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L'imaginaire médiéval au prisme de la série Kaamelott d'Alexandre Astier


par Carole HENRY
Université de Nice Côte d'Azur - Master  2001
  

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A. Ancrer une légende intemporelle dans un contexte historique : le choix du Ve siècle

Tout d'abord, un des aspects particuliers de Kaamelott, contrairement à la plupart des créations autour du mythe arthurien, est sa volonté de réellement replacer la légende dans l'histoire. Dès le XIIe siècle, il y a fort à parier que les premiers à travailler autour de la légende avaient davantage pour objectif d'élaborer une mythologie et non de décrire la réalité telle qu'ils la vivaient.

C'est pourquoi, lorsque l'on parle d'histoire médiévale à la période du roi Arthur et des chevaliers de la table ronde, on ignore souvent qu'il s'agit de figures du Ve siècle et non du XIIe voire XIVe siècle, tant cet imaginaire est désormais associé à une imagerie plus récente : celle de la plupart des chroniqueurs, comme Chrétien de Troyes, et non des chroniqués. C'est pourquoi on y associe les châteaux de pierres, les armures métalliques, les tournois, etc... A cet imaginaire anachronique, l'oeuvre d'Astier participe largement, et il est souvent reproché aux séries de fantasy médiévale de déformer la réalité historique, en donnant à voir aux spectateurs des clichés très éloignés de la réalité. Paradoxalement, malgré ces anachronismes, Kaamelott est une série est plutôt proche et fidèle à l'histoire médiévale, et nous allons voir dans quelle mesure.

En effet, Kaamelott est une série historiquement riche, parce qu'elle prend la liberté de brasser les civilisations et les imaginaires, de superposer différents lieux à différentes époques : l'époque du récit, celle des réécritures médiévales, celle des reprises plus modernes du mythe. Autrement dit, pour ne se priver de rien en termes de richesse créative, Astier a choisi d'accumuler les réalités plutôt que se restreindre à une seule vérité historique par souci de vraisemblance. Ainsi, la série juxtapose des univers historiquement inconciliables, notamment l'Antiquité des Ier av et IIe siècles ap JC et le Moyen Age des XIV et XVe siècles. L'anachronisme est particulièrement visible au niveau de l'habit militaire170 et de certains décors :

170 Cosme, P. (2007). L'armée romaine. VIIIe siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C. Paris. Les sons du pouvoir des autres.

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« Les romains portent un armement haut-empire tandis que les bretons arborent l'armure de plates qui se diffuse au moment de la guerre de Cent Ans. [...] Dans la tente de Macrinus, au coeur du camp romain, figure par exemple une sculpture très connue : le buste capitolin de l'empereur Caracalla, qui a régné de 211 à 217 [...]. Il renvoie plus précisément à cette période bien antérieure à Kaamelott, mieux connue du grand public : celle d'un âge d'or qu'on fait habituellement courir du Ier siècle avant JC au IIe après JC et à laquelle renvoient pratiquement tous les éléments matériels de la série. »171

De plus, Astier a choisi d'inscrire son intrigue au Ve siècle après J-C, une période stratégique pour la création, car très peu représentée à l'écran. Cela lui permet donc d'inscrire son oeuvre là où tout est encore possible, sans crainte de tomber dans la comparaison avec une autre production, ou de rompre avec un quelconque horizon d'attente du téléspectateur. D'autre part, cette période est aussi une sorte de flou historique entre l'Antiquité et le Moyen Age, sur lequel les médiévistes eux-mêmes ne s'aventurent que prudemment pour ne pas empiéter sur le terrain des antiquisants, et vice-versa :

[Sur cette période] « Des données textuelles le plus souvent laconiques ; un certain éclairage induit par des découvertes archéologiques anciennes, dépourvues de tout environnement scientifique, un recours désormais systématique à la fouille, qui remet en question les idées reçues, mais pose finalement plus de problèmes qu'elle n'en résout vraiment »172

Et si cette période est lacunaire pour les spécialistes, elle l'est d'autant plus, voire totalement méconnue, pour les téléspectateurs du programme, qui ne maitrisent pas nécessairement le matériau historique :

« De toutes les périodes de l'histoire européenne, celle de Kaamelott est probablement l'une des plus méconnues ; au collège et lycée les programmes scolaires se concentrent sur quelques moments phares de l'Antiquité : L'Égypte, la civilisation gréco-romaine, la chute de la République et l'avènement de l'empire sont toujours les repères forts dans les représentations collectives. Il suffit d'avoir lu Astérix ou d'avoir regardé Rome pour se faire une idée, certes approximative, mais vivante de ces années. En revanche, la méconnaissance des Ve et VIe siècles est totale. Rien d'étonnant à cela : la plupart des ouvrages traitant de l'Antiquité s'attardent peu sur cette période obscure de l'histoire, transition dont personne ne sait vraiment si elle appartient à l'Antiquité tardive ou au Haut Moyen Âge. »173

171 « L'Antiquité romaine au coeur du Moyen Age breton », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire.

172 Lebecq, S. (2014). Origines franques-Ve-IXe siècle. Nouvelle histoire de la France médiévale. Média Diffusion.

173 Truffinet, N. (2014). Kaamelott ou La quête du savoir. Vendémiaire. pp 64-65.

113

Et lorsque que rien ou presque n'est établi pour une période, alors elle laisse libre champ au créateur qui s'en empare, au même titre que pour la science-fiction. De fait, la série convoque des temporalités mêlées les unes aux autres, ça n'est donc pas seulement un voyage dans le temps mais un voyage dans les temps, de la sombre Bretagne à la brillante Rome.

