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L'imaginaire médiéval au prisme de la série Kaamelott d'Alexandre Astier


par Carole HENRY
Université de Nice Côte d'Azur - Master  2001
  

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VI- Problématiques

L'intérêt de mon sujet est de comprendre à la fois les raisons du succès des séries

médiévalisantes ces dernières années et le phénomène communautaire qui se créé autour d'un programme sériel (plus de 160 000 personnes rien que sur les pages Facebook pour Kaamelott).

Mon sujet s'inscrit particulièrement dans l'environnement culturel et médiatique actuel, puisque d'une part, les séries médiévalisantes se multiplient sur les plateformes de streaming et font toujours plus d'adeptes. D'autre part, le long métrage Kaamelott, sorti en juillet 2021, a enregistré des records d'audience, avec 2,6 millions de français dans les salles.

En cela, je vais aborder le sujet depuis plusieurs perspectives qui reprennent les enjeux de mon sujet, à savoir :

Ø

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Dans quelle mesure l'univers médiéval recréé et fantasmé a su saisir le public actuel, et comment il a été remodelé afin de satisfaire l'horizon d'attente, l'imaginaire du spectateur.

Ø A titre d'illustration du phénomène, comment, en 15 ans, le programme court et humoristique Kaamelott a pu réunir une communauté aussi hétéroclite et pourtant aussi soudée autour d'un intérêt commun qu'est le mythe arthurien ?

Ø Par extension, le succès des séries médiévalisantes serait-il une aubaine d'un point de vue pédagogique, pour apprendre aux adultes ce qu'était le Moyen Age de manière ludique, loin de la contrainte du manuel scolaire ?

Ø En quoi la participation active des fans organisés en communauté sur les réseaux sociaux illustre un phénomène de société quant à la sociabilisation à travers le numérique ?

VIII- Annonce de plan

Dans le premier chapitre, nous travaillerons sur le constat suivant : dans la société actuelle, les oeuvres médiévales, en particulier celles portées à l'écran, attirent de plus en plus. Nous tenterons donc d'expliquer cela en travaillant sur la stratégie de reprendre des mythes et légendes connus de tous, qui s'avère donc gagnante. Nous étudierons également cette fascination comme résultante du médiévalisme, participant à la construction de codes, et plus largement de tout un imaginaire collectif, qui par définition réunit les gens autour de ce centre

d'intérêt commun.
Nous travaillerons ensuite sur les différentes méthodes de créations et de narration qui ont permis à Alexandre Astier de faire accrocher le public à la série, notamment le mélange des

genres, la maîtrise des mots et du format court.
Enfin, nous analyserons le succès de cette série en mettant en évidence le fait qu'il s'agisse d'un programme à la fois érudit et populaire, qui s'adresse à tous, tout en véhiculant des valeurs qui parlent à tous.

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Dans le second chapitre de notre étude, nous analyserons le phénomène social qui s'est créé autour de la série Kaamelott, de sa première année de diffusion à aujourd'hui. Tout d'abord, nous évoquerons l'impressionnante communauté de fans, leurs caractéristiques et leur impact notamment sur les réseaux sociaux. Puis nous nous pencherons sur la notion inhérente à Kaamelott de transmission du savoir et des connaissances, jusqu'à interroger la portée pédagogique de la série. Dans cette continuité, nous aborderons dans un dernier temps la série comme une relecture de l'histoire, à mi-chemin entre réalisme des leçons d'histoire et invitation au voyage dans l'imaginaire.

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Chapitre 1 : L'attrait du public pour des oeuvres médiévalo-contemporaines

I. La stratégie payante de la transmission de mythes et légendes
populaires

A. Reprise de la matière de Bretagne et des héros cultes, une source d'inspiration inépuisable : parallèle entre les récits du XIIe siècle et la proposition d'AA.

Pour accrocher le public, de nombreux écrivains et réalisateurs prennent le parti de retravailler des thèmes existants, en réadaptant des contes et légendes populaires connus de tous afin de garder le spectateur dans un champ fictionnel familier et qu'il se conforte ainsi dans une sorte de zone de confort mentale. Les études de public de séries télévisées ont montré qu'il s'agit d'un parti pris efficace, puisque les légendes et mythes se veulent fédérateurs par essence. C'est ce qu'Alexandre Astier a su exploiter en retravaillant ce que le public connait sous la dénomination de « légende arthurienne », mais que les spécialistes désignent plutôt de « cycle arthurien » ou plus largement de « matière de Bretagne ». Il s'agit d'un ensemble de récits du XIIe siècle, qui se multiplient au fil des siècles et des auteurs qui s'y essayent. Martin Aurell explique que le terme « matière » était employé dans la philosophie antique pour désigner un « amat brut » d'éléments encore inexploités4. La matière de Bretagne, selon cette approche, aurait donc vocation à être exploitée par la postérité pour prendre tout son sens, ou du moins s'enrichir. Pour amorcer notre réflexion autour de la série Kaamelott, nous allons nous pencher sur les sources à l'origine de la série, qui, malgré les transgressions volontaires, ont largement inspiré son scénario.

Dans un premier temps, il est essentiel d'observer la manière dont Alexandre Astier s'approprie la légende, en retravaillant la matière de Bretagne et ses héros cultes. Tout d'abord, de manière très concrète, la volonté de retranscription de la légende est visible dans la dénomination même des saisons. Astier choisit de qualifier chaque saison de « livre », rendant ainsi hommage aux écrits médiévaux à l'origine de la légende. On peut également interroger le titre de la série, en référence à la forteresse de « Camelot » apparue sous la plume de Chrétien de Troyes5. Phonétiquement, le titre de la série joue, d'une part, sur l'ironie liée à la connotation péjorative accordée à l'usage moderne du terme « camelote » pour désigner un

4 Préface, Aurell, M. & Le Nabour, E. (2007). Kaamelott : Au coeur du moyen âge. Perrin.

5 De Troyes, C. (2020). Lancelot ou le Chevalier de la Charrette. Flammarion.

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article de mauvaise qualité. D'autre part, on note le jeu visuel, avec le double « AA » indiquant les initiales de son créateur et le double TT, conduisant le public à la bonne prononciation, et reprenant certainement le dessin de la fameuse table ronde.

Pour en revenir aux textes sources précédemment mentionnés, il y a fort à parier qu'Alexandre Astier ait consciencieusement lu et maîtrise le matériau originel, bien que ce dernier se compose de tout un ensemble de textes qui se font plus ou moins écho, écrits à différentes époques par différents auteurs. C'est justement ce « flou » autour de la légende qui permet aux créateurs de se l'approprier, chose qui aurait été plus délicate et complexe s'il s'agissait, par exemple, d'un

conte dont une seule version faisait autorité sur les autres.
Dans cette conception, Kaamelott n'est donc pas la parodie d'une légende « officielle », mais une de ses multiples interprétations, toute aussi recevable et digne que celles nées des écrivains médiévaux, qui se révélaient par ailleurs parfois très contradictoires sur les faits décrits. Pour cette étude en particulier, difficile de balayer les dizaines de sources héritées du Moyen Age, sans trop s'éloigner de notre objectif principal qu'est la mise en parallèle de la légende et du scénario. C'est pourquoi nous traiterons plus spécifiquement les deux récits médiévaux les plus exhaustifs et analysés du corpus à ce jour : l'Historia regnum Britaniae, rédigée de 1135 à 1138 par Geoffroy de Monmouth et le Conte du Graal, rédigé vers 1180 par Chrétien de Troyes. Ce sont également ces versions qui ont inspiré la plupart des oeuvres de la culture populaire.

Ce que l'on peut tirer de cette confrontation entre les oeuvres sources et la série est le traitement particulier qui est fait non pas des épisodes de faits d'armes ou de romances qui eux ne sont repris que lorsque ce sont des épisodes clés à la compréhension de l'intrigue, mais plutôt le traitement des caractères des personnages. En effet, Alexandre Astier a pris en compte dans sa narration, entre autres, les faits suivants : l'histoire de sa naissance, le retrait d'Excalibur du rocher, la quête divine du Graal autour de la Table Ronde, les noms et régions d'origine de ses personnages, la relation adultère entre Lancelot et Guenièvre et sa supposée relation incestueuse avec sa demi-soeur Anna ou Morgane, selon les sources. Outre les faits qui marquent l'imaginaire collectif quant à la légende, Astier ne retrace pas l'histoire d'Arthur. Il travaille davantage sur la psychologie et le comportement quotidien de ses personnages, pour en tirer une histoire, certes, moins glorieuse, mais qui donne une vision faillible, et donc foncièrement humaine de ces héros de roman. A titre d'illustration, Clément Pélissier dresse un état des lieux des points communs et différences entre les portraits des chevaliers, tantôt héros de manuscrits,

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tantôt humains, avec tous les défauts que cette nature implique6. Les chevaliers Yvain et Karadoc sont présentés chez Chrétien de Troyes comme des combattants hors-pairs, et sont paradoxalement dépeints à l'écran, l'un comme un adolescent tête en l'air, phobique des guêpes et l'autre comme un goinfre insatiable craignant le noir. Merlin est un enchanteur médiocre, empruntant moins à celui de Geoffroy de Monmouth qu'au personnage farfelu de Disney, ou à Panoramix. La Guenièvre de Chrétien de Troyes est l'archétype de la noble dame, respectable, dont la pureté et la beauté anime l'amour courtois :

« Elle a tant de courtoisie, tant de beauté et tant de sagesse qu'il n'ait de pays créé par Dieu, de quelques langues ou religion qu'il soit, où l'on puisse trouver une aussi belle dame. Depuis la première femme que Dieu forma aux côtés d'Adam, il n'y eut de dame si renommée et elle l'est à juste titre. Tout comme un sage maître éduquent les petits enfants, ainsi ma dame la reine fait l'éducation et l'enseignement de tous. C'est d'elle que descend tout le bien, c'est elle qui en est la source et qui l'inspire ».7

Astier présente une femme à la beauté quelconque, particulièrement naïve, lassée de son statut et qualifiée de « con comme une chaise ».8 Outre les caractères radicalement opposés de certains personnages, d'autres sont passés sous silence ou du moins leur rôle est amoindri. Le chevalier Galaad9, grand héros de la quête du Graal n'est mentionné qu'une fois comme faisant partie d'une liste sur un registre. Le chevalier Agravain10, celui qui dénonce la relation entre Guenièvre et Lancelot, n'est mentionné qu'à l'occasion de son remplacement à la Table Ronde par Yvain. Le sénéchal Keu, un homme acariâtre et provocateur chez Chrétien de Troyes, est relégué au rang de simple sonneur de cor. Ainsi, Astier conserve les éléments légendaires qui ont constitué cette universalité des mythes qui nous touche, tout en renforçant les caractères humains pour nous toucher encore davantage. C'est l'une des interprétations que l'on pourrait faire quant à l'appropriation de la légende par le réalisateur.

Par conséquent, on retrouve chez Astier ce désir ambivalent de retransmettre la légende au plus près de la « vérité », ou du moins en travaillant sur la vraisemblance et sur l'authenticité dictée par les récits médiévaux, tout en se laissant un vaste espace de liberté pour mettre en oeuvre ses

6 Pélissier, C. (2021). Explorer Kaamelott : Les dessous de la Table ronde. Third éditions.

7 De Troyes, C. (2016). Le conte du Graal. Le Livre de Poche.

8 L'Escorte II, Livre II épisode 37.

9 Dans La Quête du Saint Graal, roman anonyme en prose, premier tiers du XIIIe siècle.

10 Un des fils du roi Loth dans Boron, R. & Micha, A. (1979). Merlin: Roman du XIIIe siècle. Librairie Droz.

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compétences quant à l'art du récit et au travail du genre humoristique, faisant de cette oeuvre

une relecture unique et singulière de la légende.
Il est intéressant de se pencher plus précisément sur le traitement de certains personnages, particulièrement révélateur de ce phénomène d'appropriation, à l'exemple de celui de Perceval. En effet, contrairement aux chevaliers Yvain et Gauvain, décrits au Moyen Age comme des chevaliers intrépides et victorieux et réduits à des adolescents écervelés dans Kaamelott, le Perceval du petit écran suit les traces de celui des parchemins enluminés. Chose assez rare et

paradoxale pour mériter une analyse plus précise.
En effet, Chrétien de Troyes présente un jeune homme inculte, dont les rencontres vont le sortir peu à peu de l'ignorance et en faire un remarquable chevalier au grand destin. Analysons les extraits suivants, tirés du conte de Graal de Chrétien de Troyes et de deux épisodes de Kaamelott:

1. « Par Dieu, il ne connait guère les bonnes manières : à tout ce que je lui demande, il ne répond jamais comme il faut, mais c'est lui qui demande, à propos de tout ce qu'il voit, quel en est le nom et quel usage on en fait. [...] Notre jeune homme, arrivé le soir même, vit cet étonnant spectacle mais se retint de demander comment cela pouvait se produire, car il se souvenait de la recommandation reçue de celui qui l'avait armé chevalier : il lui avait enjoint de se garder de toute excès de parole. Aussi, craint-il s'il pose une question, de se le voir imputer à la grossièreté, et pour cette raison, il ne la posa pas. »11

2. Arthur : Mais qu'est ce que vous essayez de comprendre exactement comme truc ? Le Graal ?

Perceval - Ouais le Graal par exemple, ou la Table Ronde. Ou n'importe quoi, je pige jamais rien à rien. C'est pas les sujets qui manquent.12

3. Perceval : Pendragon ? Mais qui c'est celui-là ? Arthur : Mon père.

Perceval : Votre père ? Mais on le voit jamais votre père ! Arthur : Non, il est mort.

Perceval : Ah merde !... Mais là, dans la semaine ? Arthur : Non pas là dans la semaine non.

Perceval :Et la cérémonie ce matin c'était pas pour ça ?

11 De Troyes, C. (2016). Le conte du Graal. Le Livre de Poche.

12 L'inspiration, Livre IV, épisode 95.

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Arthur : Je l'ai jamais connu mon père.

Perceval : Ah bon ?... Mais comment vous savez qu'il s'appelle Pendragon alors?

Arthur : Qu'est-ce que je fais moi là ? Qu'est-ce que je fais, j'me fou en rogne, j'vous fais descendre les escaliers à coup de pompe dans l'cul, je fais quoi ?

Perceval :- Non mais m'engueulez pas, j'essaie de piger !

Arthur : Mais qu'est-ce que vous essayez de piger ? Pendragon c'est le plus grand roi de Bretagne !

Perceval : Mais je croyais que c'était vous le roi de Bretagne !

