Université de Franche-Comté
UFR SLHS - Département Information-communication
Besançon
Master 2 Sciences de l'information-communication
Parcours Professionnel
E-réputation et image de soi : les
réseaux sociaux entre réalité et mise en
scène Le cas d'Instagram
Mémoire de fin d'études présenté
par
Maïwenn Cherin
Sous la direction de : Madame Hélène Romeyer
7 Juillet 2019 [Juillet]
1
Remerciements
Je tiens à remercier Madame Hélène Romeyer
de son suivi et ses conseils pour la réalisation de ce
mémoire,
Je remercie les étudiants de Master 2 Sciences de
l'information-Communication pour leurs conseils et leur soutien tout au long de
ce master,
Merci également aux professeurs de sciences de
l'information communication de l'Université de Besançon pour
m'avoir fait acquérir les connaissances m'ayant permis de
réaliser ce mémoire.
2
Table des matières
Introduction 04
I. Développement de la photographie face à
l'influence de la télévision et d'Internet : l'évolution
des usages 13
1. Evolution de la télévision et influence sur les
jeunes 13
1.1 La télévision et son rapport au spectateur
13
1.2 La téléréalité 16
2. Evolution de la photographie 18
2.1 Evolution des moyens de reproduction 18
2.2 Evolution des usages de la photographie 21
3. Influence et développement d'Internet 24
3.1 Evolution du web 24
3.2 Instagram : le réseau social de la mise en
scène 26
II. La mise en visibilité et la mise en scène de
soi dans le processus de construction identitaire 30
1. S'exposer sur les réseaux sociaux : de la recherche de
soi à la mise en scène de son identité 30
1.1 La recherche de son identité 30
1.2 L'exposition de soi théâtralisée 34
2. Identités multiples 37
2.1 Identité réelle et numérique 37
3. Espace public et espace privé 39
3.1 Exposition de soi : de l'intime au public 39
3.2 Intimité et extimité : se montrer et se cacher
des autres pour se construire 40
3.3 Différentes façons de se montrer sur les
réseaux sociaux 43
III. E-réputation et recherche de visibilité et
d'estime sociale pour la quête de reconnaissance et du sentiment
d'appartenance 45
1. Le besoin de reconnaissance des individus 45
1.1 La recherche de visibilité pour la reconnaissance
45
1.2 L'image de soi sur Internet 48
2. L'image de soi comme objet de marketing 51
2.1 Les techniques de promotion de soi pour la reconnaissance
51
3. Le sentiment d'appartenance dans la communauté
d'Instagram 54
3.1 Les codes Instagram 54
3.2 Les risques pour l'image de soi dans la recherche
d'appartenance et de reconnaissance 57
IV. Conclusion 60
V. Bibliographie 64
VI. Sitographie 65
VII. Annexes 73
2. Annexe 2 : Exemple entretien 74
3. Annexe 3 : Grille d'entretiens 76
4. Annexe 4 : Grille d'analyse de contenu 77
5. Annexe 5 : Hypersexualisation sur les photographies Instagram
78
6. Annexe 6 : Maddisonyates 78
7. Annexe 7 : Fitjudi 79
8. Annexe 8 : Luci.ella193 79
9. Annexe 9 : Montrer des lieux beaux et monuments exceptionnels
80
VIII. Résumé 81
3
Introduction gé né ralé
Le développement des usages d'internet a radicalement
modifié le rapport à l'information que possèdent les
individus. Avec les réseaux sociaux, les internautes ont vu leur statut
de simple récepteur des médias, notamment avec la
télévision, la presse ou la radio, s'ériger vers celui
d'acteur de la communication. Désormais, les individus ont la
possibilité de créer l'information, de la diffuser, avec par
exemple, en phénomène de mode, les détournements de photos
et mèmes1 qui circulent sur internet. La capacité de
pouvoir participer à la production, dont sur les réseaux sociaux
en créant du contenu ajouté (photographies, textes), a
amené une surproduction de l'information dans laquelle chacun se sent
noyé et tente d'exister.
Au départ, les réseaux sociaux n'étaient
accessibles qu'à un nombre limité de personnes, que ce soit par
la fracture numérique qui ne donnait pas accès à internet
de manière égale à tous, ou par certains médias qui
étaient, au départ, réservés à certains
groupes d'individus. Aujourd'hui, les internautes sont présents sur
plusieurs médias sociaux en fonction de ce qu'ils en attendent. Nous
comptons plus d'un milliard d'individu utilisateur d'au moins un réseau
social2. Ils les manipulent alors continuellement et non plus dans
un contexte exceptionnel. Les réseaux sociaux font partie du quotidien
et amènent les individus à se réfugier dans la masse
informationnelle. Mais surtout, les informations écrites n'ont plus le
monopole sur internet.
Depuis 2013, c'est l'image qui a repris le dessus dans les
échanges, car plus elle a plus d'impact et est davantage
appréciée. Ce renouveau a lancé les individus dans une
course à la photographie, au selfie, à la monstration de soi et
de son environnement. Ceci, combiné avec la recherche perpétuelle
de j'aime, de partages, de commentaires à tout prix, amène au
final à une recherche de la valorisation de son image que l'on partage
avec les autres. Les photographies de soi sont devenus les moyens
d'échanger, de communiquer. Le seul moyen d'avoir des retours de sa
communauté est d'être « soumis au jugement » des autres,
notamment par ce système j'aime et de commentaires. Ce cercle
amène les individus, mais notamment les jeunes entre 15 et 18 ans en
pleine construction d'eux-mêmes, et les jeunes de 19 à 28 ans, en
période de confirmation de leur identité, à se servir des
réseaux sociaux pour se construire identitairement.
Les réseaux sociaux et leur dynamique
intéressent les chercheurs depuis le XXème
siècle, déjà bien avant l'engouement moderne pour les
médias sociaux. Nous avons choisi comme sujet les réseaux
socionumériques de partage car c'est un phénomène actuel
complexe qui suscite de nombreux questionnements concernant le rapport des
individus à leur image et à leur identité. C'est
pourquoi
1 Mème : « C'est un
élément de langage reconnaissable et transmis par
répétition d'un individu à l'autre » Source :
Wikipédia. (Consulté le 16 novembre 2018) <
https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A8me>
4
nous avons axé notre sujet d'étude sur le
réseau social Instagram car il est un réseau de partage de
photographies et qu'il incarne au mieux notre étude.
Lorsque nous étudions les réseaux sociaux, nous
remarquons que chacun possède ses spécificités : partage
de contenu écrits, relai d'informations, publication d'images, etc.
Désormais, les médias sociaux en vogue sont ceux qui permettent
d'échanger principalement des contenus multimédias tels que
Snapchat et Instagram. Il est important de comprendre à travers ces
enquêtes que l'image est désormais au centre des interactions
sociales, que ce soit par la photographie, le GIF, les vidéos, les
avatars, etc. Au départ, l'image était utilisée dans l'art
ou le cinéma mais les smartphones et les médias sociaux ont vu
apparaître un nouveau concept : la phonéographie3 qui
est le fait de prendre des photographies avec son téléphone
portable. Désormais, prendre des photos est devenu accessible à
tout le monde, il suffit de sortir son smartphone et d'immortaliser un instant.
Mais avec cette facilité, l'image a perdu de sa sacralisation et est
partageable à l'infini, sans difficultés d'espace ou de temps.
Le sujet de notre mémoire porte sur ces nouvelles
utilisations des photographies sur les réseaux sociaux. La
réalité et la mise en scène sont deux notions totalement
opposées dans leur sens mais forment une continuité sur les
réseaux sociaux. Il est désormais possible avec les technologies
actuelles de modifier des images, modifier leur apparence, choisir le
décor, les apparats et recommencer à l'infini. La photographie
est censée être un outil de représentation de la
réalité, elle est censée représenter la
vérité, c'est ce qui la rend dangereuse car les individus peuvent
faire croire n'importe quoi à n'importe qui. Mais sur les réseaux
sociaux, les clichés ne sont que pures mises en scène. Ce constat
fait naître un questionnement autour de la mise en scène et de la
réalité auquel nous allons tenter de répondre dans ce
mémoire. Il aide à mieux comprendre ce qui amène les
Millennials et les digital natives à s'exposer sur
internet de manière quotidienne et à se mettre en scène
sur les clichés.
La portée pluridisciplinaire de notre étude
l'inscrit dans les sciences de l'information-communication et des sciences
sociales et humaines. A travers ces recherches et notre sujet, nous nous
inscrivons dans le champ de la communication numérique, mais nous allons
également soumettre un point de vue de la sociologie et de la
psychologie sociale, domaines pionniers de la recherche sur les réseaux
sociaux.4
3 Prendre des photographies avec des appareils mobiles. Source :
DJEBLI Yasmine, ALEXIS Ophélie. Instagram : La réalité
qui se cache derrière nos photos. Master SHS UPEM,
Université Paris-Est Marne-la-Vallée, Les mondes
numériques. 21 janvier 2017
4 AZAM, Martine, et AINHOA de Federico. Sociologie de
l'art et analyse des réseaux sociaux. Sociologie de l'Art, vol.
opus 25 & 26, no. 1, 2016, pp. 13-36
5
"L'être humain ne se perçoit comme humain que
s'il a la possibilité de commenter intérieurement des situations
dans lesquelles il est plongé".5 Serge Tisseron à
travers cette citation, voulait marquer le fait que les individus veulent
raconter des expériences car ce sont des moyens "de se constituer
soi-même en sujet conscient de cette expérience". Les personnes
vont se créer "un imaginaire" qui, d'après le docteur en
psychologie, serait matérialisé par les réseaux sociaux.
C'est une manière d'exister, de parler aux autres mais avant tout de se
parler à soi-même. Les réseaux sociaux ont amené une
ambiguïté dans leurs usages auprès des individus, oscillants
entre le désir d'intimité et celui de se montrer.6 De
ce fait, il y a un paradoxe entre le sens commun pensant que la monstration sur
les réseaux sociaux est uniquement une affaire de "narcissisme". Les
usages nous laissent sentir davantage un besoin de se trouver identitairement
et d'être reconnu auprès des autres que de vouloir assoir son
identité.
Ces nouveaux usages des réseaux sociaux créent
une rupture avec ce pour quoi ils ont été inventés. Le
terme de "réseau social" est inventé en 1954 par l'anthropologue
John Arundel Barnes. Il fut utilisé pour définir "des ensembles
de relations entre individus ou entre groupes sociaux". D'abord utilisé
en informatique, il fut repris par les sciences sociales. Il aura fallu
attendre 1995 pour voir apparaître les réseaux sociaux sur
internet par Randy. Ensuite ces réseaux se développèrent
plus tard au XXIème siècle grâce aux nouvelles
technologies numériques, qui ont fait évoluer les moyens de
communication.7 Les utilisateurs des réseaux sociaux sont
issus de toutes les générations d'internet et du
numérique. Ce sont ceux qui ont connu les prémices des
ordinateurs, puis ceux qui ont grandis dans une génération
"ultra-connectée". D'après le site BDM8, sur 3.8
milliards d'internautes dans le monde, donc utilisant internet (soit 51% de la
population mondiale), 3 milliards sont présents sur les réseaux
sociaux, c'est à dire 86% de la population connectée. Nous
pouvons nous interroger sur un tel engouement. Cependant, d'après Fanny
Georges9, ce sont surtout les nouvelles générations
qui sont enclins à utiliser les réseaux sociaux dans un souci de
représentation de soi, car l'adolescence est la période de la
construction de leur identité.
Nous pouvons ainsi faire le constat que désormais,
l'image est devenue un moyen plus efficace pour parler aux communautés,
partager, comme l'explique Hannah Arendt10. Désormais, le
besoin de se montrer est devenu prioritaire. Peut-être qu'au centre de
tous ces réseaux et des internautes de plus en plus nombreux sur la
toile, de l'importance que jouent ces réseaux sur le quotidien et les
relations sociales, être présent sur le net est une
nécessité pour la plupart des individus. La réalité
quotidienne
5 TISSERON, Serge. Les nouveaux réseaux sociaux sur
internet. Psychotropes, vol. 17, no. 2, 2011, pp. 99-118.
6 TISSERON, Serge. Les nouveaux réseaux sociaux sur
internet. Psychotropes, vol. vol. 17, no. 2, 2011, pp. 99-118.
7 Overblog. L'histoire des réseaux sociaux. 28
janvier 2016.
8 COEFFE Thomas. Les 50 chiffres à connaître sur
les médias sociaux en 2018. Leblogdumoderateur, 28 décembre
2017.
9 GEORGES, Fanny. Représentation de soi et
identité numérique. Une approche sémiotique et
quantitative de l'emprise culturelle du web 2.0. Réseaux, vol. 154,
no. 2, 2009, pp. 165-193.
10 CAUNE, Jean. La médiation culturelle : une
construction du lien social. Les enjeux de l'information et de la
communication, 1999, vol. 1.
6
n'a plus de réelle importance face à la
personnalité virtuelle, que les usagers tentent d'alimenter et
d'entretenir. Ne pas être présent sur les réseaux sociaux
en revient à être isolé du reste du monde car c'est
désormais sur internet que tout se passe.
Le besoin de partager des contenus personnels sur les
médias vient d'après nos recherches principalement du besoin de
reconnaissance sociale. Le réseau social représente notre
individualité, il rassure en permettant de « se réapproprier
des situations relationnelles que le monde physique ne propose plus »
(Georges, 2009). On intègre ces interactions que l'on a sur le web
à notre identité.
Il est possible via ces réseaux de se montrer,
d'exister, de se créer une identité. Chaque individu veut se
sentir exister, et pour cela il doit être reconnu par ses pairs (Alain
Caillé, 2007)11. C'est à travers la reconnaissance de
son "soi" de la part de l'autre que l'on créé son image, que l'on
éduque son rapport à soi-même. Axel Honneth, lui, parle du
besoin de reconnaissance pour ne pas devenir invisible
socialement.12 Donc pour être reconnu auprès du public
dans l'espace public et privé que représente internet.
À l'inverse des médias de masse tels que la
télévision ou le cinéma, ici ce ne sont pas des
personnalités publiques ou acteurs qui se montrent dans la sphère
publique. Désormais, ce sont les personnes issues de la sphère
privée qui se mettent en avant avec Internet. Il n'y a pas le même
rapport à l'image. Les médias traditionnels renvoient à la
fiction, à travers les dispositifs de mise en scène de l'action,
en créant de toute pièce des personnages auxquels les personnes
peuvent s'attacher voire s'identifier. Le web a changé ce rapport
à la fiction et à la représentation des individus en
rendant ambigüe la réalité sous le principe de
fonctionnalisation. C'est à dire qu'internet permet de rendre fictionnel
sa réalité en s'inventant une personnalité, un quotidien,
en se mettant en scène soi-même. Il n'y a plus de réelle
distinction entre ce qui est réel et ce qui ne l'est pas. Le paradoxe
entre la sphère publique et privée est que l'on peut
préserver son identité.
Comme exemple de ce paradoxe entre réel et fiction,
Jean-Michel Fourcade13 parle du lien entre l'impact des
réseaux sociaux et de la téléréalité. Les
adolescents et jeunes, dans leur construction, ont besoin de l'image qu'ils ont
des autres pour se construire et ont tendance à s'identifier aux autres
afin de se créer une identité. Le fait de regarder les
téléréalités déclenche chez les individus un
besoin de s'identifier à eux car ils sont à l'image des
téléspectateurs : des gens lambda. De plus, la relation que nous
pouvons faire entre les réseaux sociaux et la
téléréalité est surtout le dispositif de
monstration. En effet, les émissions télévisuelles
où l'on peut regarder plusieurs individus filmés jour et nuit
servent de miroir aux usages des médias sociaux. Déjà
parce que l'on accepte de montrer ce
11 FUGIER, Pascal. Alain Caillé, La quête de
reconnaissance. Nouveau phénomène social total. Lectures.
Les comptes rendus, 18 avril 2008
12 PRADO DE OLIVEIRA, Luiz Eduardo. Axel Honneth : La
société du mépris. Vers une nouvelle Théorie
critique. Figures de la psychanalyse, vol. 18, no. 2, 2009, pp.
267-268.
13 FOURCADE, Jean-Michel. Ces corps qui nous fascinent : une
nouvelle étude souligne à quel point les émissions de
télé réalité et les réseaux sociaux ont un
impact redoutable sur l'image de soi des ados. Atlantico. 2018 l
7
que l'on veut que l'on voie de nous. Il y a une orchestration
du quotidien, une mise en scène de leur vie dans le jeu
télévisuel. Il n'est montré de ces émissions
seulement ce que veut la production, des instants qui plairont aux
téléspectateurs. On manipule l'image des joueurs afin que cela
donne une représentation d'eux particulière auprès des
spectateurs. Les réseaux sociaux fonctionnent sur le même
schéma de fond : les internautes décident de ce qu'ils veulent
montrer d'eux même aux autres. Autre point commun : le rapport entre
intimité et public. Dans les deux cas, on expose des moments de son
intimité, il n'y a plus réellement de discernement entre ce que
l'on peut réellement voir et ce que l'on nous montre, entre ce qui
devrait être de l'ordre de l'intime mais devient public. Une des visions
de la représentation de soi sur internet est que les réseaux
sociaux permettent de pouvoir se créer différentes images de soi
(Fanny George, 2009)14. Il existe plusieurs "soi" car nous ne sommes
pas la même personne en fonction du contexte. Antonio
Casilli15 développe une idée de « typologie
corporelle dimensionnelle » selon laquelle les individus
développent différentes images d'eux à travers
différentes dimensions de lecture. Ces différentes images chez
les utilisateurs des réseaux sociaux vont être exposées
dans ce mémoire sous différentes dimensions : le pseudo de
l'individu pour s'affirmer dans ses références, l'image
utilisée que l'individu se donne pour se représenter. Il y a donc
plusieurs possibilités pour les utilisateurs des réseaux sociaux
de changer leur identité.
La représentation de soi sur le web ne se fait pas
uniquement à partir de l'image physique que l'on renvoi, mais
également à partir de sa culture. Fanny Georges insiste sur le
fait que les médias sociaux « nourrissent un modèle culturel
de l'identité »16, car en effet, ce que l'on donne
à voir ou lire de nous montre qui nous sommes socialement et
culturellement.
Malgré certaines idées, le fait d'être
présent sur les réseaux sociaux n'est pas forcément
dû à un choix personnel mais émane d'une pression sociale
qui nous pousse vers le dévoilement de soi. Axel Honneth parle
indirectement de cette pression dans « Lutte pour la reconnaissance »
17 en parlant « d'horizon de valeurs commun ». Cette notion implique
que les individus sont régis par certaines règles pour exister
dans l'espace public médiatique. L'horizon de valeurs commun est
l'ensemble des normes partagées par les individus, que l'on trouve
normal. Ainsi, sur internet, pour être visible, il faut se montrer,
partager des contenus, utiliser certaines règles (hashtags,
émoticônes, etc.) car cela fait partie de cet horizon. Cette
pression s'exprime sur plusieurs points de vue, qu'elle soit sociale car
pratiquée par les pairs : aujourd'hui, les jeunes s'expriment via
internet pour s'inviter, communiquer,
14 GEORGES, Fanny. Représentation de soi et
identité numérique. Une approche sémiotique et
quantitative de l'emprise culturelle du web 2.0. Réseaux, vol. 154,
no. 2, 2009, pp. 165-193.
15 CASILLI, Antonio. Être présent en ligne :
culture et structure des réseaux sociaux d'Internet. Idées
économiques et sociales, vol. 169, no. 3, 2012, pp. 16-29.
16 GEORGES, Fanny. Représentation de soi et
identité numérique. Une approche sémiotique et
quantitative de l'emprise culturelle du web 2.0. Réseaux, vol. 154,
no. 2, 2009, pp. 165-193.
17 BERTEN André. Axel Honneth, La lutte pour la
reconnaissance. Traduit de l'allemand par Pierre Rusch. In: Revue
Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 99, n°1,
2001. pp. 135-139.
8
échanger, elle se pratique dans les études avec
la création de groupes de travail sur les réseau sociaux (celui
qui n'a pas internet n'a pas accès aux données de la classe) mais
elle a lieu également dans le monde professionnel, avec par exemple, une
certaine obligation d'être sur Linkedin pour trouver un emploi et
être vu des employeurs. Il est important également de souligner
que les réseaux sociaux constituent un auditoire, un public que l'on
doit convaincre. La mise en scène de l'utilisateur se fait sous
différentes approches. On peut parler d'ethos
numérique18, l'art de convaincre sur internet, convaincre de
ce qu'on est ou de ce que l'on veut être auprès des autres. Ruth
Amossy parlait de discours à travers l'image19. Les individus
utilisent alors des performances, à la manière d'Ervin Goffman
pour plaire à chaque récepteur, à la diversité des
auditoires d'internet. Ervin Goffman20 compare justement les
réseaux sociaux à une pièce de théâtre
où chaque détail est le résultat d'une préparation
en amont avant le dévoilement final au public.
D'un point de vue économique, les médias sociaux
sont sources de profit pour les entreprises voire pour ses utilisateurs. Les
jeunes sont souvent la cible de marques. Celles-ci profitent de l'engouement
des individus, de leur popularité auprès de leur
communauté pour faire parler d'elles et exploiter l'image des personnes.
Cette marchandisation de l'image permet aux marques de pouvoir
bénéficier d'une publicité sur les réseaux sociaux
grâce à des partenariats et gratuitement. Elles proposent le plus
souvent un produit contre son apparition sur un profil. Ce
phénomène a entraîné une création de nouveaux
emplois sur le net tel que celui « d'influenceur ».
C'est-à-dire que certaines personnes connues ou non (la plupart du
temps) sont rémunérées par les marques pour faire parler
d'elle au quotidien. Cet aspect montre l'influence des marques et des
organisations sur les usages des personnes, à l'instar de la
téléréalité. De plus, internet encourage le
rapprochement des individus, les rapports entre eux. C'est ainsi que se
développe des phénomènes d'entraide et de partage, avec
par exemple, la création et la consommation collaborative. Ces nouvelles
pratiques permettent d'échanger, partager avec d'autres individus.
D'après l'article du site consoglobe.com21, il y a
derrière ces pratiques une volonté de restaurer le lien social et
d'interagir avec autrui. Elles permettent certes de créer une autre
économie mais surtout de rapprocher les individus entre eux. De par
notre expérience, nous pouvons citer l'exemple du covoiturage souvent
plus utilisé "pour ne pas faire la route seul et pouvoir discuter avec
quelqu'un" que pour des raisons économiques. Elles se retrouvent
désormais partout : covoiturage, cohabitation, cocréation de
contenu, etc.
Dans tous les cas, la principale observation que l'on peut
faire sur la représentation de soi sur le net, est qu'elle crée
une limite ambigüe entre l'espace privé et l'espace public.
Dominique Cardon dans
18 LACHANCE Jocelyn. L'éthos de l'adolescent dans les
mondes numériques : le rôle des destinataires »,
Itinéraires, 01 juillet 2016
19 AMOSSY, Ruth. L'éthos et ses doubles contemporains.
Perspectives disciplinaires. Langage et société, vol. 149,
no. 3, 2014, pp. 13-30.
20 GOFFMAN, Ervin. La mise en scène de la vie
quotidienne 1. La présentation de soi. Paris : Les éditions
de minuits, 1973
21 PETIT, Pauline. Adolescents et réseaux sociaux :
c'est grave docteur. Consoglobe, 9 juin 2016
9
son article « Les réseaux sociaux en ligne et
l'espace public » analyse le développement de l'internet et des
réseaux sociaux, mettant en évidence cet entremêlement
entre l'intimité et le public. Les jeunes, qui avant partageaient
simplement des messages entre eux sur des plateformes de conversations
spontanées et qui restaient dans l'ordre du privé, partagent
désormais des contenus aux yeux de presque tous. À l'inverse, ce
qui relevait de l'espace public, donc du partage d'informations pour le
l'intérêt commun se retrouve envahis par des informations d'ordre
privées. Il avance le fait que les individus ne sont plus passifs dans
l'information mais désormais acteur, car ce sont eux qui la
créé. Les réseaux sociaux démocratisent ces usages
pour exprimer des pratiques d'expression de soi. «Les écrans
numériques ne sont plus seulement une porte ouverte vers un monde de
documents froids et distants, mais une fenêtre vivante et bavarde sur la
vie quotidienne des utilisateurs.»22
Plusieurs auteurs ont défendu un point de vue sur les
pratiques des jeunes sur les réseaux sociaux, sur leur rapport aux
individus ainsi que celui avec eux-mêmes. Nous pouvons, d'après
nos lectures, penser que les réseaux sociaux sont un moyen, à
l'ère actuelle où internet fait partie du quotidien, de se
construire soi-même et de construire son rapport aux autres. « Sans
la reconnaissance, l'individu ne peut se penser en sujet de sa propre vie
» (Honneth dans Prado, 2009)23. Il est alors important
d'étudier les pratiques sur internet pour la représentation de
soi. Au départ, les réseaux sociaux servaient à pouvoir
communiquer avec ses proches. Au fur et à mesure, ils ont permis
d'échanger avec plus de personnes, sur de plus grandes distances,
même avec des personnes qui n'étaient pas proches de nous.
Maintenant, la réalité est tout autre : nous continuons à
échanger mais différemment, nous communiquons par l'image.
L'évolution des différents réseaux sociaux marquent ce
fait. Avant les réseaux sociaux les plus utilisés étaient
ceux qui servaient à produire des contenus, parler tel Facebook, MSN,
Myspace. Désormais, les réseaux en vogue sont ceux où l'on
peut partager des contenus multimédias (photographie, vidéos).
Cela prouve l'importance qu'a prise l'image dans les rapports avec autrui. Nous
évoluons d'une communication vers les autres à une communication
pour soi et par soi. Serge Tisseron (2011) parle en effet d'échanges
"dans les espaces virtuels qui sont non-adressés"24 donc
adressés à soi. Cependant, il faut faire attention aux
conséquences que les réseaux sociaux peuvent avoir sur les
comportements. Instagram représente une source de complexe et
d'anxiété de l'image car on confronte son image, mais l'on est
surtout confrontée à celle des autres que l'on idéalise.
Francis Jauréguiberry (2013) nous parle de déconnexion
»25de certaines personnes qui veulent échapper aux
dictats d'internet, de son influence sur le quotidien.
22 CARDON, Dominique. Les réseaux sociaux en ligne et
l'espace public. L'Observatoire, n°37, p. 74-78
23 PRADO DE OLIVEIRA, Luiz Eduardo. Axel Honneth : La
société du mépris. Vers une nouvelle Théorie
critique. Figures de la psychanalyse, vol. 18, no. 2, 2009, pp.
267-268.
