E-réputation et image de soi : les réseaux sociaux entre réalité et mise en scène - le cas d'Instagrampar Maïwenn CHERIN UFR SLHS Franche-Comté - Master 2 Information - Communication 2019 |
Université de Franche-Comté UFR SLHS - Département Information-communication Besançon Master 2 Sciences de l'information-communication Parcours Professionnel E-réputation et image de soi : les
réseaux sociaux entre réalité et mise en
scène Mémoire de fin d'études présenté par Maïwenn Cherin Sous la direction de : Madame Hélène Romeyer 7 Juillet 2019 1 Remerciements Je tiens à remercier Madame Hélène Romeyer de son suivi et ses conseils pour la réalisation de ce mémoire, Je remercie les étudiants de Master 2 Sciences de l'information-Communication pour leurs conseils et leur soutien tout au long de ce master, Merci également aux professeurs de sciences de l'information communication de l'Université de Besançon pour m'avoir fait acquérir les connaissances m'ayant permis de réaliser ce mémoire. 2 Table des matières Introduction 04 I. Développement de la photographie face à l'influence de la télévision et d'Internet : l'évolution des usages 13
3.1 Evolution du web 24 3.2 Instagram : le réseau social de la mise en scène 26 II. La mise en visibilité et la mise en scène de soi dans le processus de construction identitaire 30
3.1 Exposition de soi : de l'intime au public 39 3.2 Intimité et extimité : se montrer et se cacher des autres pour se construire 40 3.3 Différentes façons de se montrer sur les réseaux sociaux 43 III. E-réputation et recherche de visibilité et d'estime sociale pour la quête de reconnaissance et du sentiment d'appartenance 45
3.1 Les codes Instagram 54 3.2 Les risques pour l'image de soi dans la recherche d'appartenance et de reconnaissance 57 IV. Conclusion 60 V. Bibliographie 64 VI. Sitographie 65 VII. Annexes 73
VIII. Résumé 81 3 Introduction gé né raléLe développement des usages d'internet a radicalement modifié le rapport à l'information que possèdent les individus. Avec les réseaux sociaux, les internautes ont vu leur statut de simple récepteur des médias, notamment avec la télévision, la presse ou la radio, s'ériger vers celui d'acteur de la communication. Désormais, les individus ont la possibilité de créer l'information, de la diffuser, avec par exemple, en phénomène de mode, les détournements de photos et mèmes1 qui circulent sur internet. La capacité de pouvoir participer à la production, dont sur les réseaux sociaux en créant du contenu ajouté (photographies, textes), a amené une surproduction de l'information dans laquelle chacun se sent noyé et tente d'exister. Au départ, les réseaux sociaux n'étaient accessibles qu'à un nombre limité de personnes, que ce soit par la fracture numérique qui ne donnait pas accès à internet de manière égale à tous, ou par certains médias qui étaient, au départ, réservés à certains groupes d'individus. Aujourd'hui, les internautes sont présents sur plusieurs médias sociaux en fonction de ce qu'ils en attendent. Nous comptons plus d'un milliard d'individu utilisateur d'au moins un réseau social2. Ils les manipulent alors continuellement et non plus dans un contexte exceptionnel. Les réseaux sociaux font partie du quotidien et amènent les individus à se réfugier dans la masse informationnelle. Mais surtout, les informations écrites n'ont plus le monopole sur internet. Depuis 2013, c'est l'image qui a repris le dessus dans les échanges, car plus elle a plus d'impact et est davantage appréciée. Ce renouveau a lancé les individus dans une course à la photographie, au selfie, à la monstration de soi et de son environnement. Ceci, combiné avec la recherche perpétuelle de j'aime, de partages, de commentaires à tout prix, amène au final à une recherche de la valorisation de son image que l'on partage avec les autres. Les photographies de soi sont devenus les moyens d'échanger, de communiquer. Le seul moyen d'avoir des retours de sa communauté est d'être « soumis au jugement » des autres, notamment par ce système j'aime et de commentaires. Ce cercle amène les individus, mais notamment les jeunes entre 15 et 18 ans en