Arthur : C'est le personnage le plus célèbre du monde celte ! Venez pas me dire que vos vieux vous ont jamais parlé de lui !

Perceval : Mais mes vieux qu'est-ce qu'ils en savent de qui c'est le roi ? Ça fait quarante ans qu'ils entassent des navets dans une grange ! Si vous pensez qu'ils ont pris le temps de m'apprendre des courbettes.13

Déjà chez Chrétien de Troyes, Perceval est un jeune ignorant, fasciné par ce qu'il ne connait pas, ce qui le pousse à poser à tous des questions sur tout, et qui a pour conséquence de susciter l'agacement de ses interlocuteurs. Perçu comme un manquement aux bonnes manières dans les sources médiévales, on remarque qu'Alexandre Astier s'est particulièrement intéressé à ce personnage, en mettant son ignorance au service du rire, mais aussi sa volonté d'apprendre au service de la morale. Il n'est pas rare d'entendre que Kaamelott est une série où tous les personnages sont stupides et font ainsi rire par la moquerie suscitée. Or, bien comprendre Kaamelott, c'est aussi voir cette relecture actualisée qu'Astier fait du mythe, une relecture critique même, en mettant l'accent sur les valeurs contemporaines qu'il défend, le droit à l'erreur, la maladresse, l'initiation d'un homme conscient d'avoir des lacunes, mais qui redouble d'efforts pour tenter d'y pallier.

Après ces études de cas, et si l'on considère le scénario de Kaamelott résumé en introduction, on remarque que l'histoire proposée par Alexandre Astier, mais surtout l'angle par lequel les personnages sont abordés témoignent d'une version inspirée mais néanmoins très personnelle à l'auteur. Globalement, les personnages sont présentés comme des chevaliers naïfs, pleins de bonne volonté mais incapables de comprendre les choses les plus élémentaires. Les femmes de Kaamelott ne sont pas les plus belles ni les plus respectées : « Moi, quand ma garce de femme

13 La vie est belle, Livre IV, épisode 45.

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est là, ça déménage pas mal aussi ! Hier elle m'a fendu le tibia avec une amphore, la salope ».14 C'est bel et bien ce décalage entre la noblesse, le prestige originel qui est à l'essence même du roman de chevalerie, qui engendre le rire, mais aussi la compassion et l'attachement du public. Pourtant, la noblesse fait partie de l'oeuvre :

« Je pense que je pose ma petite pierre à Arthur. J'essaye de fournir ma vision, terne, plate et sans noblesse, même si j'essaye d'en remettre de temps en temps parce qu'il faut quand même que ce soit un but, pour qu'il ne soit pas atteint ». 15

Une analyse plus fine s'impose. En effet, tout le but de Kaamelott est de montrer que l'objectif principal du héros, la quête du Graal, est vouée à l'échec. Toute situation est prétexte à déconstruire le ton noble et sérieux de la légende, et c'est là que s'inscrit l'oeuvre Kaamelott dans la légende. C'est en cela que l'on peut parler de revisite, de retravail des sources de la part de l'auteur. Il ne s'agit pas d'une énième réécriture, une broderie autour de l'univers de la chevalerie, mais d'un contrepied assumé qui, force est de constater, a su conquérir le public, qu'il soit ou non connaisseur de la légende initiale. Autrement dit, l'auteur décentre le but à atteindre pour mieux s'approprier la légende. Parfois, la déconstruction de la légende est très explicite :

Arthur : C'est pas noble, c'est ça ? C'est pas digne de la quête du Graal ? Et où est-ce

que vous étiez quand on préparait mon mariage, hein ? Un mariage arrangé, un
mariage de magouilleurs, sordide, avec une gourde que j'ai jamais pu encadrer !

La Dame du Lac : Qu'est-ce que j'y peux moi ?

Arthur : Comment ça se fait que vous avez laissé faire ? Elle est où la légende, là ? Elle est où, la romance ? C'est avec l'histoire d'Arthur et Guenièvre que vous comptez apprendre aux enfants ce que c'est que le grand amour ? 16

Autre exemple de déconstruction, qui cette fois rend à la fois hommage à la légende, celui de la naissance d'Arthur, épisode essentiel car il justifie sa légitimité en tant que roi de Bretagne, fils du roi Pendragon. Pour rappel, la légende selon Geoffroy de Monmouth raconte qu'Uther Pendragon, roi du Royaume de Logres, réclame à son enchanteur Merlin une potion de

14 La Rémanence, Livre IV épisode 54.

15 Dans l'addendum du livre II, « préface » du documentaire de Christophe Chabert Aux sources de Kaamelott, acte I : Les moeurs et les femmes, 2005.

16 Tous les matins du monde II, Livre VI, épisode 2.

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polymorphie lui permettant de prendre l'apparence de l'époux d'Ygerne, afin de la violer sans qu'elle ne se méfie. C'est de cet épisode assez cruel et sombre que nait Arthur. Alexandre Astier reprend cet épisode tel quel dans les faits, mais à contre-pied en tournant une scène d'Arthur et Guenièvre en dérision :

Arthur est en train de se déshabiller assis au bord du lit. Guenièvre est sous les draps, inquiète.

Guenièvre : Qu'est ce qui me dit que vous êtes bien le roi Arthur, mon mari ? Arthur : Qu'est ce que vous me chantez ? Vous avez picolé ou quoi ?

Guenièvre : Ygerne m'a raconté le subterfuge de Pendragon, figurez-vous. La potion de Merlin, la métamorphose, tout !

Arthur : Ah ! Encore ces vieilles conneries... Guenièvre : Quoi, vous n'y croyez pas ?

Arthur : J'en sais rien... C'est un peu tiré par les cheveux, je trouve. C'est quand même un peu facile de tromper son mari et de dire à tout le monde « Ouais, c'est pas ma faute, il avait la même tête ! » Non et puis Merlin, il arrive déjà pas à monter des blancs en neige alors une potion de polymorphie, permettez-moi d'avoir des doutes.17

Cet extrait montre bien que l'auteur rend hommage à la légende en l'évoquant de manière assez exacte, tout en déconstruisant sur le ton de l'humour le mythe de sa naissance. Pour l'auteur, il n'est pas question de modifier les épisodes de la légende, surtout ceux décisifs à la trame du récit, qui de surcroit sont connus du public averti qui s'intéresse de plus près au mythe. De plus, le créateur de Kaamelott met en avant le caractère intemporel et intergénérationnel des mythes populaires, en donnant à ses personnages la pleine conscience que leur destin exceptionnel est écrit et qu'ils se doivent d'être des héros car leur vie et leurs faits d'armes seront un modèle de vertu à transmettre pour les siècles à venir. Ce n'est pas du tout le cas des héros des récits médiévaux qui sont héroïques par nature. Chez Astier, les personnages s'efforcent d'agir en héros pour écrire leur propre légende, ce qui participe au comique :

Père Blaise : Non, mais je crois qu'on s'est mal compris, là... Vous avez une idée du temps qu'il me faut pour tracer une lettre avec ces putains de plumes ?

Léodagan : Personne vous demande de tout noter, aussi ! Arthur : Ah si ! Pardon, c'est moi qui demande !

Calogrenan : On se demande bien pourquoi.

17 La potion de polymorphie, Livre 1 épisode 81.

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Père Blaise : Pour vous faire entrer dans la légende. Parce que je vous rappelle qu'entre vos chevaux morts et vos chevaux malades, moi je dois faire une légende !18

On note ainsi que la dimension de transmission de la légende est capitale pour l'auteur, qui joue sur une sorte de mise en abyme, par laquelle Arthur entend transmettre la légende à la postérité, tout comme Astier prend à coeur de transmettre la légende à ses contemporains. Une part importante des épisodes des premiers livres gravitent autour du recueil des aventures (ratées) des uns et des autres, enjolivées au possible par Père Blaise, afin de bâtir la légende. Cela participe également de l'appropriation du récit.

Au-delà du « père fondateur » de la série, les acteurs aussi ont eu pour mission de s'approprier un matériau dont ils n'ont, pour la plupart, que de vagues souvenirs : Anne Girouard, n'a qu'un souvenir de scolarité de Guenièvre et de sa romance avec Lancelot, Jacques Chambon s'est lui inspiré du film Excalibur de John Boorman pour modeler le personnage de Merlin. Quant aux acteurs dont les rôles ne sont pas repris de la légende, comme Le Tavernier ou le bandit Venec, leurs interprètes se confient sur la connaissance qu'ils avaient de la légende avant même de commencer à tourner Kaamelott.

Loïc Varraut : « Non, j'étais pas du tout familier du cycle arthurien avant, j'ai essayé de m'y plonger effectivement, notamment dans le livre originel de Chrétien de Troyes, de me plonger dans cette mythologie. Mais très honnêtement, j'ai baissé les bras devant la multitude des textes et des interprétations. C'était une légende qui n'avait de cesse d'être réinventée. »

Alain Chapuis : « En fait, j'ai fait des études d'histoire avant et j'étais intéressé d'une manière générale par la légende, les légendes, comme point de départ pour broder autour. Je trouve ça assez intelligent d'avoir tout un canevas où les personnages sont là et existent. » 19

Ainsi, pour Alexandre Astier, il s'agit d'apporter sa pierre à l'édifice, chose qu'il ne prend pas du tout à la légère :

« J'ai surtout passé un contrat avec la geste arthurienne. Il y a une responsabilité. Quand tu prends le sac à dos, tu peux pas faire n'importe quoi. J'ai pas envie, sur mon lit de mort, de dire : « Ah oui, j'ai fait un truc sur le roi Arthur, et puis j'ai aussi fait le biopic d'untel ». Non, Kaamelott n'est pas une chose parmi d'autres. La légende arthurienne est faite pour être remâchée à tous les siècles, par plein de gens. Des bons,

18 Enluminures, Livre 1 épisode 51.

19 Pour en savoir plus, voir les entretiens avec les acteurs, annexe numéro 1

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des mauvais, des couillons... Parfois on me demande si j'en ai pas marre d'être

associé au roi Arthur. Non mais tu rigoles ? Pour un mec qui veut écrire et raconter des histoires, c'est génial ! » 20

Ainsi, Alexandre Astier, apporte une nouvelle dimension à la légende. On retrouve d'ailleurs au générique du Livre I un détail non sans importance, les mots « une série forgée par Alexandre Astier ». Ce dernier se présente comme l'énième transmetteur d'une légende alimentée au fil des siècles, dont il a lui-même forgé une nouvelle facette, pour que jamais le matériau ne s'épuise. En effet, la légende, par définition, a vocation à alimenter de génération en génération l'imaginaire collectif, par sa capacité à s'adapter aux questionnements de chaque époque, lui permettant d'être toujours actualisée. Se créer ainsi tout un monde autour de la légende, faisant de cette dernière une base de création inépuisable. En effet, on trouve tout autour de nous des oeuvres de la culture populaire qui continuent à alimenter un imaginaire collectif que nous avons de l'époque médiévale : films, séries, romans, musiques, jeux vidéo, figurines, jeux de société ou encore produits de consommation sont élaborés afin de satisfaire une sorte de fascination pour ce monde.

B. Un récit médiévalisant, en continuité avec l'imaginaire collectif construit d'après des oeuvres de la pop culture.

Le Seigneur des Anneaux, Game of Thrones, Harry Potter, Vikings, The Witcher ; Eragon, Le Monde de Narnia, Le Chevalier d'Emeraude ; Donjons et Dragons, Crusader Kings, RuneQuest ; World of Warcraft, Zelda, Final Fantasy, Diablo, Skyrim Elder Scrolls ; bières Lancelot, Morgane ou Blanche Hermine. Toutes ces créations devenues familières, faisant partie de la culture populaire, produite et appréciée par le plus grand nombre, se sont multipliées au cours des deux dernières décennies. En réalité, depuis l'enfance, nous baignons dans cet imaginaire médiéval, au point qu'il nous fascine de plus en plus. D'ailleurs, lorsque nous avons interrogé les téléspectateurs de Kaamelott, 56,6% affirment regarder la série car ils aiment le cadre médiéval, de manière plus global21. Même les historiens spécialistes de l'histoire médiévale confient que tous, à leur connaissance, ont eu une fascination pour les créations

20 Interview d'Alexandre Astier à Première, Septembre 2020.

21 Voir annexe numéro 3.

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médiévalistes et non pour l'intérêt scientifique pur lié à la période médiévale : Jacques le Goff pour Ivanhoé de Walter Scott, William Blanc pour le jeu de rôle Donjons et Dragons. Le médiévalisme se définit par la manière dont est perçu le Moyen Age par une époque donnée. En effet, l'adjectif « médiéval » se rapportant seulement à une réalité historique qui s'étend de 496 à 1492, le médiévalisme lui, se rapporte à une « invention » du Moyen Age, notamment à partir du XIXe siècle, qui est évoquée par des historiens romantiques comme Michelet. Il s'agit de prendre comme référence des éléments réels du Moyen Age, notamment sa riche iconographie, pour en faire des représentations imaginaires mais nourries de codes admis, et progressivement intégrés, consciemment ou non par l'imaginaire collectif : épées, armures métalliques, costumes, châteaux de pierre, magie, sorcières, oppression des faibles par les puissants, hygiène, conditions de vie misérables, pour n'en donner que les exemples les plus récurrents. Ces éléments, parfois bien réels ou déjà fantasmés, sont passés au prisme du médiévalisme par les créateurs, car on ne sait que peu de choses de la réalité médiévale, ce qui laisse place à l'imagination, comme le montre le schéma proposé par le spécialiste William Blanc 22. En effet, une oeuvre médiévaliste ne pourrait être réaliste, car les sources sont fragmentaires, résiduelles, c'est pourquoi reconstituer une époque médiévale vraisemblable est impossible. Toute reconstitution est donc médiévaliste en un sens, puisqu'elle en passe par le prisme, et les écrivains s'en sont emparé au fil des siècles, jusqu'à nos créateurs contemporains pour en faire un véritable monde parallèle, parfois très loin de la réalité. Nous sommes sont tous familiers au médiévalisme, bien que nombre d'entre nous ignorent le sens de ce mot, comme l'atteste les 46,6% de nos répondants ayant affirmé ne pas savoir ce qu'était le médiévalisme.23

A la fois si éloignée et pourtant proche de nous, encore au XXIe siècle, cette vision fantasmée du Moyen Age fascine, raison pour laquelle les oeuvres médiévalistes explosent, en particulier depuis l'impact de la plume de J. R. R. Tolkien, qui a largement conduit à la démocratisation du genre. On constate par exemple sur les plateformes de streaming des dizaines de films et séries exploitant cet univers. Il s'agit d'un phénomène majeur, étudié par les historiens depuis maintenant une dizaine d'années et qui soulève notamment la question du « pourquoi cet attrait ? ».