24 TISSERON, Serge. Les nouveaux réseaux sociaux sur
internet. Psychotropes, vol. 17, no. 2, 2011, pp. 99-118
25 JAUREGUIBERRY, Francis. Déconnexion volontaire aux
technologies de l'information et de la communication. 2013
10
Les enjeux de se mémoire sont de montrer que
l'utilisation des réseaux sociaux par les jeunes ne se fait pas
uniquement dans un contexte narcissique mais désormais dans une
recherche constante de reconnaissance sociale et identitaire, un besoin
d'appartenance auprès des autres pour se sentir exister. Les
échanges photographiques sur les réseaux sociaux, et en
particulier Instagram, ont amené un bouleversement de l'usage de
l'image. Auparavant objet de la représentation symbolique de la
réalité, elle a autrement changé pour devenir un objet
symbolique de mise en scène du soi et de la mise en relation avec
l'autre. La réalité devient soudain fiction, la
réalité sur l'identité représentée des
individus n'est plus. D'après ces constats, nous aurons pour
interrogation centrale la question ci-dessous :
« En quoi le réseau social Instagram, par le
partage de photographies, est-il devenu un outil de construction identitaire et
sociale chez les 18-30 ans ? »
Cette problématique montre que le développement
des réseaux sociaux a fait évoluer notre rapport à
nous-même, à notre image, notre identité. L'individu s'est
toujours construit au contact des autres, depuis la naissance. Mais cette
construction de l'identité qui se faisait dans les rapports physiques se
font désormais dans les liens virtuels. Le fait de partager son image
avec les autres permettrait de se découvrir, de façonner son
identité et son image, auprès de soi et auprès des
autres.
Nous pouvons alors émettre trois hypothèses :
Notre première hypothèse est que l'usage de la
photographie et des médias avec l'évolution d'Internet ont
amené les individus à tenter de partir à la quête de
leur identité sur les réseaux sociaux. Auparavant ils
étaient uniquement des outils d'échange avec la communauté
mais sont utilisés désormais pour se créer son
identité, montrer une représentation de soi, créer une
mise en scène de soi et de son quotidien dans le but de se créer
une image d'eux-mêmes qui leur conviendrait et conviendrait à
leurs pairs.
Le réseau social Instagram est un outil de
reconnaissance identitaire. C'est-à-dire que le média social est
un moyen d'être reconnu de ses pairs à travers son image. Le fait
de poster des images de soi revient à soumettre son identité au
jugement des autres, qui vont nous reconnaître ou non par le
système de commentaire ou de j'aime. Poster des photos sur les
réseaux sociaux en vient à se découvrir, découvrir
à quoi l'on ressemble, et si notre image est validée par la
communauté.
Ce qui nous amène à notre deuxième
hypothèse : Instagram comme outil de reconnaissance sociale. Les
individus vont chercher à se connaître et à exister dans
leurs relations avec les autres, dans le partage d'informations. Le fait
d'être suivi sur les réseaux sociaux, d'être
intégré à des groupes constituent des
éléments de reconnaissance sociale. Nous savons également
que l'identité des individus se forge à travers le contact avec
les autres.
11
De là découle notre troisième
hypothèse : Instagram comme outil d'appartenance. Les productions que
nous faisons sur internet nous révèle notre identité,
c'est le réseau que l'on se créé et dans lequel on se sent
admis. Instagram constitue des normes sociales auxquelles les utilisateurs
doivent se soumettre pour être admis par les autres, et reconnu. Mais
parfois, certains individus quittent internet pour ne justement plus se sentir
inclus dans un groupe virtuel qui les coupe de leur réalité.
Du point de vue méthodologique pour répondre
à notre problématique et confirmer ou infirmer nos
hypothèses, nous avons d'abord pratiqué une recherche
documentaire auprès d'auteurs et scientifiques ayant abordé les
sujets connexes. Il est nécessaire d'interroger un public
hétérogène mais surtout âgé entre 18 et 30
ans. J'ai donc réalisé une enquête par entretiens (Annexe
1) sur un cet échantillonnage, sur des individus issus de classes
sociales et de villes différentes en France, afin de recueillir les
informations hétérogènes directement auprès des
personnes concernées et d'obtenir des explications plus poussées
de ces usages. Les recherches effectuées ne permettent pas de pouvoir
réellement questionner les individus plus âgés car ils sont
le moins enquêtés dans les sujets de recherche autour des
réseaux sociaux. Leur usage des médias sociaux est
différent de celui des plus jeunes, davantage touchées par
l'utilisation des réseaux sociaux au quotidien. Il est important
d'interroger des milieux sociaux différents, d'études
différentes afin de confirmer les hypothèses. Le fait
d'interroger un public qui n'est pas homogène permet de pouvoir faire
des typologies de publics, et réaliser des profils à travers les
comportements en fonction de chaque personne et déterminer ce qui joue
sur le besoin de représentation de soi en ligne. Nous avons ensuite,
pour l'étude des entretiens, retranscrit ceux-ci à l'écrit
(Annexe 2) et les avons analysés selon une grille. (Annexe 3) Enfin,
j'ai également fait une analyse de contenu des données
photographiques : j'ai analysé plusieurs clichés pris sur
Instagram, ainsi que l'ensemble des photographies de ces comptes, en
vérifiant bien que les personnes concernées aient entre 18 et 30
ans. Mais pour des problèmes de résultats, je ne me suis pas
arrêtée à la France. Pour trier les clichés qui
m'intéressaient, j'ai fait mon corpus à partir de hashtags
populaires, seul moyen d'obtenir des résultats de recherche. Pour les
analyser, nous avons réalisé une grille d'analyse (Annexe 4) dans
laquelle nous avons répertorié les éléments
sémantiques des photographies. Nous avons ensuite comparé les
informations de terrain et l'analyse de contenu afin d'en tirer des
conclusions.
Afin d'expliquer notre démarche et de démontrer
nos hypothèses, ce mémoire s'articulera en trois parties qui
correspondront à nos hypothèses de recherche.
Dans une première partie, nous développerons
l'évolution des médias et d'internet, puis de la photographie et
des réseaux sociaux afin de comprendre le contexte évolutif des
jeunes individus et leurs usages. Ensuite, dans une seconde partie sera
analysée les techniques de monstration de soi pour sa recherche
identitaire. Puis, dans une dernière partie, nous introduirons le
concept du besoin de reconnaissance sociale, et d'appartenance des individus
via le réseau social Instagram.
12
I. Développement de la photographie face à
l'influence de la télévision et d'Internet : l'évolution
des usages
Les individus ont toujours eu un rapport fort aux images et
aux médias visuels, de l'invention des premiers prototypes à ce
qui deviendra plus tard l'appareil photographique, en passant par la
télévision, jusqu'à Internet. Les médias
iconographiques se sont modernisés et s'est créé un
processus d'adaptation mutuelle entre le média et l'individu. Les
appareils se sont adaptés aux changements sociétaux et les
individus se sont adaptés aux évolutions technologiques. Avec
l'amélioration des prototypes, le développement des moyens de
production et de reproduction de l'image, les usages de la photographie ont
changés. Ces progrès ont fait évoluer l'attachement des
personnes aux images, allant peu à peu de la sacralisation vers la
banalisation de celle-ci et de sa représentation en tant que support de
la réalité vers un support de la mise en scène.
1. Evolution de la télévision et influence sur
les jeunes 1.1 La télévision et son rapport au spectateur
1.1.2 Le petit écran, moyen de divertissement et
d'échappement au quotidien
Cette partie de la recherche traite de l'évolution des
médias et de leur impact sur les usages des réseaux sociaux
actuellement. Nous pouvons dans un premier temps définir les
médias, qui se déterminent comme un «
Procédé permettant la distribution, la diffusion ou la
communication d'oeuvres, de documents, ou de messages sonores ou audiovisuels
»26. Il est affirmé que « la création
et l'évolution des différents médias dépendent
étroitement de l'avancée technologique »27. C'est
ce que nous analyserons davantage dans la partie destinée à
l'évolution des appareils de reproduction. La télévision a
longtemps été l'un des médias les plus consommé par
les individus, notamment à l'ère où Internet
n'était pas accessible encore à tous et que le numérique
n'était pas encore démocratisé. L'appareil
télévisuel, inventé en 1920, rejoint la liste des «
médias de masse » avec la radio et la presse. À
l'époque, elle servait à diffuser de l'information et
était une source de divertissement, mais elle était surtout
l'instigatrice de la propagande « et même de manipulation
».28 Le caractère à la fois réel et
fictionnel de la télévision a donc toujours amené les
téléspectateurs à dépendre de ce qu'ils regardent.
Ceci l'a amené à faire partie intégrante de la vie
quotidienne des foyers. Elle est toujours présente lorsque l'on rentre
chez soi, disponible, et permet à l'individu de pouvoir s'évader
vers une autre réalité que la sienne. Les programmes permettent
d'accéder à des espaces de divertissement parallèles et
différents qui donnent la possibilité d'intégrer un
nouveau monde. Elle
26 Larousse. Média_médias.
27 PLASSIER Pierre. Passé, présent, futur des
#médias. Spotpink. 26 mars 2015.
28 KABORE, Salimata, L'impact de la
télévision. Centre avec.
13
fut en effet un des médias les plus populaires de par
son accessibilité et son caractère divertissant sur lesquelles
les chaines vont s'appuyer pour augmenter leur audimat.29 Nous
étudierons son succès passé et la relation qui s'est
construite entre l'objet et le jeune téléspectateur. Pour Pascal
Lardellier et Céline Bryon-Portet (2010), la télévision
présente des programmes qui exposent le besoin « de s'affirmer et
de montrer qui on est », notamment à travers les publicités
autour de la rechercher de soi et de l'affirmation de son identité que
l'on peut retrouver sur internet. 30 Le petit écran constitue
donc un premier objet de médiation entre les individus et la
constitution de soi, mais également un objet qui permet de se couper de
son quotidien que l'on aimerait changer et rendre plus exceptionnel, qui sont
en lien avec les hypothèses de notre mémoire.
1.1.3 L'interaction entre l'écran et le
téléspectateur
L'intérêt prononcé des jeunes pour les
écrans et les images serait dû au fait que « la
télévision est spectaculaire au spectateur, que celui-ci
entretient une relation particulière avec ceux qui la regarde »
(Lacan dans Lalo, 2011). Il serait question « d'interactivité
»31 entre la télévision et le spectateur dans la
création d'un lien particulier entre eux. Nous pouvons prendre l'exemple
des animateurs télévisuels. Ils instaurent un rituel quotidien
donnant l'impression aux téléspectateurs qu'ils sont tels des
amis, des connaissances : « Bonjour à tous, merci d'être
avec nous », « à demain pour notre prochaine
émission », « passez un bon week-end ».
L'écran communique avec eux, il n'est qu'un objet de médiation.
Nous reprenons le même fonctionnement que les réseaux sociaux avec
les influenceurs et utilisateurs, comme nous avons pu le voir dans notre
analyse sur Instagram, qui remercie leurs abonnés pour le nombre qu'ils
sont, on communique avec eux « Hello les amis »32
ou « passez un bon vendredi »33. Il se
créé une relation entre l'individu et celui qu'il regarde
quotidiennement via la médiation de son écran, mais qu'il ne
connaît pas vraiment. Il lui est donné l'impression d'être
réellement en contact avec eux, de les écouter ou de les voir,
tels des proches. Ceci est une des raisons à notre sens de pourquoi les
médias, bien avant internet, ont engendré un sentiment
d'attachement aux objets leur permettant d'être en contact avec le monde.
Les jeunes individus désirent se sentir exister et ces êtres
virtuels, en interagissant avec eux de manière passive ou active
(simplement regarder son écran ou pouvoir répondre sur les
réseaux sociaux), leur donne une identité, une existence et se
sentent reconnus en tant que « téléspectateur » ou en
tant « qu'abonné » sur Instagram. Les réseaux sociaux
demeurent plus ancrés dans le quotidien et la dimension personnelle que
les autres médias, par cette possibilité d'interagir
directement.
29 KABORE, Salimata, L'impact de la
télévision. Centre avec.
30 LARDELLIER, Pascal, BRYON-PORTET Céline. « Ego
2.0 ». Quelques considérations théoriques sur
l'identité et les relations à l'ère des réseaux
», Les Cahiers du numérique, vol. vol. 6, no. 1,
2010, pp. 13-34.
31 LALO, Vanessa. Pourquoi regarde-t-on la
télévision. 2011. PDF
32 Analyse de contenu n°7
33 Analyse de contenu n°18
14
1.1.4 La télévision comme support de la
fiction
Le principe qui sépare Internet de la
télévision est leur rapport à la réalité.
Chaque personne est consciente que la télévision est
censée représenter la fiction à travers les films et les
séries. Dans son caractère passif, on subit l'image, on la
regarde mais nous sommes dans l'incapacité d'interagir avec. Cet aspect
déshumanise la télévision par rapport à internet
qui devient davantage un représentant de la réalité. La
possibilité d'être en contact permanent avec la terre
entière, de savoir que chaque lien, information est partagée par
quelqu'un rend le web plus concret. Les chaînes
télévisuelles ont tenté d'introduire cet aspect humain et
réel à travers des programmes censés « montrer les
individus dans leur quotidien »34. Nous prenons comme exemple
le phénomène de la téléréalité, que
nous développerons plus tard. Cependant, la télévision est
une manière pour les jeunes de « vérifier leur existence
», de s'assurer qu'ils sont dans la norme en se comparant aux personnages
qu'ils voient. Le « héros télévisé » est
dépeint comme un soi-idéal du spectateur qu'il idéalise.
(Chooeum et Guemas, 2017) La télévision, dans son aspect fictif,
est un moyen d'oublier son quotidien ou de les projeter sur ce que nous voyons.
La télévision sert « d'exutoire » à nos
problèmes et nos fantasmes et reflète un usage d'Instagram :
modifier ce qui existe pour le rendre conforme à notre
idéalisation.35 C'est ainsi qu'apparaît cette limite
floue entre la réalité et la mise en scène mise en avant
sur les réseaux sociaux. Cette diversion de la réalité que
représente l'écran télévisuel a engendré des
comportements nouveaux que nous pouvons retrouver sur internet : le besoin
d'idéaliser notre vie et nous-même, d'échapper à un
quotidien monotone, se sentir exister de par les individus qui s'adressent
à nous. L'évolution technologique non pas changer les
médias mais les déplacer vers la sphère numérique.
Ce besoin de créer son identité et de reconnaissance n'est pas
apparu avec les réseaux sociaux, mais bien avant si l'on analyse les
usages. Ainsi, nous pouvons transposer les comportements des jeunes face
à la télévision à ceux face aux réseaux
sociaux. Ils sont toujours dans une recherche de lien avec autrui, ils
désirent toujours échapper à leur quotidien, notamment en
publiant des photographies de décors extraordinaires, qui les sortent de
la réalité. En regardant leur galerie d'images, ils se placent en
dehors du quotidien dans lesquels ils se sentent cloisonnés. Lors de
notre analysé de contenus, nous remarquons que la plupart des
interrogés partagent des images pour avoir « de jolies galeries
d'images 36», surtout, pour montrer des instants qui
sortent de l'ordinaire, comme nous le développerons plus tard, ce qui
affirme que les individus ont une volonté de se créer une
identité dans un contexte en rupture avec l'anodin.
34 CHOOEUM Sophie, GUEMAS, Marion. Le selfie
au-delà de la simple représentation de soi. Mémoire
en master 2 Culture et métier du web, Université de Paris-Est
Marne-la-Vallée, 2017
35 CHOOEUM Sophie, GUEMAS, Marion. Le selfie au-delà de la
simple représentation de soi. Mémoire en master 2 Culture et
métier du web, Université de Paris-Est Marne-la-Vallée,
2017
36 Entretien Elise, 15 juin 2019 et entretien Morgane, 10 juin
2019
15
1.2 La téléréalité
1.2.1 Une réalité à laquelle
s'identifier
Une des recherches de notre mémoire est de montrer que
les publications sur Instagram ne sont pas de l'ordre du réel, mais de
la mise en scène. Nous pouvons faire le lien avec la
téléréalité, un programme très
apprécié des jeunes mais qui aurait une influence sur eux. Ce
genre télévisuel montre à voir tous les jours la vie
d'individus en train de s'exhiber, vivre leurs relations, mais sans pouvoir
interagir avec eux. Les réseaux sociaux donnent les moyens à ces
jeunes individus d'être davantage en contact avec eux, de pouvoir les
suivre, voire s'inspirer d'eux. Ils vont avoir la possibilité de nouer
des relations avec ces personnages et d'avoir des contacts plus personnels avec
eux. Nous pouvons désormais avec Internet regarder la
télévision et réagir à ladite émission sur
les médias sociaux. Le fait de pouvoir interagir avec ces individus
donne le sentiment que ces personnes sont réelles. La
téléréalité pour Jean-Michel Fourcade (2018)
37est un des programmes où les jeunes s'identifient le plus
car il y a une impression de réalité dans ce que l'on voit.
Mickaël Stora (Stora dans Fourcade, 2018), qu'il cite, parle d'adolescents
« clichés » en pleine recherche identitaire qui essayent de se
retrouver dans ces individus stéréotypés, ce que nous
retrouvons beaucoup sur Instagram. De nombreux utilisateurs vont tenter
d'adopter les mêmes codes que ce qu'ils voient dans ces émissions
et sur les réseaux sociaux ensuite, c'est-à-dire un
exhibitionnisme marqué, des photographies de lieux de rêve. Nous
retrouvons ce type de monstration clichée lors de notre analyse de
contenu car certaines personnes n'hésitent pas à
s'hypersexualiser sur leurs clichés et reproduire des codes du besoin de
se montrer. (Annexe 5) Cependant, nous pouvons nous demander si ces codes sont
réellement ceux repris de la téléréalité ou
est-ce que ce ne sont pas juste les normes d'Instagram ? Nicolas Rousseau et
Christopher Lasch (2014)38 nous disent que le réseau social
uniformise les goûts, dicte les tendances, ce qu'il faut montrer. Chaque
utilisateur donc va s'inspirer des autres, même les
célébrités et personnages de la télévision.
Il y a simplement un phénomène général de «
mode » et donc d'uniformisation des goûts, nous ne pouvons donc pas
affirmer que la téléréalité soit à l'origine
de la stéréotypisation des jeunes sur les réseaux
sociaux.
1.2.2 Téléréalité et
photographie
La télévision comporte des similitudes par
rapport aux réseaux sociaux, notamment dans la spectacularisation du
spectacle à l'écran.39 Sophie Chooeum et Sophie Guemas
(2014) reprennent les propos de Pauline Escande (Escande dans Chooeum et
Guemas, 2017) qui montre également que dans leur lien réside le
fait qu'ils soient tout deux des objets de « partage et de communication
»
37 FOURCADE, Jean-Michel. Ces corps qui nous fascinent : une
nouvelle étude souligne à quel point les émissions de
télé réalité et les réseaux sociaux ont un
impact redoutable sur l'image de soi des ados. Atlantico.
38 ROUSSEAU, Nicolas, LASCH Christopher. La culture du
narcissisme. Actu Philosophia. 12 Juillet 2014
39 CHOOEUM Sophie, GUEMAS, Marion. Le selfie
au-delà de la simple représentation de soi. Mémoire
en master 2 Culture et métier du web, Université de Paris-Est
Marne-la-Vallée, 2017
16
dans le but de faire réagir celui qui regarde, de
capter son attention. La téléréalité est faussement
une preuve de réalité. Les individus pensent voir des
vérités quotidiennes, seulement, ils ne réalisent pas le
fait que tout ceci n'est que mise en scène. Les participants de la
téléréalité ne sont pas réellement libres de
leurs actes, ils réagissent en fonction de ce que la production essaye
de faire dégager d'eux. Un programme de divertissement ne peut pas
fonctionner s'il ne se passe rien. Ainsi, la télévision va agir
de sorte à ce que les candidats se retrouvent dans des situations qui
attirent la curiosité du spectateur. Ils sont filmés, tous les
jours, n'ont pas accès à l'extérieur, aux informations, se
retrouvent à environ une quinzaine pendant plusieurs semaines, ce qui
entraîne forcément des comportements différents. Les
candidats deviennent plus sujets aux émotions fortes, et c'est ce que
recherche le spectateur. Ce genre d'émission montre « l'amour
», la provocation, la jalousie, les colères, les fous-rires, tout
ce qui rend le téléspectateur voyeuriste de l'intimité
à laquelle il s'accroche. Et qui dit « intimité » dit
réalité. Comme nous l'avons dit précédemment, ce
programme est porteur de stéréotypes souvent intronisés
par les jeunes. Par exemple, les participants de
téléréalité vont incarner des profils
stéréotypés : filles habillées court,
décolletés, très maquillées, en maillot de bain, ou
encore des hommes torse-nus. Il y a une hypersexualisation des individus, qui
influe sur les jeunes individus, en pleine période de recherche
identitaire et sexuelle. Le fait de toujours montrer à outrance une
certaine intimité des personnes, face à leurs ressentis, à
leur sexualité, laisse à penser que c'est ce qui intéresse
tout le monde : se montrer. Ainsi, les utilisateurs d'Instagram intronisent le
fait que la monstration de soi et de son quotidien est quelque chose
d'intéressant à voir, qui attise la curiosité des autres.
Mais bien évidemment, tous les individus ne sont pas à l'image de
ce qu'ils regardent comme programmes.
1.2.3 L'influence de la
téléréalité sur les jeunes
Comme nous l'avons avancé précédemment,
l'un des problèmes de ce genre télévisuel est l'influence
qu'ils portent. D'après des études40, la
téléréalité aurait une incidence directe sur le
comportement (Brad Gorham de l'Université de Syracuse). Jean-Yves
Flament (Flament dans Zerrouki)41 parle de comportement
valorisé par ces émissions telles que l'individualisme, le
désir de célébrité et le renoncement à
l'intimité. Nous retrouvons en effet sur Instagram ce genre d'attitude.
Lors de nos recherches, nous avons été confrontés à
un grand nombre de selfies : le fait de se représenter seul suscite une
sorte d'individualité. Le désir de célébrité
se retrouve dans la volonté de créer des comptes en tant
qu'influenceurs, de se créer des profils de professionnels, mettre son
profil en public pour attirer le plus d'abonnés possible, car ce sont
des techniques permettant de se faire connaître. C'est ici qu'intervient
l'influence des réseaux sociaux sur la façon de se montrer aux
autres. Plusieurs auteurs affirment que la
téléréalité influence les jeunes individus et la
façon de
40 ZERROUKI, Rachid. La
télé-réalité, du divertissement à
l'abrutissement. Slate. 2018
41 ZERROUKI Rachid. La
téléréalité, du divertissement à
l'abrutissement. Slate, 2018
17
s'exposer. Cependant, lors de nos entretiens, il est apparu
que 4 personnes sur 14 regardent la téléréalité
mais que seulement deux s'en inspire ou reprennent des codes de ce genre de
programme mais pour les tenues vestimentaires ou parce que ça les
divertie. Il n'y a pas réellement de moyen de prouver la
véracité de ces affirmations car parmi les interrogés qui
s'exposent le plus, certains ne regardent pas ces émissions. Au
contraire, à cette question, les interrogés réagissaient
de façon plutôt négative face à ces programmes
qualifiés de « non-réels ». Il s'agit pour ceux qui
regardent d'un simple divertissement dans lequel ils ne trouvent pas d'attaches
particulières « Oui je regardais des fois pour
décompresser et me vider la tête »
(Zélie42).
2. Evolution de la photographie
2.1 Evolution des moyens de reproduction
2.1.1 Invention de l'appareil photographique
La photographie fut inventée au départ par
Nicéphore Nièpce, inventeur qui a développé les
procédés de fixation des images, duquel va se rapprocher Louis
Daguerre, un autre inventeur. Ils vont travailler ensemble afin
d'améliorer les procédés techniques de la reproduction.
Après avoir développé « l'image latente », Louis
Daguerre présentera son invention, la daguerréotype
à l'Académie des sciences de 1839 qui deviendra le premier
appareil photographique de l'histoire. La représentation iconographique,
dès ses premières ébauches, représentait un art
noble car il ne pouvait pas être accessible à tous mais
possédait un pouvoir légendaire. La peinture par exemple et
l'autoportrait, qui était un genre de peinture très
demandé par les nobles du Moyen-Age et de la Renaissance. A l'image de
nos photographies familiales et de nos portraits, ces peintures servaient
à se souvenir, à immortaliser notre apparence. A l'époque
existait déjà les premières mises en scène dans la
représentation : les peintures étaient très
travaillées, dans des décors luxuriants, les personnages
habillés de leurs plus beaux atouts, bijoux. Mais surtout, ils
étaient représentés selon les codes des « modes
» de l'époque, reconnaissables selon les coiffures, les postures
utilisées, le style de peinture. Depuis les premières
représentations, les hommes se montraient sous une image
idéalisée, moderne et plaisante pour autrui, comme nous le
retrouvons dans les clichés des réseaux sociaux. Mais cet art
n'était accessible qu'à une partie noble de la
société. Au XIXème siècle, la
photographie et le cinéma vont faire entrer l'image dans la
technicité43. Ils restent, au départ, accessibles
à seulement une partie de la population, car le matériel
photographique est onéreux. La photographie « constitue un mode de
représentation spécifique ancré dans les pratiques et les
rapports sociaux de notre monde contemporain »44. Elle va
donner une image de soi et une manière
42 Entretien Zélie, 03 juin 2019
43 WEIBEL, Peter. Le pouvoir des images : des médias
visuels aux médias sociaux, Perspective, n°1. 2012.
p.5-7
44 CONORD, Sylvaine. Usages et fonctions de la
photographie. Ethnologie française, vol. 37, no. 1, 2007, pp.
11-22
18
« de percevoir et de représenter l'autre
».45 C'est un nouveau mode d'expression et de
représentation du réel. Cet art va subir de grandes inventions et
améliorations, notamment avec le négatif qui permettra à
une image d'être reproduite plusieurs fois, la diminution de la taille
des plaques de verres qui permettaient un fonctionnement plus agile de
l'appareil jusqu'à l'apparition de la pellicule. Puis surviendra
l'arrivée de la photographie en couleur en 1869 avec les trois couleurs
primaires. Ce renouveau de la photographie va entraîner avec lui
l'apparition de nouveaux métiers tels que celui de photographe, ce qui
va donner à la photographie un caractère artistique et complexe,
car seulement certains s'adonnait à ce loisir. Le prototype va
évoluer jusqu'en 1948 où va être inventé le plus
célèbre appareil photographique instantané : le
polaroïd46. L'évolution de la représentation
jusqu'à l'invention de l'appareil photographique marque le fait que les
hommes ont toujours été attachés, bien avant la
photographie, à leur image. Il s'est perpétué le
désir de vouloir s'exposer aux yeux des autres selon une mise en
scène de soi, à travers les objets, le décor et les
postures. Mais contrairement au passé, l'appareil photographique a
révélé de nouveaux usages dans la représentation.