pleine construction d'eux-mêmes, et les jeunes de 19 à 28 ans, en période de confirmation de leur identité, à se servir des réseaux sociaux pour se construire identitairement. Les réseaux sociaux et leur dynamique intéressent les chercheurs depuis le XXème siècle, déjà bien avant l'engouement moderne pour les médias sociaux. Nous avons choisi comme sujet les réseaux socionumériques de partage car c'est un phénomène actuel complexe qui suscite de nombreux questionnements concernant le rapport des individus à leur image et à leur identité. C'est pourquoi 1 Mème : « C'est un élément de langage reconnaissable et transmis par répétition d'un individu à l'autre » Source : Wikipédia. (Consulté le 16 novembre 2018) < https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A8me> 4 nous avons axé notre sujet d'étude sur le réseau social Instagram car il est un réseau de partage de photographies et qu'il incarne au mieux notre étude. Lorsque nous étudions les réseaux sociaux, nous remarquons que chacun possède ses spécificités : partage de contenu écrits, relai d'informations, publication d'images, etc. Désormais, les médias sociaux en vogue sont ceux qui permettent d'échanger principalement des contenus multimédias tels que Snapchat et Instagram. Il est important de comprendre à travers ces enquêtes que l'image est désormais au centre des interactions sociales, que ce soit par la photographie, le GIF, les vidéos, les avatars, etc. Au départ, l'image était utilisée dans l'art ou le cinéma mais les smartphones et les médias sociaux ont vu apparaître un nouveau concept : la phonéographie3 qui est le fait de prendre des photographies avec son téléphone portable. Désormais, prendre des photos est devenu accessible à tout le monde, il suffit de sortir son smartphone et d'immortaliser un instant. Mais avec cette facilité, l'image a perdu de sa sacralisation et est partageable à l'infini, sans difficultés d'espace ou de temps. Le sujet de notre mémoire porte sur ces nouvelles utilisations des photographies sur les réseaux sociaux. La réalité et la mise en scène sont deux notions totalement opposées dans leur sens mais forment une continuité sur les réseaux sociaux. Il est désormais possible avec les technologies actuelles de modifier des images, modifier leur apparence, choisir le décor, les apparats et recommencer à l'infini. La photographie est censée être un outil de représentation de la réalité, elle est censée représenter la vérité, c'est ce qui la rend dangereuse car les individus peuvent faire croire n'importe quoi à n'importe qui. Mais sur les réseaux sociaux, les clichés ne sont que pures mises en scène. Ce constat fait naître un questionnement autour de la mise en scène et de la réalité auquel nous allons tenter de répondre dans ce mémoire. Il aide à mieux comprendre ce qui amène les Millennials et les digital natives à s'exposer sur internet de manière quotidienne et à se mettre en scène sur les clichés. La portée pluridisciplinaire de notre étude l'inscrit dans les sciences de l'information-communication et des sciences sociales et humaines. A travers ces recherches et notre sujet, nous nous inscrivons dans le champ de la communication numérique, mais nous allons également soumettre un point de vue de la sociologie et de la psychologie sociale, domaines pionniers de la recherche sur les réseaux sociaux.4 3 Prendre des photographies avec des appareils mobiles. Source : DJEBLI Yasmine, ALEXIS Ophélie. Instagram : La réalité qui se cache derrière nos photos. Master SHS UPEM, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, Les mondes numériques. 