Conclusion partielle :
En définitive, il ressort que les personnes en
quête d'asile à Agadez sont majoritairement jeunes et de
nationalité soudanaise. C'est une population vulnérable
comprenant des enfants séparés ou non accompagnés et des
femmes cheffes de ménages.
Les mobiles de la demande de protection englobent le conflit
au Darfour, la diminution de l'assistance dans les camps, l'absence de travail,
la sécurité, les conflits communautaires et l'opportunisme. Le
choix du Niger comme destination relève de la contrainte au travers les
expulsions en provenance de l'Algérie. D'autres avancent les conditions
sécuritaires favorables pour justifier le choix. Pour le
troisième groupe, c'est un appel d'air. Les itinéraires sont
complexes avec un départ des camps (réfugiés ou IDPs) pour
finir dans un camp à Agadez.
En termes de dispersion géographique les migrants
africains y compris Soudanais préfèrent s'installer au sud de la
Libye où est installée déjà une forte diaspora
africaine. Cette stratégie permet de faciliter l'accès au
logement, à l'emploi et les envois au pays d'origine. Une chaine de
solidarité locale existe dans les villes du sud : Sebha et Al Gatrone.
Elle se développe dans un contexte de baisse du racisme qu'on retrouve
dans les villes de Tripoli. Le sud est dominé par des Toubous qui ont
des ramifications familiales au Niger, au Tchad et Soudan. C'est pourquoi les
migrants de ces pays préfèrent fuir les humiliations du Nord bien
que cette région offre plus d'opportunités et d'emploi.
Cependant, au sud comme au nord la situation est marquée par la
persistance des emprisonnements et des kidnappings de migrants.
Dans une Libye en plein désastre sécuritaire,
politique et économique le kidnapping est devenu une activité
rentable à laquelle s'adonnent avec aisance les milices et des personnes
privées en l'absence de perspectives locales.
258
Conclusion générale
Le présent travail d'étude et de recherche a
permis de mettre en évidence la place de choix qu'occupe la migration
dans les relations entre l'UE, ses États membres et le gouvernement du
Niger. Cette collusion s'accompagne d'un durcissement de la législation
migratoire au Niger. Ainsi, entre 2010 à 2020 le pays a
élaboré et adopté plusieurs textes dans ce sens. Il s'agit
de l'ordonnance sur la traite des personnes, la loi 2015-36 sur le trafic
illicite des migrants, la stratégie nationale de lutte contre la
migration irrégulière et la politique nationale de migration.
Sur le plan institutionnel, au registre des changements
enregistrés, figurent la mise en place de l'agence nationale de lutte
contre la traite des personnes et le trafic illicite de migrants, la commission
nationale de lutte contre la traite de personnes, le cadre de concertation sur
la migration dotée d'un secrétariat permanent, les sous-groupes :
migration et sécurité, migration et protection, groupe de travail
sur la migration. Notons en sus l'adoption d'un nouveau format de rencontre
incluant une réunion préparatoire, une réunion technique
et une réunion politique. L'objectif de cette approche est d'ouvrir un
espace de discussion entre le Niger et l'Union européenne ou ses pays
membres sur les progrès réalisés dans le cadre de
l'endiguement de la migration de transit, les défis et les
perspectives.
Côté force de défense et de
sécurité, il est noté la mise en place de l'Unité
GARSI au niveau de la gendarmerie nationale, la division investigation
spéciale en charge de la lutte contre la migration
irrégulière, les compagnies mobiles de contrôles des
frontières (CMCF). Ces éléments qui paraissent
isolés constituent la machine mobilisée pour lutter contre la
migration dite irrégulière de transit. Cette injonction de l'UE
se traduit par une focalisation sur la migration de transit au Niger en
direction de la Libye et de l'Algérie reléguant au second rang le
fait que le pays soit avant tout un espace de départ. Elle
réoriente de facto les modalités de gestion de la migration au
Niger. Par-delà, il est noté une évolution des pratiques
administratives marquée par des arrestations, des emprisonnements, la
promotion du retour volontaire des migrants et le refoulement aux
frontières de personnes dites en situation irrégulière.