En effet, Astier insiste volontairement sur la représentation, parfois un peu caricaturale, de deux mondes parfaitement antagonistes : un monde romain nécessairement raffiné et un monde breton encore barbare. Si Astier met en scène une politique gestionnaire et défensive qui fonctionne mal, l'anarchie des manoeuvres militaires, des paysans révoltés et un christianisme très fragile, la réalité des faits n'en est pas si éloignée :

« Les difficultés s'amoncellent en ce début du Ve siècle. L'empire qui a cessé d'être unitaire, sauf dans l'esprit des lettrés nostalgiques du passé, n'a plus, du moins en Occident, la cohésion profonde qui faisait jadis sa force, les moyens matériels, financiers et humains de sa politique. L'appareil de l'état atteint de gigantisme fonctionne mal, sous l'autorité nominale de souverains jeunes, inexpérimentés et éphémères. Les inégalités sociales choquantes, la puissance des riches latifundiaires, les souffrances du menu peuple surexploité, l'anarchie civile et militaire, la démilitarisation des élites et des masses sont autant de graves faiblesses face aux mondes barbares jeunes et dynamiques. L'Eglise primitive est fragile dans son organisation, faite de communautés trop souvent encore isolées dans ces pratiques liturgiques mal fixées et dans ses connaissances dogmatiques très contrastées. »174

C'est sur ce paradoxe des civilisations que joue Astier en les confrontant, au prix de l'anachronisme. La Dame du Lac énumère tout ce qui plait à Rome, tandis que d'autres personnages s'attardent sur la qualité des mets que l'on y trouve. Dans l'imagerie, le Moyen Âge breton se caractérise par des aliments gras et lourds, tandis que la gastronomie romaine évoque la douceur, des goûts fins, à l'exemple de la pâte d'amande. En voici quelques exemples notamment :

La dame du lac : La lance là, ce n'est pas ça que vous appelez la Regia par hasard ? Arthur : Qui ça « vous » ?

La dame du lac : Vous, les Romains !

Arthur : Mais je suis pas Romain !

174 Leguay, J.-P. (2002). L'Europe des états barbares: Ve-VIIIe siècles. Belin.

114

La dame du lac : Ho bah ça dépend pour quoi hein, parce qu'il y a un tas de choses que vous préférez chez les Romains plutôt que chez les Celtes !

Arthur : Tiens donc, et quoi par exemple ?

La dame du lac : La bouffe déjà, le climat, la politique, la stratégie martiale, la mer, la montagne, et puis même les femmes alors ....

Arthur : Oui bah voilà, c'est tout. »175

Guethenoc : C'que vous voulez pas admettre Sire, c'est qu'on s'retrouve devant une véritable crise paysanne.

Arthur : Ah non ! Non non non. Ne commencez pas avec vos crises paysannes. On est là pour parler du vin, jusque là il était bon.

Guethenoc : Evidemment il v'nait d'Rome.

Roparzh (se marre) : Oui au prix qu'vous l'touchez il peut être bon.

Belt : Il me semble que c'est quand même le minimum de s'intéresser aussi aux petites exploitations locales.

Arthur : Ah mais moi j'veux bien m'intéresser à tout ce que vous voulez, mais le pinard est immonde.

Roparzh : Mais il est pas immonde, Sire ! Faut arrêter d'jouer les fines bouches hein !

Guethenoc : Y a des très bonnes choses ! Seulement faut y mettre un peu... un peu du sien aussi.

Belt : Vous avez pas pris l'temps d'vous habituez aux fruits.

Guethenoc : On a pas l'même soleil qu'à Rome nous. Ici l'raisin il vient un peu plus... un peu plus... un peu plus acide. » 176

« Guenièvre (plaintive) : C'est moi je suis à cran aujourd'hui... Arthur : C'est rien ça, demain ça ira mieux.

Guenièvre : Ah sûrement pas !

Arthur : Demain ça ira pas mieux ?

175 Le culte secret, Livre III, épisode 84.

176 Spiritueux, Livre II, épisode 33.

115

Guenièvre : Vous vous souvenez de cette chose délicieuse que j'avais ramenée de mon voyage à Rome, et qui s'appelle la pâte d'amande ?

Arthur : La pâte d'amande ? Ah oui c'est bon ça.

Guenièvre : Excellent.

Arthur : Eh ben, quel rapport avec le fait qu'vous êtes chiante ? Guenièvre (criant) : Le rapport c'est qui y a plus de pâte d'amande ! E...]

Arthur : Dites-moi mon p'tit Bohort, le dernier voyage à Rome, vous en faisiez bien partie ?

Bohort : Une excursion fan-ta-stique.

Arthur : Est-ce que vous avez goûté des spécialités là-bas ?

Bohort : Oh ma foi oui, de très bonnes choses d'ailleurs hein... Gourmand comme je suis Rome est une ville dangereuse pour moi !

Arthur : Justement, gourmand comme vous êtes, vous avez sûrement goûté la pâte d'amande ?

Bohort (perd son sourire) : Oui peut-être, j'm'en souviens plus...

Arthur (suspicieux) : Vous en avez ramené ?

Bohort : Heu...

Arthur : Vous en avez ramené.

Bohort : Pitié Sire il m'en reste qu'un tout petit morceau !

Arthur : Donnez-le moi.

Bohort : Non non non de grâce Sire tout c'que vous voulez mais pas ça !

Arthur (le prend par le col) : Je vous mets un pain. » 177

Au niveau des outils cinématographiques, cette opposition existe aussi, entre le générique percutant des sons de cornes des premiers livres et la musique qui se fait plus douce, la mélodie plus fluide dans le générique du livre VI, consacré à la jeunesse d'Arthur à Rome. Il est aussi

177 La pâte d'amande, Livre I, épisode 90.

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important de noter qu'à Rome, Arthur était appelé Arturus, élément qui a son importance car il conduit le téléspectateur à presque dissocier les deux personnages, comme un avant et un après. Cela renforce ensuite l'idée selon laquelle Arthur est le lien, le pont entre ces deux civilisations, et donc le symbole du monde Romano Breton : « Pourquoi est-ce que [les romains] acceptent de laisser un roi local fédérer les clans bretons ? [...] parce que je suis de chez eux »178

C'est donc une double identité qui pose problème. Dans l'épisode La frange romaine, Caius coupe à sa manière les cheveux du roi, ce qui déclenche sa colère :

Arthur : Regardez-moi cette tête de con que vous m'avez faite ! On dirait la vôtre !

Caïus : Ah non ! Moi c'est beaucoup plus long ! Faut pas exagérer.

Perceval : Il me semble que ça fait plus jeune !

Arthur : Ça fait plus jeune... Ca fait romain, surtout !

Caïus : Ah ben oui, ben oui ! Ça, ça fait romain, c'est sûr ! En même temps, c'est moi

qui coupe, y'a quand même peu de chance que ça fasse perse !

Arthur : Ce qui m'emmerde le plus, c'est que ça fait pas breton, surtout ! Regardez-

moi ça ! On dirait un décurion qui sort de la caserne !

