Conclusion partielle
L'analyse de la dynamique des lieux dans le contexte
d'externalisation des politiques migratoires a permis de mettre en exergue que
la position géographique du Niger en tant que carrefour entre le Sahel
et le Sahara a motivé son choix par les Européens. Les flux de
migrants qui accèdent au Niger y transitent pour se rendre en Libye et
éventuellement sur les côtes européennes. Cette dynamique
est renforcée par de longues et poreuses frontières que le Niger
partage avec ses voisins. Dans ce contexte et en lien avec la collaboration de
l'UE, le Niger a
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mis en place un dispositif pour lutter contre la migration de
transit. Celui-ci inclus le renforcement du contrôle aux
frontières, le refoulement, la reconduite aux frontières et le
démantèlement des réseaux. Une telle dynamique a
participé aux reconfigurations d'une ville de transit comme Agadez.
Celle-ci peut s'apprécier par l'émergence des nouvelles routes de
transport des migrants, la baisse des flux ascendants vers le Nord, le
changement des lieux d'hébergement des migrants et un changement des
lieux d'embarquement des migrants ainsi que des moyens de transport. Agadez
apparait de plus en plus comme une ville sanctuarisée où les
sorties des migrants vers la Libye ou l'Algérie sont
systématiquement contrôlés. Seuls les Nigériens y
sont autorisés.
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Troisième partie : Appréhender
l'externalisation à l'aune des parcours migratoires
La troisième partie traite des parcours des migrants
dans un contexte d'externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger. Elle met en évidence, la transformation
progressive de la ville d'Agadez, point de transit historique, en espace
d'attente pour les migrants voulant se rendre en Libye ou en Algérie.
Par-delà, elle rend compte des conditions de retour des migrants ouest
africains de Niamey à Dakar dans le cadre du retour volontaire
assisté mis en oeuvre par l'OIM avec le soutien financier de l'UE.
Enfin, l'ouverture de la protection internationale dans le contexte de la
migration mixte à Agadez est abordée.
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Chapitre 7 : Agadez, espace d'attente pour les
migrants en partance ou de retour du Maghreb ?
Au Niger, la migration de transit a connu son essor au
début des années 2000. Elle va se consolider à la suite de
la chute du régime du Guide libyen, interlocuteur de l'Union
européenne (UE) pour le contrôle des frontières de la
Méditerranée centrale. Instable et sans État, la Libye
n'arrive plus à accomplir cette tâche. C'est ainsi que l'UE se
tourne vers le Niger pour contenir en amont les migrants dans ce pays, afin de
limiter l'accès à la Libye et conséquemment aux
côtes libyennes (Boyer et Chappart 2018 ; Brachet, 2018). Dans la
foulée, la loi 2015-36 de lutte contre le trafic de migrants est
votée et mise en application dans la région d'Agadez. A cela
s'ajoutent plusieurs actions visant à bloquer les migrants dans cette
ville. Ainsi, depuis 2016, commence à émerger une forme d'attente
des migrants à Agadez. Il est donc utile d'analyser comment le contexte
politique particulier d'Agadez a impacté les parcours des migrants ? Et
comment il a participé à créer / accentuer les situations
d'attente ?
L'attente est considérée « comme un
paradigme pour penser les sociétés en déplacement, pour
s'interroger sur la capacité des discours, des pratiques et des
infrastructures de la mobilité à créer des arrêts
aussi bien que du mouvement » (Vidal et Musset, 2015). C'est dans ce cadre
théorique que nous allons analyser la situation des migrants à
Agadez selon 4 axes. Le profil des migrants, les facteurs de l'attente, ses
manifestations et les lieux d'attentes.
7.1 Les profils des migrants ouest-africains
coincés à Agadez 7.1.1 Caractéristiques
socio-démographiques
Sur un échantillon de 105 répondants, les
résultats indiquent que 88, 5 % sont de sexe masculin contre 10,4 % qui
sont des femmes. L'âge moyen est de 26 ans. Ces chiffres cachent beaucoup
de disparités. En effet, au cours de la collecte de données, il
est ressorti que l'âge des migrants varie entre 18 et 27 ans. On note
parmi eux la présence de mineurs, car 21 % des répondants ont
moins de 18 ans à la date de notre passage.
181
Photo 22 : Des migrants convoyés par OIM en attente
dans la gare 3STV Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet
2017
L'analyse du statut matrimonial des migrants
révèle une large prédominance des célibataires
(57,1%) contre 40,9 % de mariés et 0,9 % de divorcés. Là
aussi les résultats croisés révèlent que cette
prédominance s'explique par le poids des jeunes dans notre
échantillon. Dans l'ensemble le profil des répondants met en
exergue des jeunes, célibataires, ayant suivi un enseignement
général, et originaires de l'Afrique de l'Ouest et centrale.
7.1.2 Pays d'origine et compétences
linguistiques
Les répondants sont nés dans 11 pays d'Afrique
de l'Ouest et du Centre. Le Sénégal, la Côte d'Ivoire et le
Nigéria se distinguent dans l'échantillon. À l'inverse, le
Cameroun, la Guinée Bissau et la Gambie se trouvent moins
représentés. Cette sous-représentation est à
relativiser, et ne peut faire l'objet de généralisation par
rapport au flux de migrants transitant par Agadez. Elle correspond juste aux
migrants interrogés dans un contexte de répression de la
migration dite irrégulière. Toutefois, on peut noter que la
migration vers l'Afrique du Nord prend de l'ampleur dans plusieurs pays
d'Afrique de l'Ouest et du centre dès le début des années
2000. « L'accroissement du nombre de migrants s'est fait avec la
diversification des pays de provenance. D'abord sahélienne, elle va
s'étendre à toute l'Afrique de l'Ouest, pour devenir
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une migration africaine. 4/5 des migrants transitant par
Agadez vont en Libye et le reste en Algérie. Le Nigéria fournit
45% des flux » (Bensaâd, 2002). Cela s'explique par la
persistance de la crise dans certains pôles économiques
traditionnels qui deviennent du jour au lendemain des pays de départ
(Sénégal, Nigéria, Côte d'Ivoire).
L'analyse des zones de provenance montre que les
ressortissants sénégalais et gambiens viennent du milieu rural
alors que les Camerounais, Nigérians, Ivoriens et Libériens
proviennent en majorité du milieu urbain : Bénin City,
Yaoundé, Douala, Abidjan, Freetown et Monrovia. Ce constat a
été déjà fait dans certains pays sahéliens
comme le confirment ces propos : « dans certains pays du Sahel (Mali,
Mauritanie, Sénégal), massivement la jeunesse des villes vient
rejoindre celle de contrées rurales au passé migratoire plus
ancien dans un projet commun : partir au Nord. Jamais projet n'a
rencontré autant de suffrages au sein d'une jeunesse tant urbaine que
rurale et nourri autant de rêves, de fantasmes et d'imaginaires. Bien que
plus ou moins soutenus dans cette initiative par leurs familles et les parents
déjà partis, la démarche d'émigrer n'en est pas
moins discrète, parfois solitaire et secrète »
(Timéra, 2001).
Les migrants disposent de compétences linguistiques
variées. On y dénombre le français, l'anglais en sus des
langues vernaculaires comme le peul, le djoula, le wolof et le mandinka.
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