Ces constats confirment notre première hypothèse de travail qui
postule que la collaboration entre l'UE et le Niger vise à endiguer la
migration de transit en direction de la Libye et l'Algérie.
Avec l'opérationnalisation du fonds fiduciaire, il est
noté sur le terrain la présence de plusieurs acteurs oeuvrant
dans le domaine de la migration. Il s'agit des acteurs étatiques qui
s'approprient de plus en plus la thématique (la commission nationale des
droits de l'Homme, la Médiature de
259
la République, les ministères de
l'Intérieur, de la Justice, de la promotion de la femme et la protection
de l'enfant), les organisations non gouvernementales internationales :IRC, MDM,
CRN, MSF, APBE, COOPI, INTERSOS, MEDU, CIAUD-Canada, AIRD, des agences de
développement : GIZ, AFD, Lux dev et des agences onusiennes OIM, HCR,
HCDC, PNUD. Ces acteurs interviennent avec des projets spécifiques
souvent avec des financements de l'UE et/ou ses États membres. On note
aussi la mise en place de projets transnationaux dans le but de combattre la
migration dite irrégulière. Ces interventions sur une petite
ville comme Agadez avec le déploiement de staffs sur le terrain ont
conduit à une prolifération des acteurs oeuvrant dans le domaine
de la migration. Ainsi, l'analyse de la dimension économique met en
exergue une économie de transit anéantie par les mesures de lutte
contre la migration irrégulière. C'est un business animé
par des acteurs multiples comme le connecteur international, le coxeur, le
gérant de ghetto, les transporteurs, les vendeurs de bois, turban,
lunettes, des taxis motos. Ces acteurs ont pour trait commun l'offre de service
aux migrants. Cela inclut, le transport, l'hébergement et le convoyage
des migrants, et la vente d'article comme le turban, les lunettes et le bois.
Il est également noté l'émergence d'une économie de
l'anti transit et une économie de l'humanitaire. Cette économie
est une interaction entre l'humanitaire-le développement et une
élite économique et intellectuelle pouvant mettre à
disposition des maisons en location, exécuté des appels d'offres
ou ayant le profil pour se faire recruter dans une agence humanitaire.
En lien avec la collaboration de l'UE, le Niger a mis en place
un dispositif pour lutter contre la migration de transit. Celui-ci implique le
renforcement du contrôle aux frontières, le refoulement, la
reconduite aux frontières et le démantèlement des
réseaux. Une telle dynamique a participé aux reconfigurations
d'une ville de transit comme Agadez. Celle-ci peut s'apprécier par la
prolifération des gares. En effet, de moins de 5, il y a quelques
années, Agadez compte aujourd'hui plus de 10 gares modernes. Même
si, cela n'est pas uniquement lié à la migration, les changements
dans le secteur du transport ont contribué à son
développement. Ces compagnies de transports convoient les migrants de
leurs pays d'origine (Mali, Burkina Faso, Togo, RCI et Sénégal)
jusqu'à Agadez. Cette offre de transport permanente a facilité la
liaison entre les villes de l'Afrique de l'ouest et Agadez. Par-delà, la
prolifération des gares de transport est le reflet de l'intense
mobilité qui caractérise cet espace. En effet, elle a
donné lieu à la prolifération des gares informelles
spécialisées dans le transport sur des longues distances (vers la
Libye ou l'Algérie), mais aussi des courtes distances (vers Tabelot).
Dans ces espaces sont souvent embarqués les migrants vers les communes
voisines de la commune urbaine d'Agadez. Cette stratégie s'inscrit dans
une logique de se soustraire aux contrôles des forces de l'ordre
260
mais aussi pour échapper aux taxes. Les
véhicules Hiace occupent ces gares informelles en général
car ils sont moins suspects que les voitures talibanes. Ils font donc l'objet
de moins de contrôle. Pour les migrants, il faut à tout prix
sortir d'Agadez pour être dans les communes voisines ou les jardins afin
d'attendre le transporteur. Il y a donc un changement des lieux d'embarquement
des migrants de la gare classique vers les gares informelles et puis vers la
périphérie de la ville et les communes voisines. Les
embarquements deviennent alors plus clandestins.