La possibilité de pouvoir se représenter infiniment et d'exposer
plus facilement son image aux autres grâce au numérique va amener
une uniformisation des codes de la représentation et une
ambiguïté plus forte sur l'image de soi et sur son identité
afin de se sentir exister parmi la masse homogène des images des
individus.
2.1.2 L'appareil photo numérique
La photographie connaît un renouveau important avec
l'apparition dans les années 1990 des premiers appareils
numériques. Il va rapidement, dans les années 2000, devenir un
marché de masse avec une multiplication par 5 des appareils par
foyer.47 L'industrie photographique travaillait depuis plusieurs
années sur un appareil pouvant être accessible à toute la
population. Ainsi commence la course à l'innovation, à
l'uniformisation des pratiques. Mais avant tout, on se déplace vers une
suppression de contraintes d'espace et de temps. En 2010, il survient une forte
augmentation des ventes mais qui ne sont pas pour un premier achat d'appareil
photographique mais pour le remplacement de l'ancien.48 Cela montre
que les appareils sont devenus accessibles, car plus petits et compacts, plus
mobile et léger et donc maniables par tous. La volonté de
remplacer les appareils « pour avoir le dernier sorti » marque cet
engouement et cette dynamique nouvelle pour la photographie, de nouvelles
fonctionnalités vont se développer, entraînant un
changement de ces pratiques. Ce sont spécifiquement trois
spécialités qui vont entraîner de nouveaux rapports «
entre
45 CONORD, Sylvaine. Usages et fonctions de la
photographie. Ethnologie française, vol. 37, no. 1, 2007, pp.
11-22.
46 WIKIPÉDIA. Histoire de la photographie.
2019.
47 GUNTHERT André. L'image conversationnelle.
Études photographiques, n°31. 2014
48 HÉMON Jacques. Les réseaux sociaux et le
marché de la photographie. In: Cahier Louis-Lumière
n°7, 2010. Nouvelles perspectives pour les photographes professionnels.
pp. 18-26.
19
photographies et individus ».49 La
première est la capacité de stockage, qui va permettre de garder
toutes les images, de ne plus avoir à choisir, et par conséquent,
ne plus avoir à classer hiérarchiquement l'importance des photos
pour déterminer lesquelles sont à garder ou non. On s'adonne
ainsi à des vues du quotidien, de l'anodin. La seconde est le partage
des photographies qui est beaucoup plus aisé : le format
numérique offre une liberté à l'utilisateur, de pouvoir
disposer à sa guise du cliché et de pouvoir les imprimer de
façon autonome sans avoir à dépendre de professionnels,
rendant les pratiques de développement onéreuses.50
Ces évolutions vont amener l'individu à moins
réfléchir à ce qu'il peut diffuser ou non, il va pouvoir
diffuser toutes les images qu'il souhaite en un temps limité. Les jeunes
individus vont donc pouvoir se prendre davantage en photo car ils ne sont plus
restreints par leurs parents sur le nombre de clichés à prendre,
sur le coût d'impression des images. Ils vont pouvoir prendre leurs amis,
et eux-mêmes. Ainsi va se construire un lien entre les individus et les
photographies qui ne se limitent plus aux clichés familiaux.
L'engouement des appareils numériques va amener les constructeurs de
téléphones portables à développer cet attrait pour
la photographie dans leurs appareils, et contribuant ainsi à rendre la
photographie toujours plus instantanée et diffusable que l'on
connaît aujourd'hui.
2.1.3 Le smartphone
Avant l'utilisation généralisée de
smartphones, les appareils photographiques permettaient de conserver et de
reproduire des images, mais surtout de photographier de manière moins
occasionnelle et plus quotidienne. Vers les années 1990 va
apparaître un nouveau type de portable plus intelligent et plus moderne :
le smartphone51. Contrairement à ses
prédécesseurs, ce nouvel appareil téléphonique va
être muni de plusieurs outils qui vont amener peu à peu cette
généralisation de la photographie partagée
instantanément. Les premiers téléphones portables
étaient munis de caméras mais de mauvaise qualité mais
procuraient un sentiment nouveau de mobilité, d'individualité
dans la photographie que l'on pouvait prendre à n'importe quelle heure
et n'importe quel lieu. Les jeunes individus commençaient
déjà doucement à se détacher de cette tradition de
la photographie familiale pour immortaliser les moments entre amis, leurs
loisirs, ce qu'ils trouvaient beau,
etc. et les publier sur leurs blogs ou
premiers réseaux sociaux. Puis, les téléphones et les
réseaux d'accès à Internet se sont modernisés, les
appareils vont posséder la 3G, puis la 4G, rendant leurs échanges
encore plus faciles et plus rapides. Rapidement, le smartphone est devenu
universel. Il est désormais composé d'un appareil photographique
digne des professionnels, d'une capacité de mémoire pour
posséder toutes les applications des réseaux sociaux et des
49 PAILLARD Julie. La »photo ordinaire» : récit
des banalités quotidiennes sur les réseaux sociaux en ligne.
Analyse des usages photographiques sur Instagram. Sciences de l'information et
de la communication. 2014.
50
01. net. Qu'est-ce que la photo
numérique, 2002
51
01. net. De quand date le premier
smartphone, 2010
20
messageries instantanées52 qui rendent notre
quotidien ultra connecté et hypersocial. Les smartphones sont
désormais omniprésents dans les foyers, et surtout les enfants
qui avec la démocratisation de l'appareil, en possèdent de plus
en plus jeune comme nous pouvons le voir dans la vie de tous les jours. Il y a
un double impact de ce constat : les jeunes individus ont accès à
des appareils de qualité qui vont leur permettre d'immortaliser
déjà à l'école leur quotidien et qui va les amener
vers la banalisation de l'image. Le second constat est que les smartphones
possèdent donc une capacité de connexion instantanée, ce
qui rend leur accès au web et leur partage de données de plus en
plus rapide. Nous voulons montrer à travers l'évolution de la
représentation que depuis toujours, les individus ont voulu se
représenter au monde. Il y a toujours eu un questionnement sur son
identité et l'image que l'on renvoi. De plus, nous pouvons conclure que
très tôt, avec l'évolution des appareils photographiques,
les individus sont amenés à échanger des images avec les
autres, et ainsi à s'ancrer dans une logique de monstration de soi que
nous retrouvons sur Instagram. Grâce à ces technologies, ils
grandissent constamment avec la confrontation à l'image de l'autre et la
sienne, qui l'amènent à se questionner sur son identité et
sur la représentation qu'il renvoi.
2.2 Evolution des usages de la photographie
2.2.1 De la photographie traditionnelle à
situationnelle
Il est important d'analyser l'évolution de l'usage de
la photographie afin de comprendre comment celle-ci est devenue un message
elle-même. En effet, après le développement des appareils,
les foyers étaient munis d'un appareil photographique mais ils
étaient destinés à l'époque au cadre familial et
aux événements. Les clichés étaient intimes, on
immortalisait les membres de la famille et les grandes manifestations de la vie
tels que les mariages, les baptêmes, etc. Puis dans les années
2000, avec le développement des appareils, la photographie est devenue
« situationnelle », c'est-à-dire que l'on photographiait
seulement des instants pris sur le vif, « pour s'amuser ».
(Hémon, 2010)53 La photographie situationnelle est le type
que nous pouvons également retrouver sur Instagram « Le peu de
fois que j'ai mis des photos, elles étaient spontanées,
c'était sur le moment présent donc je n'ai pas trop
cherché à ce que le cadre soit parfait »
(Camille54). Sandy Berthomien (2017)55 écrit
qu'avec « l'omniprésence d'internet », il y a eu un glissement
de la sphère privée vers la sphère publique dans les
usages de la photographie. Il va devenir un outil communication à part
entière dans le fait qu'on puisse reproduire les images et les modifier.
C'est en pouvant s'approprier l'image qu'elle prend son caractère
communautaire, notamment avec les réseaux sociaux. Les individus vont
partager des images qui répondent aux mêmes codes visuels, nous
pouvons retrouver
52 GUNTHERT André. L'image conversationnelle.
Études photographiques, n°31. 2014.
53 Hémon Jacques. Les réseaux sociaux et le
marché de la photographie. In: Cahier Louis-Lumière
n°7, 2010. Nouvelles perspectives pour les photographes professionnels.
pp. 18-26.
54 Entretien Camille, 07 juin 2019
55 BERTHOMIEN, Sandy. Les selfies : expression contemporaine
de soi. Les réseaux, 04 décembre 2017
21
sur Instagram ou encore Facebook le large panel de sujet
repris par tous : les ailes d'avions, les « legfies56
», duckface, pieds au bord de la mer, etc.57
L'évolution des usages a fait que la photographie situationnelle a pris
le dessus, et c'est ce que nous retrouvons sur Instagram : des images de
situations captées sur le vif pour les partager à sa
communauté. Ces usages sont donc apparus avec l'évolution du web
et ne datent pas seulement des réseaux sociaux. Le fait de prendre en
photo des situations quotidiennes remontent aux années
antérieures. Ainsi nous pouvons conclure que les individus ne postent
pas des photos de leur quotidien car ce sont les codes des réseaux
sociaux, mais parce que ces usages étaient ancrés bien avant. En
effet, ils ont grandi avec et trouvent donc anodin de poster des situations de
tous les jours. Par rapport à notre recherche, cela prouve que le fait
de poster des images de sa vie ne relève pas d'un effet de mode mais
d'une intronisation de ces usages depuis l'enfance.
2.2.2 La photographie numérique
En 2005 va apparaître la photographie numérique
qui va ouvrir de nouvelles possibilités aux photographes amateurs.
Chaque image devient désormais un fichier numérique, modifiable,
reproductible à l'infini et que l'on peut regarder sur différents
supports. Et surtout, les possibilités de stockage permettent de garder
les clichés pris, ce qui va entraîner les individus dans une
surconsommation de l'image. En effet, cette capacité de mémoire
va entraîner la « banalisation du partage des images via internet
»58. Car plus l'on peut capturer d'images, plus l'on va les
conserver, et ainsi il n'existe plus le besoin le faire le choix de ce que l'on
va sauvegarder et diffuser. Un autre avantage est que les photographes peuvent
désormais donner des effets à leurs clichés et choisir de
les modifier, changer la luminosité de l'appareil, photographier en noir
et blanc ou en couleur, chacun est indépendant dans son utilisation. Les
appareils possèdent maintenant une grande autonomie. Pour Jacques
Hémon (2010), ce n'est plus un appareil familial mais personnel
désormais. Les ordinateurs comprennent des logiciels gratuits de
création et de modification d'images vont également leur
permettre de pouvoir façonner leurs photographies. Le fait de pouvoir
les modifier montre qu'il y a une volonté d'arranger son quotidien. De
plus, la possibilité d'améliorer l'apparence des photographies
les confortent dans leur idée de recherche d'une image parfaite à
présenter aux autres. Cette idée amène ce questionnement
identitaire qui fait que, pourquoi choisir cette photo et pas une autre,
pourquoi la modifier ? Il y a une réflexion sur son identité, son
image que l'on expose, que l'on montre à autrui, ce qui
problématise ce mémoire. Les technologies participent à la
remise en question de soi de par les outils qu'elles proposent.
56 Photographie de jambes pliées pour montrer qu'on est en
train de bronzer
57 BERTHOMIEN Sandy. Les selfies : expression contemporaine
de soi. Les mondes sociaux. Société. 2017.
58 HÉMON Jacques. Les réseaux sociaux et le
marché de la photographie. In: Cahier Louis-Lumière
n°7, 2010. Nouvelles perspectives pour les photographes professionnels.
pp. 18-26.
22
2.2.3 La photographie sur les réseaux sociaux
Un nouveau rituel va se créer autour des
clichés, celui du partage avec autrui. D'abord par mail, puis via les
téléphones mobiles et smartphones à travers les MMS
(Multimedia Messaging Service), puis sur les « premiers
réseaux communautaires »59. Enfin, les réseaux
sociaux vont de nouveaux faire évoluer les échanges avec ses
pairs. Anthony Mahé (Mahé dans Hémon, 2010) nous dit
qu'avec l'arrivée de Facebook en 2005, l'appareil photo devient
rapidement « un outil de partage de soi et de son intimité ».
Stéphane Hugon (Hugon dans Mahé, 2010) appui ses propos en
déclarant que « l'appareil n'est plus seulement un outil de
loisirs, il est une fonction relationnelle, comme une dimension
d'opérateur de socialité, peut-être une véritable
extension de la personne ». André Gunthert (2014)60
pense que c'est l'arrivée du haut-débit couplé avec la
possibilité d'éditer des images sur des sites de partage qui
conduit les photographes lambda à vouloir toujours diffuser des
clichés, notamment pour « la satisfaction narcissique et
l'efficacité sociale »61. Cette rapidité de
partage illimité de l'image va créer un nouvel usage de la
photographie que l'auteur qualifie de « conversationnelle
»62. Les images ont peu à peu remplacé les mots,
par des photos, des émoticônes, des GIFs. Il est plus simple et
plus démonstratif de directement utiliser une image pour se faire
comprendre. Valérie Bauhain63 parle de de « Pic
speech » pour qualifier ces échanges. Les réseaux
sociaux vont s'adapter à cette société du visuel et
devenir « les plus grandes banques d'images de la planète
»64. La photographie ne réside plus dans la
technicité et l'objectivité mais dans son caractère
diffusable et sociable. Patrice Flichy65 soutient que « si
la photographie a toujours été liée aux souvenirs
personnels et aux moments forts de la vie, elle est aujourd'hui de plus en plus
associée aux activités quotidiennes ».66
Pour résumer, les médias visuels ont fait évoluer nos
usages, d'abord avec le cinéma et la télévision qui
prenaient une place importante parmi les loisirs du quotidien, puis avec
l'image conversationnelle qui prit le dessus sur la consommation de visuels. La
photographie précédemment familiale, va aller vers le domaine
public avec les réseaux sociaux. La possibilité de les partager
de façon instantanée à toute une communauté
enlève le caractère intime de la photographie pour la rendre
sociale. C'est pour cela que les individus sur Instagram postent des
59 HÉMON Jacques. Les réseaux sociaux et le
marché de la photographie. In: Cahier Louis-Lumière n°7,
2010. Nouvelles perspectives pour les photographes professionnels. pp.
18-26.
60 GUNTHERT André. L'image conversationnelle.
Études photographiques, n°31. 2014.
61 HÉMON Jacques. Les réseaux sociaux et le
marché de la photographie. In: Cahier Louis-Lumière n°7,
2010. Nouvelles perspectives pour les photographes professionnels. pp.
18-26.
62 PAILLARD Julie. La »photo ordinaire» :
récit des banalités quotidiennes sur les réseaux sociaux
en ligne. Analyse des usages photographiques sur Instagram. Sciences de
l'information et de la communication. 2014.
63 BAUHAIN Valérie. Réseaux sociaux : ce que
révèlent nos photos de profils. Psychologies.
64 BAUHAIN Valérie. Réseaux sociaux : ce que
révèlent nos photos de profils. Psychologies.
65 PAILLARD Julie. La »photo ordinaire» :
récit des banalités quotidiennes sur les réseaux sociaux
en ligne. Analyse des usages photographiques sur Instagram. Sciences de
l'information et de la communication. 2014. >
23
images, qui parfois semblent anodines, mais qui
révèlent une volonté de communiquer avec les autres, de se
présenter à eux. Nous analyserons ces affirmations dans les
chapitres suivants. Les réseaux sociaux vont banaliser les images car
elles finissent par se perdre dans la masse. Nous faisons évoluer la
photographie situationnelle, mais toujours en montrant les moments forts de la
vie, comme si notre quotidien se retrouvait exceptionnel. C'est un moyen de
communiquer sur nous, et avec les autres, ce qui participe à nous
construire identitairement. Les usages de la photographie sur les
réseaux sociaux créent une présentation de
nous-même. C'est ainsi qu'il implique le rapport à l'image de soi
et à la reconnaissance de ses pairs.
3. Influence et développement d'Internet 3.1
Evolution du web
3.1.1 Convergence des médias vers le web
En quasiment vingt ans, notre rapport aux médias a
amplement changé. Nous pouvons remarquer une convergence des
médias traditionnels vers le numérique. En effet, tel que nous le
mettions en avant précédemment, depuis l'arrivée
d'internet, les médias perdent en audience. Pour pallier l'engouement
des individus pour le web, délaissant les autres médias, il a
fallu trouver des solutions afin de rendre à nouveau ceux-ci attractifs.
L'idée a été de faire du cross-média : rendre les
médias disponibles sur le web, à travers différents
supports numériques. Ce changement prend son importance pour chacun car
le web, avec le traçage des données, apporte aux utilisateurs un
contenu toujours plus personnalisé, partout et tout le temps. Mais avant
tout, nous nous rendons compte que le glissement des médias
traditionnels vers Internet répond surtout à un besoin de
représentation pour les individus. Notre époque a vu
émerger une société de l'image, où quiconque ne
perd plus de temps avec l'information à écouter, lire, sur des
supports parfois inaccessibles. Ils vont davantage se consacrer sur ce qui est
visuel : la preuve avec les articles de presse sur internet qui s'illustrent
d'images, les interviews de personnes se font par vidéos (exemple de
Fast and Curious sur Kombini), même les radios diffusent des
podcasts67 sur leur site internet ou sur Youtube, ce qui permet de
« regarder » l'émission radiophonique. Cette analyse prouve
que l'image est primordiale pour exister, il faut se montrer, donner quelque
chose à voir pour intéresser. Il est possible sur Facebook
d'agrémenter ses messages d'un fond, de couleurs, de souhaiter
l'anniversaire des gens avec des images illustratives, etc. C'est pour cela que
des réseaux sociaux basés sur l'image et la photographie tel
qu'Instagram prennent de l'ampleur auprès des jeunes
générations et que se constitue ce besoin de partager son
quotidien et de se faire connaître via les images. Cela apporte à
notre réflexion la compréhension du contexte dans lequel les
individus ont évolué et pourquoi ils ont
67 Emission de radio ou de télévision que l'on peut
télécharger depuis internet vers un baladeur. Source :
L'internaute. Le podcast.
24
un intérêt particulier pour les médias de
l'image. Ce phénomène est tel que les médias
eux-mêmes ont dû s'adapter en devenant « visionnables
».
3.1.2 Du web 1.0 au web 4.0 : du web statique au web
dynamique et personnalisé
Depuis sa mise à disposition aux foyers en 1990, le web
a débuté avec ce qu'on appelle le « 1.0 » ou « web
traditionnel ». Il incarne un web statique qui ne sert uniquement
qu'à la diffusion de données, limitant la participation des
utilisateurs. Ensuite, il a évolué vers le « web 2.0 »
que l'on caractérise par le « web social ». Il va nettement
faire évoluer les usages d'internet car ceux-ci vont devenir davantage
axés sur le partage d'informations et de contenus entre les individus.
C'est durant cette période que vont se déployer les
réseaux sociaux ainsi que les téléphones connectés.
Cette phase du web est dite « sociale » car elle va faire interagir
les internautes entre eux, elle va les amener à échanger
ensemble, à s'interpeller, à donner leur avis pour que chacun
profite de ce que les autres possèdent. (Képéklian,
2010)68 Depuis peu, nous entendons de plus en plus parler d'une
évolution de cette phase vers un « web 3.0 » qui est
appelé « sémantique ». En effet, la
sémiologie des données collectées (ou l'étude de la
signification de ces données) va rendre le web davantage performant et
ergonomique aux individus. Il « vise à organiser la masse
d'informations disponible en fonction du contexte et des besoins de chaque
utilisateur, en tenant compte de sa localisation, de ses
préférences, etc. j...] c'est aussi un web plus portable et qui
fait de plus en plus de lien entre monde réel et monde virtuel
»69. Ce web s'adapte à la vie et à la
mobilité des utilisateurs afin qu'ils puissent avoir accès
à leurs données de manière adaptée à eux.
Par exemple, le web 3.0 fait en sorte de pouvoir proposer un panel de
restaurants à l'utilisateur, en fonction des avis reçus, des
habitudes alimentaires de cette personne (réservations
précédentes dans des restaurants, etc.) et de sa
géolocalisation afin d'être au plus près possible de ce
qu'il recherche. Ce web est également aussi celui qui permet alors de
géolocaliser les personnes sur leurs photos, d'apporter toujours plus de
données précises à échanger et toujours plus de
contenus visuels à diffuser afin d'entretenir le caractère social
d'internet.
3.1.3 Le web participatif
L'une des caractéristiques du web dans lequel nous
évoluons et qui nous éloigne du web 1.0 est la participation.
Pour Gabriel Képéklian (2010)70, le web est devenu
« participatif » en passant en 2.0, de par la démultiplication
des échanges et des canaux de communication entre internautes. Les
usages ont ainsi évolué en faisant « passer des
communautés privées aux communautés publiques ». Il
explique que les usages d'internet vont connaître un véritable
tournant en 2007 dans le monde
68 KEPEKLIAN, Gabriel. Du web aux réseaux sociaux.
Visions et mirages. La force des usages. Transversalités, vol. 116,
no. 4, 2010, pp. 17-30.
69 Les évolutions du web : le web 1.0, le web 2.0, le
web 3.0 et le web 4.0. CLICK2CELL
70 KÉPÉKLIAN, Gabriel. Du web aux
réseaux sociaux. Visions et mirages. La force des usages.
Transversalités, vol. 116, no. 4, 2010, pp. 17-30.
25
avec un nouveau « phénomène » : les
réseaux sociaux. Ceux-ci vont faire entrer internet dans ce qui
s'apparente au web 3.0 car chaque réseau va permettre d'analyser les
individus et de lui proposer, en fonction de son expérience sur chaque
média, un contenu adapté. Les différents réseaux
sociaux offrent des usages différents, en se basant pour certains sur le
partage de contenus, des vidéos, dans des contextes différents
(professionnel, social, familial, sentimental, etc.). En effet, nous avons pu
découvrir un nouvel internet, non plus statique mais dynamique où
chacun partage son savoir. Nous pouvons prendre l'exemple des plateformes de
partage d'informations telles que les wiki (Wikileaks, Wikipédia, etc.)
qui permettent aux internautes de co-construire des pages d'informations. Nous
sommes dans l'ère où la coparticipation est partout :
covoiturage, colocation, etc. Nous construisons désormais notre
quotidien avec les autres, ensemble. Ce système de partage
d'informations montre que les individus ne peuvent pas être
isolés, ils ont besoin désormais des autres afin de pouvoir
exister, notamment à travers les échanges. Certains auteurs ne
sont pas réellement d'accord avec cette affirmation. Pascal Lardellier
et Céline Bryon-Portet 2010)71 pensent que le web est
participatif dans sa forme mais que les échanges restent «
égocentrés » car ils ne se parlent « que pour entendre
l'écho de leur propre voix » ou pour voir leur image
améliorée par le regard que pose autrui dessus, donc il n'y a pas
réellement de communication étant donné que les
échanges sont davantage tournés vers soi que vers les autres.
Nous développerons lors de la réponse à la deuxième
hypothèse que les individus sont très tournés vers les
autres car ils ont besoin de leurs pairs pour valider leur identité et
se sentir reconnu dans la société, via les réseaux
sociaux.
3.2 Instagram : le réseau social de la mise en
scène
3.2.1 Invention et évolution du réseau
social
Le réseau social Instagram fut créé par
deux co-fondateurs Kevin Systrom et Michel Mike Krieger, en Californie, le 6
octobre 2010 mais uniquement disponibles sur les téléphones
Apple. Après avoir été élue l'année
d'après « Application de l'année » par la marque Apple,
elle fut disponible sur Androïd seulement en 2013. Le réseau social
inventera même sa propre mode photographique : celle des
repas.72 Face à son succès, le 10 avril 2012, le
réseau social est racheté par un autre : Facebook pour la somme
d'un million de dollars. Instagram est un réseau social basé sur
la phonégraphie (la prise de photographies avec un
téléphone portable) et permettant le partage d'images et de
vidéos avec sa communauté et de « juger » les
clichés des autres à travers le système de « j'aime
» et de commentaires. Il permet également d'échanger en
instantané avec ses amis via la messagerie instantanée.
L'arrivée d'Instagram parmi les applications des réseaux sociaux
a connu un succès fort. Cette réussite est due à plusieurs
facteurs : le caractère instantané de la photographie que l'on
peut
71 LARDELLIER, Pascal, BRYON-PORTET Céline. « Ego 2.0
». Quelques considérations théoriques sur l'identité
et les relations à l'ère des réseaux », Les Cahiers
du numérique, vol. 6, no. 1, 2010, pp. 13-34.
72 NUMERAMA, Instagram. Polaroïd numérique
filtré.
26
saisir et immédiatement poster auprès de sa
communauté. Au départ, le réseau possédait un
visuel particulier qui rendait ses photos reconnaissables : le format
carré, tel des clichés de Polaroïd. Mais ce format sera
abandonné en 2015 afin de permettre de publier des formats paysages
ainsi que des vidéos.73 Les « igers »
(utilisateurs d'Instagram)74 sont très engagés sur le
réseau. La facilité d'échange avec les autres le rende
plus accessible et plus apprécié des utilisateurs.
L'un des aspects particuliers et attirants d'Instagram pour
ses utilisateurs est la possibilité de retoucher les clichés de
manières différentes. Il y a les célèbres filtres
pour améliorer le rendu mais il existe désormais d'autres
possibilités qui ne se résument plus uniquement à des
photographies. Il est maintenant possible de faire des lives Instagram (repris
du réseau social Facebook). Depuis juillet 2016, Instagram a
décidé de créer un algorithme afin de rendre plus
pertinent les résultats de recherche et d'accès aux publications
des autres. Mais ce changement serait dû à une volonté de
faire passer aux utilisateurs davantage de temps sur Instagram.75
Cet algorithme est basé sur l'expérience de chacun. Il propose
des résultats en fonction de trois critères :
l'intérêt que l'on pourrait avoir pour une publication en fonction
de ce qui nous intéresse en général, la nouveauté
et la proximité personnelle, c'est-à-dire la proximité de
la personne qui a publié le contenu et avec laquelle l'on va susciter le
plus d'interactions.76
3.2.2 Un renouveau esthétique en passant de
l'amateurisme au professionnel
L'évolution des moyens de reproduction de la
photographie a fait évoluer les valeurs esthétiques de chacun.
Philippe Bouquillon explique que c'est un « renouvellement
esthétique » à travers de nouvelles formes du « beau
». Il prend l'exemple de l'immortalisation des objets dits ordinaires,
donc « sans qualité » qui montrent que les sujets des
clichés sur Instagram se sont « considérablement
élargi ». (Bouquillon dans Paillard, 2014)77 Mais le
plus important reste qu'il faut malgré tout que la photo réponde
à des valeurs de beauté visuelle. L'auteur suppose que ce
phénomène amène à « l'affaiblissement de la
valeur symbolique des productions culturelles ». Ces nouveaux usages
amènent à accorder davantage d'intérêt et
d'importance aux gens lambda qui se lancent dans la photographie.
