CONCLUSION GENERALE
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La faiblesse de la concurrence qui caractérise nombre
de marchés d'Afrique subsaharienne crée un environnement
favorable pour les banques prêtes à mener des activités
transfrontalières et à rivaliser avec les banques locales. En
Afrique subsaharienne, ces banques locales transfrontalières sont
appelées Banques Panafricaines. On compte à l'heure actuelle sept
grandes Banques Africaines ayant une implantation dans dix pays d'Afrique
subsaharienne au moins selon le FMI. Les BA ont établi leur siège
dans divers pays de grands marchés bancaires comme le Nigéria, le
Maroc, le Kenya, et l'Afrique du Sud, mais aussi plusieurs marchés de
plus petite dimension. Ils jouent désormais le rôle de chefs de
file de prêts syndiqués dans la région. Ces banques qui
interviennent dans plusieurs pays devraient réaliser des
économies d'échelle par la mise en oeuvre des fonctions à
l'échelle du groupe et le transfert de savoir-faire et de
compétences bancaires adaptées au marché local.
Grâce à ces économies d'échelle, les BA stimulent la
concurrence des marchés bancaires d'implantation. Ils sont à
mesure de proposer des services bancaires de meilleure qualité à
moindre coût et d'étendre l'intermédiation
financière aux PME et aux particuliers jusque-là
négligés. Ils se positionnent également comme des acteurs
de premier plan du financement d'infrastructures transfrontalières et de
manière globale de la croissance africaine.
Les BA ont donc impulsé une nouvelle ère au
paysage bancaire africain qui pendant longtemps a été
dominé par les banques originaires des anciennes puissances coloniales
notamment les banques françaises et britanniques. De fait, l'essor des
BA peut être considéré comme le corollaire financier de
l'intégration régionale croissante des échanges
commerciaux et des investissements, du fait que ces groupes suivent leurs
clients et financent leurs opérations transfrontalières, ce qui
leur permet d'accroitre de plus en plus leur performance.
A l'impulsion de la réforme du système bancaire
entreprise à la fin des années 90, combinée à la
volonté manifeste du pays d'optimiser son potentiel économique,
de nombreuses BA se sont installées au Cameroun dans une optique de
performance ; ce qui n'a pas tardé à se réaliser. En
effet, en peu d'années, contrairement aux banques occidentales, les BA
ont atteint des niveaux de rentabilité enviables et se positionnent
à ce jour comme des acteurs incontournables du secteur bancaire
camerounais. La SCB (Groupe Attijariwafa) par exemple détient le plus
vaste réseau bancaire au Cameroun avec plus de 50 agences de banques ;
et de plus en plus, l'Etat camerounais sollicite les BA pour l'arrangement de
ses émissions obligataires. Les BA sont parmi les premières
banques camerounaises en termes de rentabilité bancaire.
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Cependant, à la lecture du classement des 200
premières banques africaines, on constate que les filiales des BA
installées au Cameroun sont parmi les moins performantes par rapport
à leurs consoeurs installées dans d'autres pays. Une situation
qui mérite une attention particulière. Dans cette logique,
l'objectif visé par notre étude était de comprendre les
raisons de ce décalage. Ainsi, nous voulions montrer que, bien qu'elles
soient rentables, les BA ne jouissent pas d'une performance optimale par
rapports à leurs potentialités au Cameroun. Pour ce faire, nous
nous sommes attelés à répondre à la question
centrale suivante : « Au regard de leurs résultats
financiers dans certaines zones du continent, quels peuvent être les
facteurs explicatifs du faible niveau de performance des banques africaines au
Cameroun ?»
Cette question centrale, combiné à la
spécificité de notre étude nous a poussés à
adopter une démarche précise s'appuyant sur l'analyse
documentaire. A ce titre, un raisonnement déductif nous a conduit
à formuler d'abord un certains nombres d'hypothèses. Ces
dernières ont ensuite été testées empiriquement
à partir de l'analyse des rapports annuels d'activités des BA au
Cameroun pour la période 2010-2014. Au final nous avons tiré des
conclusions sur la question de la performance des BA au Cameroun. Il nous
échoit donc de présenter les résultats de notre recherche
en précisant chaque fois si elles corroborent ou pas nos
hypothèses de départ.
Hypothèse 1 : Les BA sont des
entités particulières dont la structure organisationnelle et la
philosophie d'entreprise sont adaptées aux valeurs africaines. Aussi,
les BA se distinguent des banques occidentales en termes de positionnement et
de stratégie. Les BA tendent essentiellement à concentrer leur
activité sur le trade finance, sur le financement des grandes
entreprises privées et étatiques et la banque de détail ;
l'essentiel de leur activité concerne toutefois les PME qu'elles
accompagnent tout au long de leur croissance, ce qui contribue à la
fidélisation de leur clientèle.
C'est d'ailleurs cette capacité à satisfaire la
clientèle qui a favorisé leur essor dans le continent.
Attijariwafa Bank par exemple est la première banque du continent et
même du Cameroun en termes de nombre d'agences avec respectivement 3 258
et 50 agences. Ecobank est la première banque de la Zone Franc avec un
total de bilan de 24 280 millions d'USD et un PNB de 2 820 millions d'USD.
Nous avons pu constater que bien qu'ayant ces atouts, la
performance des BA est fragilisée au Cameroun à cause des
facteurs externes. La fragilité du système bancaire qui reste
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surliquide alors que l'économie fait face à
d'importants besoins de financement ; Les coûts de service bancaire
élevés ; Par ailleurs, le taux de bancarisation reste faible,
autour de 20% contrairement à certaines régions du continent
comme en Afrique du nord (50%) ou l'Afrique australe (45%). De même, la
croissance économique camerounaise est tirée par les PME qui font
face à d'énormes problèmes de financement, mais restent
des clients risqués pour les BA. De ces faits, une grande partie de la
clientèle bancaire camerounaise demeure insatisfaite.