L'impact des politiques d'externalisation sur le parcours
individuel des migrants et des lieux traversés s'apprécient aussi
à travers les lieux d'hébergement dans les villes de transit
notamment à Agadez. Ces espaces appelés couramment ghettos ou
foyers servent de lieux d'hébergement aux migrants durant leur transit
vers l'Afrique du Nord. Pour le besoin de l'organisation du voyage vers le
Nord, les foyers constituent des lieux d'attente des migrants. Les foyers
étaient localisés un peu partout dans la ville : centre, zone
intermédiaire et périphérie. Ils étaient connus et
tolérés. L'embarquement des migrants se faisait dans les rues ou
les gares classiques. Les occupants sont également visibles puisqu'ils
passent le matin ou l'après-midi à patienter, discuter devant la
porte. Ce sont donc des espaces ouverts connus de tous. Leurs occupants
entretiennent également des relations commerciales avec le voisinage
à travers l'achat de glaces, cigarettes, allumettes, médicaments,
riz ou autres condiments nécessaires à la cuisine.
Dans la dynamique des lieux, notons également la baisse
des flux ascendants vers le Nord, selon l'OIM en 2016 le nombre de migrants
entrés dans la région était de 111 230 personnes. Ce
nombre correspond au pic des flux entrants. Il chute en 2017 à 99 455
pour tomber à 18 093 personnes au premier semestre de l'année
2018. Ces chiffres ne sont pas exempts de critique quand on sait que depuis
l'application de la loi 2015-36 la tendance des migrants, des passeurs est
à la clandestinisation.
À Agadez, un changement important est à
souligner, celui des moyens de transport avec l'introduction des
véhicules de type Hilux. Sur les destinations en direction de l'Afrique
du Nord, les voitures talibans surnom donné à ce type de
véhicules ont révolutionné le transport. Les
voitures-talibans ont réduit la durée du voyage entre
les deux espaces de 6 à 7 jours auparavant, à 2 à 3 jours
aujourd'hui. Légers, pouvant contenir 20 à 25 personnes, il est
très adapté à la traversée du désert. Les
voitures-talibans ont permis une réorganisation de la chaine de
transport, mais aussi du coût du voyage.
261
Les politiques en cours dans le domaine de la migration ont
donné naissance également à des nouvelles aires
d'embarquement des passagers. Certes dans certains cas, les chargements ont
toujours lieu à la gare ou dans les ghettos mais force est de constater
qu'il n'y a plus de transport de migrants internationaux vers l'Afrique du Nord
à partir de la gare d'Agadez. La loi 2015-36 a eu cette lourde
conséquence sur l'Ecogare. Toutefois, certains propriétaires
notamment ceux chargeant dans les gares continuent d'opérer dans la
clandestinité passant ainsi du transport irrégulier au transport
dans la clandestinité. Ainsi, on note des cas où les
départs de migrants ont lieu sur la route de Zinder en
périphérie d'Agadez à destination de la Libye ou
l'Algérie. D'Agadez, les migrants sont transportés par des motos
jusqu'à la sortie de la ville. Une fois hors de la ville, ils sont
hébergés dans des jardins pendant quelques jours avant
d'être repris par les passeurs. En somme, les politiques en cours ont
donné lieu aux déplacements des espaces de chargements des
migrants hors de la ville ou bien avant Agadez. Dans certains cas, le mode
opératoire des passeurs consiste à contourner la ville d'Agadez.
Sur le terrain, il y a une invisibilité totale des transports des
migrants internationaux vers l'Afrique du Nord à partir de cette
ville.
L'analyse des actions de lutte contre la migration de transit
à travers le Niger a eu des répercussions sur les trajectoires
des migrants. Ainsi, il est signalé de plus en plus l'émergence
de routes secondaires. Les migrants utilisent ces trajectoires afin
d'échapper aux contrôles de la police.