Si les créateurs exploitent autant cet univers, c'est parce qu'il est judicieux de coller à l'horizon d'attente du spectateur pour lui plaire. C'est même chose nécessaire pour ne pas contrarier et

22 Voir annexe numéro 4

23 Voir annexe numéro 5

29

par conséquent, perdre son public. C'est ce qu'affirme Harold Foster, auteur de la bande dessinée Prince Valiant, dont l'intrigue s'inscrit au coeur la légende arthurienne :

« Si j'avais dépeint le roi Arthur comme me l'avaient décrit mes recherches, personne n'y aurait cru. Je ne peux pas dessiner le roi Arthur avec une barbe noire, avec des peaux d'ours mêlées à des bouts d'armures romaines car ce n'est pas ainsi que se l'imaginent les gens ». 24

Ainsi, pour faire d'une oeuvre médiévaliste un succès, l'essentiel est de devancer la réflexion et donc la réaction du public. Le créateur se doit de faire voyager le public ailleurs, dans un monde dépaysant, mais sans qu'il ne lui soit totalement étranger, sous peine de perdre l'immersion fictionnelle, qui est le but de toute fiction. Autrement dit, le public doit pouvoir se laisser conduire vers le merveilleux tout en s'accrochant à des codes visuels ou sonores qui lui figurent l'époque médiévale : ambiance sombre, rurale, forteresses de pierres, bruits métalliques, bruits de chevaux etc...

Dans Kaamelott, le médiéval est associé au merveilleux et se manifeste notamment au travers de la magie. On y voit Excalibur flamboyer à chaque fois qu'Arthur la brandit, Merlin lance des boules de feu en direction des adversaires et les chevaliers combattent hydres et dragons. Pourtant, la magie est plus souvent évoquée que montrée. En effet, la série ne compte que peu d'effets spéciaux, et cela peut s'expliquer, outre par le peu de moyens financiers, par le fait que le public n'en ait tout simplement pas besoin. Tout comme les contes pour enfants, et la série s'appuyant sur les codes du médiévalisme déjà présents dans l'imaginaire collectif, tout un chacun, petits et grands, est à même de se représenter à quoi pourrait ressembler un dragon, un monstre des cavernes, une pluie de pierres. Clément Pélissier parle de « référentiels communs »

et de « structures mythologiques » ancrées dans nos esprits. 25
Ce terrain est particulièrement favorable à un genre particulier qui est celui de la fantasy, et qui par ailleurs est un genre littéraire et cinématographique étroitement lié au médiévalisme.

Par définition, les anglo-saxons inventeurs du terme « fantasy » évoquent un genre qui recouvre à la fois le territoire du merveilleux et celui du fantastique. Dans son essai Aspects of fantasy, Michael Moorcock affirme que « la fantasy est formée de fictions qui ont relation au fantastique, qui dépassent le cadre de l'expérience humaine ordinaire ». Puis, une distinction est faite entre low fantasy, où l'intrigue se déroule dans notre monde mais où surgissent des

24 Propos cités par William Blanc lors d'un entretien réalisé par Benjamin Brillaud, vidéaste de la chaine Youtube Nota Bene, 21 décembre 2020. https://youtu.be/TNPa_Cl4P4k et annexe numéro 6.

25 Pélissier, C. (2021). Explorer Kaamelott : Les dessous de la Table ronde. Third éditions.

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évènements inexpliqués et la high fantasy, travaillant un monde secondaire régit par ses propres lois. Ainsi, Star Wars précédemment évoquée est par définition une oeuvre de fantasy. Pourtant, ce n'est pas ce genre d'oeuvre qui vient à l'esprit du public lorsque qu'on leur demande leurs oeuvres de fantasy favorites.

En effet, comme nous nous intéressons plus spécifiquement aux séries télévisées, il est intéressant de voir que des sites, tels que SensCritique.com, classent ainsi les meilleures séries de fantasy :26

1. Game of Thrones (2011) 6. Les Chroniques de Shannara (2016)

2. Kaamelott (2005) 7. Dark Crystal, le temps de la résistance (2019)

3. The Witcher (2019) 8. Legend of the Seeker : L'Épée de vérité (2008)

4. Once Upon a Time (2011) 9. Buffy contre les vampires (1997)

5. Merlin (2008) 10. Le 10e Royaume (2000)

De plus, 45,7% du public interrogé dit regarder entre une et trois autres séries à succès inspirées de l'univers médiéval et 28% en regardent plus de trois.27 On remarque ainsi que la quasi-totalité de ces oeuvres proposent un monde médiévalisant, représentant à l'écran des chevaliers, des princesses, des épées, des royaumes à feu et à sang et même le mythe arthurien. Nous devons ainsi nous questionner sur lien entre fantasy et médiévalisme car, bien que la fantasy soit un genre extrêmement vaste en termes de périodes et de mondes exploités, l'esprit héroïque et médiéval y tient une place importante : l'heroic fantasy. Si l'on se penche sur la définition donnée par Terry Windling :

« La fantasy couvre un large champ de la littérature classique et contemporaine, celle qui contient des éléments magiques, fabuleux ou surréalistes, depuis les romans situés dans des mondes imaginaires, avec leurs racines dans les contes populaires et la mythologie, jusqu'aux histoires contemporaines de réalisme magique où les éléments de la fantaisie sont utilisés comme des moyens métaphoriques afin d'éclairer le monde que nous connaissons ». 28

Cette définition nous éclaire un peu plus sur la richesse des inspirations à l'origine du genre, et correspond davantage aux exemples que nous traitons, mais encore quelques précisions s'imposent. Dans la high fantasy, se distinguent la myth fantasy et la fairy tales fantasy, qui

26 https://www.senscritique.com/top/resultats/Les_meilleures_series_de_fantasy/817849

27 Voir annexe numéro 7.

28 Windling, T. (1987). Préface à The Year's Best Fantasy and Horror, vol 1, St Martin Press.

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comme leurs noms l'indiquent s'inspirent pour l'un des mythologies antiques et médiévales, comme le mythe du roi Arthur, pour l'autre des contes du folklore d'Europe et d'Europe de l'Est. Jacques Boudou précise donc que « la légende arthurienne a depuis inspiré de très nombreux auteurs de fantasy au point de constituer un rameau fertile du genre ». 29

Nous l'avons vu, avec ces dizaines de milliers de références littéraires et audiovisuelles30, la fantasy et ses sous-genres sont la figure de proue de l'imaginaire contemporain, chose qu'à bien compris Alexandre Astier. D'autant plus que le réalisateur, qui se revendique avant tout « créateur », se plaît à créer tout un monde qui permet à l'oeuvre d'exister en tant que telle, ce qui est d'ailleurs particulièrement caractéristique de la fantasy : le worldmaking ou worldbuilding.

Les grandes sagas et séries de fantasy, telles que Le Seigneur des Anneaux (?11h + Le Hobbit, (?9h), Game of Thrones (?66h) ou encore Harry Potter (?19h30), comptent un nombre conséquent mais limité d'heures de visionnage. Pour Kaamelott, il faut compter environ 35h de visionnage au total. Ce sont ces grandes plages horaires qui permettent au créateur, littéraire ou cinématographique, de façonner en détail le monde dans lequel l'intrigue va prendre place. Aucun détail n'est laissé au hasard, des décors aux costumes, des langages inventés pour l'occasion au passé de chaque personnage, tout est soigneusement pensé. C'est ce qui permet au public de se plonger bien plus loin que dans une oeuvre de fiction, mais dans un monde parallèle, si vraisemblable qu'il semble exister en lui-même. Notre étude a montré que les éléments qui donnent le plus l'impression au public d'être immergés dans le monde médiéval sont, entre autres, les costumes à 85%, les musiques à 74,1%, le vocabulaire trivial à 32,7% et l'usage de la magie à 32%.31 Pourtant, si le nombre d'heures montrées à l'écran est nécessairement limité, l'intérêt du wordmaking, s'il est bien réalisé, est de permettre au public de projeter lui-même d'autres créations dans ce monde, raison pour laquelle certains écrivent des suites, des fans-fictions sur des aventures parallèles ou des spins-off sur leurs personnages préférés. Lorsque le monde fictionnel dans toute sa complexité est mis en place, l'imaginaire du créateur comme du spectateur n'a pas de limite, c'est pourquoi Le Hobbit s'inscrit dans le monde du Seigneur des Anneaux, Les Animaux fantastiques dans celui d'Harry Potter.

Il est aussi question d'instantanéité. Pour en revenir à Kaamelott, le téléspectateur est immédiatement immergé dans cet univers bien en place, riche, avec un background bien

29 Baudou, J. (2005). La fantasy. Presses universitaires de France.

30 Genre chiffré à plus de 10 000 entrées sur le site Fnac.fr avec le mot clé « fantasy ».

31 Voir annexe numéro 8.

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élaboré et une solide cohérence narrative. Astier compte aussi sur le présupposé que le médiévalisme ait opéré sur les consciences et que le public connaisse déjà, via la culture populaire, les lignes principales du mythe arthurien. Ainsi, si nous assistons à la découverte d'une Table Ronde nouvellement construite par l'artisan du coin, Arthur a épousé Guenièvre et règne sur le royaume de Logres depuis des années, les chevaliers sont en poste et ont commencé la quête du Graal, et nul habitant du royaume n'ignore l'histoire légendaire de l'épée magique retirée de son rocher. C'est sur cette base d'imaginaire commun qu'Astier va pouvoir jouer la carte de la déconstruction et la parodie, car sans les conséquences du médiévalisme, Kaamelott perdrait tout ce qui fait son identité et n'aurait tout simplement pas pu exister en tant que de

réécriture décalée du mythe.
Pourtant, tout n'est pas si simple. L'imaginaire commun est alimenté par certains caractères associés au Moyen Age parfois contradictoires. D'un côté, un Moyen Age dit « doré », avec notamment ce que propose en partie Kaamelott, les valeurs de la chevalerie, de l'amour courtois, les débuts d'un christianisme fédérateur qui apporte la lumière. De l'autre un Moyen Age dit « obscur », véhiculant un imaginaire de terreur, de violence permanente, de sexualité brutale et débridée. C'est cette dernière conception que bon nombre de séries médiévalistes se sont appropriée, pour créer un univers plus « vendeur ».

C. S'éloigner du stéréotype de la surreprésentation des scènes de violence et de sexe : la perception du public

En effet, les séries médiévalisantes qui connaissent le plus de succès ces dernières années sont des géantes de l'industrie américaine : l'incontournable Game of Thrones (HBO), Vikings, The Witcher, The Last Kingdom, (Netflix), Britannia (Amazon Prime). Leur point commun est la surreprésentation de la violence physique et du sexe. Pour n'illustrer que par quelques exemples et chiffres : dans la série Vikings, décapitation, crucifixion, mutilation, amputation sans compter l'atroce supplice de l'aigle de sang (découpage du dos au couteau, puis à la hache, jusqu'à séparer les côtes de la colonne vertébrale afin de les déployer comme des ailes). En bref, la série joue surtout sur le gore, c'est-à-dire susciter l'épouvante par l'abondance de sang versé. Dans la série Game of Thrones, on peut y voir égorgements et massacres en tout genre, une femme dévorée par des chiens, une enfant sacrifiée au bûcher par ses propres parents, crâne explosé, émasculation, torture de prostituées, inceste et plusieurs viols dont celui d'une soeur par son frère devant le cadavre de leur fils. De quoi laisser le public choqué voire traumatisé, de même

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que certains comédiens comme Iwan Rheon, l'interprète de Ramsey Bolton, qui qualifie le jour du tournage du viol qu'il perpètre comme « le pire jour de sa carrière ».32 Côté nudité, c'est aussi, selon le site spécialiste des scènes de nu à l'écran Mr Skin, 82 occurrences, avec 134 poitrines féminines, 60 fesses, 28 sexes féminins et 7 sexes masculins, pour un total de 108 minutes de nudité et de soft porn. Ces données montrent bien que la part de scènes sulfureuses est importante voir déterminante pour coller avec l'univers proposé.

Chez les amateurs de ces programmes, les avis divergent, car si la plupart des téléspectateurs affirment que de telles séries n'existeraient pas sans cette marque de fabrique, d'autres s'insurgent de l'inutilité de ces scènes, si ce n'est l'enjeu commercial. C'est ce dont témoignent les commentaires 33 tirés d'un post Facebook publié sur un groupe de fans américains, répondant à l'affirmation :

« Le sexe était exagéré dans Game of Thrones »

- « Bien qu'il s'agisse d'une histoire fabuleuse, elle est également truffée de nudité et de perversion gratuites - toutes deux inutiles et peut-être rien de plus que la satisfaction des propres besoins de l'auteur... une honte »

- « Les scènes de sexe font partie de ce qui a fait de cette série ce qu'elle est »

- « C'est une histoire forte, mais la nudité est gratuite et n'ajoute rien à l'intrigue générale. On pourrait facilement sous-entendre des choses comme une culture militaire et l'hypocrisie des religieux qui fréquentent les bordels etc.... sans montrer de nudité et encore moins des scènes de « soft porn », vraiment inutile »

- « Le sexe fait vendre. Passez à autre chose !! »

- « L'une des meilleures choses de cette série est qu'elle est fidèle à l'époque. Dans laquelle oui, toutes sortes de choses tordues et évoluant vers le sexe vont se produire. C'était bien, non, mais c'est comme ça que le monde était à l'époque. Et malheureusement, certains pays sont encore comme ça. Cela dit, c'était une série incroyable qui était fidèle à l'époque. »

Le dernier de ces commentaires est particulièrement intéressant, dans la mesure où il montre que la représentation à l'écran influence largement sur ce que le téléspectateur sait du Moyen Age. Autrement dit, puisque la série montre « toute sortes de choses tordues », elle rencontre les attentes que le public lambda se fait d'une époque en déclin, barbare, immorale, tant il est

32 Lors d'une interview accordée à Metro, relaté par Première le 3 novembre 2020. https://www.premiere.fr/Series/News-Series/Game-of-Thrones-le-viol-de-Sansa-fut-le-pire-jour-de-ma-carriere?fbclid=IwAR39nM1vHRFXV9FvyWSr_CCDpAwiiWuwC8eJwv2fqb9toC6rkT7xJqcXwvw