Désormais, les smartphones, applications de réseaux sociaux
rendent toujours leur utilisation plus facile et ergonomique de façon
à simplifier l'expérience de l'utilisateur qui peut
désormais réaliser des clichés à la manière
de professionnels. On met à disposition des outils semblables à
ceux des logiciels de création graphique telle que Photoshop,
directement dans
73 WIKIPÉDIA, Histoire de la photographie, 2019.
74NUMERAMA, Instagram. Polaroïd numérique
filtré.
75 A-VOTRE-IDÉE. Comment l'algorithme d'Instagram
fonctionne. Traduit de l'anglais
76 A-VOTRE-IDÉE. Comment l'algorithme d'Instagram
fonctionne. Traduit de l'anglais.
77 PAILLARD Julie. La »photo ordinaire» :
récit des banalités quotidiennes sur les réseaux sociaux
en ligne. Analyse des usages photographiques sur Instagram. Mémoire
Master 1 Sciences de l'information et de la communication. Sous la direction de
Mlle Laurie SCHHMITT. 2014.
27
les applications, pour un rendu technique accessible en un
coup de pouce. Nous pouvons observer un réel renouveau dans la
photographie. Depuis la commercialisation des premiers appareils
photographiques numériques jusqu'aux smartphones, chacun s'est mis
à immortaliser son quotidien, sans réelle recherche
esthétique. La capacité d'enregistrement a fait passer la
volonté de stocker avant la qualité photographique. Mais le
développement de la qualité des caméras sur les
téléphones les rendant dignes de certains appareils
numériques a entraîné ensuite une recherche de
qualité. Des premiers blogs à Facebook, les utilisateurs
postaient tout ce qu'ils voulaient, mais toujours avec une conscience de se
mettre en valeur, mais dans leur quotidien. Désormais, avec l'apparition
de réseaux sociaux tels qu'Instagram, au départ
réservé aux photographes, les amateurs vont créer des
comptes tels des professionnels. Nous l'avons compris lors de nos recherches
que le média social met en avant la beauté, l'esthétisme.
Ils veulent maintenant attirer le regard des autres utilisateurs en partageant
des moments extraordinaires du quotidien. Ce besoin de capter l'attention est
dû à la nécessité d'attirer l'admiration de l'autre,
de communiquer avec lui. e qui lance les individus dans une quête de
l'esthétisme à tout prix. Pour cela, ils vont aller toujours plus
loin vers une mise en scène de leur vie.
3.2.3 La photographie sur Instagram : nouveau levier pour
les marques
A travers le temps, les individus ont vu apparaître un
nouveau métier, celui d'influenceur Instagram. Les « Instagrammeurs
» sont des utilisateurs des réseaux sociaux qui perçoivent
des revenus de marques grâce à des partenariats
réalisés avec celles-ci. Cette rémunération se fait
via des agences ou des plateformes de monétisation de
publications.78 Cependant, nous pourrions nous attendre à ce
que ce métier soit exercé uniquement par des professionnel.les de
la mode, du sport, etc. Seulement, d'après notre analyse des comptes du
média social, de plus en plus de personnes lambda se lancent dans ce
type d'activités, par exemple plusieurs comptes tels que @Maddisonyates
(Annexe 6) montrent des photos d'elles en train de poser sur ses photos dans
plusieurs tenues différentes mises en avant, ou encore @Fitjudi (Annexe
7) qui poste des clichés d'elle à la salle de sport, donne ses
performances et des conseils. Nombreux sont les profils étudiés
où les individus se lancent dans des comptes d'influenceurs en prenant
des photographies élaborées, en se choisissant un nom
professionnel et en mettant en place galerie d'images digne de professionnels
de la photographie. (Annexe 8) Après tout, il est possible
désormais pour ces personnes de réaliser des images de
qualité. Elles s'inspirent donc de leurs passions et d'
influenceur.se.s pour s'en donner
également le titre. Pour certaines entreprises, cette promotion des
individus ordinaires dans la publication de clichés numérique,
représente une opportunité de plus-value. En effet, les groupes
vont contacter des instagrammeurs/euses qu'ils/elles soient professionnels/les
ou novices, afin de leur proposer des partenariats. Les marques vont lier
l'image de ces personnes à celle de leur
78 WIKIPÉDIA, Histoire de la photographie,
2019.
28
entreprise, mais surtout, ils vont bénéficier
d'une visibilité à coûts moindre. Les utilisateurs
recevront les produits à présenter sur les photographies, sans
que la marque n'ait à se soucier de trouver un mannequin ou de louer un
studio. Le hashtag représente un avantage pour les marques
également. Cliquer sur un hashtag permet d'avoir accès à
tous les clichés possédants celui-ci. Ainsi, si une marque
apparaît, les utilisateurs pourront directement accéder à
tous les contenus les concernant en un clic. D'après nos recherches de
terrains, nous nous sommes aperçus qu'il n'y avait plus
réellement de distinction entre les professionnels et les amateurs en
photographie. Nous avons sélectionné à titre d'exemple ces
deux clichés sur Instagram, pris respectivement par un photographe et
une personne lambda. Nous remarquons que le cliché de la personne
amateur a reçu davantage d'appréciation que celle du
professionnel. Instagram est un lieu où chacun peut s'exprimer, pour
exister pour ce qu'il est et où chaque personne peut montrer ses
compétences, et leur apporter de la légitimité.
29
II. La mise en visibilité et la mise en
scène de soi dans le processus de construction identitaire
La monstration de soi sur les réseaux sociaux,
l'exhibitionnisme, le désir de visibilité et d'échanges
avec autrui est un processus ancré dans la pensée collective
comme une obsession narcissique de soi. Cependant, de nombreux auteurs ne
relient pas cette volonté de visibilité à l'amour de soi
mais plutôt à la recherche de son identité. Les jeunes
individus, en pleine construction identitaire, tente de se forger une image,
une personnalité sur internet à travers ce qu'ils exposent d'eux.
Ils vont se mettre en scène pour se créer un « soi »
virtuel, qui leur ressemble, à présenter aux autres. Pour tenter
de se construire cette identité, ils vont utiliser différentes
techniques d'exposition, tout en contrôlant ce qu'ils montrent d'eux.
Cette partie permet de répondre à notre première
hypothèse et d'amorcer la suivante : l'exposition des individus sur les
réseaux sociaux pour la reconnaissance. La reconnaissance ne peut
exister sans la connaissance en premier abord. Ainsi, les individus doivent
construire leur identité et se faire connaître en s'exposant sur
les réseaux sociaux avant d'espérer une reconnaissance et un
sentiment d'appartenance.
1. S'exposer sur les réseaux sociaux : de la
recherche de soi à la mise en scène de son identité
1.1 La recherche de son identité
1.1.1 Le questionnement de soi
Les réseaux sociaux sont un lieu où se fait plus
facilement la création identitaire pour les plus jeunes, car c'est un
espace écarté du regard des parents desquels ils essayent de se
détacher. Ils sont l'émancipation de l'environnement familial et
des codes qu'il impose. Nous cherchons à devenir nous-même, en
dehors de ce cadre, pour ne plus être un individu à l'image de sa
famille mais à l'image de soi-même. Les jeunes individus sont
à la recherche de leur image et de leur identité, qu'ils tentent
de retrouver à travers les photographies postées sur les
réseaux sociaux. Axel Honneth (Honneth par Berten, 2001)79
parle de « processus d'intériorisation de soi »,
c'est-à-dire le fait de se représenter soi-même en tant
qu'objet pour se voir de façon extérieure afin de pouvoir
réfléchir sur soi. Nous pouvons appliquer ce principe aux
clichés. En effet, les individus vont se photographier afin de se voir
comme une période extérieure, tel qu'ils sont et ainsi
réagir par rapport à leur apparence (se trouver beau, laid, etc.)
Nous pouvons prendre en exemple la fameuse citation de Roger Magritte «
Ceci n'est pas une pipe ». C'est l'image d'une pipe et non
l'objet lui-même. C'est ainsi que le processus d'intériorisation
agit pour comprendre que l'image que l'on voit, c'est nous. Jocelyn
79 BERTEN André. Axel Honneth, La lutte pour la
reconnaissance. Traduit de l'allemand par Pierre Rusch. In: Revue
Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 99, n°1,
2001. pp. 135-139.
30
Lachance (2015)80 rejoint Axel Honneth en
expliquant que le fait de se présenter soi-même, à travers
un selfie, une photographie, est déjà une démarche de
découverte de soi. Le simple fait de se regarder en photo, sans que
celle-ci ne soit destinée à quelqu'un en particulier, participe
à la réflexion de soi. On s'observe par la méditation de
l'écran du téléphone, comme si l'on avait un regard
extérieur sur soi-même. Serge Tisseron (2009) 81 parle
de « valorisation de l'expérience réflexive ».
C'est-à-dire que les individus ont besoin de raconter leur
expérience, de commenter leur situation pour qu'ils comprennent qu'ils
sont réellement acteur de cette même expérience. Donc
certains individus prennent des photos pour se prouver qu'ils ont bien
vécu cet instant, comme une preuve de sa réalité. La
construction identitaire de soi commence par le besoin de se créer des
histoires, des souvenirs, des brides de soi à exposer aux autres. Lors
de nos observations sur Instagram, nous ressentons ce besoin de se raconter, en
exposant ses passions, ses valeurs, son quotidien c'est une manière de
montrer à autrui qui on est et ce que l'on aime. Le fait de poster
également des photographies de paysages ou de monuments devant lesquels
les personnes posent et un moyen de se rendre acteur de cette
expérience, d'apporter la preuve que nous l'avons bien vécu et
participe à nourrir notre identité.
1.1.2 Recherche de soi dans la modélisation de son
image
Pour Pascal Lardellier (2010)82, l'identité
est à mi-chemin entre la métamorphose et la recomposition lorsque
les individus sont amenés à questionner leur identité,
telles les personnes qui se cherchent en se regardant à travers leur
écran. On parle de crise identitaire, de l'individu perdu dans un «
bain identitaire » qui représente le mix des valeurs,
références, cultures, qui sont partagés par des
communautés et dans lequel l'homme nage depuis son enfance. Il est
confronté à différents espaces possédant ses
caractéristiques propres, dans lequel il évolue constamment :
l'école, la famille, les amis, les loisirs, etc. Fanny Georges
(2009)83 intronise l'idée d'un «
schéma-silhouette de soi » qu'elle reprend du diagramme du
squelette de C. S. Peirce. C'est une représentation de soi que
l'individu se crée, une « modélisation » faite par le
quotidien. Elle considère que l'identité « est un flux
d'événements quotidiens dont le sujet mobilise certains souvenirs
dans la perspective de constituer une représentation abstractive de lui
» ou le fameux « schéma-silhouette ». C'est-à-dire
que l'individu va collecter des informations le concernant, pour ne garder que
celles qu'il juge les plus intéressantes et les plus justes pour
constituer une représentation de lui. Nous étayerons ces propos
dans l'analyse de l'identité virtuelle et réelle et de la mise en
scène de soi. Le fait d'interagir avec les
80 LACHANCE, Jocelyn. L'éthos de l'adolescent dans les
mondes numériques : le rôle des destinataires.
Itinéraires. 2015.
81 TISSERON, Serge. Les jeunes et la nouvelle culture
Internet. Empan, vol. 76, no. 4, 2009, pp. 37-42.
82 LARDELLIER, Pascal, BRYON-PORTET Céline. « Ego
2.0 ». Quelques considérations théoriques sur
l'identité et les relations à l'ère des réseaux.
Les Cahiers du numérique, vol. 6, no. 1, 2010, pp. 13-34
83 Georges, Fanny. Représentation de soi et
identité numérique. Une approche sémiotique et
quantitative de l'emprise culturelle du web 2.0. Réseaux, vol. 154, no.
2, 2009, pp. 165-193.
31
autres peut faire évoluer cette image de
lui-même, c'est ainsi qu'il échange avec autrui, afin de faire
changer son regard sur lui-même.
1.1.3 Le narcissisme
Les réseaux sociaux, d'après Cédric
Fluckinger (2010)84, sont des outils de construction identitaire
mais ils peuvent parfois donner une image négative des jeunes, une
facette narcissique d'individus obsédés par eux-mêmes.
Cette question du narcissisme entraîne un débat houleux entre les
différents auteurs. Certains s'animent à dire qu'il s'agit avant
tout d'une confiance en soi très forte (Magnier et Brodin,
201285) et pensent que les exhibitionnistes sur internet sont des
narcissiques matérialistes. D'autres tendent à dire qu'il faut
plutôt y déceler une recherche de reconnaissance. Le «
narcissisme numérique », pour Frédéric
Tordo86, est une manière de séduire afin d'obtenir
l'amour de quelqu'un. C'est une forme d'exhibitionnisme qui prouve que les
jeunes se cherchent avant tout. Ils ont besoin du regard de l'autre afin de se
créer son identité, on ne parle pas de désir sexuel mis en
avant mais d'un désir « d'externaliser sur un autre qui sert de
support de soi » (Tordo, 2015). Ils veulent connaître le regard des
autres afin de savoir comment se regarder eux-mêmes en retour. Si l'on
reprend le mythe de Narcisse, la légende s'accorde à dire que
c'est l'amour pour lui-même qui causa sa perte. Il se noya en voulant
embrasser son propre reflet, mais le psychologue Nicolas Rousseau87
nia cette histoire pour révéler que Narcisse ne s'est pas reconnu
dans le reflet et s'est questionné sur cette apparition de
lui-même. Notre étude ne nous donne pas d'éléments
assez significatifs pour savoir s'il y a tout de même de l'amour-propre
derrière le besoin de s'exposer. Il est vrai que de nombreux comptes
parmi ceux analysés sur Instagram montrent une confiance en soi
très forte de certaines personnes, à travers les très
nombreux selfies, clichés d'eux. L'étude des hashtags n'a pas
donné non plus beaucoup d'éléments, excepté un
compte où la personne utilisait des termes tels que «
handsome », « hotguy » et que certains autres
prônaient l'acceptation et le fait qu'il fallait s'aimer soi-même.
Mais nous ne pouvons parler ici de narcissisme. Il serait nécessaire de
réaliser une étude psychologique davantage poussée.
1.1.4 Le selfie
Pour continuer sur le narcissisme numérique, la
question du selfie divise également les chercheurs en communication.
Cette technique photographique est apparue en 2002 mais est devenu virale dix
ans après, via le succès des smartphones. En principe, le selfie
porte son importance sur le décor en
84 FLUCKIGER Cédric. Blog et réseaux sociaux,
outils de construction identitaire adolescente. 2010, Diversité,
n°162, p.38-43 (version pré-print)
85 BRODIN, Oliviane, et MAGNIER Lise. Le développement
d'un index d'exposition de soi dans les médias sociaux : phase
exploratoire d'identification des indicateurs constitutifs. Management &
Avenir, vol. 58, no. 8, 2012, pp. 144-168.
86 TORDO, Frédéric. Séduire à
l'ère du numérique : une séduction polymorphe à
l'adolescence. Enfances & Psy, vol. 68, no. 4, 2015, pp. 83-92.
87 ROUSSEAU, Nicolas, LASCH Christopher. La culture du
narcissisme. 12 Juillet 2014, Actu Philosophia
32
arrière-plan comme preuve de ce qu'on est en train de
vivre. Plusieurs facettes de ce type de photographie sont alors mises en
lumière. Il incarne la représentation de la multiplicité
des portraits dans la recherche de soi et de son identité (Sion dans
Lichtensztein, 201788). Prendre plusieurs photographies de soi en
cherchant laquelle publier ensuite serait une manière de se chercher, de
se découvrir. Il ne serait pas à caractère narcissique car
il n'est pas tourné vers soi mais vers les autres, dans un besoin
d'échanges avec autrui. André Gunthert89 confirme
cette hypothèse en notant que les hashtags utilisés sur Instagram
ne montrent pas des termes qui révèlent du narcissisme, tel que
« me » ou « loveme ». Or, nos recherches sur le
réseau social ont mis en avant le fait que beaucoup d'individus
utilisent des hashtags comme « me », qui plus est, est l'un des plus
utilisés en 2019. En effet, il a été utilisé 398
829 598 fois, ce qui le fait arriver dans le top 20 des hashtags les plus
utilisés si nous comparons avec les 10 plus populaires en
2019.90 Mais cette utilisation peut être est un synonyme du
selfie, comme pour montrer que c'est bien la personne elle-même sur la
photographie, comme preuve supplémentaire que la photographie est une
technique d'externalisation de soi et de son expérience. Dominique
Cardon (2011)91, par exemple, pense que les selfies sont « les
mises en scène de soi, de ses qualités, de ses compétences
accompagnant une volonté d'élargir l'espace de visibilité
dans lequel chacun manifeste aux autres sa singularité pour la faire
connaître ». En effet « Je mets très souvent un
filtre mais pas un en particulier directement sur Instagram quand j'apparais
sur la photo. » témoigne Elise.92 Nous avons eu des
difficultés à savoir où placer ce thème important.
Mais nous avons choisi de le situer dans les techniques de monstration de soi
et de mise en scène. On se montre tel que l'on est, on présente
son visage, mais pas de façon totalement naturelle. De plus,
d'après notre analyse, la généralité des
photographies est effectivement dans le but d'échanger des instants de
vie ou pour se valoriser, l'image est toujours tournée vers les autres
et non vers soi, ce qui serait une preuve que le selfie n'est pas une
représentation narcissique de soi. Sur les selfies, plusieurs individus
s'adressent même directement à leur communauté «
Hellooooo vous avez passé une bonne semaine ? »93.
Les clichés sont davantage source de recherche de lien et de validation
de son image par autrui que réellement de l'amour de soi. Les individus
seraient narcissiques, mais ça serait un moyen de défense contre
le manque d'affection, (Escande dans Chooeum et Guemas, 2017). Le selfie est un
message adressé aux autres, sur qui nous sommes, notre emplacement, nos
goûts, sur notre identité simplement. Publier des photographies
est un moyen de laisser sa trace sur le monde, pour ne pas se sentir
oublié. On remplit sa vie d'images pour ne pas sentir le vide, pour
se
88 SION, Brigitte. Agathe LICHTENSZTEJN. Le Selfie. Aux
frontières de l'égoportrait. Questions de communication,
n°31, 2017, 495-496.
89 GUNTHERT, André. La consécration du selfie,
une histoire culturelle. Études photographiques, n°32,
Printemps 2015
90 MARTIN, Sarah. Instagram, les hashtags les plus
utilisés. Metricool, 2019
91 CARDON, Dominique. Réseaux sociaux de
l'internet. Communication, vol. no.88, 2011, pp. 141-148.
92Entretien Elise, le 15 juin 2019
93 Analyse de contenu, compte de Ludivinee_s
33
souvenir. Le portrait est un moyen de faire connaître
son identité, qui l'on est en mettant en scène sa vie, ses
goûts. On parle de soi, on exprime sa personnalité de par sa
diffusion aux autres et ainsi, il est une source de construction identitaire.
94 Mais il peut également être un souci de
contrôle de son image. Ces affirmations ne sont pas partagées par
tous. Certains parlent d'une « industrie du soi » qui s'insère
dans une société qui aime le divertissement, qui aime «
regarder et se regarder ». André Gunthert (2015) expose le selfie
comme un trouble de l'image de soi, de son identité, qui pousse à
exhiber son corps de manière subjective. (Escande dans Chooeum et
Guemas, 2017) Il est vrai que malgré une certaine pudeur, notre analyse
de contenu a révélé des photographies de personnes mettant
leur physique en avant. Notre enquête montre que 27 individus sur 44
postent des selfies et 37 postent selfies et photographies d'eux-mêmes
prisent par d'autres personnes. Mais pourtant, 10 interrogés sur 14
affirment préférer les clichés de groupe. Il y a une
réelle volonté de se présenter seul sur les réseaux
sociaux car c'est un espace public où l'on se montre pour faire valider
notre image, se présenter au monde. Mais il n'y a jamais
réellement d'extrême en réalité, car parmi les
interrogés, une seule personne préfère être seule et
publier des photos uniquement d'elle. Cette analyse contredit les affirmations
d'André Gunthert (2015), donc le fait que l'exposition de soi seule, via
les selfies est une preuve de narcissisme.
1.2 L'exposition de soi
théâtralisée
1.2.1 Mise en scène de soi
La mise en scène de soi est une notion définie
par Ervin Goffman dans La mise en scène de la vie quotidienne
(1956). L'auteur y compare les instants du quotidien et les interactions
sociales à des pièces de théâtre où les
individus jouent des rôles et «réalisent des
performances» pour tenter de certifier que «leurs actions et
particularités sont réelles» (Goffman dans Paul, 2018). Il
existe deux façades de ces mises en scène : l'apparence
symbolique de l'acteur (ce qu'il représente pour le public) et le
décor (par exemple, sur Instagram, ce sera l'arrière-plan de la
photo, le paysage, les accessoires des individus, les objets mis en
évidence). Ensuite arrive la «façade personnelle» qui
représente les attributs et objets personnels de l'acteur (sexe,
vêtements, bijoux, etc.). Celles-ci peuvent donc être
modifiées (Goffman dans Paul, 2018)95 Les individus
façonnent leur apparence, leur vie, rendent ce qu'ils montrent plus
beau. Ils s'inventent une vie pour « fuir la banalité du quotidien
» et peut-être, pouvoir devenir quelqu'un d'autre.96
Pascal Lardellier et Céline Bryon-Portet
94 CHOOEUM Sophie, GUEMAS, Marion. Le selfie
au-delà de la simple représentation de soi. Mémoire
en master 2 Culture et métier du web, Université de Paris-Est
Marne-la-Vallée, 2017
95 PAUL Jolianne. Réseaux sociaux et image
corporelle. Mémoire de maîtrise en service social. Sous la
direction d'Alexandre Baril, Ph.D. Université d'Ottawa, 31 août
2018
96 BAUHAIN, Valérie. Réseaux sociaux : ce que
révèlent nos photos de profil. Psychologies. 2019
34
(2010)97 décrivent un « soi
fantasmatique ». C'est-à-dire que les utilisateurs se
représentent sur les réseaux de manière toujours plus
avenante, voire caricaturale à cause des stéréotypes
diffusés dans les médias. Le duo d'auteurs parle ici d'un
«processus de subversion» des identités qui consiste à
montrer que le soi est un autre et que «l'on peut sortir des espaces
institutionnels pour s'inventer autrement». C'est-à-dire qu'ils
sortent du «rôle» que la société a
créé pour eux. Notre étude montre qu'il y a effectivement
un désir de se donner une nouvelle image de soi, de se mettre en
scène. En étudiant les postures des individus sur les
photographies, nous nous rendons compte que les personnes ont tendance à
adopter des attitudes particulières. Ils se mettent en avant de
manière avenante avec des codes répétitifs : cambrures,
mains dans les cheveux, expressions exagérées de bonheur, etc.
Les instagrammeurs « posent » tout en faisant semblant d'adopter des
positions que l'on pourrait penser naturelles ou prises sur le vif, mais qui ne
sont que pure mise en scène (photo d'une personne s'étirant dans
le lit mais bien coiffée et bien maquillée). Elles vont user de
techniques pour mettre certains aspects d'eux en avant, que ce soit au niveau
des objets utilisés, du cadrage, de l'action. Chaque expression et geste
est le fruit d'une réflexion antérieure.
1.2.2 La théâtralisation des interactions
Pour Ervin Goffman (1873)98, le monde social
lui-même représente un théâtre dont les
échanges entre les individus ne sont que parades. Déjà car
ces échanges s'adaptent en fonction de la personne à laquelle
nous parlons. Nous n'avons pas le même comportement, la même
gestuelle ni la même façon de nous exprimer devant nos amis, notre
famille ou nos supérieurs hiérarchiques. Chaque personne dans sa
vie de tous les jours joue continuellement des rôles qui diffèrent
selon son auditoire et la situation.
Nous pouvons appliquer cette théorie aux réseaux
sociaux. Les individus exacerbent sur leurs clichés une partie de leur
identité, un attrait de leur personnalité. Ils se rendent acteurs
de scènes de leur vie afin de montrer une particularité
d'eux-mêmes. Ils vont désirer dégager quelque chose en
fonction du public qu'ils ciblent. Ainsi, certains instagrammeurs vont
avoir tendance à se montrer selon le rôle qu'ils aimeraient
incarner dans la vie réelle. Certaines personnes vont mettre en avant
leur corps, leur beauté, leur musculature, leur sensibilité,
capacité à cuisiner, etc. De plus, notre enquête nous a
permis de confirmer notre hypothèse selon laquelle les individus se
créent une image sur internet pour leurs échanges. Il n'y a
apparemment pas de place pour les expressions négatives sur le
réseau social. La majorité des images présentent des
individus en train de sourire ou de rire, montrant ainsi une surexposition de
la joie. Ce phénomène est confirmé par l'utilisation de
hashtags récurrents tels que #happy, #happiness, #love et par
certains témoignages « C'est un réseau social qui
fonctionne sur
97 LARDELLIER, Pascal, BRYON-PORTET Céline. « Ego
2.0 ». Quelques considérations théoriques sur
l'identité et les relations à l'ère des
réseaux. Les Cahiers du numérique, vol. 6, no. 1, 2010, pp.
13-34
98 GOFFMAN, Ervin. La mise en scène de la vie
quotidienne 2. Les relations en public. 1873. Paris : Les Éditions
de minuit, 256 pages.
35
l'esthétisme et le bonheur ».
Elise99 confirme en avouant qu'elle se donne une image «
plus joyeuse » sur Instagram.
1.2.3 Le décor de la photo comme mise en
scène de soi
La comparaison de la mise en scène de la pièce
de théâtre aux réseaux sociaux d'Ervin Goffman explique que
le « décor » d'une pièce a totalement son importance
lors d'une représentation, elle plante l'action dans un contexte. Sur
Instagram, nous remarquons que de nombreux clichés axent leur importance
sur l'arrière-plan, le paysage. Cela permet de montrer les lieux dans
lesquels nous allons et la beauté de ce que nous vivons. Il ressort de
notre enquête que l'arrière-plan n'a pas d'importance en
lui-même, excepté lorsqu'il est le sujet principal de la
photographie. Mais il sert de mise en valeur du sujet. Pour confirmer le
paradigme de Goffman (1973), nous avons fait ressortir de notre recherche que 9
des interrogés sur 14 avouent mettre en avant le paysage sur les
photographies. Dans l'analyse de contenus, seules 7 personnes sur 30 ne mettent
pas en avant de décor en général car elles concentrent les
clichés sur elles-mêmes. Pour les autres, nous nous rendons compte
qu'ils expriment différents attraits à travers les décors
: leurs goûts et passions, notamment avec les salles de sports, lieux
d'activités, mais surtout, le thème très récurrent
est celui du paysage de voyage. En effet, notre enquête
révèle que les personnes se prennent principalement dans des
lieux de vacances, de promenades et immortalisent des sites qu'ils trouvent
beaux ou qui sont célèbres (les monuments, lieux incontournables)
(Annexe 9). C'est ce que les abonnés recherchent sur Instagram : la
quête de paysages magnifiques, de lieux dans lesquels ils voudraient
aller, du rêve. A l'instar de Goffman, les photographies montrent que le
décor sert bel et bien de mise en scène à l'action, de
décor à la personne qui se place en tant qu'acteur de l'instant.