21 janvier 2017 4 AZAM, Martine, et AINHOA de Federico. Sociologie de l'art et analyse des réseaux sociaux. Sociologie de l'Art, vol. opus 25 & 26, no. 1, 2016, pp. 13-36 5 "L'être humain ne se perçoit comme humain que s'il a la possibilité de commenter intérieurement des situations dans lesquelles il est plongé".5 Serge Tisseron à travers cette citation, voulait marquer le fait que les individus veulent raconter des expériences car ce sont des moyens "de se constituer soi-même en sujet conscient de cette expérience". Les personnes vont se créer "un imaginaire" qui, d'après le docteur en psychologie, serait matérialisé par les réseaux sociaux. C'est une manière d'exister, de parler aux autres mais avant tout de se parler à soi-même. Les réseaux sociaux ont amené une ambiguïté dans leurs usages auprès des individus, oscillants entre le désir d'intimité et celui de se montrer.6 De ce fait, il y a un paradoxe entre le sens commun pensant que la monstration sur les réseaux sociaux est uniquement une affaire de "narcissisme". Les usages nous laissent sentir davantage un besoin de se trouver identitairement et d'être reconnu auprès des autres que de vouloir assoir son identité. Ces nouveaux usages des réseaux sociaux créent une rupture avec ce pour quoi ils ont été inventés. Le terme de "réseau social" est inventé en 1954 par l'anthropologue John Arundel Barnes. Il fut utilisé pour définir "des ensembles de relations entre individus ou entre groupes sociaux". D'abord utilisé en informatique, il fut repris par les sciences sociales. Il aura fallu attendre 1995 pour voir apparaître les réseaux sociaux sur internet par Randy. Ensuite ces réseaux se développèrent plus tard au XXIème siècle grâce aux nouvelles technologies numériques, qui ont fait évoluer les moyens de communication.7 Les utilisateurs des réseaux sociaux sont issus de toutes les générations d'internet et du numérique. Ce sont ceux qui ont connu les prémices des ordinateurs, puis ceux qui ont grandis dans une génération "ultra-connectée". D'après le site BDM8, sur 3.8 milliards d'internautes dans le monde, donc utilisant internet (soit 51% de la population mondiale), 3 milliards sont présents sur les réseaux sociaux, c'est à dire 86% de la population connectée. Nous pouvons nous interroger sur un tel engouement. Cependant, d'après Fanny Georges9, ce sont surtout les nouvelles générations qui sont enclins à utiliser les réseaux sociaux dans un souci de représentation de soi, car l'adolescence est la période de la construction de leur identité. Nous pouvons ainsi faire le constat que désormais, l'image est devenue un moyen plus efficace pour parler aux communautés, partager, comme l'explique Hannah Arendt10. Désormais, le besoin de se montrer est devenu prioritaire. Peut-être qu'au centre de tous ces réseaux et des internautes de plus en plus nombreux sur la toile, de l'importance que jouent ces réseaux sur le quotidien et les relations sociales, être présent sur le net est une nécessité pour la plupart des individus. La réalité quotidienne 5 TISSERON, Serge. Les nouveaux réseaux sociaux sur internet. Psychotropes, vol. 17, no. 2, 2011, pp. 99-118. 6 TISSERON, Serge. Les nouveaux réseaux sociaux sur internet. Psychotropes, vol. vol. 17, no. 2, 2011, pp. 99-118. 7 Overblog. L'histoire des réseaux sociaux. 28 janvier 2016. 8 COEFFE Thomas. Les 50 chiffres à connaître sur les médias sociaux en 2018. Leblogdumoderateur, 28 décembre 2017. 9 GEORGES, Fanny. Représentation de soi et identité numérique. Une approche sémiotique et quantitative de l'emprise culturelle du web 2.0. Réseaux, vol. 154, no. 2, 2009, pp. 165-193. 10 CAUNE, Jean. La médiation culturelle : une construction du lien social. Les enjeux de l'information et de la communication, 1999, vol. 1. 6 n'a plus de réelle importance face à la personnalité virtuelle, que les usagers tentent d'alimenter et d'entretenir. Ne pas être présent sur les réseaux sociaux en revient à être isolé du reste du monde car c'est désormais sur internet que tout se passe. Le besoin de partager des contenus personnels sur les médias vient d'après nos recherches principalement du besoin de reconnaissance sociale. Le réseau social représente notre individualité, il rassure en permettant de « se réapproprier des situations relationnelles que le monde physique ne propose plus » (Georges, 2009). On intègre ces interactions que l'on a sur le web à notre identité. Il est possible via ces réseaux de se montrer, d'exister, de se créer une identité. Chaque individu veut se sentir exister, et pour cela il doit être reconnu par ses pairs (Alain Caillé, 2007)11. C'est à travers la reconnaissance