33 Traduits de l'anglais et issus de la publication suivante, sur le groupe Facebook Game of Thrones Fan Club, comptant presque 300 000 membres :

https://www.facebook.com/groups/GameofScenes/permalink/1681732912016195/

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visuellement saturé par cet imaginaire. Il peut donc affirmer sans réserve que pour lui, cette série est entièrement fidèle à l'époque médiévale. Pour faire un bref parallèle avec Kaamelott, notre étude auprès des fans a montré que 70,2% d'entre eux pensent que Kaamelott n'est réaliste que sur quelques aspects ponctuels éventuellement et 21,3% pensent que c'est effectivement une série plutôt réaliste. 34

La réception de ce type de scènes a été étudiée par l'iconologie, la sociologie et la psychologie, bien qu'il soit difficile de savoir comment l'image sera lue et comment elle influera sur le comportement du téléspectateur. Toute la question est de déterminer dans quelle mesure ces scènes doivent être régulées et relèvent de la « morale de la création ». Certains, conséquentialistes, montrent que ces fictions audiovisuelles prescrivent des comportements au public, comme le juge P. J. Kroenberg, qui affirme que « la télévision est instrument de pression intense qui persuade l'esprit pas encore formé que la violence est une façon de se conduire acceptable. » 35 Le psychiatre Fredric Wertham, est en accord avec ces propos :

« Lorsque les jeunes voient de la danse, ils ont envie de danser, s'ils voient des friandises, des boissons alléchantes ou des desserts, ils veulent les acheter. On ne peut pas affirmer d'une façon sensée que les enfants qui voient la violence sur l'écran n'en acquièrent pas un certain goût, même s'ils n'en sont pas tout à fait conscients. » 36

D'autres experts, d'attitude plus libérale, voient ses images sans pouvoir réel, en supposant que le public sait faire la distinction entre fiction et réalité, particulièrement des sociologues qui estiment, eux, que la censure est inutile car l'existence du danger de ces représentations n'a pas été prouvée :

« II n'est du reste nullement dans notre ligne de promouvoir une interdiction quelle qu'elle soit. L'examen du problème de l'influence pernicieuse du cinéma nous conduit à rejeter toute justification à la censure dans ce domaine. Les véritables fondements secondaires et les prétextes avancés. Son royaume est celui des tabous politiques de l'ordre établi et des tabous magiques qui rejettent dans la nuit sacrée l'horreur de la décomposition des cadavres et la frénésie de l'acte amoureux, la nudité de la mort et de la sexualité »37

34 Voir annexe numéro 9.

35 Wertham, F. (1962). The scientific study of mass media effects. American Journal of Psychiatry, 119(4)

36 Wertham, F. op. cit.

37 Morin, E. (1953). Le problème des effets dangereux du cinéma. Revue internationale de filmologie, 4(14?15), p.231.

35

D'autres encore défendent la question psychologique de la catharsis, c'est-à-dire l'utilisation de ces scènes comme méthode thérapeutique visant à provoquer chez le téléspectateur un choc émotionnel exutoire, lui permettant de se sentir soulagé par la représentation fictive des pulsions humaines. Ainsi, la violence physique et le sexe débridé étant projetés sur l'écran, le public se sent satisfait puisque ces propres pulsions primaires, de violence et de sexualité, sont ainsi extériorisées, sans rien accomplir eux-mêmes.

L'opinion publique, elle, est incertaine lorsque l'on se penche sur les chiffres. La tendance semble être une diminution de l'inquiétude :

« Une enquête américaine montre que 76 % des parents estiment simplement éphémères les effets de la télévision (1962, Steiner) tandis qu'une enquête française (1961) montre que 80 % des familles aisées et 50 % des familles de travailleurs manuels estiment que la télévision est un bienfait (pour, dans le deuxième cas, 40 % d'indécis). Et si 90 % des parents jugent certaines émissions mauvaises pour les enfants, 70 % n'interdisent pas à leurs enfants de les regarder. »38

Tout ce que nous pouvons affirmer, c'est le succès grandissant de ces programmes qui mettent en scène une violence d'un autre temps et d'un autre monde, qui nous semblent alors bien étrangère donc bien loin de notre réalité. Bien que nous l'ayons vu, certains téléspectateurs considèrent ces séries comme un cours d'histoire qui nous montre, à tort, que l'époque médiévale est une version plus barbare et moins civilisée de nos sociétés actuelles, peut-être même à l'origine de la violence actuelle, dont elle se voudrait l'héritage.

De plus, l'autre point commun entre toutes ses séries est le fait qu'elles soient toutes réalisées par des acteurs privés, car si cet imaginaire peut être véhiculé librement, c'est qu'il contourne un certain nombre d'obstacles. En effet, les nouveaux distributeurs de programmes, que sont Netflix, HBO ou encore Amazon Prime, sont des plateformes de streaming ou chaînes télévisées fonctionnant par abonnement, de manière totalement indépendante et qui peuvent donc se permettre d'aller toujours plus loin dans les excès. L'exemple le plus révélateur est celui de la chaîne américaine HBO. En effet, dès les années 1980, la chaine produit du contenu pour leurs abonnés : un audimat riche, urbain et éduqué, profitant de l'absence de contrôle de la FCC, qui ne régule que le contenu des chaînes hertziennes.39 Ainsi, les séries produites brisent

38 Gratiot-Alphandery, H. & Rousselet, J. (1961). La Télévision et la famille. Ecole des parents 3, janvier, p.2935.

39 La federal communications commission ou FCC, est une instance responsable de la réglementation de la radio et de la télévision aux USA, également chargée du contrôle sur les contenus en bannissant l'indécence, l'obscénité et les actes sexuels des programmes.

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les tabous tout en se construisant une identité basée sur la provocation dans le langage, la nudité, la violence physique et morale, le crime. C'est cette différence de législation en termes de règlementation des chaînes publiques gratuites et chaînes câblées payantes, qui creusent l'écart de ton entre représentation édulcorée et représentation explicite des images sulfureuses.

C'est ce que souligne le dramaturge Jean Loup Rivière à propos des séries originales d'HBO, en décrivant :

« Une réalisation très cinématographique, des décors soignés, un langage très cru, des scènes d'une violence extrême, de très nombreuses références et citations empruntées à la littérature, au cinéma et à la philosophie, le tout au service d'une peinture au vitriol des dysfonctionnements de la société américaine » 40

Aujourd'hui HBO compte aux Etats-Unis près de 50 millions d'abonnés contre environ 10 millions au début des années 2000, des chiffres qui démontrent le succès grandissant de ce type de contenu.

Après cette parenthèse américaine, revenir sur l'analyse des programmes français promet un changement radical de ton. D'une part, parce qu'une série comme Kaamelott, diffusée en prime time sur une chaîne publique comme M6 relève évidemment de la réglementation imposée par le CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel). De l'autre, parce que l'imaginaire du Moyen Age doré, nous l'avons vu, n'a pas vocation à représenter des atrocités. Cependant, la violence est souvent évoquée par le dialogue, à l'exemple de cet échange décrivant quelques moyens de torture :

Léodagan : Vous savez la torture c'est pas ce que vous croyez, hein ! Quand c'est fait par un pro, y a pas une goutte de sang !

Calogrenant : Le simple fait de déballer les outils, le gars il craque ! Arthur : Et s'il craque pas ?

Léodagan : Alors là euh... C'est la boucherie...

Venec :Vous mettez le pied de votre gars là-dedans, vous fermez bien, vous tournez la vis jusqu'à que vous entendiez le bruit de l'os. [...] Pour rester sur le thème du pied, vous dites à votre gars de bien marcher au milieu de la pointe. (Il sort un marteau énorme.) Et tac, un coup ferme sur le dessus.

[...]

Arthur : Mais... Attendez, le mec qui est en train de se faire broyer le pied qu'est-ce que ça peut bien lui foutre qu'on lui crame en plus ?

40 Rivière, J.-L. (2016). Oz. Drogue, amour et utopie. Presses universitaires de France.

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Léodagan : Non mais c'est pour la mise en scène un peu. Venec : Ah, tout ce qui est feu, ça impressionne bien ! Bohort : J'ai l'impression que je fais des palpitations... Léodagan : Mais sinon vous avez rien de plus festif, là, de...

Venec : Si vous aimez, j'ai ça. (Il sort une pince immense.) C'est pour arracher les noix.

Bohort : Les noix ? Les fruits ?

Venec : Ah non. Les noix, les noix... [...]

Venec : C'est du progressif. Vous coupez une phalange, vous en coupez une deuxième, si le gars cause toujours pas vous revenez sur le premier doigt, vous bouffez une phalange en plus. (Il se penche pour attraper un parchemin et le pose sur la table.) T'façon il y a un fascicule livré avec, c'est tout expliqué.

Léodagan : Ça on peut toujours en prendre quatre ou cinq, euh, ça sera jamais perdu ça. Hein ?

Venec : Voilà, je crois qu'on a fait le tour. (Il sort un gros sécateur.) Oh, sinon y a ça aussi, c'est le bel outil.

Arthur : Qu'est-ce qu'on coupe avec ça ?

Venec : Ah ce qu'on veut. M'enfin... C'est plutôt pour tout ce qui est génital

[...]

Arthur : Vous mettez ce bout-là dans un orifice.

Guenièvre, choquée : Un orifice ?

Arthur : Oui, c'est au choix, hein, 'fin bon, c'est vrai que classiquement, c'est plutôt le... Bref. Vous prenez l'aiguille et vous piquez le cul du rat. Bon là, c'est un rat empaillé, mais c'est pour vous montrer. Le rat rentre dans l'orifice et il bouffe tout. (Il est ravi de voir Guenièvre dégoutée et gémissante.) Hein ? Oui, oui, ça... ? Hein ? »41

Ainsi, bien que le ton humoristique fasse passer au second plan la question sérieuse de la torture, elle est néanmoins mentionnée comme étant d'usage à l'époque médiévale. Si aucune violence ni scène de sexe n'est montrée, ne serait-ce que sommairement, c'est à la fois pour ne pas entacher le ton comique des premières saisons, mais il s'agit probablement d'un parti pris d'Alexandre Astier. On peut néanmoins en déduire que cela va de pair avec la dimension contemporaine de la série, dans laquelle Astier entend transmettre des valeurs telles que le non-recours à la violence, à la torture, à la peine de mort, etc...

41 Arthur et la Question, Livre I, épisode 13.

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Nous avons interrogé les fans de Kaamelott à propos de la spécificité de l'écriture d'Astier sur l'absence de scènes sulfureuses, contrairement à d'autres séries médiévalisantes :

« Il me semble bien avoir entendu Astier critiquer la série Rome dans laquelle il y a sexe et violence à gogo car justement ça ne l'intéresse pas de remplir de la pellicule avec des scènes de cul qui remplacent le propos. Il s'est un peu plus cassé le ciboulot que les pompes à fric facile où les paires de nibards et les miches te garantissent l'audience »

« La série Game of Thrones est adaptée du bouquin, ou violence et sexe sont bien omniprésents et utiles à la trame de l'histoire. Pour les Vikings, leur culture est particulièrement axée sur la guerre, la violence et les conquêtes (sexuelles également) donc dans un réalisme bien poussé, History Channel nous a offert un bon résultat (le travail sur les langues anciennes, les différentes cultures et la diplomatie ancienne est remarquable). Enfin au Moyen Age ou fin de l'Antiquité, la violence, la guerre, les maladies et le sexe régissaient tout de même pas mal le monde, dans un souci de réalisme, je vois mal comment adapter une histoire de ces périodes en s'en passant »

« Je pense qu'il faut respecter chaque époque et civilisation...On ne peut pas, aujourd'hui, avec le recul que l'on a, s'outrer du passé ! Il faut l'accepter et laisser la bien-pensance de côté ! Merci à Game of Thrones, Vikings, Kaamelott de nous retracer des histoires à des époques différentes enrichissant nos visions ! Merci »

« C'est dans les dialogues qu'il existe une violence sous-jacente lorsqu'il est question de tout cramer ou d'arracher des noix ou d'assister à un écartèlement. Le sexe ? Il est suggéré plutôt qu'autre chose même si à un moment, l'idée d'un "canard" est avancée par Arthur. Avec les ingrédients sexe et violence, Kaamelott perdrait sa saveur... »

Ainsi, les téléspectateurs de Kaamelott semblent admirer le fait qu'Astier ait laissé de côté l'aspect sulfureux et accrocheur des séries américaines au profit d'un scénario singulier en son genre, qui mise tout sur le propos, même lorsque le ton humoristique est progressivement amoindri. Cependant, il semblerait que la confusion entre réalité médiévale et représentation médiévaliste, objet de réflexion central de cette première partie, soit le même que chez le téléspectateur outre-Atlantique. Le public remercie ces séries de les éclairer sur une réalité, certes difficile à regarder avec notre regard contemporain, mais toujours juste au niveau historique. Or notre réflexion a démontré qu'il ne s'agissait que d'une vision fantasmée et non exacte de l'histoire. Nous y reviendrons plus tard, puisque la dernière partie de cet essai abordera une réflexion sur

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le caractère historiquement trompeur de ces séries, induisant une pédagogie en partie nuisible à la connaissance populaire.

Autre exemple de déconstruction, qui cette fois rend à la fois hommage à la légende, celui de la naissance d'Arthur, épisode essentiel car il justifie sa légitimité en tant que roi de Bretagne, fils du roi Pendragon. Pour rappel, la légende selon Geoffroy de Monmouth raconte qu'Uther Pendragon, roi du Royaume de Logres, réclame à son enchanteur Merlin une potion de polymorphie lui permettant de prendre l'apparence de l'époux d'Ygerne, afin de la violer sans qu'elle ne se méfie. C'est de cet épisode assez cruel et sombre que nait Arthur. Alexandre Astier reprend cet épisode tel quel dans les faits, mais à contre-pied en tournant une scène d'Arthur et Guenièvre en dérision :

Arthur est en train de se déshabiller assis au bord du lit. Guenièvre est sous les draps, inquiète.

Guenièvre : Qu'est ce qui me dit que vous êtes bien le roi Arthur, mon mari ? Arthur : Qu'est-ce que vous me chantez ? Vous avez picolé ou quoi ?

Guenièvre : Ygerne m'a raconté le subterfuge de Pendragon, figurez-vous. La potion de Merlin, la métamorphose, tout !

Arthur : Ah ! Encore ces vieilles conneries... Guenièvre : Quoi, vous n'y croyez pas ?