Il y a peu d'images de paysages seuls, mais souvent avec les protagonistes
devant, qu'ils soient de face ou de dos. Il y a cette envie de montrer aux
autres les instants privilégiés que nous vivons. Nous pouvons
croiser ces informations avec la question de l'immortalisation de
l'exceptionnel ou de l'anodin qui confirment notre hypothèse car les
individus veulent davantage montrer l'exception que l'ordinaire. Le
décor résulte d'une élaboration du paysage ou de
soi-même. Les individus ressentent le besoin de se construire une
identité autour de ces photographies et le fait de mettre en avant des
lieux exceptionnels contribue à alimenter une image de soi positive,
à se construire une identité de voyageur, d'amateurs du fabuleux
que l'on va soi-même introniser pour penser être cette personne.
99 Entretien Elise, 15 juin 2019
36
2. Identités multiples
2.1 Identité réelle et numérique
2.1.1 L'identité numérique et le design de
soi
«C'est lorsque l'homme parle en son nom qu'il est le
moins lui-même. Donnez-lui un masque et il vous dira la
vérité». Oscar Wilde (1891).2
Les individus possèdent plusieurs identités,
même en dehors du monde virtuel. Nous sommes déjà
amenés à adoptés différentes facettes en fonction
de la situation dans laquelle nous nous trouvons et en fonction du public avec
lequel nous interagissons : « Après je choisis quoi montrer et
comment le montrer, je me montre sous mon meilleur jour. Un peu comme à
un diner chez la belle famille ou à la machine à café avec
les collèges de bureau. Je ne suis pas à 100% moi-même mais
je ne suis pas non plus différente. Il y a le « moi » de
l'intime et le « moi public ». Sur Instagram, je fonctionne
selon mon « moi public ». Il existe différentes
représentations de soi : celle que l'on a de soi-même, celle que
les autres ont de nous, etc. mais l'identité se décline en trois
composantes : l'identité personnelle (ce qui fait que nous somme
unique), l'identité juridique (un citoyen pourvu de droits et de
devoirs) et l'identité sociale (la culture de l'individu, ses valeurs et
normes). Parmi ces identités, nous retrouvons celle que nous
construisons sur le web : l'identité numérique. Elle est
l'ensemble des données saisies par l'utilisateur sur internet (les
pseudos, identifiants, etc.). Ce sont des traces laissées volontairement
ou involontairement (traçage de nos données) ou «
héritées » (notre réputation) (Delefosse,
2016).100 Elle se traduit en tant que « profil », une
fiche identitaire créée par les internautes afin de se
présenter aux autres. Le choix des informations que l'on donne font
varier l'image que les autres vont avoir de nous. Nous avons pu observer que
les individus mettent en avant certaines informations plutôt que
d'autres, ce qui tend à leur créer une certaine facette : le/la
sportif(ve), l'intellectuel(le), l'amateur(rice) de musique, etc. Dominique
Cardon (2011) 101 parle de « design de la visibilité
», c'est-à-dire la manière dont est rendue visible
l'identité des individus sur les médias sociaux. Fanny Georges
(2009)102 explique que dans le monde réel, « la
présence du corps est un indice absolu d'existence »,
c'est-à-dire que l'identité n'a pas de forme à part la
représentation de notre corps. Mais dans le virtuel, la personne doit se
créer un profil pour exister et pouvoir échanger. C'est ainsi que
la représentation de soi sur internet prend de l'importance « dans
l'image que l'on va se faire de nous » car celles-ci incarneront notre
identité immatérielle. Il faut donc décider de ce qui sera
mis en avant ou non selon ce qu'ils veulent montrer : des passions, un
métier, d'autres facettes d'eux-mêmes, parfois inconnues aux
autres. L'exemple de Jonathan, cataphile à ses heures, et auxiliaire
dans la vie réelle, qui publie uniquement des photos de ses
expéditions
100 DELEFOSSE Marie-Sarah. Jeunes et médias, quels
enjeux ? CPCP, n°22, 2016.
101 CARDON, Dominique. Réseaux sociaux de
l'internet. Communication, vol. no.88, 2011, pp. 141-148
102 GEORGES, Fanny. Représentation de soi et
identité numérique. Une approche sémiotique et
quantitative de l'emprise culturelle du web 2.0. Réseaux, vol. 154,
no. 2, 2009, pp. 165-193.
37
souterraines. L'identité numérique n'est pas
forcément une autre identité que la nôtre, mais elle est un
continuum de notre identité réelle : « Je ne
suis pas totalement moi-même mais je ne suis pas différente non
plus » (Justine)103. (Perea, 2010) comme le confirme
Morgane lorsque nous lui demandons si elle se conduit différemment de la
réalité sur Instagram : « Je ne pense pas, c'est une
partie de moi mais je vais juste la mettre plus en avant ». Les
individus extériorisent leur identité sur le net via
l'identité numérique.
2.1.2 Jouer avec les identités pour les jeunes
Les utilisateurs des médias sociaux vont avoir recours
à plusieurs identités pour affirmer leurs goûts
auprès de la communauté. Pour Dominique Cardon (2011),
l'identité numérique est une « virtualité potentielle
» de l'identité, c'est-à-dire, une réalité
réservée au monde virtuel. Serge Tisseron (2009) précise
qu'il ne faut pas s'arrêter à la notion simple de «
multiplicité de facettes » car ces identités ne sont ni
comparables, ni « substituables ». Elles seraient le «
témoin de profondeurs différentes dans le rapport à soi
» que chacun souhaite mettre en avant. Certains jeunes individus
n'hésitent pas à user de ce pouvoir de changer d'identité
sur les réseaux sociaux. L'auteur104assure qu'ils n'ont pas
le même rapport que les adultes à l'intimité. Ils
n'attachent plus réellement l'aspect privé et leur
identité personnelle à la représentation qu'ils peuvent
renvoyer auprès d'autrui. Pour eux, ce qu'ils exposent sur les
réseaux sociaux ne les représente pas réellement tel
qu'ils peuvent être dans la vie réelle : « J'ai
conscience de fonctionner autrement que dans la réalité car je
suis plus terne en vrai », Christophe.105 Ainsi, ils
n'hésitent pas à tester différentes images d'eux
auprès de leur communauté afin « d'en faire tester la
validité ».
Pour Dominique Cardon (2011)106, les jeunes
individus désirent se sortir des catégories identitaires dans
lesquelles la société et le destin les enferment. Ainsi, pour
exister par eux-mêmes, ils adoptent des identités multiples «
comme signature de l'individu ». La culture du web a engendré la
création de facettes multiples pour les personnes qui désirent se
faire connaître. Pour sortir de la case dans laquelle on nous place ;
selon nos origines, nos croyances, notre sexe, nous devons montrer autre chose
à voir de nous. Ainsi, les individus vont axer leur profil sur leurs
goûts, leurs passions, jusqu'à créer des avatars.
103 Entretien Justine, 13 juin 2019
104TISSERON, Serge. Les jeunes et la nouvelle
culture Internet. Empan, vol. 76, no. 4, 2009, pp. 37-42
105 Entretien de Christophe, 11 juin 2019.
106 CARDON, Dominique. Réseaux sociaux de
l'internet. Communication, vol. no.88, 2011, pp. 141-148
38
2.1.3 Le pseudonyme, entre masque et
réalité
Les pseudonymes ont deux fonctions : ils servent «
d'écran de projection et de protection » (Perea,
2010)107 : ils protègent l'identité civile des
personnes mais permet en retour de constituer un « lieu d'identification
fort ». Parfois ils révèlent des informations sur nous,
mettent en exergue des valeurs, des goûts ou encore des traits de la
personnalité inédits pour la communauté. Souvent, les
personnes mettent seulement leur prénom et la première lettre du
nom de famille en général, afin qu'on les retrouve plus
facilement mais sans divulguer toute leur identité aux inconnus comme le
révèle Morgane lors de son entretien « Mon pseudo c'est
mon prénom et une contraction du nom de famille car je n'avais pas envie
de le mettre en entier »108. D'autres ne veulent pas
forcément être retrouvés, mais simplement exister de
manière cachée sur le web. Nous remarquons d'après notre
étude que la grande majorité des personnes usent d'un pseudonyme
pour se présenter. Ces noms permettent de se cacher et de se
créer une nouvelle identité sur internet. Certains, tels les
influenceurs ou personnes voulant exploiter un compte à thème de
manière professionnelle, ne mettent pas leur nom mais vont inventer un
pseudonyme tel une marque ou un blog qui révèle davantage un
univers plutôt qu'un physique (exemples sur Instagram :
la_magie_du_moment, m0n_petit_m0nde_a_m0i, lemondedesandrine).
D'autres vont se donner une sorte de surnom (_angxxie_). Lors de notre
analyse de contenu, nous remarquons que les utilisateurs d'Instagram sont peu
à donner leur véritable identité outre les
personnalités tels les mannequins ou influenceuses
(Patrycja_wozniak, maddisonyates), etc. qui veulent se faire
connaître. Mais le pseudonyme ne fait pas que cacher l'identité,
il peut également la révéler. L'anonymat et la
sécurité de l'écran rassure sur la possibilité
d'extérioriser certains aspects de soi. Certains veulent montrer des
aspects de leur caractère (allegrettalllina pour dire qu'elle est
joyeuse).
3. Espace public et espace privé
3.1 Exposition de soi : de l'intime au public
3.1.1 De l'espace public et privé de Jügen
Habermas à l'espace numérique
Jügen Habermas (Jauréguiberry, 2014)109
a développé la notion d'espace privé et d'espace public.
Pour lui, l'espace public est un lieu où les individus discutaient,
où chacun utilisait sa raison, des débats et échanges de
façon égale. Cette égalité de parole entre chacun
doit permettre de pouvoir s'exprimer, sans distinction mais toujours en
respectant le fait que ces échanges doivent rester dans
l'intérêt général. C'est un espace de
visibilité et de mise en commun du savoir. Nous savons
107 PEREA, François. L'identité
numérique : de la cité à l'écran. Quelques aspects
de la représentation de soi dans l'espace numérique. Les
Enjeux de l'information et de la communication, vol. volume 2010, no. 1, 2010,
pp. 144-159.
108 Entretien Morgane, le 9 juin 2019
109 JAURÉGUIBERRY, Francis. La déconnexion aux
technologies de communication. Réseaux, vol. 186, no. 4, 2014, pp.
15-49
39
désormais qu'au départ, les individus dans la
vie quotidienne possèdent des identités différentes selon
les contextes. Il en est de même sur internet, il existe plusieurs
espaces publics et privés auxquelles encore une fois, nous nous
adaptons. Les réseaux sociaux ont entraîné, avec
l'évolution des médias, un changement dans l'information. Il n'y
a plus de distinction entre ce qui tient du privé ou du public, dans les
échanges. La séparation entre les deux devient inexistante,
jusqu'à créer un mélange, une continuité du
privé vers le public. Nous pouvons voir ce phénomène sur
Instagram, où les personnes n'hésitent pas à montrer des
parties de leur vie. (Dagnaud, 2011).110 Pourtant, nous constatons
que les personnes interrogées tiennent une importance capitale dans le
fait de garder sa vie intime. Lors de l'analyse de contenu, nous faisons le
même constat, les personnes postent beaucoup d'images, mais jamais
d'informations trop intimes. Nous pouvons apercevoir quelques scènes de
la vie quotidienne dans le cadre familiale telles des photographies d'enfant ou
avec une compagne/un compagnon, mais qui restent toujours des photos de
surface. Cela peut être pour simplement garder certaines informations
pour la vie réelle, avec les personnes que l'on côtoie dans la
réalité ou pour des raisons de sécurité «
Non surtout pas, on ne sait jamais où vont ce genre de photos et ce
que les gens en font, en plus ce genre de photo attire toujours des
commentaires méchants ou des personnes mal attentionnées. »
(Camille)111 Ces informations prouvent que l'identité
des individus sur internet est une image de soi préconçue
uniquement pour les réseaux sociaux.
3.2 Intimité et extimité : se montrer et se
cacher des autres pour se construire
3.2.1 Explications des termes
Serge Tisseron (2009)112 évoque une certaine
forme d'exhibitionnisme de soi. Les jeunes individus se demandent ce qu'ils
doivent penser d'eux-mêmes et vont chercher des pairs avec lesquels
échanger afin de savoir qui ils sont. C'est en prenant connaissance de
comment intéresser les autres qu'ils vont apprendre à s'aimer
eux-mêmes. Ainsi, pour communiquer avec autrui, ils vont diffuser des
images de leur vie, de leur physique, de ce qu'ils possèdent afin de
pouvoir en mesurer la valeur via les retours (j'aime, commentaire) des
internautes. Ce désir de se montrer est appelé «
extimité », c'est une notion indissociable de celle
d'intimité. L'extimité existait déjà avant
internet, mais les conventions familiales prenaient le dessus sur les
pratiques, le domaine de l'intime restait ancré dans les conversations
de famille, les photographies familiales. C'est « la reconnaissance d'un
droit à l'intimité qui a encouragé la manifestation du
désir d'extimité car l'intimité de chacun est ennuyeuse
s'il est seul à en profiter » (Tisseron, 2009). L'intimité
est le pouvoir de se cacher des autres. Cette
110 DAGNAUD, Monique. Génération Y. Les jeunes
et les réseaux sociaux, de la dérision à la
subversion. Presses de Sciences Po, 2011
111 Entretien Camille, 06 juin 2019
112TISSERON, Serge. Les jeunes et la nouvelle
culture Internet. Empan, vol. 76, no. 4, 2009, pp. 37-42.
40
notion est articulée à l'estime de soi car si
l'on s'estime, on a envie de se préserver et notamment de
préserver son identité réelle. Le besoin d'intimité
se fait pour construire une partie de soi, qui ne se fondera entièrement
que par le désir d'extimité. « C'est parce qu'on sait
pouvoir se cacher qu'on désir dévoiler certaines parties
privilégiées de soi ». (Tisseron, 2009)113. Pour
Pauline Escande (Chooeum, Guedas, 2017)114, la notion
d'intimité est rattachée à celle d'identité
multiples car la multiplicité des facettes est importante pour les
jeunes afin de savoir dans laquelle il doit s'engager et laquelle il doit
rendre publique. Ainsi, les individus qui se montrent sur Instagram, dans le
processus de construction identitaire, pour rappeler la première
hypothèse, vont choisir ce qu'ils montrent d'eux ou non afin de
bâtir une partie de son identité. Le degré de monstration
varie selon ce que les individus veulent montrer à voir d'eux, allant
parfois vers exhibitionnisme, voire quasiment la nudité.
3.2.2 Intimité et extimité comme outil de
maîtrise sociale
Lorsque nous grandissons, nous prenons d'abord
référence sur la sphère familiale, notre identité
évolue car elle entre en contact des autres, des contextes
(école, amis, etc.). Il va ajuster son comportement en fonction de son
rôle. L'extimité et l'intimité peuvent être
également étudiés comme un phénomène de
contrôle social. En effet, le fait de limiter l'accès de nos
données ou non est un moyen de maîtriser la distance relationnelle
que nous possédons avec nos pairs, un problème qui apparaît
dans la construction identitaire (Tisseron, 2009). Ce sont les individus qui
décident s'ils veulent publier du contenu, échanger
instantanément avec les autres ou alors se taire pour préserver
son intimité. Ils ont la sensation que leur vie privée reste dans
le domaine de l'intime. « Ouais bah moi je ne pense pas que je serais
capable de tout montrer non plus quoi. Il y a des trucs c'est bien que
ça reste dans la sphère privée. »
(Camille).115 L'écran de l'ordinateur forme une protection
contre l'autre lorsqu'on ne s'assume pas encore car il est un dispositif qui
nous épargne le face à face. (Lipianski, 1993) Nous avons
d'ailleurs remarqué que parmi les interrogés, 3 personnes pensent
parler à davantage de personnes sur internet que dans la
réalité et s'exposent davantage. Cela prouve qu'il y a cette
extimité sur internet rendue possible grâce à la protection
de l'écran, l'évitement du réel. Les personnes ont
tendance à se sentir rassurée car il n'y a pas de contacts
réels avec les autres. Les réseaux sociaux permettent la gestion
du contact avec autrui, on peut partager avec l'autre ou non et choisir ce que
l'on diffuse. Ces informations confirment qu'Instagram est un outil de
construction identitaire car les personnes choisissent les
éléments qu'elles montrent d'elle pour contrôler justement
cette identité, et sa représentation auprès des autres.
113 TISSERON, Serge. Les jeunes et la nouvelle culture
Internet. Empan, vol. 76, no. 4, 2009, pp. 37-42.
114 CHOOEUM Sophie, GUEMAS, Marion. Le selfie au-delà
de la simple représentation de soi. Mémoire en master 2
Culture et métier du web, Université de Paris-Est
Marne-la-Vallée, 2017
115 Entretien Camille, 06 juin 2019
41
3.2.3 Exhibitionnisme ou l'impudeur corporelle sur les
réseaux sociaux
Les jeunes par rapport au domaine privé ont vu leurs
usages et aux images évoluer quant à la « contentions de soi
des générations précédentes » (Granjon, 2014).
Plusieurs auteurs tels que Granjon s'accordent à dire que les jeunes
individus n'hésitent plus à se dévoiler au public, ce qui
les amène à se soumettre au regard d'autrui, notamment pas
l'extimité et l'exhibitionnisme. Échanger à travers les
photographies, les messageries instantanées aident les jeunes à
se montrer plus facilement. Notre étude nous donne des informations de
terrains biaisées par rapport au fait que les individus se montrent de
manière exhibitionniste. Les entretiens nous montrent qu'il n'y a pas
d'exhibitionnisme de la part des interrogés, qui refusent de montrer
leur intimité, voire qui vont jusqu'à « ne pas montrer
ses émotions » (Camille)116. Ils mettent parfois
des images d'eux, mais postent surtout des clichés de voyages ou
d'activités. Nous pouvons donc dire qu'ils se construisent une
identité basée sur leurs expériences, leurs
activités validées par les autres. Cependant, avec l'analyse de
contenus nous remarquons dans un premier temps qu'il y moins de pudeur
corporelle, les personnes n'hésitent pas à poser en tenue
légère, laissant paraître leur physique. Ils ont une grande
monstration de leur quotidien, ils se mettent en scène dans des
situations différentes de la vie, postent des selfies mais elles ne vont
jamais jusqu'à la nudité. Il est peut-être plus facile de
se montrer sur les réseaux sociaux grâce à la
possibilité de contrôle de son image, mais il résulte
derrière une volonté de modifier son apparence afin de se
créer une image de soi. Pour Fabien Granjon (2014) par exemple, le
sentiment de pudeur est une obligation d'autocontrôle de son image. Il
s'appuie sur la thèse de Norbert Elias dans La civilisation des
moeurs (1973) qui est que le sentiment de pudeur et «
l'évaluation des seuils de la bienséance et du convenable »
répondent à des logiques de contrôle socialement construit.
L'impudeur fait partie du décontrôle, car la société
fait qu'aujourd'hui, les codes sociaux sont davantage détendus, mais
qu'il est nécessaire de les maîtriser. Il démontre que la
pudeur et l'impudeur sur les réseaux sociaux est «
l'effet/conséquence de la formation d'un public éduqué,
rendu moins sensible aux expansivités de soi ». L'impudeur et la
pudeur sont une manière de toujours contrôler l'image que l'on
renvoi, même si elles laissent à penser qu'elles ne le sont pas.
C'est important d'encadrer ce que l'on publie de soi dans un espace où
l'on se dévoile intimement. Plusieurs de nos interrogés ont
dévoilé ne montrer qu'une partie de leur identité sur
Internet, une partie « sociale » qu'ils maîtrisent. Certains
comme Justine parle de « sélectionner » ce qu'ils montrent
d'eux, que ce soit au niveau de leur corps ou de caractère. Christophe
par exemple, ne montre que des aspects de son physique « pas trop
désagréables » tandis qu'Agathe117 montre
une facette d'elle « plus lisse ». L'analyse de contenu
prouve également qu'il y a une sélection de ce que l'on peut
montrer ou non : de la sensualité, mais jamais de vulgarité, on
peut montrer son apparence, mais seulement celles que l'on trouve
agréables, on peut montrer
116 Entretien Camille, le 06 juin 2019
117 Entretien Agathe, 19 juin 2019
42
sa personnalité, mais seulement la partie
intéressante. Il faut se montrer unique, mais tout en respectant les
normes des réseaux sociaux. La maîtrise de ce que l'on expose de
soi est une théâtralisation, un témoignage du jeu
identitaire dans lequel se lancent les individus et une preuve de l'envie de
devenir autonome. (Granjon, 2014). Nous nous rendons compte que les personnes
contrôlent leur image en choisissant les facette d'eux-mêmes
à mettre en avant, en se construisant une image préconçue
pour la communauté et pour être sûre d'être
appréciée d'elle, ce qui va de pair avec l'identité
réelle et virtuelle.
3.3 Différentes façons de se montrer sur les
réseaux sociaux
3.3.1 Les différentes visibilités dans
l'espace public
Dominique Cardon (2011) a déterminé plusieurs
types de visibilités dans la mise en scène de soi selon
différents types d'exposition de soi. En effet, comme nous l'avons
déjà indiqué précédemment les individus ne
s'exposent pas pareil selon le public qui les regarde. Il existe l'exposition
traditionnelle (représentation des grands événements, de
la famille) qui sert à montrer une bonne image de soi, l'exposition dite
« d'impudeur corporelle » qui est le fait de se montrer de
façon provoquante. Il existe également l'exposition du cool qui
consiste à se montrer dans des positions exagérées pour
forcer un trait de l'identité, de la personnalité et l'exposition
du trash (volonté de choquer la communauté). Nous retrouvons ce
genre de mise en scène sur le réseau social Instagram. L'analyse
de contenu nous montre que les personnes s'exposent de façon
différente, selon l'image qu'elles veulent donner d'elles. Certains
n'hésitent pas à poser en maillot de bain ou dans des positions
suggestives, d'autres vont poster des évènements de la vie, ou
l'exposition du cool avec des individus en train de réaliser des figures
de yoga au milieu des rues, en train de forcer à montrer des images
d'eux très souriants pour incarner le bonheur, etc. Chaque type
d'exposition est représenté, excepté le trash.
L'expérience des jeunes sur les réseaux sociaux se fait «
par des mises en scène telles des performances imprégnées
par le travail identitaire caractéristique de cette période de
vie » (Lachance, 2015)
3.3.2 Le web en clair-obscur
Pour Dominique Cardon (2011)118, le clair-obscur
permet de « flouter » son identité afin d'éviter
d'être reconnaissable ou retrouvable, ainsi il va permettre de se cacher
afin de mieux se rencontrer dans la vie réelle ou au contraire, pour ne
pas être reconnu. Si l'on reprend les enjeux de la visibilité des
réseaux sociaux de l'auteur, les individus vont aller sur certains
réseaux sociaux offrant différents types de visibilité
permettant de les cacher ou non. Le type le plus répandu d'après
l'auteur pour ce genre de réseau social tel que Facebook est le
clair-obscur. Celui-ci permet « d'enrichir des
118 CARDON, Dominique. Réseaux sociaux de l'internet.
Communication, vol. no.88, 2011, pp. 141-148.
43
relations » avec des discussions virtuelles,
d'échanger avec des inconnus mais tout en pouvant dissimuler une partie
de son identité. Via ce type de visibilité, ils rendent visible
certains aspects de leur intimité, mais pour un public proche. Mais cela
n'est applicable que dans l'éventualité où les
utilisateurs limitent l'accès de leurs données. Par exemple, sur
Instagram, cela supposerait que tous les détenteurs d'un compte
possèdent un profil « privé » qui limite l'accès
à leur contenu. Or, notre enquête montre que les personnes
interrogées ont toutes un profil « privé » tandis que
la majorité des profils de l'analyse de contenus possèdent un
compte mis en public. Nous pouvons alors parler de visibilité en «
phare ». Celle-ci concerne les individus qui rendent visible à tous
leurs photographies et autres contenus afin de créer « de grands
réseaux relationnels », donc favoriser davantage de contacts. Cette
visibilité publique ou privée dépend de ce que recherche
la personne, de si elle souhaite échanger avec le plus de personnes
profils, être reconnus et connus d'un grand nombre d'individus ou si
elles souhaitent ne pas s'ouvrir à tous. Nous remarquons lors de notre
enquête, que les individus possédant un compte public sont des
personnes qui souhaitent échanger avec davantage de personnes «
Oui, poster des photos pour échanger avec des personnes, c'est
l'objectif premier » (Agathe119). Tandis que d'autres,
ayant un compte privé, ne ressentent pas l'envie ni le besoin de
communiquer avec d'autres personnes. Le domaine public connaît un
glissement vers le privé, mais il existe encore des individus qui
souhaitent garder une part d'intime. « Non, ça ne m'arrive
jamais. Je n'ai pas tendance à mettre mes amis en photos sur Instagram
car même si j'ai des photos je préfère les garder pour moi.
» répond Morgane120 lorsque nous lui demandons si
elle a tendance à montrer des informations intimes. Les utilisateurs
ouvrent une certaine intimité mais tout en la protégeant.
Certaines personnes ouvrent leur compte Instagram mais sont davantage dans une
démarche professionnelle, afin de montrer de beaux clichés. Le
clair-obscur, contrairement au phare, permet de contrôler son image et
son intimité.
119 Entretien Agathe, 19 juin 2019
120 Entretien Morgane, 10 juin 2019
44
III. E-réputation et recherche de
visibilité et d'estime sociale pour la quête de reconnaissance et
du sentiment d'appartenance
Sur les réseaux sociaux, il est inévitable de
parler de la recherche de visibilité de la part des utilisateurs. Dans
tous les aspects de leur expérience numérique, ils se rendent
visible, et ce, outre dans la recherche de leur identité, pour
également créer des liens avec autrui. De par la manifestation de
leur présence en ligne, par la tentative de création
d'échanges et la diffusion d'images d'eux, les individus cherchent le
regard de leurs pairs, mais pas dans le seul but de faire partager ses
expériences, mais d'être reconnu par eux et de se sentir inclus
dans une communauté.
1. Le besoin de reconnaissance des individus
1.1 La recherche de visibilité pour la
reconnaissance
1.1.1 La recherche d'interaction des groupes
sociaux
La notion de reconnaissance des individus a été
développée par Axel Honneth (Honneth par Courtel,
2008)121 dans son ouvrage de Lutte pour la reconnaissance.