de son "soi" de la part de l'autre que l'on créé son image, que l'on éduque son rapport à soi-même. Axel Honneth, lui, parle du besoin de reconnaissance pour ne pas devenir invisible socialement.12 Donc pour être reconnu auprès du public dans l'espace public et privé que représente internet. À l'inverse des médias de masse tels que la télévision ou le cinéma, ici ce ne sont pas des personnalités publiques ou acteurs qui se montrent dans la sphère publique. Désormais, ce sont les personnes issues de la sphère privée qui se mettent en avant avec Internet. Il n'y a pas le même rapport à l'image. Les médias traditionnels renvoient à la fiction, à travers les dispositifs de mise en scène de l'action, en créant de toute pièce des personnages auxquels les personnes peuvent s'attacher voire s'identifier. Le web a changé ce rapport à la fiction et à la représentation des individus en rendant ambigüe la réalité sous le principe de fonctionnalisation. C'est à dire qu'internet permet de rendre fictionnel sa réalité en s'inventant une personnalité, un quotidien, en se mettant en scène soi-même. Il n'y a plus de réelle distinction entre ce qui est réel et ce qui ne l'est pas. Le paradoxe entre la sphère publique et privée est que l'on peut préserver son identité. Comme exemple de ce paradoxe entre réel et fiction, Jean-Michel Fourcade13 parle du lien entre l'impact des réseaux sociaux et de la téléréalité. Les adolescents et jeunes, dans leur construction, ont besoin de l'image qu'ils ont des autres pour se construire et ont tendance à s'identifier aux autres afin de se créer une identité. Le fait de regarder les téléréalités déclenche chez les individus un besoin de s'identifier à eux car ils sont à l'image des téléspectateurs : des gens lambda. De plus, la relation que nous pouvons faire entre les réseaux sociaux et la téléréalité est surtout le dispositif de monstration. En effet, les émissions télévisuelles où l'on peut regarder plusieurs individus filmés jour et nuit servent de miroir aux usages des médias sociaux. Déjà parce que l'on accepte de montrer ce 11 FUGIER, Pascal. Alain Caillé, La quête de reconnaissance. Nouveau phénomène social total. Lectures. Les comptes rendus, 18 avril 2008 12 PRADO DE OLIVEIRA, Luiz Eduardo. Axel Honneth : La société du mépris. Vers une nouvelle Théorie critique. Figures de la psychanalyse, vol. 18, no. 2, 2009, pp. 267-268. 13 FOURCADE, Jean-Michel. Ces corps qui nous fascinent : une nouvelle étude souligne à quel point les émissions de télé réalité et les réseaux sociaux ont un impact redoutable sur l'image de soi des ados. Atlantico. 2018 l 7 que l'on veut que l'on voie de nous. Il y a une orchestration du quotidien, une mise en scène de leur vie dans le jeu télévisuel. Il n'est montré de ces émissions seulement ce que veut la production, des instants qui plairont aux téléspectateurs. On manipule l'image des joueurs afin que cela donne une représentation d'eux particulière auprès des spectateurs. Les réseaux sociaux fonctionnent sur le même schéma de fond : les internautes décident de ce qu'ils veulent montrer d'eux même aux autres. Autre point commun : le rapport entre intimité et public. Dans les deux cas, on expose des moments de son intimité, il n'y a plus réellement de discernement entre ce que l'on peut réellement voir et ce que l'on nous montre, entre ce qui devrait être de l'ordre de l'intime mais devient public. Une des visions de la représentation de soi sur internet est que les réseaux sociaux permettent de pouvoir se créer différentes images de soi (Fanny George, 2009)14. Il existe plusieurs "soi" car nous ne sommes pas la même personne en fonction du contexte. Antonio Casilli15 développe une idée de « typologie corporelle dimensionnelle » selon laquelle les individus développent différentes images d'eux à travers différentes dimensions de lecture. Ces différentes images chez les utilisateurs des réseaux sociaux vont être exposées dans ce mémoire sous différentes dimensions : le pseudo de l'individu pour s'affirmer dans ses références, l'image utilisée que l'individu se donne pour se représenter. Il y a donc