A. Ancrer une légende intemporelle dans un
contexte historique : le choix du Ve siècle
Tout d'abord, un des aspects particuliers de
Kaamelott, contrairement à la plupart des créations
autour du mythe arthurien, est sa volonté de réellement replacer
la légende dans l'histoire. Dès le XIIe siècle, il y a
fort à parier que les premiers à travailler autour de la
légende avaient davantage pour objectif d'élaborer une mythologie
et non de décrire la réalité telle qu'ils la vivaient.
C'est pourquoi, lorsque l'on parle d'histoire
médiévale à la période du roi Arthur et des
chevaliers de la table ronde, on ignore souvent qu'il s'agit de figures du Ve
siècle et non du XIIe voire XIVe siècle, tant cet imaginaire est
désormais associé à une imagerie plus récente :
celle de la plupart des chroniqueurs, comme Chrétien de Troyes, et non
des chroniqués. C'est pourquoi on y associe les châteaux de
pierres, les armures métalliques, les tournois, etc... A cet imaginaire
anachronique, l'oeuvre d'Astier participe largement, et il est souvent
reproché aux séries de fantasy médiévale
de déformer la réalité historique, en donnant à
voir aux spectateurs des clichés très éloignés de
la réalité. Paradoxalement, malgré ces anachronismes,
Kaamelott est une série est plutôt proche et
fidèle à l'histoire médiévale, et nous allons voir
dans quelle mesure.
En effet, Kaamelott est une série
historiquement riche, parce qu'elle prend la liberté de brasser les
civilisations et les imaginaires, de superposer différents lieux
à différentes époques : l'époque du récit,
celle des réécritures médiévales, celle des
reprises plus modernes du mythe. Autrement dit, pour ne se priver de rien en
termes de richesse créative, Astier a choisi d'accumuler les
réalités plutôt que se restreindre à une seule
vérité historique par souci de vraisemblance. Ainsi, la
série juxtapose des univers historiquement inconciliables, notamment
l'Antiquité des Ier av et IIe siècles ap JC et le Moyen Age des
XIV et XVe siècles. L'anachronisme est particulièrement visible
au niveau de l'habit militaire170 et de certains décors :
170 Cosme, P. (2007). L'armée romaine. VIIIe
siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C. Paris. Les sons du pouvoir
des autres.
112
« Les romains portent un armement haut-empire tandis que les
bretons arborent l'armure de plates qui se diffuse au moment de la guerre de
Cent Ans. [...] Dans la tente de Macrinus, au coeur du camp romain, figure par
exemple une sculpture très connue : le buste capitolin de l'empereur
Caracalla, qui a régné de 211 à 217 [...]. Il renvoie plus
précisément à cette période bien antérieure
à Kaamelott, mieux connue du grand public : celle d'un
âge d'or qu'on fait habituellement courir du Ier siècle avant JC
au IIe après JC et à laquelle renvoient pratiquement tous les
éléments matériels de la série.
»171
De plus, Astier a choisi d'inscrire son intrigue au Ve
siècle après J-C, une période stratégique pour la
création, car très peu représentée à
l'écran. Cela lui permet donc d'inscrire son oeuvre là où
tout est encore possible, sans crainte de tomber dans la comparaison avec une
autre production, ou de rompre avec un quelconque horizon d'attente du
téléspectateur. D'autre part, cette période est aussi une
sorte de flou historique entre l'Antiquité et le Moyen Age, sur lequel
les médiévistes eux-mêmes ne s'aventurent que prudemment
pour ne pas empiéter sur le terrain des antiquisants, et vice-versa :
[Sur cette période] « Des données textuelles
le plus souvent laconiques ; un certain éclairage induit par des
découvertes archéologiques anciennes, dépourvues de tout
environnement scientifique, un recours désormais systématique
à la fouille, qui remet en question les idées reçues, mais
pose finalement plus de problèmes qu'elle n'en résout vraiment
»172
Et si cette période est lacunaire pour les
spécialistes, elle l'est d'autant plus, voire totalement
méconnue, pour les téléspectateurs du programme, qui ne
maitrisent pas nécessairement le matériau historique :
« De toutes les périodes de l'histoire
européenne, celle de Kaamelott est probablement l'une des plus
méconnues ; au collège et lycée les programmes scolaires
se concentrent sur quelques moments phares de l'Antiquité :
L'Égypte, la civilisation gréco-romaine, la chute de la
République et l'avènement de l'empire sont toujours les
repères forts dans les représentations collectives. Il suffit
d'avoir lu Astérix ou d'avoir regardé Rome pour
se faire une idée, certes approximative, mais vivante de ces
années. En revanche, la méconnaissance des Ve et VIe
siècles est totale. Rien d'étonnant à cela : la plupart
des ouvrages traitant de l'Antiquité s'attardent peu sur cette
période obscure de l'histoire, transition dont personne ne sait vraiment
si elle appartient à l'Antiquité tardive ou au Haut Moyen
Âge. »173
171 « L'Antiquité romaine au coeur du Moyen Age
breton », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott
», un livre d'histoire. Vendémiaire.
172 Lebecq, S. (2014). Origines franques-Ve-IXe siècle.
Nouvelle histoire de la France médiévale. Média
Diffusion.
173 Truffinet, N. (2014). Kaamelott ou La quête du savoir.
Vendémiaire. pp 64-65.
113
Et lorsque que rien ou presque n'est établi pour une
période, alors elle laisse libre champ au créateur qui s'en
empare, au même titre que pour la science-fiction. De fait, la
série convoque des temporalités mêlées les unes aux
autres, ça n'est donc pas seulement un voyage dans le temps mais un
voyage dans les temps, de la sombre Bretagne à la brillante Rome.
En effet, Astier insiste volontairement sur la
représentation, parfois un peu caricaturale, de deux mondes parfaitement
antagonistes : un monde romain nécessairement raffiné et un monde
breton encore barbare. Si Astier met en scène une politique gestionnaire
et défensive qui fonctionne mal, l'anarchie des manoeuvres militaires,
des paysans révoltés et un christianisme très fragile, la
réalité des faits n'en est pas si éloignée :
« Les difficultés s'amoncellent en ce début du
Ve siècle. L'empire qui a cessé d'être unitaire, sauf dans
l'esprit des lettrés nostalgiques du passé, n'a plus, du moins en
Occident, la cohésion profonde qui faisait jadis sa force, les moyens
matériels, financiers et humains de sa politique. L'appareil de
l'état atteint de gigantisme fonctionne mal, sous l'autorité
nominale de souverains jeunes, inexpérimentés et
éphémères. Les inégalités sociales
choquantes, la puissance des riches latifundiaires, les souffrances du menu
peuple surexploité, l'anarchie civile et militaire, la
démilitarisation des élites et des masses sont autant de graves
faiblesses face aux mondes barbares jeunes et dynamiques. L'Eglise primitive
est fragile dans son organisation, faite de communautés trop souvent
encore isolées dans ces pratiques liturgiques mal fixées et dans
ses connaissances dogmatiques très contrastées.