Perceval : Moi j'les ai eus pendant des années les cheveux courts !

Arthur : Mais on s'en fout !

Caïus : Au bout d'un moment, en quoi ça pose un problème que ça fasse romain !

Vous êtes fédéré par Rome ! Vous pouvez quand même avoir une coupe romaine !

Perceval : En fait, dès que j'ai eu dix ans, hop ! Cheveux courts !

Arthur : La ferme !

Caïus : Vous savez quoi en fait ? Vous avez honte de vos origines !

Arthur : Mais j'ai pas des origines romaines ! Le problème c'est que dans le coin, les

cheveux longs c'est un peu synonyme de pouvoir ! Regardez-moi ça, on dirait un petit

poussin ! » 179

Ici, Arthur insiste sur l'importance symbolique des cheveux longs associée au pouvoir chez les bretons, faisant écho aux rois chevelus Francs180. Nous retrouvons donc des éléments

178 Le secret d'Arthur, Livre II, épisode 62.

179 La frange romaine, Livre II, épisode 98.

180 Hoyoux, J. (1948). Reges criniti Chevelures, tonsures et scalps chez les Mérovingiens. Revue belge de philologie et d'histoire, 26(3) pp 479-508.

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historiques, dont il ne s'agit ici que d'un parmi tant d'autres, disséminés tout à long de la série. Pour ne faire qu'un bref résumé d'histoire croisée avec les épisodes de Kaamelott : officiellement, les romains occupent la Bretagne et ce que les bretons appellent le « royaume de Bretagne » est considéré par l'occupant comme leur province de Britannia, à laquelle ils ont placé à sa tête le jeune Arturus, originaire de ladite province mais soldat romain. Or, depuis l'empereur Auguste, Rome est gouvernée par des empereurs aux fortunes inégales qui se succèdent à un rythme effréné, dans une dynamique de coups d'états à répétition. D'ailleurs, lorsque le message arrive à Kaamelott que le dernier empereur a de nouveau été assassiné :

« Arthur : Non, mais en ce moment ils sont en plein boum, ils viennent de se faire

assassiner leur dernier empereur...

Léodagan agacé : Oh... Encore ?

Arthur : Et oui, encore.

Bohort : Ils sont dans une dynamique de coups d'états.

Léodagan : Oui enfin là, c'est plus une dynamique, c'est un sport national ! »181

Léodagan : Quand même ça vous fait pas drôle d'être dirigés par un merdeux d'dix ans

?

Caius : Lui on lui donne pas deux mois avant qu'il s'fasse égorger. C'est bien simple,

en c'moment à Rome y a deux push par an.

Arthur : Y en a qui disent que celui là c'est l'dernier.

Léodagan : Ah oui puis que quand il s'ra désingué, Rome on ira visiter pour les

ruines...

Caius : Bah au camp tout l'monde se fait les valoches hein, on va tous rentrer chez

mémé.

Léodagan (surpris) : Sans blague ?

Caius : Ah ouais ouais.

Arthur : Vous déconnez ?

Caius : Ben nan puis c'est pas un mal hein, moi ça fait 16 ans qu'j'ai pas vu mes

gosses.

Arthur : Vous allez vous faire chier sans nous !

Caius : Les consignes, avant d'partir faut foutre le feu partout.

Léodagan : Quoi ?

Caius : Tout cramer j'vous dis. Mais moi j'le f'rai pas hein.

Arthur : Ah bon ?

Caius : Ben nan vous m'invitez à becqueter alors...

Arthur (en même temps que Léodagan) : Ah nan nan nan... vous occupez l'pays...

Léodagan : Ah oui nous on est obligés, on se soumet à l'envahisseur...

181 La queue du scorpion, Livre I, épisode 22.

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Caius : Ouais c'est gentil mais vous fatiguez pas.182

C'est le jeune Romulus Augustule, qui accède ensuite au trône, qu'Arthur pressent, à raison, être le tout dernier des empereurs romains, puisque sa chute en 776, dix mois plus tard, marque la fin de l'empire d'Occident et la division de ce dernier entre Orient et Occident, définitive en 395. La série mentionne aussi cela, par la présence du personnage de Narsès, général byzantin envoyé par l'empereur Justinien. Kaamelott mentionne aussi la multiplication des raids barbares : « On a subi seize tentatives d'invasion l'année dernière »183. La série cite de nombreux noms de peuples, sans trop de cohérence : Huns, Vikings, Saxons, Vandales, Angles, Ostrogoths, Burgondes, Germains, etc... Ces offensives apparaissent comme l'élément notable de cette période, évoquant avec justesse les mouvements migratoires connus entre le IVe et le VIe siècle. Les peuples barbares signent des traités avec Rome, qui leur permet de s'établir sur certains territoires, en repoussant les ennemis communs. Dans les faits, Rome perd de sa puissance et se trouve incapable d'assumer la gestion de ses provinces lointaines. Sa faiblesse s'accroit jusqu'à son effondrement en 476. Kaamelott illustre cela au livre III, montrant le démantèlement des camps romains. Si les seules traces restantes de la présence militaire romaine sont représentées par le personnage de Caius, volontaire au sein de l'unique garnison romaine restée sur place, sa désertion, à laquelle il se sent contraint, montre la fin de la puissance romaine :

ARTHUR (comprenant) : Mais... mais il y a plus un rat en fait...

CAIUS : Comment ?

ARTHUR : Le camp est complètement désert, ils sont définitivement partis. C'est

pour ça qu'on est rentré dans le camp si facilement. Il reste plus que vous.

CAIUS : Non mais, si ça se trouve ils vont revenir, hein, ils me l'ont peut-être pas dit

mais ils sont en manoeuvre dans le coin.

ARTHUR : Oui, bien sûr, il en restait que quatre ou cinq, seulement ils sont tous en

manoeuvre ! Ne me prenez pas trop pour ...

(...)

ARTHUR : Vous vous faites quand même pas chier hein ?

CAIUS : Ben quoi, je fais rien de mal.

