petites.
Traditionnellement, l'acteur au sein des sociétés humaines qui
est chargé de penser l'aménagement de l'espace est l'État.
L'une des activités d'un état est de construire l'espace, au
grès des forces politiques qui se succèdent à sa
tête, en s'appuyant pour cela sur des moyens importants d'ordre
financier, intellectuel, mais aussi législatif. Mais l'espace est
également construit par des acteurs privés, et notamment des
entreprises ou organisations. Le mode de production de la ville à
Abidjan ne peut être détaché de l'histoire nationale
récente. La crise des années 1980 a engendré une forte
baisse des moyens de la puissance publique. Cela s'est entre autres
manifesté dans la capacité de l'État à
maîtriser la fabrication de l'espace sur le territoire ivoirien.
Très affaibli, l'État a dû se retirer de ses fonctions de
planificateur. Mais à Abidjan, cela n'a pas stoppé le processus
de croissance
16
urbaine déjà à l'oeuvre. Cette
dernière est donc devenue anarchique, car beaucoup moins encadrée
par la puissance publique. Cela a par ailleurs renforcé l'influence des
acteurs privés dans la production de l'espace urbain. Le retour en force
de l'État qui est en cours depuis une dizaine d'années, se fonde
sur un contexte économique favorable, et a vu un nouveau mode
d'aménagement se généraliser : le partenariat
public-privé. L'État est aux commandes, mais il compense
des moyens toujours limités en déléguant des
activités à des entreprises privées, dont il encadre
l'exercice.
Cette façon de faire influence l'espace urbain
abidjanais, et contribue à le fabriquer. Nous tâcherons de
caractériser le mode de production de l'espace urbain qui en
découle, selon l'angle des projets dans les transports.
Abidjan
Il convient de délimiter spatialement ce que l'on
entend par Abidjan. L'analyse sera cadrée sur trois échelles
distinctes.
D'abord, l'échelle traditionnelle est celle de la ville
d'Abidjan au sens administratif. Il s'agit de l'échelle la plus commune
entendue par les auteurs et autrices des travaux sur la ville. Elle regroupe
dix communes : Abobo, Adjamé, Attécoubé, Cocody, Koumassi,
Marcory, Le Plateau, Port-Bouët, Treichville et Yopougon.
La seconde échelle est également de nature
administrative : il s'agit du District Autonome d'Abidjan (DAA). En plus de la
commune d'Abidjan, il rassemble trois de ses quatre communes
périphériques les plus proches : Songon à l'Ouest, Anyama
au Nord et Bingerville à l'Est. Nous retenons cette échelle car
le district possède certaines prérogatives concernant les
transports, notamment les transports urbains, ce qui en fait un des acteurs de
notre sujet. Par ailleurs, le Grand Abidjan dont nous allons beaucoup parler se
calquait initialement sur le district.
Enfin, la dernière échelle est celle à
laquelle pensent désormais les autorités planificatrices pour
l'aménagement urbain à Abidjan : il s'agit du Grand Abidjan.
Défini officiellement en 2015 par le Schéma directeur d'urbanisme
du Grand Abidjan (SDUGA), cette échelle de pensée dépasse
les frontières du district pour englober six communes
périphériques supplémentaires : Grand Bassam, Bonoua,
Alépé, Azaguié, Dabou et Jacqueville. Seule la commune de
Grand Bassam se situe véritablement dans l'unité urbaine
d'Abidjan, c'est-à-dire qu'elle s'agglomère au district d'Abidjan
sans discontinuité du bâti. Cela forme un périmètre
d'environ 80 kilomètres d'Ouest en Est, et de 60 km du Nord au Sud. La
première ligne du
17
SDUGA définit clairement son objectif : « Le
présent projet a pour objectif de formuler, pour la Zone du Grand
Abidjan, un plan de développement urbain durable et conforme au Plan
National de Développement » (SDUGA, p.14). Ce plan comporte un
large volet de planification des transports, qui nous intéresse
particulièrement dans le cadre de cette étude.
Carte n°1 : Les trois échelles d'Abidjan
Commune d'Abidjan Communes du district autonome Forêt du
Banco Zones urbanisées Grand Abidjan Lagune Ébrié
Réalisation : Gaspard Ostian, 2021.
Les grands projets dans les transports
La thématique des transports à Abidjan regroupe
de très nombreuses dynamiques qu'il nous faudra appréhender.
Longtemps en difficulté, le retour des investissements, d'une meilleure
santé économique et d'un certain optimisme national ont
entrainé dans ce secteur le retour sur le devant de la scène
d'une multitude de projets les concernant. Ces projets sont trop nombreux pour
tous les aborder en détail, et il est important pour la suite de
déterminer le cadre retenu dans cette étude.
Se pose d'abord la question de la temporalité. Nous
avons fait le choix de choisir comme bornes chronologiques la décennie
2011-2021. L'étude commence en 2011 car c'est l'année de la fin
officielle de la crise politico-militaire en Côte d'Ivoire, et du
début d'un important retour
18
en force économique : entre 2011 et 2012, le taux de
croissance passe de -4,4% à +10,71% selon la Banque mondiale, et se
maintiendra à une moyenne de plus de 8% annuels jusqu'à
20191. C'est ce contexte économique favorable qui a permis
depuis des investissements massifs dans les transports. Cela a permis de
relancer des projets préexistants, et d'en concevoir de nouveaux.
Il faut ensuite préciser ce que l'on entend par «
grands projets dans les transports ». Nous limiterons ainsi cette
étude à l'ensemble des projets en matière
d'infrastructures, d'équipements et d'organisation des réseaux et
des flux à l'échelle du Grand Abidjan qui ont été
achevés ou sont en cours de réalisation entre les années
2011 et 2021, année à laquelle a été
terminée cette étude. Nous n'aborderons ainsi que les projets
estimés comme étant ancrés dans le réel,
c'est-à-dire ceux qui sont achevés ou ceux, déjà
commencés, qui présentent toutes les chances d'être
terminés. Nous n'aborderons ainsi pas les projets qui sont au pur
état théorique, car ils sont nombreux à être
annoncés sans être par la suite réalisés, notamment
en période d'élections : cela ferait l'objet d'une
intéressante analyse discursive, qui ne sera néanmoins pas notre
présent objet. Il faut préciser ici que la liste des projets qui
seront abordés est non-exhaustive. Tout en essayant d'en
présenter un panel le plus large possible, il a fallu faire des choix
sur le développement ou non autour de certains projets. Ce choix a
toujours été fait en fonction du critère de la pertinence
en fonction des analyses présentées.
Le transport artisanal : positionnement dans le débat
sémantique
Si le présent travail touche aux projets dans les
transports au sens global, une grande partie de l'analyse sera tournée
autour des questions liées à la mobilité urbaine. À
Abidjan, le transport public, incarné par la SOTRA
(Société des transports abidjanais) ne représente
qu'environ 10% de l'offre de mobilité. La voiture individuelle
représente une proportion équivalente des déplacements.
C'est donc le transport collectif privé, comme partout dans la
région, qui domine les mobilités, représentant ici
près de 80% des déplacements motorisés. Il existe depuis
plusieurs décennies un débat d'ordre sémantique entre les
chercheurs travaillant sur ces questions concernant la désignation de
cette offre de transport. Nous allons nous appliquer à les
présenter brièvement, et à prendre position afin
d'éviter toute ambiguïté dans la suite de l'étude.
1 La pandémie de Covid-19 a impacté
négativement la croissance ivoirienne sans qu'il ne soit encore possible
de connaître ses conséquences à moyen terme.
19
Le terme de « transport informel » a dominé
pendant un temps. Le Bureau international du travail (BIT) est l'une des
premières organisations à l'employer et le définir en
1974. La définition évoluera peu à peu par la suite.
Aujourd'hui, le monde de la recherche semble tendre à s'accorder pour
l'éliminer du fait de plusieurs faiblesses. D'abord, il désignait
à l'origine des activités proches de la survie, au faible
investissement de départ et faibles revenus. Avec le transport
motorisé, ce n'est plus le cas. Ensuite, il existe des règles
internes, externes, des normes, et il s'agit d'une activité souvent
assujettie par exemple à des taxes. Cela tranche avec
l'informalité. Enfin, le terme suggère
l'illégalité, alors que c'est en général au minimum
une activité tolérée, voire parfaitement légale,
comme c'est le cas à Abidjan (avec quelques exceptions que nous
évoquerons). De ce fait, nous ne pouvons retenir ici le terme de «
transport informel » pour désigner les mobilités collectives
privées à Abidjan. Ainsi, s'il y a des caractéristiques de
l'informel dans la mobilité collective privée à Abidjan,
nous ne pouvons la qualifier de « transport informel ».
Il existe de nombreuses autres appellations concurrentes.
Certains parlent de « transport non conventionnel » (Coing, 1981),
d'autres de « transport transitionnel » (Bugnicourt, 1981) « non
incorporé », « clandestin » ou « artisanal »
(Godard et Teurnier, 1992 ; Godard, 2002) etc. Nous passerons sur ces
appellations souvent déjà assez anciennes, pour nous concentrer
sur les deux qui nous apparaissent comme étant les plus pertinentes et
intéressantes dans le cadre de cette étude.
Irène Kassi-Djodjo, principale spécialiste
actuelle des mobilités à Abidjan, a introduit en 2007 dans sa
thèse le terme de « transports populaires ». Elle justifie
cette appellation en trois points principaux : ces transports d'abord ont
vocation à déplacer les couches les plus populaires, qui selon
elle sont les plus importantes dans les villes africaines. Cette terminologie
lui semble également appropriée car elle laisse entrevoir le
caractère spontané et peu organisé de ces
mobilités. Elle les oppose aux bus, qui, s'ils sont collectifs et
destinés à tous, sont trop peu développés pour
mériter l'appellation de populaires. Enfin, elle rappelle que les
transports populaires, du fait de leur coût réduit, ont depuis
leur origine été accessibles à tous.
La dernière appellation est celle de « transport
artisanal ». Elle désigne l'exploitation à une
échelle individuelle de véhicules de transport public dont la
propriété est atomisée, c'est-à-dire
répartie entre de nombreux propriétaires (Godard, 2007). Cette
exploitation peut être régie par des organisations
professionnelles, que sont à Abidjan les syndicats, qui intègrent
des règles collectives. Cette conception met en évidence le
rôle majeur du chauffeur : la
20
responsabilité du véhicule leur est largement
confiée, et il apparaît comme un gestionnaire de terrain. Les
choix qu'il fait sont sanctionnés ou valorisés par la recette.
Ainsi, le chauffeur peut être considéré comme l'exploitant,
bien plus que le propriétaire qui apparaît plutôt comme un
loueur ou un rentier.
Les observations menées sur le terrain nous
amènent, dans le cadre de la présente étude, à
privilégier le terme de « transport artisanal ». Cela se
justifie doublement : d'abord, si le qualificatif « artisanal » nous
a surpris et paru inadéquat au début, les éléments
de définition en revanche nous apparaissent très
révélateurs de la réalité du fonctionnement de de
ces mobilités et évocateurs quant aux problématiques
qu'ils peuvent soulever, et qui sont des enjeux actuels à prendre en
compte dans le processus de restructuration des mobilités qui est en
cours à Abidjan. Par ailleurs, la définition d'Irène
Kassi-Djodjo nous a semblé trouver ses limites dans la question du prix
notamment : les tarifs pratiqués par les gbakas et
woro-woro ne sont pas, à échelle des revenus de la
population, particulièrement bon marché. En effet, à
Abidjan, « environ 40 % des déplacements se font à pied,
comme dans les principales villes européennes. La différence est
qu'en Côte d'Ivoire, il s'agit plus d'un choix forcé que d'une
option, en raison de la contrainte financière qui pèse sur les
ménages les plus pauvres » (Banque mondiale, 2019). Ainsi, si
les « transports populaires » sont en effet pratiques car
omniprésents, ils reviennent plus cher au kilomètre que les bus
de la Sotra. L'ensemble de ces éléments nous mène à
privilégier l'appellation de « transport artisanal ».
Problématisation
À l'issue de ce travail de cadrage conceptuel, nous
pouvons faire émerger plusieurs problèmes du sujet.
D'abord, quelle est la sphère d'influence d'Abidjan
à l'heure actuelle, et quelles sont ses ambitions en la matière ?
Il s'agit de mettre en rapport le positionnement d'Abidjan dans la
l'archipel métropolitain mondial, et les dynamiques créées
par la puissance publique pour faire évoluer ce positionnement, à
différentes échelles.
21
Comment les ambitions d'Abidjan se traduisent-elles dans
les projets dans les transports ? Il nous faut observer les projets en
termes d'infrastructures mais aussi de réorganisation des flux, de
modernisation de l'expérience passager. Poser cette question nous
permettra de comprendre les problématiques auxquelles la ville est
confrontée aujourd'hui en matière de mobilités urbaines
notamment, et la méthode mise en place par les autorités afin d'y
répondre.
Quel mode d'action pour la mise en place des projets ?
L'État ivoirien, malgré le dynamisme économique de
son pays, n'a pas à lui seul les moyens de ses grandes ambitions. Nous
devons donc comprendre précisément comment il agit de concert
avec des acteurs privés afin de pouvoir mobiliser des moyens
importants.
Quelles conséquences ont les dynamiques actuelles
de fabrication de l'espace urbain abidjanais sur la population ? Se poser
cette question nous permettra d'aborder des questions de développement
humain, et d'essayer d'analyser les retombées des projets dans les
transports sur les habitants de la ville.
De l'ensemble de ces questionnements, nous tirons le fil
directeur suivant pour cette étude : Comment les projets dans
les transports sont-ils mis au service des ambitions de la métropole
d'Abidjan, et que révèlent-ils de son modèle de production
de l'espace ?
Méthodologie de recherche
Le travail de recherche pour cette étude s'est
déroulé en deux temps : un premier temps bibliographique, qui
s'est déroulé à Paris entre septembre et décembre
de l'année 2020. Puis, les trois premiers mois de 2021 ont
été passés sur le terrain, à Abidjan, afin de
collecter des données, confronter les hypothèses tirées
des lectures préliminaires, et ainsi construire véritablement la
structure et le corps du travail. Le temps passé sur place m'a
mené à obtenir dix-huit entretiens formels avec des acteurs du
secteur du transport, ainsi que des dizaines d'échanges informels,
notamment dans les transports ou dans la rue, avec des usagers, des habitants
de la ville. L'un des grands avantages de mon terrain aura été
que, travaillant sur les transports et les mobilités, tout
déplacement dans la ville était l'occasion de faire de
nouvelles
22
observations, de tirer de nouvelles analyses, ou surtout de
nouvelles questions, à noter pour tenter d'y trouver une réponse
par la suite. À ce propos, la famille Anoh qui m'a hébergé
pendant les trois mois sur place, de même que les divers amis ou
connaissances rencontrés sur place, m'ont souvent permis de trouver des
réponses à des questions que je n'aurais pas eu tout seul. Par
ailleurs, ce temps de terrain a été l'occasion de tenir
quotidiennement un carnet de terrain, dans lequel j'ai pu recenser un maximum
d'informations et de souvenirs, beaucoup transcris des notes prises durant les
journées. Le travail de rédaction, au retour en France, s'est
beaucoup appuyé sur ce carnet afin de retrouver jour par jour certaines
informations précises et précieuses. Les méthodes de
recherche employées, comme vous allez le constater, ont
été essentiellement qualitatives.
Les entretiens formels
Les entretiens formels sont le pilier central de mon travail
de recherche, car ce sont eux qui m'ont permis d'obtenir la majeure partie des
données concernant les divers projets étudiés. Ils
désignent la série d'entretiens que j'ai obtenu sur rendez-vous,
avec des individus souvent haut placés dans les structures
abordées, à l'image du directeur du projet de métro
d'Abidjan, ou bien l'un des directeurs du Port Autonome d'Abidjan. Ces
entretiens sont au centre de l'aspect « par le haut » de ma recherche
qui vise à répondre aux questions : à quel besoin
répond le projet ? Quelle est sa nature exacte ? Quels sont ses
objectifs ? Quels moyens y sont alloués ? Dans quelle stratégie
d'aménagement s'intègre-t-il ? Ces entretiens m'ont permis de
confronter les discours officiels aux réalités pratiques, mais
également d'observer le discours des acteurs en eux-mêmes et de
les mettre à distance. Lors de la période de sollicitation des
rendez-vous, j'ai été confronté à des
réactions très différentes de la part des
différents acteurs : certains m'ont reçu très facilement
et rapidement, et se sont montrés très prompts à me
fournir parfois plus d'informations que je n'en demandais. D'autres acteurs ont
été très compliqués à contacter, à
rencontrer, et se sont montrés beaucoup moins coopérants dans les
entretiens. Un cas notamment l'illustre bien : la SITARAIL, qui exploite le
rail ivoiro-burkinabé, malgré des semaines de démarches,
quelques réponses épisodiques de leur part, des courriers, de
nombreuses et régulières relances, n'ont jamais mené
à un entretien, ce que je regrette beaucoup. La liste des acteurs
interrogés lors de ces entretiens formels est disponible dans les
annexes.
23
Les observations et entretiens informels
La recherche « par le haut » que je viens de
présenter a, tout au long du terrain, été
contrebalancée par une recherche « par le bas », qui m'a
beaucoup permis de ne pas me laisser trop influencer par les discours des
acteurs du transport, et de rester le plus possible connecté à la
réalité quotidienne des habitants de la ville. Deux
éléments majeurs s'intègrent à ce processus : les
observations et les échanges informels réalisés
quotidiennement dans la ville. Les observations m'ont occupé pleinement
les deux premières semaines de mon terrain, et m'ont permis deux choses
: commencer à me familiariser avec la mobilité dans la ville, et
notamment avec le transport artisanal qui m'était tout à fait
inconnu, ainsi qu'aller sur place pour voir l'état d'avancement d'un
certain nombre de projets parmi ceux étudiés, comme le chantier
du quatrième pont par exemple. Les échanges informels, eux,
constituent toutes les conversations que j'ai pu avoir lors de mes
déplacements et observations, avec des chauffeurs, des passagers, des
passants, des amis ou connaissances, etc. L'ensemble des données
collectées, consignées le plus possible dans mon carnet de
terrain, représentent une très grande part de ma
compréhension des dynamiques à l'oeuvre dans la ville. Les
déplacements sont souvent lents à Abidjan, et il n'a pas
été rare que je passe quatre heures dans une journée
à aller et venir. Je crois aujourd'hui que toutes ces heures dans les
transports constituent l'un des aspects les plus importants de ma recherche
dans l'orientation que je lui ai donnée.
Le défi de la cartographie
Je suis arrivé sur le terrain avec l'ambition de
collecter un maximum de données
géoréférencées afin de produire des cartes pour
spatialiser mon approche le plus possible. Très vite, je me suis
heurté à ce qui restera comme une des difficultés majeures
de ma recherche : le faible accès aux données. J'ai passé
plusieurs semaines à mon arrivée sur place à ne rien
trouver d'exploitable dans le cadre de mon sujet, en-dehors d'une base
administrative en libre accès assez peu étoffée. Ce qui
m'a permis une grande avancée est un échange avec un membre de la
communauté OpenStreetMap Côte d'Ivoire, qui m'a parlé d'un
projet qui a été réalisé par eux avec un
financement de l'AFD, quelques mois auparavant : il s'agit de la cartographie
de l'ensemble des lignes de bus du réseau SOTRA, et surtout des lignes
de transport artisanal (woro-woro et gbaka) de la
métropole abidjanaise. La récupération de ces
données a permis la production d'une majeure partie des cartes
présentées dans ce travail.
24
Être blanc sur le terrain
Il n'est pas anodin d'être blanc et d'autant plus
français lorsque l'on effectue un travail de recherche en Côte
d'Ivoire, du fait des liens particuliers qui unissent l'histoire de ces deux
pays. Cela affecte la recherche de plusieurs façons, à commencer
par la plus évidente : la difficulté de passer inaperçu,
notamment dans les quartiers les plus populaires. J'ai souvent
été confronté à la surprise des gens
rencontrés dans les transports ou dans la rue. Un voisin de ma
cité de résidence m'a résumé les choses de la
façon suivante, quand je l'interrogeais à ce propos : « eh
bien, disons que, ici, les blancs ne marchent pas, ils sont toujours en voiture
». Ainsi, ma présence dans les gares de bus ou dans les gbaka
a souvent suscité des réactions. La plus notable s'est
déroulée alors que j'attendais le bus pour rentrer chez moi
à la gare Nord de la SOTRA, située à Adjamé. Un
voyageur m'a pris en photo à mon insu, et a diffusé la photo sur
un groupe Facebook abidjanais. La photo a été partagée des
centaines de fois, et m'est parvenue par quatre personnes différentes
qui m'ont reconnu. Cet évènement, et la photo en elle-même
illustrent bien la difficulté de passer inaperçu lors des
observations. J'ai plusieurs fois perçu que ma couleur de peau et mon
pays d'origine étaient la source de discours biaisés que l'on me
tenait, comme par exemple lorsque mon guide d'Aeria pour visiter les
infrastructures de l'aéroport a beaucoup insisté pour que je voie
que les activités étaient gérées par des Ivoiriens
et non par des occidentaux, notamment l'entretien des avions de la compagnie
Air Côte d'Ivoire. Cela a souvent été un avantage, car la
curiosité de mes interlocuteurs m'a régulièrement permis
d'obtenir des réponses ou de lancer des conversations, voire
d'être carrément interpellé. Ainsi, être blanc a
incontestablement influencé la façon dont s'est
déroulé mon terrain, que ce soit visible ou invisible pour moi.
J'admets ne pas mesurer précisément à quel point.
Les difficultés : l'analyse discursive et le
positionnement de neutralité
L'une des difficultés principales rencontrées
sur place réside dans l'interprétation des discours entendus et
du réel observé. Mon objectif, que j'ai présenté en
introduction, était de ne m'attacher qu'aux projets ayant un potentiel
que j'estime sérieux de réalisation. Mais dans un contexte aussi
bouillonnant de projets qu'Abidjan, il est souvent compliqué de
déterminer avec certitude ce qui a un réel potentiel de
réalisation ou non. La question ne se pose pas pour les projets
déjà achevés et très peu pour les projets en
construction, comme le quatrième pont. C'est plus compliqué pour
des projets comme le métro, qui est financé, dont les travaux
préparatoires sont en cours, mais dont le chantier des infrastructures
n'a pas réellement commencé. Par ailleurs, certains projets qui
peuvent paraître sérieux un moment peuvent finalement ne pas se
réaliser, à l'image de la gare routière d'Adjamé,
lancée en 2013, prévue
25
pour 2015, financée à hauteur de 42 milliards de
francs, et qui pourtant n'a jamais vu le jour. Par ailleurs, j'ai beaucoup
rencontré la difficulté de la neutralité, à
laquelle je suis attaché. La confrontation entre le discours de certains
acteurs, notamment publics, et la réalité du quotidien des
personnes rencontrées, m'a souvent affecté. Il est dans ces
conditions plus compliqué de mettre en recul son propre point de vue
pour tâcher de rester neutre.
Les limites : étudier dans un contexte
très évolutif
La limite majeure de ce travail est qu'il s'inscrit dans un
contexte qui bouge très vite. Les projets dans les transports à
Abidjan sont nombreux, et se succèdent rapidement au fil des
années, de même que le cadre institutionnel. Il est donc
très probable que des projets d'envergure et très structurants
soient mis en place très vite après l'écriture de ce
mémoire, et lui fassent perdre son actualité, ou bien que
certains projets que j'ai considérés comme sérieux ne se
réalisent finalement pas, ou pas complètement. Je me suis donc
appliqué à saisir, au-delà des projets, des dynamiques
générales afin de conserver de la pertinence le plus longtemps
possible, sur le modèle de l'ouvrage Se déplacer dans les
métropoles africaines d'Irène Kassi-Djodjo et Jean-Yves
Kiettyetta. Cet ouvrage a été publié juste avant
l'apparition de l'AMUGA et donc ne la mentionne pas, mais il conserve un grand
intérêt scientifique sur de nombreux autres points et sur les
dynamiques à l'oeuvre au moment de la rédaction de l'ouvrage.
Le terrain en période de Covid
Il s'agit d'un élément marquant de ces mois de
recherche. La pandémie de Covid-19 a impacté la recherche
mondiale en limitant très fortement les possibilités de se
déplacer. Dans le cas de ce mémoire, l'incertitude liée au
contexte sanitaire a entretenu le doute permanent quant à la
possibilité de pouvoir partir pour Abidjan au mois de janvier, ce qui
force à penser à des solutions de secours en amont. Heureusement,
une fois sur place, le Covid-19 n'a pas été un
élément très contraignant, du fait de son importance
limitée sur le territoire ivoirien. Le virus ne m'a en tout et pour tout
contraint à déplacer qu'un seul rendez-vous, du fait de la
contamination de mon interlocuteur. Le rendez-vous s'est finalement tenu, ce
qui n'a pas gêné la recherche donc. En revanche, le Covid a eu des
conséquences sur le sujet de mon étude, car il a ralenti de
nombreux projets, comme le chantier du quatrième pont qui devrait
déjà être fini, et surtout il a causé de notables
difficultés à la Côte d'Ivoire, qui a connu un frein dans
sa croissance économique pourtant très dynamique
jusque-là. Il sera intéressant d'observer à moyen terme
les conséquences sur le transport abidjanais et ses nombreux projets.
26
Première partie : Caractéristiques de
la
métropolisation d'Abidjan
Cette première partie sera consacrée à
une caractérisation d'Abidjan en tant que première entité
urbaine de Côte d'Ivoire selon certains critères de mesure de
l'importance d'une ville en géographie comme par exemple sa taille, sa
démographie, son économie. Nous aborderons ces thématiques
selon une approche liée aux transports, en analysant notamment les flux
polarisés par Abidjan. Nous serons particulièrement attentifs
à caractériser les mobilités urbaines, afin de poser les
bases théoriques utiles à la suite de ce travail qui porte sur
les projets dans les transports.
La problématique que nous avons construite aborde la
ville d'Abidjan en tant que métropole. Ainsi, après
l'avoir caractérisée en tant que capitale, nous
analyserons plus précisément sa capacité à influer
sur l'espace, et tenterons de définir sa sphère d'influence, et
donc son rang au sein de la hiérarchie urbaine mondiale.
27
CHAPITRE 1 : UNE CAPITALE AFRICAINE OÙ
PRÉDOMINE LE SECTEUR ARTISANAL DANS LES MOBILITÉS
1- Une capitale économique macrocéphale qui
polarise les flux de transport au sein du pays
Dans le cas d'une ville au dynamisme similaire à celui
d'Abidjan, les chiffres sont délicats à aborder, et imposent de
prendre certaines précautions. L'importance de l'informalité rend
pour les autorités les chiffres complexes à produire avec
précision. Nous les considèrerons donc ici en premier lieu comme
des indicateurs afin de souligner l'importance de la ville à
échelle nationale, ainsi que ses dynamiques de croissance.
A) Abidjan, moteur politique et économique d'un PED
dynamique
Une croissance spatio-démographique rapide et
consommatrice d'espace dans le premier pôle économique
national
Abidjan est la première ville d'un pays très
fortement caractérisé par sa macrocéphalie. Lors du
recensement de 2014, la commune d'Abidjan comptait alors, selon l'Institut
national de la statistique (INS), près de 4,4 millions d'habitants,
contre environ 530 000 à Bouaké, deuxième ville du pays
par la démographie. Le district autonome d'Abidjan, qui compte trois
communes périphériques supplémentaires, comptait selon ce
même recensement 4,7 millions d'habitants. Mais l'agglomération
d'Abidjan, que nous définissons comme un ensemble urbanisé en
continuité, donc sans rupture du bâti, dépasse les
frontières du district, et comprend notamment la commune de Grand
Bassam, qui comptait en 2012 près de 90 000 habitants. De ce fait, l'INS
estimait en 2014 la population de l'agglomération d'Abidjan à
près de 6 millions d'habitants.
Mais la croissance urbaine est dans cette ville l'une des plus
fortes d'Afrique de l'Ouest. En 1975, la ville comptait 1 250 000 habitants, ce
qui signifie qu'elle a été multipliée par cinq
jusqu'à 2014. Du fait d'une croissance aussi dynamique, certains
observateurs estiment qu'à l'heure actuelle, la population urbaine
abidjanaise se rapproche probablement déjà des sept
28
millions d'habitants, contre 1,5 million à
Bouaké. Yamoussoukro, la capitale politique, ne rassemblerait en
comparaison que 450 000 personnes.
La croissance démographique forte d'Abidjan s'explique
par deux facteurs principaux. Le taux de fécondité d'abord est
important, dans un pays qui accomplit toujours sa transition
démographique. En 2017, le taux de fécondité était
de 4,85 enfants par femme en âge de procréer, ce qui justifie en
bonne partie le taux national de croissance démographique
supérieur à 2% annuels. Il est à noter qu'il est en baisse
régulière depuis 1972, où il se trouvait à
près de huit enfants par femme. À Abidjan, ce taux de
fécondité est néanmoins inférieur à la
moyenne nationale, ce qui est explicable par plusieurs facteurs
socioéconomiques, mais notamment par le coût de la vie dans la
capitale économique (Fluchard, 1989). Entretenir un enfant à
Abidjan nécessite en effet bien plus de moyens qu'ailleurs dans le pays.
Ainsi, le second paramètre expliquant la croissance démographique
abidjanaise est l'importance des flux migratoires. De nombreux migrants
économiques sont attirés par la première ville ivoirienne,
à échelle nationale mais aussi de l'Afrique de l'Ouest. Les
migrants étrangers sont souvent issus de pays francophones, mais une
part non négligeable d'entre eux provient également du Ghana et
du Nigéria, anglophones. Selon un rapport des Nations Unies de 2017, la
Côte d'Ivoire est le second pays d'Afrique après l'Afrique du Sud
en matière d'accueil des migrants, et donc le premier d'Afrique de
l'Ouest. À l'origine répartie dans les milieux ruraux du fait du
dynamisme de l'agriculture ivoirienne dans les années 1960-70, les flux
migratoires internes et étrangers ont tendance de plus en plus à
se concentrer dans les villes, désormais plus attractives
économiquement (Fluchard, 1989). Cela vaut tout particulièrement
pour la capitale ivoirienne, moteur économique du pays.
Encadré n°1 : Abidjan, une ville pas si
jeune
Les taux impressionnants d'accroissement démographique
de Côte d'Ivoire ne sont pas particulièrement visibles à
Abidjan. Certes, les enfants sont très visibles dans certains espaces
définis, notamment à proximité des écoles,
où leurs uniformes et leur concentration les rendent très
repérables. Mais ce caractère visible est très
cantonné à des espaces spécifiques. À titre de
comparaison, un déplacement à l'intérieur du pays, dans le
village de N'Douffoukankro, à une trentaine de kilomètres de la
ville de Bouaflé, m'a beaucoup plus confronté aux dynamiques et
enjeux démographiques en Côte d'Ivoire que tout ce que j'ai pu
remarquer à Abidjan. Dans ce village très rural, à des
kilomètres de la première route goudronnée,
l'omniprésence des jeunes
|
enfants est bien plus frappante. Dans ce village dont on m'a
dit qu'il abrite environ 4 000 âmes, la visite de l'école et des
calculs personnels m'ont mené à penser que, probablement, environ
une personne sur deux dans ce village est un enfant en âge d'être
scolarisé en primaire. Pour nombre d'entre eux, ces enfants,
arrivés à l'âge de travailler, ne trouvent pas
d'activité dans leur village, et tentent leur chance ailleurs, souvent
en ville. Cette dynamique, à échelle nationale, explique en
partie l'exceptionnelle croissance d'une ville comme Abidjan.
29
Pour ce qui est de l'accès au travail pour cette
population nombreuse, Abidjan est décrite par de multiples sources comme
« le moteur économique du pays ». Selon un rapport du
Trésor français de 2020, « 80% de l'économie
ivoirienne relèverait de la seule ville d'Abidjan ». Cette position
de centralité économique nationale s'illustre spatialement au
quartier du Plateau, au coeur de la ville, qui est le quartier d'affaires
d'Abidjan. La ville concentre le tissu industriel le plus dense du pays et une
économie de service en plein essor. Néanmoins, une large frange
de la population ne trouve pas sa place dans les emplois formels, et vit
d'activités informelles, très caractéristiques de
l'économie abidjanaise.
Abidjan, une capitale au statut politique ambigu
Le statut d'Abidjan sur le plan de la centralité
politique est assez ambigu. La capitale politique officielle est Yamoussoukro,
ville située à l'intérieur du pays, à 200
kilomètres au Nord-Ouest d'Abidjan. Néanmoins, la
réalité technique pose question. D'abord, il est à noter
qu'Abidjan est l'ancienne capitale politique et administrative du pays, qui a
été changée pour Yamoussoukro en 1983, sous la
présidence de Félix Houphouët-Boigny (FHB). Si des efforts
ont été produits pour construire une nouvelle capitale digne de
ce nom pour la Côte d'Ivoire, la transition effective ne s'est jamais
vraiment faite, et la plupart des fonctions de commandement politique restent
à Abidjan. À titre d'exemple, l'Assemblée nationale et la
résidence du président de la République sont à
Abidjan, dans les quartiers du Plateau et des ambassades. Il apparaît
aujourd'hui que Yamoussoukro fut un projet cher au premier président
FHB, mais que depuis son décès en 1993, aucun de ses successeurs
n'a poursuivi ce projet urbain. Aujourd'hui, Yamoussoukro est décrite
comme une ville qui se meurt (Memel, 2020), et la capitale politique et
administrative officieuse du pays s'avère être restée
Abidjan. Un bref passage sur place m'a permis d'observer des infrastructures
aux proportions impressionnantes, mais un important effet de vide, voire
d'abandon par endroits.
30
B) Le hub national des flux humains et marchands
Tant dans le domaine des flux humains que marchands, Abidjan a
un très important effet polarisant à échelle nationale, et
notamment dans les domaines du transport aérien et portuaire.
Secteur portuaire
Dans le secteur du transport maritime, la façade
littorale ivoirienne est polarisée par deux ports principaux : celui
d'Abidjan et celui de San Pedro. Néanmoins, ces deux ports ne sont pas
comparables en importance, puisque le port d'Abidjan a vu transiter plus de 25
millions de tonnes de marchandises en 2019, pour 5 millions de tonnes de
marchandises à San Pedro. Le port autonome d'Abidjan (PAA) est une
structure étatique, néanmoins de plus en plus
concédée par terminaux et activités à des
exploitants privés. On estime à l'heure actuelle qu'au moins 70%
de l'économie ivoirienne transite par le PAA, qui représente 90%
des recettes douanières du pays, et voit exercer en son sein deux tiers
des unités industrielles du pays.