»174
C'est sur ce paradoxe des civilisations que joue Astier en les
confrontant, au prix de l'anachronisme. La Dame du Lac énumère
tout ce qui plait à Rome, tandis que d'autres personnages s'attardent
sur la qualité des mets que l'on y trouve. Dans l'imagerie, le Moyen
Âge breton se caractérise par des aliments gras et lourds, tandis
que la gastronomie romaine évoque la douceur, des goûts fins,
à l'exemple de la pâte d'amande. En voici quelques exemples
notamment :
La dame du lac : La lance là, ce n'est
pas ça que vous appelez la Regia par hasard ? Arthur
: Qui ça « vous » ?
La dame du lac : Vous, les Romains !
Arthur : Mais je suis pas Romain !
174 Leguay, J.-P. (2002). L'Europe des
états barbares: Ve-VIIIe siècles. Belin.
114
La dame du lac : Ho bah ça dépend
pour quoi hein, parce qu'il y a un tas de choses que vous
préférez chez les Romains plutôt que chez les Celtes !
Arthur : Tiens donc, et quoi par exemple ?
La dame du lac : La bouffe déjà,
le climat, la politique, la stratégie martiale, la mer, la montagne, et
puis même les femmes alors ....
Arthur : Oui bah voilà, c'est tout.
»175
Guethenoc : C'que vous voulez pas admettre Sire,
c'est qu'on s'retrouve devant une véritable crise paysanne.
Arthur : Ah non ! Non non non. Ne commencez pas
avec vos crises paysannes. On est là pour parler du vin, jusque
là il était bon.
Guethenoc : Evidemment il v'nait d'Rome.
Roparzh (se marre) : Oui au prix qu'vous
l'touchez il peut être bon.
Belt : Il me semble que c'est quand même
le minimum de s'intéresser aussi aux petites exploitations locales.
Arthur : Ah mais moi j'veux bien
m'intéresser à tout ce que vous voulez, mais le pinard est
immonde.
Roparzh : Mais il est pas immonde, Sire ! Faut
arrêter d'jouer les fines bouches hein !
Guethenoc : Y a des très bonnes choses !
Seulement faut y mettre un peu... un peu du sien aussi.
Belt : Vous avez pas pris l'temps d'vous
habituez aux fruits.
Guethenoc : On a pas l'même soleil
qu'à Rome nous. Ici l'raisin il vient un peu plus... un peu plus... un
peu plus acide. » 176
« Guenièvre (plaintive) : C'est moi
je suis à cran aujourd'hui... Arthur : C'est rien
ça, demain ça ira mieux.
Guenièvre : Ah sûrement pas !
Arthur : Demain ça ira pas mieux ?
175 Le culte secret, Livre III, épisode 84.
176 Spiritueux, Livre II,
épisode 33.
115
Guenièvre : Vous vous souvenez de cette
chose délicieuse que j'avais ramenée de mon voyage à Rome,
et qui s'appelle la pâte d'amande ?
Arthur : La pâte d'amande ? Ah oui c'est
bon ça.
Guenièvre : Excellent.
Arthur : Eh ben, quel rapport avec le fait
qu'vous êtes chiante ? Guenièvre (criant) : Le
rapport c'est qui y a plus de pâte d'amande ! E...]
Arthur : Dites-moi mon p'tit Bohort, le dernier
voyage à Rome, vous en faisiez bien partie ?
Bohort : Une excursion fan-ta-stique.
Arthur : Est-ce que vous avez goûté
des spécialités là-bas ?
Bohort : Oh ma foi oui, de très bonnes
choses d'ailleurs hein... Gourmand comme je suis Rome est une ville dangereuse
pour moi !
Arthur : Justement, gourmand comme vous
êtes, vous avez sûrement goûté la pâte d'amande
?
Bohort (perd son sourire) : Oui peut-être,
j'm'en souviens plus...
Arthur (suspicieux) : Vous en avez ramené
?
Bohort : Heu...
Arthur : Vous en avez ramené.
Bohort : Pitié Sire il m'en reste qu'un
tout petit morceau !
Arthur : Donnez-le moi.
Bohort : Non non non de grâce Sire tout
c'que vous voulez mais pas ça !
Arthur (le prend par le col) : Je vous mets un
pain. » 177
Au niveau des outils cinématographiques, cette opposition
existe aussi, entre le générique percutant des sons de cornes des
premiers livres et la musique qui se fait plus douce, la mélodie plus
fluide dans le générique du livre VI, consacré à la
jeunesse d'Arthur à Rome. Il est aussi
177 La pâte d'amande, Livre I,
épisode 90.
116
important de noter qu'à Rome, Arthur était
appelé Arturus, élément qui a son importance car il
conduit le téléspectateur à presque dissocier les deux
personnages, comme un avant et un après. Cela renforce ensuite
l'idée selon laquelle Arthur est le lien, le pont entre ces deux
civilisations, et donc le symbole du monde Romano Breton : « Pourquoi
est-ce que [les romains] acceptent de laisser un roi local
fédérer les clans bretons ? [...] parce que je suis de chez eux
»178
C'est donc une double identité qui pose
problème. Dans l'épisode La frange romaine, Caius coupe
à sa manière les cheveux du roi, ce qui déclenche sa
colère :
Arthur : Regardez-moi cette tête de con
que vous m'avez faite ! On dirait la vôtre !
Caïus : Ah non ! Moi c'est beaucoup plus
long ! Faut pas exagérer.
Perceval : Il me semble que ça fait plus
jeune !
Arthur : Ça fait plus jeune... Ca fait
romain, surtout !
Caïus : Ah ben oui, ben oui ! Ça,
ça fait romain, c'est sûr ! En même temps, c'est moi
qui coupe, y'a quand même peu de chance que ça fasse
perse !
Arthur : Ce qui m'emmerde le plus, c'est que
ça fait pas breton, surtout ! Regardez-
moi ça ! On dirait un décurion qui sort de la
caserne !
Perceval : Moi j'les ai eus pendant des
années les cheveux courts !