Arthur : J'en sais rien... C'est un peu tiré par les cheveux, je trouve. C'est quand même un peu facile de tromper son mari et de dire à tout le monde « Ouais, c'est pas ma faute, il avait la même tête ! » Non et puis Merlin, il arrive déjà pas à monter des blancs en neige alors une potion de polymorphie, permettez-moi d'avoir des doutes.42

Cet extrait montre bien que l'auteur rend hommage à la légende en l'évoquant de manière assez exacte, tout en déconstruisant sur le ton de l'humour le mythe de sa naissance. Pour l'auteur, il n'est pas question de modifier les épisodes de la légende, surtout ceux décisifs à la trame de récit, qui de surcroit sont connus du public averti qui s'intéresse de plus près au mythe. De plus, le créateur de Kaamelott met en avant le caractère intemporel et intergénérationnel des mythes populaires, en donnant à ses personnages la pleine conscience que leur destin exceptionnel est écrit et qu'ils se doivent d'être des héros car leur vie et leurs faits d'armes

42 La potion de polymorphie, Livre 1, épisode 81.

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seront un modèle de vertu à transmettre pour les siècles à venir. Ce n'est pas du tout le cas des héros des récits médiévaux qui sont héroïques par nature. Chez Astier, les personnages s'efforcent d'agir en héros pour écrire leur propre légende, ce qui participe au comique :

Père Blaise : Non, mais je crois qu'on s'est mal compris, là... Vous avez une idée du temps qu'il me faut pour tracer une lettre avec ces putains de plumes ?

Léodagan : Personne vous demande de tout noter, aussi ! Arthur : Ah si ! Pardon, c'est moi qui demande !

Calogrenant : On se demande bien pourquoi.

Père Blaise : Pour vous faire entrer dans la légende. Parce que je vous rappelle qu'entre vos chevaux morts et vos chevaux malades, moi je dois faire une légende !43

On note ainsi que la dimension de transmission de la légende est capitale pour l'auteur, qui joue sur une sorte de mise en abyme, par laquelle Arthur entend transmettre la légende à la postérité, tout comme Astier prend à coeur de transmettre la légende à ses contemporains. Une part importante des épisodes des premiers livres gravitent autour du recueil des aventures (ratées) des uns et des autres, enjolivées au possible par Père Blaise, afin de bâtir la légende. Cela participe également de l'appropriation du récit.

Au-delà du « père fondateur » de la série, les acteurs aussi ont eu pour mission de s'approprier un matériau dont ils n'ont, pour la plupart, que de vagues souvenirs : Anne Girouard, n'a qu'un souvenir de scolarité de Guenièvre et de sa romance avec Lancelot, Jacques Chambon s'est lui inspiré du film Excalibur de John Boorman pour modeler le personnage de Merlin. Quant aux acteurs dont les rôles ne sont pas repris de la légende, comme Le Tavernier ou le bandit Venec, leurs interprètes se confient sur la connaissance qu'ils avaient de la légende avant même de commencer à tourner Kaamelott.

Loïc Varraut : « Non, j'étais pas du tout familier du cycle arthurien avant, j'ai essayé de m'y plonger effectivement, notamment dans le livre originel de Chrétien de Troyes, de me plonger dans cette mythologie. Mais très honnêtement, j'ai baissé les bras devant la multitude des textes et des interprétations. C'était une légende qui n'avait de cesse d'être réinventée. »

Alain Chapuis : « En fait, j'ai fait des études d'histoire avant et j'étais intéressé d'une manière générale par la légende, les légendes, comme point de départ pour broder

43 Enluminures, Livre 1, épisode 51.

autour. Je trouve ça assez intelligent d'avoir tout un canevas où les personnages sont là et existent. » 44

Ainsi, pour Alexandre Astier, il s'agit d'apporter sa pierre à l'édifice, chose qu'il ne prend pas du tout à la légère :

« J'ai surtout passé un contrat avec la geste arthurienne. Il y a une responsabilité. Quand tu prends le sac à dos, tu peux pas faire n'importe quoi. J'ai pas envie, sur mon lit de mort, de dire : « Ah oui, j'ai fait un truc sur le roi Arthur, et puis j'ai aussi fait le biopic d'untel ». Non, Kaamelott n'est pas une chose parmi d'autres. La légende arthurienne est faite pour être remâchée à tous les siècles, par plein de gens. Des bons, des mauvais, des couillons... Parfois on me demande si j'en ai pas marre d'être associé au roi Arthur. Non mais tu rigoles ? Pour un mec qui veut écrire et raconter des histoires, c'est génial ! » 45

Ainsi, Alexandre Astier, apporte une nouvelle dimension à la légende. On retrouve d'ailleurs au générique du Livre I un détail non sans importance, les mots « une série forgée par Alexandre Astier ». Ce dernier se présente comme l'énième transmetteur d'une légende alimentée au fil des siècles, dont il a lui-même forgé une nouvelle facette, pour que jamais le matériau ne s'épuise. En effet, la légende, par définition, a vocation à alimenter de génération en génération l'imaginaire collectif, par sa capacité à s'adapter aux questionnements de chaque époque, lui permettant d'être toujours actualisée. Se créer ainsi tout un monde autour de la légende, faisant de cette dernière une base de création inépuisable. En effet, on trouve tout autour de nous des oeuvres de la culture populaire qui continuent à alimenter un imaginaire collectif que nous avons de l'époque médiévale : films, séries, romans, musiques, jeux vidéo, figurines, jeux de société ou encore produits de consommation sont élaborés afin de satisfaire une sorte de fascination pour ce monde.

41

44 Voir annexe numéro 1

45 Interview d'Alexandre Astier à Première, Septembre 2020.

42

II. Méthodes de création et de narration, facteurs capitaux pour

conquérir le public

A. Une singularité qui repose sur un mélange des genres parfaitement équilibré

En effet, il est temps de nous concentrer davantage sur la série Kaamelott, afin d'analyser les procédés techniques de sa création ayant permis d'en faire une oeuvre singulière du paysage télévisuel français. Tout d'abord, il est essentiel de revenir sur les procédés de l'écriture sérielle pour comprendre comment est écrite une série à succès. En effet, les réalisateurs se réapproprient des textes théoriques remontant à l'antiquité, époque de l'invention de la dramaturgie. Aristote, dans La Poétique, expliquait :

« Notre thèse est que la tragédie consiste en la représentation d'une action menée jusqu'à son terme, qui forme un tout et a une certaine étendue ; car une chose peut bien former un tout et n'avoir aucune étendue. Un tout, c'est ce qui a un commencement (arkhé), un milieu et une fin (teleuté) [...] Ainsi les histoires (mûthos) bien constituées ne doivent ni commencer au hasard, ni s'achever au hasard, mais satisfaire aux formes que j'ai énoncées ». 46

Ainsi, il n'est pas surprenant qu'un scénariste rigoureux comme Alexandre Astier retravaille cette théorie initiale des trois temps du récit lors de l'écriture de chaque épisode, jusqu'à rendre un hommage très explicite à Aristote dans un épisode diptyque intitulé tout naturellement « La Poétique ». Dans cet épisode s'opère une sorte de mise en abyme, dans laquelle Arthur, désespéré par l'incapacité de Perceval à raconter correctement ses aventures qui doivent être mises par écrit, décide de lui donner une leçon de narratologie :

Arthur : La légende c'est : qui mérite d'être lu. Quand on fait une histoire à un copiste pour qu'il en fasse trois exemplaires, que ça va lui prendre trois mois et que ça va coûter la peau des fesses, c'est pas pour raconter le temps qu'il fait ou ce que vous avez bouffé le midi, hein. Faut qu'ça pète !

Perceval : C'est pour ça, je mets des vieux.

Arthur : Déjà, une histoire, y faut bien la commencer. Bon euh... je vais pas vous citer Aristote -

Perceval : Qui ça ? Arthur s'interrompt.

46 Aristote. trad. R. Dupont-Roc et J. Lallot. (1980). La Poétique. Seuil, Paris, p.59

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Arthur : Aristote... Non, non non, mais c'est bon, vous connaissez pas ; c'est pas grave.

Perceval : C'est pas celui qui a écrit La Poétique ? Arthur (étonné) : Euh... bah si. Si, si si, carrément. Perceval : Non mais je savais ça.

Arthur : Mais vous l'avez lu La Poétique ? Perceval : Non, j'sais pas lire.

Arthur (interloqué) : Mais vous savez quand même que c'est Aristote qui a écrit La... (Il se reprend) Non mais c'est bon, ça va. On s'en fout. Donc... Aristote dit qu'un tout est ce qui est constitué d'un début, d'un milieu, et d'une fin. C'est pour ça qu'y a l'histoire des trois actes.

Perceval : Les trois actes c'est les bonnes femmes qui sont mi-taupes, mi-déesses et qui ont forcés les mecs de Bethléem à construire les pyramides.

Arthur se fige pendant un moment.

Arthur : ...donc, il faut avoir un bon début. Ce matin en réunion, première erreur : dès le début, on pigeait rien.

[...]

Après de longues explications, Perceval ne comprend toujours rien. Arthur fait calmement un exposé en déplaçant des objets sur la table.

Arthur : Arthur vous invite. C'est l'incident déclencheur. Acte deux, il vous explique mais vous ne comprenez rien. De plus, vous lui cassez les couilles, modèle géant, et il vous exprime son agacement. Il baisse doucement la tête de Perceval dans le plat de yaourt. Pardon, baissez-là, baissez un peu. Allez-y. Bougez pas... Relevez doucement. Le visage de Perceval est recouvert de la mixture. Bougez pas... Voilà. Il utilise une cuillère pour dégager les yeux de Perceval. Est-ce que vous comprenez un p'tit peu le principe ou pas ?

Perceval : C'est Aristote, ça ? 47

Si Astier rend hommage à Aristote, montrant nécessairement que l'écriture sérielle, qui « s'inspire» de La Poétique pour appréhender les règles de l'écriture dramatique, n'a aucun secret, qui plus est, pour un homme de théâtre comme lui, la narratologie est une discipline qui s'est depuis développée et offre d'autres grilles de codification, plus élaborées.

Un traducteur de La Poétique, l'abbé Charles Batteux, avance au XVIIIe siècle :

« On trouve [chez Aristote] la nécessité de mettre dans un poème une action, et une action qui soit unique, entière, qui ait un noeud, un dénouement ,
· qui soit vraisemblable, intéressante ,
·

47 La Poétique, Livre III, épisode 12.

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dont les acteurs aient un caractère, des moeurs, un langage convenable, accompagné de tous les agréments que l'art peut y ajouter ».

Si l'on rapporte cela à Kaamelott, Alexandre Astier prend soin de conserver ces bases. L'action unique qu'est la quête du Graal est semée de péripéties à surmonter, jusqu'au dénouement qu'est la chute du royaume. L'intrigue est longue, riche, et les personnages qui alimentent l'action sont très complexes, tous très singuliers dans leur caractère. Dans Kaamelott, l'agrément supplémentaire étant ce qui fait la singularité de la mise en scène de légende arthurienne : l'humour. Nous reviendrons sur cette spécificité un peu plus tard.

Pour l'heure, voyons comment se structure l'action dans un épisode court de Kaamelott, en prenant comme épisode témoin « Feu l'âne de Guethenoc ». D'une part, l'épisode peut se découper en 3 actes, selon la théorie aristotélicienne, d'autre part, il se calque aussi sur les séquences plus détaillées du schéma actanciel, mis au point dans les années 1960 par le sémioticien Greimas, d'après les travaux du folkloriste russe, V. Propp 48 :

Début

Milieu

Fin

 

Nouement
(Desis)

Renversement
(Métabasis)

Dénouement
(Lusis)

 

Situation initiale

Complication

Action

Résolution

Situation finale

1

2

3

4

5

1. Arthur et Lancelot, discutant debout devant la porte de la salle de doléances, apprennent qu'ils ont beaucoup de travail aujourd'hui et se demandent si permettre aux gens de venir se plaindre est vraiment une bonne chose.

2. Se présentent deux paysans, Guethenoc et Roparzh et dont l'un est venu se plaindre que les chiens de l'autre lui ont tué un âne, qui était sorti de son pré et s'était retrouvé sur celui du voisin.

3. L'un demande compensation, l'autre refuse. Le ton monte crescendo : Guethenoc menace de faire flamber la grange de son voisin, alors que Roparzh lui répond qu'il va lâcher ses chiens. Chacun hurle tour à tour pour répondre aux provocations et aux insultes de l'autre.

4. Pour faire cesser la dispute, Arthur, à bout de nerfs, se met dans une terrible colère et leur jette une bourse en hurlant qu'ils pourront s'en acheter plein, des ânes. Les deux paysans prennent vite l'argent et se sauvent en courant.

48 Greimas, A.J. (1966). Sémantique structurale : recherche et méthode, Paris, Larousse.

45

5. Le calme est revenu, Arthur s'excuse face à la remarque de Lancelot, qui lui suggère d'arbitrer plus raisonnablement la prochaine fois. Lancelot annonce alors au grand désespoir du roi que la prochaine doléance ne sera pas plus prestigieuse : un jeune homme déclare être inquiet car il a perdu des oeufs.49

En plus du croisement entre les théories aristotéliciennes et le schéma actanciel plus moderne comme l'a montré le tableau ci-dessus, on retrouve aussi une logique pyramidale dans la construction du récit, avec un crescendo (soit nos points 1-2-3), un climax (4) et une phase de retour à un état d'équilibre (5).

En outre, chaque épisode suit un modèle narratif dit séquentiel, défini par un enchaînement de situations plus ou moins parallèles, comme des scènes au lit, à table, à la taverne, au camp militaire, etc... et un rythme rapide des plans et des répliques. 50 Au-delà des microstructures narratives qui forment chaque épisode, on note aussi une structure plus générale, motivée par un programme de quête, celle du Graal, qui se solde par un résultat négatif, mais également un processus de transformation avec une suite d'événements progressant vers une fin, ici le basculement du royaume vers sa fin, qui se solde par la prise de pouvoir par le tyran Lancelot.

Au-delà de la structure rigoureuse de chacune des intrigues, ce qui fait la spécificité narrative de Kaamelott, c'est l'équilibre parfait qui règne entre le mélange des genres. Tout d'abord, un équilibre entre humour et drame. En effet, ce qui fait de Kaamelott une série si particulière, c'est cette prise de parti d'Alexandre Astier d'aborder la légende arthurienne par le prisme de la comédie. On parlera de décalage, de déconstruction du mythe, autrement dit, le créateur prend le contrepied de tout ce qui est communément admis en manière de codes chevaleresques, de bienséance, de solennel. Par exemple, Astier n'hésite pas à mettre sur le même plan, un chant liturgique solennel en première partie d'épisode et une chanson populaire en seconde partie, pour montrer qu'il ne hiérarchise pas culture populaire et culture savante. 51 Cette remise en question du sacré et des symboles, c'est bien ce qu'Astier disait à propos de la noblesse inhérente à la légende, qu'il doit nécessairement représenter pour pouvoir mieux la déconstruire, et ainsi provoquer le rire par le décalage des codes. En voici une illustration :

49 Feu l'âne de Guethenoc, Livre I, épisode 62.

50 Structure quinaire définie par Paul Larivaille.

51 La Quinte Juste, Livre II, épisode 55.

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Un billet annonce la mort de Perceval, le roi Arthur et les chevaliers Léodagan et Karadoc, pris d'insomnie, discutent du fait qu'ils croient encore entendre la voix de leur défunt camarade dans leur tête.