Secteur aérien
L'aéroport Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan
est le seul aéroport international du pays. Il appartient à
l'État. Après un fort ralentissement de son activité lors
de la crise politique des années 2000, jusqu'en 2011 où
l'aéroport a connu sa pire année depuis les années 1970
(640 000 passagers), le trafic a repris à la hausse avec un croissance
forte et régulière sur la décennie 2010, le portant
à 2,2 millions de passagers en 2019. Les investissements se sont
multipliés sur la même période, afin de moderniser et
d'agrandir cette infrastructure si importante pour le pays. Entre 2015 et 2019,
un plan de modernisation d'un coût de 42 milliards de francs CFA (soit 64
millions d'euros) a permis l'ouverture de nouvelles portions de piste. C'est un
aéroport très relié avec l'Europe, notamment par Air
France qui propose dix-huit vols hebdomadaires. Mais il est également
très relié au reste de l'Afrique de l'Ouest : au total, il est
desservi par plus de vingt-cinq compagnies aériennes, reliant
près de quarante destinations, d'après le chef des
opérations aéronautiques d'AERIA, la compagnie qui exploite
l'aéroport. L'aéroport international d'Abidjan, qui est public,
est donc l'un des atouts de l'intégration ivoirienne et connait une
dynamique actuelle de croissance utile au pays en améliorant son
intégration à échelle régionale et mondiale.
31
Secteur ferroviaire
La Côte d'Ivoire compte une unique ligne de chemin de
fer, qui relie Abidjan à Ouagadougou, dans l'actuel Burkina Faso, ancien
Niger au temps de l'occupation coloniale Longue de plus de 1200 km, dont la
moitié se trouve en Côte d'Ivoire, cette ligne a été
construite sur une initiative de la puissance coloniale, la France, pendant la
première moitié du XXe siècle. Artère principale de
l'économie de la colonie, le chemin de fer a été jusqu'en
1950 le moteur de développement socio-économique et spatial de la
plupart des localités traversées (Chaléard, 2006). Comme
on le voit sur la carte (CARTE 2), le chemin de fer permettait une bonne
desserte rurale selon un axe nord-sud, permettant non seulement un transport
plus rapide et sûr que la route, mais aussi une intégration
économique des localités desservies qui ont toutes vu leurs
activités se développer. Mais ce service a, comme le
réseau routier, beaucoup pâti des conséquences de la crise
des années 1980, et s'effondre alors du fait de la mauvaise gestion et
de la concurrence de la route (Dagnogno et al, 2012). En 1993, la
gestion de la ligne est récupérée par la
Société internationale de transport africain par rail (SITARAIL),
une filiale du groupe Bolloré, ce qui lui permet de ne pas fermer du
fait du manque d'investissements. Mais les intérêts de l'ancien
gestionnaire et du nouveau ne sont pas les mêmes : le transport de
marchandises représente 80% du chiffre d'affaires sur cet axe, car la
ligne est une voie majeure du désenclavement du Burkina Faso, qui n'a
pas d'accès à la mer, en le connectant avec le port d'Abidjan. Le
transport de voyageurs est donc depuis une vingtaine d'années de plus en
plus écarté, et beaucoup de trains sont supprimés.
L'année 2011 voit la suppression du service d'omnibus, qui était
la ligne desservant le mieux les petites entités rurales.
32
Carte n°2 : Le chemin de fer Abidjan-Ouagadougou
(Côte d'Ivoire-Burkina Faso)
Source : Peter Christener, 2017
Avec 95% du trafic réalisé entre Abidjan et le
Burkina Faso et la forte baisse du nombre de passagers depuis quarante ans, on
peut dire que l'unique ligne de chemin de fer du pays est
33
aujourd'hui à l'origine « d'effets tunnels »
sur le territoire ivoirien : un train qui ne fait que passer sans
s'arrêter a peu d'incidence spatiale, sociale ou économique sur
les territoires traversés. Ces évolutions ont en tout cas
accentué la place polarisante d'Abidjan, aujourd'hui principal point
d'entrée ivoirien sur ce réseau ferroviaire.
Secteur routier
Abidjan est également une centralité spatiale
pour le transport routier, du fait de son dynamisme économique et
humain. Cela est renforcé par des aménagements récents
réalisés dans le domaine des infrastructures : les deux
autoroutes de Côte d'Ivoire, l'autoroute du Nord et celle de Bassam,
partent d'Abidjan. La première rejoint Yamoussoukro, et la seconde
rallie Grand Bassam, ville de la périphérie abidjanaise et
intégrée au Grand Abidjan. En effet, la Côte d'Ivoire est
connue pour son réseau routier parmi les plus développés
de la région. Mais une part majoritaire du réseau est en mauvais
état, et il compte peu de routes revêtues, ce dont résulte
une vitesse moyenne de déplacement faible et pas notablement meilleure
que ses voisins. Abidjan se positionne donc en centralité à
échelle nationale de par la proportion de routes revêtues dont
elle dispose, et par sa capacité de propulsion dans le réseau
routier national, grâce aux autoroutes et autres voies rapides
revêtues notamment.
2- Des mobilités urbaines dominées par le
transport artisanal
Nous avons caractérisé la centralité
d'Abidjan à échelle nationale. La partie suivante prendra comme
échelle d'étude la ville d'Abidjan, et se concentrera sur les
mobilités urbaines.
A) Des mobilités urbaines caractéristiques d'une
ville des Suds
La mobilité urbaine à Abidjan s'insère
dans un contexte multi-scalaire, d'abord à échelle du monde en
développement, mais également à échelle du
continent africain, et d'Afrique de l'Ouest en particulier. Ce sont ces
éléments de contexte que nous allons poser maintenant.
Les mobilités urbaines dans les métropoles du
monde en développement sont caractérisées par la
présence de modes de transport collectifs privés (Godard, 2007),
aux caractéristiques informelles, que nous avons choisi de nommer
transport artisanal dans cette étude. Ces modes
34
de transport, s'ils existaient déjà, ont connu
une montée en puissance dans le monde en développement dans la
seconde moitié du 20e siècle, du fait de dynamiques
démographiques et de croissance urbaine trop importantes pour être
absorbées par les offres de transport public des états (Teurnier,
1987). Le transport artisanal est donc devenu, de façon
représentative sur la période, le mode de transport accompagnant
la croissance urbaine non maitrisée des grandes villes des Suds. En
l'absence de capacités de régulation et de planification
suffisantes, la croissance urbaine, accompagnée par le transport
artisanal, s'est alors faite de façon anarchique (Lombard et Bi,
2008).
Le second mode de déplacement majeur, avec les
transports informels dans les villes africaines, est la marche à pied.
Elle représente 50 à 80% des mobilités dans la plupart des
villes africaines (Godard, 2009). À Abidjan, la part de la marche
à pied est estimée à 40% des déplacements, ce qui
la propulse dans la catégorie des métropoles subsahariennes les
plus motorisées.
Encadré n2 : marcher dans les métropoles
ouest-africaines
Dans les principales villes d'Afrique de l'Ouest, la marche
à pied reste le premier mode de déplacement. Un travail de
Lourdes Diaz Olvera, Didier Plat et Pascal Pochet chiffre en 2005 la part que
représente la marche dans quatre capitales de la région :
Ouagadougou, Bamako, Niamey et Dakar. Dans ces quatre villes, la part de la
marche dans la mobilité totale s'élève entre 42% à
Ouagadougou et 73% à Dakar. Cela s'explique beaucoup par
l'inadéquation économique entre le pouvoir d'achat des citadins
et le coût de la mobilité, même dans les transports en
commun. Cela a des conséquences sociales, puisque cela participe d'une
logique de ségrégation spatiale : toujours selon la même
étude, près de la moitié des déplacements à
pied se feraient sur une distance inférieure à deux
kilomètres. Cela signifie que statistiquement, les citadins qui n'ont
pas les moyens de la mobilité motorisée sont significativement
cantonnés dans leur quartier. La mobilité ici représente
donc un frein dans l'accès à l'emploi, qui se trouve mieux dans
les quartiers les plus aisés.
L'ouvrage Se déplacer dans le métropoles
africaines, publié en 2020 sous la direction d'Irène
Kassi-Djodjo et Jean-Yves Kiettyetta, permet de placer Abidjan dans le contexte
subsaharien. Il met en lumière le fait que, malgré toutes les
spécificités en matière de mobilité
35
urbaine des métropoles africaines2, un
évènement commun a influencé durablement leur paysage : la
crise des années 1980, et les Plans d'ajustement structurels (PAS) qui
ont suivi, imposés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire
international (FMI). Ces plans ont mené à une vague de
libéralisation, ici des transports, qui a vu considérablement
affaiblir voire disparaître l'offre de transport public au profit du
transport artisanal, dans un contexte de forte croissance urbaine.
Dans le contexte ouest-africain, Abidjan présente dans
les mobilités urbaines une double-spécificité majeure que
nous allons présenter maintenant. D'abord, elle dispose de la plus
importante compagnie de bus publics de la région, la
Société de transport abidjanais (SOTRA). Abidjan est la seule
ville de la région à avoir maintenu une compagnie de transport
public de cette envergure, malgré les très grandes
difficultés connues d'abord lors des deux décennies de crise
économique entre les années 1980 et 2000, puis lors de la
décennie de crise politique et plusieurs fois militaire entre 1999 et
2011. De ces difficultés majeures, la Sotra est sortie en 2011 avec
moins d'une centaine de bus en état de fonctionnement, ce qui
était bien loin de suffire à la mobilité des habitants de
l'agglomération. Néanmoins, la plupart des compagnies
fondées sur le même modèle ont disparu dans les
années 1990, à l'instar de la Société des
transports du Cap-Vert (SOTRAC) à Dakar. Nous reviendrons plus
précisément sur le cas de la SOTRA plus loin dans le
développement. Néanmoins, elle a connu une très importante
reprise en main depuis la fin de l'année 2011, et renforce depuis
régulièrement sa flotte, comptant désormais environ 1250
bus fonctionnant sur son réseau, d'après le directeur du
réseau bus de la compagnie3. Elle représente environ
10% de l'offre de mobilité motorisée de l'agglomération,
soit 800 000 voyageurs par jour.
La seconde spécificité d'Abidjan,
surnommée la perle des lagunes, est le vaste plan d'eau lagunaire qui
scinde la ville en deux, d'Est en Ouest. À l'origine exploitée
exclusivement par la SOTRA dans le secteur formel, la mobilité lagunaire
se partage désormais entre trois opérateurs, depuis
l'arrivée de la Société de transport lagunaire (STL) et le
service Aqualines de la compagnie Citrans. Les acteurs formels du plan d'eau
lagunaire sont depuis leur création concurrencés par les acteurs
artisanaux que sont les pinasses, des embarcations souvent faites de bois et
anciennement propulsées à la rame, désormais
équipées de moteurs.
2 L'ouvrage aborde dans des études de cas
détaillées les villes d'Abidjan, Ouagadougou, Yaoundé,
Abéché, Cotonou, Mbouda.
3 Entretien réalisé le 26 février
2021 dans les locaux de la SOTRA.
36
Carte n°3 : Les gares lagunaires des compagnies
conventionnées
Gares SOTRA Gares STL Gares Aqualines
Réalisation : Gaspard Ostian, 2021. Source : OSM
CI.
On peut observer sur la carte ci-dessus (CARTE 3) que les
gares des différentes compagnies couvrent une part
non-négligeable du plan d'eau lagunaire de la ville. Abidjan ne compte
à l'heure actuelle que trois ponts franchissant la lagune
Ébrié, reliant la partie nord à la partie sud de la ville,
qui sont souvent embouteillés aux heures de pointe. Ce mode de transport
représente donc une alternative intéressante et relativement bon
marché pour connecter les deux rives de la ville.
Enfin, on ne peut mentionner la mobilité urbaine
à Abidjan sans mentionner les taxis-compteurs. Ces derniers sont des
taxis individuels qui, à la différence des woro-woro ne
suivent pas d'itinéraire prédéfini mais se rendent
à la destination voulue par le client. Malgré leur coût
nettement supérieur à celui des transports en commun, ils sont
omniprésents dans la ville, en partie car ils présentent
l'avantage de se rendre partout, y compris là où les transports
en commun ne passent pas.
37
B) Structuration du transport artisanal abidjanais
Le transport collectif artisanal abidjanais est principalement
scindé entre deux modes de transport : le taxi collectif, appelé
woro-woro, et le minibus appelé gbaka. Ils se
distinguent dans leur périmètre de desserte : les woro-woro
sont communaux, c'est-à-dire qu'ils sont rattachés à
une commune de la ville et n'en sortent pas. Les gbakas, eux, peuvent
traverser différentes communes, comme rester au sein d'une seule, en
fonction de l'itinéraire desservi. Les woro-woro sont
identifiables à leur couleur, qui est indicative de leur commune de
rattachement. Ainsi, les woro-woro de Cocody sont jaunes, ceux de
Yopougon sont bleus, ceux d'Adjamé sont verts, etc. Traditionnellement,
ce sont des véhicules de cinq places, qui permettent donc de charger
jusqu'à quatre passagers en plus du conducteur. Les gbakas,
eux, ne sont pas caractérisés par un code couleur. Ils sont en
revanche très régulièrement décorés et
peints, devenant ainsi des membres très identifiables et partie
intégrante du paysage urbain. En témoigne par exemple l'existence
du compte Instagram « gbaka_abidjan », qui recueille et expose une
collection de photos de gbakas décorés. Ce compte donne une
définition évocatrice du mot « gbaka » :
« Gbaka (n.m) : Véhicule utilitaire reconverti
en minicar accueillant jusqu'à 20 personnes, il sillonne parfois avec
style les routes d'Abidjan . »
Photo n°1 : Un gbaka abidjanais à
Yopougon
Source : Instagram, page « gbaka_abidjan »,
2019.
38
L'illustration ci-dessus (PHOTO 1), extraite du compte
Instagram « gbaka_abidjan », témoigne de l'identité
visuelle très marquée que peuvent avoir ces modes de transport
collectif. Souvent décrits dans les textes comme des minibus, on
constate ici que la définition donnée par l'éditeur du
compte semble du point de vue de l'équipement plus proche de la
réalité. En effet, les sièges que l'on aperçoit par
la fenêtre arrière ont été rajoutés dans ce
véhicule qui semble manifestement être à l'origine une
camionnette, un « véhicule utilitaire ». C'est le cas de la
plupart des gbakas que j'ai eu l'occasion de prendre sur le terrain,
et je n'ai pas observé de façon représentative de minibus
au sens formel du terme dans la flotte de gbakas desservant
l'agglomération abidjanaise.
Dans le fonctionnement de l'exploitation, l'organisation des
gbakas et woro-woro est similaire. Suivant un
itinéraire défini à l'avance, ils attendent d'être
suffisamment pleins pour démarrer. Les passagers peuvent demander
à descendre plus ou moins partout sur l'itinéraire. Il est
également possible, dans la limite du critère défini de
place disponible, de monter dans le véhicule simplement en se
positionnant sur l'itinéraire et en se signalant au chauffeur (ou
à l'apprenti, dans le cas du gbaka) lors de son passage. Le
véhicule s'arrête ainsi très régulièrement
sur le bas-côté, afin de faire monter ou descendre des
passagers.
La commune d'Adjamé est une centralité dans les
mobilités urbaines d'Abidjan. Spatialement, elle est une constellation
de gares, ce qui s'explique principalement par son importance commerciale. Elle
polarise fortement les itinéraires de transport collectifs, notamment
ceux des gbakas (rappelons que les woro-woros sont
communaux). Adjamé compte ainsi une concentration de gares au
kilomètre carré inégalée dans la ville, et son
paysage est très marqué par les files de gbakas en
attente, ou circulant sur les routes très embouteillées de la
commune.
L'organisation interne des transporteurs fonctionne aussi de
façon similaire pour ces deux modes de transport. Dans la plupart des
cas, les chauffeurs ne sont pas propriétaires du véhicule qu'ils
conduisent (Kassi, 2007). Le propriétaire et le chauffeur s'organisent
donc de la façon suivante : le chauffeur paie l'essence consommée
sur la journée de travail, et doit au propriétaire une recette
quotidienne de 14 000 francs CFA (21,28€) en moyenne pour un
woro-woro, et de 21 000 francs CFA (31,92€) en moyenne pour un
gbaka, d'après les différents chauffeurs
interrogés sur place. Le reste sert de salaire au chauffeur, qu'il
partage dans le cas du gbaka avec l'apprenti, dont le rôle est
de gérer la montée et la descente des voyageurs et
39
d'encaisser la recette auprès d'eux. Il existe
différentes façons de s'organiser, mais celle décrite
précédemment est apparue majoritaire dans les différents
témoignages obtenus.
Il existe deux autres charges principales liées au
fonctionnement du transport artisanal à Abidjan : les frais d'entretien
du véhicule, et les droits d'exercer. Les frais d'entretien du
véhicule, qui peuvent s'avérer importants du fait de l'âge
moyen très avancé des véhicules, sont soutenus par le
propriétaire. Le paiement des droits d'exploitation est double : d'une
part, il faut se déclarer à l'État et payer son titre de
transporteur, qui implique également le passage validé d'une
visite technique auparavant. D'autre part, il faut payer des droits aux
organisations syndicales qui s'occupent de la gestion des gares. Circuler sur
une ligne de transport artisanal implique le passage par certaines gares
stratégiques, qui sont la plupart du temps très peu
territorialisées car sans infrastructures dignes de ce nom.
Concrètement, les gares de transport artisanal ont tendance à
occuper un espace situé sur le bord d'une route ou d'un carrefour.
L'exploitation de ces gares est tenue par des organisations syndicales, qui
font payer les transporteurs en fonction de leurs passages. Les frais induits
sont assumés par le chauffeur.
Les transports populaires sont connus et
appréciés pour l'ampleur de leur desserte au sein de la ville.
Ils couvrent en effet bien plus de routes que les bus publics de la SOTRA. On
peut observer dans la carte ci-dessous (CARTE 4) leur desserte complète
en 2020, grâce à une étude financée par l'Agence
française de développement (AFD) qui a cartographié tout
le réseau abidjanais de bus publics, woro-woro, gbaka
et transport lagunaire. Organisée par le ministère des
transports et réalisée avec l'aide de l'association des
contributeurs OpenStreetMap de Côte d'Ivoire, elle recense sur la carte
ci-dessous 73 lignes de gbakas et 133 lignes de
woro-woros.
Mais, l'observation de cette cartographie permet de constater
la chose suivante : si la desserte du transport artisanal couvre plus de routes
que celle des bus de la Sotra, elle ne sort néanmoins quasiment pas des
limites de la commune d'Abidjan, lorsqu'on observe à échelle du
Grand Abidjan. Cela s'explique par le fait que cette initiative de
géoréférencement des lignes de transport artisanal s'est
cantonnée aux lignes desservant l'agglomération abidjanaise, et
s'arrête donc à la rupture du bâti. Ainsi les lignes qui
desservent les communes périphériques appartenant au Grand
Abidjan, comme par exemple Dabou ou Bonoua, ne sont pas
représentées.
Mais force est de constater que, au sein même d'Abidjan,
des disparités spatiales de desserte existent. Il apparaît
nettement que les zones situées en périphérie de
l'agglomération sont
beaucoup moins desservies que les quartiers plus centraux,
exception faite du Plateau, où les transports artisanaux sont
théoriquement interdits. Pourtant, face à la déficience du
réseau de bus publics dès les années 1980, le transport
artisanal est le mode de déplacement sur lequel s'appuie
l'étalement urbain très fort qu'a connu Abidjan ces
dernières décennies (Kassi-Djodjo, 2010). On comprend donc que,
si le transport artisanal, par sa remarquable adaptabilité à la
demande, est le seul capable d'accompagner la croissance urbaine vers les
quartiers périphériques, et ainsi de connecter les moins
aisés aux emplois du centre, il n'en demeure pas moins régi par
des motifs économiques de rentabilité. Cela explique donc la
desserte, certes existante mais bien plus réduite des quartiers
périphériques et populaires. C'est particulièrement
flagrant dans les communes populaires d'Abobo et Port-Bouët, au Nord et au
Sud de la ville, où les quartiers les plus isolés se trouvent
à plusieurs kilomètres d'une ligne de gbaka ou de
woro-woro. Selon des données de la Société
ivoirienne de construction du métro d'Abidjan (SICMA), la commune
d'Abobo compterait pourtant à elle seule près de trois millions
d'habitants.
Carte n°4 : Les réseaux de transport artisanal
à Abidjan
Lignes de woro-woro Lignes de gbaka Routes du Grand
Abidjan Zone urbanisée Grand Abidjan Lagune
Ébrié
40
Réalisation : Gaspard Ostian, 2021. Source : OSM
CI.
41
C) De l'artisanal à l'informel : les limites du
contrôle exercé par la puissance publique
Afin de compléter cette première description des
mobilités à Abidjan, et malgré notre positionnement
sémantique en faveur de l'appellation de « transport artisanal
», nous allons préciser maintenant les aspects informels du
transport à Abidjan. Une meilleure compréhension du
caractère informel des mobilités abidjanaises est
nécessaire pour aborder la suite de l'étude, qui
s'intéressera à l'avenir des transports par le biais des
projets.
Si le transport artisanal est en grande partie
toléré, et même plus ou moins encadré par les
autorités, le contrôle exercé par ces dernières
trouve ses limites à la fois dans l'ambiguïté de leurs
positions en la matière, et dans leur (in)capacité à faire
respecter leurs décisions. Cela s'illustre par exemple très bien
dans le cas d'un nouveau type de transport informel qui a émergé
il y a quelques années : les tricycles. Il s'agit de petits
véhicules motorisés à trois roues qui sont
aménagés de deux façons possibles : soit pour transporter
une cargaison matérielle, soit pour transporter des gens. Dans ce cas,
il est aménagé derrière la place du pilote un espace
permettant à une ou plusieurs personnes de tenir assises. Ce mode de
transport s'est développé à Abidjan après la fin de
la crise de 2011, et repose sur le principe du « dernier kilomètre
». Nous avons déjà expliqué que les transports en
commun sont loin de desservir toutes les routes existantes de
l'agglomération. Les tricycles existent sur le service qu'ils offrent de
déposer, moyennant une somme modique, les voyageurs au plus près
de leur domicile. Ce mode de transport a été rapidement interdit
par les autorités, du fait de leur dangerosité notamment : ces
derniers sont à l'origine d'un grand nombre d'accidents, du fait de leur
conduite à risque et du manque de stabilité de ces
véhicules qui se renversent facilement. Mais, malgré leur
interdiction, ces véhicules sont toujours répandus dans les
parties les plus périphériques de la ville, et notamment dans la
commune d'Abobo, qui est à la fois la plus populaire, l'une des plus
peuplées, et celle qui a la desserte en transports en commun «
traditionnels » la moins large. Leur existence révèle la
capacité limitée de la puissance publique à faire
respecter ses décisions.
Cela s'explique en bonne partie par une problématique
à laquelle sont confrontées les autorités
décisionnelles, à toute échelle en Côte d'Ivoire :
les pratiques de corruption des
42
fonctionnaires, ici des fonctionnaires de police.
Tiémoko Doumbia en 2010 analyse les dynamiques socio-économiques
autour de la pratique de la corruption dans le secteur du transport en
Côte d'Ivoire. Il démontre que c'est une pratique très
courante et codifiée. Il l'explique par une double analyse
économique et culturelle : selon lui, la corruption trouve à la
fois sa source dans les faibles salaires des agents de police, mais
également dans le fait que c'est une pratique qui est très
intégrée dans la culture locale, et donc acceptée par les
acteurs non-étatiques. Dans le cas des transports, il démontre
que la corruption permet aux agents de police d'augmenter leurs revenus, et aux
transporteurs d'échapper aux règles et normes parfois
contraignantes imposées par les autorités, notamment en termes de
contrôle technique des véhicules.
Si la corruption dans le secteur du transport est de plus en
plus combattue par les dirigeants, et qu'elle est bien moins importante qu'il y
a dix ans car bien plus durement sanctionnée qu'avant, elle en reste
néanmoins un facteur limitant pour l'État dans sa capacité
d'action et de contrainte sur les transporteurs. Cela contribue à rendre
le secteur du transport très accidentogène, du fait du mauvais
état des véhicules et des pratiques de conduite dangereuses des
conducteurs. En témoigne la photo ci-dessous (PHOTO 2), qui
représente un woro-woro de Cocody accidenté. Cette image
est représentative du discours général des abidjanais, qui
voient les transports artisanaux, et notamment les gbakas, comme des
modes de déplacement dangereux.
On retrouve cette réputation dans la chanson Les
gbakas d'Abidjan de Daouda, dans laquelle on l'entend dire « il est
vrai que les gbakas, font souvent des dégâts, je n'dis pas le
contraire, mais comment peut-on faire ? ».
Photo n°2 : Un woro-woro accidenté à la
Riviera Palmeraie, Cocody
Source : Gaspard Ostian, janvier 2021.
Par ailleurs, la puissance publique, que j'ai tendance
à évoquer comme un acteur uniforme dans cette analyse, a tendance
à adopter un comportement pour le moins ambigu dans ses rapports au
transport artisanal, en fonction des positions des différentes
structures publiques sur la question. Exemple en est donné à la
mairie du Plateau, l'une des dix communes d'Abidjan, par le directeur du
service de gestion des transports en commun4. Celui-ci explique que,
sur la commune du Plateau, les transporteurs artisanaux n'ont pas le droit
d'exercer. Néanmoins, il reconnaît que le transport artisanal
existe sur la commune, sous la forme des banalisés, qu'ils
préfèrent appeler covoiturage.
43
4 Entretien réalisé le 3 février
2021 à la mairie du Plateau.
44
Encadré n3 : les banalisés
Les « banalisés » sont un mode de transport
artisanal particulier à Abidjan. À mi-chemin entre le
woro-woro habituel et le gbaka, il s'agit de taxis collectifs
intercommunaux. Les véhicules utilisés sont la plupart du temps
des monospaces de sept places. Ils sont appelés « banalisés
» car ils ne sont pas identifiables par un code couleur comme les
woro-woro classiques. Leur fonctionnement est très similaire
à celui des autres modes de transport artisanal. Ils se
révèlent très utiles pour se déplacer sur des axes
où il y a très peu de gbakas, par exemple pour rallier
la commune de Cocody qui en compte très peu.
La mairie du Plateau indique avoir connaissance de l'existence
de quatre gares de banalisés sur son territoire, pour un total d'environ
deux cents véhicules. Le directeur du service affirme que la mairie du
Plateau ne fait pas payer de taxes aux transporteurs qui circulent sur la
commune, puisqu'elle ne les reconnait pas officiellement. En revanche,
l'administration du District automne d'Abidjan (DAA), elle, fait payer des
taxes aux banalisés, car ils font du transport intercommunal, qui
relève de l'autorité du district. Par ailleurs, la mairie du
Plateau délivre néanmoins des autorisations « sur le
principe » aux transporteurs pour exercer.
On observe donc toute la complexité et la
pluralité du rapport que peut avoir la puissance publique avec le
transport artisanal : dans le cas présent, ce dernier est interdit sur
la commune du Plateau, non-reconnu par la mairie qui le connaît
néanmoins bien et délivre des autorisations « sur le
principe » d'exercer, mais ne lui fait pas payer de taxes alors que
l'administration du district, elle, en fait payer.
Il apparait donc que, si le transport artisanal est une
pratique globalement tolérée et encadrée par la puissance
publique, cette dernière est limitée dans sa capacité
à le contraindre efficacement. Nous avons vu que cela s'explique en
partie par la pratique de la corruption, encore courante. Cela est
également et surtout dû à l'importance majeure que
revêt le transport artisanal dans la mobilité de la ville, qui
représente plus de 80% de l'offre motorisée de transport en
commun. Ce monopole écrasant sur le secteur lui confère une force
de résistance face à la puissance publique, qui ne peut le
contraindre à sa guise, et l'oblige à la discussion, à la
tolérance et au compromis.
45
3- Évolutions de la place de la SOTRA dans les
mobilités et introduction de nouveaux acteurs conventionnés :
vers l'officialisation de la fin d'un monopole ?
La Société de transport abidjanais, ou SOTRA,
est un acteur incontournable de la mobilité abidjanaise depuis sa
création le 16 décembre 1960, l'année de
l'indépendance de la Côte d'Ivoire. Créée pour
moderniser la mobilité et remplacer le transport artisanal qui faisait
alors l'offre, elle est la première société de transport
urbain organisée d'Afrique de l'Ouest. Nous allons voir ici
l'évolution de son rôle dans la mobilité abidjanaise depuis
60 ans.
A) Évolutions du monopole de la SOTRA depuis
l'indépendance
En décembre 1958, la Côte d'Ivoire devient une
République autonome par référendum. Moins de deux ans plus
tard, le 7 août 1960, elle obtient l'indépendance de l'ancienne
puissance colonisatrice, la France. La période de l'indépendance
est celle d'une très forte augmentation du budget des administrations,
car la Côte d'Ivoire n'est plus contrainte de partager ses ressources
avec les autres colonies plus pauvres de l'empire français. Le budget
public augmente donc de 152%, et des plans d'investissements publics massifs
sont très rapidement mis en place. Malgré l'indépendance,
la politique ivoirienne menée par le premier président
Félix Houphouët-Boigny conserve des liens étroits avec la
France, qui lui propose des partenariats techniques. C'est dans ce contexte que
nait la Sotra, quelques mois plus tard. Société d'économie
mixte à 35% publique, elle signe une convention de concession de service
public d'une durée de quinze ans, renouvelable, et est placée
sous tutelle du ministère des travaux publics et des transports. La
convention de concession accordait à la SOTRA l'exclusivité du
service de transport en commun de voyageurs dans Abidjan, et prévoyait
la suppression des " 1000 kg " (actuels gbakas) et des taxis
collectifs (woro-woro), ne laissant subsister comme transport public
que les taxis à compteur, qui sont individuels. Le monopole fut
effectivement appliqué à partir de juillet 1964 : l'exploitation
de la société jusqu'alors déficitaire devint
bénéficiaire, les propriétaires des taxis collectifs
reçurent en compensation des autorisations de transport sur des lignes
non urbaines ou des vignettes de « taxi-compteur ».
46
Le capital social de la SOTRA, porté de 50 millions en
1960 à 800 millions de FCFA en 1974 et à 3 milliards F CFA en
1983, est détenu en 2014 à hauteur de 60,13 % par l'État
Ivoirien, 39,80 % par IRISBUS/IVECO et de 0,07% par le District
d'Abidjan5.
Forte de grands investissements et de partenariats avec des
entreprises françaises comme Renaud, la flotte de la SOTRA s'est
très vite renforcée, jusqu'à atteindre environ 1200 bus
sur ses lignes dès les années 1970. Ce chiffre est comparable
à aujourd'hui, mais l'agglomération abidjanaise était
alors trois fois moins étendue. La ville d'Abidjan dispose alors d'un
réseau de transport public effectif, efficace et en réelle
position de monopole sur la mobilité urbaine.
Mais la crise économique qui débute dans les
années 1980 fait prendre à la mobilité abidjanaise un
nouveau tournant. Depuis l'indépendance, l'économie ivoirienne se
trouve dans une santé remarquable, en croissance élevée et
stable, grâce à un modèle fondé sur l'agro
exportation de café et cacao principalement. Les cours internationaux
étant stables, la culture et l'exportation de ces deux denrées
fortifie la Côte d'Ivoire au point que l'on parle de « miracle
ivoirien ». Mais les années 1980 voient un effondrement du cours du
café-cacao, ce qui porte un coup très sévère
à une économie ivoirienne encore très peu
diversifiée. C'est le début d'une crise qui mènera
à un tournant libéral, piloté par des institutions
financières internationales comme la Banque mondiale ou le FMI.
L'objectif est de réduire les dépenses publiques et
améliorer la compétitivité dans les pays en
développement pour surmonter les conséquences de la crise. Cette
tendance touche tous les pays d'Afrique, et a des conséquences directes
assez similaires sur la mobilité urbaine dans les métropoles du
continent : le transport public chute, voire disparait, au profit du transport
artisanal (Lombard, 2006). À Abidjan, la baisse des budgets publics se
fait ressentir : la SOTRA, chez qui les chercheurs et chercheuses s'accordent
à pointer des problèmes de gestion, est immédiatement en
difficulté. Ne bénéficiant plus des largesses
financières de l'État d'un pays en pleine croissance
économique, la SOTRA est rapidement contrainte à réduire
son activité. Il y a alors une double dynamique de déprise de la
compagnie de transport public : elle est contrainte de réduire sa
desserte, et n'est par ailleurs plus capable d'accompagner la croissance
urbaine très forte qui est en cours, en partie expliquée par
l'exode rural lié aux importantes difficultés du monde agricole
ivoirien sur la période. C'est la fin du monopole effectif de la SOTRA
sur les mobilités urbaines, qu'elle n'a à l'heure actuelle pas
récupéré.
5 Ces chiffres ont été donnés par
la SOTRA sur son site internet en 2014.
Le transport artisanal se développe, et c'est lui qui
accompagne désormais la croissance urbaine de la ville. Cela a des
conséquences sur la morphologie urbaine : les autobus, qui avaient
jusque-là permis une croissance urbaine maitrisée d'un tissu
urbain relativement dense, ne le permettent plus. « Or, il ne faut pas
perdre de vue, qu'à travers les modes de transports disponibles,
l'urbanisation observe des tendances consommatrices ou économes
d'espace. Par conséquent, les choix d'urbanisation favorisent ou
pénalisent tel ou tel mode de transport. En général,
l'urbanisation diffuse, dévoreuse d'espace, est cause ou
conséquence d'un mode de transport individuel ou collectif de faible
capacité. Au contraire un habitat dense favorise les transports de masse
et vice-versa. La capacité des autobus à assurer, à
l'époque, la majeure partie de la demande en transport, leur a permis
d'être un outil essentiel au service des stratégies des
planificateurs » (Kassi-Djodjo, 2010). C'est donc le début
d'une urbanisation diffuse, peu dense, consommatrice d'espace, et aux
caractéristiques anarchiques, puisque l'État n'a plus les moyens
de mettre en oeuvre une politique de planification urbaine efficace.
À l'heure actuelle, et malgré une reprise
très forte sur la décennie 2011-2021 grâce au retour d'un
contexte politico-économique favorable, les bus et bateaux de la SOTRA
ne fournissent que 10% de l'offre de transport de la ville, pour environ 800
000 passagers transportés par jour6.
47
6 Chiffres fournis par la SOTRA sur son site internet
et en entretien.
48
Carte n°5 : Cartographie des itinéraires desservis
par les bus de la SOTRA
Itinéraires desservis par les bus SOTRA Zone
urbanisée
Gares Nord et Sud
Réalisation : Gaspard Ostian, 2021. Source : OSM
CI.