Dans cet ouvrage, il explique l'évolution des mouvements sociaux et
des groupes qui se sont mobilisés afin de faire valoir leurs droits et
leurs différences, en demandant à être reconnus par la
société. Ce sont des groupes de minorités qui se sont
battus pour faire rendre compte de leur existence et obtenir leur droit
à leur identité de la part des majorités collectives. La
reconnaissance entre les pairs se fait par le biais de « formes
d'interactions ou d'intégrations sociales »122,
c'est-à-dire le besoin de se sentir intégré et de
communiquer avec autrui. Il existe trois formes d'intégrations :
l'amour, que l'on obtient de ses proches et nous apporte la confiance en soi,
le droit en tant que citoyen et humain de la société qui nous
donne le respect de soi, et la solidarité qui apporte l'estime de soi.
Ces trois formes d'intégrations permettent chacune de fournir la
reconnaissance. Mais lorsqu'un individu n'a droit à aucune de ces
interactions, ou seulement deux, il ne se sent pas intégré parmi
ses pairs. La formation de l'identité de quelqu'un l'amène dans
des degrés de socialisation avec les autres, et cette socialisation va
amener la reconnaissance. Cette lutte est avant tout pour échapper au
mépris, à l'invisibilité à laquelle nous pouvons
être confrontés. La reconnaissance se fait entre individus par ce
que Kant évaluait de « représentation de la valeur »
(Courtel, 2008), c'est-à-dire l'évaluation de la personne. Ainsi,
nous pouvons faire le lien avec les réseaux sociaux car les jeunes
individus, prêts à sortir de leur cocon familial, qui connaissent
l'amour de leurs proches, vont aller à la rencontre voire à la
confrontation de nouveaux individus. Ils vont ensuite chercher à
être reconnus de ces autres, afin de se sentir exister et ancrés
également dans une communauté. Les individus vont sur les
réseaux sociaux dont Instagram, lieu d'interactions entre les pairs et
d'exposition de soi. Ils vont rechercher
121COJRTEL, Yannick. La lutte pour la
reconnaissance dans la philosophie sociale d'Axel Honneth. Revue des
sciences religieuses, 2008, 5-23.
45
cette intégration en confrontant leur image sur
internet. Ils vont tenter de se présenter, pour ensuite être enfin
reconnus. Mais pour accéder à cette reconnaissance, ils vont
devoir s'exposer et user de techniques afin de diffuser une image positive
d'eux-mêmes et attiser l'amour chez les autres. Cette reconnaissance
ensuite se mesure aux interactions et moyens de diffusion de
l'appréciation des autres sur nous que nous allons développer
dans les parties suivantes.
1.1.2 Être présent sur les réseaux
sociaux comme technique relationnelle
Être visible sur les réseaux sociaux permet de
créer ou de maintenir le lien social avec ses pairs. Nous parlons de
« technique relationnelle » car nous allons faire des actions dans la
vie réelle afin de pouvoir les retransmettre sur le web. Par exemple,
aller à des concerts ou voir des amis et diffuser des photographies ou
vidéos de cet instant sur sa page. C'est une sociabilité «
activée dans le réel pour la poursuivre dans le virtuel ».
(Cardon, 2011)123. Plusieurs interrogés continuent
d'échanger avec leurs proches sur les réseaux sociaux : «
C'est-à-dire que la plupart des personnes à qui je parle sur
internet sont déjà des amis et des connaissances que j'ai
» (Solène)124. Le fait de vouloir maintenir ou de
créer un lien social avec autrui n'est pas uniquement dans le but de
rencontrer ou d'entretenir une amitié. Pour les jeunes individus, cette
visibilité sert dans sa quête de reconnaissance. Le fait d'exposer
ses liens sur internet, permet de tester les relations qu'on entretient «
Si j'essaye de communiquer avec les potes que j'ai pris en photo
» (Zélie).125 Pour eux, il y a un
intérêt de créer du lien derrière ces
échanges, Agathe pense même « que c'est l'objectif
premier 126». Les personnes s'exposent également
afin de prouver qu'elles sont présentes, elles sont là,
prêtes à échanger. (Casilli, 2012).127 Pour
cela, les abonnés peuvent se faire apparaître « en ligne
», commenter les publications, envoyer un message sur les messageries
instantanées, etc. La photographie devient un vrai message en
lui-même adressé à ses amis comme ce que répond
Zélie lorsqu'on lui demande si elle attend quelque chose de son
entourage après avoir publié "Oh bah ouais, enfin oui enfin
qu'ils répondent quoi». Le terme « répondre »
prouve que la photographie est un message. Dans L'image conversationnelle
(2014), André Gunthert explique que la photographie, en particulier
numérique « ne peut exister sans destinataire ». Les
clichés servent d'après lui à lancer les échanges
avec la communauté. Les personnes ont tendance à exprimer des
choses à la fois personnelles, pour montrer à autrui qu'on lui
porte de l'intérêt, et universelles pour intéresser tout le
monde. C'est ce
que Granjon appelle les « dispositifs relationnels du web
». Pour Serge Tisseron (2011)128, les individus veulent
être visibles pour pouvoir se raconter, affirmer qu'ils sont, mais
toujours dans le
123 CARDON, Dominique. Réseaux sociaux de
l'internet. Communication, vol. no.88, 2011, pp. 141-148
124 Entretien Solène, 1er juin 2019
125 Entretien Zélie, 03 juin 2019
126 Entretien Agathe, 19 juin 2019
127 CASILLI, Antonio. Être présent en ligne :
culture et structure des réseaux sociaux d'Internet. Idées
économiques et sociales, vol. 169, no. 3, 2012, pp. 16-29.
128TISSERON, Serge. Les nouveaux réseaux
sociaux sur internet. Psychotropes, vol. vol. 17, no. 2, 2011, pp.
99-118.
46
but de se sentir exister et de se rendre acteur d'une
situation. Olivier Voirol (2005)129 fait partie des auteurs qui
lient la visibilité à la quête de reconnaissance. Le fait
de vouloir une visibilité médiatisée, notamment en
étant présent sur les réseaux sociaux, découle du
besoin d'être reconnu socialement par les autres, et pour cela, les
individus vont attirer l'attention sur eux. Il parle de « récit
» dans cette médiatisation, qui correspond au fait que la
société veut parler d'elle, a besoin de se mettre en scène
dans les espaces médiatiques. Notre enquête nous montre d'ailleurs
que les individus s'affirment bien en effet à travers leurs
photographies : pour revendiquer leurs passions, « C'est plus un
carnet de voyages » comme Morgane pour revendiquer leur attachement
aux excursions, ou pour montrer leurs valeurs « Ça me permet de
prendre part à certaines causes » (Sophie)130 et
« montrer sa façon de voir le monde »
(Jonathan)131.
1.1.3 Une volonté d'impressionner
Mais finalement, nous nous rendons compte que la
volonté de partage avec autrui et d'impressionner ne sont pas si
éloignées. Il y a une réelle envie de partager avec ses
pairs qui ressort de notre analyse car 11 des 14 interrogés publient des
photos pour partager avec la communauté. Mais ils veulent
également « se créer des souvenirs », donc laisser des
traces d'eux sur internet, pour montrer leur existence, leur vécu, ce
qui est également une manière de partager. Comme en
général les individus sur Instagram qui est un réseau
social de l'esthétisme, postent des photographies de paysages idylliques
voire d'eux-mêmes, c'est dans une volonté de montrer ce que l'on
fait mais surtout d'émotionner autrui. Lorsque les individus publient,
il y a toujours un intérêt à toucher les autres, sinon nos
photographies resteraient cachées dans nos téléphones :
« Je publie pour la création de souvenir et faire profiter
à mes amis de la beauté des choses »
(Christophe)132. Les traces sont un moyen de renseigner les autres
« J'aime le fait de pouvoir créer une galerie de souvenirs avec
des annotations comme les personnes, les lieux, la date. »
(Elise133). Seule une personne de l'enquête a répondu
de manière franche : « C'est pour partager avec les autres,
aussi pour montrer mes fringues, donc sûrement pour impressionner
indirectement » (Maurane). Il ressort de plusieurs interviews ce
besoin caché de tout de même essayer d'impressionner sa
communauté. En effet, en partageant nos biens, nos activités, nos
voyages, nous soumettons éventuellement aux autres ce qu'ils n'ont pas,
mais que nous si. Cette hypothèse se confirme avec les
déclarations de deux autres interrogés « C'est pour les
souvenirs, partager avec les autres, faire découvrir des lieux et des
activités à d'autres gens et leur faire vivre des
événements auxquels ils ne peuvent pas forcément aller
»
129 VOIROL, Olivier. Les luttes pour la visibilité.
Esquisse d'une problématique, Réseaux, vol. 129-130, no. 1, 2005,
pp. 89121.
130 Entretien Sophie, 20 juin 2019
131 Entretien Jonathan, 12 juin 2019
132 Entretien Christophe, 11 juin 2019
133 Entretien Elise, 15 juin 2019
47
(Sophie). Il y a derrière cela un besoin de se sentir
reconnu par autrui et de se démarquer des autres pour ce que nous
possédons.
1.1.4 La peur de l'invisibilité
Axel Honneth, dans les besoins d'être reconnu parle de
la notion d'invisibilité ».134 Les individus se rendent
visibles sur les réseaux sociaux et tentent de rendre une image positive
d'eux car ils craignent de ne pas être identifié aux yeux des
autres. Ils désirent se faire remarquer pour ne pas se sentir invisible.
C'est parce que nous connaissons les formes positives, le fait que l'on fasse
attention à nous que nous nous sentons isolés et humiliés
lorsqu'elles ne sont pas présentes. La reconnaissance est le fait de
montrer à l'autre qu'il possède une valeur sociale.
L'invisibilité se traduit dans le fait que la personne ne reçoit
pas d'expressions publiques de la part des autres. En effet, notre
enquête montre que ces expressions sont attendues par les individus, qui
vont jusqu'à se remettre en question s'ils n'en reçoivent pas.
« Bah au bout d'un moment si je n'ai vraiment pas de j'aime, je vais
me dire qu'il y a un problème et je vais l'enlever »
(Justine)135. Ce sont des gestes expressifs dans lesquels les
individus se témoignent une reconnaissance, une visibilité. La
reconnaissance peut représenter une « méta-action »,
c'est-à-dire que le geste expressif envers une personne lui montre que
nous avons une action vers elle bienveillante (Honneth par Santarelli, 2016).
Afin de se rendre toujours plus visibles et de s'ancrer plus loin dans le
quotidien des gens, Instagram permet de publier des « stories »
courtes et éphémères : c'est un dispositif qui permet de
publier en temps réel une photographie ou une vidéo qui dure
quelques secondes sur lesquels les individus peuvent publier du contenu moins
qualitatif et plus spontané. Au-delà de la photographie et
à l'image d'un journal intime, ce type de contenu permet de
dévoiler encore davantage son quotidien sur internet afin de le partager
avec les autres, et ne jamais être oublié.
1.2 L'image de soi sur Internet 1.2.1 E-réputation
sur Internet
La réputation est « la représentation
sociale d'une personne partagée, provisoire et localisée »,
c'est une sorte d'évaluation sociale. Elle dépend de l'influence
qu'on exerce sur l'autre pour avoir une réputation positive, provoquer
une réaction chez l'autre (commentaire, partage, etc.). Nous allons
parler de « réputation-action » car elle se joue en un temps
et un domaine donné (Bollier et Lohard, 2015).136
L'e-réputation est une réputation construite en ligne avec un
dispositif d'évaluation à partir
134 Axel Honneth, Invisibilité : sur
l'épistémologie de la « reconnaissance. Réseaux
2005/1 (n° 129-130), p. 39-57.
135 Entretien Justine, 03 juin 2019
136 BOULLIER, Dominique, et LOHARD Audrey. Médiologie
des réputations numériques. Mesurer pour agir. Terrains
& travaux, vol. 26, no. 1, 2015, pp. 105-125.
48
des « traces des activités des internautes »
sur les réseaux sociaux. (Djebli, Alexis, 2017)137. Elle
réside dans le fait de faire attention à ce que l'on publie, afin
de faire attention à l'image que l'on renvoie et éviter les
rumeurs. (Granjon, 2014)138. La réputation est essentielle
sur les réseaux sociaux car lorsque nous nous exposons, nous attendons
la reconnaissance de notre identité via autrui, de par l'estime que l'on
nous porte.
1.2.2 Estime de soi et estime sociale
Les « dérives de l'extimité » peuvent
amener les individus dans des situations compliquées. A trop vouloir
être remarqué, parfois l'on peut oublier de susciter des
sentiments positifs plutôt que des sentiments tout court (Tisseron,
2011). Mais en général, l'individu va essayer de montrer le
meilleur de lui-même, il va toujours chercher à se mettre en
valeur aux yeux de ses pairs. L'estime sociale vient de la
société et dépend de son système de valeurs. Nous
pourrions penser que l'estime sociale et l'estime de soi sont
différents, hors l'estime de soi découle de l'estime sociale car
« sans reconnaissance, l'individu ne peut se penser en sujet de sa propre
vie » (Honneth par Santarelli, 2016)139. Nous ne pouvons pas
avoir d'estime de soi si nous ne développons pas des valeurs propres
à nous-mêmes, si notre contribution à la
société n'est pas reconnue ou n'est pas estimée par les
autres. Cela peut paraître ironique car nous ne pouvons pas avoir
d'estime de nous-même si nous n'avons pas de valeurs propres mais il faut
que ces dites-valeurs soient également partagées par la
société. L'estime de soi qui se crée par la reconnaissance
des qualités et capacités de l'individu selon ce système
de valeurs. L'estime sociale, elle, permet aux individus de se voir et se
raconter de façon positive grâce à la reconnaissance de
« singularité » par les pairs. (Ils vont partager des choses
ensemble). Les individus vont sur les réseaux sociaux pour montrer leurs
goûts, leurs valeurs et rendre légitime leurs actions. Mais ces
goûts se retrouvent au final partagés par d'autres individus dont
on cherche la reconnaissance, ce qui créé une uniformisation de
la société pour la recherche de la reconnaissance. Il faut se
montrer pour se construire une estime de soi. Nous pouvons également
parler de « respect de soi » (Mead par Honneth dans Santarelli,
2016)140 qui est lié à la reconnaissance de ses pairs.
Le fait de se respecter donne à l'individu un sentiment de
supériorité. C'est ce sentiment qui le fait se distinguer des
autres et lui donne l'impression d'être un être singulier. Les
abonnés interrogés ressentent tous ce besoin de recherche de
reconnaissance car ils
137 DJEBLI Yasmine, ALEXIS Ophélie. Instagram : La
réalité qui se cache derrière nos photos. Master SHS
UPEM, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, Les mondes
numériques. 21 janvier 2017 - Consulté le 04/03/19
138 GRANJON, Fabien. Du (dé)contrôle de
l'exposition de soi sur les sites de réseaux sociaux. Les Cahiers
du numérique, vol. vol. 10, no. 1, 2014, pp. 19-44.
139 SANTARELLI, Matteo. L'estime de soi : un cas particulier
d'estime sociale. Terrains/Théories, 2016, mis en ligne le 17
août 2016
140SANTARELLI, Matteo. L'estime de soi : un cas
particulier d'estime sociale. Terrains/Théories, 17 août 2016
(
49
ont accès à une certaine estime d'eux,
déjà parce qu'ils ne s'exposent pas de manière impudique,
qu'ils font attention à l'image qu'ils rendent d'eux.
1.2.3 Marque de reconnaissance des pairs : le
système de j'aime et de commentaires
Instagram comme tout autre réseau social possède
un système d'appréciation des contenus publiés : les
anciens « j'aime » que l'on retrouvait sur Facebook sont
représentés maintenant par un coeur, qui sert à montrer
à l'utilisateur si l'on apprécie ce qu'il a publié. Axel
Honneth (Honneth dans Santarelli, 2016)141 parle de «
médiation expressive », c'est-à-dire que les individus, en
s'exposant se portent à la connaissance d'autrui, puis cette existence
va être légitimée par des actions ou expressions. Il y a
également le système de commentaire où l'on peut exprimer
ce que l'on ressent de la publication. En général, les individus
attendent des commentaires positifs où l'on exprime l'adoration, la
beauté, la qualité, etc. André Gunthert142
qualifie cela de « réponses collectives à un
événement commun ou des occasions culturelles ». Il explique
ensuite que le dispositif d'appréciation donne une
légitimité à la fois sociale, critique et
esthétique à la photographie. Il est étonnant de remarquer
que le système de notation est presque devenu un moyen de communication
à part entière. Lors des entretiens, lorsque nous demandons aux
interviewés ce qu'ils feraient si une photo n'était pas
«aimé» pas leur communauté, les réactions sont
sans équivoques «Bah je trouve ça bizarre mais oui, si
je n'ai pas de j'aime, je l'enlèverais»
(Zélie143), les jeunes n'imaginent pas la possibilité
de n'avoir aucune réaction de leurs abonnés. Ils sont tant dans
la recherche incessante de réactions et le retour immédiat de
celles-ci de la part de leurs amis qu'il n'est pas commun de n'obtenir aucun
retour. Le fait de mettre en ligne notre apparence que les autres peuvent
« juger », à partir du système de j'aime et de
commentaires, est un moyen d'instaurer un système
autorégulé pour la reconnaissance collective.144 Les
likes « apaisent » car ils sont ressentis comme des marques
d'attention de la part des autres, il peut être vu comme une unité
de mesure de l'attention et de la bienveillance que les autres nous portent.
Nous pouvons illustrer ces propos par l'exemple de l'épisode «
Nosedive » de la série Black Mirror (épisode 1, saison
3) qui montre une société dominée par les réseaux
sociaux, où les rapports entre humains sont calculés car tous
évalués selon un système de notation que nous pouvons
retrouver par exemple sur les sites d'achats en ligne. Le personnage principal
tente de s'en sortir dans sa vie en essayant d'atteindre une note plus haute
que celle qu'elle possède dans l'application pour être reconnue
par la société et accéder à ce qu'elle
désire. Nous ne sommes pas si loin de cette vision chaotique des
rapports humains. Notre enquête révèle que les individus
attendent des expressions positives, malgré qu'ils disent parfois le
contraire, ils se contredisent pour ne pas avouer la vérité
« Non je ne veux pas de like, je veux juste émerveiller les
gens et déclencher des réactions
141 SANTARELLI, Matteo. L'estime de soi : un cas particulier
d'estime sociale. Terrains/Théories, 17 août 2016
142 GUNTHERT André. L'image conversationnelle.
Études photographiques, n°31. 2014
143 Entretien Zélie, 03 juin 2019
144 GUNTHERT André. L'image conversationnelle.
Études photographiques, n°31. 2014
50
positives » (Christophe145) mais sur
les réseaux sociaux, s'il y a réaction positive, il y a
appréciation de la part de ses pairs avec le système des j'aime.
A contrario, peu de personnes désirent de commentaires. Cela s'explique
par le fait que le commentaire a moins un impact que la reconnaissance positive
que le j'aime, réel symbole d'engagement et d'appréciation.
2. L'image de soi comme objet de marketing
2.1 Les techniques de promotion de soi pour la
reconnaissance
2.1.1 Le personnal Branding
Dans l'e-réputation, nous pouvons parler de
personal branding, ou le fait de se « promouvoir soi-même
son image et ses compétences par le biais des techniques marketing et
publicitaires utilisées habituellement pour promouvoir une marque. Dans
cette démarche, l'individu vise à devenir lui-même une
« marque reconnue » (définition-marketing)146.
Sur les réseaux sociaux, les individus ont en effet recours à des
techniques de marketing afin de se vendre, de se mettre en valeur. Comme nous
avons pu l'étudier précédemment, les individus utilisent
des techniques pour se mettre toujours en valeur et en scène tel un
produit, sur les réseaux sociaux. Ils vont utiliser de jolis
décors, postent de jolies images, on affiche ses goûts, ce qu'on
aime, ses activités, les liens vers des sites professionnels ou vers les
activités de la personne. Nous avons remarqué que les comptes
Instagram sont parfois présentés tels des curriculums vitae : les
personnes mettent en avant leur métier, leurs activités, les
langues qu'elles parlent, les lieux où elles sont allées, etc.
C'est pourquoi la photographie de profil peut être importante pour les
utilisateurs des réseaux sociaux, car c'est la première choque
qu'une autre personne voit de nous. Ainsi, chaque image doit refléter au
mieux notre personnalité et nos caractéristiques. Il y a un but
de se mettre en valeur et d'attirer la reconnaissance de ses pairs. C'est une
technique d'idéalisation de soi en montrant le meilleur de ce que l'on
est et de ce que l'on fait. (Brodin et Magnier, 2012).147
2.1.2 L'egocasting
Cette notion nous vient de l'anglais et se définit
comme la « possibilité, via la technologie, de faire venir le
monde à soi, où que l'on soit, afin qu'il s'adapte à nos
envies ».148 Ce phénomène s'est
développé avec internet, qui a permis à chacun de pouvoir
diffuser des informations sur lui à travers le monde. Le but de
l'egocasting est avant tout d'attirer l'attention sur soi en diffusant des
informations nous concernant, et de se créer une certaine image de soi
à travers l'impression que
145 Entretien Christophe, 11 juin 2019
146 BARTHELOT, B. Définition : Personal branding.
21 janvier 2018
147 BRODIN, Oliviane, et MAGNIER Lise. Le
développement d'un index d'exposition de soi dans les médias
sociaux : phase exploratoire d'identification des indicateurs
constitutifs. Management & Avenir, vol. 58, no. 8, 2012, pp.
144-168.
148 L'egocasting, le dico du marketing
51
l'on va donner aux autres. (Cassan, 2015).149Sur
les réseaux sociaux, cette technique est partout car chaque individu
poste forcément de l'information le concernant, que ce soit ses humeurs,
des selfies, des photographies de groupes ou un simple j'aime, ces informations
révèlent des choses sur nous, mais toujours dans le but de
trouver une estime de soi et la reconnaissance d'autrui. C'est une notion
importante car tout ce que diffuse les individus se fait dans une
démarche d'egocasting : nous choisissons ce que nous désirons
montrer (d'où la notion de casting) et d'ego (ce qui nous concerne). Les
publications sur les réseaux sociaux ne sont jamais diffusées
pour rien ni personne, elles activent des réactions chez autrui que l'on
recherche, on recherche un retour de notre communauté qui
représente un retour sur soi et un besoin de reconnaissance. Nous
pouvons recroiser ces affirmations avec le besoin de recevoir des retours de la
part de sa communauté avec un système d'appréciation qui
nous montre que ce que nous montrons est validé, et qu'ainsi, nous
sommes nous-mêmes validés par les autres. Nous retrouvons cette
notion d'egocasting lors de notre enquête de terrain de par la
volonté pour les individus de vouloir montrer à
l'unanimité des instants « Seulement des moments qui sortent de
l'ordinaire ».150
2.1.3 L'ethos numérique
L'ethos se résume à des « traits de
caractère que l'orateur doit montrer à l'auditoire pour faire
bonne impression : ce sont ses aires » (Barthes dans Maingueneau,
2002)151. C'est « tout ce qui, dans l'énonciation
discursive, contribue à mettre une image de l'orateur à
destination de l'auditoire » (Leclerq par Maingueneau, 1992). C'est
l'orateur qui décide de ses propos avec soin, afin de donner une
certaine image de lui auprès de ceux qui l'écoutent.
Désormais sur internet, de nouveaux langages existent, basés sur
une autre forme de discours, celui de l'image. Nous pouvons parler d'ethos
à travers l'image que l'on renvoi comme dialogue (Amossy,
2014)152. Dans les interactions sociales, chacun projette une image
de soi sur l'autre. Ervin Goffman (1973)153 développe une
théorie selon laquelle les individus doivent se montrer dans « un
jeu théâtral », dans lequel il faut prendre davantage en
compte le comportement plutôt que le discours, qui vise à «
exercer une influence sur son interlocuteur » (Goffman par Amossy, 2014).
Sur Instagram, nous allons prendre d'autres signes locutoires qui montrent que
les individus utilisent un ethos numérique tourné vers l'image
tels que la posture utilisée, les positions, mimiques, regards, les
émoticônes ou hashtags utilisés, etc. D'après notre
analyse de contenus, nous remarquons qu'il suffit de visionner la photographie
d'une personne
149 CASSAN, Geneviève. L'égocasting sur
Instagram : la génération Y à la découverte du
monde. Mémoire de Sciences de la gestion, option Marketing, sous la
direction de Christian Dussart, HEC Montréal, Novembre 2015
150 Entretien Claire, 18 juin 2019
151 MAINGUENEAU, Dominique. Problèmes d'ethos.
In: Pratiques : linguistique, littérature, didactique, n°113-114,
2002. pp. 55-67.
152 AMOSSY, Ruth. L'éthos et ses doubles
contemporains. Perspectives disciplinaires. Langage et
société, vol. 149, no. 3, 2014, pp. 13-30.
153 GOFFMAN, Ervin. La mise en scène de la vie
quotidienne 1. La présentation de soi. Paris : Les éditions
de minuits, 1973, 368 pages
52
pour cerner qui elle et quelle image elle renvoi. Dans le
numérique, l'auditoire est décuplé, et il faut tenir des
« performances réelles liées aux destinataires
différents et des mises en scène contextualisées »
(Lachance, 2015)154. Il faut répondre aux différents
interlocuteurs qui nous regardent via leurs écrans, qui nous
amènent à diffuser différentes facettes de nous. Les
jeunes individus cherchent le regard de l'autre dans les différentes
relations qu'il a. Jocelyn Lachance insiste sur le fait que les jeunes et les
adolescents sur les réseaux sociaux utilisent un ethos qui se «
déploie » entre une production personnelle, et la mise en
scène de cette réalité. Nous pouvons en tout cas conclure
qu'il y a un besoin de plaire à la communauté malgré les
contradictions. En effet, lorsque nous demandons si les photographies doivent
plaire à autrui, la plupart des interrogés répondent par
la positive « Oui j'attends qu'elles plaisent
»155 et d'autres que les photos doivent servir à
plaire à soi-même. Seulement, certains affirment ne pas
désirer plaire aux autres mais déclarent se remettre en question
si elle n'est pas aimée. Il y a un manque de cohérence entre les
propos qui nous indique que les interrogés ne sont pas sincères
face aux questions. Mais la plupart comme évoqué
précédemment cherchent à échanger avec les autres
et cherchent à montrer des paysages esthétiques. Le croisement de
ces informations nous invite à comprendre que les individus, à
travers la mise en scène de leurs clichés, leur volonté de
partage et l'attente d'expressions de la part de ses pairs, veulent plaire
à eux-mêmes, mais également à ceux qui regardent.
2.1.4 Les filtres et retouches photo comme contrôle
de son image
L'analyse terrain nous montre que la majorité des
abonnés modifient leurs photographies avant de les publier. La plupart
utilisent les filtres Instagram proposés, certains modifient d'autres
caractéristiques comme la luminosité, les floues, etc. Il est mis
en avant que seules les personnes souhaitant se démarquer ou ayant un
compte professionnel utilisent des logiciels de retouche de photographies. En
effet, Jonathan veut se démarquer sur ses images « Je veux
faire évoluer mon propre style »156 et donc
n'utilisent pas les filtres mais retouche le reste avec son
téléphone. Les autres, influenceurs ou mannequins, utilisent des
logiciels plus performants que les filtres Instagram car ils doivent apporter
un résultat professionnel et parfait. Cependant, nous avons
décelé dans les entretiens qu'il y a une « normalisation
» de l'utilisation du filtre sur Instagram telle qu'ils ne sont pas
référencés par les abonnés dans les techniques de
modification de photographies. Lorsque nous leur demandons s'ils «
retouchent leurs clichés », certaines réponses vont dans ce
sens : « Non, je mets uniquement des filtres »
(Sophie157), « Euh bah je mets un filtre Insta c'est tout
» (Justine158). La
154 LACHANCE Jocelyn. L'éthos de l'adolescent dans les
mondes numériques : le rôle des destinataires, Itinéraires,
2015, mis en ligne le 01 juillet 2016
155 Entretien Claire, 18 juin 2019
156 Entretien Jonathan, le 12 juin 2019
157 Entretien Sophie, 20 juin 2019
158 Entretien Justine, 03 juin 2019
53
modification de la photographie par un grand nombre
d'abonnés montre qu'il y a une nécessité
d'améliorer la photographie pour les autres. C'est donc une
volonté de mise en scène de son quotidien et de soi, surtout pour
certaines personnes tels qu'Elise qui avoue utiliser les filtres lorsqu'il
s'agit de selfie. Les individus veulent montrer une image d'eux et de leur vie
plus esthétique que dans la réalité, comme un vernis mis
sur le réel. Ces pratiques sont devenues anodines au point de ne plus
apparaître comme un outil de retouche. Le besoin de montrer une image de
soi positive nous amène à brouiller nos perceptions de la
réalité et du faux. Cela prouve un besoin naturel de se mettre en
scène pour apparaître sous son meilleur jour
3. Le sentiment d'appartenance dans la communauté
d'Instagram 3.1 Les codes Instagram
3.1.1 Utilisation des mêmes codes pour le sentiment
d'appartenance
Le réseau social Instagram présente des «
formes sociales visuelles répétitives qui codifient les
échanges » (A. Gunthert, 2014). Nous pensons que le fait que les
utilisateurs du réseau social Instagram utilisent les mêmes codes
visuels, les mêmes outils ou spécificités entraîne
une volonté de créer un sentiment d'appartenance avec ses pairs.
Instagram dicte en effet des tendances, les sujets à montrer, les
hashtags à utiliser, jusqu'à créer un système de
codes partagés. C'est un « univers codé dans lequel on
s'identifie et on se ressemble » (Devosse, 2017), cela retransmet un
sentiment d'appartenance dans une communauté dans laquelle on se sent
exister. Yves Leroux, Psychanalyste159 a d'ailleurs
déclaré que « Nous sommes des êtres sociaux et
nous avons besoin de nous conformer à la société pour
intégrer un mouvement, l'image est une colle sociale qui permet de
partager des émotions et des paroles ». Il existe en effet des
informations qui démontrent que les individus usent des mêmes
références, ce qui homogénéise les contenus
d'Instagram. Roland Barthes, reprit par les mots de Sylviane
Conord160, nous dit que la photographie est un médium
singulier, délimitée « par un cadre formel, subjectif
construit par les choix techniques et esthétiques du sujet
photographiant issus des relations que ce dernier entretient avec le monde et
les sujets photographiés. Il y a une double position conjointe : de
réalité et de passé ». L'analyse de contenu montre
certains individus tentent d'être originaux et de se démarquer des
autres en mettant en avant leur créativité ou leurs passions
(exemple de la femme qui fait du yoga dans les rues) mais dans l'ensemble, il y
a une forte homogénéisation des comptes et des photographies :
une partie montre des personnes en train de s'exhiber devant des paysages, en
train de poser, de montrer les meilleurs moments de leur quotidien, une autre
partie montre des instants du quotidien améliorés, des instants
captés, des paysages et d'autres qui sont moins créatifs et
veulent simplement poster des
159 Devosse, Gabrielle. Instagram uniformise-t-il nos goûts
? Psychologies, 6 novembre 2017
160 CONORD, Sylvaine. Usages et fonctions de la
photographie. Ethnologie française, vol. 37, no. 1, 2007, pp.
11-22.
54
selfies au quotidien. Les entretiens nous
révèlent que 5 personnes sur 14 recherchent de
l'originalité dans ses clichés. « Pour sortir de ce que les
autres ont l'habitude de voir » (Camille), seulement, avec la masse
photographique sur Instagram, il est désormais difficile de sortir du
lot comme le souligne Claire « Ça ne sert à rien d'essayer
d'être originale puisque tout le monde fait la même chose ».
Qu'il y ait une volonté d'être original ou non, les individus
réalisent tous des mises en scène de leurs photographies qui
rendent les clichés similaires.
3.1.2 L'esthétique
Depuis l'enfance, les individus sont régis par des
normes dans lesquelles ils évoluent : les normes familiales, scolaires,
etc. ce qui va participer à la construction de l'image de soi de
l'individu. Ces normes vont, en grandissant, prendre différentes formes.
(Fourcade, 2018)161 Ils vont beaucoup s'attacher aux normes
sociales, auxquelles ils adhèrent de par les liens sociaux, notamment
les codes vestimentaires, physiques, etc. Instagram dans ses usages impose une
recherche d'esthétique dans les photographies postées. Les
individus recherchent désormais la perfection de l'image, du corps, afin
d'être sûr de recevoir des retours positifs de la part de la
communauté. Les réseaux sociaux diffusent des tendances
esthétiques et des valeurs que nous suivons afin d'accéder
à la reconnaissance et au sentiment d'appartenance des autres. Il faut
utiliser les codes modernes afin de pouvoir intégrer des groupes «
attractifs » ou pour être intégré. Il existe
différentes catégories sur Instagram de personnes qui se
reconnaissent entre elles et qui ainsi, renforcent leur sentiment
d'appartenance. Nous y retrouverons les individus sportifs, qui partagent les
codes de la mode et de la beauté, du voyage, etc. (Eglem,
2017)162. Il existe réellement une codification des usages
sur Instagram. Les individus interrogés pour ce mémoire
déclarent tous poster des photos qui leur plaisent, qu'elles trouvent
jolies, selon leur propre esthétique, mais il y a toujours une recherche
de la beauté « Euh c'est pour montrer mon quotidien quoi, parce
que je trouve qu'une photo est super belle aussi. C'est vraiment pour montrer
des belles photos quoi. » (Justine163), Ainsi les
interrogés nous révèlent vouloir partager des
clichés « beaux » ou « jolis ». 4 d'entre eux nous
révèlent vouloir un compte esthétique. « J'aime
le principe d'avoir une jolie galerie de photos »
(Morgane)164.
3.1.3 Le hashtag
Le « Hashtag » est un mot
précédé d'un croisillon (#) et permet de regrouper selon
des groupes différents les données publiées sur les
réseaux sociaux qui les utilisent (Instagram, Twitter, Facebook,
161 FOURCADE, Jean-Michel. Ces corps qui nous fascinent : une
nouvelle étude souligne à quel point les émissions de
télé réalité et les réseaux sociaux ont un
impact redoutable sur l'image de soi des ados. Atlantico. 2018
162 EGLEM, Elisabeth. Représentations du corps et
réseaux sociaux : réflexion sur l'expérience
esthétique contemporaine. Sociétés, vol. 138, no. 4, 2017,
pp. 99-110.
163 Entretien Justine, 03 juin 2019
164 Entretien Morgane, le 10 juin 2019
55
etc.) selon Metricool.com165. Sur Instagram, il
n'existe pas d'algorithme de filtrage tel que sur Facebook. Pour pouvoir
accéder à un contenu spécifique, il faut se servir des
hashtags. Il en existe un nombre considérable. Il est le meilleur moyen
d'acquérir de la visibilité auprès de la communauté
et ainsi de se faire connaître. Cela entraîne un plus grand nombre
d'abonnés et de « j'aime » et de commentaires. Mais au
départ, les hashtags servent à « bien identifier » les
photographies afin qu'elles apparaissent selon des castes lors des recherches
des internautes. Il y a une codification à travers ce système de
référencement de ses données car les effets de modes des
termes à utiliser montre qu'il y a une uniformisation des hashtags
utilisés. En utilisant les mêmes hashtags, par exemple, les
individus vont se reconnaître dans les classifications et créer
une communauté d'appartenance. Par exemple, les personnes vont se suivre
car elles partageront les mêmes intérêts. Par exemple, ceux
qui s'intéressent à la mode et aux marques et qui vont les
référencer, aux activités et au sport (#fitgirl,
#fitness), ceux qui vont créer un sentiment d'appartenance à leur
ville (#lille) ou aux lieux qu'ils visitent (#bali, #balilife). Nous remarquons
dans notre analyse que les personnes qui utilisent le plus les hashtags sont
celles qui se montrent le plus sur les réseaux sociaux et qui cherchent
le plus la visibilité mais les résultats de l'enquête
restent mitigés. Les interrogés n'utilisent quasiment pas de
hashtags excepté Agathe et Morgane voulant identifier des marques ou des
lieux sur leurs photos. Cependant, l'analyse de contenus montre leur
très forte utilisation. Certains d'ailleurs n'hésitent pas
à utiliser des hashtags qui ne possèdent pas de lien avec leurs
photographies. D'autres vont même jusqu'à utiliser plusieurs
variantes d'un mot pour être sûr d'apparaître dans les
recherches (#picoftheday, #photodujour, #pictureoftheday). Le réseau
social instaure un réel sentiment d'appartenance en créant son
propre langage qui réunit les individus au sein de la communauté
« Instagram » tels que #instagood, #instalife, #instapic pour
référencer le fait que les instant exceptionnels et
agréables de sa vie sont des instants « Instagram ». Les
photographies deviennent de véritables objets dédiés
à Instagram, ce qui prouve que l'esthétique et le beau sont les
maîtres mots du réseau social.
3.1.4 Ritualisation des stéréotypes et
fausses réalités : montrer l'exceptionnel
D'après l'article d'Ervin Goffman (1977)166,
nous nous rendons compte qu'il y a une ritualisation de la
féminité dans les médias traditionnels (magazines,
publicité, etc.) que nous retrouvons sur les réseaux sociaux.
Nous retrouvons par exemple lors de notre étude le fait de modifier les
images, de les rendre appréciables aux spectateurs, de jouer avec son
image en se mettant en scène. Les images que certaines personnes
montrent sur les réseaux sociaux renvoient aux stéréotypes
visuels auxquels nous sommes confrontés sans cesse : la femme belle, des
positions suggestives, des hommes torses-
165 MARTIN, Sarah. Instagram, les hashtags les plus
utilisés. Metricool, 2019
166 GOFFMAN, Ervin. La ritualisation de la
féminité. Actes de la recherche en sciences sociales. 1977,
n°14, 34-50
56
nus et musclés, la sportive sexy, la mère
épanouie, la mariée comblée, etc. les individus
présentes des scènes du quotidien dans lesquelles chacun se
reconnaît et peut s'identifier. A l'image des photographies au
début des réseaux sociaux, les individus aiment à montrer
leur quotidien mais toujours dans le côté
événementiel, montrer une vie « normale » quotidienne
idéale, dynamique. Les utilisateurs d'Instagram vont avoir tendance
à insister sur les événements de la vie tels que les
voyages, les fêtes, les mariages, les voyages, les vacances, etc. «
Les moments qui sortent de l'ordinaire » comme le déclare
Morgane dans son entretien. Lorsque dans les entretiens nous avons
demandé aux interrogés quel sujet ils immortalisaient sur leurs
photos, les réponses sont homogènes : « Photo de voyage
ou d'animaux », « je mets des photos de mes vacances, de mes
copains ou des concerts ». On met en avant le positif de sa vie. Nous
pouvons remarquer qu'à l'unanimité, les individus
préfèrent montrer ses situations exceptionnelles qu'anodines. Il
y a derrière cette démarche une volonté de recherche de
visibilité en cherchant l'intérêt de la communauté
« Quand je publie des photos c'est justement pour changer de
l'ordinaire, honnêtement je pense que les gens s'en foutent de savoir ce
que tu manges le matin donc je ne vois pas l'intérêt »
(Camille167). Il y a toujours cette recherche de mettre en avant des
instants particuliers que l'on retrouve dans les thèmes photographiques
: le voyage, les vacances, les activités. D'après l'analyse, une
grande partie des personnes cherchent à mettre en avant l'aspect
exceptionnel de leur vie, de montrer « des moments spéciaux
» (Zélie et Justine168) pour intéresser sa
communauté et sortir du lot.
3.2 Les risques pour l'image de soi dans la recherche
d'appartenance et de reconnaissance
3.2.1 Complexes et image négative de soi
Cette recherche de la perfection sur les réseaux
sociaux, de soi et de son quotidien, malgré une mise en scène
très travaillée, peut amener les individus à
développer des sentiments négatifs vis-à-vis
d'eux-mêmes. Nous pouvons développer des troubles de notre image,
face à des individus sportifs exposant continuellement leur physique et
leurs performances. Parfois, nous utilisons la personnalité des autres
comme moteur (Mayer, 2018)169 pour leur ressembler, pour
espérer obtenir la reconnaissance de ces individus que l'on
idéalise. Nous pouvons également parler de l'exemple des
influenceurs. Les auteurs parlent d'une influence frappante des instagrammeurs
professionnels sur les abonnés, mais nous nous rendons compte que
certaines personnes « lambda » ont autant de pouvoir que ceux-ci.
Nous pouvons en apporter la preuve avec le nombre d'abonnés : lors de
notre analyse de contenus, nous remarquons que trois comptes « lambda
» comptabilisent 50 500, 165 00 et 10 100 abonnés tandis que
certaines influenceuses ne comptabilisent que 5346 ou 9029 abonnés.
167 Entretien Camille, 07 juin 2019
168 Entretien Zélie et entretien Justine, le 03 juin
2019
169 MAYER, Agathe. Complexes : Attention aux réseaux
sociaux. Top Santé, 08 mars 2018.
57
Lors de nos entretiens, nous avons relevé que les
influenceurs occupent une grande place dans le fil d'actualité des
individus et les inspirent. Malgré le fait que les personnes regardent
beaucoup les photos des autres personnes et des professionnels qui parfois, les
font se sentir mal, il y a quand même une évolution positive sur
Instagram. En effet, prenons l'exemple de Morgane et d'Elise170 qui
ont su s'accepter et rejeter les dictats grâce aux influenceuses
féministes qui les inspirent. Comme évoqué
précédemment, Instagram créé des normes
esthétiques auxquelles les individus doivent se plier afin de se sentir
« comme les autres », amenant ainsi une pression sur soi et son
image. Les stéréotypes de beauté diffusés sur les
réseaux sociaux peuvent amener à complexer, notamment le
tiraillement entre l'image que l'on voudrait avoir de soi et celle que l'on
possède réellement. Nous remarquons d'après notre analyse
que les individus continuent de se sentir complexés face aux canons de
beauté diffusés sur les réseaux sociaux. Instagram demeure
un média de l'image qui pousse les instagrammeurs à se comparer.
Ils se questionnent sur eux-mêmes et leur apparence quitte rejeter son
identité. Les photographies véhiculant les
stéréotypes de beauté confrontent les personnes à
des sentiments négatifs : la jalousie, les complexes et donc la peur de
ne pas être reconnu par les autres « Ça me donnait
l'impression d'être banale et en-dessous de la société
» (Morgane171). Certaines personnes se remettent
même en question « je me demandais si j'étais normale
» (Elise172) Mais peu à peu certains prennent
conscience de la non-réalité de ce qu'ils voient, de la mise en
scène des clichés auxquels il ne sert à rien de se
comparer. Instagram devient pour certains un lieu de revendication de soi et de
sa différence, de son corps, de ses droits. Quelques personnes
n'hésitent plus à s'exposer malgré leurs divergences face
aux normes habituelles du réseau social. On essaye de renverser la
tendance, de s'exprimer. Mais ce phénomène n'est pas externe
à notre problématique. Certains tentent de ressembler aux
clichés de beauté auxquels ils sont confrontés, et
d'autres essayent de se créer une identité et d'être
reconnus pour leurs particularités. Nous pouvons revenir sur le
paradigme d'Axel Honneth expliquant le besoin des minorités collectives
de faire accepter leur existence et leur différence auprès de la
société. Le besoin d'être reconnu pour soi auprès de
ses pairs est le sentiment qui anime chacun, qu'il soit conforme aux autres ou
au contraire, qu'il revendique ses dissemblances.
3.2.2 Intoxication numérique et besoin de
déconnexion
Malgré les avantages que peuvent apporter le web 2.0,
tant dans la rapidité d'accès aux informations,
l'immédiateté des échanges,
etc. il amène également de
nombreux désagrément. La possibilité d'être
joignable à tout moment entraine la création d'un sentiment de
présence continuelle au travail ou aux réseaux sociaux. Nous
recevons sans cesse des notifications des réseaux
170 Entretien Morgane, 10 juin 2019 et entretien Elise, 15 juin
2019
171 Entretien Morgane, 10 juin 2019
172 Entretien Elise, 15 juin 2019
58
sociaux, des messageries instantanées, des mails pour
nous dire que telle personne nous a identifiés sur tel réseau,
etc. il y a un sentiment de devoir
être continuellement joignable en toute circonstance, ce qui parfois peut
empiéter sur les relations réelles. Il est commun souvent de
croiser des individus à plusieurs, partageant un instant dans le monde
réel, mais tous en pleine conversation virtuelle. Mickaël
Stora173 est un psychanalyste qui soigne des patients
dépendants des objets numériques. Il parle d'intoxication au
numérique lorsque les individus sont amenés à
éviter la réalité pour se construire à travers un
monde numérique qu'ils idéalisent.
3.2.3 Présence sur les réseaux sociaux sous
la pression sociale
Certains individus peuvent ressentir le besoin de se
déconnecter pour échapper à l'emprise du web sur leur vie.
Mais certains n'y parviennent pas justement à cause de l'influence
qu'exercent les réseaux sociaux sur leur quotidien174. Les
individus peinent à rompre le contact avec autrui car l'homme est un
être social. Il y a une peur de rater des rencontres, des
événements car une grande partie de notre socialisation se fait
sur le web. Les individus veulent se sentir reconnus et intégrés
dans la société et refusent de s'isoler des autres. Nous
échangeons continuellement avec nos pairs via les messageries
instantanées, nous pouvons avoir accès à tous nos amis via
les réseaux sociaux, à nos contacts professionnels sur Linkedin,
nos musiques sur Youtube, etc. (Jauréguiberry, 2013)175. Nous
retrouvons la peur de l'invisibilité d'Honneth (2005)176
évoqué plus haut. Les individus ne veulent pas se sentir
délaissés et mis à l'écart de la
société. Par exemple, notre époque fonctionne pour les
jeunes selon les réseaux sociaux qui s'adaptent de mieux en mieux
à nous, à nos goûts avec le traçage de nos
données. Nous nous voyons nous proposer sur les réseaux sociaux
des contenus qui nous intéresseraient, des événements qui
nous plairaient, etc. mais surtout, ce sont sur les réseaux sociaux que
s'organise également la vie collective. Nous pouvons faire des
conversations groupées, des événements fermés pour
les anniversaires ou les fêtes, etc. Mais si une personne ne
possède pas de compte sur un réseau social, il est
déconnecté de cette sociabilité virtuelle, il est mis de
côté. Tous les sujets d'actualité, les effets de modes, les
« mèmes » qui sont les nouveaux supports de conversations
créés du lien entre les individus auquel nous n'avons pas
accès si nous sommes déconnectés. La déconnexion
est une volonté de contrôle de la technologie et
d'évitement de cette pression numérique et sociale, une fuite
à la surcharge des informations, à l'hyperconnexion mais à
laquelle personne ne veut s'y résoudre par peur de se retrouver seul.
(Jauréguiberry, 2014)177
173 BROUZE Emilie. Publier beaucoup, c'est trahir une
fragilité narcissique, L'Obs, Nos vies connectées, 1er
septembre 2017 (Consulté le 19 décembre 2018) <
https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-
174 JEHEL, Sophie. Les pratiques des jeunes sous la pression
des industries du numérique. Le Journal des psychologues, vol. 331,
no. 9, 2015, pp. 28-33.
175 JAURÉGUIBERRY, Francis. Déconnexion
volontaire aux technologies de l'information et de la communication.
2013
176 HONNETH, Axel. Invisibilité : sur
l'épistémologie de la « reconnaissance. Réseaux,
2005, n° 129-130, p. 39-57
177 JAURÉGUIBERRY, Francis. La déconnexion aux
technologies de communication. Réseaux, vol. 186, no. 4, 2014, pp.
15-49
59
IV. Conclusion
Ce mémoire s'appuie sur une problématique
actuelle qui met en avant un phénomène touchant les jeunes
individus sur leur identité et leurs usages des médias sociaux :
Instagram de par le partage de photographies, est un outil de construction
identitaire et social des 18 - 30 ans.
Une première partie, autour de l'évolution des
usages de la photographies, du développement d'internet et des appareils
de représentation nous a permis de comprendre le contexte dans lequel
ont grandi les utilisateurs des réseaux sociaux. Cela nous a
amené à nous demander pourquoi ce désir de s'exposer et de
se mettre en scène de la part d'individus sur un réseau social
autrement professionnel. Afin d'y répondre, nous avons
développé deux parties qui correspondent à nos trois
hypothèses.
La première hypothèse s'appuyait sur le fait
qu'Instagram était un outil de mise en scène et d'exposition de
soi pour la reconnaissance et de construction identitaire. Les individus vont
se montrer sous une mise en scène afin de découvrir leur
identité et d'en construire une sur internet à présenter
à leurs pairs, afin de se sentir reconnu et apprécié. Nous
avons voulu, dans un premier temps, essayer d'écarter l'idée du
besoin de se montrer des jeunes individus pour se construire de celle du
narcissisme. Pour cela, nous avons pris l'exemple du selfie. Rappelons que
Dominique Cardon178 défendait la thèse selon laquelle
les selfies sont des mises en scène de soi, de ses qualités et
compétences pour la reconnaissance de ses singularités ; tandis
qu'André Gunthert179 parlait de trouble de l'image de soi
poussant les individus à exhiber leur corps. L'enquête de terrain
nous a prouvé que cette pratique photographique n'est pas
réellement de l'ordre du narcissisme, mais bien du besoin d'exposer son
image pour se montrer au monde. La présentation est la première
phase avant la reconnaissance car il faut être vu pour être
reconnu. C'est ainsi qu'intervient le besoin de se mettre en scène :
afin de présenter une image améliorée de soi à
autrui et espérer en contrepartie des retours positifs.
Elise180 par exemple, ne retouche que les photographies qu'elle
prend d'elle-même. Nous avons retenu que la majorité des
clichés présentaient les valeurs et les passions des individus,
de leurs compétences. Cette notion de mise en scène est
très importante car elle est l'ultime fil rouge de ce mémoire.
Ervin Goffman181 a développé ce paradigme en comparant
les interactions sociales à des pièces de théâtre
durant lesquelles les individus réalisent des performances. Notre
enquête dévoile une réelle volonté de modifier les
façades que l'on présente à ses pairs, en se montrant sous
des postures particulières, en déguisant son apparence sous
des
178 CARDON, Dominique. Réseaux sociaux de
l'internet. Communication, vol. no.88, 2011, pp. 141-148.
179 GUNTHERT André. L'image conversationnelle.
Études photographiques, n°31. 2014.
180 Entretien Elise,
181 GOFFMAN, Ervin. La mise en scène de la vie quotidienne
1. La présentation de soi. Paris: Les éditions de minuits, 1973,
368 pages
60
apparats. Chacun va exacerber une partie de lui-même
dans le jeu des interactions sociales, en se créant une image davantage
joyeuse, davantage présentable au monde. Il y a également une
mise en avant du décor qui plante l'action dans son contexte et par
lequel on va présenter des paysages exceptionnels. Dans cette recherche
de l'identité, nous avons également abordé le thème
des identités multiples, notamment avec la distinction entre
l'identité numérique et réelle. Dominique
Cardon182 parle de « design de la visibilité »,
c'est-à-dire de la manière dont on se rend visible, paradigme que
nous confirmons. Les interrogés mettent en avant différentes
facettes d'eux-mêmes en fonction du contexte, Agathe parle d'ailleurs de
« soi intime « et de « soi public ». Les personnes ont
conscience de jouer un rôle sur les réseaux sociaux. D'ailleurs,
nous avons analysé une forme d'identité construite sur le web et
développée par Antonio Casilli183 : les pseudonymes.
Il est en effet vrai que les instagrammeurs modifient leurs informations pour
se donner une nouvelle facette d'eux-mêmes : ils tronquent leurs noms,
utilisent des pseudonymes en dehors de leurs données personnelles.
Enfin, la notion d'espace public et d'espace privé nous affirme
également que les individus veulent contrôler leur image pour axer
leur identité. Serge Tisseron184 et l'exhibitionnisme de soi
montrent que les individus vont s'exposer pour se trouver à travers le
regard de leurs pairs. L'intimité et l'extimité permet sur les
réseaux sociaux de choisir ce que l'on décide de montrer ou non.
Notre analyse de terrain met en avant le fait que l'intégralité
des les profils interrogés ne veulent montrer uniquement ce qu'ils
veulent que l'on voie d'eux. L'analyse montre que certaines personnes sont plus
enclines à s'exposer sur internet, à dévoiler leur
physique mais sans jamais aller dans l'intime. Il y a un contrôle
évident de son image qui prouve que chaque exhibition et chaque
exposition est le fruit d'une mise en scène pour modeler la
représentation de soi aux autres. Notre enquête terrain confirme
qu'il y a bien dans la façon de s'exposer des individus une recherche
identitaire, de par la mise en scène et la pluralité des facettes
dont ils ne savent pas laquelle utiliser face à leurs pairs. Ils se
créent différentes images, entre la réalité et le
virtuel afin de se forger une identité idéale à
présenter à autrui.
Notre deuxième hypothèse est : Instagram comme
outil de reconnaissance sociale. Nous voulions montrer que les individus
s'exposent afin de créer des relations avec les autres, afin de se
sentir reconnus par eux. Car sans reconnaissance, les personnes ne peuvent se
sentir incluent dans la société. Dominique Cardon (2011) nous
parle de la recherche d'interactions avec les groupes que l'on peut affilier
à un besoin de reconnaissance de la part de ses amis dans l'entretien
des liens. En effet, notre enquête prouve que nombreux interrogés
continuent d'échanger avec leurs amis sur internet après
s'être quittés. Il y a un besoin d'être présents et
prêts à échanger, ce que l'on fait via les
182 CARDON, Dominique. Réseaux sociaux de
l'internet. Communication, vol. no.88, 2011, pp. 141-148.