Arthur : Hum, non mais moi c'est mieux que ça quand même. C'est comme s'il m'encourageait, à repenser certaines choses. Vous voyez ? La Table Ronde, tout ça. Comme si je m'étais trompé quelque part.

Léodagan : Il la fallait pas ronde finalement ?

Arthur : Il faut sans arrêt, corriger les choses. Ne jamais se reposer sur ses acquis, voilà. C'est ça que j'ai l'impression de...

Léodagan : Il vous dit vraiment ça ?! (Dit-il étonné).

Arthur : Non c'est, c'est moi qui ressent ça. Je vous dis que c'est flou. [...]

Arthur et Lancelot sont assis dans une des salles du château, devant un feu de cheminée. Musique émotionnelle en fond.

Arthur : On va reprendre les choses en main seigneur Lancelot. Lancelot : C'est à dire sire ?

Arthur : Je crois que j'ai eu une, une petite baisse de foi ces derniers temps. Vous savez le Graal y a des jours, il me parait tellement loin.

Lancelot : Qu'est-ce que vous comptez faire sire ?

Arthur : ... Perceval me parle. Croyez-le ou non, c'est comme ça. Si lui a pu me redonner la foi... je dois pouvoir la redonner aux autres.

Lancelot : Et si notre coeur n'était pas assez pur ? Si nous n'étions pas dignes de convoiter le Saint Graal ?

Arthur : Je sais que nous sommes de taille.

Lancelot : Comment pouvez-vous en être aussi sûr ? Arthur : ... Perceval me le dit.

[...]

Plus tard, le roi s'adresse aux jeunes chevaliers. On devine qu'il a expliqué le caractère mystique du Graal et la promesse de Salut à qui le retrouvera.

Arthur : Et c'est pour ça que le Graal, n'est pas une simple coupe. Vous comprenez?

Gauvain : Oui mon oncle.

Yvain : C'est magnifique.

(Perceval s'avance vers eux, avec des sacs sur l'épaule).

Perceval : Sire.

Arthur : ... Oh la vache. Non seulement je l'entends mais je le vois maintenant.

Perceval : C'est moi !

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Arthur, reprenant ses esprits : Mais, mais vous êtes pas mort espèce de connard ?!

Perceval : Non mais comme j'étais hyper malade, j'ai dit à mon oncle, écrivez-leur
que je suis mort, ça sera fait. Et finalement j'ai gerbé, gerbé, gerbé et là ça va mieux.

Arthur : Soupir. Oubliez ce que je vous ai dit, le Graal c'est de la merde. 52

Ainsi, le ton très solennel de l'épisode, dans lequel le chevalier qui se sent intimement lié à son camarade disparu et guidé par sa grande destinée pour accomplir de nobles choses, est complètement anéanti par l'effet de chute d'une action ridicule, parce qu'elle est ordinaire. En effet, on n'attend pas d'un chevalier de la Table Ronde qu'il soit malade, et encore moins de symptômes aussi triviaux. Cela permet habilement de montrer l'écart de ton entre le solennel et le familier.

Autre procédé pour susciter le rire, l'absence de réussite et donc de prestige. Tout ce qui est entrepris se solde, d'une manière ou d'une autre, par un échec : les sorts et potions de Merlin, les missions incognito en territoire ennemi, les expéditions à la recherche du Graal... et même les tartes aux fruits de Dame Séli. Couplé à l'incompréhension systématique des personnages face à des situations très simples, l'effet de rire est assuré. Si Kaamelott est une comédie, c'est, comme les comédies de théâtre, parce que ses personnages ont des défauts ou des vices qui sont accentués à l'excès : Perceval ne comprend jamais rien, Karadoc se goinfre, Léodagan est colérique, Merlin est un enchanteur raté, le roi Loth un hypocrite obsédé par le complot, etc... Pourtant, le ton sérieux refait parfois surface, notamment au livre V et montre qu'Astier n'a pas voulu réduire la légende arthurienne à une farce, dans laquelle seul le comique familier voire grossier fait rire. L'intrigue principale est complexe et nécessite un traitement sérieux si l'on veut en rire. Autrement dit, pour rire de l'échec de la quête du Graal, il ne faut pas en minimiser l'importance. C'est peut-être pour cette raison que le ton résolument sérieux, même dramatique des livres V et VI, montre qu'Arthur, en dépit de ce que le spectateur pouvait penser, à une responsabilité colossale qui lui a été confiée, et qui le dépasse, au point d'attenter lui-même à ses jours. Ce changement de ton est aussi ce qui fait la richesse et la spécificité de la série. On peut ainsi être confronté à ce type de discours sombre et dramatique dans les derniers livres :

Guenièvre, parlant de la tentative de suicide d'Arthur : Le sang qui vous manque, moi je l'ai vu, hein. [...] Le sang qui vous manque, je l'ai vu. Je dors avec ma mère maintenant, en Carmélide, toutes les nuits. Parce qu'à chaque fois que je ferme les yeux, je vois tout le sang qui vous manque par terre, avec vos coupures au poignet, et puis vos yeux vides... Alors, vous m'avez jamais avoué que vous vous étiez marié une

52 Always, Livre II, épisode 50.

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première fois, hein, mais ça, vous me l'avez laissé voir. [...] Oh si, si, si, si. Y'en a, d'autres, hein, des moyens de se buter. Se jeter du haut d'une falaise, par exemple, ça, ça emmerde personne. Mais vous, c'est pas ça que vous avez fait. Vous vous êtes ouvert les veines dans un bain que j'avais moi-même fait couler.

Arthur, hochant la tête : Peut-être... Guenièvre : Peut-être quoi?

Arthur : Peut-être, que j'ai voulu vous empêcher de dormir, vous et les autres. Peut-être que j'ai voulu empêcher tout le monde de fermer l'oeil. Peut-être que j'ai voulu vous mettre la faute sur le dos

Arthur : Qu'est-ce que c'est que quelqu'un qui souffre, et qui fait couler son sang par terre pour que tout le monde soit coupable ? Tous les suicidés sont le Christ, et toutes les baignoires sont le Graal. 53

Ici, le ton sérieux et la profondeur des dialogues sont dignes d'une tragédie. Pourtant, nous sommes toujours dans Kaamelott, bien que l'on soit parfaitement à l'opposé des querelles superficielles des premiers livres. C'est certainement ce qui fait de Kaamelott une série à la structure narrative solide, qui évolue au fil des saisons. Cette série, par son équilibre entre sérieux et comique, drame et humour, solennel et familier, a su trouver son public : certains l'aiment pour les courtes séquences humoristiques, d'autres affirment à juste titre que Kaamelott, c'est bien plus que ça. Et c'est probablement parce que son créateur est polymorphe (dialogiste, comédien de théâtre, monteur, réalisateur, musicien) que la série revêt autant de facettes. Clément Pélissier, à propos du mélange des genres dans Kaamelott, affirme :

« La noblesse est là, la légende est là et le solennel s'invite aussi. Pourtant, tout cela est contrebalancé, équilibré et nuancé sans cesse par le pragmatisme, la sincérité de parole ou la maladresse des protagonistes. » 54

Cet équilibre qui fait le succès de la série, nous le retrouvons aussi dans sa structure, à mi-chemin entre théâtre et petit écran. En effet, si tous les livres sont structurés de manière très théâtrale, comme nous l'avons vu avec l'intrigue en cinq actes, mais aussi avec les codes de la comédie et de la tragédie grecque, Astier manifeste encore plus explicitement l'importance des théories d'écriture théâtrale dans sa conception de la série. Plusieurs fois le réalisateur fait référence à ces textes, notamment dans l'épisode intitulé « Pupi »55, faisant référence à l'operae

53 Dies Irae, Livre VI, épisode 9.

54 Pélissier, C. (2021). Explorer Kaamelott : Les dessous de la Table ronde. Third éditions.

55 Pupi, Livre II, épisode 83.

dei pupi, l'opéra des pantins, une catégorie de théâtre sicilien qui reprend généralement des classiques médiévaux. On peut y voir la foule du peuple, ainsi que Karadoc et ses enfants assister à une pièce de marionnettes, dont chacune représente un des membres de la cour. Ainsi, Astier nous montre à voir une sorte de mise en abyme de ce qu'est la légende arthurienne : une histoire de nombreuses fois réécrite, remaniée, transmise au public sous forme de tragédie, de comédie, de conte pour enfants. Autre réflexion autour de ce qu'est la série, l'épisode « Guenièvre et Euripide » 56, dans lequel la reine s'est mise en tête de jouer le rôle de Cassandre, personnage de la tragédie Les Troyennes. Arthur, essayant de lui faire comprendre comment aborder ce personnage à qui on a ôté la faculté de persuasion, lui demande de rapporter cela au fait de le persuader qu'elle ne l'a pas épousé par intérêt. Cet épisode très réfléchi montre que le théâtre est omniprésent dans la galaxie mentale d'Astier et qu'il en nourrit son oeuvre. Au-delà des clins d'oeil et réflexions au théâtre, le réalisateur fait également peser la narration sur des procédés théâtraux et notamment le travail entre les acteurs et les personnages.

En effet, ce dernier confronte tout le long de la série des personnages entre-eux, empruntant ce schéma aux dialogues de théâtre, où la confrontation des personnages est permanente et à l'origine même de la construction du récit. C'est en cela qu'Astier instaure un équilibre entre expérience dramaturgique passée et réalisation télévisuelle présente. On pourrait notamment citer la mobilisation de la théorie de Steve Kaplan, ayant théorisé le rire par la confrontation entre personnage sérieux et personnage dit « troublé »57. On pense tout de suite à Arthur, seul personnage sérieux, dépassé par ses confrontations avec d'autres personnages tous plus insensés et tumultueux. Difficile de ne pas l'associer au film Le Dîner de cons de Francis Veber, fonctionnant sur cette même théorie empruntée au théâtre. On voit donc qu'Astier adapte ce qu'il sait faire à la caméra et appuie toute sa réalisation autour de ce noyau dur qui participe aussi de l'identité de Kaamelott. Dernière marque du théâtre, et non des moindres, l'attention particulière apportée au texte, qui sera l'objet d'étude de la suite de notre réflexion.

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56 Guenièvre et Euripide, Livre III, épisode 37.

57 Kaplan, S. (2016). L'écriture d'une comédie: Les outils indispensables. Dixit éditions.

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B. La maîtrise des mots : des dialogues particulièrement travaillés, entre héritage et modernité.

En effet, au théâtre comme à l'écran, les dialogues sont essentiels au scénario. Jacques Feyder explique :

« Au théâtre, la situation est créée par les mots ; au cinéma, les mots doivent surgir de la situation ». 58

Pourtant, Kaamelott est une série qui est principalement constituée par le dialogue, et c'est plutôt, comme au théâtre, les mots qui provoquent les situations. En effet, aucune scène (exceptés aux deux derniers livres) ne montre des personnages en action, qui se déplacent physiquement d'un lieu à un autre, tout comme au théâtre. Toutes les actions y sont racontées au travers des dialogues. Alexandre Astier le dit lui-même, justifiant la profusion des dialogues et l'absence de didascalies dans ces textes, dont il se moque volontiers :

« Ça vient que Kaamelott, surtout les premières saisons, c'est que du dialogue. J'explique. Quand vous avez la politesse de mettre un peu d'action muette dans vos films américains, vous rédigez de jolies didascalies : John entre dans la cabane de son père et reste quelques minutes pétrifié par ses souvenirs. [...] Au dehors le Marshall Hudson lâche un pet. Mais quand - comme votre serviteur pour Kaamelott - vous faites causer vos mecs assis sur des chaises ou en train de bouffer, la didascalie c'est " Pipo et Molo sont en train de bouffer" »59

En cela, on pourrait la rapprocher des séries dites « sitcom » ou situation comedy, qui sont à dominante humoristique, caractérisées par des épisodes courts et ayant une unité de lieu, c'est-à-dire quelques décors récurrents qui permettent de produire à moindre coût. Dans Kaamelott, l'outil narratif qu'est le dialogue représente une part essentielle du scénario, permettant à l'histoire de se dessiner, aux émotions de faire surface afin de caractériser chaque personnage

sans même les décrire.
D'habitude, le dialogue à l'écran permet de caractériser un genre et une époque : vocabulaire et expressions employées, élocution, ton distingué, familier, enfantin, etc... A l'exemple de la comédie Les Visiteurs, Jean-Marie Poiré choisit d'y caractériser le Moyen Age par des personnages qui parlent fort, sur un ton grossier, un vocabulaire brut, insistant sur une certaine

58 Dans Pour Vous, Juin 1929, cité par Chevassu, F. (1972). L'expression cinématographique: Les éléments du film et leurs fonctions. P. Lherminier, p.136

59 Avant-propos d'Alexandre Astier, tome I des scripts intégraux.

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diction très marquée, avec beaucoup de cris, et ce afin de coller avec l'horizon d'attente du spectateur. Astier, une fois de plus, prend le contrepied de ces clichés en travaillant des dialogues au vocabulaire très contemporain au nôtre, en insistant sur du langage grossier mais jamais trop vulgaire, juste sur le fil pour faire rire le spectateur, dont en voici quelques exemples : « un jour je vais lui fumer sa gueule à ce connard », « je saurais plus où les foutre, les merdes », « non sans déconner sire », « chaque année on crame toutes les geôles, la saloperie est éliminée », « votre état fédéral il vaut de la merde » « cette grosse pouf de duchesse de Calédonie » « Vous êtes vraiment un emmerdeur ! », « J'suis dans l'armée, je tiens pas un stand de crêpes ! », etc... Seuls les personnages de Gauvain et Yvain sont parfois dotés d'un vocabulaire soutenu empreint de médiéval, ce qui contribue au décalage avec les autres personnages :

« Femme, cesse donc de nous esbaudir les oreilles. Olala, il suffit » ou « Seigneur Bohort, pouvons-nous nous retirer afin d'aller prendre notre goûter ? ».