182 Le dernier empereur, Livre I, épisode 56.

183 La révolte, Livre II, épisode 23.

119

ARTHUR : Ah non, ben je pense bien. Au lieu de vous occuper de votre domaine vous venez ici jouer les centurions dans un camp vide.184

Ainsi, notre chapitre précédent posait la question de la télévision comme outil pédagogique, ce que confirme en partie Kaamelott. Bien que de manière anachronique et bien loin des livres d'histoire classiques, cette série explique de manière ludique des faits historiques, mais aussi bien des aspects du pouvoir, de la religion, des moeurs telles qu'elles étaient à l'époque médiévale.

B. Une relecture de Kaamelott par les historiens : justice, religion et loisirs médiévaux

En effet, Kaamelott peut bel et bien être analysée en termes d'historicité. C'est pourquoi la série a été l'objet d'études menées par des historiens médiévistes ces dernières années, en témoigne le colloque organisé par Florian Besson, doctorant en histoire médiévale à l'Université Paris-Sorbonne et Justine Breton, docteure en littérature médiévale de l'Université de Picardie-Jules-Verne, en mars 2017. Cela révèle qu'au-delà d'un programme de divertissement, certaines séries de mediaval fantasy constituent une forme d'apprentissage pour le téléspectateur. Cette partie de notre étude s'attachera à montrer, à travers le choix de trois thématiques que sont la justice, la religion et les loisirs médiévaux, la manière dont se place la série par rapport à la réalité historique.

Tout d'abord, la thématique de la justice est particulièrement riche et élaborée dans Kaamelott : Parmi tout l'éventail de la criminalité et des délits au Royaume Logres, nous pouvons relever des actes allant du simple vol commis par la maîtresse du roi, Azénor, aux multiples meurtres perpétrés par son garde du corps Grüdü, mais aussi les actes de contrebande de vin du Tavernier, ou encore les propos accusatoires contre l'autorité royale revendiqués par Yvain et Gauvain. On note aussi la négligence de Bohort pendant ses heures de garde et la pratique de jeux d'argent tels que les combats d'animaux organisés par Venec. Enfin, plus graves, des trahisons illustrées par les complots de Léodagan, du roi Loth ou encore de Lancelot à l'encontre de son roi. A une

184 Le camp romain, Livre VI, épisode 76.

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autre échelle, citons également les conflits entre paysans, qui évoquent l'image habituelle des guerres privées de l'époque médiévale.

Ces divers délits relèvent de la justice médiévale, qui aujourd'hui est assez méconnue du public. Du moins, elle est très souvent l'objet d'un certain nombre de stéréotypes, selon lesquels la violence a une place prépondérante, associée à la pratique de la torture et au recours presque systématique à la peine de mort. C'est une vision surtout véhiculée par les médias audiovisuels (télévision, cinéma, jeux vidéo) et les arts. Nous allons voir que rendre la justice à l'époque médiévale est, comme le montre la série, bien plus complexe.

Il est intéressant de se questionner au sujet de qui exerce la justice dans Kaamelott. La réponse qui s'impose de prime abord est évidemment le roi Arthur, qui lui seul détient l'ira regis, (colère royale), une « émotion codifiée qui permet au roi et au roi uniquement de s'énerver et d'imposer sa volonté en outrepassant ses propres règles ou lois »185. Il s'agissait d'un instrument de la souveraineté médiévale. Mais on remarque aussi que le roi délègue parfois à Léodagan, roi de la Carmélide, ou demande conseil à Lancelot. Arthur admet lui-même qu'il ne sait pas réellement ce qui se passe dans la lointaine Aquitaine, impliquant que la justice royale soit déléguée par le souverain aux principaux rois fédérés de l'ensemble du royaume, qui conservent ainsi une forme d'autonomie judiciaire sur leur territoire respectif :

« Un nouveau territoire je ne vois pas ce que j'en foutrais, le Royaume de Logres s'étend déjà jusqu'à là-bas, en Aquitaine et ils sont tellement loin que j'arrive jamais à savoir ce qu'ils foutent »186

A l'époque médiévale, la justice est un pouvoir régalien qui est effectivement délégué de manière plus locale, par souci d'efficacité. Mais dans la série, contrairement à ce qui était pratiqué à l'époque médiévale, il n'est jamais question d'officiers de l'ordre, tels que les « baillis » ou les « missi dominici », qui agissent localement au nom du roi ou des princes187. Ce qui est aussi étonnant est que la justice du Royaume de Logres ne semble pas soumise ni à l'influence de l'Eglise ni à celle du droit Romain et il faut, en effet, attendre le livre V pour y voir un jurisconsulte, de manière bien vague puisque sa spécialité n'est jamais précisée.

185 « La justice au Royaume de Logres », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire. p.117 à 127

186 La foi bretonne, Livre IV, épisode 19.

187 Il s'agissait d'inspecteurs royaux chargés de faire respecter le pouvoir royal auprès de l'administration et des autorités locales sous les Mérovingiens et les Carolingiens.

121

Il existe, au Moyen Age, deux systèmes judiciaires : une justice laïque et une justice ecclésiastique très peu évoquée dans la série, si ce n'est pas le personnage du répurgateur incarné par Elie Semoun, stéréotype courant de l'inquisiteur du XIIIe siècle, obsédé par la torture des hérétiques et les buchers. Ainsi, c'est à Arthur que revient le pouvoir de juger des cas qui, en réalité, auraient relevé des tribunaux ecclésiastiques, notamment ceux se rapportant par exemple à la magie188. Globalement, le roi incarne, avec tout de même beaucoup de justesse, le seul arbitre et juge des conflits, à l'image des souverains médiévaux.

Concernant les lois de Kaamelott, elles se réfèrent largement à des règles dites coutumières, plutôt orales, bien que l'écrit fasse normalement foi chez les élites, ce que l'on retrouve dans la série :

Jurisconsulte: Pardon, mais alors là vous m'obligez à considérer la situation du point de vue du législateur. Il se trouve que ce matin, je suis tombé sur la loi qui stipule les modalités d'accueil des invités du château.

Séli: Si vous parlez du protocole, je vous rappelle que vous n'êtes ni roi ni prince. Jurisconsulte: Alors selon vos lois, le traitement protocolaire est également réservé aux magistrats. (se désigne)

Séli: Bon si je comprends bien vous voulez jouer au con.

Jurisconsulte: J'applique à la lettre les décrets qui sont consignés dans vos propres archives.