Arthur : Mais on s'en fout !
Caïus : Au bout d'un moment, en quoi
ça pose un problème que ça fasse romain !
Vous êtes fédéré par Rome ! Vous
pouvez quand même avoir une coupe romaine !
Perceval : En fait, dès que j'ai eu dix
ans, hop ! Cheveux courts !
Arthur : La ferme !
Caïus : Vous savez quoi en fait ? Vous avez
honte de vos origines !
Arthur : Mais j'ai pas des origines romaines !
Le problème c'est que dans le coin, les
cheveux longs c'est un peu synonyme de pouvoir ! Regardez-moi
ça, on dirait un petit
poussin ! » 179
Ici, Arthur insiste sur l'importance symbolique des cheveux
longs associée au pouvoir chez les bretons, faisant écho aux rois
chevelus Francs180. Nous retrouvons donc des
éléments
178 Le secret d'Arthur, Livre II, épisode 62.
179 La frange romaine, Livre II, épisode 98.
180 Hoyoux, J. (1948). Reges criniti Chevelures,
tonsures et scalps chez les Mérovingiens. Revue belge de philologie et
d'histoire, 26(3) pp 479-508.
117
historiques, dont il ne s'agit ici que d'un parmi tant
d'autres, disséminés tout à long de la série. Pour
ne faire qu'un bref résumé d'histoire croisée avec les
épisodes de Kaamelott : officiellement, les romains occupent la
Bretagne et ce que les bretons appellent le « royaume de Bretagne »
est considéré par l'occupant comme leur province de Britannia,
à laquelle ils ont placé à sa tête le jeune Arturus,
originaire de ladite province mais soldat romain. Or, depuis l'empereur
Auguste, Rome est gouvernée par des empereurs aux fortunes
inégales qui se succèdent à un rythme
effréné, dans une dynamique de coups d'états à
répétition. D'ailleurs, lorsque le message arrive à
Kaamelott que le dernier empereur a de nouveau été
assassiné :
« Arthur : Non, mais en ce moment ils sont
en plein boum, ils viennent de se faire
assassiner leur dernier empereur...
Léodagan agacé : Oh...
Encore ?
Arthur : Et oui, encore.
Bohort : Ils sont dans une dynamique de coups
d'états.
Léodagan : Oui enfin là, c'est
plus une dynamique, c'est un sport national ! »181
Léodagan : Quand même ça
vous fait pas drôle d'être dirigés par un merdeux d'dix
ans
?
Caius : Lui on lui donne pas deux mois avant
qu'il s'fasse égorger. C'est bien simple,
en c'moment à Rome y a deux push par an.
Arthur : Y en a qui disent que celui là
c'est l'dernier.
Léodagan : Ah oui puis que quand il s'ra
désingué, Rome on ira visiter pour les
ruines...
Caius : Bah au camp tout l'monde se fait les
valoches hein, on va tous rentrer chez
mémé.
Léodagan (surpris) : Sans blague
?
Caius : Ah ouais ouais.
Arthur : Vous déconnez ?
Caius : Ben nan puis c'est pas un mal hein, moi
ça fait 16 ans qu'j'ai pas vu mes
gosses.
Arthur : Vous allez vous faire chier sans nous
!
Caius : Les consignes, avant d'partir faut
foutre le feu partout.
Léodagan : Quoi ?
Caius : Tout cramer j'vous dis. Mais moi j'le
f'rai pas hein.
Arthur : Ah bon ?
Caius : Ben nan vous m'invitez à
becqueter alors...
Arthur (en même temps que
Léodagan) : Ah nan nan nan... vous occupez l'pays...
Léodagan : Ah oui nous on est
obligés, on se soumet à l'envahisseur...
181 La queue du scorpion, Livre I, épisode 22.
118
Caius : Ouais c'est gentil mais vous fatiguez
pas.182
C'est le jeune Romulus Augustule, qui accède ensuite au
trône, qu'Arthur pressent, à raison, être le tout dernier
des empereurs romains, puisque sa chute en 776, dix mois plus tard, marque la
fin de l'empire d'Occident et la division de ce dernier entre Orient et
Occident, définitive en 395. La série mentionne aussi cela, par
la présence du personnage de Narsès, général
byzantin envoyé par l'empereur Justinien. Kaamelott mentionne
aussi la multiplication des raids barbares : « On a subi seize tentatives
d'invasion l'année dernière »183. La
série cite de nombreux noms de peuples, sans trop de cohérence :
Huns, Vikings, Saxons, Vandales, Angles, Ostrogoths, Burgondes, Germains,
etc... Ces offensives apparaissent comme l'élément notable de
cette période, évoquant avec justesse les mouvements migratoires
connus entre le IVe et le VIe siècle. Les peuples barbares signent des
traités avec Rome, qui leur permet de s'établir sur certains
territoires, en repoussant les ennemis communs. Dans les faits, Rome perd de sa
puissance et se trouve incapable d'assumer la gestion de ses provinces
lointaines. Sa faiblesse s'accroit jusqu'à son effondrement en 476.
Kaamelott illustre cela au livre III, montrant le
démantèlement des camps romains. Si les seules traces restantes
de la présence militaire romaine sont représentées par le
personnage de Caius, volontaire au sein de l'unique garnison romaine
restée sur place, sa désertion, à laquelle il se sent
contraint, montre la fin de la puissance romaine :
ARTHUR (comprenant) :
Mais... mais il y a plus un rat en fait...
CAIUS : Comment ?
ARTHUR : Le camp est complètement
désert, ils sont définitivement partis. C'est
pour ça qu'on est rentré dans le camp si
facilement. Il reste plus que vous.
CAIUS : Non mais, si ça se trouve ils
vont revenir, hein, ils me l'ont peut-être pas dit
mais ils sont en manoeuvre dans le coin.
ARTHUR : Oui, bien sûr, il en restait que
quatre ou cinq, seulement ils sont tous en
manoeuvre ! Ne me prenez pas trop pour ...
(...)
ARTHUR : Vous vous faites quand même pas
chier hein ?
CAIUS : Ben quoi, je fais rien de mal.
182 Le dernier empereur, Livre I, épisode 56.
183 La révolte, Livre II, épisode 23.
119
ARTHUR : Ah non, ben je pense bien. Au lieu de
vous occuper de votre domaine vous venez ici jouer les centurions dans un camp
vide.184
Ainsi, notre chapitre précédent posait la
question de la télévision comme outil pédagogique, ce que
confirme en partie Kaamelott. Bien que de manière anachronique
et bien loin des livres d'histoire classiques, cette série explique de
manière ludique des faits historiques, mais aussi bien des aspects du
pouvoir, de la religion, des moeurs telles qu'elles étaient à
l'époque médiévale.