Cette modernité dans les dialogues et ce franc parler permet de rendre les personnages très familiers aux téléspectateurs, crédibles, et nous permet donc de nous identifier aux situations comiques des épisodes. D'ailleurs, on remarque que 55,3% du public interrogé affirme pouvoir citer des répliques de Kaamelott à chaque fois que la situation s'y prête, et 39,2% en connait plus d'une dizaine60. En somme, une immense majorité des téléspectateurs est attachée aux dialogues au point de les retenir, ce qui est chose rare dans une série de plusieurs centaines d'épisodes où les répliques s'enchainent relativement vite. Alain Chapuis confie même « qu'il il y a des gens qui sont complètement radicalisés à Kaamelott, qui connaissent tout par coeur. Ils nous croisent et ils nous citent des anecdotes, des répliques. C'est une passion. Nous on a tourné ça il y a douze ans, donc on ne connaît plus forcément tout par coeur »61. Cela est notamment provoqué par le fait que le texte soit pensé pour « sonner bien », comme une musique, chose que le cerveau a davantage tendance à retenir :

« J'écris dans le meilleur français possible pour qu'il ne soit pas trompeur pour l'acteur. Pour un mec qui est à cheval, comme moi, sur la métrique, je devrais tout faire comme ça, même souligner l'accentuation. » 62

60 Voir annexe numéro 10.

61 Voir annexe numéro 1.

62 Interview d'Alexandre Astier, tome I des scripts intégraux.

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Le texte a donc profondément marqué le public, notamment quelques citations devenues cultes pour beaucoup de français, à l'image du « c'est pas faux » de Perceval ou encore du « le gars c'est la vie » de Karadoc, des répliques sorties de leur contexte et réemployées au quotidien par nombre d'amateurs. C'est véritablement le décalage entre la noble légende et le langage familier qui créé l'attachement particulier pour cette série, qui ne ressemble à aucune autre. Astier a mis en oeuvre une recette qui fonctionne. En réalité, M6 a tenté de reprendre cette formule dans la série La petite histoire de France, qui est pourtant bien loin de connaître le même succès que Kaamelott. Cela relève de la maîtrise particulière d'Astier au maniement des mots, dont aucun n'est employé au hasard. Les théoriciens du dialogue de cinéma, tel que Jean Samouillan, s'accordent à dire qu'il n'y a parfois pas de formule préconçue, car certains dialogues ne rencontrent aucune « erreur » technique et sont pourtant mortellement fades. Ce dernier reprend les mots de Pagnol, en affirmant que souvent, la maîtrise des dialogues de cinéma relève d'un « don spécial » 63. Alexandre Astier serait donc un génie des mots. Alain Chapuis nous confiait d'ailleurs qu'il était très rare que les acteurs soient amenés à changer le moindre mot en performant, parce qu'ils n'en avaient nul besoin ; chaque mot était choisi avec beaucoup de justesse, témoignant du fait que l'écriture d'Astier soit très réfléchie et exigeante :

« On joue ce qui est écrit et on ne va pas en faire plus parce que ce serait idiot, il ne

faut pas essayer de changer le texte inutilement. Je pense que les gens se rendent compte de ça et se disent qu'il y a pas mal de respect par rapport au créateur. » 64

« Le bouquin [script publié] montre que sous la connerie de Perceval, il y a un texte et que c'est au mot près, pas au hasard » 65

Aucun terme n'étant employé sans s'assurer de sa pertinence, il est évident qu'Astier soit un amoureux des mots. Au cours des entretiens, chacun insiste lourdement sur la grande qualité de l'écriture d'Astier, d'ailleurs prise comme cas d'école par de nombreux professeurs, qui dispensent à leurs élèves certains dialogues de Kaamelott.

Pourtant, Astier a également su travailler les silences, qui sont tout aussi signifiants que les mots, mais a aussi réfléchi aux excès de paroles dont il dote les personnages. Ce trop-plein de dialogues, que certains pourraient reprocher à la série, est porteur de sens car il est révélateur du caractère des personnages :

63 Samouillan, J. (2004). Des dialogues de cinéma. Editions L'Harmattan.

64 Voir annexe numéro 1.

65 Alexandre Astier, entretien avec Vincent Raymond pour Le Petit Bulletin.

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« Les dialogues de Kaamelott tentent de rappeler une triste réalité de la vie : on parle souvent pour ne rien dire. Alors que Victor Hugo n'employait pas le moindre article sans qu'il fût indispensable à l'expression de sa magnifique pensée, les personnages de Kaamelott, au sortir d'une interminable conversation, ne se souviennent même plus du sujet traité, noyé sous le flot des futilités lexicales et des digressions systématiques »66

Kaamelott, c'est donc une série qui joue sur les mots, sur les différents moyens d'articuler les niveaux de langages, les excès, les silences. En somme, elle repose sur la pertinence du langage et les enjeux de son utilisation pour choquer, captiver, faire rire et fidéliser.

Mais l'on ne peut résumer les dialogues de Kaamelott aux mots. Kaamelott c'est aussi une maîtrise exceptionnelle de leurs enchainements, du rythme à travers les paroles. D'ailleurs, Astier confie en interview qu'il admire particulièrement les performances de certains acteurs, dont il s'inspire de la technicité :

« Ma mère m'a inoculé ça par la technique. Par la vitesse à laquelle il prononçait son premier mot, le surgissement dont il faisait preuve pour répondre à tel truc, alors que le mec d'en face n'était pas au même rythme. [...] C'est comme une performance sportive presque. Il y a deux personnes pour moi qui sont de l'ordre du surnaturel. Il y a Bernard Blier, pour la vitesse de son élocution, qui ne paye pas de mine comme ça, même si on sent qu'il parle vite. Mais si on essaye de le redoubler dans un Audiard par exemple, on se rend compte que c'est absolument impossible. Je n'ai pas une

mauvaise élocution, mais je suis incapable d'aller à cette vitesse, tous les « L » les « P » les « A » sont à la bonne place, tout est présent, c'est limpide et incroyablement rapide. De Funès, pour moi, a ce même surnaturel dans la vitesse de ces ruptures. Quand quelqu'un lance une réplique qui est censée susciter une rupture chez lui, on n'a pas le temps d'aller regarder ce que ça lui fait, il a déjà réagi alors que vous aviez encore les yeux sur l'autre. Il met le public en retard, De Funès. Il force les gens à lui courir après tout le temps ». 67

Ainsi, difficile de ne pas faire le rapprochement entre ce qui est dit et ce qui est accompli, sûrement avec grande modestie, dans Kaamelott. De nombreux dialogues jouent sur cette rapidité rythmique, probablement même inspirée par la musique. Si l'on reprend l'épisode dont nous avons précédemment étudié la structure, les répliques sont souvent courtes voire très courtes, à peine le premier personnage finit sa phrase que l'autre renchérit, l'accélération entre les répliques participe à la montée en tension de la dispute, et les expressions choisies au comique :

66 Avant-propos d'Alexandre Astier, tome III des scripts intégraux.

67 Entretien avec Alexandre Astier à propos de Louis de Funès, à l'occasion de la grande exposition Louis de Funès à La cinémathèque Française. https://youtu.be/sVWaeSA25kY

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? Rythme initial

Guethenoc : Attention, attention ! Y va arriver un moment y a des granges qui vont s'mettre à flamber faudra pas demander d'où ça vient !

Roparzh : Vous inquiétez pas Sire, j'ai l'habitude de gérer les petites querelles de voisinage ! Mes chiens à moi y visent les noix ! Direct !

Arthur : Dites-moi Guethenoc, juste une chose ? Comment se fait-il que votre âne se soit retrouvé sur le pré de votre voisin ? C'est pourtant pas la place qui manque chez vous.

Guethenoc : Un joli p'tit âne, pas sauvage pour deux ronds, Sire ! J'le laissais un peu se promener !

Roparzh : Et pis l'bestiau, pas folle la guêpe ! Ah ! C'est chez moi qu'il radinait ! Parce que vous avez pas vu mon pré ! Mais surtout vous avez pas vu le sien ! Tout boueux, des trous comme ça, d'la merde partout !

Arthur (ironique) : Tandis que chez vous...

Roparzh : Ah bah on parle pas la même chose ! Moi j'connais mon métier ! C'est pas compliqué, faites une visite chez lui vous verrez ! Y a un signe qui trompe pas : toutes ses bêtes sentent la pisse ! Et puis fort ! Déjà vous passez devant son portail, ça vous prend le museau là ! Nan, c'est pas du boulot.

Guethenoc : Moi j'suis dans l'agriculture j'suis pas parfumeur moi ! En attendant, les produits qui sortent de ma ferme on s'les arrache ! C'est pas comme tout le monde ! Hein, vous verriez ses fromages, à lui, des p'tits machins ronds tout noirs ! Pour les couper faut les balancer contre les pierres ! Hein ! Un truc à vous coller une chiasse de tous les diables !

Roparzh : Personne vous demande de'l' manger ! ? Première accélération Guethenoc : Ah bah encore une chance !

Lancelot : Silence ! Roparzh. Est-ce que vous avez un âne ? Guethenoc : Ah des ânes il a qu'ça oui, pour l'tour du ventre ! Roparzh : J'ai quelques ânes, oui. Pourquoi ?

Lancelot : Vous pourriez en donner un à Guethenoc par exemple. Roparzh : Quoi ? Vous voulez rigoler ? ? Seconde accélération Guethenoc : Ce serait pourtant la moindre des choses !

Roparzh : Mais Seigneur Lancelot, il avait au moins 75 ans l'sien, il était à moitié crevé !

Guethenoc (choqué) : Une bête magnifique ! Le poil luisant ! ? Troisième accélération Roparzh : Tout miteux ! Bourré de puces, les chicots moisis !

Guethenoc : Le museau racé ! L'oeil vif !

Roparzh : Une saloperie !

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Guethenoc : Une merveille !

Roparzh: J'suis sûr, mes chiens ont chopé le typhus ! Lancelot : Bon stop !!! ? Rupture

? Reprise du rythme initial

Guethenoc : Oh bah dites sire on s'connaît quand même maintenant hein ! J'ai quand même autre chose à faire qu'aller buter des vaches !

Roparzh : Ma vache est allée faire un tour sur son champ...

Guethenoc : Elle avait rien à foutre là déjà pour commencer, hein, et ça va bien qu'elle est morte toute seule, sinon j'lui foutais un coup d'fourche moi au bazar !

Roparzh : Et puis quand elle est revenue, elle avait chopé mais toutes les maladies qu'existent, d'un seul coup !

Guethenoc : Ouais ben c'est quand elle est arrivée, elle était en pleine forme, hein ! Elle avait déjà toute la partie arrière qu'était morte depuis quinze jours !

Roparzh : Y m'rembourse ma bête, ou ça s'ra un bain d'sang ! J'le génocide !

Guethenoc : Je lui rembourse le g'nou, et s'il a filé la vérole à mes bêtes, ah... j'suis, j'suis un marteau moi. Je crame tout moi. Ma ferme, la sienne, celle des autres, le château, j'vais flamber la moitié de la Bretagne.68

Ainsi, nous pouvons voir que le rythme n'est pas laissé au hasard pour participer au comique. Cette réflexion nous aura montré que la manière dont la série est narrée est importante pour la rendre accrocheuse aux yeux du public, notamment par ses nombreuses singularités que nous avons analysées. Néanmoins, après avoir questioné le fond, il nous faut également traiter la forme de cette série.

C. Un format contraignant qui se révèle être la force du programme

Kaamelott est une série au format assez particulier, participant largement au succès du programme. Le format court initial, de 3 minutes et 30 secondes par épisode, sous forme de petits sketchs donc, est particulièrement accrocheur et addictif, si bien que l'on peut rester devant la série devant plusieurs heures sans ressentir de lassitude. En effet, contrairement à des séries à épisode de plusieurs dizaines de minutes, qui laisse le téléspectateur se projeter au

68 Feu l'âne de Guethenoc, Livre I, épisode 62.

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moment où l'épisode prendra fin et où il arrêtera de regarder, le téléspectateur de Kaamelott se laisse entrainer par l'enchaînement de petits épisodes en se raccrochant toujours à celui qui suit. Il s'agit d'une stratégie marketing assumée de la part de la chaîne M6, diffuseur à l'origine de la création de la série.

En effet, c'est bien la série qui s'est adaptée au format au diffusion et non l'inverse. En 2004, la chaîne diffusait la série Caméra Café, une série humoristique au format court, qui commençait néanmoins à s'essouffler. Les programmateurs étaient donc à la recherche d'une nouvelle série adoptant ce format contraignant à réaliser, mais qui grandissait un succès télévisuel : à la même époque, la télévision française diffusait des programmes similaires, tels que Les Guignols de l'info, ou encore Un gars une fille.

De son côté, Astier met en oeuvre et présente un cout métrage de 14 minutes, Dies Irae, mettant en scènes les difficultés du roi Arthur à organiser la quête du Graal, une production qui remporte des distinctions dans les festivals de cinéma français et québécois. Remarqué par M6, et en particulier par ceux qui sont à l'origine de Caméra Café, la société CALT, Alain Kappauf, Jean Yves Robin et Yvan Le Bolloc'h, la chaîne propose à Alexandre Astier de retravailler l'idée au format de série courte en lui commandant une série d'épisodes pilotes, qui rencontreront son approbation. En 2005, Kaamelott remplace Caméra Café à son créneau de diffusion habituel,

20h35, heure de grande écoute pour la chaîne M6.
Ainsi, les bases narratives de Kaamelott sont posées conformément au format télévisuel à respecter, contraignant pour son créateur qui doit calculer la structure de chaque minute, mais qui a finalement conduit à ce qui a fait en partie, nous le constaterons bientôt en chiffres, son succès.

Au niveau de son ossature, le format est quasiment identique pour les quatre premiers livres, soit 399 épisodes de 3 minutes 30, marqués par trois coups de cornes sur fond noir, une saynète d'introduction, un générique annonçant le titre de la série, l'épisode en lui-même et un générique des crédits laissant la chute de l'épisode en voix off suivi d'une trompette de fin. Cette régularité dans le format habitue le téléspectateur à une régularité qui participe à sa fidélisation.

Kaamelott est donc initialement une oeuvre créée pour la télévision, mais elle va progressivement s'allonger et se rapprocher du format du long métrage cinématographique. En effet, dès la saison cinq, son créateur propose 50 épisodes de 7 minutes, un format intermédiaire toujours diffusable comme programme court sur M6, mais une version dite director's cut,

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autrement dit le montage choisi par le réalisateur, 8 épisodes de 52 minutes, est disponible en DVD.