plusieurs possibilités pour les utilisateurs des réseaux sociaux de changer leur identité. La représentation de soi sur le web ne se fait pas uniquement à partir de l'image physique que l'on renvoi, mais également à partir de sa culture. Fanny Georges insiste sur le fait que les médias sociaux « nourrissent un modèle culturel de l'identité »16, car en effet, ce que l'on donne à voir ou lire de nous montre qui nous sommes socialement et culturellement. Malgré certaines idées, le fait d'être présent sur les réseaux sociaux n'est pas forcément dû à un choix personnel mais émane d'une pression sociale qui nous pousse vers le dévoilement de soi. Axel Honneth parle indirectement de cette pression dans « Lutte pour la reconnaissance » 17 en parlant « d'horizon de valeurs commun ». Cette notion implique que les individus sont régis par certaines règles pour exister dans l'espace public médiatique. L'horizon de valeurs commun est l'ensemble des normes partagées par les individus, que l'on trouve normal. Ainsi, sur internet, pour être visible, il faut se montrer, partager des contenus, utiliser certaines règles (hashtags, émoticônes, etc.) car cela fait partie de cet horizon. Cette pression s'exprime sur plusieurs points de vue, qu'elle soit sociale car pratiquée par les pairs : aujourd'hui, les jeunes s'expriment via internet pour s'inviter, communiquer, 14 GEORGES, Fanny. Représentation de soi et identité numérique. Une approche sémiotique et quantitative de l'emprise culturelle du web 2.0. Réseaux, vol. 154, no. 2, 2009, pp. 165-193. 15 CASILLI, Antonio. Être présent en ligne : culture et structure des réseaux sociaux d'Internet. Idées économiques et sociales, vol. 169, no. 3, 2012, pp. 16-29. 16 GEORGES, Fanny. Représentation de soi et identité numérique. Une approche sémiotique et quantitative de l'emprise culturelle du web 2.0. Réseaux, vol. 154, no. 2, 2009, pp. 165-193. 17 BERTEN André. Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance. Traduit de l'allemand par Pierre Rusch. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 99, n°1, 2001. pp. 135-139. 8 échanger, elle se pratique dans les études avec la création de groupes de travail sur les réseau sociaux (celui qui n'a pas internet n'a pas accès aux données de la classe) mais elle a lieu également dans le monde professionnel, avec par exemple, une certaine obligation d'être sur Linkedin pour trouver un emploi et être vu des employeurs. Il est important également de souligner que les réseaux sociaux constituent un auditoire, un public que l'on doit convaincre. La mise en scène de l'utilisateur se fait sous différentes approches. On peut parler d'ethos numérique18, l'art de convaincre sur internet, convaincre de ce qu'on est ou de ce que l'on veut être auprès des autres. Ruth Amossy parlait de discours à travers l'image19. Les individus utilisent alors des performances, à la manière d'Ervin Goffman pour plaire à chaque récepteur, à la diversité des auditoires d'internet. Ervin Goffman20 compare justement les réseaux sociaux à une pièce de théâtre où chaque détail est le résultat d'une préparation en amont avant le dévoilement final au public. D'un point de vue économique, les médias sociaux sont sources de profit pour les entreprises voire pour ses utilisateurs. Les jeunes sont souvent la cible de marques. Celles-ci profitent de l'engouement des individus, de leur popularité auprès de leur communauté pour faire parler d'elles et exploiter l'image des personnes. Cette marchandisation de l'image permet aux marques de pouvoir bénéficier d'une publicité sur les réseaux sociaux grâce à des partenariats et gratuitement. Elles proposent le plus souvent un produit contre son apparition sur un profil. Ce phénomène a entraîné une création de nouveaux emplois sur le net tel que celui « d'influenceur ». C'est-à-dire que certaines personnes connues ou non (la plupart du temps) sont rémunérées par les marques pour faire parler d'elle au quotidien. Cet aspect montre l'influence des marques et des organisations sur les usages des personnes, à l'instar de la téléréalité. De plus, internet encourage le rapprochement