B. Une relecture de Kaamelott par les historiens
: justice, religion et loisirs médiévaux
En effet, Kaamelott peut bel et bien être
analysée en termes d'historicité. C'est pourquoi la série
a été l'objet d'études menées par des historiens
médiévistes ces dernières années, en
témoigne le colloque organisé par Florian Besson, doctorant en
histoire médiévale à l'Université Paris-Sorbonne et
Justine Breton, docteure en littérature médiévale de
l'Université de Picardie-Jules-Verne, en mars 2017. Cela
révèle qu'au-delà d'un programme de divertissement,
certaines séries de mediaval fantasy constituent une forme
d'apprentissage pour le téléspectateur. Cette partie de notre
étude s'attachera à montrer, à travers le choix de trois
thématiques que sont la justice, la religion et les loisirs
médiévaux, la manière dont se place la série par
rapport à la réalité historique.
Tout d'abord, la thématique de la justice est
particulièrement riche et élaborée dans Kaamelott
: Parmi tout l'éventail de la criminalité et des
délits au Royaume Logres, nous pouvons relever des actes allant du
simple vol commis par la maîtresse du roi, Azénor, aux multiples
meurtres perpétrés par son garde du corps Grüdü, mais
aussi les actes de contrebande de vin du Tavernier, ou encore les propos
accusatoires contre l'autorité royale revendiqués par Yvain et
Gauvain. On note aussi la négligence de Bohort pendant ses heures de
garde et la pratique de jeux d'argent tels que les combats d'animaux
organisés par Venec. Enfin, plus graves, des trahisons illustrées
par les complots de Léodagan, du roi Loth ou encore de Lancelot à
l'encontre de son roi. A une
184 Le camp romain, Livre VI,
épisode 76.
120
autre échelle, citons également les conflits
entre paysans, qui évoquent l'image habituelle des guerres
privées de l'époque médiévale.
Ces divers délits relèvent de la justice
médiévale, qui aujourd'hui est assez méconnue du public.
Du moins, elle est très souvent l'objet d'un certain nombre de
stéréotypes, selon lesquels la violence a une place
prépondérante, associée à la pratique de la torture
et au recours presque systématique à la peine de mort. C'est une
vision surtout véhiculée par les médias audiovisuels
(télévision, cinéma, jeux vidéo) et les arts. Nous
allons voir que rendre la justice à l'époque
médiévale est, comme le montre la série, bien plus
complexe.
Il est intéressant de se questionner au sujet de qui
exerce la justice dans Kaamelott. La réponse qui s'impose de
prime abord est évidemment le roi Arthur, qui lui seul détient
l'ira regis, (colère royale), une « émotion
codifiée qui permet au roi et au roi uniquement de s'énerver et
d'imposer sa volonté en outrepassant ses propres règles ou lois
»185. Il s'agissait d'un instrument de la
souveraineté médiévale. Mais on remarque aussi que le roi
délègue parfois à Léodagan, roi de la
Carmélide, ou demande conseil à Lancelot. Arthur admet
lui-même qu'il ne sait pas réellement ce qui se passe dans la
lointaine Aquitaine, impliquant que la justice royale soit
déléguée par le souverain aux principaux rois
fédérés de l'ensemble du royaume, qui conservent ainsi une
forme d'autonomie judiciaire sur leur territoire respectif :
« Un nouveau territoire je ne vois pas ce que j'en foutrais,
le Royaume de Logres s'étend déjà jusqu'à
là-bas, en Aquitaine et ils sont tellement loin que j'arrive jamais
à savoir ce qu'ils foutent »186
A l'époque médiévale, la justice est un
pouvoir régalien qui est effectivement délégué de
manière plus locale, par souci d'efficacité. Mais dans la
série, contrairement à ce qui était pratiqué
à l'époque médiévale, il n'est jamais question
d'officiers de l'ordre, tels que les « baillis » ou les «
missi dominici », qui agissent localement au nom du roi ou des
princes187. Ce qui est aussi étonnant est
que la justice du Royaume de Logres ne semble pas soumise ni à
l'influence de l'Eglise ni à celle du droit Romain et il faut, en effet,
attendre le livre V pour y voir un jurisconsulte, de manière bien vague
puisque sa spécialité n'est jamais précisée.
185 « La justice au Royaume de Logres
», dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un
livre d'histoire. Vendémiaire. p.117 à 127
186 La foi bretonne, Livre IV,
épisode 19.
187 Il s'agissait d'inspecteurs royaux
chargés de faire respecter le pouvoir royal auprès de
l'administration et des autorités locales sous les Mérovingiens
et les Carolingiens.
121
Il existe, au Moyen Age, deux systèmes judiciaires :
une justice laïque et une justice ecclésiastique très peu
évoquée dans la série, si ce n'est pas le personnage du
répurgateur incarné par Elie Semoun, stéréotype
courant de l'inquisiteur du XIIIe siècle, obsédé par la
torture des hérétiques et les buchers. Ainsi, c'est à
Arthur que revient le pouvoir de juger des cas qui, en réalité,
auraient relevé des tribunaux ecclésiastiques, notamment ceux se
rapportant par exemple à la magie188.
Globalement, le roi incarne, avec tout de même beaucoup de justesse, le
seul arbitre et juge des conflits, à l'image des souverains
médiévaux.
Concernant les lois de Kaamelott, elles se
réfèrent largement à des règles dites
coutumières, plutôt orales, bien que l'écrit fasse
normalement foi chez les élites, ce que l'on retrouve dans la
série :
Jurisconsulte: Pardon, mais alors là
vous m'obligez à considérer la situation du point de vue du
législateur. Il se trouve que ce matin, je suis tombé sur la loi
qui stipule les modalités d'accueil des invités du
château.
Séli: Si vous parlez du protocole, je
vous rappelle que vous n'êtes ni roi ni prince. Jurisconsulte:
Alors selon vos lois, le traitement protocolaire est également
réservé aux magistrats. (se désigne)
Séli: Bon si je comprends bien vous
voulez jouer au con.
Jurisconsulte: J'applique à la lettre
les décrets qui sont consignés dans vos propres archives.
Quant aux conflits entre paysans, ils relèvent toujours
de l'arbitraire du souverain, c'est pourquoi Ropartz évoque un «
arrangement à l'amiable » qui rappelle les modes infra-judiciaires
de règlement des conflits à la fin du Moyen Âge, pour
restaurer la paix entre les parties189.