183 CASILLI, Antonio. Être présent en ligne :
culture et structure des réseaux sociaux d'Internet. Idées
économiques et sociales, vol. 169, no. 3, 2012, pp. 16-29.
184 TISSERON, Serge. Les nouveaux réseaux sociaux sur
internet. Psychotropes, vol. 17, no. 2, 2011, pp. 99-118.
61
photographies, usages qu'André Gunthert (2014) appelle
« image conversationnelle ». Serge Tisseron (2011) affirme que les
individus se redents visibles pour se raconter, affirmer leur existence. En
effet, les utilisateurs d'Instagram revendiquent leurs goûts, leurs
passions, défendent des valeurs, imposent leur personnalité,
tentent d'impressionner leurs pairs. L'analyse terrain nous
révèle qu'effectivement, les personnes veulent publier des
contenus esthétiques, qui sortent de l'ordinaire, ce qui est une
volonté d'interpeller le spectateur. Axel Honneth185 accorde
le besoin de reconnaissance à la peur de l'invisibilité, ce qui
est confirmé par le fait que les utilisateurs des réseaux sociaux
attendent des retours positifs des autres, ce qui leur donne l'impression
d'exister et d'être légitime à publier du contenu. Ils font
également attention à leur image sur internet afin d'avoir bonne
réputation et être reconnus. Serge Tisseron (2011) affirme cette
hypothèse en liant la reconnaissance à l'estime sociale et
l'estime de soi. Leur volonté d'impressionner autrui, de leur plaire
voire « de les émerveiller »186 est le
résultat du besoin d'obtention de retours positifs de la part de la
communauté pour le sentiment de reconnaissance. Sans ces
appréciations, ces « expressions collectives » (Tisseron,
2011), les individus vont jusqu'à se remettre en question et douter
d'eux. Pour toujours présenter une image d'eux positive et se mettre en
avant, nous remarquons que les personnes vont avoir recours à des
techniques de marketing tels que le Personal branding
développé par Brodin et Magnier187 ou encore
l'egocasting. Les comptes étudiés nous montrent qu'ils
représentent comme une sorte d'album de compétences des
individus. Nous pouvons parler de la notion d'Ethos de Ruth
Amossy188. L'image est en un sens un élément de
dialogue pour se donner une certaine contenance auprès de la
communauté, ce qui est confirmé par la volonté des
interrogés de vouloir plaire à leurs pairs. Pour instaurer cette
image d'eux améliorée, ils vont retoucher leurs photographies
avec des filtres ou logiciels.
Enfin, notre dernière hypothèse est Instagram
comme outil de sentiment d'appartenance. Nous avions voulu démontrer ce
que les individus publient sur Instagram participe à montrer leurs
goûts et valeurs, afin de se sentir inclue dans une communauté
partageant les mêmes qu'eux, ce qui est le sentiment d'appartenance. Pour
se sentir intégré, les individus vont partager les mêmes
codes sur les réseaux sociaux, ce que Gunthert (2014) appelle « des
formes sociales visuelles utilisées pour codifier les échanges
». Nous pouvons dire que les personnes utilisent en effet des codes
communs sur Instagram tels que les filtres,
185 BERTEN André. Axel Honneth, La lutte pour la
reconnaissance. Traduit de l'allemand par Pierre Rusch. In : Revue
Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 99, n°1,
2001. pp. 135-139
186 Entretien Christophe, le
187 BRODIN, Oliviane, et MAGNIER Lise. Le
développement d'un index d'exposition de soi dans les médias
sociaux : phase exploratoire d'identification des indicateurs
constitutifs. Management & Avenir, vol. 58, no. 8, 2012, pp.
144-168
188 AMOSSY, Ruth. L'éthos et ses doubles
contemporains. Perspectives disciplinaires. Langage et
société, vol. 149, no. 3, 2014, pp. 13-30
62
Gabrielle Devosse189 parle d'un univers dans lequel
on s'identifie et se ressemble. En effet, les hashtags, qui permettent de
rassembler les individus autour de valeurs et de goûts communs pour
créer des communautés autour des loisirs, des marques, etc. Les
photographies révèlent des signes récurrents au niveau des
postures (mains dans les cheveux, dos aux paysages), les mêmes
expressions (joie, bonheur), une omniprésence de l'esthétisme au
niveau du décor et des techniques photographiques (filtres,
luminosité, flous, etc.) Nous remarquons lors de notre enquête
qu'Instagram a même crée son propre langage avec les hashtags
(instamoment, instagood) pour que les utilisateurs se sentent
intégrés dans une même communauté. Une autre preuve
que les individus désirent être reconnus et
intégrés, est leur besoin de s'inspirer des autres et de se
comparer. Parfois, en voulant absolument ne pas se sentir en isolé des
autres, les personnes se retrouvent confrontées à l'image
d'eux-mêmes. Agathe Mayer190 a émis le paradigme de la
personnalité des autres comme moteur, que l'on s'inspire des autres.
Parfois ces inspirations peuvent être positives comme nous l'avons vu,
mais souvent, le réseau social est un moyen de pression sociale : la
représentation de notre corps face aux normes de beauté de la
société, la nécessité d'être présent
sur les réseaux sociaux pour ne pas passer à côté
d'événements et se sentir isolés et bien d'autres.
Les réponses à nos hypothèses
révèlent bien que le réseau social Instagram est un outil
de construction identitaire et sociale pour les jeunes individus, malgré
que certaines questions restent en suspens. En effet, nous recommandons de
poursuivre ce sujet d'étude intéressant mais biaisé,
notamment entre les résultats des entretiens et de l'analyse de contenu
qui montraient des disparités au niveau de l'analyse. Certains freins ne
nous ont pas permis de pouvoir développer le sujet à notre
convenance. Mais il serait intéressant d'analyser le sujet afin de
confirmées certaines questions auxquelles nous n'avons pas pu
répondre. Afin d'obtenir des résultats plus concrets, il serait
judicieux de réaliser une enquête plus large au niveau du secteur
géographique et plus diversifiée, avec un échantillonnage
plus important.
189 DEVOSSE, Gabrielle. Instagram uniformise-t-il nos
goûts. Psychologies, 6 novembre 2017
190 MAYER, Agathe. Complexes : Attention aux réseaux
sociaux. Top Santé, 08 mars 2018
63
V. Bibliographie
BOURDIEU, Pierre, CASTEL Robert, BOLTANSKI Luc, CHAMBOREDON
Jean-Claude « Un art moyen, Essai sur les usages sociaux de la
photographie », Editions de minuit, 1965, 368 pages
CAUNE, Jean. La médiation culturelle : une construction du
lien social. Les enjeux de l'information et de la communication, 1999, vol.
1.
GOFFMAN, Ervin. La mise en scène de la vie quotidienne 1.
La présentation de soi. Paris : Les éditions de minuits, 1973,
368 pages
GOFFMAN, Ervin. La ritualisation de la féminité.
Actes de la recherche en sciences sociales, 14, 1977, p.34-50.
64
VI. Sitographie
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68
VII. Annexes
Annexe 1 : Questionnaire / guide d'entretien
71
Annexe 2 : Exemple entretien 73
Annexe 3 : Grille d'entretiens 76
Annexe 4 : Grille d'analyse de contenu 77
Annexe 5 : Hypersexualisation sur les photographies
Instagram 78
Annexe 6 : Maddisonyates 78
Annexe 7 : Fitjudi 79
Annexe 8 : Luci.ella193 79
Annexe 9 : Montrer des lieux beaux et monuments
exceptionnels 80
69
Annexe 1 : Questionnaire / guide d'entretien
Entretien
Thème 1 : Présentation de
l'interviewé
Sous-thème 1 : Présentation
générale
Question 1 : Prénom / pseudonyme - si pseudonyme, pourquoi
avez-vous fait ce choix ?
Question 2 : Âge
Question 3 : Métier / activité / études
Question 4 : Loisirs, passions ?
Sous-thème 2 : Fréquence
d'utilisation
Question 1 : Temps d'utilisation d'Instagram ?
Question 2 : Type de compte (lambda, influenceur) ?
Question 3 : Nombre de personne qui vous suivent ?
Question 4 : Combien de fois allez-vous sur Instagram par jour ?
Semaine ?
Question 5 : Publiez-vous souvent du contenu sur Instagram ?
Question 6 : Quel type de contenu publiez-vous ? (Des photos,
vidéos, etc.)
Thème 2 : Utilisation d'Instagram à
caractère individuel
Sous-thème 1 : Mise en avant de soi
Question 1 : Photos de façon spontanée ou
élaborée ?
Question 2 : Retouchez-vous les photographies ? Fréquence
? Manière ? (Filtres, luminosité, avec un logiciel de retouche
de
photo)
Question 3 : Si vous publiez des photos, quel type de photo
montrez-vous ? (Selfie, photo de voyage, photo d'animaux, des
amis, etc.) ?
Sous-thème 2 : Décor
Question 1 : Mettez-vous plutôt en avant des personnes ou
le décor ?
Question 2 : Mettez-vous en scène le décor, le
paysage ou est-ce spontané ?
Question 3 : L'arrière-plan de la photo est-il important ?
Plus important que l'objet ?
Thème 3 : Utilisation d'Instagram à
caractère social
Sous-thème 1 : Objet de photographie : photo de
groupe
Question 1 : Photos seul ou accompagné ? Que
préférez-vous ?
Question2 : Faites-vous des vidéos « storie » de
vos amis ou de votre famille ? De vos acticités avec les autres ?
Sous-thème 2 : Intérêt social de la photo sur
Instagram
Question 1 : Dans quel but prenez-vous des photos pour les
publier sur Instagram ? (Partage avec les autres, création de souvenirs,
montrer son quotidien, montrer des moments qui sortent de l'ordinaire,
impressionner sa communauté, etc.) Question 2 : Prenez-vous des photos
pour créer un lien avec les autres, créer de la communication
avec les autres, une interaction ?
Question 3 : Parlez-vous sur internet à davantage de
personnes que dans la réalité ?
Thème 4 : Intérêt social de la photo
sur Instagram
Sous-thème 1 : Publications publiques et
privées
Question 1 : Montrez-vous tout de vous ? Ou seulement ce que vous
voulez que l'on voie de vous ?
Question 2 : Est-ce que les photos vous permettent de vous
exprimer, de montrer vos passions, vos valeurs ?
Sous-thème 2 : Montrer l'intime
Question 1 : Montrez-vous des choses intimes ? Dans un
décor intime (la chambre à coucher, etc.) ? Question 2 :
Montrez-vous votre quotidien tel qu'il l'est ou seulement des moments
exceptionnels ?
Thème5 : Identités multiples
Question 1 : Avez-vous l'impression d'être quelqu'un
d'autre sur Instagram ? De fonctionner différemment de la
réalité ? Question 2 : Essayez-vous de faire de publier des
choses originales, de vous démarquer des autres ?
Thème 6 : Influence des réseaux
sociaux
Sous-thème 1 : Les utilisateurs et les
influenceurs
70
Question 1 : Regardez-vous beaucoup de photos d'autres personnes
sur Instagram ?
Question 2 : Suivez-vous des influenceurs/influenceuses sur
Instagram ?
Question 3 : Vous-êtes-vous déjà
inspirés de celles/ceux-ci ?
Sous-thème 2 : Sentiments positifs et
négatifs par rapport aux autres
Question 1 : Vous comparez-vous à ces personnes ?
Question 2 : Avez-vous le sentiment de vous sentir mieux ou moins
bien sur les réseaux sociaux vis-à-vis des autres ou de
vous-même ? (Jalousie, envie, sentiment d'être mieux
ou moins bien que les autres)
Thème 7 : Besoin de reconnaissance
Question 1 : Lorsque vous postez du contenu sur Instagram,
attendez-vous quelque chose de la part des autres ?
(Commentaires, likes)
Question 2 : Que faites-vous si une de vos photos n'est pas
liké, ni commentée ?
Question 3 : Attendez-vous de ces photos de plaire à de
nouvelles personnes ou à votre entourage ?
Thème 8 : Besoin d'appartenance
Question 1 : Utilisez-vous tous les codes d'Instagram ? (Utiliser
les hashtags, les filtres, etc.) ? Question 2 : Taguer-vous souvent des
personnes sur Instagram ?
Thème 9 :
Téléréalité
Question 1 : Est-ce que tu regardes la
téléréalité ?
Question 2 : Si oui, reprends-tu des expressions ou t'inspires-tu
de leur façon d'être ou de s'habiller ? Question 3 : Suis-tu des
personnalités de la téléréalité sur
Instagram ?
71
2. Annexe 2 : Exemple entretien
Entretien Zélie
Le 03 juin 2019 - Entretien par
téléphone
Introduction : présentation de l'enquête, de
l'enquêteur, rappel des règles et droits de
l'enquêté, de l'anonymat de l'enquête, de son
déroulement.
Thème 1 : Présentation de
l'interviewé Sous-thème 1 : Présentation
générale
Maïwenn : Est-ce que tu as un pseudonyme Instagram ?
Zélie : Comment ?
Maïwenn : Est-ce que tu as un pseudonyme Instagram ?
Zélie : Ah oui ! C'est euh Zélie et euh il y a un
«S» à la fin
[Maïwenn] Ok et euh pourquoi t'as choisi ce
pseudonyme-là ?
[Zélie] Bah parce que Zélie tout seul ça
n'allait pas [rire] et euh bah le S parce que c'est la première lettre
de mon nom de
famille donc euh enfin voilà
[Maïwenn] Ok donc euh en fait c'était un moyen plus
facile pour qu'on te retrouve ?
[Zélie] Oui aussi quoi enfin comme sur Facebook, tu mets
ton nom et ton prénom et genre prénom en entier quoi
[Maïwenn] Ok ça marche et du coup t'as quel âge
?
[Zélie] J'ai 18 ans
[Maïwenn] Ok et du coup t'es en étude de quoi ?
[Zélie] Je suis en terminale ES
[Maïwenn] Ok ça marche. Et sinon à
côté des cours, tu as des passions, des loisirs ?
[Zélie] Et bah je fais du Handball et euh j'adore les
animaux [rire]
Sous-thème 2 : Fréquence
d'utilisation
[Maïwenn] D'accord, et du coup, depuis combien de temps tu
utilises Instagram ?
[Zélie] Euh ça doit faire trois ans ou quatre
ans
[Maïwenn] Ok ça marche et sinon, ton compte Instagram
c'est un compte... comment dire, t'as un thème précis, tu es
influenceuse ou un c'est un compte lambda ?
[Zélie] Non non pas du tout, euh je mets des photos de mes
vacances, de mes copains ou des concerts
[Maïwenn] D'accord attends, on reviendra là-dessus
après. Combien de personnes te suivent ?
[Zélie] Eu je crois qu'il y en a 900, un truc comme
ça
[Maïwenn] Ah oui, et combien de fois tu vas sur Instagram
par jour à peu près ?
[Zélie] Oula euh je pense que j'y vais une dizaine de
fois, j'y vais beaucoup
[Maïwenn] Très bien, et euh est-ce que tu publies
souvent du contenu ou non ?
[Zélie] Euh je publie une fois par mois maximum
Thème 2 : Utilisation d'Instagram à
caractère individuel
Sous-thème 1 : Mise en avant de soi
[Maïwenn] Euh du coup, en général, quand tu
prends des photos, c'est plutôt de façon spontanée ou tu
vas essayer de
chercher le meilleur angle, la meilleure lumière, etc.
Est-ce que ça va être un peu élaboré ?
[Zélie] Bah en fait les photos que je mets sur Insta c'est
plus des photos que j'ai sur mon téléphone, que je n'ai pas fait
gaffe
à ça en fait
[Maïwenn] Ok donc c'est après, une fois que tu
regardes tes photos sur ton téléphone tu te dis après
«ah ça, ça ferait bien
sur Instagram» ?
[Zélie] Ouais voilà
[Maïwenn] Et du coup, est-ce que tu retouches tes photos en
général ?
[Zélie] Euh bah je mets un effet sinon je ne retouche pas
plus que ça quoi
[Maïwenn] Tu mets juste des filtres
[Zélie] Oui des filtres
[Maïwenn] Ok ça marche et euh est-ce qu'en
général quand tu te mets en photos, tu vas faire des postures,
avoir des
positions particulières ?
[Zélie] Euh non, je mets rarement des photos de moi et du
coup bah quand j'en mets bah...bah je souris quoi [rire]
Sous-thème 2 : Décor
[Maïwenn] Et du coup quand tu prends des photos, tu mets
plutôt en avant les personnes ou le décor derrière ?
[Zélie] Euh bah souvent c'est les personnes
[Maïwenn] Ok donc tu ne mets pas souvent en scène le
décor quand tu es devant un paysage, ou etc.
[Zélie] Bah non j'avoue c'est plus le visage des personnes
avec qui je vais être quoi. Après s'il y a un beau paysage
j'aime
bien mettre en valeurs aussi quoi voilà
[Maïwenn] Ok mais en général, le paysage tu le
prends de façon spontanée ou tu vas plutôt essayer de le
mettre en scène
genre, prendre un joli horizon, etc.
72
[Zélie] Ouais c'est plutôt travaillé
Thème 3 : Utilisation d'Instagram à
caractère social
Sous-thème 1 : Objet de photographie : photo de
groupe
[Maïwenn] Ok et donc en général tu te
prends plutôt accompagnée et pas vraiment seule alors
[Zélie] Oui
[Maïwenn] Ok et donc tu préfères prendre
des photos des autres alors.
[Zélie] Oui j'aime bien !
[Maïwenn] Ça marche, est-ce que tu fais des
stories de toi, ta famille, etc. ? Et est-ce que tu en fais souvent ?
[Zélie] Ouais bah c'est plutôt sur Snap du coup
(ndlr : Snapchat) c'est plus pour faire comme les autres quand je fais les
stories
Sous-thème 2 : Intérêt social de
la photo sur Instagram
[Maïwenn] Ok ça marche, et euh en
général quand tu prends des photos sur Instagram, il y a un but
derrière ? C'est pour
faire quoi, partager avec les autres, te faire des souvenirs
ou montrer un peu ton quotidien ?
[Zélie] Non bah c'est plus pour le côté
souvenir parce que souvent je mets des événements un peu
marquants, quand on
part en voyage ou à une soirée, c'est plus en
mode souvenir quoi
[Maïwenn] Ouais ce n'est pas pour montrer aux autres ce
que tu fais...
[Zélie] [tousse] Ouais non ça non
[Maïwenn] Et du coup quand tu prends des photos en
général, c'est pour créer des liens avec les autres ?
[Zélie] Ah non, pas du tout
[Maïwenn] Genre pour créer des messages, des
interactions, etc.
[Zélie] Non non, enfin si avec les potes avec qui les,
enfin que j'ai pris en photo si mais sinon non
[Maïwenn] Ok et justement, quand tu prends les photos de
tes potes, est-ce que t'attends justement que derrière ils
mettent, enfin qu'il y ait une interaction, qu'ils mettent des
commentaires, etc.
[Zélie] Oh bah ouais, enfin oui enfin qu'ils
répondent quoi
[Maïwenn] ça marche est-ce que t'as l'impression
que tu parles avec plus de gens sur Instagram qu'en vrai ?
[Zélie] Non je ne pense pas c'est juste que sur Insta,
on ne parle pas plus souvent mais on peut parler à des gens à qui
on ne
parle pas en vrai mais je ne pense pas à plus de
personnes. Plus à des gens qu'on ne voit pas souvent par exemple.
[Maïwenn] Parce qu'ils sont éloignés ou
parce que t'as pas l'occasion de leur parler ?
[Zélie] Oui parce qu'ils ne vivent pas près de
chez nous enfin voilà quoi
Thème 4 : Publications publiques ou
privées?
Sous-thème 1 : Publications publiques et
privées
[Maïwenn] Ok et du coup, est-ce que t'es prêtes
à montrer n'importe quoi de ta vie, de ton quotidien ou euh il y a
des
choses que tu ne montreras jamais sur Instagram ?
[Zélie] Euh bah je ne sais pas, ça dépend
ce que tu sous-entends mais je ne serais pas capable de tout montrer quoi, il y
a
certaines limites enfin...
[Maïwenn] Ouais tu vois il y a des gens qui vont se
mettre sur Instagram en maillot de bain, vont montrer leur intimité,
vont
être dans leur chambre, avec leur famille enfin
ça dépend un peu les contextes mais y'en a qui vont tout montrer
d'eux et
d'autres qui vont faire attention parce qu'ils se posent des
limites quoi
[Zélie] Ouais bah moi je ne pense pas que je serais
capable de tout montrer non plus quoi. Il y a des trucs c'est bien que
ça
reste dans la sphère privée
[Maïwenn] Ok, comme quoi par exemple ?
[Zélie] Bah enfin euh, la nudité, les trucs un
peu personnels, genre si on a perdu un proche, les trucs comme ça, il y
a des
gens qui affichent un peu tout ce qui se passe dans leur vie
et enfin, même des déceptions des trucs comme ça, bah moi
je
ne le ferais pas quoi
[Maïwenn] Ok parce que tu penses que ça doit
rester que pour toi et que les autres n'ont pas à le savoir
[Zélie] Bah s'ils ont à le savoir, ça
sera en vrai et sans passer par les réseaux quoi
Thème 5 : Identités
multiples
Sous-thème 1 : Les différentes facettes
d'un utilisateur d'Instagram
[Maïwenn] Ok et euh comme tu t'exposes sur Instagram,
est-ce que t'essayes de fonctionner différemment, de jouer un
rôle en quelque sorte
[Zélie] Non je ne pense pas parce que ce que je mets
sur Instagram, c'est comme si ça sortait en vrai, enfin ce n'est pas
modifié quoi
[Maïwenn] Ok donc quand tu publies sur Instagram ne
t'essayes pas de montrer un peu des choses originales ou de te
démarquer des autres
[Zélie] Bah j'avoue que j'aime bien quand mes photos
sont originales
[Maïwenn] Ok donc tu peux dire que tu es pareil dans la
réalité et sur les réseaux sociaux, y'a rien qui change
?
[Zélie] Oui voilà
Thème 6 : Influence des réseaux
sociaux
Sous-thème 1 : Les utilisateurs et les
influenceurs
[Maïwenn] Est-ce que tu regardes souvent les photos
d'autres personnes sur Instagram ?
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[Zélie] Euh ouais ça m'arrive oui
[Maïwenn] Ok et, est-ce que tu suis des influenceurs et
influenceuses
[Zélie] Non pas vraiment
[Maïwenn] Donc en fait tu ne t'inspires de personne pour
publier tes photos ou faire quoi que ce soit.
[Zélie] Oula non [rire]
Sous-thème 2 : Sentiments positifs et
négatifs par rapport aux autres
[Maïwenn] Est-ce que ça t'arrive quand tu regardes
les photos des autres de ressentir des sentiments positifs ou négatifs ?
[Zélie] Euh oui des fois des complexes et des envies
Thème 7 : Besoin de reconnaissance
Sous-thème 1 : La reconnaissance par les
interventions de la communauté
[Maïwenn] Ok donc ça tu m'en as déjà
parlé tout à l'heure que quand tu publies sur Instagram tu
attends un concerne
quoi
[Maïwenn] Ok et qu'est-ce que tu ferais si par exemple tu
publiais une photo ou une vidéo et qu'il n'y avait aucun j'aime,
aucun commentaire ou quoi que ce soit ?
[Zélie] Bah je ne sais pas c'est bizarre [rire]
[Maïwenn] Mais est-ce que tu la retirerais, tu la laisserais
?
[Zélie] Bah je pense que je la retirerais ouais [rire]
c'est un peu bizarre de dire ça mais oui je pense que je
l'enlèverais.
Thème 8 : Besoin d'appartenance
[Maïwenn] Est-ce que tu utilises sur Instagram des codes
particuliers ? Est-ce que tu utilises beaucoup d'hashtag ?
[Zélie] Pas du tout
[Maïwenn] Ok et donc du coup tu ne mets pas en avant des
loisirs en particulier ? Par exemple tu me dis que tu aimes le
handball et les animaux mais tu ne mets pas ces sujets en
particulier en avant sur les photos ?
[Zélie] Euh donc non pas forcément de Hand et pas
d'animaux non, en fait j'ai juste une chèvre chez moi et du coup des
fois
je prends des photos avec elle mais bon, enfin voilà quoi
[rire]
[Maïwenn] [rire] D'accord, ça marche
Thème 9 : La
téléréalité
[Maïwenn] Et euh, est-ce que tu regardes la
téléréalité ?
[Zélie] Non pas du tout. A part Koh-Lanta mais je ne sais
pas si on peut dire que c'est de la téléréalité
[Maïwenn] Ah si si, c'en est !
[Zélie] C'est le seul truc que je regarde quoi
[Maïwenn] Ok ça marche. Bon du coup c'est allé
vite, on a fini ! Merci de m'avoir aidé pour mon mémoire.
74
3. Annexe 3 : Grille d'entretiens
75
4. Annexe 4 : Grille d'analyse de contenu
76
5. Annexe 5 : Hypersexualisation sur les photographies
Instagram
6. Annexe 6 : Maddisonyates
77
7. Annexe 7 : Fitjudi
Ludivinee_s
8. Annexe 8 : Luci.ella193
78
Annexe 9 : Montrer des lieux beaux et monuments
exceptionnels
79
VIII. Résumé
E-réputation et image de soi sur les
réseaux sociaux, entre réalité et mise en
scène. Le cas d'Instagram
Ce mémoire, met en avant les usages des réseaux
sociaux chez les jeunes individus. Il est mis en avant la
nécessité pour les utilisateurs des médias sociaux de se
créer une image de soi sur internet. Cette étude mettra en place
dans un premier temps une analyse de l'évolution de la photographie et
des médias afin de parvenir à comprendre l'évolution de
ces usages dans le temps et en quoi cela a influé sur les comportements
actuels. Ensuite seront développé deux parties correspondantes
chacune à trois hypothèses de réponse à notre
problématique. En premier lieu sera développé les
techniques de mise en scène des individus sur les réseaux
sociaux. Il y est démontré la volonté de modifier pour les
individus leur représentation d'eux-mêmes et de leur quotidien,
d'utiliser une multitude de facettes de leur personnalité afin de se
construire une image valorisante auprès de leurs pairs. Ensuite sera mis
en exergue le phénomène d'exposition des individus sur internet,
toujours dans le but de se créer une image améliorée
d'eux-mêmes via l'ethos et l'adhésion aux codes d'Instagram pour
répondre à un besoin de reconnaissance et d'appartenance à
une communauté.
Mots clés : image de soi - reconnaissance -
appartenance - mise en scène - réseaux sociaux
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