Quant aux conflits entre paysans, ils relèvent toujours de l'arbitraire du souverain, c'est pourquoi Ropartz évoque un « arrangement à l'amiable » qui rappelle les modes infra-judiciaires de règlement des conflits à la fin du Moyen Âge, pour restaurer la paix entre les parties189.

Au cours du processus judiciaire, la place de la torture dans la série est ambiguë, à la fois réaliste et irréaliste. En effet, le roi exprime son désaccord quant à son usage, sans se justifier, mais l'hypothèse qui serait la plus fiable à l'histoire serait une influence du droit romain (Arthur ayant été élevé à Rome), d'après lequel seuls les non-libres peuvent être soumis à la torture. Or, la Bretagne n'est censée compter que peu voire plus aucun esclave depuis les dernières lois

188 Mercier, F. (2006). La Vauderie d'Arras: Une chasse aux sorcières à l'automne du moyen âge. PU Rennes.

189 Gonthier, N. (1996). Faire la paix: Un devoir ou un délit ? Quelques réflexions sur les actions de pacification à la fin du Moyen Âge. EUD. p.37-54

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promulguées par Arthur. Mais cela reste en partie irréaliste puisque la torture était appliquée à cette époque dans tout l'Occident chrétien, même durant le haut Moyen Âge, y compris au sein de l'Eglise190.

Enfin, penchons-nous sur le réalisme des condamnations analysées par l'historien Rudi Beaulant.191 Excepté quelques mentions d'écartèlement, la plupart des exécutions évoquées sont des pendaisons, notamment pour les cas de trahison. La décapitation n'est en revanche jamais mentionnée en tant que condamnation, alors que les travaux sur la justice médiévale montrent qu'il s'agit de la sentence normalement réservée aux cas de trahison.

Quant aux sévices corporels, Léodagan mentionne aussi l'éventualité de faire couper la main d'Azénor suite à son vol, alors qu'en Carmélide, on commence à crever des yeux pour éviter la peine de mort systématique :

Arthur : Vous étiez pas censé donner la justice vous aujourd'hui ?

Léodagan : Si.

Arthur : Ah ben qu'est-ce que vous foutez là ?

Léodagan : C'est fini.

Arthur : A une heure de l'après-midi c'est fini ? Ben je vois que vous avez encore fait

dans de la dentelle !

Léodagan : J'ai fait ce qu'il y avait à faire, c'est tout.

Arthur : Attention, si vous avez encore fait pendre tout le monde, je vais me foutre en

rogne !

Léodagan : J'ai pendu personne.

Arthur : Tiens donc ! Par quel prodige ?

Léodagan : Le prodige que c'est vous qui me l'avez demandé, déjà. Puis c'est comme

ça. Aujourd'hui y a pas matière.

Arthur : Bah vous jugiez pas l'autre, là ?

Léodagan : Quel autre ?

Arthur : L'autre, que vous avez chopé en train de piquer des porcs sur le marché.

Léodagan : Si.

Arthur : Et vous l'avez pas pendu celui-là ?

Léodagan : Non. Deux semaines de cachot.

Arthur : Ah bon ? Bah du coup c'est pas tellement.

Léodagan : Il les a rendu les porcs.

Arthur : Mais non mais me prenez pas pour un con, enfin ! D'habitude vous allumez

190 Schmoeckel. M (2002) « La survivance de la torture après la chute de l'Empire romain jusqu'à l'aube du Ius Commune ». B. Durand, La torture judiciaire. Approche historique et juridique. Lille. Centre d'histoire judiciaire. pp 315-329

191 « La justice au Royaume de Logres », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire. p.117 à 127.

123

quand même plus que ça.

Léodagan : Peut-être que j'en ai marre aussi.

Arthur : De ?

Léodagan : Figurez-vous que les séances de justice, non content de me les farcir chez

vous, je me les farcis aussi chez moi. Sauf qu'en Carmélide, c'est mon père qui préside.

Je peux vous dire que c'est pas les mêmes tarifs.

Arthur : Oh non mais ça je m'en doute.

Léodagan : Pas plus tard que l'autre jour, 12 condamnés en un après-midi. Ça vous dit

quelque chose ?

Arthur : 12 pendus ?

Léodagan : Non. On leur crève les yeux depuis quelques années parce que... non, ça

se dépeuplait trop.

Arthur : Non mais c'est pas vrai !

Léodagan : 12 condamnés avec exécution immédiate de la peine. Alors avec 2 yeux

de moyenne par titre... Faites le calcul ! »192

Enfin le bannissement de Lancelot est très réaliste, puisque c'était une peine très fréquemment appliquée aux révoltés médiévaux. Cependant, l'ordalie, à savoir l'appel au jugement de Dieu, très pratiquée durant le Moyen Âge central, n'est jamais mentionnée par Astier193. De plus, le fait qu'Arthur fasse preuve de clémence envers le traître Lancelot, comme le faisaient fréquemment les princes et rois médiévaux, paraît réaliste194.

Astier propose ainsi une image très manichéenne et stéréotypée de la gestion de la justice : d'une part, un roi souple, contre la torture et la peine de mort, à savoir une vision moderne et adaptée aux sensibilités contemporaines du téléspectateur, qui lui permet de s'identifier. Et au contraire, un roi de Carmélide, dit « le sanguinaire », qui incarne l'exact opposé, stéréotype médiéval de l'homme avide d'une violence souvent disproportionnée au contexte ou à la faute commise. Après avoir assez longuement évoquer la justice, voyons ce qu'il en est du traitement de la religion et des loisirs médiévaux dans la série.

La thématique de la religion dans Kaamelott a été traitée de manière à montrer la confusion réelle entre les croyances aux débuts du christianisme, dans un royaume ou s'entremêlent diverses traditions et croyances, notamment polythéistes :

192 Le Magnanime, Livre III, épisode 2.

193 Lemesle, B. (2016). La main sous le fer rouge. Le jugement de Dieu au Moyen Age. Editions universitaires de Dijon

194 Toureille, V. (2013). Crime et Châtiment au Moyen Age. Média Diffusion. pp. 253-527.

124

Arthur : Prier Mars .... Ah aaah prier Mars ! Peut-être oui et alors, qu'est-ce que ça peut faire ?

La dame du lac : Vous êtes en train de prier un Dieu romain ! Vous vous foutez de ma gueule ou quoi ? Je vous signale que vous êtes légèrement engagé dans une quête au nom du Dieu unique !