Au cours du processus judiciaire, la place de la torture dans
la série est ambiguë, à la fois réaliste et
irréaliste. En effet, le roi exprime son désaccord quant à
son usage, sans se justifier, mais l'hypothèse qui serait la plus fiable
à l'histoire serait une influence du droit romain (Arthur ayant
été élevé à Rome), d'après lequel
seuls les non-libres peuvent être soumis à la torture. Or, la
Bretagne n'est censée compter que peu voire plus aucun esclave depuis
les dernières lois
188 Mercier, F. (2006). La Vauderie d'Arras: Une
chasse aux sorcières à l'automne du moyen âge. PU
Rennes.
189 Gonthier, N. (1996). Faire la paix: Un
devoir ou un délit ? Quelques réflexions sur les actions de
pacification à la fin du Moyen Âge. EUD. p.37-54
122
promulguées par Arthur. Mais cela reste en partie
irréaliste puisque la torture était appliquée à
cette époque dans tout l'Occident chrétien, même durant le
haut Moyen Âge, y compris au sein de
l'Eglise190.
Enfin, penchons-nous sur le réalisme des condamnations
analysées par l'historien Rudi Beaulant.191
Excepté quelques mentions d'écartèlement, la plupart des
exécutions évoquées sont des pendaisons, notamment pour
les cas de trahison. La décapitation n'est en revanche jamais
mentionnée en tant que condamnation, alors que les travaux sur la
justice médiévale montrent qu'il s'agit de la sentence
normalement réservée aux cas de trahison.
Quant aux sévices corporels, Léodagan mentionne
aussi l'éventualité de faire couper la main d'Azénor suite
à son vol, alors qu'en Carmélide, on commence à crever des
yeux pour éviter la peine de mort systématique :
Arthur : Vous étiez pas censé
donner la justice vous aujourd'hui ?
Léodagan : Si.
Arthur : Ah ben qu'est-ce que vous foutez
là ?
Léodagan : C'est fini.
Arthur : A une heure de l'après-midi
c'est fini ? Ben je vois que vous avez encore fait
dans de la dentelle !
Léodagan : J'ai fait ce qu'il y avait
à faire, c'est tout.
Arthur : Attention, si vous avez encore fait
pendre tout le monde, je vais me foutre en
rogne !
Léodagan : J'ai pendu personne.
Arthur : Tiens donc ! Par quel prodige ?
Léodagan : Le prodige que c'est vous qui
me l'avez demandé, déjà. Puis c'est comme
ça. Aujourd'hui y a pas matière.
Arthur : Bah vous jugiez pas l'autre, là
?
Léodagan : Quel autre ?
Arthur : L'autre, que vous avez chopé en
train de piquer des porcs sur le marché.
Léodagan : Si.
Arthur : Et vous l'avez pas pendu
celui-là ?
Léodagan : Non. Deux semaines de
cachot.
Arthur : Ah bon ? Bah du coup c'est pas
tellement.
Léodagan : Il les a rendu les porcs.
Arthur : Mais non mais me prenez pas pour un
con, enfin ! D'habitude vous allumez
190 Schmoeckel. M (2002) « La survivance de
la torture après la chute de l'Empire romain jusqu'à l'aube du
Ius Commune ». B. Durand, La torture judiciaire. Approche historique et
juridique. Lille. Centre d'histoire judiciaire. pp 315-329
191 « La justice au Royaume de Logres
», dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un
livre d'histoire. Vendémiaire. p.117 à 127.
123
quand même plus que ça.
Léodagan : Peut-être que j'en ai
marre aussi.
Arthur : De ?
Léodagan : Figurez-vous que les
séances de justice, non content de me les farcir chez
vous, je me les farcis aussi chez moi. Sauf qu'en
Carmélide, c'est mon père qui préside.
Je peux vous dire que c'est pas les mêmes tarifs.
Arthur : Oh non mais ça je m'en doute.
Léodagan : Pas plus tard que l'autre
jour, 12 condamnés en un après-midi. Ça vous dit
quelque chose ?
Arthur : 12 pendus ?
Léodagan : Non. On leur crève les
yeux depuis quelques années parce que... non, ça
se dépeuplait trop.
Arthur : Non mais c'est pas vrai !
Léodagan : 12 condamnés avec
exécution immédiate de la peine. Alors avec 2 yeux
de moyenne par titre... Faites le calcul ! »192
Enfin le bannissement de Lancelot est très
réaliste, puisque c'était une peine très
fréquemment appliquée aux révoltés
médiévaux. Cependant, l'ordalie, à savoir l'appel au
jugement de Dieu, très pratiquée durant le Moyen Âge
central, n'est jamais mentionnée par Astier193. De
plus, le fait qu'Arthur fasse preuve de clémence envers le traître
Lancelot, comme le faisaient fréquemment les princes et rois
médiévaux, paraît
réaliste194.
Astier propose ainsi une image très manichéenne
et stéréotypée de la gestion de la justice : d'une part,
un roi souple, contre la torture et la peine de mort, à savoir une
vision moderne et adaptée aux sensibilités contemporaines du
téléspectateur, qui lui permet de s'identifier. Et au contraire,
un roi de Carmélide, dit « le sanguinaire », qui incarne
l'exact opposé, stéréotype médiéval de
l'homme avide d'une violence souvent disproportionnée au contexte ou
à la faute commise. Après avoir assez longuement évoquer
la justice, voyons ce qu'il en est du traitement de la religion et des loisirs
médiévaux dans la série.
La thématique de la religion dans Kaamelott a
été traitée de manière à montrer la
confusion réelle entre les croyances aux débuts du christianisme,
dans un royaume ou s'entremêlent diverses traditions et croyances,
notamment polythéistes :
192 Le Magnanime, Livre III, épisode 2.
193 Lemesle, B. (2016). La main sous le fer rouge. Le
jugement de Dieu au Moyen Age. Editions universitaires de Dijon
194 Toureille, V. (2013). Crime et Châtiment au
Moyen Age. Média Diffusion. pp. 253-527.
124
Arthur : Prier Mars .... Ah aaah prier Mars !
Peut-être oui et alors, qu'est-ce que ça peut faire ?
La dame du lac : Vous êtes en train de
prier un Dieu romain ! Vous vous foutez de ma gueule ou quoi ? Je vous signale
que vous êtes légèrement engagé dans une quête
au nom du Dieu unique !
Arthur : Parce que le Dieu unique, il est celte
peut-être ?
La dame du lac : Heu .. non, le Dieu unique, il
est ... ben, il est unique !
Arthur : Oui ben voilà, et vous vous
êtes quoi au juste ? Avec vos cheveux oranges et
votre peau blanche comme une merde de crémier vous
êtes pas celte des fois ? La dame du lac : Bah si ...
à la base si !
Arthur: A la base !! Nan mais qu'est-ce que
c'est, vous faites mi-temps chez les uns, mi-temps chez les autres ?
La dame du lac : Non non, c'est pas ça
!
Arthur : C'est pas ça ! La religion c'est
le bordel, admettez-le ! Alors laissez-moi prier ce que je veux tranquille !
ça m'empêche pas de la chercher votre saloperie de Graal !
Ainsi, Arthur reste attaché aux dieux du
panthéon romain, alors que les fées, du panthéon des dieux
celtes, semblent être ici au service de Dieu unique chrétien. La
dame du Lac, issue des croyances nordiques, invite le roi Arthur à
trouver le Graal, qui n'est autre que la coupe avec laquelle Joseph d'Arimathie
aurait recueilli le sang du Christ crucifié. Mais paradoxalement,
Excalibur, épée forgée par Merlin, selon la
légende, pour aider Arthur dans sa quête du Graal est proscrite
par le Répurgateur :
Arthur : Est-ce que vous connaissez Excalibur
?
Répurgateur : Oui bien-sûr,
l'épée légendaire ! Ça vous donne une prestance,
c'est
quand même autre chose que les javelots...
Arthur : Alors le seul truc à propos
d'Excalibur, c'est que c'est quand même une épée
magique [...] Vous aimez pas ça ?
Répurgateur : Ah non non la magie... non
non oh...
Arthur : Alors le truc c'est que j'utilise la
magie, si on veut aller jusqu'au bout du...
Répurgateur : Dans un sens, Sire, vous
utilisez la magie
Arthur : Et c'est interdit ?
Répurgateur : Ah oui c'est
extrêmement interdit !
Arthur : Mais je suis quand même roi,
alors qu'est-ce qu'il faut faire ?
Répurgateur, s'emporte et hurle
: Magie noire ! Cette personne utilise la magie
noire ! C'est un hérétique ! Au bucher et
brulé vif ! brûlons-le vif !
Tout au long de la série, ce conflit entre Dieu unique
et dieux païens est notamment incarné par les deux personnages
religieux de la série, le Père Blaise du côté du
christianisme et Merlin du
125
côté du paganisme, représentants de deux
traditions irréconciliables. A ce propos, Jean-Robert Lombard,
interprète du Père Blaise s'avère déçu que
ce jeu d'oppositions n'ait peut-être pas été suffisamment
exploité par Alexandre Astier, selon lui :
« J'aime beaucoup Merlin, avec lequel je pense, j'aurai
dû faire un binôme, c'est-à-dire Père Blaise le
christianisme et Merlin le paganisme, ça aurait fait quelque chose de
franchement balèze. Malheureusement Astier est passé à
côté de ça je trouve ça dommage. »
195
Dans les faits, le Père Blaise ne supporte pas qu'on
chante un intervalle païen tandis que Merlin refuse de jurer au nom du
Dieu unique, ce qui se répercute sur les identités de chacun :
Merlin : Avec vos conneries de religion y a
plus un pécore sur la carte qui respecte la prière de la nouvelle
lune, alors j'ai l'air de quoi moi après?
Arthur : Non mais c'est sûr...
Merlin : Ça fait j'sais pas combien de
siècles qu'on leur explique. S'ils prient pas, ils
vont se ramasser une pluie de pierres sur la gueule et
là d'un coup on leur dit que c'est ringard, vous croyez pas que vous
cassez la barraque ? 196
Selon la pensée celte, la magie est un domaine
inséparable de la religion proprement dite. Bien que les textes
médiévaux insistent sur le rôle d'antéchrist de
Merlin et donc sur son ancrage chrétien, de même que sa figure
paternelle de démon (Merlin est le fils d'une pucelle et d'un
démon), la série efface au maximum cette représentation et
ses significations chrétiennes afin de privilégier l'association
de l'enchanteur à une croyance entièrement celte, pour insister
sur la dichotomie entre ancienne et nouvelle religion.
Ainsi, le traitement de la religion dans la série
illustre la transformation historique, qui s'est opérée au fil
des siècles, d'une religion à l'autre. Merlin s'avère
être un enchanteur raté et de plus en plus dépassé,
de même que la religion païenne qui l'incarne tombe en
désuétude :
« Père Blaise : Ah un mariage
druidique ? A la pleine lune, avec les chouettes crevées et les barbus
qui tapent sur des bouts d'bois ?!
Merlin (vexé) : Ah le clicheton
!! Les mariages druidiques c'est des vraies fêtes
andouille, vos mariages chrétiens c'est tout
sérieux, on dirait des réunions d'constipés
! »197
195 Voir annexe numéro 1.
196 Le monde d'Arthur, Livre II,
épisode 15.
197 Lacrimosa, Livre VI, épisode 8.
126
Celle-ci est donc remplacée par une religion
chrétienne qui est montrée par Astier comme assez conceptuelle,
comme une idée à laquelle on adhéra par habitude et non
par la conviction d'une révélation, pour ne pas trop bousculer un
peuple qui s'y perd :
Evèque : Ah je... j'voulais vous
demander, et c'est un petit peu l'objet de ma visite ici, que pense le peuple
breton du concept du Dieu unique, ça les inquiète ça ou...
Arthur : Le Dieu unique je sais pas, mais moi qui couche avec
un évêque ça peut les inquiéter oui.
Evèque : Nan parce que bon, la
chrétienté tout ça, c'est bon, c'est assez jeune, faut que
l'idée fasse son chemin... Mais je m'demandais justement si on pouvait
pas faire dans
un premier temps cohabiter l'idée du Dieu unique avec
l'idée de vos Dieux anciens à
vous.198
Ici, bien loin de la réalité conflictuelle du
Moyen Age entre les religions et en opposition avec ce que la série
Vikings par exemple, retrace, elle, plus justement, Astier choisit de
brosser le portrait d'un royaume tolérant et
hétérogène ou les croyances polythéistes et
monothéistes peuvent coexister. Lors du colloque de mars 2017
organisé à l'Université Paris-Sorbonne, Justine Breton
affirme :
« Kaamelott, où le message religieux est
loin d'être essentiel, peut-être même est-il inexistant,
reflète ainsi la sécularisation actuelle de nos
sociétés occidentales, quitte à rendre les fondements
religieux culturellement illisibles : après des siècles de
coexistence et de réinvestissement symbolique, de nombreux signes
païens et chrétiens sont aujourd'hui délaissés ou se
mêlent indistinctement dans les pratiques
ritualisées »199
Ainsi, contrairement à la représentation de la
justice, qui nous l'avons vue, était relativement proche de
l'historicité médiévale, la cohabitation religieuse que
l'on voit à l'écran est plutôt à envisager sous
l'angle d'un message d'universalité passé aux
sociétés contemporaines, dans lesquelles la religion
s'essouffle.
Enfin, attardons-nous un peu sur les loisirs
médiévaux que constituent les jeux, très présents
dans l'oeuvre d'Astier puisque l'on ne compte pas moins d'une vingtaine
d'épisodes y étant consacrés, présentant une grande
diversité de matériel : artichauts, poutrelles, bouts de bois,
cailloux, balles, mais aussi jeux de verbes, de blagues, spectacles de
marionnettes, etc... Depuis
198 Compagnons de chambrée, Livre I,
épisode 33.
199 « Merlin, druide
désenchanté », dans Besson, F. & Breton, J. (2018).
« Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire. p.117
à 127. p. 148
127
les années 1990, de nombreuses recherches ont
été réalisées sur les jeux du Moyen Age, sur leurs
aspects techniques (règles, matériaux) plus que sur leur
pratique, leur symbolique et sur ce qu'ils nous disent des
sociétés anciennes, le plus souvent faute d'archives
suffisantes.
Dans Kaamelott, au-delà du ressort comique
fondé sur l'incompréhension systématique des règles
pour les personnages comme pour le public, ils permettent de mettre en image
des dynamiques culturelles plus historiques que l'on ne pourrait le penser :
Perceval : Si on se faisait une grelottine ?
Le Tavernier : Une quoi ?
Perceval : Une grelottine, c'est un jeu du Pays
de Galles.
Karadoc : Je connais pas.
Perceval : C'est facile. On peut jouer soit avec
des haricots, soit avec des lentilles. Le premier qui annonce la mise, il dit
mettons : «lance de seize» ou «lance de trente-deux» ou une
quadruplée comme on appelle, c'est une «lance de
soixante-quatre». Parce qu'on annonce toujours de seize en seize, sauf
pour les demi-coups. Là, celui qui est à sa gauche, soit il monte
au moins de quatre, soit il passe il dit : «passe-grelot», soit il
parie qu'il va monter de six ou de sept et il peut tenter une grelottine.
À ce compte-là, il joue pas, il attend le tour d'après, et
si le total des mises des deux autres suffit pas à combler
l'écart, il gagne sa grelottine et on recommence le tour avec des mises
de dix-sept en dix-sept. (...) Donc mettons le suivant, il annonce une
quadruplée, donc là elle vaut soixante-huit, il peut contrer ou
il se lève et il tape sur ses haricots en criant «grelotte,
ça picote !» et il tente la relance jusqu'au tour d'après.
»200
D'une part, les jeux pratiqués à Kaamelott font
référence à un Moyen Âge
stéréotypé, par un vocabulaire spécifique
adopté, qui donne au jeu un caractère ancien : cul de chouette,
tichette, grelottine, sgadabarlane, raitournelle, rebobrol, etc... Pourtant,
des anachronismes s'y cachent, comme lorsque Perceval joue avec des cartes, qui
n'apparaissent en Europe qu'au XIVe siècle201.
D'autre part, les divertissements permettent de donner de
l'historicité à la série, à l'instar de
l'interdiction par Arthur des combats de chiens, une donnée
cohérente avec les tentatives de
200 Perceval relance de quinze, Livre I, épisode
57.
201 Lhote, J-M. (1994). Histoire des jeux de
société. Paris, Flammarion.
128
contrôle et de régularisation des dérives
dues aux jeux d'argent, dès le Moyen Age202. Enfin,
l'article collectif des chercheurs Vincent Berry, Manuel Boutet, Samuel Coavoux
et Hovig Ter Minassian nous apprend que les jeux connaissent une
répartition géographique variable et donc les règles
étaient soumises à certaines variantes d'une région
à une autre. Cette géographie culturelle souvent ignorée a
cependant été mise en évidence dans le cas de la France
pour les jeux traditionnels comme pour les jeux de boules et de quilles.
203
Ainsi, la série profite de cette donnée pour
montrer que la récente unification politique des régions
constituant le royaume de Logres ne s'accompagne pas toujours d'une unification
culturelle : Perceval joue à des jeux du pays de Galles dont personne ne
connait l'existence, ou bien certains y jouent avec « les règles
à l'Aquitaine » ou « les règles à la Bretonne
» :
Perceval : Mais c'est quoi que vous
faites-là ?
Le Tavernier : Ah mais je suis bête, vous
devez jouer avec les règles à l'Aquitaine,
vous !
[...]
Karadoc : C'est pas votre intérêt !
Vous êtes en-dessous de plus de trente, autant tirer
les dés à la normale !
Le Tavernier : Ah mais l'influencez pas !
Karadoc : S'il vous plaît ! Vous savez
bien qu'avec les règles à l'Aquitaine, on joue
pas au score ; il a pas l'habitude.204
De même, le roi Burgonde joue au jeu de la guerre avec
Arthur, qui feint d'en connaitre les règles. Il s'agit donc de
considérations culturelles quant au Moyen Age, mais aussi sociales, dans
la mesure où le jeu du caillou, par exemple, suppose un postulat
d'égalité temporaire entre les joueurs, opposant ainsi la
noblesse, le clergé et le bas peuple.
La série dépeint finalement autant la
société médiévale que la société
contemporaine, à l'exemple du bonneteau, déjà
pratiqué au Moyen Âge mais représenté par Astier
à la taverne, lieu qui met en scène les sociabilités
populaires, sûrement inspiré du bistrot actuel.
202 Mehl, J-M. (2010). Des jeux et des hommes dans la
société médiévale. Paris, Champion.
203 Pierre Brice Stahl, « Les jeux du Moyen Age
revisités », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). «
Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire.
204 Perceval relance de quinze, Livre I, épisode
57.