On remarque déjà une divergence entre la complexité du format télévisuel à respecter pour garantir sa diffusion et la direction que le créateur souhaiterait donner à son oeuvre. Ainsi, le changement de format semble dû à la complexification de l'intrigue, qui nécessiterait de plus en plus d'être « racontée ». En effet, les courts sketchs dont le thème abordé variait à chaque épisode ne permettait peut-être pas suffisamment de relater le déroulement de l'intrigue, au fil

des péripéties qui s'ajoutaient et se complexifiaient.
Enfin, la dernière saison de Kaamelott, présente la genèse de la vie du jeune Arthur à Rome, quinze ans avant son arrivée au pouvoir en Bretagne. Les 9 épisodes arborent désormais un format long d'une durée de 40 minutes, plus classique des séries télévisées. La série est donc passée d'un format dit shortcom à une série qui permet de structurer une vraie unité narrative. Cette évolution est également concomitante avec le changement de ton évoqué précédemment, du comique au dramatique, mais aussi le changement d'époque, du début du Moyen Age à un retour à la fin de l'Antiquité.

Alexandre Astier témoigne de l'évolution du format lors de la promotion de la sixième et dernière saison :

« Cette saison est particulière dans les moyens et dans son format. C'est la dernière, c'est pousser le format au plus que l'on peut. On a dépensé chaque centime que l'on avait, et même ceux que l'on n'avait pas, pour que tout soit à l'écran. En France, actuellement [en 2009], sur une chaine comme ça on ne peut pas aller plus loin. [...] C'est la saison qui règle la télé et qui lance le cinéma ; qui achève son existence télé et qui saute sur un tremplin pour sa future existence au cinéma » 69

Ainsi, nous remarquons qu'Astier a fini par s'affranchir du format imposé pour amener sa série où il souhaitait l'emmener, en en changement radicalement le format, la structure et le ton, du sketch au court métrage, et vers le long métrage, quitte à perdre une grande partie de ses fidèles.

En effet, notre étude de terrain a montré que le changement de format et de ton a entrainé des réactions contradictoires auprès du public. Pour la plupart, le format qui les attire le plus à visionner Kaamelott est le format court à 76%, puis intermédiaire à 51,9 %, s'en suit le format série longue d'une quarantaine de minutes à 46,6 % et enfin le format long métrage à 40,2%.70 Ces données sont intéressantes car elles montrent bien la baisse d'intérêt relative à

69 Alexandre Astier interviewé sur le Livre VI de Kaamelott. https://youtu.be/8axqAnB_OG0

70 Voir annexe numéro 11.

l'allongement du format. C'est aussi le retour que nous fait Alain Chapuis en tant que comédien :

« Alors beaucoup ne pensent pas comme moi, mais je pense que le meilleur ce sont les quatre premières saisons. Cette écriture, surtout ce sens du dialogue là est absolument rare et incroyablement fort. Après, quand on est sur des choses plus longues comme la cinq et la six, pour moi ça a moins d'intérêt. Après je dis ça, mais j'ai revu la cinq et chaque scène est sympa, mais je trouve que ça se justifie trop. C'est bien plus flamboyant sur le 3 minutes 30 ou le 7 minutes des premières. Sur les 40 minutes ou 50 minutes, c'est le même type de tournage champ contre champ et un petit travelling de temps en temps. Mais comme c'est plus cinématographique, il faut casser le rythme du champ contre champ et du dialogue. C'est pour ça que je préférais la version courte dans laquelle il n'y a vraiment pas de « déchets ». Après il y a de très bons moments dans les deux dernières mais je les trouve un peu répétitifs. C'est mon ressentit. C'est tellement drôle les premières, avec un texte qui peut sonner, ça claque quoi (rires) » 71

Ainsi, les dernières saisons s'éloignent des premières, selon le comédien, car le rythme rapide des dialogues, si caractéristique de Kaamelott disparaît de plus en plus au fil des épisodes. Pour certains, la série a perdu ce que faisait son identité, pour d'autres, elle se tourne vers autre chose. Pourtant, Astier, conscient de la réaction du public, a tout de même mené sa série vers ce qu'il avait en tête, peut-être même depuis la production du court métrage Dies Irae 20 ans auparavant.

Au fil des épisodes, la création d'Astier a su conquérir des millions de téléspectateurs, mais pour diverses raisons, puisque la série fait rire, mais aborde ensuite des thèmes plus actuels, profonds et universels : adultère, parentalité, homosexualité, dépression, etc... La suite de notre étude portera donc sur les éléments ayant permis à la série de raisonner familier chez chacun des téléspectateurs, de les émouvoir, de les toucher, de les faire réfléchir.

58

71 Voir annexe numéro 1.

59

III. Sous couvert du rire, une oeuvre qui parle à tous et qui

touche à la sensibilité du public

A. Clins d'oeil à des références cultes et avatars contemporains, une écriture transtextuelle.

Nous l'avons donc démontré, Kaamelott est une série permettant l'immersion fictionnelle du

spectateur, en le faisant rire, mais pas seulement.
La partie suivante sera consacrée à ce qui touche à la sensibilité du spectateur, lui permettant de s'identifier à chaque épisode, se sentir concerné par ce qu'il voit à l'écran, impliqué même dans chaque épisode. Cela passe, dans un premier temps, par les nombreuses références à l'univers culturel du téléspectateur, qui, au moment où il les saisit, forge un lien particulier de complicité entre ce dernier et le créateur. Nathalie Catellani explique que « plusieurs lectures et interprétations s'offrent au public : une lecture de premier niveau où tout spectateur s'amuse du burlesque des situations et de la langue haute en couleur ; une lecture plus fine où le spectateur expert, en pleine connivence avec le réalisateur, perçoit l'intertextualité ou les multiples références ».72

Nous allons donc montrer que Kaamelott est une série extrêmement riche en références de la culture populaire, une culture chère aux yeux d'Alexandre Astier, qu'il ne considère absolument pas comme inférieure à la culture dite savante, bien que lui-même côtoie aussi beaucoup cette dernière (par la musique classique, mais aussi la littérature, il cite notamment de grands auteurs comme Victor Hugo et Choderlos de Laclos dans Kaamelott) ce qu'il confie au journaliste de l'INA :

« - Quand on dit que vous vous êtes inspiré d'heroic fantasy, de jeux de rôle, Star Wars, Astérix et Obélix, Monty Python, cinéma, théâtre, littérature, c'est vrai ? - C'est ce que j'appelle la culture geek. Je mets au même niveau une musique que j'aurais entendue en jouant à la [console] Méga Drive qu'une grand oeuvre classique »

« C'est très difficile d'analyser pourquoi Kaamelott pourrait plaire à tout le monde. Tout ce que je peux dire c'est que je ne juge rien et je ne place aucune culture au-dessus d'une autre. Donc je reçois avec énormément de plaisir le dernier épisode de

72 « Perceval et La Poétique d'Aristote », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire. pp 39-53

60

Star Wars et je suis un dingue des Vestiges du jour, parce que ça va très bien ensemble en fait ». 73

Dans Kaamelott, certaines références à la pop culture sont évidentes, alors que d'autres plus discrètes s'adressent à un public connaisseur. Ces références appartiennent notamment aux domaines du cinéma, de la musique, du jeu de rôle ou du jeu vidéo. Souvent, elles apparaissent dans le titre même de l'épisode : Gladiator, O'brother, Dream On, La Vie est belle, Poltergeist, Stargate, Le Professionnel, Cuisines et dépendances, L'Auberge rouge, Au service secret de Sa Majesté, La menace fantôme, Le Sixième sens, Le garde du corps, Heat, ou encore Alone in the dark, qui est une série de jeux vidéo et Le combat des chefs, titre d'un album d'Astérix, en sont les principaux exemples. Ces titres sont des clins d'oeil évidents à ce à quoi ils se rapportent, dont le lien, souvent tourné en dérision, fait sourire le téléspectateur qui connaît l'oeuvre originelle à laquelle il est fait référence.

D'autres références se cachent dans les dialogues. En effet, on pourrait noter que la manière de parler de Merlin fait parfois référence à celle d'Obélix, notamment dans les « Monsieur » prononcés « Môsieur », par exemple dans les répliques « Non Môsieur », ou encore « Il lui faut du sensationnel à môsieur Elias, il faut semer la mort et la destruction », déclamé par l'acteur Jacques Chambon avec toute la gestuelle et la moquerie associées. Les références à Astérix s'expliquent par l'attache particulière d'Astier à l'oeuvre d'Uderzo et Goscinny, qu'il confie avoir « lue enfant assis au fond d'un couloir »74. Il n'est donc pas surprenant qu'en 2014 et 2018, il signe la réalisation du Domaine des dieux et du Secret de la potion magique au cinéma. D'ailleurs, dans Kaamelott, il est aussi mentionné que les druides gaulois sont plutôt versés dans la potion. Dans L'épisode Heat75, on retrouve entre Arthur et Lancelot la fameuse confrontation entre De Niro et Pacino, quasiment plan pour plan et mot pour mot. Autres dialogues qui font écho à des monuments culturels, quelques répliques dans Kaamelott reprennent celles de Bernard Blier dans le film Les tontons flingueurs, dans le rythme et la construction :

« Arthur : Qu'est-ce que vous glandez là hein ?!

73 Interview pour l'INA, émission Déclick du 16 octobre 2010

https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/2010-alexandre-astier-sur-les-coulisses-de-kaamelott

74 Interview accordée au vidéaste Captain Popcorn, à l'occasion de la sortie du Tome 9 de la bande-dessinée, Les Renforts Maléfiques https://youtu.be/J2dZN4pr6OQ

75 Heat, Livre I, épisode 1.

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Venec : - Nan sire faites pas le con.

Arthur, l'étranglant : - Nan mais je fais pas le con ! Je dératise, je désinfecte ! »

? « Moi quand on m'en fait trop je correctionne plus ! Je dynamite, je disperse, je ventile »

« Dame Séli : Une fois j'ai craché sur les pompes de l'empereur Justinien, alors je vais pas me gratter pour un de ses sous-fifres.

? « Je viens de buter 5 musiciens, je vais pas me gratter pour un chômeur »

Sur la même lignée, on peut comparer deux scènes semblables, entre Arthur et Lancelot et Luke Skywalker et maître Yoda de la saga Star Wars :

« Lancelot : Un chevalier ne garde jamais près de lui quelque chose qu'il ne puisse pas quitter en trente secondes.

Arthur : Donc vous ne gardez jamais rien auprès de vous ? »

? « Que dois-je faire maître Yoda ?

Exerce ta volonté à repousser tout ce que tu redoutes de perdre un jour »

Ainsi, seul un spectateur connaisseur des oeuvres citées serait ici capable de faire le lien, cependant, pour Alexandre Astier, c'est très certainement un moyen de rendre hommage à ces oeuvres qu'il affectionne tout particulièrement. Lors d'une interview, dans laquelle il évoque sa fascination pour De Funès, Audiard et Blier, il mentionne longuement des films comme Oscar et Les tontons flingueurs, un répertoire de classiques qu'il doit donc parfaitement maîtriser. D'ailleurs, le personnage romain du livre VI, Lucius Silius Sallustius est une référence à Don Salluste, personnage interprété par Louis de Funès dans La Folie des grandeurs. Astier mentionne également que, dans le schéma qu'il a conçu, les personnages dans Kaamelott sont, comme ceux qu'interprètent De Funès et Bourvil dans La Grande Vadrouille, des hommes ordinaires tout simplement dépassés par la situation dans laquelle ils se retrouvent : une quête

du Graal ou une guerre mondiale.76
Il en est de même avec la saga Star Wars, véritablement source d'inspiration pour lui en tant que dialoguiste, réalisateur mais aussi en tant que créateur de musique de cinéma. Il affirme que Star Wars « se regarde comme Ben Hur, comme quelque chose de fondamental »77. Nous

76 Interview accordée au vidéaste Captain Popcorn, à l'occasion de la sortie du Tome 9 de la bande-dessinée, Les Renforts Maléfiques https://youtu.be/J2dZN4pr6OQ

77 Interview pour l'Express, 2016 https://dai.ly/x3j4t6l

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remarquons par ailleurs que Kaamelott est truffée de références à Star Wars, autant dans sa forme que dans son contenu.

En effet, au niveau de la forme de la série, Alexandre Astier a souhaité le dernier livre comme une prélogie, c'est-à-dire un récit de ce qu'il s'est passé avant tout premier livre, afin de donner au téléspectateur des éléments de réponse à certains évènements ou sur ce qui a conduit les personnages à devenir ce qu'ils sont. Le réalisateur confie que cette configuration lui a été inspirée par la construction temporelle des différentes trilogies de Star Wars et provient directement du plaisir qu'il a eu, en tant que spectateur, à découvrir le passé de la première trilogie :

« C'est juste un plaisir de spectateur, même plus qu'un plaisir d'auteur. À mon avis, ça doit me rester de Star Wars, sûrement, d'avoir la promesse de voir comment tout ce qu'on connaît est arrivé là. » 78

D'autre part, on retrouve dans la série de nombreux clins d'oeil à Star Wars, à commencer par la fascination de Perceval pour l'univers et son irrépressible envie de voyager dans l'espace. Dans l'épisode 80 du Livre III, intitulé Stargate II, Perceval traverse un portail inter dimensionnel :

INT. - COULOIR, CHÂTEAU HANTÉ, JOUR. Perceval (voix off, chuchotant) : Sire, vous m'entendez ?

Arthur : Euh... Ben c't'a-dire, euh, oui- Oui, je comprends pas comment ça se fait mais oui, je vous entends.

Perceval (voix off) : Je suis dans une sorte de p'tite cabane en terre.

Arthur : Mais qu'est-ce que vous voyez ?

Perceval (voix off) : Bah, c'est une cabane. C'est bien rangé, y a des étagères.

Arthur soupire, énervé.

Arthur : Super. Mais dehors, qu'est-ce qui y a ?

Perceval (voix off) : Bah, rien de spécial. Si, y a deux soleils.

Arthur : Deux soleils ?!

Perceval (voix off) : Ouais. Sans ça c'est du désert, c'est pourri. Qu'est-ce que je fais, je prends un truc ?

78 Interview d'Alexandre Astier sur le Livre VI de Kaamelott https://youtu.be/8axqAnB OG0

63

Arthur : Comment « je prends un truc » ?!

Perceval (voix off) : J'sais pas, un machin à ramener. Y a des bibelots sur les étagères.

Karadoc : Vous pouvez pas parler plus fort ?

Perceval (voix off) : Non mais y a un mec qui dort, j'veux pas le réveiller.

Arthur : Un mec qui dort ?!

Perceval (voix off) : Ouais. Bon, j'ai pris un machin, je peux revenir ?

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius