Chapitre 4. LE CAS PARTICULIER DES FEMMES ENCEINTES
TOXICOWOMEN.
4.1. La grossesse chez les usagères de substances
psychoactives (SPA) :
Cette catégorie des consommatrices des drogues
interpelle souvent les équipes soignantes sur les risques encourus par
le bébé et sur les capacités pour les parents à
« bien s'occuper de leur enfant » (Simmat-Durand, 2007 ;
Luttenbacher, 1998 ; Molénat, 2000).
Elle est rarement anticipée bien que la
sexualité et la parentalité soient des questions essentielles
à aborder précocement chez les patients usagers de substances
psychoactives (Molénat, 2000 ; Rosenblum, 2004).
Le désir d'enfant et la grossesse sont ainsi rarement
envisagés comme des moments privilégiés de la prise en
charge alors qu'ils peuvent être de leviers thérapeutiques
importants et faire « naître » des capacités à
prendre soin de soi en se projetant dans l'avenir (Molénat, 2000 ;
Pezzolo et al., 2006).
Il est, donc, nécessaire pour tout soignant d'apprendre
à profiter de tels moments pour progresser dans les projets de soins et
accompagner ces parents, non plus, en termes de « risques » qu'ils
représentent, mais surtout, en termes de « besoins » qu'ils
nécessitent (Reichert & Weil, 2007).
En effet, bien que le plan gouvernemental 2008-2011 de la
Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie
(MILDT) en ait fait une de ses priorités, la prise en charge des femmes
usagères enceintes reste souvent complexe en raison de l'absence de
structure de soins spécifiques, du manque de formation des
différents intervenants ou des représentations, des craintes et
méconnaissances des soignants (Mildt, 2008).
Dans un tel contexte, il est souvent difficile pour des
parents usagers de SPA de prendre soin d'eux ou de pouvoir
bénéficier de programmes de procréation
médicalement assistée (PMA).
Le Réseau maternité addiction (RMA) propose,
à partir d'un cas clinique, de témoigner d'une expérience
positive dans ce domaine et de présenter les principes d'un soin
transdisciplinaire informé et cohérent pouvant, en
lui-même, devenir structurant Femmes et usage de SPA : un repérage
insuffisant.
La France compte environ 70 000 usagers d'héroïne
et 100 000 personnes sous TSO auxquels se rajoutent des personnes
définies comme consommatrices régulières (10 usages ou
plus au cours des 30 derniers jours, ou fumeurs quotidiens).
En effet, en France, 11,8 millions de personnes consomment du
tabac, 9,7 millions, l'alcool ; 3,8 millions sont des psychotropes ; 1,2
million consomment du cannabis.
Exception faite de l'alcool, 1/3 de cette population sont des
femmes et quasiment toutes en âge de procréer (Ofdt).
Au vu de ces chiffres, il semble évident que les
professionnels de la naissance sont tous confrontés, dans leurs
pratiques quotidiennes, aux femmes enceintes ayant un usage de SPA,
forcément nocif, par le simple fait de la grossesse.
Malheureusement par méconnaissance, manque de
formation, sous-évaluation de l'importance de ces problématiques,
cloisonnement de l'offre des soins ou absence de structure de soin
spécialisée, beaucoup n'abordent pas cette problématique
avec les «patientes».
La grossesse est un moment unique pour favoriser le
repérage, l'évaluation et le soin. Elle constitue un moment
idéal et, quelquefois, unique pour favoriser le repérage des
usages de SPA.
Dans le cadre du RMA, près de 40 % des femmes
rencontrées n'avaient aucune prise en charge préalable de leurs
addictions.
Elle permet l'accès aux soins et aux actions de
réduction des risques :
- Lors de leur première rencontre avec le RMA, 11 % des
femmes avaient un usage d'héroïne ou de TSO « au noir »
et 60 % des femmes sous buprénorphine en avaient un usage
détourné (sniff, injection). Une rencontre précoce avec le
RMA a rapidement permis de proposer l'initialisation d'un TS O ou de
réaliser un « passage méthadone » à l'aide d'une
hospitalisation en maternité pour permettre une surveillance foetale
adéquate en pré- ou postnatal (Lejeune et al., 2006 ; Mac Carthy
et al., 2005).
- 30 % des femmes accompagnées par le RMA ont des
sérologies positives pour l'hépatite C. Un dépistage des
hépatites est systématiquement proposé par le
réseau. En cas de positivité, une première prise de
contact avec un hépatologue est proposée, dans l'idéal,
avant la naissance, pour favoriser un suivi et un traitement ultérieur.
De plus, une vaccination du nouveau-né pour l'hépatite B est
toujours envisagée à la naissance (Inpes, 2007).
- 40 % des femmes suivies présentent des
comorbidités psychiatriques comme des syndromes dépressifs, des
troubles anxieux, des troubles de l'humeur ou des troubles psychotiques. Cette
vulnérabilité est souvent secondaire à des parcours
chaotiques, des enfances « fracassées » faites de
séparation et de violences.
D'après l'enquête de Cassen et al.,
réalisée auprès de 171 mères toxicomanes, 40 % des
femmes interrogées ont subi dans leur enfance des violences psychiques,
30 % des violences physiques, 20 % ont subi des abus sexuels (Cassen et al.,
2004). Ces antécédents rendent complexe l'accès à
la parentalité et nécessitent souvent un accompagnement
spécifique.
Une rencontre avec le psychiatre et/ou la
pédopsychiatre référent permet d'évaluer et
éventuellement de traiter de façon adaptée ces pathologies
en collaboration avec la psychologue du réseau qui pourra proposer un
suivi psychothérapeutique (Pezzolo, 2006).
- Près de la moitié des femmes sont seules et ont
comme unique source de revenus des minima sociaux. Cette situation constitue
à l'évidence une difficulté supplémentaire du fait
de l'isolement affectif et à la précarité
financière. La question du logement est également, dans 30 % des
situations que nous rencontrons, un vrai problème.
Lorsque celui-ci est précaire ou inexistant, il est
évidemment difficile de structurer l'accompagnement post-natal. En lien
avec les associations ou les structures d'hébergement existantes, il est
souvent nécessaire de dépenser beaucoup d'énergie pour
inventer ou bricoler des solutions évitant la séparation de la
mère et de l'enfant après la naissance.
La grossesse est, à ce niveau aussi, un moment
important pour créer au plus tôt des liens avec des travailleurs
sociaux qui permettront la mise à jour des droits et l'assise sociale de
la nouvelle famille.
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