129
Ainsi, nous remarquons qu'une série comme Kaamelott
peut être à la fois qualifiée de série
historique, dans la mesure où elle se déroule dans un certain
cadre temporel et qu'elle donne à voir certaines caractéristiques
ou faits historiques bien réels, mais aussi de série de
fantasy, qui déforme ou réinterprète certaines
réalités au service de la narration ; « ces séries
que l'on peut appeler historique se réfèrent de manière
claire au Moyen Âge des médiévistes, mais prennent souvent
de grandes libertés avec l'histoire, par parti pris, ignorance ou manque
de crédits » nous disent Alban Gautier et Laurent Vissère.
C'est cette ambivalence entre historicité et relecture fictionnelle des
codes médiévaux que la dernière partie notre étude
tentera d'analyser, à travers deux thématiques : les
représentations stéréotypées du viking et du
régime alimentaire médiéval.
C. Du médiéval au
médiévalisme, étude d'éléments entre
histoire et imaginaire
En effet, de nombreux éléments sont
stéréotypés afin de coller avec un imaginaire du
médiéval : le médiévalisme, que nous avons
déjà en partie développé au début de notre
réflexion. Ainsi, pour clôturer ce développement, nous nous
intéresserons à quelques thématiques qu'Astier emprunte
à l'histoire et transfère dans le champ du
médiévalisme. Le but de cette analyse étant de montrer
dans quelle mesure ces images stéréotypées vont former une
sorte de culture parallèle du spectateur, qui se différentie des
connaissances historiques mais qui n'est pas pour autant inférieure, et
qui doit être prise en compte dans la dimension pédagogique des
séries. Le premier exemple, très révélateur est
celui du casque à cornes viking. Comme bien d'autres séries,
Astier fait usage des codes contemporains de la représentation du
Viking, à savoir des guerriers farouches portant des casques à
cornes205, comme l'illustre cette fameuse blague de Merlin :
« Bon ben alors, c'est un viking, il
rencontre un ami gaulois dans un port et le gaulois il lui fait, "Dis-donc toi,
avec ton casque à cornes ! Présente-moi ta femme, tu sauras
pourquoi t'as des cornes !" »206
D'où vient donc cette caractéristique
fantasmée du casque à cornes Viking, qui alimente aujourd'hui
l'imaginaire médiéval, mais qui n'est pourtant mentionné
dans aucune source de
205 Voir annexe numéro 34.
206 Le rassemblement du corbeau, Livre II,
épisode 7.
130
l'époque ?207 Un seul casque de la
période viking a été découvert par les fouilles
archéologiques, un casque conique, mais dépourvu de cornes,
explique Pierre Brice Stahl. C'est Diodore de Sicile, dans sa
Bibliothèque historique, qui présente les Gaulois de la
manière suivante :
« Les casques de bronze ont de grosses saillies sur leur
pourtour, donnent l'illusion de l'énormité à leur
possesseur. De plus, des cornes naturelles sont fixées aux uns, des
faces d'oiseaux ou de quadrupèdes en relief à d'autres
»208
Lorsque ces propos sont étudiés au XVIIe
siècle, les germains et les celtes étaient
considérés comme étant un même peuple, et la
confusion nait. Cependant, les Vikings aux casques à cornes sont
relativement rares dans l'imagerie avant la fin du XIXe siècle, et s'y
multiplient ensuite.209 Ainsi, selon Pierre Brice
Stahl210 :
« Le viking au casque à cornes s'est
détaché de la réalité historique. Il a pris une
autonomie, une indépendance et est devenu un des codes iconographiques
employés, entre autres, par les films d'animation et les jeux
vidéo. Il ne s'agit ainsi plus uniquement d'une idée
reçue. L'utilisation de cette coiffure peut relever d'un
véritable choix esthétique. Directement reconnaissable, elle peut
être utilisée pour répondre à l'attente d'un public.
Ainsi, si le viking peut contribuer aux ressorts comiques dans
Kaamelott, c'est avant tout parce qu'il est identifiable. »
Ainsi, ce n'est pas le viking historique qui est
représenté à l'écran, mais une image
médiévaliste qui s'est construite aux XIX et XXe siècles.
Celle-ci n'a pas besoin d'être mise en lien avec la réalité
des VIII-XI siècles pour que le spectateur puisse la décoder et
la comprendre et c'est en cela que le créateur s'affranchit de la
réalité historique. Autre exemple jouant sur la distorsion de la
réalité historique : la nourriture médiévale.
En effet, les oeuvres de fanatsy associent beaucoup
les temps féodaux à l'abondance de nourriture, notamment les
régimes carnivores, une représentation que l'on pourrait appeler
le « médiévalisme alimentaire », selon l'expression de
William Blanc. En effet, dans la quasi-totalité des oeuvres
médiévalisantes, la viande est partout, des banquets du film
Les Vikings, de Richard Fleischer en 1958, à ceux de Game
of Thrones, de 2011 à 2019 : on y mange gras et
208 Diodore de Sicile, Texte établi et traduit par
Michel Casevitz (2015). Bibliothèque historique, tome V, Paris,
Les Belles Lettres. pp 40-41
209 Frank, R. (2000). The invention of the Viking horned
helmet. International Scandinavian and medieval studies p.208.
210 Pierre Brice Stahl, « les jeux du Moyen Age
revisités », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). «
Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire.
131
l'on boit de l'alcool en quantité. Dans le film culte
Les Visiteurs, en 1993, Jacquouille la Fripouille mange très
salement et son maitre Godefroy de Montmirail, seigneur du XIIe siècle,
réclame une extravagante quantité de viande :
« Où sont les veaux, les rôtis, les saucisses ?
Où sont les fèves, les pâtés de cerf ? Qu'on
ripaille à plein ventre pour oublier cette injustice ! Il n'y a pas
quelques soissons avec de la bonne soivre, un porcelet, une chèvre
rôtie, quelques cygnes blancs bien poivrés ? Ces amuse-bouche
m'ont mis en appétit ! »
Cette représentation provient historiquement de la fin
de l'empire romain, où les auteurs ont décrit leurs souverains
comme adeptes de la sobriété végétarienne, symbole
de civilité, par opposition aux chefs germaniques, dont la goinfrerie
était symbole de barbarie.211 Cette association
entre consommation de viande et puissance guerrière est restée
dans l'imaginaire commun au fil des siècles jusqu'à aujourd'hui.
C'est donc dans cette veine qu'Alexandre Astier présente les chefs des
clans barbares :
Arthur : Vénec, qu'est ce que vous
aviez prévu ? Autre chose que des fruits de saison, non ?
Vénec : Ah affirmatif ! De la viande, de
la viande et de la viande. Cuite dans sa graisse.
Léodagan : Ah ! Voilà !
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