Le Niger offre des portes d'entrées officielles sur
son territoire à travers ces différents postes de police
frontaliers au nombre de 18 selon une présentation de la DST lors d'une
session de formation de ses agents sur la protection internationale dans le
contexte des mouvements mixtes en décembre 2019 à Arlit. Ainsi,
dans la région de Tillabéri on peut noter le poste
transfrontalier de Yassan, canal d'entrée d'une bonne partie des flux en
provenance du Mali qui mène jusqu'à
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Niamey et les postes frontaliers de Makalondi et Petel Koli
(voir carte 9) sur la frontière avec le Burkina Faso. Par ces deux
derniers postes entre l'essentiel du flux migratoire qui traverse le pays en
direction de l'Afrique du Nord. En effet, ils regroupent les flux en provenance
du Burkina Faso, du Mali, de la Gambie, de la Guinée-Bissau, de la
Guinée Conakry, du Sénégal, de la Sierra Leone, du
Liberia, du Ghana, de la Côte d'Ivoire et marginalement du Togo.
Enfin, le poste frontalier de Gaya concentre les flux en
provenance du Bénin, du Togo, du Ghana et marginalement de la Côte
d'Ivoire. C'est un point d'entrée d'importance moindre par rapport aux
précédents. Au centre du pays, le poste frontalier de Birni
N'Konni capte une partie des flux en provenance ou en transit du
Nigéria.
Carte 8 : Itinéraire de migrants de l'ouest vers le
Nord
Source : Notre étude
La particularité de ces flux est qu'ils se rencontrent
au niveau de la route nationale N° 1 à partir de Birni N'Konni. On
a donc les flux en provenance du Golfe de Guinée (Sénégal,
Guinée, Cote d'Ivoire, Ghana, Togo, Bénin) du Sahel central (Mali
et Burkina Faso) et d'une partie du Nigéria et du Cameroun qui se
retrouvent sur la même route en direction de Tahoua. Birni N'Konni est
donc un point stratégique dans la jonction entre le sud et le nord du
Niger. À partir
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de Tsernawa la route migratoire continue sur Tahoua, puis
Abalak avant d'atteindre la région d'Agadez, point de transit
stratégique pour les migrants.
Au centre du pays, ce sont les postes frontaliers de Dan issa
(région de Maradi) et de Maimoujia (région de Zinder) qui
concentrent l'essentiel des flux en provenance ou en transit du Nigeria. On y
dénombre des ressortissants de l'Afrique de l'Ouest et Centrale. De tous
ces points d'entrées, celui de Maimoujia présente le plus
d'enjeux stratégiques, car il draine plusieurs milliers de migrants par
an : c'est par là que transite la majorité des flux en provenance
du Nigéria. Or, les Nigérians représentent la
2ème communauté de migrants en transit à
Agadez.
Dans l'extrême est du pays, deux points d'entrée
sont à noter celui de N'Guigmi-frontière Tchad qui ouvre vers
Diffa, Zinder et Agadez. Pour les flux qui passent par ce point d'entrée
l'itinéraire classique se recoupe au niveau de la ville de Zinder devenu
carrefour secondaire, car elle accueille à la fois les flux en
provenance de l'Afrique de l'ouest et centrale. Ces flux sont alors
drainés vers Agadez en transitant par Tanout.
Carte 9 : Itinéraire des migrants du centre et de
l'est vers le nord
Source : Notre étude
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Quels que soient l'origine ou l'itinéraire à
partir du Niger, qu'ils soient sud ou est les flux se retrouvent dans la
commune d'Agadez, carrefour stratégique/ point de jonction entre
l'Afrique subsaharienne et le Maghreb. À partir de cette ville, deux
possibilités s'offrent aux migrants : l'Algérie et la Libye. Dans
les deux cas, la route migratoire classique est la suivante :
Dans l'extrême Est du pays à N'Guigmi une route
migratoire (carte 11) était active au moment du pic de l'exploitation
d'or du Djado. Elle vit des flux en provenance du Tchad, de Centrafrique, du
Cameroun et du Soudan. Sa particularité c'est qu'elle contourne les
capitales régionales de Diffa et Agadez pour rejoindre le Kawar. Les
points de passages incluent N'Guigmi, N'gourti, Bidouharam, Balabri, Zao,
Bilma, Madama et Gatroun (Libye).
Carte 10 : Itinéraire des migrants de
l'extrême est au nord
Source : notre étude
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6.1.2 Des frontières poreuses, une tradition de
mobilité
Sur les 5 697 km que le Niger partage avec ses voisins
au-delà des points d'accès officiels, la porosité des
frontières est un facteur favorable à la mobilité humaine.
Celle-ci est renforcée par la longue histoire commune, car de part et
d'autre vivent des populations de même culture, souvent de même
famille que le tracé des frontières a divisé. Ainsi,
à l'ouest du Niger à Makalondi vivent des deux côtés
de la frontière des populations gourmantchés, à Petel Koli
des populations peules se partagent entre les deux pays, tout comme des
populations Sorko dans la zone de Yassan. Ces populations ont des liens
très anciens et partagent souvent les mêmes infrastructures
(santé, éducation, marché, puits) et une bonne
connaissance du milieu. Avec les difficultés de franchissement des
frontières, ces communautés utilisent les motos pour contourner
les postes de police. Cependant, cette pratique de mobilité des
communautés est affaiblie depuis quelques années avec la
généralisation de l'état d'urgence dans toute la
région de Tillabéri et l'interdiction de la circulation des motos
et les opérations militaires : Fassa, Almahaw, Saki 2 et Dongo.
Dans le centre-est, dans les régions de Maradi et
Zinder, des communautés haoussa et peuls vivent aussi de part et d'autre
de la frontière avec le Nigeria. Sur cet espace, la porosité des
frontières est un fait. Les populations utilisent divers moyens :
changement de moyens de transport, contournement des postes de police pour
circuler d'un endroit à un autre. Ici, l'espace est utilisé comme
lieu de contrebande dans le but de se soustraire aux charges douanières
et aux tracasseries administratives des fonctionnaires des services
d'immigration.
Dans l'extrême sud-est, la situation sécuritaire
dans le bassin du Lac Tchad avec le déploiement des forces armées
le long des frontières n'a pas permis une sécurisation parfaite
de la frontière. En dépit de l'état d'urgence, les
populations arrivent à circuler entre le Niger, le Nigeria et le Tchad.
Au Nord, la situation sécuritaire en Libye et le caractère
particulier du désert font que chaque acteur peut tracer sa voie pour se
rendre en Libye ou en Algérie. Les populations touarègues et
toubous ont une forte tradition de mobilité en lien avec leur mode de
vie nomade. Elles mettent à profit leurs connaissances du terrain pour
se rendre d'un pays à un autre. L'espace est utilisé pour la
contrebande des produits alimentaires, manufacturés, l'essence, les
produits prohibés et les êtres humains.
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Carte 11 : Routes migratoires à travers le
Niger
Source : Notre étude
Autre fait majeur qui impacte la mobilité dans cette
partie du Niger, ce sont les enjeux des puissances occidentales autour du
Sahara. Ainsi, on note la présence d'une base militaire française
à Madama (fermée en 2018) à la frontière avec la
Libye et une américaine à Agadez. Ces forces
étrangères surveillent le Sahara ; en particulier, les
États-Unis ont installé à Agadez leur plus importante base
de drones en Afrique de l'Ouest. Cette présence dissuade les populations
à passer par les postes officiels notamment la ville de Dirkou comme le
souligne le vice maire de Dirkou :
« Par essence ce sont des gens qui sont un peu
réfractaires aux forces de défense et de sécurité
même s'ils sont en règle parce que c'est une perte de temps pour
eux même pour montrer les papiers. Deuxièmement c'est un raccourci
pour eux de ne pas passer par Dirkou, c'est au moins 100l d'essence de moins et
aujourd'hui avec la technologie les gens ont accès aux moyens modernes
de voyage. Ils ont des GPS, des téléphones thuraya, ils ont tout
de façon à ne pas craindre le désert et ils ont des
véhicules performants de la dernière génération qui
peuvent faire ce tronçon-là très aisément donc on
n'a pas besoin de passer par Dirkou. Si tu passes à Dirkou même si
toi on ne te dit rien tu sais que tes passagers ce sont des gens qui ne sont
pas en règle que tu as transportés on peut les garder est-ce que
tu vois ? Donc voilà un peu les raisons pour lesquelles les gens se
cachent pour éviter les barrières, pour éviter les forces
de l'ordre. » (Entretien vice maire Dirkou, Agadez, novembre
2016).
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L'armée nigérienne effectue également des
patrouilles terrestres. Les échanges d'informations entre les
armées étrangères et celle du Niger aboutissent à
une relative sécurisation de l'espace contre les terroristes et
trafiquants, mais influent la migration, car on note un cas où les
passeurs disent avoir été arrêtés par l'armée
française. Mais toujours est-il qu'entre le Niger et le Maghreb la
porosité des frontières est un atout à la mobilité
humaine.
6.2 La lutte contre la migration de transit au Niger
6.2.1 La frontière comme obstacle à la
mobilité
Pour endiguer la migration dite irrégulière,
une des premières actions entreprises par l'État du Niger et ses
partenaires est le renforcement des capacités des forces de
défense et de sécurité. L'idée est de former des
hommes dont la mission essentielle est la gestion des frontières. Dans
cette perspective, la frontière devient un objet qui présente
beaucoup d'enjeux dont il faut assurer la gestion quotidienne. Ceux-ci
concernent les flux migratoires et les considérations
sécuritaires dans un contexte de lutte contre le terrorisme. Pour
prévenir les flux migratoires par exemple, les agents aux
frontières doivent être en mesure de détecter des faux
documents, maitriser les techniques de fouille, prendre des empreintes
digitales. Dans ce cadre, le Niger est accompagné par la GIZ, l'OIM,
Eucap Sahel et l'UE.
Ainsi, dans le cadre de la gestion des flux migratoires, aux
postes de police, les voyageurs n'ayant pas la documentation requise ne sont
plus amendés et autorisés à entrer sur le territoire comme
auparavant. Ils sont simplement interdits d'accès au territoire et
refoulés. On note donc un changement de stratégie. On passe de
l'amende au bénéfice du trésor public au refoulement pour
défaut de documents.
En dehors de l'application de la loi, sur certains postes de
police dont celui de N'Guigmi , instructions a été données
aux agents de ne pas permettre l' accès au territoire aux Camerounais et
Soudanais même s'ils sont en possession des passeports et visa. Pour les
Tchadiens il est exigé un passeport alors que pendant des
décennies les ressortissants de ce pays ont traversé cette
frontière sur la base d'un laissez-passer délivré par les
autorités de part et d'autre de la frontière.
En fait, que ce soit dans l'ouest du Niger ou le bassin du
lac Tchad, le gouvernement profite de l'état d'urgence et des mesures de
lutte contre la migration pour utiliser la frontière comme un espace de
sélection et de refoulement des voyageurs qui prétendent au
passage.