La carte ci-dessus (CARTE 5) présente l'actuelle
desserte du réseau de bus de la SOTRA, d'après des données
collectées en 2020. On observe que le maillage du réseau se fait
de moins en moins dense à mesure que l'on s'éloigne des quartiers
centraux. Le trafic est organisé autour de deux hubs principaux : la
gare Sud, située au Plateau près du pont Félix
Houphouët-Boigny, et la gare Nord à Adjamé. Ces deux gares
sont des points logistiques très importants, car elles sont un terminus
ou point de passage pour une vingtaine de lignes chacune. Un
élément important pour l'appréhension du réseau
SOTRA est la superposition des lignes, que cette carte ne met pas en valeur. La
très forte concentration autour des gares Nord et Sud fait que de
très nombreux tracés de lignes se superposent. Au plateau par
exemple, sur le boulevard de la République, une dizaine de lignes se
superposent, pour scinder leurs itinéraires plus tard. Il se pose donc
à la SOTRA des problèmes d'optimisation de ses moyens pour mettre
en place la meilleure couverture possible. Du fait en partie de ce
fonctionnement très centralisé, mais également de moyens
encore trop limités, on constate sur la carte que les bus publics ne
49
desservent que très peu, voire pas du tout les
quartiers les plus périphériques (et récents) de
l'agglomération.
Par ailleurs, la couverture de la SOTRA apparait très
cantonnée à la commune d'Abidjan. On observe en effet qu'il ne
s'agit pas d'un réseau à échelle du Grand Abidjan, ni
même vraiment du District d'Abidjan. Les seules communes
périphériques atteintes par les bus publics sont Bingerville
à l'Est (deux lignes), et Anyama au Nord (deux lignes).
Irène Kassi a proposé en 2010 une
schématisation de l'articulation du transport public et artisanal
à Abidjan, qui résulte des dynamiques présentées
précédemment.
Figure 1 : Schéma de l'articulation des transports
publics et artisanaux à Abidjan
Source : Irène Kassi, 2010
Ce schéma (FIGURE 1) met en évidence le fait que
le transport artisanal émerge de la périphérie, où
il est en situation de monopole. Cela s'explique par le fait que la
périphérie est à la fois moins bien desservie par le
transport public, et moins soumise au contrôle de la puissance publique.
Les quartiers centraux sont mieux contrôlés et desservis par le
bus public. Afin de compléter l'analyse, il est important de
considérer le fait que les quartiers périphériques (C et D
sur le schéma) aujourd'hui couvrent une superficie largement
supérieure aux quartiers centraux (A et B sur le schéma).
B) Apparition de nouveau acteurs formels et projet de
modification de la convention de la Sotra
Malgré la fin effective du monopole de la SOTRA depuis
les années 1980-90 sur les mobilités abidjanaises avec
l'émergence d'acteurs privés aux caractéristiques
informelles, le monopole théorique concédé par
l'État en 1960 a survécu près de trois décennies,
jusqu'en 2015. L'année 2016 marque une étape importante dans ce
que nous analyserons comme un processus de déconstruction progressif du
monopole concédé à la SOTRA : sur la lagune, deux nouveaux
acteurs formels sont introduits pour compléter l'offre. Jusqu'alors, la
SOTRA et ses navettes lagunaires étaient concurrencées par des
acteurs artisanaux, les pinasses. Mais face au constat de la sous-exploitation
du plan d'eau lagunaire mise en lumière par le Schéma directeur
urbain du Grand Abidjan, la décision a été prise de
permettre l'introduction de deux nouveaux acteurs formels : la
Société de transport lagunaire (STL) du groupe Snedai et
Aqualines de la compagnie Citrans. Ces deux entreprises ont été
conventionnées par l'État pour développer une
activité de transport sur la lagune Ébrié, afin de
relancer le secteur, après que des études début 2010
révèlent un potentiel de demande de 800 000 passagers par jour
sur la lagune, quand la SOTRA n'en transportait que quelques milliers. Les
conventions, quasiment identiques, sont d'ores et déjà
signées pour aller jusqu'en 2040, soit une période initiale de 25
ans, avec possibilité de prolongement.
Les activités de la STL et d'Aqualines ont
été lancées en 2017. D'après son directeur
d'exploitation, la STL compte à l'heure actuelle une vingtaine de
bateaux et sept gares, pour plus de 20 000 passagers par jour7. La
convention de concession prévoit qu'ils aillent jusqu'à 55
bateaux, pour 70 000 passagers par jour, soit environ un dixième de la
demande potentielle étudiée. Le nombre de 30 navettes devrait
être atteint d'ici à 2022. À titre de comparaison, la SOTRA
exploite quatre gares, trois lignes et transporte environ 30 000 passagers par
jour. Il apparait donc que la mobilité sur la lagune Ébrié
voit désormais trois acteurs formels d'importance comparable se
concurrencer.
Sur le plan terrestre, la SOTRA est à l'heure actuelle
le seul acteur conventionné en exercice. Mais il semblerait que l'avenir
tende, comme sur la lagune, vers une diversification
50
7 Entretien réalisé le 3 février
2021.
51
des acteurs formels. Plusieurs projets d'envergure sont en
cours dans le secteur de la mobilité terrestre à Abidjan, et ne
sont pas menés par la SOTRA. Les deux principaux sont la construction du
métro d'Abidjan, et du Bus rapid transit (BRT). Le projet de
métro est mené par la Société ivoirienne de
construction du métro d'Abidjan (SICMA), filiale du groupe Bouygues, qui
fera l'exploitation avec le consortium d'entreprises françaises STAR
(Société des transports abidjanais sur rail). Le BRT, lui, n'a
pas encore d'opérateur désigné, mais d'après le
directeur de la contractualisation et des aménagements à
l'Autorité de la mobilité urbaine du Grand Abidjan (AMUGA), il
s'agira d'une entité à capitaux privés.
La SOTRA est une entreprise déficitaire, malgré
sa bonne santé relative et la croissance rapide de ses capacités.
De ce fait, l'État ivoirien tend à se tourner vers des
entreprises privées pour assurer des missions de service public, pour
des raisons budgétaires : cela coûte moins cher. Dans cette
logique, il a donc mis fin au monopole de la SOTRA sur le plan d'eau lagunaire.
D'après le chef des statistiques à la SOTRA, l'entreprise et
l'État (par le biais de l'AMUGA) travaillent déjà sur une
révision de la convention, pourtant renouvelée en 2013 pour
quinze ans.
Il apparait donc qu'au terme de soixante années de
concession conférant à la SOTRA une situation, d'abord effective
puis théorique de monopole sur les mobilités abidjanaises, cette
dernière s'est terminée sur la lagune, et se terminera selon
toute probabilité dans les années à venir sur le plan
terrestre. La nouvelle question qui se pose est donc de déterminer la
nouvelle articulation qui existera entre les mobilités publiques
formelles, privées formelles (ou conventionnées) et artisanales.
Cette question sera étudiée plus tard dans ce travail.
52
CHAPITRE 2 : LES SIGNAUX DE LA
MÉTROPOLISATION
1- Caractéristiques de la
métropolisation d'Abidjan : vers une métropole africaine
?
Nous aborderons ici Abidjan en tant que métropole, en
tentant de l'insérer dans le champ théorique classique et issu du
monde développé d'abord, puis en essayant de l'inscrire plus
précisément dans le contexte africain.
A) Abidjan, métropole régionale à
l'ambition mondiale
À échelle régionale, Abidjan est au
sommet de la hiérarchie urbaine. Elle est la plus grande ville
francophone de la région, et seconde plus grande ville après
Lagos, au Nigéria. Elle est par ailleurs la première destination
des migrants de la région, ce qui est lié en grande partie
à son attractivité économique (Échui, 2012). Ce
rayonnement d'Abidjan dans la région est issu d'une volonté
politique, depuis l'indépendance, d'accroître le prestige de la
ville. Les quartiers centraux, notamment le Plateau, lui donnent une image de
ville moderne. Elle est « une vitrine d'un occident implanté en
Afrique, d'un libéralisme urbain qui semble réussir. Les tours
d'acier et de verre témoignent d'un savoir-faire, d'une maîtrise
des outils contemporains de fabrication de la ville » (Chenal, 2009).
Cette identité urbaine d'Abidjan est issue du choix qui a
été fait par le premier président FHB de conserver des
liens étroits avec l'ancienne puissance coloniale, la France.
Aujourd'hui encore, de nombreuses grandes entreprises françaises et
occidentales y sont très puissantes, ce qui présente bien entendu
des inconvénients pour les décisionnaires locaux, mais
présente l'avantage d'entretenir un dynamisme économique
important à échelle de la région, et des quartiers
centraux au niveau de vie apparent très élevé. Selon un
classement du cabinet Mercer en 2017, Abidjan est la seconde ville la plus
chère d'Afrique de l'Ouest dans le coût global de la vie,
après Lagos. C'est également la 8e ville la plus
chère d'Afrique, selon ce même classement. Ce prestige urbain
repose sur une ségrégation spatiale très marquée.
Particulièrement dans le monde en développement, souvent plus la
vie dans une ville est chère, et plus les inégalités sont
grandes en son sein (Castells-Quintana, 2019). Ainsi à Abidjan, si le
Plateau, surnommé « Petit Manhattan », expose ses grandes
tours d'affaires, d'autres zones plus périphériques voient des
millions de personnes vivre dans un habitat précaire. Des efforts
politiques sont déployés pour prendre soin de cette image. Ainsi,
dans la commune du Plateau,
53
les transports informels ont été interdits, afin
de ne pas nuire à son image qui se veut moderne. De même, dans la
commune de Cocody, connue comme une des communes cossues d'Abidjan, les
gbakas ne passent presque pas, en dehors du boulevard François
Mitterrand qui la traverse d'Ouest en Est vers Bingerville.
Par ailleurs, en-dehors du prestige urbain, Abidjan est l'une
des villes d'Afrique de l'Ouest qui compte le plus en matière
d'influence décisionnaire, malgré les difficultés qu'elle
a connu lors de la décennie 1999-2011. En témoigne le retour de
la Banque Africaine de Développement (BAD) à son siège
abidjanais en 2014, après onze ans d'absence suite aux troubles
armés qui ont coupé la Côte d'Ivoire en deux entre 2002 et
2008. Cette institution financière, créée en 1964, a pour
objectif de financer des projets de développement afin de combattre la
pauvreté sur le continent. Elle compte 81 pays membres, dont 54 en
Afrique, ce qui en fait un acteur majeur du développement du continent.
Un des objectifs de la BAD, outre le développement des pays, est de
favoriser la coopération et l'unité des pays d'Afrique. Forte
d'un capital de 200 milliards de dollars, elle est l'un des principaux
fournisseurs financiers pour nombre de pays africains et pour des entreprises
privées souhaitant investir sur le continent. La présence de son
siège à Abidjan est la symbolique d'une position de leadership de
la ville, qui se positionne ainsi parmi les villes motrices du
développement africain.
D'autres importants acteurs économiques internationaux
sont également présents à Abidjan, comme la Banque
mondiale ou l'AFD. Mais Abidjan est également une centralité
régionale pour les grandes Organisations Non Gouvernementales (ONG),
comme par exemple la Croix-Rouge, qui y a implanté une de ses
délégations régionales. Abidjan concentre aussi de
nombreuses universités qui contribuent au rayonnement intellectuel
ivoirien. L'université publique FHB de Cocody notamment est l'un des
lieux phares de la recherche et de l'enseignement ivoirien, et jouit d'une
réputation transfrontalière.
La concentration à Abidjan d'acteurs exerçant
une influence au-delà des frontières ivoiriennes fait d'elle,
au-delà de son importance économique et démographique, une
ville de première importance à échelle de l'Afrique de
l'Ouest, et une ville qui compte à échelle du continent africain.
Elle est donc une métropole d'influence régionale, voire
continentale. Mais les ambitions ivoiriennes sont grandes, et justifiées
par une croissance parmi les plus fortes au monde. Le pays se donne des
objectifs ambitieux, comme par exemple celui d'atteindre l'émergence en
2020, formulé au début des années 2010. Même s'il
n'a pas été atteint, il
54
démontre l'envie du pays de devenir un acteur qui
compte à échelle mondiale. Cela s'est également vu dans
l'importance qu'a pris le président ivoirien Alassane Ouattara dans le
projet de sortie du franc CFA et de création d'une nouvelle monnaie
commune à la zone de la communauté économique des
états d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Cette monnaie, appelée
l'Eco, aurait dû voir le jour en juin 2020, mais le projet est
retardé, à la fois du fait du contexte de crise sanitaire du
Covid-19, mais également à cause de désaccords au sein de
la communauté, les parties francophone et anglophone ne tombant pas
d'accord sur les modalités de la nouvelle monnaie pour des questions de
leadership.
Il apparait donc qu'Abidjan est le fer de lance de l'influence
internationale ivoirienne, influence territorialisée par une
concentration importante de hauts-lieux économiques, politiques,
culturels. Cela fait d'elle une métropole régionale. Nous verrons
par la suite que ses ambitions vont néanmoins au-delà.
B) Un exemple d'une spécificité africaine
?
Nous venons de démontrer l'importance de la ville
d'Abidjan en tant que métropole en suivant des critères issus de
la recherche et de la théorie occidentale, issus notamment de la
recherche anglophone mais rejoints par la recherche francophone. Cette
sous-partie s'attachera, cette fois, à tenter de chercher et
caractériser la ou les spécificités locales d'Abidjan, en
l'inscrivant dans le contexte africain.
Retour des villes africaines dans la théorie
métropolitaine
Dans la recherche occidentale, le concept de «
métropole » amène très rapidement à celui de
« world cities » ou de « villes mondiales », qui sont les
métropoles à influence mondiale. Le continent africain est
très absent de ces recherches et discours scientifiques, du fait de
l'importance encore limitée de ses villes à une telle
échelle (Grant et Nijman, 2002). Mais depuis quelques années,
leur intérêt scientifique est remonté, cause et
conséquence d'un important travail critique d'ajustement des concepts,
qui a permis de lancer un travail rendant compte de dynamiques telles que les
processus d'urbanisation articulés à la mondialisation des
pauvres (Choplin et Pliez, 2018), le rôle de l'urbanisme
néolibéral (Parnell et Robinson, 2012), des politiques
entrepreneuriales (Croese, 2018), ou encore de l'influence des modèles
internationaux dans les complexes réformateurs locaux (Jaglin, 2005).
Mais ces nouvelles
55
approches ne trouvent pour l'instant pas de grande
résonnance dans le monde de la recherche internationale, ce pourquoi
aucun cadre analytique intégré des formes et modes de la
métropolisation « à l'africaine » n'est produit (Jaglin
et al, 2018). Il ne s'agit pas ici de renier complètement la
théorie métropolitaine issue des nords, mais de mettre en
lumière l'inadéquation de ses critères avec le contexte
africain, et qui explique sa place d'arrière-plan dans le champ
conceptuel dominant aujourd'hui. Le premier exemple et peut-être le plus
flagrant est celui de l'activité informelle. Celle-ci est en Afrique la
première pourvoyeuse d'emplois et de revenus, elle contribue largement
à l'importance et aux dynamiques de métropolisation des villes
africaines, mais elle est inadaptée aux critères de mesure issus
des nords, dans lesquels cette nature d'activité est très
minoritaire.
« Des travaux sur l'aire urbanisée de Lagos
montrent ainsi qu'à Alaba, où transitent les trois quarts des
matériels électroniques vendus en Afrique occidentale, les
donneurs d'ordre qui achètent, transforment et revendent ces
matériels sont les acteurs clés d'un réseau commercial
étendu, hors Afrique, jusqu'à São Paulo, Taipei, Singapour
et Dubaï (Koolhaas et al., 2000). À Kinshasa, d'autres travaux
montrent que la ville fonctionne comme un hub de tissus importés de
Thaïlande, de Malaisie, d'Indonésie, de Hong Kong et Dubaï,
via Brazzaville, travaillés et ensuite exportés en Afrique
centrale (Ayimpam, 2014). Ces relations mondialisées de grandes villes
à la fois places marchandes et foyers artisanaux, reposant sur des
transactions financières informelles,
dématérialisées, parallèles aux systèmes de
change officiels qu'elles concurrencent également, semblent participer
d'une « métropolisation autre », difficilement
détectable par les batteries de critères élaborées
dans les Nords. »
Jaglin et al, 2018.
C'est en effet cette approche d'une mondialisation « par
le bas », où l'informel côtoie l'activité des grandes
multinationales, qui participe dans notre contexte d'une métropolisation
« à l'africaine ». Cette dernière rassemble certaines
dynamiques communes que l'on peut observer, comme un urbanisme diffus et mal
maitrisé, que l'on retrouve à Abidjan. Il est encouragé
par une transition urbaine pas encore achevée, alimentée par un
processus d'exode rural toujours d'actualité.
On peut également parler, pour caractériser une
spécificité africaine, d'urbanisme de croissance, alimenté
par des projets dits « modernistes » qui visent à
développer la ville tout en la rendant attractive. Abidjan
présente pour cela dans les transports des projets comme le BRT
56
ou le futur métro, ou encore le projet
d'aménagement de la baie de Cocody (PABC) qui vise, en plus de
construire un cinquième pont dans la ville, à mettre en valeur
ladite baie afin d'en faire un lieu commercial de haut standing, avec une
importante dimension écologique de préservation de la lagune et
de sa biodiversité. Ces divers projets se distinguent par le fait
qu'au-delà de viser à l'augmentation des performances urbaines de
la ville, ils visent à augmenter son prestige et sa renommée dans
la mondialisation.
Il faut bien sûr préciser que parler d'un
contexte africain masque les diversités de situation des pays, et
même des sous-régions du continent, qui ont des situations
individuelles très différentes. L'objet de cette partie
était donc de sortir du cadre théorique classique, afin de
souligner certains éléments utiles à l'appréhension
de la morphologie urbaine d'Abidjan et à sa place dans un contexte
géographique spécifique qu'est le continent africain. Les aspects
de la métropolisation « à l'africaine » abordés
sont donc non-exhaustifs.
2- Des dix communes initiales au « Grand Abidjan
» : nouveaux moyens, nouvelle échelle pour penser les transports
abidjanais
Depuis l'année 2012, l'économie ivoirienne a
connu un regain économique qui dure jusqu'à aujourd'hui, et la
place parmi les économies à la croissance la plus forte au monde,
stabilisée aux alentours de 8% par an d'après les données
de la Banque mondiale, en-dehors de la crise du Covid-19.
A) 2012 et le retour de la stabilité politique, de
la croissance et des investissements
La crise de 2010-2011
Le 28 novembre 2010 a lieu en Côte d'Ivoire le second
tour des élections présidentielles, qui oppose le
président Laurent Gbagbo à l'opposant Alassane Ouattara. Les
résultats annoncés donnent Ouattara vainqueur avec près de
55% des scrutins, mais ces résultats sont contestés par le camp
Gbagbo, qui les invalide et refuse de passer le pouvoir. S'ensuit un
soulèvement
57
militaire qui entraine un nouvel épisode de guerre
civile en Côte d'Ivoire8. Soutenu indirectement par la France
et l'ONU, le camp Ouattara l'emporte militairement. Les combats, qui ont
duré de janvier à mars, entraînent la mort de plus de 3 000
personnes et le déplacement d'un million de personnes.
Le pays sort très affaibli de cette crise, mais un
élément néanmoins prête à l'optimisme : le
camp victorieux est le camp qui est soutenu par la communauté
internationale. En effet, l'ONU, la France, l'Union africaine reconnaissent
tous la victoire politique d'Alassane Ouattara aux élections de
novembre.
Le retour fort de la santé
économique
Après une décennie économique
compliquée, où la croissance économique avait
oscillé entre -2% et 3%, l'année 2011 marque un dernier coup : le
PIB diminue de 4,4% sur l'année 2011. En effet, même si les
combats s'achèvent tôt dans l'année, il faut plusieurs mois
au nouveau pouvoir pour arriver à contenir les conséquences
économiques importantes du conflit, comme la fermeture des agences de
nombreuses banques du fait du contexte sécuritaire, ou encore
l'arrêt des activités de la Société ivoirienne de
raffinage, qui fournissait en essence la Côte d'Ivoire mais aussi des
pays de la région comme le Mali ou le Burkina Faso. Les ports ferment
également, ce qui bloque une grande partie des importations pendant un
temps, et provoque une forte inflation du coût de la vie, ainsi qu'une
pénurie de médicaments.
La situation de stabilise néanmoins peu à peu,
et Ouattara connait certains succès importants, notamment un embargo sur
le cacao ivoirien, mis en place le 8 avril 2011, et qui voit remonter
significativement le prix de la tonne de cacao, production agricole vitale pour
l'économie ivoirienne. La reprise économique se fait assez
rapidement, et la croissance de l'année 2012 est de plus de 10%.
Malgré une lente baisse par la suite, elle se maintient
supérieure à 6% jusqu'en 2019.
Les conséquences dans les transports
Dans le secteur des transports, cette reprise
économique se manifeste très vite. Les moyens toujours
limités de l'État sont compensés par la stabilité
économique qui donne confiance aux investisseurs étrangers, et
par le soutien de certains acteurs étrangers comme la France, la BAD, la
Banque mondiale, etc. De grands ouvrages sont rapidement lancés,
comme
8 Un conflit armé avait déjà
scindé la Côte d'Ivoire en deux entre 2002 et 2007.
58
par exemple le chantier du troisième pont d'Abidjan. Ce
projet, lancé en 1996 mais qui n'avait pas connu depuis
d'avancées significatives, est relancé, et Alassane Ouattara
donne le premier coup de pioche des travaux en septembre 2011. Le pont, long de
plus d'un kilomètre, est inauguré trois ans après,
à la fin 2014. Du côté des infrastructures
routières, les choses recommencent à évoluer rapidement.
De nombreux nouveaux axes sont revêtus de goudron, et cela se sent dans
la pratique de la ville des abidjanais, comme au carrefour « Nouveau
Goudron » dans la commune de Cocody. De la même façon,
l'autoroute du Nord, voie rapide qui relie Abidjan à Yamoussoukro, a
été mise en service en 2013. Dans le secteur portuaire, de grands
chantiers sont également réalisés, comme le nouveau
terminal de pêche du Port autonome d'Abidjan, livré en 2015.
À l'aéroport FHB, un taxiway en parallèle de la piste a
été aménagé, pour permettre une meilleure
logistique des avions sur le « airside9 ».
On voit ainsi que, dès le début des
années 2010, le retour d'un contexte politico-économique stable
s'accompagne d'investissements et de réalisations massives dans le
domaine des transports.
Le retour de l'optimisme
La fin des évènements de crise et le retour d'un
important dynamisme économique s'accompagnent dans le pays d'un
sentiment d'optimisme notable, qui se ressent souvent dans les conversations.
Le sentiment de la stabilité du pays et le fait de voir la ville
évoluer à vue d'oeil encourage la dynamique constructrice. La
capacité d'Alassane Ouattara à maintenir la stabilité lui
confère une légitimité populaire, et contribue à
recréer un climat de confiance pour les investisseurs. Ce grand
optimisme, s'il est bien sûr à nuancer, participe
intrinsèquement de l'élan constructeur ivoirien qui s'incarne
particulièrement à Abidjan. Il est important à souligner
ici car c'est l'élan qui est à l'origine de cette étude
sur les projets dans les transports à Abidjan.
B) Retour de la planification urbaine et agrandissement
rapide du cadre de pensée : vers le Grand Abidjan
Définition du Grand Abidjan
Le dynamisme nouveau décrit précédemment
s'est accompagné, rapidement, de l'élargissement du cadre de
pensée de la planification urbaine par les autorités
compétentes.
9 « Côté piste » de l'aéroport, par
opposition au « landside » qui regroupe tout ce qui touche
à l'accueil des passagers dans l'aérogare.
59
Cela s'est manifesté au début des années
2010. Selon le directeur de la contractualisation et de l'aménagement
à l'Autorité de la mobilité urbaine du Grand Abidjan
(AMUGA)'°, la première vision du Grand Abidjan
étendait les dix communes d'Abidjan à trois communes
supplémentaires : Anyama, Songon et Bingerville, ce qui correspond aux
frontières exactes du District autonome d'Abidjan. C'est en 2015 que la
cadre du Grand Abidjan est clairement fixé, par le Schéma
directeur d'urbanisme du Grand Abidjan (SDUGA). Ce dernier étend le
Grand Abidjan à six communes supplémentaires, portant le total
à 19 communes : les dix communes initiales d'Abidjan, les trois communes
supplémentaires du District que l'on vient de nommer, et six communes
périphériques supplémentaires : Jacqueville, Dabou,
Azaguié, Alépé, Bonoua, Grand Bassam. Le tout forme un
territoire d'une superficie de 350 000 hectares. Sur ce territoire, le SDUGA
révèle que seul un tiers des terres sont artificialisées,
même si seuls 54% de la superficie des sols ont vu leur usage être
spécifié pour l'étude. Cela laisse une marge importante,
et permet de faire sortir l'aménagement des frontières
traditionnelles d'Abidjan, qui connaissait déjà d'importants
problèmes d'engorgement, malgré une urbanisation relativement peu
dense à échelle mondiale.
Le schéma directeur d'urbanisme du Grand
Abidjan
Le SDUGA est un plan de développement pour le
territoire du Grand Abidjan, paru en 2015. Créé pour
déterminer les directions contemporaines du développement
à Abidjan, il s'appuie sur le plan national de développement
(PND) paru en 2000. Ses objectifs sont multiples : proposer une analyse et une
évaluation du PND d'abord, pour ensuite en formuler une nouvelle
édition adaptée au territoire du Grand Abidjan : le SDUGA. Ce
document doit notamment contenir la schéma directeur des transports
urbains, important volet de l'étude. Ainsi, le SDUGA doit identifier des
projets de haute priorité dans le secteur du transport. L'un des
rôles du SDUGA est également de produire un nombre important de
cartes pour fournir les informations géographiques de base
nécessaires à la mise en oeuvre du plan par la suite. Le plan est
fixé à l'horizon 2030, avec des échelons de planification
intermédiaires fixés en 2020 et 2025.
Il est important de préciser que le SDUGA est une
commande de l'État ivoirien, qui a été
réalisée par l'Agence japonaise de coopération
internationale (JICA). Ce n'est donc pas une structure ivoirienne qui l'a
rédigé. Cette information est notable puisqu'il s'agit d'un plan
de
10 Entretien réalisé le 28 janvier dans
les locaux de l'AMUGA à Cocody.
60
développement du plus important territoire ivoirien en
matière d'économie et de démographie, lorsque l'on sait
que ce plan est commandé par l'État et que ce dernier cherche
à avoir dessus une mainmise importante, comme nous le verrons plus
tard.
61
Partie 2 : Le futur du transport abidjanais :
ambitions, acteurs, moyens
La première partie nous a permis de poser un contexte
autour de notre sujet d'étude : d'abord, l'importance d'Abidjan à
échelle nationale et régionale. Aussi, un état des lieux
dans les grandes lignes de l'état du secteur des transports dans la
métropole et de son fonctionnement.
La seconde partie de ce travail portera davantage sur le futur
du transport abidjanais. Il sera envisagé selon de multiples angles :
les ambitions autour du Grand Abidjan, les moyens existant pour les
réaliser, les problématiques auxquelles il faut répondre,
et la façon dont cela se traduit dans le réel à travers
les projets concrets mis en place. Une partie de l'analyse s'attachera à
observer les discours, des autorités politiques mais également
des acteurs du transport métropolitain.
Nous étudierons ainsi d'abord la volonté
politique qui est à l'oeuvre, et les moyens qu'elle se donne pour
atteindre des objectifs délimités. Nous observerons ensuite
très concrètement un certain nombre de projets
réalisés ou projetés dans le courant de la dernière
décennie, afin de mettre en perspective les ambitions et les
capacités de réalisation de la puissance publique.
62
Chapitre 3 : Une volonté de faire d'Abidjan un
leader régional
Ce chapitre sera consacré à comprendre les
ambitions qu'ont les pouvoirs publics pour la ville d'Abidjan. Nous observerons
particulièrement le travail d'analyse réalisé afin
d'identifier les enjeux à dépasser pour atteindre les objectifs
fixés, ainsi que les moyens déployés pour y parvenir. Ce
chapitre est donc préliminaire à l'étude stricte des
projets dans les transports, qui viendra après.
1- Les ambitions de l'État : Abidjan, premier hub de
la sous-région
A) Un objectif annoncé de retrouver sa place de
première économie de l'Afrique de l'Ouest
Le début de la seconde moitié du XXe
siècle a vu la Côte d'Ivoire se positionner en puissance
régionale de premier plan. Si elle l'est toujours aujourd'hui, les
périodes de crise traversées entre les années 1980 et 2000
ont terni son rayonnement. Cela se traduit directement dans la
réputation d'Abidjan : son surnom de Perle des lagunes, s'il reste
présent dans les esprits, n'a plus son éclat d'antan. La
revalorisation de la Côte d'Ivoire par la revalorisation d'Abidjan est
donc l'un des objectifs non-dissimulés du SDUGA. On peut trouver en page
9 l'extrait suivant :
« La vision pour le Grand Abidjan est fondée
sur les principes de développement durable et est destinée
à contribuer au renforcement de l'économie de la Côte
d'Ivoire par l'amélioration de l'infrastructure économique et
l'enrichissement de la qualité de vie dans le Grand Abidjan grâce
à la mise en place d'infrastructures sociales et équipements
urbains adéquats. [É] La vision de la planification de
l'Occupation du Sol est de permettre au Grand Abidjan de devenir à
nouveau le premier centre économique de l'Afrique de l'Ouest.
»
SDUGA, 2015.
Cet extrait, situé au tout début de ce document
de 172 pages, s'inscrit dans la partie qui expose la vision
générale de la planification prévue par le SDUGA.
L'objectif et la raison d'être de ce
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document sont clairs : propulser par l'économie Abidjan
en position de leader de la sous-région. Cela doit reposer sur un
principe de croissance économique, auquel s'ajoute un respect de
l'environnement et une préservation du patrimoine naturel du territoire
qui montre qu'Abidjan se positionne également comme un acteur
responsable du monde de demain. L'accent est mis sur le tourisme : le Grand
Abidjan doit être leader, et le monde doit pouvoir le voir. Pour ce
faire, le document présente quatre objectifs pour un programme de «
croissance intelligente ».
1) Établir des initiatives de ville compacte afin
d'endiguer l'expansion urbaine coûteuse et prédatrice d'espace ;
Fournir une gamme d'opportunités d'emploi à proximité des
zones d'habitations.
2) Promouvoir un développement urbain axé sur
l'usage des transports en commun ; Privilégier le transport collectif et
vert au détriment de l'utilisation des véhicules
privés.
3) Promouvoir une meilleure qualité de vie :
i. Créer le sentiment d'identité et d'appartenance
des résidents à travers des espaces et des bâtiments
communautaires.
ii. Répartir équitablement les équipements
publics, y compris des centres de santé et d'éducation faciles
d'accès.
iii. Fournir des types de logements accessibles à toutes
les couches sociales.
4) Préserver et valoriser les ressources naturelles et
culturelles.
L'enjeu principal est clair : reprendre la maîtrise de
l'urbanisme de la ville. Cela se veut être fait en limitant
l'étalement urbain, en améliorant la mobilité, en
homogénéisant l'accès au service public, à l'emploi
et à l'habitat, et en limitant les dégradations
environnementales. Ces enjeux s'inscrivent dans le contexte du monde en
développement, mais il est intéressant de constater que les
enjeux identifiés ici sont les mêmes que ceux auxquels sont
confrontées les autres villes d'importance comparable de la
région, comme par exemple Dakar. L'objectif de se démarquer des
concurrents régionaux est donc technicisé par le SDUGA, qui
s'érige ainsi en plan de dépassement de la concurrence.
Si la Côte d'Ivoire, dès aujourd'hui, peut
prétendre à se trouver parmi les principaux centres
économiques de la région, l'objectif est de passer nettement en
tête. Le défi sous-tendu est
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ambitieux : surpasser le Nigéria et le Ghana. Ces deux
concurrents ne sont pas à placer sur le même plan. La Côte
d'Ivoire est la troisième économie de la région en termes
de PIB, avec ses 50 milliards de dollars annuels. Le Ghana, pays de taille et
de population comparables, la devance avec près de 70 milliards de
dollars de PIB. La hiérarchie urbaine du Ghana est similaire à
celle de la Côte d'Ivoire : la capitale macrocéphale Accra domine
largement le réseau urbain national. La croissance des deux pays est
comparable, ce qui fait que la concurrence est rude entre eux. Si la Côte
d'Ivoire progresse vite, le Ghana a encore une avance confortable dans le
volume des richesses produites. Les autorités ivoiriennes savent qu'une
valorisation réussie de la capitale économique permettrait un
nouveau bond dans leur course au dépassement du Ghana.
La concurrence avec le Nigeria est de nature
différente. La démographie nigériane est incomparable avec
la démographie ivoirienne, car le pays compte près de 220
millions d'habitants, contre 25 millions en Côte d'Ivoire. De la
même façon, le PIB du Nigeria, autour de 500 milliards de dollars,
est dix fois supérieur à l'actuel PIB ivoirien. Les
autorités ivoiriennes savent qu'elles ne peuvent pas concurrencer le
Nigéria en volume. La stratégie de concurrence s'appuie donc sur
le niveau de vie. Si Abidjan ne peut rivaliser avec Lagos par la
taille11, elle cherche à s'imposer autrement, en augmentant
son influence et ses fonctions métropolitaines, et notamment les
fonctions de commandement d'influence supranationale. Les autorités
ivoiriennes savent pouvoir déjà compter sur Abidjan comme leader
de l'Afrique de l'Ouest francophone. Augmenter son attractivité par un
vaste plan d'aménagement s'intègre donc clairement dans une
dynamique de concurrence métropolitaine à échelle
régionale.
B) Améliorer son insertion dans l'économie
globalisée : Abidjan, fer de lance de la quête de
l'émergence
Les ambitions ivoiriennes concernant Abidjan que nous venons
d'exposer sont soutenues par un discours politique : celui de
l'émergence. Cette ligne directrice a été fixée par
Alassane Ouattara lors de son arrivée au pouvoir en 2011 : «
J'ai l'ambition de faire de la Côte d'Ivoire à l'horizon 2020
un pays émergent, une nation réconciliée avec
elle-même et avec les autres nations », a-t-il lancé du
haut de la tribune des Nations unies, en septembre 2011. Ce discours
11 Lagos compte en 2020 plus de 22 millions
d'habitants.
65
a été immédiatement appuyé par une
politique de grands travaux à travers le Programme présidentiel
d'urgence (PPU) qui a mené à d'importantes et rapides
réalisations que nous avons décrites précédemment,
comme le troisième pont de la ville livré en 2014. Ce discours
ambitieux devait être accompagné de réalisations
importantes, qui ont été assurées par le biais du PPU.
Mais ces réalisations ne prennent leur portée que si elles sont
visibles, c'est pourquoi elles se sont beaucoup concentrées dans le
Grand Abidjan. Le PPU peut donc être vu comme un prélude de nature
spectaculaire au SDUGA, qui présente une approche bien plus globale et
élargie de l'aménagement pour la métropole d'Abidjan. Dans
la vision présentée par le SDUGA, on peut ainsi trouver la phrase
suivante :
« Il s'agit d'une initiative de développement
majeure pour la croissance économique nationale afin de soutenir la
réalisation de la Côte d'Ivoire en tant qu'une «
économie émergente », comme énoncé dans le
Plan National de Développement (PND). »
SDUGA, 2015.
La Côte d'Ivoire a connu deux plans nationaux de
développement, entre 2012 et 2015 puis sur le période 2016-2020.
Ce dernier suit, selon le ministère du plan et du développement,
cinq axes principaux :
1) Le renforcement de la qualité des institutions et de
la gouvernance.
2) L'accélération du développement du
capital humaine et du bien-être social.
3) L'accélération de la transformation
structurelle de l'économie par l'industrialisation.
4) Le développement d'infrastructures sur le
territoire et la préservation de l'environnement.
5) Le renforcement de l'intégration régionale
et de la coopération internationale.
Le SDUGA est le plan qui applique en aménagement le PND
au territoire du Grand Abidjan. Ce dernier y est explicitement
présenté comme un outil majeur de la course à
l'émergence lancée par le président Ouattara en 2011. Des
moyens massifs y sont donc consacrés et sont consignés dans le
SDUGA, dans l'objectif d'un développement en trois aspects
(économique, durable et social) qui soit le plus rapide possible.
La collecte des données sur le terrain pour cette
étude s'est déroulée au début de l'année
2021, soit juste au terme de l'échéance souhaitée par
Alassane Ouattara pour atteindre l'émergence. En l'état, la
Côte d'Ivoire n'a pas atteint son objectif, qui était très
ambitieux,
66
malgré des évolutions et un dynamisme certains.
Il est intéressant de noter néanmoins que les ambitions
politiques ivoiriennes trouvent un écho certain auprès de la
population et de différents acteurs que j'ai rencontré sur place.
Le directeur de la contractualisation et des aménagements à
l'AMUGA, lors de notre entretien, a plusieurs fois en me parlant du futur de la
mobilité abidjanaise fait des comparaisons avec des métropoles du
monde développé comme Paris ou Bruxelles12. L'enjeu
affiché, pour lui, était de sortir du monde en
développement pour entrer dans le monde développé. De la
même façon, le directeur adjoint à l'ingénierie et
la maîtrise d'ouvrage du Port autonome d'Abidjan m'a dit : « tout le
monde veut être le hubport »13. Il m'a ainsi
assuré que tous les projets de développement du port, qui sont
nombreux, importants et sur lesquels nous reviendrons plus tard, visent
à s'imposer comme premier centre portuaire de la région, non sans
cacher des ambitions continentales. De même à l'aéroport,
le chef des opérations aéronautiques m'a déclaré
que « l'ambition d'Aeria est de faire de [l'aéroport] Félix
Houphouët-Boigny le hub d'Afrique de l'Ouest »14,
même en comptant le Nigéria.
Il apparaît donc qu'une mosaïque d'acteurs du
transport s'accordent sur l'objectif des acteurs politiques de faire d'Abidjan
le premier hub régional. Nous détaillerons par la suite les
moyens mobilisés pour y parvenir.
C) Des objectifs sociaux
Nous avons jusqu'ici beaucoup insisté sur des aspects
économiques de l'analyse. Ces derniers prennent une part importante dans
le référenciel des personnes et dans les discours politiques
concernant le développement en Côte d'Ivoire. Mais un volet social
n'est néanmoins pas absent de la planification du développement,
et le développement humain est l'un des piliers de la quête de
l'émergence et du leadership régional d'Abidjan.
« L'équité signifie que tous les
membres de la société, y compris les personnes socialement
vulnérables devraient bénéficier du système de
transport amélioré. Tous les membres devraient également
ne pas avoir à souffrir des inconvénients causés par le
développement des transports urbains. Certaines personnes seront
touchées par l'augmentation de la pollution de l'air et des
12 Entretien réalisé le 28 janvier 2021
dans les locaux de l'AMUGA à Cocody.
13 Entretien du 4 février 2021,
réalisé dans la section administrative du Port Autonome
d'Abidjan.
14 Entretien réalisé le 15
février 2021, à dans les bureaux de la compagnie Aeria à
l'aéroport Félix Houphou`t-Boigny.
67
inconvénients sociaux de leur condition de vie. Une
prise en compte conséquente de ces personnes doit être
assurée au stade de l'étude de faisabilité de chaque
projet. »
SDUGA p.27, 2015
Un volet social existe donc dans la conception des
autorités planificatrices du Grand Abidjan, qui semble rechercher un
développement inclusif. Nous confronterons plus tard cette position
affichée, car de nombreux projets nécessitent justement de
déplacer des « personnes socialement vulnérables »
installées sur les lieux.
2- Les enjeux identifiés au niveau des transports
La présente partie se consacre au travail
l'identification des enjeux dans les transports sur le territoire du Grand
Abidjan. Cette partie théorique introduit une présentation
précise des projets mis en place pour répondre aux enjeux
identifiés ici, qui viendra après.
A) Une mobilité urbaine à restructurer
De la lecture du SDUGA et des échanges avec le
directeur de la contractualisation et des aménagements à l'AMUGA,
nous pouvons déterminer, au niveau de la mobilité urbaine, une
série d'enjeux visant à la restructurer en profondeur, dans une
logique de densification des réseaux et des flux.
Les enjeux au niveau des infrastructures
routières
Le réseau routier du district d'Abidjan compte
près de 1800 kilomètres de routes, dont moins de la moitié
est revêtue de goudron (SDUGA, p.17). Le réseau routier est
caractérisé par des chaussées dégradées, des
liaisons manquantes et une capacité insuffisante. La congestion du
trafic peut être constatée partout sur le réseau routier
aux heures de pointe, sur des plages horaires de plus en plus larges, et rien
n'a pu être encore fait qui soit suffisant pour inverser cette tendance.
Beaucoup de projets routiers ont été planifiés depuis des
années mais n'ont pas encore été réalisés,
ce qui accentue la pression sur le réseau routier existant. Le
réseau des axes principaux de la ville est globalement revêtu,
mais le réseau secondaire, qui constitue le maillage le plus fin, est
encore majoritairement fait de pistes. Cela pose des problèmes
concernant la vitesse de circulation sur ces axes, mais également pour
assurer leur entretien.
68
Les épisodes de pluie tout particulièrement,
combinés au passage des véhicules dégradent fortement les
pistes. Cela est particulièrement visible dans la commune
d'Adjamé, qui abrite de très nombreuses gares routières :
les espaces de manoeuvre des véhicules, souvent non revêtus, sont
dans un très mauvais état, ce qui est très contraignant
les jours de pluie.
Par ailleurs, le réseau routier existant n'a pas
été développé en prenant suffisamment en compte les
transports en commun, dont l'importance est remise au centre par le SDUGA.
L'objectif est le suivant : aménager le réseau routier de
façon à ce qu'il permette la co-circulation entre les transports
en commun et les autres véhicules, et de cette façon valoriser
leur utilisation. Cet objectif vient du constat de la diminution de
fréquentation des transports publics sur les dernières
années. Mais si la fréquentation des transports publics a
baissé, celle des modes de transport artisanaux n'a pas diminué,
au contraire. L'idée sous-jacente est claire : cette revalorisation du
réseau routier en faveur des transports en commun doit s'accompagner
d'un renforcement du transport en commun sous des formes et organisations
formelles, que ce soit d'une exploitation publique ou privée.
Concrètement, le SDUGA préconise pour parvenir à cet
objectif de créer sur les routes aménagées suffisamment de
voies pour pouvoir partager la chaussée entre les usagers classiques et
les transports en commun, en réservant à ces derniers des voies
dédiées. Sept kilomètres de voies dédiées
aux bus existent déjà dans Abidjan, principalement dans la
commune du Plateau. L'objectif est donc de généraliser ces
aménagements afin d'offrir une véritable plus-value aux
transports en commun.
Un troisième aspect de l'analyse du SDUGA réside
dans la problématique de la co-circulation sur les routes entre les
mobilités humaines et le transport de marchandises. Cela entretient la
congestion routière car les poids-lourds, volumineux et lents, roulent
avec les petits véhicules sur des axes aux capacités
insuffisantes. L'enjeu ici serait donc, comme pour les transports en commun, de
ségréger l'espace routier, afin de dissocier les flux marchands
du reste, pour limiter la congestion. Cela implique la création d'axes
dédiés et de routes alternatives.
Les enjeux concernant le contrôle et la gestion du
trafic
À Abidjan, les difficultés dans les
déplacements liées à la congestion routière ont des
conséquences sur toute la population, en termes de temps perdu, de
coût du déplacement, de conséquences écologiques et
de santé publique des gaz d'échappements, etc. Un rapport de la
Banque mondiale de 2019 pointe le fait que les ménages abidjanais
passent en moyenne trois
69
heures par jour dans les transports. Il y a plusieurs
éléments d'explication à la congestion routière
abidjanaise. L'un d'entre eux, probablement le plus important, concerne les
trop faibles capacités du réseau routier en matière
infrastructurelle. Mais l'analyse du SDUGA pointe un autre paramètre sur
lequel il préconise de jouer : le comportement routier des usagers. Cela
implique l'instauration de règles plus contraignantes et de moyens pour
les faire respecter. Par exemple, l'indiscipline des usagers, notamment aux
carrefours, a des conséquences sur la congestion du trafic. De la
même façon, les embouteillages sont très souvent
causés par des pannes de véhicules du fait de leur mauvais
état. Le non-respect des règles et le mauvais état de
nombreux véhicules augmentent également les accidents de la route
et leur gravité, ce qui a des conséquences directes sur le trafic
routier à échelle de toute l'agglomération. Pour lutter
contre cela, le SDUGA s'inspire de politiques déjà à
l'oeuvre au moment de sa rédaction à Abidjan : la mise à
niveau du contrôle par feux tricolores, la mise en oeuvre des
systèmes d'information sur le trafic, la gestion du trafic sur les
autoroutes, le contrôle des véhicules en surcharge, l'application
du règlement de la circulation. Il recommande de renforcer les moyens
mis en oeuvre dans ces domaines.
Les enjeux concernant le transport public
Sur cette question, nous mêlerons les
préconisations du SDUGA aux propos du directeur de la contractualisation
et des aménagements de l'AMUGA dont les propos ont été
recueillis lors d'un entretien le 28 janvier 2021. Sur la question des
transports en commun, le SDUGA prend position en faveur d'un renforcement du
transport public aux dépens du transport artisanal. Il est à
noter qu'au moment de la rédaction de ce texte, les transports public et
formel désignaient la même chose à Abidjan, puisque la STL
et Citrans n'exploitaient pas encore la mobilité lagunaire. Pour les
auteurs du rapport, la ligne directrice est éloquente : « En
termes de transport urbain, la priorité doit être donnée
à la mobilité des personnes et non à la circulation des
voitures ». Ce positionnement implique donc une favorisation du
transport en commun, qui a des conséquences positives pour
l'écologie et sur la congestion routière. Il répond
à une réalité statistique paradoxale : à Abidjan,
le système routier semble être pensé principalement pour
les voitures individuelles, alors que la majorité des personnes
effectuant des déplacements motorisés le fait en transport en
commun (artisanal ou formel).
L'un des enjeux soulevés par le SDUGA et le
représentant de l'AMUGA est la sous-exploitation du plan d'eau
lagunaire. Même si ce secteur a été fortement
dynamisé depuis l'arrivée des deux nouveaux acteurs formels, la
STL et Citrans, l'offre actuellement disponible
70
reste encore bien loin des 800 000 voyageurs quotidiens
potentiels évalués. Les trois acteurs lagunaires
rassemblés aujourd'hui absorbent plutôt un trafic d'un
dixième de la demande potentielle, soit 80 000 voyageurs, même si
ces chiffres sont à prendre avec précaution du fait de la
croissance rapide de la STL et de Citrans. L'intérêt du plan d'eau
lagunaire réside également dans son étendue : ce dernier
n'est pas confiné dans la commune d'Abidjan, et présente la
possibilité aujourd'hui inexploitée de rallier d'autres communes
du Grand Abidjan comme Dabou et Jacqueville à l'Ouest, ou Grand Bassam
à l'Est.
L'un des enjeux majeurs des transports en commun est de
parvenir à mettre en place des axes de transport de masse. En effet,
Abidjan présente actuellement une population importante et une certaine
spécialisation spatiale de son territoire. L'exemple le plus flagrant
est, à l'image de nombreuses centralités urbaines du monde,
l'importance des flux pendulaires en direction du centre, disproportionnelle
à sa population résidentielle. Les migrations pendulaires
polarisées par le centre se font dans des proportions qui
dépassent les capacités des réseaux existants. Cela
engendre des congestions très marquées à l'heure de
pointe, qui tendent de plus en plus à s'étaler à toute
heure de la journée du fait de la croissance du parc automobile
abidjanais. Un élément de solution réside dans la mise en
place d'axes de transport de masse qui permettraient d'augmenter la vitesse de
mobilité moyenne des usagers des transports en commun tout en
réduisant la congestion sur le réseau routier. Une telle
dynamique aurait des externalités positives comme la baisse du
coût de la mobilité et de son impact environnemental.
Concernant le transport artisanal, l'AMUGA a l'ambition de
parvenir à une professionnalisation du secteur. En effet, cette
structure publique vise à porter la mobilité abidjanaise vers la
modernité, à l'image des mobilités observées dans
les grands ensembles urbains des Nords. Cette finalité est incompatible
avec le modèle du transport artisanal. En effet, le terme gbaka
par exemple est issu d'après un chauffeur de taxi compteur
rencontré sur place de la langue Malinké et désigne «
quelque chose de vétuste, vieux, en mauvais état ». Or, la
mobilité moderne voulue par les autorités implique une
activité formelle, avec des conducteurs formés et
compétents, et des véhicules en bon état, respectant des
normes, à l'image de l'offre de transport de la SOTRA.
En résumé, les enjeux de la mobilité
urbaine abidjanaise sont de développer les infrastructures de transport
actuellement insuffisantes, en ségrégant les flux : l'enjeu est
sur la route de dissocier sur différents axes les transports
individuels, marchands et collectifs.
71
Parallèlement, il faut soulager la pression sur ces
réseaux en créant des axes de transport en commun de masse et en
déployant des moyens renforcés pour changer les pratiques des
usagers, qui sont pour partie à l'origine des problèmes de
congestion des flux.
B) Des infrastructures de transport international au
défi de la croissance
L'aéroport Félix
Houphouët-Boigny
L'aéroport Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan
se trouve dans la commune de Port-Bouët, dans le Sud de la ville, au bord
de l'océan. Construit dans les années 1970, il est actuellement
le seul aéroport international de Côte d'Ivoire.
Géré initialement par un organisme public, il connaît des
difficultés économiques à partir des années
1980-90, et finit par être concédé en 1996 à une
société privée, Aeria, qui a la charge de l'exploiter et
le développer. Appuyée par l'État, Aeria met alors en
chantier une vaste modernisation de l'infrastructure sur quatre ans, qui
amène en 2001 Abidjan à posséder l'un des aéroports
les plus modernes de la région. Sa capacité de trafic est
notamment portée à ce que l'on connaît actuellement, soit
deux millions de voyageurs par an.
L'aéroport FHB est aujourd'hui confronté
à plusieurs enjeux de croissance. Le premier enjeu touche la croissance
forte du trafic voyageur : légèrement supérieur à
un million de voyageurs par an juste avant la crise de 1999, le trafic a
fortement augmenté depuis 2012 pour dépasser les deux millions de
passagers par an aujourd'hui (hors période de Covid-19). Les
capacités maximales de l'aérogare sont donc aujourd'hui
atteintes, et Aeria doit trouver des solutions pour éviter la congestion
et permettre au trafic de continuer de croître normalement, ce à
quoi il semble promis dans le présent contexte.
Par ailleurs, l'enjeu de développement des
capacités de l'aéroport FHB ne dépend pas que de sa
croissance individuelle de passagers annuels. En tant qu'unique aéroport
abidjanais, son importance à échelle régionale et
continentale fait l'objet de l'attention des autorités dans le cadre de
leurs ambitions régionales. Chez Aeria, l'objectif est clair : devenir
le premier aéroport de la région, devant Lagos. La concurrence
régionale est ardue : l'aéroport de Lagos est encore loin devant,
avec plus de six millions de passagers par an, de même que celui
d'Abudja, qui compte environ quatre millions de passagers annuels. En Afrique
de l'Ouest anglophone, Accra devance également Abidjan avec près
de 2,5 millions de passagers annuels. En Afrique de
72
l'Ouest francophone, l'aéroport civil de Dakar Blaise
Diagne est le principal concurrent d'Abidjan. Leurs fréquentations
annuelles sont très proches, toutes les deux supérieures à
deux millions de passagers (avant la Covid-19). Leurs ambitions sont
également similaires : le gouvernement sénégalais affiche
également sa volonté de voir l'aéroport de Dakar devenir
« le premier hub d'Afrique de l'Ouest ». Il apparaît donc que
les discours des autorités et de l'exploitant de l'aéroport FHB,
Aeria, sont à mettre en perspective et à placer dans un contexte
régional particulier. Si Abidjan affiche sa volonté de devenir le
premier hub aérien de la région, il apparaît en
réalité que ce but est encore lointain. À l'heure
actuelle, Abidjan ne peut toujours pas prétendre vraiment au titre de
hub de l'Afrique de l'Ouest francophone. Par ailleurs, la concurrence
régionale est ardue, car toutes les principales métropoles de la
région ont la même ambition pour leur aéroport, et
déploient des moyens comparables à ceux d'Abidjan.
L'un des paramètres qui joue sur la croissance de
l'aéroport, en-dehors de sa desserte, est l'attractivité dont il
jouit auprès des voyageurs. Ainsi, l'une des préoccupations
majeures du personnel d'Aeria est la qualité de «
l'expérience passager » dans l'aéroport. De la même
façon, un aéroport pour améliorer son attractivité
doit renvoyer une bonne image de son activité. La préservation de
l'environnement, par exemple, s'impose de plus en plus comme un standard
incontournable pour les entreprises à échelle mondiale,
même dans des activités très polluantes comme l'aviation.
Nous verrons, lorsque nous aborderons les projets directement, ce qui est fait
à l'aéroport FHB pour se positionner dans ces domaines et
améliorer son attractivité.
Le Port Autonome d'Abidjan
Le Port Autonome d'Abidjan (PAA) est de loin le premier port
de Côte d'Ivoire, et le principal port de la région tout trafic
confondu. Il s'agit d'un établissement public, bien que depuis le
début des années 2000 une vague de concession des
activités ait fortement réduit l'importance du rôle de
l'État dans l'exploitation du port. Cette infrastructure voit transiter
près de 25 millions de tonnes de marchandises par an, et connaît
une croissance importante. Cette infrastructure est la plus importante
économiquement du pays, car plus des deux tiers du PIB national en
dépendent. Principale porte d'entrée et de sortie marchande du
pays, le PAA jouit d'une position de centralité sur le littoral
régional. Par ailleurs, il est fort d'un arrière-pays dynamique,
alimenté notamment par le Burkina Faso, pays enclavé mais
relié directement au PAA par une voie de chemin de fer. Il est l'un des
moteurs des ambitions des autorités
73
ivoiriennes en termes de leadership régional, puisque
le domaine portuaire est le seul domaine où la Côte d'Ivoire
parvient à concurrencer voire à s'imposer sur la Nigéria
en volumes.
Les enjeux auxquels le PAA est confronté sont
aujourd'hui multiples. Sa croissance soutenue lui impose une augmentation tout
aussi soutenue de ses capacités, en stockage et en logistique. Face
à la concurrence, une série de capacités techniques
doivent être améliorées constamment. D'abord, face à
l'augmentation de la taille des navires commerciaux en activité dans le
monde, le tirant d'eau est un facteur majeur de l'attractivité d'un
port. Ainsi, la course au plus grand tirant d'eau est acharnée dans la
région. De la même façon, la capacité de traitement
des conteneurs, emblématiques du commerce maritime mondial, concentre
une importante attention. Dans le cas plus précis du PAA, d'autres
enjeux plus localisés se posent à lui, comme la demande pressante
de l'augmentation des capacités industrielles du port de pêche,
car Abidjan est le premier port thonier d'Afrique.
On constate donc que, dans le domaine aérien comme
portuaire, la question première qui se pose n'est pas de savoir comment
attirer le trafic, bien qu'elle soit très présente dans les
esprits, mais d'abord d'être capable d'assumer dans ses capacités
la croissance très importante sur la dernière décennie du
volume du trafic. Le PAA et l'aéroport FHB sont en effet depuis quelques
années confrontés en permanence aux limites de leurs
capacités et au défi de parvenir à les augmenter, le tout
dans un contexte régional très concurrentiel.
C) La place grandissante de la protection de
l'environnement
Le secteur du transport est l'un des plus polluants à
échelle mondiale, représentant près du tiers des
émissions totales de CO2. La ville d'Abidjan est confrontée
à de multiples problèmes de pollution qui ont des incidences
négatives sur la qualité de vie de la population. Dans la ville,
le problème que représente la pollution est visible pour tout le
monde, notamment sur la question des déchets, du fait de l'absence d'un
système de collecte et de traitement des déchets efficient sur la
globalité de l'agglomération. Mais comme dans beaucoup de villes
du monde, la problématique de la pollution de l'air se fait sentir
à Abidjan, et celle-ci est principalement liée au secteur du
transport. Elle est liée au nombre croissant de véhicules qui
évoluent sur le
74
réseau routier, à la très importante
congestion routière dans l'agglomération, ainsi qu'à
l'état des véhicules qui souvent rejettent de grandes
quantités de polluants. De ce fait, les acteurs en charge de penser
l'avenir du transport abidjanais prennent de plus en plus en compte la
préservation de l'environnement dans leurs projections.
Par ailleurs, cette conscience environnementale de plus en
plus affichée s'insère aussi dans la recherche du rayonnement de
la ville. En effet, dans sa quête d'émergence, Abidjan cherche
aujourd'hui à renvoyer l'image d'une ville moderne, au fait des
problématiques mondiales contemporaines et impliquée dans leur
résolution. La préservation de l'environnement est
emblématique de cela. De ce fait, il est nécessaire de garder
à l'esprit dans l'analyse l'importance des discours en tant que tels
tenus par les acteurs. C'est particulièrement intéressant
lorsque, par exemple, le chef des opérations aéronautiques de
l'aéroport FHB parle de l'ambition d'Aeria de développer un
« aéroport vert ». Dans ce cas précis, tout l'enjeu
pour Aeria est une question d'image afin de stimuler son attractivité,
puisqu'un aéroport n'a que très peu d'influence sur la pollution
générée par l'activité aérienne, qui est
principalement du fait des avions, mais à laquelle l'infrastructure en
elle-même est facilement associée dans les esprits.
3- Ses moyens d'action : l'arsenal administratif mis en
place pour des efforts de planification urbaine
Les différents enjeux que nous avons identifiés
au niveau des transports à Abidjan doivent, pour les autorités en
charge de la planification, faire l'objet d'études et d'analyses
précises afin d'améliorer la connaissance du territoire pour
déterminer des marches à suivre. Pour ce faire, la puissance
publique déploie des moyens spécifiques que nous allons
décrire ici.
A) Le retour d'une autorité centrale de la
mobilité à échelle métropolitaine : l'AMUGA
La politique ivoirienne en matière de transports,
au-delà de l'amélioration du cadre législatif, juridique
et infrastructurel, vise à organiser les activités de transport,
favoriser le développement du secteur, promouvoir une offre de service
suffisante et de qualité, favoriser l'accès aux transports pour
toutes les couches socio-professionnelles, et favoriser l'accès des
75
transporteurs aux crédits bancaires (Kassi-Djodjo,
2020). Pour la mise en oeuvre de ces politiques, l'État
privilégie un mode d'action consistant en la création de
structures dédiées à certaines tâches, mises sous sa
tutelle le plus souvent via le ministère des transports ou des
infrastructures. Sur ce modèle sont créées des structures
comme la Société ivoirienne de contrôle technique
automobiles et industriels (SICTA), ou la Société nationale des
transports terrestres (SONATT). L'une des plus importantes actuellement est
l'Agence de gestion des routes (AGEROUTE) qui se consacre au très
important effort de développement des infrastructures et
équipements routiers mené actuellement par la Côte d'Ivoire
sur l'ensemble du territoire national.
Dans le contexte abidjanais, une structure a été
créée en 2000 avec pour rôle supposé de s'occuper de
la gestion de la mobilité à Abidjan : il s'agit de l'Agence de
gestion des transports urbains (AGETU). Cette entité, apparue dans un
contexte politique complexe, n'a jamais pu exercer son activité comme
elle le devait, du fait d'importantes tensions et mésententes au sein
même des différentes administrations publiques. Notamment, le flou
législatif laissé autour des prérogatives des
différentes administration territoriales, à savoir le district et
les communes, n'a pas permis à l'AGETU de coordonner efficacement
l'ensemble des activités de transport public. Les insolubles conflits de
compétences ont mené à un échec de son
activité, et à sa dissolution quinze ans après sa
création (Kassi-Djodjo, 2020). Abidjan est alors laissée pendant
plusieurs années sans autorité centralisée de gestion des
transports sur le territoire du Grand Abidjan.
Ce n'est que récemment que l'État a
décidé de palier à ce vide, et relancé une
initiative similaire à l'AGETU : il s'agit de l'Autorité de la
mobilité urbaine dans le Grand Abidjan (AMUGA). Il s'agit d'une
autorité administrative indépendante (AAI) dotée de la
personnalité juridique et de l'autonomie financière. Dans les
faits, cette structure est l'organisme public chargé de réaliser
les objectifs fixés par le SDUGA. Ainsi, « l'AMUGA assure, dans
le Grand Abidjan, la gouvernance institutionnelle de la mobilité urbaine
définie comme étant le transport urbain et la circulation des
personnes et des marchandises au sein d'un territoire délimité,
ainsi que les infrastructures et les équipements nécessaires au
transport, les moyens de transport, les services liés au transport et
aux déplacements sur ce territoire15 ».
15 Source : site internet de l'AMUGA, 2021.
76
L'AMUGA dispose de onze prérogatives principales pour
mettre en place sa politique. Elle est ainsi chargée :
1/ D'anticiper les évolutions résultant du
développement territorial du Grand Abidjan par l'élaboration d'un
plan de déplacements urbains (PDU), applicable au
périmètre des transports urbains ;
2/ De définir et déployer une politique unique,
structurée, homogène et cohérente de transport et de
mobilité urbaine à l'intérieur du périmètre
des transports urbains ;
3/ D'éditer et de délivrer les autorisations
relatives aux services des transports urbains ;
4/ D'assurer le contrôle de l'application et du respect
des règles par tous les acteurs ;
5/ D'étudier, de mettre en place et de gérer les
redevances et taxes résultant de l'activité transport
exercée à l'intérieur du périmètre des
transports urbains ;
6/ De définir et d'organiser le réseau urbain
routier, ferroviaire et fluvio-lagunaire de transport maillé à
l'intérieur du périmètre des transports urbains ;
7/ De définir et d'organiser la mise en concurrence des
opérateurs des transports urbains ; 8/ De mesurer la performance du
système des transports urbains ;
9/ De programmer et de contractualiser avec les structures
compétentes de l'État en vue de réaliser les
aménagements d'infrastructures de transport, de mobilité et de
stationnement ainsi que les moyens de transport adaptés ;
10/ De porter et d'assurer la maîtrise d'ouvrage
déléguée des projets d'investissements de transport public
;
11/ D'être l'interlocuteur de l'ensemble des acteurs
économiques et institutionnels en activité à
l'intérieur du périmètre des transports urbains pour tout
sujet relatif à la mobilité urbaine, notamment les sujets
relatifs à l'intégration et la réalisation des plateformes
technologiques.
Cette structure, née en janvier 2020, est encore trop
jeune pour que l'on puisse dresser un bilan pertinent de ses agissements.
Néanmoins, force est de constater par cette liste de prérogatives
que l'objectif de l'État à travers l'AMUGA est de disposer d'un
contrôle très large et resserré sur les différents
aspects de la mobilité abidjanaise, en essayant de l'imposer comme
l'interlocuteur privilégié des différents acteurs, et en
lui donnant des fonctions de décision et de contrôle dans de
nombreux domaines signifiants.
B) Des objectifs chiffrés et délimités
dans le temps
Les autorités planificatrices, pour atteindre leurs
objectifs, suivent une méthode que nous allons décrire ici. Afin
de garantir la meilleure marche à suivre, dans la conception des
objectifs comme dans la manière de les réaliser, elles s'appuient
sur des études et rapports de terrain. Ces documents permettent ensuite
d'avoir une meilleure connaissance du territoire, et sur les leviers d'action
que l'on a dessus. La connaissance la plus précise de ces
différents paramètres, combinée à l'étude
des moyens à disposition, permettent de dégager des
stratégies et des plans d'action pour la planification. Par ailleurs,
une étude peut également mettre en lumière la
nécessité d'en produire une autre sur un thème en
particulier. Cette approche de l'aménagement, qui se veut très
technique, se manifeste par la production de documents comme le SDUGA, que nous
avons déjà évoqué. Ce dernier fournit
lui-même des documents très complets et précis, comme le
schéma de synthèse du SDUGA (CARTE 6), qui présente un
résumé de l'étude de terrain et des préconisations
faites pour l'horizon 2030 dans le Grand Abidjan.
Carte n°6 : Carte de synthèse du Schéma
directeur d'urbanisme du Grand Abidjan
Source : mission d'étude de la JICA, 2015.
77
78
Nous avons ici beaucoup décrit les parties concernant
le transport du SDUGA. Mais un plan de transport s'insère bien entendu
dans un contexte territorial, dont il faut avoir une vision claire. Le mode de
représentation cartographique du territoire permet cette vue d'ensemble.
Le schéma de synthèse donne quelques détails concernant le
potentiel constructible du territoire, par exemple en représentant les
zones inconstructibles ou bien les aires protégées. Il met en
valeur les densités de population, et les zones à forte
concentration d'activités industrielles ou commerciales. Rappelons que
la connaissance précise du territoire n'est pas encore acquise dans le
Grand Abidjan, puisque le SDUGA précise lui-même dans les propos
introductifs que seuls 54% de la superficie totale des sols ont pu voir leur
occupation spécifiée. Ainsi, ce schéma contextualise le
plan de transport qu'il propose dans une représentation cartographique
précisant le cadre administratif utile, ainsi que certaines
données économiques et sociodémographiques
localisées.
La production de ces études permet de donner des
objectifs chiffrés et délimités dans le temps. L'horizon
général du SDUGA est l'année 2030, mais il permet de
diviser la procédure en une multitude d'objectifs complémentaires
dont la réalisation doit suivre des objectifs en termes de dates de
rendu. Il est à noter que, d'après les observations
réalisées sur le terrain et les recherches faites en
parallèle, les objectifs annoncés en termes d'aménagement
ont souvent tendance à être très optimistes. Le retard
semble être la norme, et les bornes chronologiques sont souvent plusieurs
fois reculées. Un exemple signifiant est la construction du
quatrième pont d'Abidjan, qui est en toujours en cours. La date de
livraison annoncée était le 30 septembre 2020. Une visite
à proximité des travaux réalisée en janvier 2021
m'a permis de constater un retard important, malgré mon absence de
qualification dans le domaine de la construction, puisque quatre mois
après la date de livraison initialement prévue, l'ouvrage ne
semblait pas près d'être fini (PHOTO 3). Les exemples en la
matière sont nombreux. Mais il existe aussi des précédents
d'importants ouvrages livrés sans retard : le troisième pont
d'Abidjan, ouvrage massif de plus d'un kilomètre de long, a
été livré environ deux ans et demi après le premier
coup de pioche donné par Alassane Ouattara16.
16 Il s'agissait néanmoins d'un projet
lancé quinze ans auparavant, qui n'avait jamais pris du fait notamment
des difficultés du pays sur la période.
79
Photo n°3 : L'état d'avancement du 4e
pont au 14 janvier 2021
Source : Gaspard Ostian, 2021.
Ainsi, la planification dans le Grand Abidjan s'appuie sur une
double approche d'étude du territoire et de projection d'objectifs
délimités dans le temps. Le choix de ce mode d'action montre la
volonté des autorités de se placer dans une logique techniciste
d'efficacité, semblable à ce que l'on peut trouver dans les
principaux noeuds de l'archipel métropolitain mondial.
C) La mise en place de cellules d'action
spécialisées et éphémères
Nous venons de décrire le processus de fabrication des
objectifs de la planification. Dans les transports, pour remplir les objectifs,
des cellules d'action spécialisées sont mises en place. Ces
cellules disposent de locaux, et rassemblent des équipes
recrutées pour leurs compétences ainsi que des moyens
spécifiquement alloués. Deux des principales cellules en ce qui
concerne les transports et la mobilité abidjanaise sont le Projet de la
mobilité urbaine d'Abidjan (PMUA) et le Projet de transport urbain
d'Abidjan (PTUA). Nous allons les présenter ici, car ceux sont deux
entités majeures de l'avenir du transport abidjanais.
Le Projet de mobilité urbaine d'Abidjan
Les informations données ici sont issues d'un entretien
avec le coordinateur adjoint du PMUA, Ali Coulibaly, réalisé le
18 février 2021 dans les locaux de l'unité de coordination du
projet. Le PMUA, mis en vigueur le 13 février 2020, est un projet
financé principalement par
80
l'AFD et la Banque mondiale, ainsi que des partenaires
privés. Les crédits alloués s'élèvent
à 540 millions de dollars de la part des deux bailleurs de
développement, ce à quoi s'ajouteront les sommes versées
par les partenaires privés, encore inconnues car elles interviendront
dans la construction du bus rapid transit (BRT). L'objectif
général du projet est d'améliorer la mobilité des
populations pour aller dans les zones d'emplois, ce qui en fait selon Ali
Coulibaly « un projet à visée économique permettant
d'améliorer la compétitivité de la ville ». Il s'agit
d'un projet prévu sur six ans, fait de quatre composantes principales :
1/ construire la première ligne de BRT, 2/ fournir un appui
matériel au transport public de la SOTRA, 3/ fournir une aide au
transport artisanal pour renouveler la flotte, et 4/ développer le
capital humain abidjanais en matière de compétences dans le
domaine des transports en finançant des formations. Le projet
dépend du ministère des transports, et, comme il s'agit d'un
projet multisectoriel, agit en collaboration avec d'autres cellules
spécialisées dans les projets de transport comme l'AGEROUTE pour
les infrastructures routières. Le coordinateur du projet est le
directeur général de l'AMUGA.
Le projet de transport urbain d'Abidjan
Les informations données ici sont issues d'entretiens
réalisés avec le chef de l'unité « ouvrages » du
PTUA, M. Dosso, et le chef d'unité « aménagements connexes
et renforcement institutionnel », M. Koffi, réalisés le 2
février 2021 dans les locaux du PTUA. Le PTUA a été, selon
M. Dosso, créé à la suite des constats dressés par
le SDUGA. Son objectif général est d'améliorer la
fluidité routière et les conditions de circulation à
Abidjan, qui perturbent l'économie et la compétitivité de
la ville. Les principaux bailleurs sont la Banque mondiale, le Fonds
environnemental mondial (FEM) et l'État de Côte d'Ivoire. Le PTUA
n'a pas de liens directs avec le ministère des transports, mais
dépend en tant que projet infrastructurel de l'AGEROUTE et du
ministère de l'équipement et de l'entretien routier. Il est
composé de trois unités : celle de M. Dosso s'occupe des ouvrages
d'art, ce qui englobe le suivi de la construction du quatrième pont et
la construction de trois échangeurs sur le boulevard Mitterrand, l'un
des plus congestionnés de la ville. L'unité de M. Koffi s'occupe
des activités qui accompagnent les infrastructures pour améliorer
la mobilité, comme la mise en place et le respect d'une
réglementation, l'installation d'équipements de signalisation, la
création d'espaces verts, etc. La troisième unité s'occupe
des projets routiers, c'est-à-dire de construction de nouvelles routes
comme la rocade Y4 prévue autour de la ville, ou encore de la
réhabilitation de certains axes existants.
81
Ces entités, le PMUA et le PTUA, sont à vocation
éphémère puisqu'elles devraient normalement
disparaître lorsque leurs objectifs auront été atteints. On
constate dans les propos tenus par les directeurs interrogés que les
objectifs principaux des projets se concentrent sur des retombées
économiques positives. Nous y reviendrons plus tard dans l'analyse.
82
Chapitre 4 : les projets dans les transports
Nous avons posé dans les chapitres
précédents différents éléments de contexte
concernant l'état actuel des transports dans le Grand Abidjan, les
enjeux auxquels ils font face et les méthodes mises en place par la
puissance publique pour se donner les moyens de reprendre en main la
planification urbaine et déterminer à échelle de la
métropole les objectifs à atteindre. Dans le présent
chapitre, nous nous attacherons à décrire directement un certain
nombre de projets, ainsi que les logiques qui les animent. Cela nous permettra
d'examiner par l'étude de cas concrets les réalisations
récentes et les perspectives d'avenir à court et moyen terme du
paysage des transports abidjanais.
1- Les projets d'infrastructures à influence
extranationale
Dans cette partie, nous aborderons les projets autour des
infrastructures de transport qui connectent Abidjan au reste du monde. Elles
sont au premier plan des efforts menés par l'État ivoirien pour
faire d'Abidjan une centralité régionale, à l'ambition
continentale.
A) Le Port Autonome d'Abidjan, une infrastructure aux
aménagements nombreux et importants
Comme nous l'avons décrit précédemment,
le PAA a vu depuis le retour de la stabilité en Côte d'Ivoire une
très forte croissance de son trafic annuel, et est donc confronté
depuis dix ans à un défi permanent d'augmentation de ses
capacités d'accueil. Dans le cadre de la concurrence avec les principaux
ports de la région, et de la course à l'insertion de la
mondialisation, les autorités du port ont donc engagé, et
même parfois déjà achevé, des projets
d'infrastructures mobilisant d'importants moyens. Nous allons décrire
les principaux d'entre eux ci-après.
Modernisation du port de pêche
Le port d'Abidjan est le premier port thonier d'Afrique. Le
trafic des pêcheurs y est donc important, et nécessite certaines
infrastructures pour le traitement de la cargaison à quai. En
2012, le port de pêche existant à Abidjan
présentait certains défauts17 : les infrastructures
étaient dans un état général assez vétuste,
un problème flagrant de place disponible pour les activités
industrielles se posait déjà depuis plusieurs années. Par
ailleurs, le coût d'entretien des infrastructures, du fait de leur
mauvais état, s'élevait à 350 millions de francs CFA par
an. Enfin, le tirant d'eau proposé, alors de sept mètres,
n'était plus suffisant pour accueillir les navires de pêche dont
la tendance actuelle est, comme pour les porte-conteneurs, à la
croissance de taille. Pour pallier les divers manques du port de pêche,
un projet a été lancé, avec un objectif politique
affiché : « l'ambition du président est de réduire
significativement le taux de dépendance de la Côte d'Ivoire en
matière de consommation de produits halieutiques. Et que cet ouvrage
garantira la sécurité alimentaire de nos populations », a
déclaré le Premier ministre Daniel Kablan Duncan lors de
l'inauguration de la nouvelle infrastructure en septembre 2015, trois ans plus
tard. La nouvelle infrastructure agit sur l'ensemble des problématiques
énoncées précédemment : plus de huit hectares ont
été remblayés sur l'eau, permettant de gagner de la place
pour aménager de nouvelles infrastructures industrielles,
consacrés en l'occurrence à l'entreposage de conteneurs
frigorifiques et à la réparation des filets. Par ailleurs, les
nouveaux quais, entièrement rénovés, offrent
désormais 460 mètres sur 160 mètres et un tirant d'eau de
huit à dix mètres.
83
17 Source : M. Moni, directeur adjoint à la
l'ingénierie et la maîtrise d'ouvrage.
84
Photo n°4 : Un navire stationné dans le port de
pêche du Port Autonome d'Abidjan
Source : Gaspard Ostian, 2021
Cette image (PHOTO 4), prise sur la partie Ouest du port de
pêche qui présente trois faces, illustre les évolutions
décrites précédemment. On observe le bon état des
infrastructures, ainsi que la place disponible, qui permet d'entreposer des
filets en attente d'être réparés ou chargés
directement sur le quai sans gêner le passage.
Élargissement et approfondissement du canal de
Vridi
Les installations du PAA sont situées principalement
dans la commune de Treichville, sur la lagune Ébrié. Le canal de
Vridi est l'aménagement qui connecte l'océan à la zone
portuaire située sur la lagune. C'est donc la porte d'entrée et
de sortie du port pour les navires qui arrivent et repartent, ce qui en fait un
aménagement d'importance logistique de premier plan pour le trafic.
Avant les travaux récents, le canal de Vridi était un facteur
limitant pour les capacités d'accueil du PAA : sa taille réduite,
notamment à l'embouchure, empêchait l'accueil de navires de plus
de 260 mètres de long et 11,50 mètres de tirant d'eau. Cela
posait problème pour les porte-conteneurs, qui sont les navires
commerciaux aux plus fortes dimensions. Par
85
ailleurs, l'étroitesse du canal imposait des
délais d'attente aux navires, d'une dizaine d'heures par jour en moyenne
selon les autorités du port. Le canal était donc responsable
d'une carence en compétitivité du PAA en matière d'accueil
des navires. Des travaux ont donc été lancés pour pallier
ces manques, et le nouveau canal de Vridi a été inauguré
en février 2019. Peuvent désormais y transiter des navires sans
limitation de longueur, et d'un tirant d'eau allant jusqu'à seize
mètres. À titre de comparaison, le record de tirant d'eau d'un
navire mesuré dans le port de Rotterdam est de 17,30 mètres, et
le tirant d'eau du Marco-Polo de la CMA-CGM, qui était le plus grand
porte-conteneur au monde dans le début dans années 2010, est de
seize mètres. La logistique accrue permise par ces nouvelles
capacités permet un gain de temps pour les navires, ce qui est un
paramètre important de la compétitivité d'un port. Par
ailleurs, l'accueil de plus grands navires permet des économies
d'échelle lors des opérations de déchargement, pour les
chargeurs comme pour les armateurs. Par le biais des travaux
réalisés dans le canal de Vridi, le port d'Abidjan s'affirme donc
comme un port au niveau des réalités techniques du commerce
maritime mondial.
Le deuxième terminal à conteneurs :
Côte d'Ivoire Terminal
Il s'agit, selon M. Moni, le directeur adjoint à
l'ingénierie et à la maîtrise d'ouvrage du PAA, du projet
central de la décennie. Les conteneurs sont aujourd'hui
emblématiques du commerce maritime mondial. Or, le trafic des conteneurs
est très vite apparu comme le point faible le plus flagrant du port
d'Abidjan, du fait des importantes limites de sa capacité d'accueil des
porte-conteneurs. Le premier terminal à conteneurs, « Abidjan
Terminal », ne permet qu'un accueil de navires de 11,50 mètres de
tirant d'eau et l'accueil d'un million d'EVP (équivalent vingt pieds)
annuel, bien que la demande soit largement supérieure. En comparaison,
le port de Dakar peut accueillir des navires de treize mètres de tirant
d'eau, et celui de Lomé quinze mètres. L'aménagement du
nouveau terminal à conteneurs, « Côte d'Ivoire Terminal
», doit permettre de disposer d'infrastructure modernes, capable
d'accueillir des navires de seize mètres de tirant d'eau, et d'augmenter
les capacités d'accueil de 1,2 million d'EVP par an dès la
première phase de développement. Les travaux ont
été lancés en octobre 2020, et sont prévus pour
durer jusqu'à fin 2021. L'objectif affiché du port est par cet
aménagement de se positionner en leader dans le trafic des conteneurs
dans la région, dans l'objectif de repositionner durablement le PAA, qui
fait face à une concurrence acharnée, comme le hub-port
de la façade Atlantique de l'Afrique.
86
Aménagements connexes et bilan
décennal
Outre les projets que nous avons décrits, plusieurs
réalisations ont été achevées ou lancées sur
la dernière décennie. Nous pouvons mentionner le nouveau terminal
roulier, dit ro-ro18, aménagé pour
répondre à l'augmentation de la demande d'importation de
véhicules, pour faire de la place pour le nouveau terminal à
conteneurs, et pour suivre les normes internationales du tirant d'eau des
navires rouliers de plus en plus gros. Pour répondre au besoin de place,
un vaste remblaiement a été effectué sur la lagune dans la
baie de Bietry, qui a permis de gagner 40 hectares de terrain. Par ailleurs, un
terminal céréalier est en construction depuis janvier 2020.
L'ensemble des projets réalisés ou lancés
depuis dix ans dans le port d'Abidjan totalisent, selon M. Moni, 1 500
milliards de francs CFA d'investissements, soit 2,3 milliards d'euros environ.
Cela équivaut à plus d'un vingtième du PIB ivoirien, ce
qui est considérable. Ces investissements massifs ont abouti à
des réalisations nombreuses, importantes et rapides qui donnent au PAA
un visage modernisé. Celui-ci semble ainsi relever avec succès le
double défi de l'absorbation la croissance du trafic et de la
concurrence régionale.
B) L'augmentation des capacités dans le domaine
aérien
L'aéroport d'Abidjan diffère du port en ce qu'il
est une infrastructure de transport humain avant tout, et non de marchandises.
Son succès, plus que pour le port, ne dépend donc pas que des
capacités techniques d'accueil qu'il présente, mais
également de son offre d'accueil au sens humain. Deux aspects sont ainsi
importants : l'expérience passager qu'il offre, et l'image qu'il
renvoie. Bien entendu, un aéroport n'est qu'un lieu de transit la
plupart du temps non-concurrencé localement pour une destination
précise. On ne se rend pas à une destination pour son
aéroport, en revanche l'aéroport est pour un voyageur la
première impression qu'il a de sa destination. L'image de
l'aéroport d'Abidjan est donc une pièce importante de l'image que
renvoie Abidjan, et donc de son attractivité. De ce fait,
l'appréciation des passagers de leur expérience de
l'aéroport d'Abidjan contribue à l'attractivité plus
générale de la ville d'Abidjan, qui contribue donc à la
croissance annuelle de passagers dans l'aéroport d'Abidjan. Deux aspects
occupent donc les dirigeant de la société Aeria qui s'occupe de
la gestion de l'aéroport : l'amélioration des capacités
d'accueil, et l'amélioration de la qualité de l'accueil
proposé.
18 Abréviation de « roll-on roll-off
».
87
Le développement des capacités de
l'aéroport
Nous l'avons vu précédemment, l'aéroport
FHB connaît depuis 2012 une très importante croissance de sa
fréquentation annuelle, passée de moins d'un million en 2012
à plus de deux millions en 201919. L'aérogare actuelle
n'est prévue que pour l'accueil de deux millions de passagers par an, ce
qui met l'aéroport sous pression et provoque des congestions à
l'heure de pointe. De la même façon, la pression s'est accrue sur
le trafic de l'unique piste de décollage et d'atterrissage. Pour faire
face, quatre projets principaux ont été réalisés ou
lancés sur la décennie dans l'aéroport. D'abord, une
aérogare d'affaires a été construite au début des
années 2010, pour accueillir notamment les vols privés. Un vaste
projet d'augmentation des capacités de parking a été
mené depuis les années 2000, faisant passer le nombre d'aires de
stationnement de deux à vingt aujourd'hui. Du côté de la
piste, deux évolutions majeures ont vu le jour : d'abord, la piste a
été adaptée pour permettre l'accueil de l'A380, l'un des
plus gros avions au monde. Un vol inaugural a été
réalisé en 2014 par la compagnie Air France. Ensuite, afin de
démultiplier les capacités de mouvement des avions sur la piste,
un taxiway a été aménagé en
parallèle de la piste, ce qui permet d'éviter son
encombrement.
Le principal projet est à venir : il s'agit de
l'extension de l'aérogare, qui sature aujourd'hui aux heures de pointe.
Le projet, initialement gagné par une compagnie chinoise, a finalement
été récupéré par le français
Bouygues, et portera les capacités d'accueil de deux millions de
passagers par an aujourd'hui à cinq millions après les travaux.
Si le chantier n'a pas encore commencé, un accord en vue du lancement
des travaux a été signé le 30 avril 2021 entre le ministre
ivoirien des transports Adama Coulibaly et le ministre français de
l'économie et des finances Bruno Lemaire.
L'amélioration de l'accueil au sein de
l'infrastructure
En-dehors de la volonté d'être le hub
d'Afrique de l'Ouest, M. Tah Rodrigue, chef du département des
opérations aéronautiques de l'aéroport, présente
deux autres objectifs20 : faire de FHB un aéroport vert, et
le porter à la pointe de la technologie. Pour ce faire, il
développe plusieurs stratégies :
1/ Bonifier la compétence organisationnelle. Il y a de
la compétition avec Dakar et Accra. Il faut améliorer le capital
humain du personnel, ce qui passe par l'embauche mais aussi la formation.
19 Le maximum connu avant la
décennie de crise était de 1,25 million de passagers en 1998.
20 Entretien réalisé le
15 février 2021 dans les locaux d'Aeria.
88
2/ Labelliser toutes les pratiques opérationnelles.
L'idée est que les usagers sachent qu'ils ont affaire à de vrais
professionnels. Pour cela, l'aéroport a obtenu ou s'applique à
obtenir divers certificats comme le certificat ISO, TSA, carbone, etc.
3/ Relever le niveau technique. Cela concerne les infrastructures
et équipements notamment. 4/ Consolider les acquis en redevances
aéronautiques et en avoir de nouvelles, en redevances
extra-aéronautiques, avec la construction d'hôtels par exemple.
5/ Faire de la communication et du marketing pour être
attractifs.
6/ Introduire plus de technologie, améliorer les
procédures automatisées. Cela implique d'aller davantage vers les
interactions homme-machine, par exemple les enregistrements sur borne des
passagers.
7/ Établir un nouveau mode de management, qui fonctionne
désormais par objectifs.
L'aspect moderne d'un aéroport passe beaucoup par
l'intégration des nouvelles technologies de l'information et de la
communication (NTIC) dans l'expérience voyageur. Pour cela, plusieurs
choses ont été faites : la création du site internet
d'abord, qui affiche les informations de vol en direct. Des écrans
d'information voyageur ont également été installés,
ainsi que des micros et des haut-parleurs dans l'aérogare pour diffuser
des annonces sonores.
Une fois l'aérogare achevée, après
l'ensemble des autres réalisations récentes que nous avons
décrit, l'aéroport FHB pourra être considéré
comme une infrastructure ayant relevé un premier défi de
croissance et d'amélioration de son attractivité. Cette
montée en puissance a permis à certains acteurs de lui manifester
leur confiance, comme par exemple quand Air Côte d'Ivoire, nouvelle
compagnie aérienne ivoirienne créée en 2012 après
l'échec d'Air Ivoire, a choisi de faire de l'aéroport d'Abidjan
son hub, c'est-à-dire sa principale base logistique. En 2015, le groupe
franco-néerlandais Air France-KLM a manifesté sa volonté
de faire d'Abidjan son hub régional pour le transport de passagers en
Afrique de l'Ouest. « Vu d'Europe c'est la partie en très fort
développement dans les cinq à dix ans », a souligné
M. de Juniac, le PDG d'Air France, dont le projet prévoit de faire
également de Nairobi, la capitale du Kenya, un hub pour toute l'Afrique
de l'est. Les évènements semblent donc sourire à
l'aéroport FHB, qui est même parvenu à surpasser en trafic
l'aéroport de Dakar, son principal concurrent de l'aire francophone
régionale. Néanmoins, un classement d'Atlasocio de 2020
révèle que l'aéroport d'Abidjan était en 2018
à la 28e place des aéroports du continent africain, loin
derrière Lagos, Abuja ou Accra (13e, 21e et 23e), ce qui relativise de
beaucoup son importance actuelle.
89
C) Un secteur ferroviaire de plus en plus marchand
L'activité ferroviaire est depuis 1995
concédée à la Société internationale de
transport africain par rail (SITARAIL), filiale du groupe Bolloré
Transport & Logistics. Cette concession est issue de la vague de
libéralisation imposée après la crise des années
1980 par les institutions financières internationales, afin de
réaliser des économies. Le trafic passager, qui avait
déjà considérablement chuté, passant de 350 000
voyageurs en 1980 à moins de 50 000 en 1995, a continué de
baisser, du fait de mesures prises par la compagnie en faveur du transport de
marchandises. Le nombre de gares sur le territoire ivoirien a continué
de se réduire, et aujourd'hui, 90% du trafic sur la ligne se fait entre
Abidjan et le Burkina Faso, à des fins principalement commerciales.
Cette dynamique s'inscrit, comme pour le secteur aérien et portuaire,
dans un contexte régional concurrentiel : le corridor ivoirien
d'accès à la mer est fortement concurrencé par celui du
Ghana, du Togo et du Bénin par exemple.
De ce fait, des investissements ont été
mobilisés et des projets mis en place pour développer le
potentiel du corridor ivoirien. Ils se composent de trois volets principaux :
la rénovation des infrastructures, la prolongation de la ligne vers le
nord du Burkina et l'acquisition de nouveaux matériels roulants. Le
programme de modernisation des infrastructures et de rénovation des
équipements est chiffré à 600 millions d'euros, dont
presque la moitié sur la première phase entre 2019 et 2023. Il
prévoit entre autres le renouvellement complet de la voie sur des zones
identifiées, la rénovation de plusieurs gares, la consolidation
et la réhabilitation des ouvrages d'art et hydrauliques ainsi que des
travaux d'assainissement le long de la ligne et dans les gares, comme celle de
Port-Bouët à Abidjan par exemple.
L'idée du prolongement de la ligne, qui n'est pas
récente, a vu naître un très vaste projet de boucle
ferroviaire (CARTE 7), entre Abidjan et Cotonou, passant par le Burkina Faso,
le Niger, et se prolongeant à l'Ouest de Cotonou vers Lomé au
Togo. La ligne projetée aurait atteint 3 000 kilomètres, dont
plus de 1 000 kilomètres à construire. Malgré un
début prometteur au Bénin, et une centaine de kilomètres
de voies construite au Niger, le projet a été avorté du
fait de la remise en cause du groupe Bolloré à mener ces travaux,
notamment par le Bénin.
90
Carte n°7 : Le projet avorté de boucle ferroviaire
en Afrique de l'Ouest
Source : Jeune Afrique Économie, 2015
Ainsi, le prolongement de la ligne qui reste
d'actualité ne concerne que la localité de Kaya, au Nord-Est de
Ouagadougou, ville minière au potentiel d'exportation conséquent.
Ce prolongement est d'une importance majeure pour le trafic commercial de la
ligne, car au terme du projet, sur une capacité totale projetée
de 5 millions de tonnes de marchandises par an, la moitié devrait
provenir des mines de Kaya.
2- Vers une mobilité urbaine moderne
Cette partie abordera cette fois les principaux projets visant
à transformer le visage des mobilités abidjanaises. Elle vise
à mettre en perspective les importants changements qui sont en cours de
réalisation dans la structuration et l'organisation de la
mobilité à Abidjan par rapport aux situations passée et
présente que nous avons décrites précédemment.
A) Vers un transport en commun de masse axé et
structuré
La forte croissance à la fois spatiale,
démographique et économique d'Abidjan a aggravé les
problématiques de congestion routière sur et autour des
principaux axes de la ville. Notre
91
objet n'est pas ici de les expliquer en détail, mais
plusieurs facteurs y contribuent : l'augmentation du nombre d'usagers du
réseau de mobilité et la ségrégation spatiale de
l'emploi sur un modèle centre-périphérie, combinés
à l'augmentation du nombre de véhicules personnels du fait de la
croissance économique de la ville, font que le maillage des axes
routiers structurants de la ville est de plus en plus insuffisant pour absorber
le trafic routier.
Ce constat s'intègre dans le contexte de la
volonté des autorités planificatrices de développer les
transports en commun, pour plusieurs motifs présentés
précédemment en plus de leur effet sur la congestion
routière : baisse de la pollution, développement d'une
mobilité formelle, ou « conventionnée », et
intégration d'éléments de modernité. Un
élément de solution envisagé et découlant de la
combinaison de ces paramètres est la mise en place d'axes de transport
en commun de masse à échelle de l'agglomération. Cela
permettrait de déporter une part importante des flux vers ces axes de
transport de masse, afin de soulager le réseau routier existant et ainsi
d'accélérer les temps de déplacement tout en
réduisant leurs coûts. Cela passe par une
ségrégation des flux, qui doivent alors fonctionner en
réseaux distincts, afin de ne pas se gêner mutuellement, comme
c'est actuellement le cas puisque tous les différents modes de transport
se rencontrent sur le même réseau routier.
Deux projets majeurs ont été pensés pour
répondre à ce besoin d'axes de transport en commun de masse : le
métro et le bus rapid transit (BRT). Ces deux projets doivent
se compléter, l'un prenant en charge un axe Nord-Sud et l'autre un axe
Est-Ouest. Il est à noter que, d'après l'AMUGA, quatre lignes de
BRT sont à l'étude. Nous ne parlerons ici que de la
première, qui m'apparait à l'heure actuelle comme la seule au
potentiel de réalisation suffisamment prometteur pour l'envisager
sérieusement dans le futur paysage des transports abidjanais. Le plan
imaginé par le SDUGA pour ces deux axes de transport de masse est le
suivant :
92
Carte n°8 : Les itinéraire planifiés par le
SDUGA pour les systèmes de transport de grande capacité
Source : mission d'étude de la JICA, 2015.
Sur ce plan (CARTE 8), le tracé du métro tel
qu'il est projeté aujourd'hui correspond à
l'élément de légende « Train urbain phase 1 ».
Le BRT, lui, correspond à l'élément de légende
« Train urbain ». Cela s'explique par le fait que le SDUGA
préconisait deux lignes ferroviaires sur les deux axes
identifiés, mais la ligne Est-Ouest n'est plus d'actualité et a
été remplacée, sur le même tracé, par le
projet de BRT.
Le métro d'Abidjan, un train urbain aérien au
sommet de la technologie
Le projet de métro est le plus ambitieux projet de
mobilité urbaine jamais mené sur le territoire ivoirien. L'offre
envisagée est au sommet des standards internationaux dans le
93
domaine de la mobilité urbaine sur rail. D'après
la page internet descriptive du projet21, la ligne ralliera Anyama
au Nord à l'aéroport FHB au Sud, en passant par Abobo,
Adjamé et les quartiers centraux du Plateau. Le tracé, long de
presque 38 kilomètres, comprendra 18 stations, et une vitesse
d'exploitation de 80 km/h. Les rames, à conduite automatique, devront
pour assurer les prévisions actuelles de trafic se suivre avec un
intervalle de 90 secondes entre chaque, d'après Guillaume Herry, le
directeur général de la Société ivoirienne de
construction du métro d'Abidjan (SICMA)22. Cela correspond
dans les performances à ce que l'on trouve sur les lignes les plus
efficaces du monde développé, à l'image de la ligne 14 du
métro parisien. Le métro sera aérien, et ouvrira par
tronçons, à partir de 2025 selon les estimations actuelles de la
SICMA. Le projet, imaginé dès les années 1970 pendant
l'ère d'Houphouët-Boigny, suivra sur 32 kilomètres le
tracé de la ligne ferroviaire Abidjan-Ouagadougou, grâce à
des dispositions prises à l'époque. Il implique néanmoins
la construction d'un nouveau pont pour franchir la lagune, en parallèle
du pont FHB existant.
Le projet est mené par un consortium d'entreprises
françaises, la Société de transport abidjanais sur rail
(STAR), composé de quatre entités : la SICMA qui gère le
projet, est une filiale de Bouygues travaux publics. Il y a également
Colas rail, qui s'occupera des voies et de l'alimentation électrique, et
de Alstom pour le matériel roulant. Enfin, Keolis du groupe SNCF sera en
charge de l'exploitation lors de la mise en service. Le projet a connu des
difficultés au début en termes de financement et de
capacités techniques, du fait de la participation initiale d'un groupe
coréen qui a finalement été écarté lorsque
le président français Emmanuel Macron a annoncé que la
France prendrait en charge le projet à 100%, à condition que des
entreprises françaises soient en charge de sa réalisation. Cette
annonce a été faite en 2017, et l'accord final de financement a
été signé fin 2019 pour un coût total de 1,4
milliard d'euros. À l'heure actuelle, la construction des
infrastructures n'a pas été lancée, mais les travaux
préparatoires sont en cours. Il faut régler sur les 38
kilomètres de tracé les questions d'emprise, et des
indemnisations des populations touchées par le projet dans leur vie ou
activité. Il y a également des travaux de déviation des
tuyaux sur les parcelles à construire, qui prennent du temps et de
l'argent : 100 millions d'euros selon Guillaume Herry. Il faut également
dévier des voies de la SITARAIL, ce qui implique des discussions et des
négociations.
21 Source :
http://www.lemetrodabidjan.ci/#!
22 Entretien réalisé le
2 mars 2021 dans les locaux de la SICMA.
94
Le financement a été assuré par la
France, mais l'État ivoirien participe directement dans la mesure
où l'argent lui a été prêté. Les
bénéfices attendus sont majeurs pour Abidjan et la Côte
d'Ivoire : avec 500 000 passagers par jour prévus lors de la mise en
service, des estimations de la SICMA chiffrent à terme les
bénéfices économiques à plus de trois pourcents du
PIB ivoirien. Il permettra selon Guillaume Herry de réduire la
pollution, la congestion routière, l'insécurité
routière23, de créer quatre mille emplois directs et
cinq fois plus d'emplois indirects, et permettre des externalités
négatives durant les travaux en termes d'assainissement et
d'évacuation des eaux, le tracé de métro servant en
quelque sorte de caniveau. Selon Guillaume Herry, l'atout majeur du projet est
le désenclavement de la commune d'Abobo, la plus populaire de la ville.
Cette commune regroupe environ trois millions de personnes aujourd'hui, et
connait des problématiques d'enclavement majeures liées au
transport. Pour ceux qui arrivent à sortir d'Abobo pour travailler dans
le centre, 60% du salaire mensuel passeraient dans les frais de transport,
toujours selon la SICMA.
Si le projet semble réunir les conditions pour
être mené à son terme, la question des délais se
pose aujourd'hui. Prévu initialement pour 2023, la STAR a
déjà reculé sa date officielle de livraison à 2025
pour le premier tronçon de la ligne, entre Anyama et le Plateau.
À Abidjan, la population, enthousiasmée par les annonces faites
en 2017, désespère aujourd'hui de voir cette infrastructure
être livrée. Par ailleurs, le délai de construction de
l'infrastructure prévu est de quatre ans et demi, si tout se passe bien.
Or, les travaux de préparation sont à l'heure actuelle toujours
en cours. La date de livraison pour 2025 semble donc à considérer
avec prudence pour les observateurs.
Le Bus Rapid Transit : une infrastructure plus
légère à l'avenir encore flou
Le BRT est un projet de mobilité urbaine qui s'inscrit,
plus que le métro, dans une dynamique d'évolution
régionale. En effet, plusieurs villes de la région envisagent ou
se sont dotées de BRT, comme Lagos ou Dakar. À Abidjan, le
système est prévu pour s'étendre sur une vingtaine de
kilomètres, entre Yopougon à l'Ouest et Bingerville à
l'Est, en passant par le Plateau et Cocody. Le projet actuel prévoit 21
stations, et une flotte d'environ cent bus pour assurer le haut de niveau de
service requis. Concrètement, un BRT est un système de bus
à haut niveau de service (BHNS) en français, circulant sur un
corridor routier dédié avec une fréquence
23 Le taux d'accidents mortels sur la
route est 15 fois supérieur en Côte d'Ivoire à la France,
d'après des chiffres enregistrés par l'OMS en 2018.
95
de passage importante. Cela en fait un transport collectif en
site propre (TCSP), à l'image d'un tramway. Dans le cas du projet
d'Abidjan, le potentiel de fréquentation quotidienne n'est pas
estimé avec précision d'après mes recherches, mais
à titre de comparaison, le BRT de Dakar, qui circulera sur 18
kilomètres, projette de transporter 300 000 passagers par jour.
C'est le PMUA qui est chargé à Abidjan du projet
de BRT, avec le concours de l'AMUGA. Le futur constructeur et opérateur
n'est pas encore désigné, et les financements seront normalement
apportés par le secteur privé, d'après le coordinateur
adjoint du PMUA, Ali Coulibaly. Il n'est pas prévu que la SOTRA soit
l'opérateur, qui sera a priori un acteur privé. Cette
réalisation implique donc l'apparition d'un nouvel acteur
conventionné dans le paysage des transports abidjanais.
Ce projet apparait comme cohérent dans le contexte de
la demande locale et de la concurrence régionale, mais il est encore
très vague dans sa réalisation puisque ni les financements ni
l'opérateur n'ont encore été trouvés. Le PMUA est
censé s'achever à l'horizon 2025-2026, ce qui implique la
construction du BRT d'ici-là. Mais plusieurs obstacles majeurs se
dressent encore face au projet : le tracé implique un passage sur le
quatrième pont d'Abidjan, qui n'est pas encore construit. De plus, les
travaux du BRT vont devoir cohabiter avec les travaux prévus des trois
échangeurs sur le boulevard Mitterrand à Cocody, qui est l'un des
axes de la ville les plus fréquentés. Ainsi, si ce projet verra
probablement le jour à terme, les autorités compétentes
vont devoir accélérer le rythme si elles veulent tenir les
objectifs. Car, comme le dit Ali Coulibaly, « l'essentiel pour un projet
est de tenir les objectifs »24.
La réorganisation des mobilités urbaines en
fonction des nouveaux axes de transport de masse
À mesure de la construction des deux projets que nous
venons de présenter, s'imposera une réorganisation de l'offre de
mobilité actuelle en fonction d'eux. En effet, la mise en service de
réseaux de transport de masse à échelle urbaine implique
la création d'un réseau de voies de rabattement vers ces axes
structurants. Cette réorganisation des mobilités est l'une des
prérogatives du PMUA. Ce dernier est chargé d'appuyer la SOTRA
pour qu'elle soit en mesure, progressivement, de faire évoluer son offre
pour permettre aux usagers d'accéder dans les meilleures conditions au
métro et au BRT. Cette réorganisation implique aussi le
transport
24 Propos recueillis lors de
l'entretien du 18 février, à la cellule de coordination du PMUA
à Cocody.
96
artisanal, même si leur capacité d'adaptation est
bien plus importante que celle du réseau SOTRA, puisqu'elle est
très indexée sur la demande.
B) Vers un système aux opérateurs multiples mais
interopérables
Le grand bouleversement sur le plan opérationnel de la
mobilité abidjanaise est la multiplication des opérateurs
conventionnés. Jusqu'en 2015 encore, le seul opérateur
conventionné de transport public était la SOTRA, et ce depuis le
début des années 1960. Depuis, sont apparues la STL et Citrans
sur la lagune, la STAR pour le métro, et au moins un autre nouvel
opérateur fera son apparition dans un futur proche pour l'exploitation
du BRT. Sur une décennie, nous serons donc passés d'un
opérateur conventionné à au moins quatre, voire cinq. Ce
recours à de nouveaux acteurs privés conventionnés a des
effets positifs sur la mobilité abidjanaise, car il permet de mobiliser
des moyens extérieurs, ainsi qu'une nouvelle expertise utile aux
performances de mobilité à échelle urbaine. Cela marque
également une fin rapide et nette de près de soixante ans de
monopole de la SOTRA, société qui a connu de nombreux
problèmes de gestion et perd encore actuellement plus de treize
milliards de francs CFA par an, soit vingt millions d'euros environ.
Dans le contexte de la quête d'une mobilité
moderne menée par les autorités et les acteurs du transport,
cette multiplication des acteurs conventionnés présente un nouvel
enjeu : il s'agit de l'interopérabilité entre les
différents modes de transport. Karamoko Ouattara donne l'exemple de la
mobilité parisienne où, avec un seul ticket, on peut emprunter
successivement plusieurs métros, ou bien un métro puis un bus. Le
but de l'intermodalité des transports est qu'un trajet ne
démultiplie pas le prix en fonction du nombre de modes de transport
utilisés. À Abidjan, l'idée est qu'on puisse passer du
futur métro à un bus par exemple, ou d'un bus SOTRA à une
navette fluviale de la STL, avec le même titre de transport.
L'intérêt de cette interopérabilité
pour l'État est double : d'abord, elle modernise le visage de la
mobilité dans la métropole. Ensuite, cette
interopérabilité implique une organisation centralisée,
qu'il compte assurer. Cela permet à l'État de rester aux
commandes, même en ayant supprimé le monopole de sa compagnie de
transport. L'AMUGA, en tant qu'organisateur de la mobilité, est
chargé de mettre en place l'interopérabilité des acteurs
conventionnés dans un futur proche. D'après Karamoko Ouattara,
l'objectif à terme serait également de parvenir à
professionnaliser le secteur artisanal pour parvenir à
l'intégrer à cette interopérabilité. Cette
perspective apparaît néanmoins aujourd'hui comme trop lointaine et
complexe pour être développée ici.
C) Modernisation et intégration des NTIC dans les
mobilités
Une autre caractéristique importante d'une
mobilité moderne est d'y intégrer des nouvelles technologies de
l'information et de la communication (NTIC). Elles permettent notamment de
garantir une information voyageur de qualité, mais également
d'améliorer les capacités notamment organisationnelles et
logistiques de l'exploitation, par le biais de systèmes d'aide à
l'exploitation (SAE).
L'arrivée des NTIC pour l'information voyageur à
Abidjan s'est faite peu à peu à partir de 2008, date à
laquelle la société française Lumiplan a commencé
à collaborer avec la SOTRA. Il s'agit d'une société qui
exploite des données d'exploitation afin de la traduire dans du
matériel d'information à destination des voyageurs.
D'après Émilie Fort, la chargée de développement
sur le continent africain25, c'est Lumiplan qui a fourni à la
SOTRA les panneaux LED sur le front des bus qui affichent le numéro de
la ligne et la direction du bus. Lumiplan a également commencé en
2008 à fournir à la SOTRA un logiciel de gestion nommé
Heurès. Ce dernier permet de cartographier le réseau et les
arrêts, d'intégrer des données telles que le nombre de bus
et de chauffeurs, ainsi que les jours de congé de ces derniers par
exemple. Ce logiciel a permis une révolution dans la gestion du
réseau SOTRA et une amélioration notable des performances.
Lumiplan travaille également, depuis leur création, avec la STL
et Citrans sur la lagune, en leur fournissant le logiciel Heurès
également, mais aussi les écrans d'affichage d'information tels
que ceux que l'on peut trouver dans les gares (PHOTO 5).
97
25 Entretien réalisé le 09
février 2021 dans les locaux de Lumiplan à Abidjan.
98
Photo n°5 : Un écran d'information de l'entreprise
Lumiplan dans la gare STL de Treichville
Source : Gaspard Ostian, 2021
Les sociétés comme Lumiplan qui travaillent sur
différents aspects des NTIC dans les transports sont nombreuses. Si
cette dernière se charge de l'affichage de l'information voyageur, la
société Zenbus par exemple, une jeune entreprise nantaise,
s'occupe de la fabrication des données de la mobilité, qui
peuvent ensuite être utilisées pour l'information voyageur ou
l'exploitation. Elle travaille à Abidjan avec la STL et la SOTRA pour
l'instant. Zenbus permet aux voyageurs d'accéder à une
cartographie du réseau et surtout à de l'information horaire en
temps réel. Avec la SOTRA, Zenbus est pour l'heure en phase de tests sur
une ligne pilote en vue de proposer le même service sur les bus
publics.
Ces innovations sont majeures pour les voyageurs dans une
ville où l'accès à l'information voyageur est très
limité. À titre d'exemple, il n'existe pas de cartographie du
réseau SOTRA facilement accessible, et les fiches horaires des bus ne
sont pas rendues disponibles. Ainsi, un passager qui attend le bus à
Abidjan ne dispose d'aucune indication précise concernant l'horaire de
passage de son bus. Dans le transport artisanal, comme de bien entendu,
l'information voyageur n'est pas non plus développée. Face
à ce constat, les entreprises conventionnées comme la SOTRA ou la
STL s'appliquent à moderniser l'expérience passager dans leurs
99
activités. Ainsi, la SOTRA a récemment
intégré à son réseau une nouvelle billettique
comprenant un système de cartes de transport que l'on valide sur un
automate en montant dans le bus. Cette carte est rechargeable en guichet, mais
également par le biais de systèmes de paiement mobiles de type
Mobile Money, très utilisé dans une ville où les personnes
disposant d'un compte bancaire sont une petite minorité. L'objectif
affiché par le directeur du service statistiques et tableau de bord,
Noël Bouaki, est de parvenir au « zéro ticket » le plus
vite possible. Dans ce but, il est selon lui probable que prochainement, les
tickets coûtent plus cher que le prix d'un voyage payé avec sa
carte de bus.
Nous retrouvons une dynamique similaire dans les gares de la
STL. L'information voyageur en temps réel est disponible sur le site
internet de la STL et dans les gares sur des panneaux d'affichage
numériques. Par ailleurs, des tourniquets sont installés dans les
gares pour valider le ticket acheté au guichet. Mais certaines
incohérences me sont apparues lors de mes observations sur place : les
tourniquets, s'ils existent, ne sont pas ou peu utilisés, et c'est un
employé qui déchire les tickets à l'endroit des
tourniquets. Cette observation est à mettre en perspective avec le
contexte local, et pose diverses questions. En effet, il apparaît que
l'information voyageur et l'intégration des NTIC dans les
mobilités soient des éléments culturels, qui ne sont pas
encore sensiblement intégrés aux moeurs locales. Par exemple, les
cartographies de réseaux de transport, qui sont omniprésentes
dans les Nords, ne sont pas développées à Abidjan, non
parce qu'elles n'existent pas, mais parce qu'elles ne sont pas
diffusées. Les usagers ont l'habitude de fonctionner à
l'expérience personnelle et en se renseignant auprès des autres
usagers. Ainsi, lors d'une conversation avec deux cadres de la SOTRA, lorsque
j'ai demandé pourquoi les fiches horaires n'étaient pas
diffusées, mes interlocuteurs m'ont répondu que d'une part, ils
ne peuvent pas le faire car sinon les usagers pourraient se plaindre des
retards, et d'autre part, ils ne savent pas comment faire payer les gens pour
accéder à ces informations. Ces réponses, si elles ne
peuvent être tenues pour représentatives du discours officiel de
la SOTRA, montrent bien que l'intégration des NTIC et de l'information
voyageur dans l'expérience passager sur un territoire donné n'est
pas qu'une question de capacités techniques, mais dépend
également d'un contexte socio-culturel.
100
3- L'effort porté sur les infrastructures
routières
La route est actuellement et restera pendant longtemps la
principale voie de déplacement dans les mobilités abidjanaises.
Elle fait donc l'objet d'une attention et d'efforts soutenus de la part de la
puissance publique, qui multiplie les projets de réhabilitation et de
création d'axes routiers. Ce sont les projets concernant les
infrastructures routières qui nous occuperons donc dans cette partie.
A) Trois nouveaux ponts prévus sur la décennie
2014-24
La lagune Ébrié coupe la commune d'Abidjan en
deux sur environ quinze kilomètres, de Yopougon à l'Ouest
à la Riviera 6 à Cocody à l'Est. Avant 2014, seuls deux
ponts permettaient de rallier le Nord et le Sud de la ville : le pont
Félix Houphouët-Boigny, livré en 1951, et le pont
Général-de-Gaulle, livré en 1967. Ils relient tous les
deux la commune d'affaires, le Plateau, avec la commune de Treichville au Sud.
Ces deux passages stratégiques connaissaient des problématiques
de congestion routière, encore importantes aujourd'hui, avec des
répercutions en amont sur les voies d'accès qui impactent le
trafic à échelle de l'agglomération. Depuis 2012, des
efforts importants ont été investis pour pallier ce manque.
Ainsi, le troisième pont de la ville, du nom de l'ancien
président Henri Konan Bédié, a été
achevé en 2014. Construit sensiblement plus à l'Est que les deux
premiers, ce pont relie la commune de Cocody, qui a connu une très forte
croissance spatiale durant les dernières décennies, à la
commune de Marcory au Sud. Long d'un kilomètre et demi, il a
été conçu pour une prévision trafic de 100 000
véhicules par jour. D'après la direction de
Socoprim26, qui ne délivre pas de bilan public, ce chiffre
n'est pas atteint, mais pas loin. Sa mise en service a donc
considérablement soulagé la congestion routière sur le
trafic Nord-Sud, mais également sur un axe Est-Ouest à Cocody du
fait du détour qu'il fallait avant faire pour aller emprunter le pont
Général-de-Gaulle. En plus de ce pont, deux autres sont
actuellement en construction : les quatrième et cinquième ponts
d'Abidjan. La quatrième pont, censé avoir été
achevé fin 2020, a pris du retard pendant la période de
restrictions liée au Covid-19. Il connectera la commune de Yopougon
à l'Ouest avec celle du Plateau, et permettra de soulager l'autoroute du
Nord, actuellement seule voie de passage entre les deux. Enfin, la construction
d'un cinquième pont a été lancée au sein d'un
26 Entretien réalisé le
29 janvier 2021 dans les locaux de Socoprim, l'entreprise concessionnaire du
pont HKB.
101
projet nommé projet d'aménagement de la baie de
Cocody (PABC). Il franchira la baie de Cocody, reliant le Plateau à
Cocody. On peut observer leur implantation spatiale sur la carte ci-dessous
(CARTE 9).
Carte n°9 : Les ponts d'Abidjan
Quatrième pont
Pont Félix Houphouët-Boigny
Cinqième pont
Pont-De-Gaulle
Pont Henri Konan Bédié
Réalisation : Gaspard Ostian, 2021.
Parallèlement à la construction des trois
nouveaux ponts, une rénovation importante du pont FHB a
été lancée. Nous pouvons donc dire que d'importants
efforts sont en cours concernant la multiplication des ponts à Abidjan,
qui auront des conséquences positives à moyen et long terme sur
la mobilité dans la ville. Nous pouvons néanmoins remarquer
grâce à la cartographie ci-dessus que les chantiers sont à
l'heure actuelle très centralisés, et l'on ne peut pas dire que
l'effort se fasse encore à échelle du Grand Abidjan tout entier.
En effet, la lagune s'étend plus loin de part et d'autre des dix
communes initiales d'Abidjan. Ils sont néanmoins construits dans la
partie de l'agglomération où le besoin s'en fait le plus
ressentir.
102
B) Des efforts portés sur des axes rapides
L'un des changements principaux dans la morphologie
routière d'Abidjan sur la dernière décennie est
l'apparition de voies rapides, à deux échelles : au sein de
l'agglomération, et connectant l'agglomération à
l'intérieur du pays. L'un des projets majeurs est l'autoroute du Nord,
ouverte en décembre 2013, premier axe autoroutier du pays. Actuellement,
il part d'Abidjan, traverse la commune de Yopougon d'Est en Ouest, et va pour
l'instant jusqu'à Yamoussoukro, la capitale politique du pays. Il est
prévu, à terme, qu'elle aille jusqu'à Ouagadougou au
Burkina Faso, même si cela reste pour l'instant au pur état de
projet. Cette autoroute du Nord connecte Abidjan à l'intérieur du
pays, mais connecte également au sein de l'agglomération la
commune de Yopougon, la plus grande de la ville, au reste de la ville par le
biais d'Adjamé. Toujours à échelle de
l'agglomération, un autre axe rapide, l'autoroute de Bassam, a
été ouverte en 2015. Cette dernière connecte le coeur
d'Abidjan le Sud de la ville à Grand Bassam, commune
périphérique d'Abidjan située sur le territoire du Grand
Abidjan, et qui est l'un des territoires les plus touristiques de la Côte
d'Ivoire. Cette voie rapide permet de rallier la commune de Marcory à
Grand Bassam en 45 minutes.
Au-delà de ces deux voies déjà
livrées, le SDUGA prévoit la construction d'une rocade à
échelle de l'agglomération, nommée rocade Y4. Il y est
présenté de la façon suivante : « L'un des
principaux projets routiers est la Voie Y4 qui devrait améliorer la
fonction du réseau routier en éliminant le flux de
véhicules dans les zones urbaines tout en dispersant le trafic entrant
dans le centre urbain du Plateau et d'Adjamé » (SDUGA, p.21).
Ce projet s'insère dans une volonté de clarifier dans le Grand
Abidjan la classification fonctionnelle des routes et la hiérarchisation
du réseau routier. Les axes principaux et secondaires doivent être
clairement distincts, afin de pouvoir séparer efficacement les vitesses
de circulation en fonction de la hiérarchie routière. L'enjeu est
d'avoir des axes rapides de grande capacités connectés à
des axes secondaires, eux-mêmes connectés à
l'échelon le plus affiné du réseau. La séparation
des capacités et des vitesses sur les voies routières permettra
ainsi une sensible augmentation de la vitesse moyenne sur le réseau
entier, en diminuant la congestion et en augmentant les vitesses de
déplacement sur les axes rapides.
Le résultat a été cartographié de
la sorte (CARTE 10) lors de la parution du SDUGA en 2015. On voit que
l'autoroute de Bassam n'était pas encore mise en service mais bien
projetée.
103
Le principe de hiérarchisation du réseau y
apparaît clairement. On peut également constater que la
planification est faite à échelle du Grand Abidjan tout entier,
et non seulement du District. Des axes projetés comme la route
d'Alépé ou l'autoroute de l'Ouest, vers Dabou, en
témoignent. Même si cette carte, qui comprend beaucoup
d'infrastructures encore non réalisées, est à prendre avec
précaution, il permet de mieux comprendre la stratégie des
autorités en termes d'axes routiers rapides à échelle de
la métropole.
Carte n°10 : les principaux projets routiers dans le
Grand Abidjan
Source : mission d'étude de la JICA, 2015
C) Un réseau routier de plus en plus
revêtu
La Côte d'Ivoire produit d'importants efforts pour le
revêtement de son réseau routier, encore très
majoritairement non-goudronné, ce qui limite fortement les vitesses de
déplacement et augmente la dégradation des véhicules et le
taux d'accidents de la route. Cela a mené en 2016 le gouvernement
ivoirien à décider d'un vaste plan de développement
routier de 3 700 milliards de francs CFA, soit plus de cinq milliards d'euros,
avec pour mission principale le revêtement d'axes existants ou la
création de nouveaux axes revêtus. Le Grand Abidjan est au coeur
de cet important effort, qui vise notamment les parties les plus jeunes de la
ville, situées en périphérie, par exemple sur la commune
de Cocody, qui a connu sur les dernières décennie une
très
104
importante croissance spatiale. Le quartier par exemple du
Nouveau CHU de Cocody, à Angré, a vu son paysage routier
évoluer considérablement sur la dernière décennie.
Ce nouveau centre hospitalier universitaire, le cinquième de Côte
d'Ivoire, a été inauguré en décembre 2017. Autour
de lui, de nombreuses routes goudronnées ont été ou vont
être créées ou revêtues. Dans la ville, on peut
retrouver des traces de ces changements récents dans les
dénominations, à l'image du carrefour « Nouveau goudron
» sur le boulevard Mitterrand.
105
Partie 3 : Abidjan, un exemple de ville
néolibérale dans les transports
?
Nous nous sommes dans la partie précédente
intéressés aux différents projets dans les transports dans
la métropole d'Abidjan, et à leur impact sur l'organisation et le
visage de la mobilité et de l'accessibilité à
l'international de la première ville ivoirienne. Les investissements
nécessaires à ces projets, dont nous nous sommes attachés
à indiquer les montants, sont très importants si on les compare
aux revenus et au budget de l'État de Côte d'Ivoire. Malgré
les dynamiques de croissance très importantes que nous avons
décrites au début de cette étude, la Côte d'Ivoire
est un pays encore proche de la catégorie des Pays les moins
avancés (PMA) créée par l'ONU en 1971, et dont font partie
nombre de ses concurrents et partenaires régionaux comme le
Sénégal, le Burkina Faso, ou encore le Togo et le Bénin.
Ainsi, les projets envisagés et réalisés dans la
métropole abidjanaise nécessitent dans de nombreux cas des moyens
largement supérieurs à ceux qu'elle peut mobiliser à elle
seule. L'objet de cette partie sera de se poser la question suivante : quel est
le mode de financement choisi par les autorités pour permettre de tels
investissements, et quelles sont les conséquences sur le modèle
de ville abidjanais ?
Nous ne nous pencherons pas ici sur les financements issus
d'institutions financières internationales que nous avons
déjà croisées comme la Banque mondiale, ou d'organes de
développement nationaux comme l'Agence française de
développement (AFD). La pratique que nous allons observer est celle des
partenariats public-privé (PPP), qui sont monnaie courante à
Abidjan dans les activités d'intérêt ou de service public.
Ces PPP se définissent comme une méthode de financement
permettant à une autorité publique de se rapprocher de
prestataires privés pour financer ou gérer un équipement
destiné au service public. Cette pratique donne une importance dans la
sphère publique à des entités de nature privée :
cela engendre une situation véritablement géopolitique,
intégrant des jeux de pouvoir et d'influence, dans lequel l'objectif
pour l'État est de parvenir à faire réaliser certaines
tâches au secteur privé tout en conservant un maximum de
contrôle.
106
Nous essaierons, depuis le cas des transports, de comprendre
quel modèle de ville se met en place sous l'impulsion de la puissance
publique et la pression du privé dans la métropole d'Abidjan.
Chapitre 5 : Aspects néolibéraux dans les
transports
Ce chapitre a pour but d'introduire la dernière partie
en présentant les pratiques dans le paysage des transports abidjanais
qui mêlent les intérêts publics et privés dans des
activités de service ou d'intérêt public.
1- Des politiques urbaines qui laissent une place
croissante aux acteurs privés
La puissance publique à Abidjan n'a pas les moyens
d'assumer à elle seule les investissements et les capacités
techniques nécessaires à sa politique de développement et
de croissance. Ainsi, dans le secteur des transports par exemple, elle mobilise
souvent les moyens, financiers et techniques, de structures privées.
A) Le Build-Operate-Transfer : étude de cas du pont HKB
Présentation du BOT
Le Build-Operate-Transfer (BOT), que l'on peut traduire par
construire-exploiter-transférer en français, est une
modalité de réalisation de projets tant publics que privés
dans différents domaines socio-économiques. La forme qui nous
intéresse ici est la réalisation de projets publics alliant la
puissance publique à des partenaires privés. « Dans le
cadre d'un BOT de manière générale, un État
d'accueil sélectionne une entité privée dans le but de la
conception, du financement et de la construction d'une infrastructure et
accorde à cette entité le droit de l'exploiter commercialement
durant une période déterminée, à l'expiration de
laquelle l'infrastructure est transférée à l'État
» (Tafotie, 2013). Cette pratique, dont il existe de nombreuses
formes différentes selon les cas, présente l'avantage pour
l'État de minimiser voire annuler complètement ses
investissements tout en permettant une réalisation
d'intérêt public. L'aspect innovant de cette pratique en
perspective de ce que l'on pouvait observer dans les années 1960 par
exemple est que le projet réalisé s'autofinance en quelque sorte,
puisque les
107
coûts de réalisation sont
récupérés, a priori entièrement, sur les recettes
qu'il génère par la suite. L'avantage aussi pour l'État
est que, sur le principe du BOT, il est censé récupérer au
bout d'un certain temps, l'infrastructure et son exploitation. Le BOT est
censé être gagnant-gagnant : pour l'État, cela permet une
réalisation qu'il n'aurait pas pu assumer seul et qu'il
récupérera au bout d'un certain temps. Pour le privé, cela
permet une activité rémunérée, souvent de grande
importance.
Étude de cas : le pont Henri Konan
Bédié
Le BOT est très utilisé à Abidjan dans
les grands projets d'infrastructures de transport. L'un des exemples les plus
marquants est le pont Henri Konan Bédié, achevé en 2014,
dont la construction et l'exploitation actuelle sont assurées par le
géant du BTP Bouygues. Les données que nous allons analyser
ci-après ont été recueillies lors de deux entretiens
réalisés le 29 janvier 2021 dans les locaux de l'entreprise
SOCOPRIM (Société concessionnaire du pont Riviera Marcory). Le
premier a été réalisé auprès de Ketty
N'Guessan, responsable commerciale et communication de SOCOPRIM, et le second
auprès de Jean-François Doreau, le directeur
général de SOCOPRIM.
Le projet du troisième pont d'Abidjan répond au
besoin de connecter les parties Nord et Sud de la ville entre Riviera et
Marcory. Avant, il fallait forcément passer par le Plateau, ce qui
prenait beaucoup de temps et congestionnait le trafic. Le premier coup de
pioche a été donné par HKB lui-même en 1999, mais
les travaux ont très vite été interrompus pendant une
décennie du fait des troubles politiques. Ils sont relancés en
2012 sous Alassane Ouattara, et s'achèvent en décembre 2014. Dans
le projet, l'État a financé l'échangeur Valéry
Giscard-d 'Estaing, et Bouygues a financé le reste auprès
d'investisseurs, pour un montant de 126 milliards de francs CFA. Un contrat de
concession pour la construction et l'exploitation du pont a été
passé entre l'État et l'entreprise SOCOPRIM créée
par Bouygues. La construction a été assurée par une
filiale de Bouygues créée spécialement, la
Société anonyme de construction du pont Riviera Marcory (SACPRM),
qui a été dissoute à la fin de la construction. Les
actionnaires de SOCOPRIM sont Bouygues à 19% ; le fond panafricain de
développement des infrastructures à 26% ; l'African Finance
Corporation à 26% ; l'État ivoirien et la Banque nationale
d'investissement (BNI) à 25% à eux deux ; Total à 4%. Le
contrat de concession inclut une clause d'assistance technique et commerciale
de Bouygues, d'où le fait que le DG vienne de Bouygues. La convention de
concession a été signée pour une durée de trente
ans, ce qui fait que Bouygues par le biais de SOCOPRIM a trente ans pour
rentabiliser le pont sur l'investissement qu'elle a initié. En
théorie, une fois les trente années écoulées, c'est
l'État de
108
Côte d'Ivoire qui récupérera
l'exploitation de l'infrastructure. Sur cette durée, le contrat comprend
des obligations pour SOCOPRIM, et notamment concernant l'entretien du pont, qui
suit un plan précis, avec des éléments quotidiens et
basiques de balayage par exemple, et des entretiens plus importants
programmés sur plusieurs années. SOCOPRIM doit également
prendre en charge les dégâts liés aux accidents.
Quant aux contraintes imposées par l'État, elles
sont d'après Ketty N'Guessan et Jean-François Doreau assez
faibles. La principale concerne le prix de passage : les estimations
prévues par Bouygues pour la concession impliquaient une rente de 1000
francs par passage pour les véhicules les plus légers. Il y a
trois catégories de véhicules qui paient proportionnellement,
mais la grande majorité des passages concerne la plus petite
catégorie, qui est la base des estimations prises ici. L'État a
imposé, pour des raisons liées au contexte politique à
l'époque, de faire payer 500 francs le passage. Ainsi, pour chaque
passage, l'usager paie 500 francs, et l'État subventionne 500 francs
à SOCOPRIM. Il s'agit d'un modèle de concession avec garantie de
revenus pour l'entreprise. Il est également imposé au pont de
tenir une neutralité politique. Cela implique l'absence d'affiches
électorales pendant les élections par exemple.
Le pont HKB est un exemple signifiant de BOT. Par le biais de
convention de concession, l'État a minimisé grandement ses
investissements sur une infrastructure à 126 milliards de francs, qui
est à la pointe de la technologie en la matière. Le péage,
côté Riviera, dispose de vingt-quatre voies, dont huit sont
réversibles, ce qui permet de changer leur sens en fonction du trafic.
La concession lui promet également, s'il le désire, de
récupérer l'infrastructure au bout des trente années
d'exploitation privée, ce qui lui garantira alors des revenus
d'importance : si les chiffres de trafic en volume ne sont pas diffusés,
Jean-François Doreau m'a assuré que le trafic a augmenté
de 42% entre la mise en service et l'année 2019. À l'heure de
pointe, plus de 7000 véhicules franchissent le péage chaque
heure. L'État s'investit par ailleurs pour la protection de
l'infrastructure : des policiers de la Compagnie républicaine de
sécurité (CRS) sont déployés en permanence pour
garder le pont.
Une diversité des BOT
Il est important de préciser que le BOT n'est pas une
procédure universelle, et que les contrats de concession suivant le mode
BOT peuvent avoir des différences importantes. Par exemple, le projet de
métro d'Abidjan fonctionne selon un mode différent. Pour
SOCOPRIM, nous avons dit qu'il s'agit d'une concession avec garantie de revenu,
c'est-à-dire que l'État subventionne l'entreprise pour lui
garantir les 1000 francs par passage convenus dans le contrat.
109
Pour la SICMA, qui gère le projet de métro, le
fonctionnement sera différent : il s'agit également d'une
concession avec garantie de revenus, mais qui fonctionnera différemment.
L'État rémunère la SICMA pour la construction et la
rémunèrera pour assurer l'exploitation, mais les recettes des
titres de transport lui reviendront directement. Ces différences
imposent une étude individuelle de chaque projet en BOT pour comprendre
leurs spécificités.
B) Des infrastructures et activités de transport de
plus en plus concédées
Au-delà de la construction pure et simple
d'infrastructures de transport, l'État a également recours
à des PPP pour assumer des activités de service public, ce qui a
des conséquences importantes sur leur fonctionnement en
général. Il s'agit à nouveau d'un problème initial
de manque de moyens et de capacités techniques pour les instances
étatiques, en comparaison de ceux de structures privées, souvent
de taille importante, à l'image du groupe Bouygues ou du groupe
Bolloré, très présent dans le transport de marchandise
abidjanais, puisqu'il s'agit de l'un des acteurs principaux du transport
ferroviaire et du trafic portuaire. Nous avons déjà
évoqué précédemment le rail ivoirien, dont la
gestion a été concédée durant les années
1990 à la société SITARAIL issue du groupe Bolloré.
Mais cette dynamique de concession se retrouve également dans le domaine
aérien. La société Aeria, concessionnaire depuis 1996 de
l'exploitation de l'aéroport FHB, est issue du groupe français
Egis. L'aéroport est un bien public, anciennement exploité par
les services de l'État. Les aéroports sont des mannes
financières importantes, ce pourquoi ils sont souvent étatiques.
Mais à la période de la concession, une telle infrastructure pour
rester efficiente nécessitait des moyens supérieurs à ceux
de l'État au vu des difficultés des années 1990. La
concession s'est donc faite en ces termes : Aeria a depuis la charge
d'exploiter, mais également le développer l'infrastructure.
L'État fournit des assistances en fonction de ses possibilités,
comme par exemple le projet d'extension de l'aérogare qui est
étatique car au-dessus des moyens d'Aeria. Cela lui permet de maintenir
un service nécessaire à la métropole et même de le
développer tout en réduisant ses investissements.
Le cas du Port autonome d'Abidjan est également
intéressant. Le PAA reste aujourd'hui encore une structure publique, la
gestion portuaire n'ayant pas été concédée. Mais au
sein du port, de nombreuses activités ont été
concédées depuis les années 2000. La première
concession date de 2003, date à laquelle l'exploitation du premier
terminal à conteneur a été concédée. Face au
succès de cette opération, dans les années suivantes ont
également été concédées
110
l'activité de remorquage, de la sécurité
du port, du terminal roulier, minéralier, fruitier, ainsi que du second
terminal à conteneurs qui est en construction. Avant cela, le PAA
gérait tout lui-même, ce qui engendrait, d'après le chef du
département de suivi des concessions du PAA, M. Seka, d'importantes
charges et coûts d'exploitation, car tout était assuré par
des fonctionnaires. Le port était donc très limité et ne
générait pas plus d'un milliard de francs CFA par an. Trois ans
après la première concession, les revenus
générés avaient déjà quadruplé. Cela
a encouragé l'État à se désengager peu à peu
de toutes les activités, sauf trois : le pilotage, pour faire entrer et
sortir les navires du port, la manutention et le terminal pétrolier, qui
revêt une importance stratégique particulière. Les
concessionnaires sont aujourd'hui nombreux : Bolloré et Maersk pour le
premier terminal à conteneurs, IRES du groupe espagnol Bolida pour le
remorquage, Visual Defense du Canada pour la sécurité, TRA du
groupe Movis pour le terminal roulier, etc. Le second terminal à
conteneurs est concédé à Bolloré, Bouygues et APM
terminal.
Ces concessions se fondent sur des devoirs des deux
côtés, pour l'État ou son représentant et le
concessionnaire. Les concessionnaires paient des redevances de plusieurs
natures, pour avoir le droit d'exploiter. Mais l'État par le biais du
PAA doit fournir certaines assistance : tout dégât sur les quais
par exemple doit être assumé par le PAA, de même que pour
les magasins sur les quais. Le PAA s'occupe également du système
électrique des infrastructures. La durée des concessions est
prévue pour quinze à vingt-cinq ans, renouvelables si les deux
parties en manifestent le souhait. Par exemple, la concession du premier
terminal à conteneur, prévue pour durer quinze ans, a
été prolongée de dix ans. D'après M. Seka, le port
n'est pas pour l'instant dans l'optique de récupérer les
activités, car cela fonctionne très bien de la sorte. Mais c'est
une possibilité qui est conservée par la signature de concessions
à durée déterminée.
À l'heure actuelle, les concessions de service public
dans les transports se cantonnent beaucoup aux activités de transport
international, à l'image du rail, du portuaire et de l'aérien que
nous avons évoqué. Mais sur la lagune opèrent
déjà deux nouveaux concessionnaires pour la mobilité des
personnes, et le futur des mobilités que nous avons étudié
précédemment montre que le futur de la mobilité
également sera fait de multiples conventions de concession. La tendance
depuis maintenant vingt ans est donc claire : si la concession des
activités de service public permet leur développement,
l'État est tout à fait disposé à y recourir.
111
C) Avantages et limites du système de concession
La question des avantages et inconvénients du
système que l'on a décrit se pose en fonction du point de vue des
différents acteurs. Nous n'évoquerons pas celui des entreprises
privées qui obtiennent les concessions, car il ne nous intéresse
pas ici. Nous nous intéresserons donc au point de vue de l'État.
Dans quelle position cette mosaïque de concessions le met-elle ?
Les avantages : d'importantes réalisations aux
résultats notables
Le budget de l'État ivoirien pour l'année 2020 a
été voté et établi à près de 8 000
milliards de francs CFA, soit plus de 12 milliards d'euros. À titre de
comparaison, il était de 6 500 milliards en 2017 et 7 300 milliards en
2019. Malgré une très importante progression donc, il reste en
volume très léger comparé au coût de certains
projets que l'État initie. À titre de rappel, le coût du
pont HKB s'est élevé à 126 milliards de francs CFA, et le
coût signé du projet de métro s'élève
à 1,4 milliard d'euros, soit un dixième du budget annuel actuel
de la Côte d'Ivoire. Il apparaît ainsi clairement que l'État
n'a pas la capacité de soutenir à lui seul les projets qu'il
réalise. Aussi, le recours au privé lui permet des
bénéfices importants : pour la population, ce qui compte le plus
est l'importances des réalisations. Sur place, de multiples
conversations m'ont permis de constater que les gens voient les choses
évoluer positivement, et que beaucoup ont tendance à l'imputer
à Ouattara, le président en place, souvent décrit comme un
travailleur sérieux et assidu dans les conversations. On comprend donc
que les réalisations pilotées par l'État lui
bénéficient, et bénéficient à la
popularité du gouvernement en place. Ainsi donc, les PPP tendent
manifestement à permettre à l'État de réduire ses
dépenses, tout en bénéficiant tout de même des
retombées positives des projets et actions menées. Cela repose
sur un élément central : la conservation du contrôle et de
la direction des opérations. L'enjeu de conservation de la
souveraineté de l'État sur les activités de service public
est grand. Pour cela, il existe des garde-fous juridiques notamment, qui se
trouvent dans les textes de conventions de concession. Ils permettent à
l'État de poser très précisément le cadre des PPP,
et surtout de les délimiter dans le temps, afin de conserver la
possibilité de récupérer pleinement l'activité
concédée si le besoin s'en fait ressentir. De la même
façon, tout l'intérêt pour l'État des constructions
d'infrastructures en Build-Operate-Transfer réside dans le «
Transfer » final.
Il apparaît donc que l'État tire des
bénéfices importants des PPP et des concessions en organisant les
appels d'offre et en conservant un droit de regard.
112
L'instauration de rapports de force à
surveiller
Les entreprises concessionnaires sont souvent issues de
grandes structures comme Bouygues ou Bolloré Logistics dans notre
contexte, ce qui implique qu'elles disposent d'une force géopolitique
importante localement. Pour un État à la stabilité encore
fragile, comme c'est le cas en Côte d'Ivoire, c'est un
désavantage, ou du moins une source de danger potentiel à
surveiller. L'enjeu pour l'État est de ne pas se laisser déborder
par les appétits souvent voraces de certaines entreprises importantes.
Même dans le cas où il parvient à conserver un
véritable contrôle, les PPP impliquent une perte de
souveraineté, car il est alors contraint de négocier avec un
intermédiaire et n'a plus le contrôle direct de l'activité
déléguée. Ainsi, concrètement, si l'État par
le biais du PAA veut organiser un projet à vaste échelle dans le
port, il est contraint de négocier avec une multitude d'acteurs
concessionnaires des différentes activités, ce qui
forcément impacte sa capacité de réalisation propre. On
peut résumer cela en une phrase : pour l'État, concéder
une activité publique, c'est aussi concéder du pouvoir qui peut
être utilisé pour s'opposer à lui.
Il y a également la question du partage des revenus
générés par l'activité concédée,
notamment lorqu'il s'agit d'une activité très
rémunératrice. Par exemple, les activités d'exploitation
des différents terminaux du port sont génératrices
d'importants revenus. À l'heure actuelle, d'après M. Seka, le
chef de suivi du département des concessions du port, les
concessionnaires touchent une part plus importante que l'État des
revenus générés. Cela est devenu problématique au
point que certaines concessions sont en cours de révision pour augmenter
le montant des redevances dues par les concessionnaires à la puissance
publique. Ainsi, en plus d'une redevance fixe pour l'exploitation, une
redevance proportionnelle sur l'activité est en train de se
démocratiser dans les terminaux concédés. Ce type d'action
fait partie de l'équilibre que doit trouver l'État entre la part
nécessairement laissée aux concessionnaires, et celle qu'il
récupère, par le biais des redevances notamment.
Par ailleurs, dans le cadre des réalisations suivant un
modèle en BOT, l'un des aspects majeurs du contrat de PPP est le partage
de la prise de risque. En effet, l'acteur privé qui construit une
infrastructure recherche des garanties de revenus. Dans l'exemple du pont HKB,
Bouygues n'a pas voulu s'engager dans le projet sur la simple estimation du
trafic potentiel du pont, car en cas d'erreur, l'entreprise prend le risque de
ne pas rentabiliser son investissement sur la durée prévue de la
concession. Le risque est trop grand. L'État est donc contraint de
mettre en place certaines mesures garantissant le revenu de l'entreprise. Dans
un cas comme le métro d'Abidjan, l'enjeu est particulièrement
important pour l'État. Nous avons dit
113
précédemment que dans cet exemple précis
de BOT, l'État rémunère selon un tarif prévu la
STAR pour la construction et l'exploitation du métro. C'est donc
l'État qui touchera directement l'argent issu des titres de transport
vendus. Cela implique que c'est lui qui prend le risque lié à
l'estimation du trafic potentiel. Si ce dernier est inférieur à
ce qui est prévu, c'est l'État qui perdra de l'argent, et non les
concessionnaires.