Arthur : Parce que le Dieu unique, il est celte peut-être ?

La dame du lac : Heu .. non, le Dieu unique, il est ... ben, il est unique !

Arthur : Oui ben voilà, et vous vous êtes quoi au juste ? Avec vos cheveux oranges et

votre peau blanche comme une merde de crémier vous êtes pas celte des fois ? La dame du lac : Bah si ... à la base si !

Arthur: A la base !! Nan mais qu'est-ce que c'est, vous faites mi-temps chez les uns, mi-temps chez les autres ?

La dame du lac : Non non, c'est pas ça !

Arthur : C'est pas ça ! La religion c'est le bordel, admettez-le ! Alors laissez-moi prier ce que je veux tranquille ! ça m'empêche pas de la chercher votre saloperie de Graal !

Ainsi, Arthur reste attaché aux dieux du panthéon romain, alors que les fées, du panthéon des dieux celtes, semblent être ici au service de Dieu unique chrétien. La dame du Lac, issue des croyances nordiques, invite le roi Arthur à trouver le Graal, qui n'est autre que la coupe avec laquelle Joseph d'Arimathie aurait recueilli le sang du Christ crucifié. Mais paradoxalement, Excalibur, épée forgée par Merlin, selon la légende, pour aider Arthur dans sa quête du Graal est proscrite par le Répurgateur :

Arthur : Est-ce que vous connaissez Excalibur ?

Répurgateur : Oui bien-sûr, l'épée légendaire ! Ça vous donne une prestance, c'est

quand même autre chose que les javelots...

Arthur : Alors le seul truc à propos d'Excalibur, c'est que c'est quand même une épée

magique [...] Vous aimez pas ça ?

Répurgateur : Ah non non la magie... non non oh...

Arthur : Alors le truc c'est que j'utilise la magie, si on veut aller jusqu'au bout du...

Répurgateur : Dans un sens, Sire, vous utilisez la magie

Arthur : Et c'est interdit ?

Répurgateur : Ah oui c'est extrêmement interdit !

Arthur : Mais je suis quand même roi, alors qu'est-ce qu'il faut faire ?

Répurgateur, s'emporte et hurle : Magie noire ! Cette personne utilise la magie

noire ! C'est un hérétique ! Au bucher et brulé vif ! brûlons-le vif !

Tout au long de la série, ce conflit entre Dieu unique et dieux païens est notamment incarné par les deux personnages religieux de la série, le Père Blaise du côté du christianisme et Merlin du

125

côté du paganisme, représentants de deux traditions irréconciliables. A ce propos, Jean-Robert Lombard, interprète du Père Blaise s'avère déçu que ce jeu d'oppositions n'ait peut-être pas été suffisamment exploité par Alexandre Astier, selon lui :

« J'aime beaucoup Merlin, avec lequel je pense, j'aurai dû faire un binôme, c'est-à-dire Père Blaise le christianisme et Merlin le paganisme, ça aurait fait quelque chose de franchement balèze. Malheureusement Astier est passé à côté de ça je trouve ça dommage. » 195

Dans les faits, le Père Blaise ne supporte pas qu'on chante un intervalle païen tandis que Merlin refuse de jurer au nom du Dieu unique, ce qui se répercute sur les identités de chacun :

Merlin : Avec vos conneries de religion y a plus un pécore sur la carte qui respecte la prière de la nouvelle lune, alors j'ai l'air de quoi moi après?

Arthur : Non mais c'est sûr...

Merlin : Ça fait j'sais pas combien de siècles qu'on leur explique. S'ils prient pas, ils

vont se ramasser une pluie de pierres sur la gueule et là d'un coup on leur dit que c'est ringard, vous croyez pas que vous cassez la barraque ? 196

Selon la pensée celte, la magie est un domaine inséparable de la religion proprement dite. Bien que les textes médiévaux insistent sur le rôle d'antéchrist de Merlin et donc sur son ancrage chrétien, de même que sa figure paternelle de démon (Merlin est le fils d'une pucelle et d'un démon), la série efface au maximum cette représentation et ses significations chrétiennes afin de privilégier l'association de l'enchanteur à une croyance entièrement celte, pour insister sur la dichotomie entre ancienne et nouvelle religion.

Ainsi, le traitement de la religion dans la série illustre la transformation historique, qui s'est opérée au fil des siècles, d'une religion à l'autre. Merlin s'avère être un enchanteur raté et de plus en plus dépassé, de même que la religion païenne qui l'incarne tombe en désuétude :

« Père Blaise : Ah un mariage druidique ? A la pleine lune, avec les chouettes crevées et les barbus qui tapent sur des bouts d'bois ?!

Merlin (vexé) : Ah le clicheton !! Les mariages druidiques c'est des vraies fêtes

andouille, vos mariages chrétiens c'est tout sérieux, on dirait des réunions d'constipés

! »197

195 Voir annexe numéro 1.

196 Le monde d'Arthur, Livre II, épisode 15.

197 Lacrimosa, Livre VI, épisode 8.

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Celle-ci est donc remplacée par une religion chrétienne qui est montrée par Astier comme assez conceptuelle, comme une idée à laquelle on adhéra par habitude et non par la conviction d'une révélation, pour ne pas trop bousculer un peuple qui s'y perd :

Evèque : Ah je... j'voulais vous demander, et c'est un petit peu l'objet de ma visite ici, que pense le peuple breton du concept du Dieu unique, ça les inquiète ça ou... Arthur : Le Dieu unique je sais pas, mais moi qui couche avec un évêque ça peut les inquiéter oui.

Evèque : Nan parce que bon, la chrétienté tout ça, c'est bon, c'est assez jeune, faut que l'idée fasse son chemin... Mais je m'demandais justement si on pouvait pas faire dans

un premier temps cohabiter l'idée du Dieu unique avec l'idée de vos Dieux anciens à vous.198

Ici, bien loin de la réalité conflictuelle du Moyen Age entre les religions et en opposition avec ce que la série Vikings par exemple, retrace, elle, plus justement, Astier choisit de brosser le portrait d'un royaume tolérant et hétérogène ou les croyances polythéistes et monothéistes peuvent coexister. Lors du colloque de mars 2017 organisé à l'Université Paris-Sorbonne, Justine Breton affirme :

« Kaamelott, où le message religieux est loin d'être essentiel, peut-être même est-il inexistant, reflète ainsi la sécularisation actuelle de nos sociétés occidentales, quitte à rendre les fondements religieux culturellement illisibles : après des siècles de coexistence et de réinvestissement symbolique, de nombreux signes païens et chrétiens sont aujourd'hui délaissés ou se mêlent indistinctement dans les pratiques

ritualisées »199

Ainsi, contrairement à la représentation de la justice, qui nous l'avons vue, était relativement proche de l'historicité médiévale, la cohabitation religieuse que l'on voit à l'écran est plutôt à envisager sous l'angle d'un message d'universalité passé aux sociétés contemporaines, dans lesquelles la religion s'essouffle.

Enfin, attardons-nous un peu sur les loisirs médiévaux que constituent les jeux, très présents dans l'oeuvre d'Astier puisque l'on ne compte pas moins d'une vingtaine d'épisodes y étant consacrés, présentant une grande diversité de matériel : artichauts, poutrelles, bouts de bois, cailloux, balles, mais aussi jeux de verbes, de blagues, spectacles de marionnettes, etc... Depuis

198 Compagnons de chambrée, Livre I, épisode 33.

199 « Merlin, druide désenchanté », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire. p.117 à 127. p. 148

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les années 1990, de nombreuses recherches ont été réalisées sur les jeux du Moyen Age, sur leurs aspects techniques (règles, matériaux) plus que sur leur pratique, leur symbolique et sur ce qu'ils nous disent des sociétés anciennes, le plus souvent faute d'archives suffisantes.

Dans Kaamelott, au-delà du ressort comique fondé sur l'incompréhension systématique des règles pour les personnages comme pour le public, ils permettent de mettre en image des dynamiques culturelles plus historiques que l'on ne pourrait le penser :

Perceval : Si on se faisait une grelottine ?

Le Tavernier : Une quoi ?

Perceval : Une grelottine, c'est un jeu du Pays de Galles.

Karadoc : Je connais pas.

Perceval : C'est facile. On peut jouer soit avec des haricots, soit avec des lentilles. Le premier qui annonce la mise, il dit mettons : «lance de seize» ou «lance de trente-deux» ou une quadruplée comme on appelle, c'est une «lance de soixante-quatre». Parce qu'on annonce toujours de seize en seize, sauf pour les demi-coups. Là, celui qui est à sa gauche, soit il monte au moins de quatre, soit il passe il dit : «passe-grelot», soit il parie qu'il va monter de six ou de sept et il peut tenter une grelottine. À ce compte-là, il joue pas, il attend le tour d'après, et si le total des mises des deux autres suffit pas à combler l'écart, il gagne sa grelottine et on recommence le tour avec des mises de dix-sept en dix-sept. (...) Donc mettons le suivant, il annonce une quadruplée, donc là elle vaut soixante-huit, il peut contrer ou il se lève et il tape sur ses haricots en criant «grelotte, ça picote !» et il tente la relance jusqu'au tour d'après. »200

D'une part, les jeux pratiqués à Kaamelott font référence à un Moyen Âge stéréotypé, par un vocabulaire spécifique adopté, qui donne au jeu un caractère ancien : cul de chouette, tichette, grelottine, sgadabarlane, raitournelle, rebobrol, etc... Pourtant, des anachronismes s'y cachent, comme lorsque Perceval joue avec des cartes, qui n'apparaissent en Europe qu'au XIVe siècle201.

D'autre part, les divertissements permettent de donner de l'historicité à la série, à l'instar de l'interdiction par Arthur des combats de chiens, une donnée cohérente avec les tentatives de

200 Perceval relance de quinze, Livre I, épisode 57.

201 Lhote, J-M. (1994). Histoire des jeux de société. Paris, Flammarion.

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contrôle et de régularisation des dérives dues aux jeux d'argent, dès le Moyen Age202. Enfin, l'article collectif des chercheurs Vincent Berry, Manuel Boutet, Samuel Coavoux et Hovig Ter Minassian nous apprend que les jeux connaissent une répartition géographique variable et donc les règles étaient soumises à certaines variantes d'une région à une autre. Cette géographie culturelle souvent ignorée a cependant été mise en évidence dans le cas de la France pour les jeux traditionnels comme pour les jeux de boules et de quilles. 203

Ainsi, la série profite de cette donnée pour montrer que la récente unification politique des régions constituant le royaume de Logres ne s'accompagne pas toujours d'une unification culturelle : Perceval joue à des jeux du pays de Galles dont personne ne connait l'existence, ou bien certains y jouent avec « les règles à l'Aquitaine » ou « les règles à la Bretonne » :

Perceval : Mais c'est quoi que vous faites-là ?

Le Tavernier : Ah mais je suis bête, vous devez jouer avec les règles à l'Aquitaine,

vous !

[...]

Karadoc : C'est pas votre intérêt ! Vous êtes en-dessous de plus de trente, autant tirer

les dés à la normale !

Le Tavernier : Ah mais l'influencez pas !

Karadoc : S'il vous plaît ! Vous savez bien qu'avec les règles à l'Aquitaine, on joue

pas au score ; il a pas l'habitude.204

De même, le roi Burgonde joue au jeu de la guerre avec Arthur, qui feint d'en connaitre les règles. Il s'agit donc de considérations culturelles quant au Moyen Age, mais aussi sociales, dans la mesure où le jeu du caillou, par exemple, suppose un postulat d'égalité temporaire entre les joueurs, opposant ainsi la noblesse, le clergé et le bas peuple.

La série dépeint finalement autant la société médiévale que la société contemporaine, à l'exemple du bonneteau, déjà pratiqué au Moyen Âge mais représenté par Astier à la taverne, lieu qui met en scène les sociabilités populaires, sûrement inspiré du bistrot actuel.