des individus, les rapports entre eux. C'est ainsi que se développe des phénomènes d'entraide et de partage, avec par exemple, la création et la consommation collaborative. Ces nouvelles pratiques permettent d'échanger, partager avec d'autres individus. D'après l'article du site consoglobe.com21, il y a derrière ces pratiques une volonté de restaurer le lien social et d'interagir avec autrui. Elles permettent certes de créer une autre économie mais surtout de rapprocher les individus entre eux. De par notre expérience, nous pouvons citer l'exemple du covoiturage souvent plus utilisé "pour ne pas faire la route seul et pouvoir discuter avec quelqu'un" que pour des raisons économiques. Elles se retrouvent désormais partout : covoiturage, cohabitation, cocréation de contenu, etc. Dans tous les cas, la principale observation que l'on peut faire sur la représentation de soi sur le net, est qu'elle crée une limite ambigüe entre l'espace privé et l'espace public. Dominique Cardon dans 18 LACHANCE Jocelyn. L'éthos de l'adolescent dans les mondes numériques : le rôle des destinataires », Itinéraires, 01 juillet 2016 19 AMOSSY, Ruth. L'éthos et ses doubles contemporains. Perspectives disciplinaires. Langage et société, vol. 149, no. 3, 2014, pp. 13-30. 20 GOFFMAN, Ervin. La mise en scène de la vie quotidienne 1. La présentation de soi. Paris : Les éditions de minuits, 1973 21 PETIT, Pauline. Adolescents et réseaux sociaux : c'est grave docteur. Consoglobe, 9 juin 2016 9 son article « Les réseaux sociaux en ligne et l'espace public » analyse le développement de l'internet et des réseaux sociaux, mettant en évidence cet entremêlement entre l'intimité et le public. Les jeunes, qui avant partageaient simplement des messages entre eux sur des plateformes de conversations spontanées et qui restaient dans l'ordre du privé, partagent désormais des contenus aux yeux de presque tous. À l'inverse, ce qui relevait de l'espace public, donc du partage d'informations pour le l'intérêt commun se retrouve envahis par des informations d'ordre privées. Il avance le fait que les individus ne sont plus passifs dans l'information mais désormais acteur, car ce sont eux qui la créé. Les réseaux sociaux démocratisent ces usages pour exprimer des pratiques d'expression de soi. «Les écrans numériques ne sont plus seulement une porte ouverte vers un monde de documents froids et distants, mais une fenêtre vivante et bavarde sur la vie quotidienne des utilisateurs.»22 Plusieurs auteurs ont défendu un point de vue sur les pratiques des jeunes sur les réseaux sociaux, sur leur rapport aux individus ainsi que celui avec eux-mêmes. Nous pouvons, d'après nos lectures, penser que les réseaux sociaux sont un moyen, à l'ère actuelle où internet fait partie du quotidien, de se construire soi-même et de construire son rapport aux autres. « Sans la reconnaissance, l'individu ne peut se penser en sujet de sa propre vie » (Honneth dans Prado, 2009)23. Il est alors important d'étudier les pratiques sur internet pour la représentation de soi. Au départ, les réseaux sociaux servaient à pouvoir communiquer avec ses proches. Au fur et à mesure, ils ont permis d'échanger avec plus de personnes, sur de plus grandes distances, même avec des personnes qui n'étaient pas proches de nous. Maintenant, la réalité est tout autre : nous continuons à échanger mais différemment, nous communiquons par l'image. L'évolution des différents réseaux sociaux marquent ce fait. Avant les réseaux sociaux les plus utilisés étaient ceux qui servaient à produire des contenus, parler tel Facebook, MSN, Myspace. Désormais, les réseaux en vogue sont ceux où l'on peut partager des contenus multimédias (photographie, vidéos). Cela prouve l'importance qu'a prise l'image dans les rapports avec autrui. Nous évoluons d'une communication vers les autres à une communication pour soi et par soi. Serge Tisseron (2011) parle en effet d'échanges "dans les espaces virtuels qui sont non-adressés"24 donc adressés à soi. Cependant, il faut faire attention aux conséquences que les réseaux sociaux peuvent avoir sur les comportements. Instagram représente une source de complexe et d'anxiété de l'image car on confronte son image, mais l'on est surtout confrontée à celle des autres que l'on idéalise. Francis Jauréguiberry (2013) nous parle de déconnexion »25de certaines personnes qui veulent échapper aux dictats d'internet, de son influence sur le quotidien. 22 CARDON, Dominique. Les réseaux sociaux en ligne et l'espace public. L'Observatoire, n°37, p. 74-78 23 PRADO DE OLIVEIRA, Luiz Eduardo. Axel Honneth : La société du mépris. Vers une nouvelle Théorie critique. Figures de la psychanalyse, vol. 18, no. 2, 2009, pp. 267-268. 24 TISSERON, Serge. Les nouveaux réseaux sociaux sur internet. Psychotropes, vol. 17, no. 2, 2011, pp. 99-118 25 JAUREGUIBERRY, Francis. Déconnexion volontaire aux technologies de l'information et de la communication. 2013 10 Les enjeux de se mémoire sont de montrer que l'utilisation des réseaux sociaux par les jeunes ne se fait pas uniquement dans un contexte narcissique mais désormais dans une recherche constante de reconnaissance sociale et identitaire, un besoin d'appartenance auprès des autres pour se sentir exister. Les échanges photographiques sur les réseaux sociaux, et en particulier Instagram, ont amené un bouleversement de l'usage de l'image. Auparavant objet de la représentation symbolique de la réalité, elle a autrement changé pour devenir un objet symbolique de mise en scène du soi et de la mise en relation avec l'autre. La réalité devient soudain fiction, la réalité sur l'identité représentée des individus n'est plus. D'après ces constats, nous aurons pour interrogation centrale la question ci-dessous : « En quoi le réseau social Instagram, par le partage de photographies, est-il devenu un outil de construction identitaire et sociale chez les 18-30 ans ? » Cette problématique montre que le développement des réseaux sociaux a fait évoluer notre rapport à nous-même, à notre image, notre identité. L'individu s'est toujours construit au contact des autres, depuis la naissance. Mais cette construction de l'identité qui se faisait dans les rapports physiques se font désormais dans les liens virtuels. Le fait de partager son image avec les autres permettrait de se découvrir, de façonner son identité et son image, auprès de soi et auprès des autres. Nous pouvons alors émettre trois hypothèses : Notre première hypothèse est que l'usage de la photographie et des médias avec l'évolution d'Internet ont amené les individus à tenter de partir à la quête de leur identité sur les réseaux sociaux. Auparavant ils étaient uniquement des outils d'échange avec la communauté mais sont utilisés désormais pour se créer son identité, montrer une représentation de soi, créer une mise en scène de soi et de son quotidien dans le but de se créer une image d'eux-mêmes qui leur conviendrait et conviendrait à leurs pairs. Le réseau social Instagram est un outil de reconnaissance identitaire. C'est-à-dire que le média social est un moyen d'être reconnu de ses pairs à travers son image. Le fait de poster des images de soi revient à soumettre son identité au jugement des autres, qui vont nous reconnaître ou non par le système de commentaire ou de j'aime. Poster des photos sur les réseaux sociaux en vient à se découvrir, découvrir à quoi l'on ressemble, et si notre image est validée par la communauté. Ce qui nous amène à notre deuxième hypothèse : Instagram comme outil de reconnaissance sociale. Les individus vont chercher à se connaître et à exister dans leurs relations avec les autres, dans le partage d'informations. Le fait d'être suivi sur les réseaux sociaux, d'être intégré à des groupes constituent des éléments de reconnaissance sociale. Nous savons également que l'identité des individus se forge à travers le contact avec les autres. 11 De là découle notre troisième hypothèse : Instagram comme outil d'appartenance. Les productions que nous faisons sur internet nous révèle notre identité, c'est le réseau que l'on se créé et dans lequel on se sent admis. Instagram constitue des normes sociales auxquelles les utilisateurs doivent se soumettre pour être admis par les autres, et reconnu. Mais parfois, certains individus quittent internet pour ne justement plus se sentir inclus dans un groupe virtuel qui les coupe de leur réalité. Du point de vue méthodologique pour répondre à notre problématique et confirmer ou infirmer nos hypothèses, nous avons d'abord pratiqué une recherche documentaire auprès d'auteurs et scientifiques ayant abordé les sujets connexes. Il est nécessaire d'interroger un public hétérogène mais surtout âgé entre 18 et 30 ans. J'ai donc réalisé une enquête par entretiens (Annexe 1) sur un cet échantillonnage, sur des individus issus de classes sociales et de villes différentes en France, afin de recueillir les informations hétérogènes directement auprès des personnes concernées et d'obtenir des explications plus poussées de ces usages. Les recherches effectuées ne permettent pas de pouvoir réellement questionner les individus plus âgés car ils sont le moins enquêtés dans les sujets de recherche autour des réseaux sociaux. Leur usage des médias sociaux est différent de celui des plus jeunes, davantage touchées par l'utilisation des réseaux sociaux au quotidien. Il est important d'interroger des milieux sociaux différents, d'études différentes afin de confirmer les hypothèses. Le fait d'interroger un public qui n'est pas homogène permet de pouvoir faire des typologies de publics, et réaliser des profils à travers les comportements en fonction de chaque personne et déterminer ce qui joue sur le besoin de représentation de soi en ligne. Nous avons ensuite, pour l'étude des entretiens, retranscrit ceux-ci à l'écrit (Annexe 2) et les avons analysés selon une grille. (Annexe 3) Enfin, j'ai également fait une analyse de contenu des données photographiques : j'ai analysé plusieurs clichés pris sur Instagram, ainsi que l'ensemble des photographies de ces comptes, en vérifiant bien que les personnes concernées aient entre 18 et 30 ans. Mais pour des problèmes de résultats, je ne me suis pas arrêtée à la France. Pour trier les clichés qui m'intéressaient, j'ai fait mon corpus à partir de hashtags populaires, seul moyen d'obtenir des résultats de recherche. Pour les analyser, nous avons réalisé une grille d'analyse (Annexe 4) dans laquelle nous avons répertorié les éléments sémantiques des photographies. Nous avons ensuite comparé les informations de terrain et l'analyse de contenu afin d'en tirer des conclusions. Afin d'expliquer notre démarche et de démontrer nos hypothèses, ce mémoire s'articulera en trois parties qui correspondront à nos hypothèses de recherche. Dans une première partie, nous développerons l'évolution des médias et d'internet, puis de la photographie et des réseaux sociaux afin de comprendre le contexte évolutif des jeunes individus et leurs usages. Ensuite, dans une seconde partie sera analysée les techniques de monstration de soi pour sa recherche identitaire. Puis, dans une dernière partie, nous introduirons le concept du besoin de reconnaissance sociale, et d'appartenance des individus via le réseau social Instagram. 12 I. Développement de la photographie face à l'influence de la télévision et d'Internet : l'évolution des usagesLes individus ont toujours eu un rapport fort aux images et aux médias visuels, de l'invention des premiers prototypes à ce qui deviendra plus tard l'appareil photographique, en passant par la télévision, jusqu'à Internet. Les médias iconographiques se sont modernisés et s'est créé un processus d'adaptation mutuelle entre le média et l'individu. Les appareils se sont adaptés aux changements sociétaux et les individus se sont adaptés aux évolutions technologiques. Avec l'amélioration des prototypes, le développement des moyens de production et de reproduction de l'image, les usages de la photographie ont changés. Ces progrès ont fait évoluer l'attachement des personnes aux images, allant peu à peu de la sacralisation vers la banalisation de celle-ci et de sa représentation en tant que support de la réalité vers un support de la mise en scène. 1. Evolution de la télévision et influence sur les jeunes 1.1 La télévision et son rapport au spectateur |
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