Enfin, le PPP trouve des limites très importantes
lorsqu'il n'est pas souhaité mais contraint. En effet, l'État est
censé oeuvrer pour le bénéfice de sa population, ce qui
est à la fois une de ses prérogatives et le discours qu'il
entretient. Or, la signature d'une concession par contrainte, par exemple du
fait d'un manque criant d'argent public, laisse une marge de manoeuvre
supérieure à l'entreprise concessionnaire, et crée un
risque que les intérêts privés prennent largement le pas
sur les intérêts publics dans la gestion de la concession. Un
exemple signifiant de ce type de dynamique est la concession du rail
ivoiro-burkinabé à l'entreprise SITARAIL du groupe
Bolloré. Comme nous l'avons déjà vu, à partir de la
signature de la concession, le trafic s'est très rapidement
détourné du transport de passagers pour se concentrer sur le
transport de marchandises entre le Burkina Faso et le port d'Abidjan. Cette
dynamique a engendré des effets tunnels importants sur le territoire
ivoirien, en tuant les échanges et déplacements organisés
autour de nombreuses gares passagères qui ont été
fermées. Rappelons que le groupe Bolloré a des
intérêts importants dans le port d'Abidjan, puisque qu'il est
impliqué dans les activités des deux terminaux à
conteneurs. En favorisant le trafic marchand au détriment du trafic
passager, les intérêts privés ont dans cet exemple pris un
pas très net sur les intérêts publics, du fait d'une
convention de concession signée dans de mauvaises conditions pour
l'État ivoirien et donc pour l'intérêt public.
2- Une ville attractive orientée vers l'offre : les
transports au service de la croissance
D'après le site Géoconfluences de l'ENS Lyon,
« Le concept de « ville néolibérale »
(Hackworth, 2007) désigne la ville « entrepreneuriale
», tournée vers l'attraction des ressources, des emplois, du
capital, des innovations. À partir du tournant des années
19701980, la ville néolibérale orientée vers l'offre tend
à remplacer la ville keynésienne orientée vers la demande
». Ce sont ces dynamiques de primauté de l'attractivité
que nous allons décrire maintenant à Abidjan.
A) Le marketing urbain dans les mobilités : le Plateau,
Smart City
Les projets dans les transports ne viennent pas seuls, et sont
entourés souvent de communication politique. Cette communication vise
à valoriser les projets souvent en les rapportant à des
ministères ou à des personnalités politiques. Par exemple,
c'est Alassane Ouattara qui a donné le premier coup de pioche des
travaux du pont HKB en 2012, et c'est également lui qui l'a
inauguré deux ans plus tard. Mais la communication autour des projets
dans les transports s'intègre également dans la définition
de « ville néolibérale » que nous venons de
présenter : elle tend à présenter Abidjan sous le sceau de
la modernité, afin de développer au maximum son
attractivité. Ces stratégies d'attractivité, on les
retrouve beaucoup dans la commune centrale du Plateau.
Photo n°6 : Une barrière floquée de
l'inscription « Plateau- Smart City » à la mairie du
Plateau
Source : Gaspard Ostian, 2021
114
115
Voici comment est présentée la commune du
Plateau dans le paysage urbain par les autorités. Cette barrière,
floquée de l'inscription « Plateau- Smart City » (PHOTO 6) est
une parmi d'autres sur l'un des parkings de la mairie du Plateau. À
nouveau selon le site Géoconfluences, « La ville intelligente,
de l'anglais smart city, désigne des politiques urbaines utilisant les
technologies de l'information et de communication (TIC) pour
accélérer la transition écologique d'une ville tout en
affichant sa compétitivité internationale. Le terme
désigne à la fois un programme, un processus, et leur
résultat effectif »27. Ainsi, en se plaçant
sous le sigle de la « Smart City », le Plateau se donne une image de
commune à la pointe de la technologie et des préoccupations
environnementales mondiales. Ce n'est pas un hasard si l'on retrouve cela ici :
le Plateau est la commune d'affaires d'Abidjan, celle où on trouve la
concentration de gratte-ciels et d'entreprises ou institutions la plus
élevée. Il s'agit d'une commune très dédiée
au travail, car très peu de gens y vivent mais elle est le centre de
nombreuses migrations pendulaires. Elle est également la vitrine de
l'intégration d'Abidjan à la mondialisation. De ce fait, des
initiatives sont prises par la municipalité afin qu'elle tienne un
certain standing. Nous avons déjà expliqué que le
transport artisanal était interdit dans la commune du Plateau. Cela est
dû à l'image peu moderne que ces modes de transport incarnent. On
y trouve également des voies de bus réservées, ce qui
affiche des politiques urbaines en faveur des transports en commun. Par
ailleurs, la police municipale est équipée par endroits de petits
véhicules électriques de type quad, qui valorisent
également le Plateau en faisant la démonstration d'un service
public équipé de véhicules à mobilité «
propre », « verte ». M. Brou, directeur du service de gestion
des transports en commun de la mairie du Plateau, a également
évoqué lors d'un entretien un projet de création d'un
réseau de navettes communales afin de développer les transports
en commun sur la commune. Si ce projet n'est pas fait, il démontre la
volonté de montrer l'implication de la commune dans la transition
écologique.
L'ensemble de ces pratiques dépend de ce que l'on
appelle le « marketing urbain », qui rassemble « toutes les
pratiques de communication territoriale qui consistent à s'appuyer sur
des matières spatiales existantes ou en construction en vue de les
promouvoir, de les faire exister, de les rendre attrayantes et d'inciter
à les pratiquer, à y investir son temps, ses loisirs ou son
capital » (Duvont et Devisme, 2006). L'observation et l'analyse des
différentes techniques de marketing urbain mises en place à
Abidjan permettent de mettre à distance les images et bilans
présentés par les autorités, ici dans le cadre des projets
dans les transports. Il
27 Source :
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/ville-intelligente
116
ne faut néanmoins pas éloigner de l'analyse le
bilan véritable qui existe derrière l'image donnée, afin
de l'annuler : notre objectif ici est de mettre en perspective le marketing
urbain et les résultats observés des différents projets
pour mettre en lumière le modèle de ville qu'incarne Abidjan et
ses conséquences socio-spatiales.
B) Objectifs de croissance et modèle de ville
Il est intéressant de confronter l'analyse sur «
le Plateau, smart city » avec le discours de certains acteurs publics de
grands projets dans les transports. Les divers entretiens
réalisés avec des acteurs rattachés à l'État
comme le PMUA, le PTUA ou l'AMUGA font émerger deux grands objectifs
pour l'avenir des transport abidjanais : des objectifs de croissance d'une
part, et la préservation de l'environnement de l'autre. Il
s'avère que l'objectif premier et les retombées premières
attendues pour les divers directeurs interrogés dans ces trois
structures sont clairs : la croissance économique.
Ainsi, les transports apparaissent s'intégrer dans une
stratégie globale ayant pour finalité première la
croissance économique de la métropole. Les processus de
gentrification qui découlent par exemple du renforcement des connections
avec les périphéries sont ainsi tout à fait
acceptés et valorisés par les politiques urbaines, puisqu'elles
participent de l'attractivité de la ville pour des entreprises et
classes sociales privilégiées : c'est là l'une des
caractéristiques de la ville néolibérale. Elle trouve son
origine dans le contexte de libéralisation hérité des
années 1980 et des PAS, qui conduit à un durcissement de la
concurrence interurbaine, ici avec les autres métropoles principales de
la région comme Dakar ou Lagos. « La menace de pertes
d'emplois, de désengagement et de fuite des capitaux, le
caractère inévitable des restrictions budgétaires dans un
environnement concurrentiel, marquent une nouvelle donne dans l'orientation des
politiques urbaines, qui délaissent les questions d'équité
et de justice sociale au profit de l'efficacité, de l'innovation et de
la hausse des taux réels d'exploitation » (Harvey, 2010).
Ainsi, sur un territoire que l'on ne peut pas rendre immédiatement
attractif, cela implique de concentrer les investissements sur certaines zones
très délimitées, à l'image de ce qui se fait au
quartier du Plateau. Cela participe de la fragmentation socio-spatiale choisie
du territoire de la métropole.
117
3- Des externalités négatives difficiles
à maitriser pour un État contraint par de grands besoins de
résultats
Si la recherche simple de la croissance économique et
de l'attractivité peut être un modèle de
développement discutable du point de vue du modèle du
développement humain tel que mesuré par exemple par l'indice de
développement humain (IDH), nous allons dans cette partie nous appliquer
à tenter de mieux comprendre cette démarche dans le cas d'Abidjan
au sein du contexte ivoirien. Nous mettrons également en valeur les
aspects des projets présentés qui touchent à d'autres
aspects du développement.
A) Le rêve de l'émergence : entre espoir et
pression
« L'émergence pour la Côte d'Ivoire à
l'horizon 2020 » est un discours politique lancé en 2011 par
Alassane Ouattara, le président ivoirien, rapidement après son
accession au pouvoir. Précisons d'abord que le concept
d'émergence est un concept flou et difficilement mesurable. Il peut
être résumé de la sorte : « L'émergence
caractérise le processus par lequel un État s'intègre
à l'économie globalisée et au capitalisme mondial
grâce à une croissance économique (c'est-à-dire une
augmentation du produit intérieur brut) forte pendant plusieurs
années »28 (Géoconfluences). L'émergence
apparaît donc dans sa définition comme très liée
à la croissance économique, mais elle est à distinguer du
développement, qui est plus large que la simple croissance
économique. Ce discours tenu par Alassane Ouattara est à replacer
dans un contexte. L'émergence est souvent perçue comme un statut
valorisé au sein de la grande catégorie des « pays en
développement ». Les exemples les plus connus sont les BRICS
(Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Les pays
émergents, dans l'imaginaire, peuvent donc représenter des pays
« presque développés ». C'est cette promesse qu'a faite
Ouattara à sa population, la promesse de faire de la Côte
d'Ivoire, en seulement huit ans, un pays « presque développé
». Cela n'est pas à départir d'un contexte historique et
politique ivoirien particulier : en 2012, le pays sort de onze années de
troubles, dont plusieurs épisodes de guerre sur son territoire. Cette
décennie noire est par ailleurs survenue après deux
décennies de difficultés économiques importantes pour le
pays. Mais la mémoire nationale sait encore qu'avant ça, le jeune
pays tout juste indépendant a connu, dans les années 1960 et
1970, la période du « Miracle ivoirien », qui
28 Source :
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/emergence
118
l'avait positionné comme un chef de file et une
centralité régionale. C'est donc aussi cette promesse que fait
Ouattara en 2012 : après des périodes difficiles, celle de rendre
à la Côte d'Ivoire son éclat d'antan. Il semble donc que
cette course à l'émergence en 2020 réponde plus à
une volonté politique de relancer un élan national optimiste
qu'à un objectif de développement concret.
À l'heure actuelle, en 2021, l'émergence
ivoirienne n'a pas été atteinte. Ce statut repose, plus que sur
des aspects précis mesurables, sur la reconnaissance d'une multitude
d'acteurs du statut de pays émergent, qui n'est pas arrivée, du
moins pour le moment, pour la Côte d'Ivoire. Pourtant, selon les divers
aspects de définition de l'émergence que l'on peut trouver, la
présidence Ouattara semble avoir bel et bien orienté le pays dans
sa direction. En effet, l'émergence implique une dynamique d'ouverture
du pays à l'économie globalisée, qui est bien à
l'oeuvre en Côte d'Ivoire, comme nous l'avons vu par exemple par le biais
de l'étude du développement des infrastructures de transport de
marchandises dans la capitale. L'un des critères mesurables et reconnus
de l'émergence est également une croissance économique
forte et qui se tient sur plusieurs années, ce qui est le cas depuis
2012 dans le pays. Pour s'intégrer davantage à l'économie
globalisée, le pays a besoin d'augmenter son attractivité en
valorisant des projets importants et prestigieux, ce qui lui permet de se
construire une vitrine. D'importants efforts se sont concentrés pour
cela dans la ville, et notamment dans certains quartiers, ce qui fait d'Abidjan
et de ses quartiers centraux la vitrine de la Côte d'Ivoire dans la
mondialisation. Par ailleurs, Ouattara a ramené peu à peu la
stabilité politique dans le pays, ce qui est également un facteur
important d'émergence, même si cette dernière paraît
encore relativement fragile29.
Mais, malgré toutes ces dynamiques qui vont en
direction de l'émergence, des facteurs limitants empêchent encore
la Côte d'Ivoire d'accéder à ce statut. À commencer
par l'aspect démographique : les pays considérés comme
émergents, à l'image des BRICS, ont souvent une population
nombreuse et dont la transition démographique est plus ou moins
achevée, ce qui n'est pas le cas de la Côte d'Ivoire. Par
ailleurs, il semblerait que l'émergence implique l'apparition d'une
classe moyenne capable de consommer et d'occuper des emplois
intermédiaires dans les services et l'administration,
phénomène encore relativement réduit à
29 Le pays a encore en 2020 connu des
épisodes de violences ayant engendré des morts durant la
période des élections présidentielles.
119
échelle du pays. L'un des facteurs limitants les plus
importants est également l'industrialisation : les grands pays
émergents disposent tous d'un tissu industriel nettement plus
développé que celui de la Côte d'Ivoire, pour qui
l'industrialisation est encore un facteur limitant du développement.
On en conclut donc que le discours de «
l'émergence en 2020 » était avant tout un message
destiné à insuffler l'espoir. Mais il est devenu une source de
pression pour l'État ivoirien, qui a dû accentuer la dynamique de
libéralisation à l'oeuvre depuis plus de vingt ans pour parvenir
à des résultats visibles pour la population et participant de la
course à l'émergence. Ainsi, même si le présidence
Ouattara a bien engagé la Côte d'Ivoire en direction de ce que
l'on appelle l'émergence, la population connaît maintenant la
déception de se rendre compte qu'émergence ne signifie pas
amélioration des conditions de vie de chacun, comme durant la
période du Miracle ivoirien, mais plutôt « la coexistence
d'une oligarchie enrichie rapidement avec des masses populaires maintenues dans
la pauvreté, souvent dans les régions
périphériques, rurales, ou enclavées
»30 (Géoconfluences). L'émergence est dans
le contexte actuel une course à la croissance économique qui
induit un modèle de développement « par le haut ». Elle
est plus économique que sociale, et peut ne pas se traduire par
l'amélioration des conditions de vie des plus pauvres, voire
entraîner une augmentation des inégalités sociales. C'est
ce qui se produit actuellement en Côte d'Ivoire, et que l'on peut
observer très aisément à Abidjan.
B) Des efforts pour un développement durable et
inclusif
En dépit de la priorité accordée à
la croissance économique, les projets étudiés dans ce
travail ne sont pas départis de certaines initiatives en faveur d'un
développement au caractère plus durable et inclusif. Cela se
retrouve dans trois aspects principaux : la promotion du genre féminin,
les subventions sociales et la sauvegarde de l'environnement.
La valorisation des femmes dans le secteur des
transports
Des projets aux composantes multiples comme le PMUA et le PTUA
comportent tous les deux un aspect de valorisation des femmes. Ainsi, le PTUA a
permis la formation d'unités féminines de la police de la
circulation. Ces unités sont très visibles lorsque l'on se
déplace dans Abidjan, et les observations réalisées durant
les trois mois passés sur place m'ont mené à
30 Source :
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/emergence
120
conclure que la plupart des opérations de gestion de la
circulation sont menées par des policières. Cela ne comprend
néanmoins pas l'ensemble des autres unités de police visibles
dans l'espace public, à majorité composées
d'éléments masculins, notamment les unités de CRS que l'on
voit régulièrement dans les quartiers centraux.
Les subventions sociales autour des transports
Malgré une pratique courante du
déguerpissement31, les projets d'infrastructures de transport
s'attachent de plus en plus à mettre en oeuvre de réelles
politiques de subvention des personnes qu'ils impactent dans leur habitation ou
leur travail. Ainsi, dans le cadre du projet de métro d'Abidjan, les
phases préliminaires du projet impliquent un effort important
d'indemnisation des personnes sur les emprises nécessaires au projet.
Par exemple, un vendeur de poisson sur une emprise se verra proposer une
indemnisation en contrepartie de son expulsion. Cela concerne des milliers de
personnes rien que pour ce projet, et implique un budget
non-négligeable.
Par ailleurs, on peut trouver des politiques sociales dans
certains domaines de la mobilité abidjanaise. Ainsi, la SOTRA propose
des cartes de transport pour les étudiants coûtant 3 000 francs
par mois, ce qui est très avantageux car le prix d'un trajet en bus
s'élève à 200 francs dans les bus auxquels ont
accès les étudiants avec leur carte avantage. Ainsi, ils peuvent
rentabiliser leur carte en quinze trajets, alors qu'un aller-retour en bus par
jour de cours totalise une quarantaine de trajets par mois. Ainsi, ces cartes
à 3000 francs coûtent en réalité 19 000 francs
à la SOTRA, d'après Noël Bouaki, chef du service
statistiques de la compagnie publique. Le manque à gagner de 16 000
francs par carte est subventionné par l'État.
De même, les projets de transport s'attachent à
développer le capital humain abidjanais en finançant des
formations, ou en organisant des partenariats universitaires. Le PMUA par
exemple finance des formations de techniciens du secteur afin d'avoir du
personnel compétent pour entretenir les futures infrastructures. Le
projet prévoit aussi la formation de 5 000 personnes issues du transport
artisanal pour leur permettre de se professionnaliser. Un master professionnel
en transport et aménagement urbain a également été
mis en place, entre l'école nationale polytechnique de Yamoussoukro et
l'école des Ponts et chaussées de Paris.
31 Le déguerpissement désigne une
technique d'évacuation forcée d'un espace sur lequel sont
installées des populations.
121
La préservation de l'environnement
Même si le développement des transports qui a
lieu dans la métropole d'Abidjan tend à augmenter la pollution
qui leur incombe, l'analyse des divers projets tend à montrer que tous
ou presque comprennent un volet de prise en compte de l'environnement. Le PTUA
comprend un certain nombre d'initiatives dans cette veine, qui dépendent
de l'unité « aménagement connexes et renforcement
institutionnel ». Cela comprend par exemple une évaluation de la
qualité de l'air, financée par le fond pour l'environnement
mondial. De même, un projet vise à renforcer les capacités
du centre de traitement des déchets d'Abidjan, afin de se
débarrasser de l'image très négative de la décharge
d'Akouédo, qui est à l'origine d'une pollution importante et de
conditions humaines dégradantes. Concernant les espaces verts de la
ville, le PTUA vise également à créer des plans verts,
notamment autour des nouvelles voies, et à planter 82 000 arbres autour
des voies existantes. Divers plans visant au renouvellement du parc automobile,
à majorité vieux et très polluant, existent
également.
122
Chapitre 6 : les conséquences sociales des
projets dans les transports
L'étude s'est jusqu'ici concentrée
principalement sur des projets, dont beaucoup ne sont pas encore
achevés, voire pas commencés. Ce chapitre s'attachera à
une analyse plus ancrée dans le présent, qui tentera de
déterminer les évolutions qu'ont déjà
engendré les réalisations depuis 2012. Nous nous focaliserons sur
les changements observables dans le quotidien de la population. Les cas
observés et données exploitées seront en grande
majorité tirées des observations et entretiens informels sur le
terrain.
1- Des améliorations générales
notables
Nous avons décrit précédemment le
dynamisme des évolutions que connaît le secteur des transports
à Abidjan, notamment en termes d'infrastructures. Les citadins le
voient, la ville évolue à vue d'oeil, et cela a des
bénéfices pour beaucoup.
A) Les bénéfices de l'extension du réseau
revêtu
Le réseau routier se développe rapidement dans
la ville, du fait de la diversité des efforts publics mis en place dans
ce sens, dans une ville où le déplacement par la route est
hégémonique pour les déplacements motorisés. Les
évolutions concernant les routes revêtues se font en deux sens :
de nouvelles routes sont créées complètement, et
d'anciennes pistes connaissent des travaux de revêtement. Cela a des
effets structurants sur le réseau routier à échelle
urbaine, mais ces nouveaux axes revêtus permettent également le
développement d'un tissu économique fondé sur leur
présence. Cela s'explique par le fait que le degré
d'accessibilité est une composante essentielle de l'implantation d'un
commerce, dont le succès dépend beaucoup.
Étude de cas : le quartier de la pharmacie Belle
Vue, Angré 8e tranche, Cocody, Abidjan
Le quartier de la pharmacie Belle Vue est un petit voisinage
résidentiel situé dans la commune de Cocody, au Nord dans la
8e tranche du grand quartier d'Angré. Il se trouve à
mi-chemin entre le grand carrefour dit « Pétroivoire » du nom
d'une station-service et le Nouveau CHU d'Angré. Nous allons
étudier ici la portion de la voie L160 entre la pharmacie des Arcades
à l'Ouest et la clinique médicale Saint-Justine à l'Est
(CARTE 11). C'est un quartier que j'ai
123
beaucoup eu l'occasion d'étudier et d'observer sur
place, puisque c'est ici que j'ai habité, dans la cité Belle Vue,
juste en face de la pharmacie Belle Vue.
Carte n°11 : la portion de voie L160 dans le quartier
de la pharmacie Belle Vue, Angré, Cocody
Source : Google maps, 2021.
Le quartier étudié fait partie de ces jeunes
quartiers qui sont nés de la croissance spatiale très importante
de la ville. Il s'est développé d'après les
témoignages des habitants assez rapidement, en une vingtaine
d'années, sous l'effet de programmes immobiliers ayant mené
à construire les cités du quartier, comme la cité Belle
Vue déjà nommée, ou encore la cité Soleil 2. Ces
cités se trouvent de part et d'autre de l'actuelle route que nous
étudions ici, qui jusqu'en 2017 était une piste en terre. Son
revêtement récent a eu des conséquences importantes sur le
quartier, qui a connu certains éléments de développement
socioéconomique du fait de ce nouveau goudron. Il faut savoir d'abord
que cette route fait partie d'un axe qui relie deux noeuds de transport
populaire : le carrefour Pétroivoire et le Nouveau CHU d'Angré.
La demande en circulation était donc importante sur cet axe, qui ne
pouvait l'absorber du fait de l'étroitesse de la piste et de sa vitesse
réduite de circulation. Depuis son revêtement, elle accueille deux
fois deux voies de route qui permettent une vitesse et un trafic très
largement accrus. Cela a eu des conséquences pour le quartier, qui a vu
son accessibilité en voiture augmenter, ainsi qu'une nouvelle ligne de
bus le desservir, la ligne 90 entre Blokosso et le Nouveau CHU. Par ailleurs,
le trafic de transport artisanal a augmenté sur cet axe du fait de ses
nouvelles capacités, et les woro-woro y circulent
désormais en nombre à toute heure de la journée.
D'après mes observations et expériences, même à
l'heure la plus creuse de la journée, on ne peut pas attendre
124
plus de quelques minutes sans voir passer un
woro-woro. Les conséquences en termes d'activités
commerciales ont été notables dans le quartier : de nombreux
magasins ont ouvert du fait de l'arrivée de la route. Une riveraine
tenant un magasin de vêtements féminins m'a témoigné
du fait que le propriétaire à qui elle loue les locaux les a
aménagés en locaux commerciaux lorsque le projet de
revêtement a été lancé. Par ailleurs, les «
maquis », nom des restaurants et bistrots abidjanais, se sont
multipliés dans le quartier depuis, et ils sont aujourd'hui une sixaine
environ sur une distance d'un peu plus d'un kilomètre. Par ailleurs, un
établissement d'enseignement supérieur a également ouvert
ses portes dans le quartier, la NBA Business School, une école de
commerce proposant des formations allant du BTS au Master. Ainsi, la
création de cette portion de route, en améliorant
l'accessibilité du quartier, a permis sa valorisation, l'augmentation de
son attractivité, et ainsi son développement économique et
social.
Cette étude de cas permet de comprendre mieux le
potentiel de développement local qu'offre l'aménagement d'une
route goudronnée, et les bénéfices socioéconomiques
qui en découlent. Ceux-ci viennent s'ajouter aux bénéfices
sur le trafic routier de la métropole.
Encadré n4 : les routes abidjanaises, des lieux
marchands importants
Les axes routiers à Abidjan, et notamment les plus
fréquentés, sont le lieu d'une importante activité de
commerce informel. Profitant des stationnements prolongés
engendrés par les bouchons, de nombreuses personnes vendent divers
produits en remontant les files de voitures arrêtées. On peut y
trouver toutes sortes de choses : de l'eau et de la nourriture bien sûr,
mais également des objets plus insolites extrêmement divers : j'ai
pu voir circuler dans les embouteillages des porte-manteaux, des miroirs, des
masques chirurgicaux, des jouets pour chiens, des médicaments, etc. Par
ailleurs, de nombreux points de vente informelle installés sur le bord
des routes dépendent essentiellement de la consommation des usagers qui
s'arrêtent rapidement sur le bas-côté, et notamment des
chauffeurs de taxi, qui ont besoin de s'alimenter et de boire tout au long de
leurs journées qui peuvent facilement commencer à cinq ou six
heures du matin pour finir à dix heures du soir. Ainsi, de la route
dépend directement ou indirectement la subsistance de dizaines voire
centaines de milliers d'abidjanais.
|
125
B) Amélioration notable du réseau Sotra : un
transport en commun intercommunal et accessible, fer de lance d'une politique
sociale dans les mobilités
Les divers témoignages obtenus des usagers de bus
public mettent en valeur une amélioration certaine de la mobilité
SOTRA. Rappelons d'abord son intérêt au sein de la mobilité
abidjanaise : les bus de la SOTRA, à la différence des
woro-woro, permettent une mobilité intercommunale. Ils
rejoignent de ce fait les gbakas et les « banalisés »
dans la catégorie des modes de transport intercommunaux, bien que ces
derniers ne le soient pas nécessairement. L'un des avantages directs
pour les usagers des bus SOTRA est le prix, car les tarifs pratiqués
sont globalement inférieurs voire très inférieurs à
ceux pratiqués pour une distance similaire par les transporteurs
artisanaux. La grande différence est que le transport populaire pratique
une tarification proportionnelle à la distance, contrairement aux bus
publics dans lesquels on paie le trajet au tarif unique d'un ticket. Le tarif
initial des bus est de 200 francs le ticket, ce qui est modique au vu des
distances parcourues par rapport au transport artisanal. Ainsi, on peut par
exemple rallier le quartier d'Angré dans le Nord de la commune de Cocody
à la gare Sud de la SOTRA au Plateau pour 200 francs grâce au bus
82. En transport artisanal, le même trajet coûte quatre fois ce
prix.
L'une des faiblesses majeures du réseau SOTRA au sortir
de la crise de 2011 était la faiblesse de la fréquence de
desserte, car la compagnie ne disposait plus alors que d'un nombre très
faible de véhicules. Un effort important de renforcement de la flotte
étant en cours depuis plusieurs années, des évolutions
notables ont lieu, et de multiples témoignages recueillis auprès
d'usagers des bus vont dans ce sens. Ainsi, un étudiant, usager de la
ligne 83 qui rallie notamment l'université Félix
Houphouët-Boigny, vante les mérites de la SOTRA en expliquant
qu'à l'heure de pointe, « je ne cours même plus pour avoir un
bus, car je sais que le suivant viendra avec un intervalle de temps très
rapproché32 ». Il s'agit là d'un
témoignage sur un itinéraire précis et à un horaire
précis, ralliant une destination qui n'est pas anodine, et il n'est donc
certainement pas à généraliser, car cette performance
reste rare en perspective des autres observations menées. C'est
néanmoins l'un des nombreux signes récoltés sur le terrain
d'une amélioration notable des conditions de voyage proposées par
la SOTRA.
32 Propos recueilli le 18 janvier 2021 lors d'un
échange informel à la gare Nord de la SOTRA à
Adjamé.
126
Par ailleurs, une réorganisation des lignes a permis de
modifier positivement la desserte des bus. Les données
présentées ci-après ont été recueillies lors
d'un entretien avec le directeur du réseau bus de la SOTRA, le 26
février 2021. L'un des grands problèmes logistiques de la SOTRA,
qu'elle est en train de résoudre, est sa dépendance à la
gare Nord et à la gare Sud, qui sont les deux principaux noeuds de son
réseau. Situées au Plateau et à Adjamé, ces deux
gares concentrent un trafic très important du réseau de bus de la
SOTRA, et elles servent de bases logistiques de premier ordre. Des dizaines de
milliers de personnes y transitent chaque jour, car souvent un voyageur est
obligé de rejoindre une de ces deux gares d'abord, puis de prendre un
autre bus qui va vers sa destination. Afin de pallier cela, la SOTRA a mis en
place de nouvelles lignes dont l'objectif est de ne pas transiter par ces deux
gares pour atteindre une destination. Ces bus sont appelés «
navettes », et coûtent 500 francs le ticket. Ils sont donc plus
chers que les bus normaux, mais permettent en théorie d'éviter de
prendre deux bus différents, ce qui implique dont d'acheter deux
tickets. Par exemple, la création du bus 719 ralliant Angré
à Yopougon Saint-André a permis de cesser de passer par la gare
Nord et de rejoindre directement Yopougon. Par ailleurs, certains bus sont
confrontés au problème de l'importance du nombre
d'étudiants les empruntant, ce qui est une source de
désagrément pour les autres usagers qui ne peuvent pas toujours
monter dedans du fait du manque de place. De ce fait, des « urbainbus
» ont été créés, coûtant
également 200 francs le ticket mais dans lesquels les cartes de
transport étudiantes ne fonctionnent pas. Enfin, un réseau de bus
« express » (PHOTO 7), reconnaissables à leur couleur
violette, plus chers (500 francs le ticket) mais censés rallier plus
rapidement deux points en marquant moins d'arrêts.
127
Photo n°7 : Un « express » de la ligne 205
Angré-gare Sud à son terminus à Angré
Source : Gaspard Ostian, 2021.
L'ensemble de ces éléments marque les
évolutions du réseau de la SOTRA depuis une décennie.
Tendanciellement, l'offre de mobilité de la SOTRA s'améliore,
avec plus de bus et une réorganisation des lignes pour s'adapter
à la nouvelle morphologie de la ville et aux besoins des usagers. Les
prix proposés, inférieurs à ceux pratiqués par le
transport informel et inférieurs aux coûts réels
d'exploitation, font de la compagnie publique subventionnée par
l'État le fer de lance d'une certaine politique sociale dans les
mobilités à échelle de la métropole.
2- Une mobilité urbaine toujours limitée
Malgré les améliorations décrites, en
matière d'infrastructures et d'offre de mobilité, se
déplacer dans Abidjan présente toujours d'importantes limites, et
notamment pour les moins aisés. Les analyses présentées
dans cette partie s'appuieront principalement sur des témoignages
individuels recueillis lors de divers échanges informels.
A) 128
Un coût de la mobilité toujours très
élevé, notamment pour les moins aisés
Se déplacer dans Abidjan coûte cher, notamment
pour les classes les moins aisées. Notre référenciel ici
sera le SMIG, le salaire minimum en Côte d'Ivoire, qui
s'élève à 60 000 francs par mois, soit une centaine
d'euros.
Prenons le cas de Rokia, 25 ans. Elle vit à
Angré, travaille à Adjamé et prend le bus pour se
déplacer entre les deux. Uniquement pour travailler, sans mentionner ses
déplacements personnels annexes, elle doit payer 200 francs deux fois
par jour, soit 2000 francs par semaine, et plus de 8000 francs par mois.
Payée au SMIG, cela représente 13% de son salaire mensuel
environ. À titre de comparaison, en moyenne à Paris, les
ménages investissent 16% de leurs revenus dans le transport.
Laure, 27 ans, habite à Angré et travaille au
Plateau. Elle doit donc prendre un bus « express » de la ligne 205
à 500 francs le ticket deux fois par jour. Cela lui coûte 1 000
francs par jour, soit 5000 la semaine et plus de 20 000 le mois. Cela
représente plus d'un tiers de ses revenus au SMIG.
Ces deux exemples, déjà bien différents,
n'impliquent qu'un seul véhicule emprunté par trajet, et dans les
bus publics, qui proposent comme nous l'avons dit des tarifs plutôt bas
à échelle du marché de la mobilité à
Abidjan. Colombe, elle, va tous les jours depuis Angré, son lieu de
résidence, à Yopougon pour son stage de droit. Elle prend d'abord
un woro-woro, puis le bus 719 pour rallier Yopougon, puis un autre
woro-woro pour aller jusqu'à son travail. Elle dépense
ainsi 900 francs par trajet, soit 1 800 francs par jour, 9 000 par semaine,
près de 40 000 par mois, donc deux tiers du SMIG. D'après elle,
tout l'argent gagné à son stage passe dans le coût du
transport.
Les exemples donnés ici n'ont rien d'exceptionnel, au
contraire. Une étude de la SICMA a démontré qu'en moyenne,
les personnes vivant à Abobo et travaillant dans le centre d'Abidjan
dépensent 60% de leur revenu mensuel dans les transports. Le prix de la
mobilité est donc à l'heure actuelle très
élevé à Abidjan, et c'est un facteur majeur de
mal-développement et de ségrégation spatiale en
défaveur des moins aisés.
B) Des temps de transport toujours élevés
notamment depuis les périphéries
Parallèlement au coût de la mobilité, le
temps passé à se déplacer est un paramètre
important qui est pris en compte par les individus notamment dans les
déplacements quotidiens et
129
réguliers. Les problématiques de congestion
routière, qui ne sont toujours pas en voie de se résoudre
à Abidjan avec l'augmentation du trafic routier à mesure que les
infrastructures se développent, augmentent sensiblement les temps de
trajet, ce qui est aussi un facteur de mal-développement.
Reprenons l'exemple de Rokia, donné
précédemment. Tous les jours de semaine, elle doit se lever
à 5h du matin, pour partir à 6h de chez elle et arriver au
travail à 8h. Le soir, elle sort à 17h du travail, et met
jusqu'à deux heures et demie à rentrer du fait des bouchons qui
sont encore plus importants que le matin. Cela porte son temps de trajet
quotidien à plus de quatre heures en moyenne, pour un déplacement
d'une dizaine de kilomètres à l'aller et au retour. Cela porte la
vitesse de déplacement à une vitesse moyenne similaire à
de la marche à pied. Cela est dû au fait qu'elle emprunte le
très congestionné boulevard « Latrille », nouvellement
boulevard des Martyrs, qui traverse Cocody du Nord au Sud, qui est l'un des
axes majeurs de la descente du Nord de la ville en direction des quartiers
centraux, comme ceux du Plateau ou d'Adjamé.