202 Mehl, J-M. (2010). Des jeux et des hommes dans la société médiévale. Paris, Champion.

203 Pierre Brice Stahl, « Les jeux du Moyen Age revisités », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire.

204 Perceval relance de quinze, Livre I, épisode 57.

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Ainsi, nous remarquons qu'une série comme Kaamelott peut être à la fois qualifiée de série historique, dans la mesure où elle se déroule dans un certain cadre temporel et qu'elle donne à voir certaines caractéristiques ou faits historiques bien réels, mais aussi de série de fantasy, qui déforme ou réinterprète certaines réalités au service de la narration ; « ces séries que l'on peut appeler historique se réfèrent de manière claire au Moyen Âge des médiévistes, mais prennent souvent de grandes libertés avec l'histoire, par parti pris, ignorance ou manque de crédits » nous disent Alban Gautier et Laurent Vissère. C'est cette ambivalence entre historicité et relecture fictionnelle des codes médiévaux que la dernière partie notre étude tentera d'analyser, à travers deux thématiques : les représentations stéréotypées du viking et du régime alimentaire médiéval.

C. Du médiéval au médiévalisme, étude d'éléments entre histoire et imaginaire

En effet, de nombreux éléments sont stéréotypés afin de coller avec un imaginaire du médiéval : le médiévalisme, que nous avons déjà en partie développé au début de notre réflexion. Ainsi, pour clôturer ce développement, nous nous intéresserons à quelques thématiques qu'Astier emprunte à l'histoire et transfère dans le champ du médiévalisme. Le but de cette analyse étant de montrer dans quelle mesure ces images stéréotypées vont former une sorte de culture parallèle du spectateur, qui se différentie des connaissances historiques mais qui n'est pas pour autant inférieure, et qui doit être prise en compte dans la dimension pédagogique des séries. Le premier exemple, très révélateur est celui du casque à cornes viking. Comme bien d'autres séries, Astier fait usage des codes contemporains de la représentation du Viking, à savoir des guerriers farouches portant des casques à cornes205, comme l'illustre cette fameuse blague de Merlin :

« Bon ben alors, c'est un viking, il rencontre un ami gaulois dans un port et le gaulois il lui fait, "Dis-donc toi, avec ton casque à cornes ! Présente-moi ta femme, tu sauras pourquoi t'as des cornes !" »206

D'où vient donc cette caractéristique fantasmée du casque à cornes Viking, qui alimente aujourd'hui l'imaginaire médiéval, mais qui n'est pourtant mentionné dans aucune source de

205 Voir annexe numéro 34.

206 Le rassemblement du corbeau, Livre II, épisode 7.

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l'époque ?207 Un seul casque de la période viking a été découvert par les fouilles archéologiques, un casque conique, mais dépourvu de cornes, explique Pierre Brice Stahl. C'est Diodore de Sicile, dans sa Bibliothèque historique, qui présente les Gaulois de la manière suivante :

« Les casques de bronze ont de grosses saillies sur leur pourtour, donnent l'illusion de l'énormité à leur possesseur. De plus, des cornes naturelles sont fixées aux uns, des faces d'oiseaux ou de quadrupèdes en relief à d'autres »208

Lorsque ces propos sont étudiés au XVIIe siècle, les germains et les celtes étaient considérés comme étant un même peuple, et la confusion nait. Cependant, les Vikings aux casques à cornes sont relativement rares dans l'imagerie avant la fin du XIXe siècle, et s'y multiplient ensuite.209 Ainsi, selon Pierre Brice Stahl210 :

« Le viking au casque à cornes s'est détaché de la réalité historique. Il a pris une autonomie, une indépendance et est devenu un des codes iconographiques employés, entre autres, par les films d'animation et les jeux vidéo. Il ne s'agit ainsi plus uniquement d'une idée reçue. L'utilisation de cette coiffure peut relever d'un véritable choix esthétique. Directement reconnaissable, elle peut être utilisée pour répondre à l'attente d'un public. Ainsi, si le viking peut contribuer aux ressorts comiques dans Kaamelott, c'est avant tout parce qu'il est identifiable. »

Ainsi, ce n'est pas le viking historique qui est représenté à l'écran, mais une image médiévaliste qui s'est construite aux XIX et XXe siècles. Celle-ci n'a pas besoin d'être mise en lien avec la réalité des VIII-XI siècles pour que le spectateur puisse la décoder et la comprendre et c'est en cela que le créateur s'affranchit de la réalité historique. Autre exemple jouant sur la distorsion de la réalité historique : la nourriture médiévale.

En effet, les oeuvres de fanatsy associent beaucoup les temps féodaux à l'abondance de nourriture, notamment les régimes carnivores, une représentation que l'on pourrait appeler le « médiévalisme alimentaire », selon l'expression de William Blanc. En effet, dans la quasi-totalité des oeuvres médiévalisantes, la viande est partout, des banquets du film Les Vikings, de Richard Fleischer en 1958, à ceux de Game of Thrones, de 2011 à 2019 : on y mange gras et

208 Diodore de Sicile, Texte établi et traduit par Michel Casevitz (2015). Bibliothèque historique, tome V, Paris, Les Belles Lettres. pp 40-41

209 Frank, R. (2000). The invention of the Viking horned helmet. International Scandinavian and medieval studies p.208.

210 Pierre Brice Stahl, « les jeux du Moyen Age revisités », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire.

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l'on boit de l'alcool en quantité. Dans le film culte Les Visiteurs, en 1993, Jacquouille la Fripouille mange très salement et son maitre Godefroy de Montmirail, seigneur du XIIe siècle, réclame une extravagante quantité de viande :

« Où sont les veaux, les rôtis, les saucisses ? Où sont les fèves, les pâtés de cerf ? Qu'on ripaille à plein ventre pour oublier cette injustice ! Il n'y a pas quelques soissons avec de la bonne soivre, un porcelet, une chèvre rôtie, quelques cygnes blancs bien poivrés ? Ces amuse-bouche m'ont mis en appétit ! »

Cette représentation provient historiquement de la fin de l'empire romain, où les auteurs ont décrit leurs souverains comme adeptes de la sobriété végétarienne, symbole de civilité, par opposition aux chefs germaniques, dont la goinfrerie était symbole de barbarie.211 Cette association entre consommation de viande et puissance guerrière est restée dans l'imaginaire commun au fil des siècles jusqu'à aujourd'hui. C'est donc dans cette veine qu'Alexandre Astier présente les chefs des clans barbares :

Arthur : Vénec, qu'est ce que vous aviez prévu ? Autre chose que des fruits de saison, non ?

Vénec : Ah affirmatif ! De la viande, de la viande et de la viande. Cuite dans sa graisse.

Léodagan : Ah ! Voilà !

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