Cette pratique de contournement des postes de police s'inscrit
dans une dynamique d'adaptation face aux contraintes de mobilités. Elle
rend de plus en plus vulnérable les migrants, car leur parcours se fait
dans la clandestinité. Le contournement des postes de polices
transfrontaliers est très développé en particulier au
niveau du poste de Maymoujiya. Cette situation peut être liée
à la dépendance des convoyeurs, à l'absence de
documentation et au passage de migrants non ressortissants de la CEDEAO. Sur
cet axe l'évitement des postes débute au nord du
Nigéria.
Sur cet axe la nouvelle route consiste à éviter
les postes de police tout au long de la route entre Zinder et Agadez. Les
transporteurs sont contraints d'abandonner la route bitumée dans
certains cas pour éviter les FDS. Une autre stratégie, est de
déposer les migrants à quelques kilomètres de la ville
d'Agadez.
Sur l'axe Tahoua-Agadez la même pratique est en vigueur.
Les migrants choisissent de voyager par Hiace et non via les bus pour
être moins visibles. À quelques kilomètres de la ville,
avec la
262
complicité des chauffeurs, ils changent de moyen de
transport. La moto est alors préférée pour contourner le
poste, et rentrer à Agadez.
Dans la ville d'Agadez aussi plusieurs stratégies sont
développées par les passeurs pour faire sortir les migrants.
Certains sortent à l'aube, d'autres en journée notamment aux
heures de prières comme celle du vendredi.
Aussi, avec la promotion du retour volontaire, émerge
le phénomène de migration inversée. L'ouverture de
l'espace d'asile est accompagnée de l'afflux à Agadez de
personnes en quête de protection. Dans ce contexte, les parcours des
migrants se reconfigurent donnant lieu à des trajectoires complexes
prenant naissance dans les camps de réfugiés ou
déplacés du Tchad ou du Darfour pour terminer dans les cases de
passages des demandeurs d'asile à Agadez. La trajectoire des migrants
inclut également les pays d'Afrique de l'Ouest, du Centre, l'Afrique du
Nord pour se retrouver à Agadez. Cette reconfiguration des trajectoires
migratoires confirme notre deuxième hypothèse de travail selon
laquelle l'externalisation des politiques migratoires européennes au
Niger reconfigure les parcours des migrants.
Dans ce contexte, Agadez ville de transit se reconfigure en
espace d'attente. L'attente comprend l'attente institutionnelle pour laquelle
on dénombre d'une part les candidats au retour volontaire et les
prétendants à l'asile, d'autre part, des personnes
coincées à Agadez en raison des politiques restrictives ayant
pour conséquence la rareté de l'offre de transport. L'attente a
transformé la ville avec la mise en place de dispositifs d'accueil. Il
s'agit du centre de transit de l'OIM, le centre humanitaire régional,
les cases de passages, l'espace d'hébergement solidaire et enfin les
ghettos de plus en plus localisés en périphérie. Notons
également une mutation dans les espaces d'embarquement des migrants de
la gare aux ghettos, garages, ménages et les jardins situés
à la périphérie de la ville. Ces éléments
participent à la transformation de la trame urbaine d'une ville de
transit comme Agadez. Par-delà, le cantonnement et éloignement
des migrants suscitent des tensions à Agadez de la part de la population
hôte, des migrants et demandeurs d'asile. Ces éléments
confirment notre troisième hypothèse qui soutient que la
collaboration entre l'Union européenne et le Niger dans le domaine de la
migration reconfigure les lieux de transit.
En termes de perspectives, nous comptons consacrer nos
prochains travaux aux déplacements forcés de population. Avec la
dégradation de la situation sécuritaire aux frontières et
dans certaines parties du territoire, il est noté une augmentation du
nombre de personnes en quête d'asile et des déplacés
internes au Niger. Il parait utile de comprendre le mécanisme de
263
protection de ces groupes, leur insertion dans les espaces
d'accueil et le retour dans les zones de départ.
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