Les temps élevés de déplacement ne
concernent pas que les usagers des transports en commun. En voiture
individuelle aussi, les bouchons sont à l'origine de pertes de temps
importantes. Un fonctionnaire de l'administration des impôts, qui
travaille au Plateau chaque jour mais habite à Yopougon, témoigne
de la sorte : « Chaque matin, je viens en voiture et je rentre le
soir. Mais je suis obligé de me déplacer à l'heure de
pointe du fait de mes horaires de bureau. Pour venir de Yopougon, il faut
forcément passer par l'autoroute du Nord, qui est le seul point de
passage, et il est donc très congestionné. On avance très
très lentement, et je mets plus d'une heure à faire quelques
kilomètres »33. Il explique donc être
très content de l'arrivée prochaine du quatrième pont, qui
permettra d'ouvrir un nouveau chemin entre Yopougon et le Plateau et ainsi de
répartir le trafic. Mais d'ici-là, il n'a pas le choix que de
perdre plus de deux heures chaque jour en embouteillages.
Le temps passé dans les transports est un facteur
limitant du développement. Globalement, plus il est grand, et plus il
implique pour un individu de puiser dans son capital socioéconomique, du
fait notamment du temps et de l'argent perdus. Une personne qui dépense
trop de temps et d'argent en transport ne pratiquera pas ou beaucoup moins de
loisirs, ce qui représente une perte pour cette économie et pour
son bien-être personnel. Cette personne
33 Propos recueillis le 26 janvier 2021 à la
Direction générale des impôts, au Plateau.
130
passera également moins de temps en famille. Si elle a
des enfants, cela impactera sa façon de s'en occuper ou son temps
disponible pour eux, ce qui a des conséquences par exemple souvent sur
leur réussite scolaire. Pour le dire simplement, une personne qui est
dans les transports perd chaque jour du temps, de l'argent et de
l'énergie qu'elle ne peut pas investir ailleurs, ce qui a des incidences
proportionnellement importantes sur sa qualité de vie. Si on couple
cette observation au fait que les quartiers où la mobilité est la
plus compliquée sont souvent les moins aisés, on conclut que la
ségrégation spatiale liée au transport est un facteur de
reproduction sociale, et un levier d'action que les politiques publiques ne
peuvent ignorer.
C) Un facteur d'amélioration encore
délaissé : les NTIC
Nous avons parlé des divers projets qui impliquent
l'introduction des NTIC dans les mobilités afin de les faciliter. Ces
projets sont parmi ceux qui sont les moins inscrits dans le réel
à l'heure actuelle. Nous aborderons principalement ici les NTIC dans le
cadre de l'information voyageur, qui est ce qui touche le plus directement les
usagers. L'information voyageur en tant que système organisé
visant à fournir des informations aux usagers des transports pour les
accompagner dans leur mobilité est très peu
développée à Abidjan, même au sein des
réseaux de la SOTRA. Il n'existe pas, par exemple, de cartographie
simple d'accès des lignes du réseau de bus. Aucune fiche horaire
des bus n'est communiquée. Un arrêt de bus à Abidjan, c'est
souvent ça (PHOTO 8) :
131
Photo n°8 : Un arrêt de bus de la SOTRA à
Angré, Cocody
Source : Gaspard Ostian, 2021.
Les arrêts importants donnent en général
plus d'information, comme le numéro des lignes qui y passent, et
disposent parfois d'un abribus. Mais une majorité d'arrêts,
à l'image de celui-ci, ne fournit aucune information en-dehors du fait
qu'il s'agit d'un arrêt. Cette quasi-absence d'informations est
palliée par le fait que les voyageurs s'informent entre eux. Le
renseignement fonctionne beaucoup d'humain à humain. Dans le transport
artisanal, le fonctionnement est le même, le renseignement se fait
auprès du chauffeur ou des autres usagers. L'information humaine est une
source d'information qui a de nombreux avantages, mais présente un
défaut : l'incertitude. Une information voyageur centralisée et
numérisée, si elle est correctement mise à jour,
présente de nombreux avantages dans l'expérience de la
mobilité : visualisation d'un itinéraire, connaissance des temps
d'attente, informations sur les incidents dans le trafic, etc. À l'heure
actuelles, ces techniques ne sont pas ou très peu utilisées
à Abidjan.
On en conclut donc qu'à l'heure actuelle, les
techniques et technologies qui permettent d'accompagner le transport et la
mobilité ne sont pas une priorité pour les autorités,
qui
132
investissent la plupart de leurs efforts dans d'autres aspects
certainement plus prioritaires des déplacements comme les
infrastructures de transport.
3- Des aménagements qui bénéficient
d'abord aux classes les plus intégrées
L'objet de cette partie est de se poser la question suivante :
à qui bénéficient pour l'instant les projets mis en place
? Nous suivrons une approche spatiale.
A) La centralité des aménagements : zoom sur
les communes d'Abobo et Port-Bouët
Un examen de la situation actuelle et du futur à court
et moyen terme met en lumière de fortes inégalités
spatiales en termes d'accessibilité par les transports au sein
d'Abidjan. Cela se constate à échelle de la commune d'Abidjan,
sans même parler du territoire du Grand Abidjan. L'approche
première et la plus évidente concerne les
inégalités spatiales selon un modèle
centre-périphéries. Au sein de ce travail qui se place du point
de vue des transports, nous observerons ces inégalités en termes
d'accessibilité et de desserte par les transports, et notamment les
transports en commun.
Les efforts spectaculaires comme les trois nouveaux ponts sont
très centralisés dans la ville, et gravitent beaucoup autour du
Plateau et du Sud de Cocody, des quartiers particulièrement
intégrés socio-spatialement. Mais Abidjan est une commune
beaucoup plus vaste, et nous allons nous pencher plus précisément
maintenant sur deux communes en particulier : Abobo, au Nord, et
Port-Bouët au Sud. Abobo est connue pour être la commune la plus
populaire d'Abidjan. Elle abriterait environ trois millions de personnes.
« Abobo-la-guerre » de son surnom, hérité d'une chanson
de Daouda de 1976, la commune est la plus au Nord des dix communes initiales
d'Abidjan, et n'a de frontière commune qu'avec Cocody et Adjamé,
ainsi qu'une petite partie avec Yopougon à l'Ouest de la forêt du
Banco. Port-Bouët, elle, est la commune de l'aéroport Félix
Houphouët-Boigny. Elle rassemble les territoires abidjanais qui sont au
Sud de l'île de Petit Bassam qui regroupe Treichville, Marcory et
Koumassi. C'est la commune qui relie presque sans rupture du bâti Abidjan
avec Grand Bassam, au bord de l'océan, à l'Est de la ville.
133
Port-Bouët est une commune de 420 000 habitants officiels
selon le recensement de 2014. Elle en compte certainement beaucoup plus
aujourd'hui, bien que je ne sois pas parvenu à trouver d'estimations
satisfaisantes à ce propos.
Ces deux communes se rapprochent par une similarité de
situations socio-spatiales : toutes deux sont des communes très
populaires, et présentent probablement les deux moins bonnes
accessibilités par les transports de la ville. Yopougon n'est de ce
point de vue pas à intégrer à cette étude de cas,
car bien que populaire également, elle est bien plus accessible et bien
mieux desservie en son sein, comme nous allons le voir sur la carte ci-dessous.
L'achèvement prochain du quatrième pont l'éloignera par
ailleurs d'autant plus de la situation que nous allons décrire pour
Abobo et Port-Bouët.
Carte n°12 : Abobo et Port-Bouët, des communes en
marge des réseaux de transport
Commune d'Abidjan
Réseau des bus SOTRA Réseaux de transport
artisanal Commune d'Abobo Commune de Port-Bouët Zone urbanisée
Grand Abidjan Lagune Ébrié
Réalisation : Gaspard Ostian, 2021. Source : OSM
CI.
La carte ci-dessus (CARTE 12) représente l'ensemble des
itinéraires à l'heure actuelle cartographiés de transport
en commun sur route, publics et artisanaux. Les problématiques
d'accessibilité des deux communes apparaissent très
distinctement. À la différence de
134
Yopougon, il apparait que la desserte tant en transport public
qu'artisanal est très inférieure à Port-Bouët et
Abobo que dans les autres communes, ce qui participe de dynamiques
d'enclavement. C'est particulièrement flagrant à Port-Bouët,
une fois que l'on dépasse l'aéroport vers l'Est : un territoire
d'une cinquantaine de kilomètres carrés n'est desservi que par
une ligne de bus et quelques lignes de transport artisanal. On constate qu'il
n'y a qu'une seule voie d'accès principale, qui est la route qui va vers
Grand Bassam. L'infrastructure aéroportuaire scinde la commune en deux
et apparaît comme un important vecteur d'enclavement de la partie Est, la
plus périphérique.
On peut observer un enclavement similaire à Abobo. Une
seule voie rapide la rallie au Sud de la ville, il s'agit de l'A1, qui longe la
forêt du Banco jusqu'à Adjamé. Un peu plus à l'Est
en parallèle, la N69 et le boulevard des Martyrs permettent
également de rallier Cocody. Ces trois infrastructures ne sont pas
proportionnées pour accueillir les flux existants, et ils sont parmi les
grands axes les plus congestionnés de la ville. Il apparaît aussi,
comme pour Port-Bouët, un déséquilibre spatial au sein de la
commune : si la partie Sud d'Abobo, malgré les faiblesses que l'on vient
d'évoquer, apparaît assez correctement desservie par les
transports public et artisanal, les territoires les plus
périphériques sont, eux, très peu desservis. On observe
aussi une faible répartition de l'offre de transport, qui a tendance
à se concentrer sur de grands axes comme la voie P2 qui va vers
Alépé et la voie Q125 qui rallie Anyama. Ainsi, d'après
les données OSM que nous avons, seulement 44 lignes de transport
artisanal desservent Abobo, contre 81 à Yopougon, commune de taille et
de démographie similaires.
Un projet majeur de transport relie Abobo et Port-Bouët
en les connectant au coeur de la ville : il s'agit du métro, qui est
présenté par la SICMA comme un outil majeur du
désenclavement de ces deux communes. Quelques points assombrissent le
tableau néanmoins : à Port-Bouët, le métro
s'arrêtera à l'aéroport, et n'aura donc pas d'incidence sur
la partie la plus enclavée de la commune qui est plus à l'Est.
À Abobo, l'itinéraire prévu n'offrira pas un nouvel axe de
desserte, mais viendra renforcer ceux qui existent déjà, et
notamment l'axe Abidjan-Anyama qui passe par Abobo. Par ailleurs, ce projet est
encore à de nombreuses années de sa réalisation, puisque
la mise en service du premier tronçon, initialement prévue pour
2023, est dorénavant portée à 2025, et ne concerne pas la
partie Sud qui ralliera Port-Bouët.
Il y apparaît donc que les projets dans les transports
ne comblent pour l'instant pas le fossé spatial creusé entre les
quartiers centraux de la ville et les quartiers les plus
périphériques. Ces
135
derniers sont encore très peu desservis en comparaison des
autres, bien qu'Abobo et Port-Bouët abritent plus d'un tiers des habitants
de la ville.
B) Quid d'Adjamé ?
Adjamé est certainement la commune la plus importante
en matière de transport à Abidjan. Pourtant, nous n'en avons que
très peu parlé dans cette étude. Il s'agit d'une commune
très centrale spatialement, qui polarise les flux humains et marchands
intra urbains de la capitale. Très densément peuplée, elle
connaît quotidiennement un passage important de personnes
étrangères à la commune, car elle concentre la plus
importante densité de gares et de marchés de la ville. Elle se
trouve au carrefour entre Abobo, le Plateau, Cocody et Yopougon. Elle rassemble
des hauts lieux du transport abidjanais : la gare Nord de la SOTRA,
première gare de bus de la ville avec la gare Sud du Plateau, se trouve
à Adjamé. Par ailleurs, la plupart des gares des compagnies de
transport qui desservent l'intérieur du pays ou l'étranger sont
à Adjamé, à l'image de l'emblématique Union des
Transporteurs de Bouaké (UTB). Cela fait d'Adjamé la porte
d'entrée et de sortie principale des flux routiers humains et marchands
polarisés par Abidjan dans la région. Alors, pourquoi avoir aussi
peu parlé d'Adjamé dans cette étude ? La réponse
est simple : la commune est, proportionnellement à son importance, peu
concernée par les grands projets de transport.
Adjamé est concernée par le projet de
quatrième pont, qui la ralliera à Yopougon. Elle a
également été touchée par l'autoroute du Nord, qui
est l'une de ses principales voies d'accès depuis Yopougon et
l'intérieur du pays. Elle est également bien desservie en
transports en commun, du fait de sa situation de centralité. Mais la
situation interne de la commune n'a que très peu évolué
depuis dix ans, en dépit de son importance. Les problématiques de
congestion routière y sont importantes et permanentes tout au long de la
journée. Le réseau routier est très insuffisamment
revêtu, en dépit du volume de trafic. Ainsi, de nombreuses voies
sont en terre, et donc très précocement usées par les
véhicules, autant que très fragiles face aux intempéries.
Cela participe d'un mauvais état global, qui explique en partie les
vitesses de circulation très faibles dans la commune.
Un projet de gare routière interurbaine et
internationale y a été lancé en 2013. Ce projet à
47 milliards de francs prévoyait une gare moderne, étendue sur 22
hectares, avec une capacité
136
de 9 000 passagers par heure et 23 millions de passagers par
an. Cette infrastructure aurait permis de centraliser une partie du trafic
interurbain absorbé par Adjamé, en limitant par la même
occasion la prolifération de petites gares sur le territoire de la
commune. Prévue pour 2015, cette gare n'a toujours pas vu le jour, et le
projet est presqu'entièrement immobilisé depuis, au point de
n'être plus d'actualité.
Il apparait donc que, si les espaces spatialement en marge
sont moins touchés par les projets dans les transports comme nous
l'avons vu précédemment, c'est également le cas des
espaces socio économiquement en marge comme Adjamé. Il s'agit en
effet d'une commune populaire, connue de la population urbaine pour les
nombreux délits et agressions qui y ont cours. À défaut de
développer ici des explications, il est intéressant de souligner
le manque proportionnel d'investissements et de volontarisme politique autour
de cette commune pourtant centrale.
137
CONCLUSION GÉNÉRALE
Cette étude a permis de mettre en lumière le
tournant du rôle de la puissance public dans la fabrication de l'espace
national, ici dans le cas de la capitale Abidjan. En 2011, après trois
décennies difficiles, le pays, appuyé par certains discours
politiques, semble enfin retrouver la voie du dynamisme économique et du
développement. La Côte d'Ivoire a subi pendant cette
période les difficultés liées au tournant libéral
pris depuis les années 1980. L'État, très puissant depuis
l'indépendance, fait alors face à des difficultés
sociales, économiques et politiques en même temps que baisse
drastiquement le budget public. Il s'est ainsi vu perdre beaucoup de son
influence, pour en laisser une part croissante à des acteurs
privés. Dans les transports, cela s'est notamment traduit lors de la
concession du rail à la SITARAIL, filiale du groupe Bolloré.
En 2011, l'État est toujours très affaibli, mais
le retour d'un contexte favorable et le besoin pour le gouvernement de
retrouver une légitimité le poussent à donner au pays un
objectif pour le moins ambitieux : atteindre le statut de pays émergent
en 2020. Pour cela, la Côte d'Ivoire a besoin de résultats
visibles : de grands efforts sont concentrés à Abidjan, sa
capitale, pour en faire la vitrine d'une réussite spectaculaire. C'est
là qu'est le tournant : initialement contraint de confier certaines de
ses prérogatives à des acteurs privés, l'État fait
désormais le choix délibéré de leur laisser part
croissante, en généralisant de plus en plus les PPP. Certains
résultats sont spectaculaires, à l'image du pont Henri Konan
Bédié, construit en moins de trois ans, ou encore de la
croissance remarquable du PAA et des nombreux et importants aménagements
réalisés en son sein.
L'un des objectifs de ce mémoire était de
comprendre mieux et de caractériser la voie de développement
suivie par la Côte d'Ivoire, en observant le modèle de ville mis
en place à Abidjan par les autorités. Je conclus de l'ensemble
des observations, discussions et réflexions menées au cours de ce
travail que le développement ivoirien en l'état est un
développement « par le haut », privilégiant la
croissance économique et la recherche du prestige à
l'amélioration générale des conditions de vie de la
population. Il y a un caractère artificiel dans les chiffres de
l'important dynamisme ivoirien mis en valeur par les autorités. Certes,
le revenu national a augmenté de 80% entre 2012 et 2015, mais selon la
Banque mondiale, le taux de pauvreté sur la même période
n'a baissé que de cinq points, passant de 51% à 46% de la
population. Souvent à Abidjan, j'ai pu entendre des témoignages
similaires que l'on peut
138
résumer par cette phrase que m'a dit un chauffeur de
taxi : « on voit que le pays avance, mais ça ne se ressent pas
beaucoup dans le niveau de vie de la population ».
Par ailleurs il apparait que l'État, en multipliant les
PPP, joue un jeu dangereux. En effet, ces derniers sont très
intéressants pour l'État dans sa stratégie de croissance
actuelle, mais seulement tant qu'il conserve le contrôle. C'est là
tout l'objet du cadre juridique mis en place autour de ces PPP, par exemple par
le biais des textes des conventions de concessions. Le risque est double :
d'abord, l'État doit toujours conserver l'équilibre des
bénéfices en sa faveur, ce qui n'est pas garanti. Nous l'avons vu
dans le cadre des concessions des différents terminaux du port :
à l'heure actuelle, l'État se voit obligé de modifier
différentes conventions de concession pour augmenter les redevances dues
par les concessionnaires, car pour l'instant certains concessionnaires tirent
plus de bénéfice que la puissance publique de l'exploitation des
terminaux. Le second risque est inhérent à la stabilité
politique de la Côte d'Ivoire, et donc à la capacité de
l'État de se maintenir en capacité de faire valoir ses
intérêts face à ceux des acteurs privés. Même
si la tendance actuelle ne semble pas l'indiquer, un nouvel épisode de
crise exposerait l'État ivoirien à une importante baisse de sa
force géopolitique, et donc à un détournement
d'infrastructures et activités d'intérêt public vers des
intérêts privés.
Finalement, il semblerait que la promesse de
l'émergence prononcée par Alassane Ouattara ait été
l'objet d'une méprise définitionnelle. Pour de nombreux ivoiriens
et ivoiriennes parmi les plus modestes notamment, « l'émergence
» entrait en résonnance avec le Miracle ivoirien des années
1960, et incarnait l'idéal d'une amélioration pour tout le monde
des conditions de vie. Dix ans après, la quête de
l'émergence ivoirienne s'avère plus proche d'une voie de
développement de nature néolibérale, créatrice de
grandes richesses pour une part très réduite de la population, et
génératrice d'importantes inégalités sociales,
économiques et spatiales. On peut en tout cas dire que l'État
ivoirien suit en effet ses objectifs et ambitions d'intégration à
la mondialisation : en renforçant les fonctions métropolitaines
de sa capitale et en favorisant l'investissement d'acteurs privés dans
les activités d'intérêt public, l'État ivoirien
positionne son pays parmi les pays d'Afrique les plus attractifs selon les
critères de l'économie mondialisée. Cela se fait au prix
d'un renforcement très important des inégalités
socio-spatiales que l'on retrouve beaucoup dans le secteur des transports,
à échelle du pays comme au sein de la métropole
d'Abidjan.
139
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144
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146
Annexes
Annexe n°1 : la liste des acteurs du transport
interrogés
Cette liste rassemble tous les acteurs du transport
abidjanais avec lesquels j'ai pu échanger. Elle ne consigne pas les
acteurs que je n'ai pas réussi à atteindre, comme la SITARAIL ou
encore le ministère des Transports.
Acteur
|
Identité du répondant
|
Position
|
Date
|
Aeria
|
Michel Némé
Rodrigue Tah
|
Directeur de l'exploitation
Chef du département des opérations
aéronautiques
|
15 février 2021
|
AFD
|
Lamia Nouroudine
|
Chargée de projets transports
|
5 février 2021
|
AMUGA
|
Karamoko Ouattara
|
Directeur de la
contractualisation et des aménagements
|
28 janvier 2021
|
Lumiplan
|
Émilie Fort
|
Chargée de développement commercial sur le
continent africain
|
9 février 2021
|
Mairie du Plateau
|
M. Brou
|
Directeur du service de gestion des transports en commun
|
3 février 2021
|
OSM CI
|
Philippe Anebo
|
Contributeur OSM CI
|
29 janvier 2021
|
147
Port
autonome d'Abidjan
|
M. Moni
M. Seka
|
Directeur adjoint à
l'ingénierie et à la maîtrise d'ouvrage
Chef du département de suivi des concessions
|
4 février 2021
16 février 2021
|
PMUA
|
Ali Coulibaly
|
Directeur adjoint
|
18 février 2021
|
PTUA
|
M. Dosso
M. Koffi
|
Chef de l'unité « ouvrages d'art »
Chef de l'unité « aménagements connexes et
renforcement institutionnel
|
12 février 2021
12 février 2021
|
SICMA
|
Guillaume Herry
|
Directeur du projet
|
2 mars 2021
|
SOCOPRIM
|
Ketty N'Guessan
Jean-François Doreau
|
Responsable commerciale et communication
Directeur général
|
29 janvier 2021
29 janvier 2021
|
SOTRA
|
M. Lawson
Luc Oba
Noël Bouaki
|
Responsable de la production
Directeur du réseau bus
Chef du département des statistiques
|
26 février 2021
26 février 2021
26 février 2021
|
148
STL
|
M. Kouamé
|
Directeur de la planification
|
3 février 2021
|
Zenbus
|
Mustapha Fofana
|
Chargé de développement
|
9 février 2021
|
149
Annexe n°2 : Grille générale
d'entretien avec les acteurs du transport
Cette grille d'entretien est une base personnalisable
à chaque entretien en fonction de l'acteur interrogé.
Questions
|
Objectifs
|
Le répondant :
|
Prise de contact avec le répondant, échange de
présentations, premier regard sur ses fonctions, son statut social et
professionnel.
|
- Identité
- Place dans la structure
- Parcours personnel
|
La structure :
|
Comprendre le plus précisément possible
l'activité de l'acteur étudié. Obtenir des informations
chiffrées sur les capacités et les budgets.
Obtenir des points de vue sur l'activité propre au
répondant.
|
- Quel rôle
- Quelles activités
- Quelle stratégie pour atteindre
les objectifs
- Quels financements
- Quelles limites
|
Les rapports avec l'État / la puissance
|
Comprendre la nature des rapports d'influence entre l'État
et l'acteur. Comprendre les obligations de l'un envers l'autre.
Mesurer la qualité des rapports.
|
publique :
|
- Nature des rapports
d'influence : quels comptes rendus à qui ?
- Quelles contraintes venant de lui
- Quelle liberté laissée par lui
- Qualité des rapports : plutôt
bons, conflictuels ?
|
150
Annexe n°3 : Grille d'entretien informel
Cette grille représente le minimum des informations
que j'ai cherché à recueillir lors de chaque entretien informel
sur le terrain.
Questions
|
Objectifs
|
Le répondant :
|
Déterminer un bref profil social du répondant.
|
- Identité (pas forcément
nécessaire)
- Activité professionnelle
- Commune de résidence
|
Usage des transports :
|
Caractériser l'utilisation du répondant en fonction
de son profil social déterminé précédemment.
|
- Quels modes de transport
- Quelle fréquence
|
Le coût du transport :
|
Calculer le coût du transport en fonction du revenu.
|
- Prix au quotidien
- Si possible, revenu mensuel
|
Le temps dans les transports :
|
Déterminer l'impact du temps passé dans les
transports sur la vie personnelle.
|
- Temps moyen quotidien
- Conséquences sur la vie
personnelle
|
Avis général sur les transports
|
Question ouverte pour ouvrir à des éléments
auxquels je n'aurais pas pensé.
|
abidjanais :
|
- Appréciation personnelle,
réponse très libre.
|
Évolutions :
|
Connaître le sentiment des usagers quant aux
éventuelles évolutions positives ou négatives des
transports depuis dix ans.
|
- Quelles évolutions générales
sur la dernière décennie ?
|
151
- Si usager SOTRA, quelles
évolutions en particulier ?
|
|
Futur des transports :
|
Déterminer le degré de connaissance des usagers des
différents projets (métro, etc.) et ouvrir sur des questions de
société plus vastes, notamment de nature politique.
|
- Quels espoirs, quelle
confiance en le futur ?
|
152
Annexe n°4 : extrait de document consignant des
entretiens informels
Ce document a été tenu tout au long du terrain,
pour consigner les petits témoignages recueillis lors de brèves
conversations.
Colombe.
Va tous les matins à son stage (en droit) à
Yopougon. Elle prend un woro-woro jusqu'au terminus 81/82, puis prend le 719
jusqu'à Saint-André, puis un autre woro-woro. Cela doit lui
coûter quelque chose comme 800 francs par trajet, donc 1600 par jour.
D'après elle, tout l'argent de son stage passe dedans.
Joël.
N'utilise que les transports artisanaux. Travaille à
Adjamé dans un magasin de vêtements, mais aussi à Cocody
vers Sococé dans le maquis où je l'ai rencontré. Il habite
à proximité depuis 2012, soit juste après la fin de la
crise post-électorale. Il dit que la seule chose majeure qui ait
changé dans le quartier depuis est l'arrivée de Sococé, le
centre commercial, qui n'existait pas avant.
Il me raconte que pendant la crise il travaillait
déjà dans le magasin de vêtements. Apparemment ça a
été compliqué, leur magasin a été
pillé, ils ont dû se débrouiller pour
récupérer de l'argent pour se maintenir à flots, par
petits dons et emprunts.
Il n'a pas vraiment d'avis sur Ouattara, et n'a jamais
voté à 31 ans.
Rosela.
Va au travail vers le Plateau, depuis Carrefour Angré
(limite avec Abobo) tous les jours. Elle se lève à 5h, part de
chez elle à 6h pour arriver au travail à 8h. Elle prend le bus
pour 200 francs, donc les coûts sont assez faibles. Mais c'est un
investissement physique énorme, pour le temps de sommeil perdu et
surtout les 2h voire 2h30 le soir de bouchons, debout dans le bus où il
fait très chaud.
Ça fait donc 400 francs et 4-5h de transport par jour.
153
Jacques.
Va travailler à Marcory je crois. Il prend un woro-woro
jusqu'au boulevard François Mitterrand, d'où il prend un express
qui va jusqu'à Marcory en passant non pas par le troisième pont
mais par le deuxième (le détour...). Le trajet doit donc lui
coûter un bon 1600 francs par jour aller-retour. Pour ce qui est du
temps, il indique partir très tôt pour éviter les
bouchons.
Anonyme.
Rencontré à la gare Sud. Habite à Yopougon.
Étudie à l'université FHB. Il a l'habitude de prendre le
bus pour aller à la fac, mais prend souvent les transports artisanaux
dans ses autres déplacements. Il aime bien le bus car moins dangereux et
moins cher que le transport artisanal. Il dit avoir souvent des
problèmes avec les apprentis, qui sont « fous ». Il pense que
la SOTRA est mieux qu'avant, les bus sont de meilleure qualité et il y
en a plus.
154
TABLES
Tables des cartes
Carte n°1 : Les trois échelles d'Abidjan
..17
Carte n°2 : Le chemin de fer Abidjan-Ouagadougou
(Côte d'Ivoire-Burkina Faso) 32
Carte n°3 : Les gares lagunaires des compagnies
conventionnées ..36
Carte n°4 : Les réseaux de transport
artisanal à Abidjan 40
Carte n°5 : Cartographie des itinéraires
desservis par la SOTRA ..48
Carte n°6 : Carte de synthèse du
schéma directeur d'urbanisme du Grand Abidjan ..77
Carte n°7 : Le projet avorté de boucle
ferroviaire en Afrique de l'Ouest 90
Carte n°8 : Les itinéraires
planifiés par le SDUGA pour les systèmes de transport de
grande
capacité 92
Carte n°9 : Les ponts d'Abidjan 101
Carte n°10 : Les principaux projets routiers dans
le Grand Abidjan 103
Carte n°11 : La portion de voie L160 dans le
quartier de la pharmacie Belle Vue, Angré, Cocody
123
Carte n°12 : Abobo et Port-Bouët, communes en
marge des réseaux de transport 133
Tables des photographies
Photo n°1 : Un gbaka abidjanais à Yopougon
37
Photo n°2 : Un woro-woro accidenté à
la Riviera Palmeraie, Cocody 43
Photo n°3 : L'état d'avancement du
4e pont au 14 janvier 2021 78
Photo n°4 : Un navire stationné dans le
port de pêche du Port autonome d'Abidjan 84
Photo n°5 : Un écran d'information de
l'entreprise Lumiplan à la gare STL de Treichville 98
Photo n°6 : une barrière floquée de
l'inscription « Plateau- Smart City » 114
Photo n°7 : Un express de la ligne 205
Angré-Gare Sud à son terminus à Angré 127
Photo n°8 : Un arrêt de bus de la SOTRA
à Angré, Cocody 131
155
Table des matières
Sommaire 4
ABRÉVIATIONS 6
INTRODUCTION GÉNÉRALE 8
PREMIERE PARTIE : CARACTERISTIQUES DE LA METROPOLISATION
D'ABIDJAN 26
CHAPITRE 1 : UNE CAPITALE AFRICAINE OÙ
PRÉDOMINE LE SECTEUR ARTISANAL DANS LES MOBILITÉS 27
1- Une capitale économique macrocéphale qui
polarise les flux de transport au sein du pays 27
A) Abidjan, moteur politique et économique d'un PED
dynamique 27
B) Le hub national des flux humains et marchands 30
2- Des mobilités urbaines dominées par le transport
artisanal 33
A) Des mobilités urbaines caractéristiques d'une
ville des Suds 33
B) Structuration du transport artisanal abidjanais 37
C) De l'artisanal à l'informel : les limites du
contrôle exercé par la puissance publique 41
3- Évolutions de la place de la SOTRA dans les
mobilités et introduction de nouveaux acteurs
conventionnés : vers l'officialisation de la fin d'un
monopole ? 45
A) Évolutions du monopole de la SOTRA depuis
l'indépendance 45
B) Apparition de nouveau acteurs formels et projet de
modification de la convention de la Sotra 50
CHAPITRE 2 : LES SIGNAUX DE LA MÉTROPOLISATION
52
1- Caractéristiques de la métropolisation d'Abidjan
: vers une métropole africaine ? 52
A) Abidjan, métropole régionale à
l'ambition mondiale 52
B) Un exemple d'une spécificité africaine ? 54
2- Des dix communes initiales au « Grand Abidjan
» : nouveaux moyens, nouvelle échelle pour penser les
transports abidjanais 56
A) 2012 et le retour de la stabilité politique, de la
croissance et des investissements 56
B) Retour de la planification urbaine et agrandissement rapide
du cadre de pensée : vers le Grand
Abidjan 58
PARTIE 2 : LE FUTUR DU TRANSPORT ABIDJANAIS : AMBITIONS,
ACTEURS, MOYENS 61
Chapitre 3 : Une volonté de faire d'Abidjan un
leader régional 62
1- Les ambitions de l'État : Abidjan, premier hub de la
sous-région 62
A) Un objectif annoncé de retrouver sa place de
première économie de l'Afrique de l'Ouest 62
B) Améliorer son insertion dans l'économie
globalisée : Abidjan, fer de lance de la quête de
l'émergence 64
C) Des objectifs sociaux 66
2- Les enjeux identifiés au niveau des transports 67
A) Une mobilité urbaine à restructurer 67
B) Des infrastructures de transport international au défi
de la croissance 71
C) La place grandissante de la protection de l'environnement
73
3- Ses moyens d'action : l'arsenal administratif mis en
place pour des efforts de planification urbaine 74
A) Le retour d'une autorité centrale de la
mobilité à échelle métropolitaine : l'AMUGA 74
B) Des objectifs chiffrés et délimités dans
le temps 77
C) La mise en place de cellules d'action
spécialisées et éphémères 79
Chapitre 4 : les projets dans les transports
82
1- Les projets d'infrastructures à influence
extranationale 82
A)
156
Le Port Autonome d'Abidjan, une infrastructure aux
aménagements nombreux et importants 82
B) L'augmentation des capacités dans le domaine
aérien 86
C) Un secteur ferroviaire de plus en plus marchand 89
2- Vers une mobilité urbaine moderne 90
A) Vers un transport en commun de masse axé et
structuré 90
B) Vers un système aux opérateurs multiples mais
interopérables 96
C) Modernisation et intégration des NTIC dans les
mobilités 97
3- L'effort porté sur les infrastructures routières
100
A) Trois nouveaux ponts prévus sur la décennie
2014-24 100
B) Des efforts portés sur des axes rapides 102
C) Un réseau routier de plus en plus revêtu 103
PARTIE 3 : ABIDJAN, UN EXEMPLE DE VILLE NEOLIBERALE DANS
LES TRANSPORTS ? 105
Chapitre 5 : Aspects néolibéraux dans les
transports 106
1- Des politiques urbaines qui laissent une place croissante aux
acteurs privés 106
A) Le Build-Operate-Transfer : étude de cas du pont HKB
106
B) Des infrastructures et activités de transport de plus
en plus concédées 109
C) Avantages et limites du système de concession 111
2- Une ville attractive orientée vers l'offre : les
transports au service de la croissance 113
A) Le marketing urbain dans les mobilités : le Plateau,
Smart City 114
B) Objectifs de croissance et modèle de ville 116
3- Des externalités négatives difficiles
à maitriser pour un État contraint par de grands besoins de
résultats 117
A) Le rêve de l'émergence : entre espoir et
pression 117
B) Des efforts pour un développement durable et inclusif
119
Chapitre 6 : les conséquences sociales des projets
dans les transports 122
1- Des améliorations générales notables
122
A) Les bénéfices de l'extension du réseau
revêtu 122
B) Amélioration notable du réseau Sotra : un
transport en commun intercommunal et accessible, fer
de lance d'une politique sociale dans les mobilités 125
2- Une mobilité urbaine toujours limitée 127
A) Un coût de la mobilité toujours très
élevé, notamment pour les moins aisés 128
B) Des temps de transport toujours élevés
notamment depuis les périphéries 128
C) Un facteur d'amélioration encore
délaissé : les NTIC 130
3- Des aménagements qui bénéficient d'abord
aux classes les plus intégrées 132
A) La centralité des aménagements : zoom sur les
communes d'Abobo et Port-Bouët 132
B) Quid d'Adjamé ? 135
CONCLUSION GÉNÉRALE 137
BIBLIOGRAPHIE 140
ANNEXES 146
TABLES 154
TABLE DES MATIERES 155
|