Toutes ces remarques confirment notre première
hypothèse selon laquelle, l'incapacité à satisfaire la
clientèle fragilise la performance des BA au Cameroun.
Hypothèse 2 : En tant que filiales des
Banques panafricaines, les BA jouissent d'une certaine notoriété
au Cameroun. BGFI Bank par exemple a réalisé en quelques
années des résultats spectaculaires que certaines banques
locales, bien qu'elles soient anciennement installées au Cameroun, ont
de la peine à atteindre. La banque est présente au Cameroun
seulement depuis 2011, mais en 2014, elle était classé
8ème sur 14 en termes de parts de marché sur les
dépôts de la clientèle ; et 6ème sur 14
en termes de parts de marché sur les crédits. La banque jouit en
effet d'un pouvoir de marché du fait qu'elle appartienne à une
Holding (2ème groupe bancaire de la zone CEMAC en 2014) et
d'une certaine efficience dans la réalisation des économies
d'échelle à travers l'extension de son réseau au Cameroun
pour financer les grandes entreprises sous régionales.
De même une banque comme Afriland (1er groupe
bancaire de la zone CEMAC en 2014) jouit de la confiance de sa clientèle
au Cameroun au point où depuis quelques années elle s'est
hissée au rang de 1ère banque camerounaise en termes
de Total de bilan et de PNB. Par ailleurs, nous avons pu constater qu'en peu
d'années les BA ont atteint un niveau de rentabilité
appréciable au Cameroun, avec un ROE moyen de 12%, un ROA de 1% et un CE
autour de 65%. Cette rentabilité « rapide » est principalement
due au fait qu'elles soient des filiales de banques panafricaines bien connues,
et jouissent donc de cette notoriété.
Notre deuxième hypothèse selon laquelle la
régionalisation africaine des BA a un impact positif sur leur
performance au Cameroun est donc vérifiée.
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Néanmoins, il convient de souligner que
l'accélération de la croissance économique en Afrique
subsaharienne depuis les années 90 s'est accompagnées d'un
élargissement de l'accès aux services financiers, et en
particuliers à ceux des banques commerciales, qui ont toujours
été et demeurent l'épine dorsale des systèmes
financiers dans la région. Le secteur bancaire a connu de profonds
changements en Afrique subsaharienne au cours des 20 dernières
années, parmi lesquels l'expansion des activités
transfrontalières, avec le déploiement rapide des réseaux
des BA qui ont complètement modifié le paysage bancaire et
financier du continent.
En Afrique australe, la mise en place d'une
réglementation favorable, combinée à une stabilité
politique accrue, ainsi que l'appui technique apporté par le FMI afin de
soutenir les efforts de renforcement des capacités de supervision du
secteur financier, a créé un environnement favorable aux banques
dans leur mission et objectifs. En Afrique de l'Est, l'expansion
régionale des BA est fondée sur deux particularités : D'un
côté un marché commun au sein de la Communauté
d'Afrique de l'Est (CAE), le mouvement étant dominé par un pays,
à savoir le Kenya. D'un autre côté, ces banques contribuent
amplement à l'intégration régionale, en financement les
programmes d'infrastructure. En Afrique de l'Ouest, le poids économique
du Nigéria et du Ghana, ajouté à cela une forte
concurrence, augmentent la compétitivité des BA et donc leur
performances dans cette région.
Nous avons pu constater que les BA dans ces régions
réalisent de bonnes performances. Par exemple le secteur bancaire
contribue respectivement de 50%, 31%, 31% et 75% au PIB régional en
Afrique du Nord, en Afrique de l'Ouest, en Afrique de l'Est et en Afrique
Australe ; contre seulement 19% en Afrique centrale. L'Afrique centrale demeure
donc une zone « risquée » pour les BA.
A la lumière de ce qui précède, les
résultats de notre étude s'avèrent pertinents ; Faute
d'une croissance économique soutenue les BA se marginalisent au Cameroun
et en zone CEMAC par rapport aux autres régions du continent. En effet,
les BA sont certes rentables et réalisent un niveau de performance
appréciable si l'on s'en tient à la dynamique du secteur bancaire
camerounais. Toutefois, ces banques disposent des atouts majeurs capables
d'optimiser cette performance ; Seulement, l'environnement économique du
Cameroun et de la CEMAC ne leur est pas favorable, d'où cette
marginalisation par rapport aux filiales opérant dans les autres zones
géographiques et linguistiques du continent africain.
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Par conséquent, les résultats de notre
étude présentent un enjeu majeur pour le Cameroun dont les BA
constituent les principaux acteurs du secteur bancaire, après les
banques d'origine française. Au moment où le taux de
bancarisation reste faible, et que l'économie fait face à
d'importants besoins de financement, les BA qui accompagnent la croissance
économique de la plupart des régions d'Afrique disposent des
atouts que le Cameroun pourrait optimiser pour dynamiser davantage son secteur
bancaire. L'attention particulière que ces banques accordent aux PME
dans les autres régions, et leur proximité avec la
clientèle à travers les produits comme le Mobile Banking sont
parmi leurs principaux atouts ; L'Etat pourrait par exemple, comme nous l'avons
proposé dans cette étude, ouvrir le système bancaire
à d'autres types de fournisseurs de services financiers même si ce
sont des sociétés non financières, comme les
opérateurs de téléphonie mobile pour améliorer la
bancarisation ; inciter la mise en place des fonds de garanties
dédiée aux PME ; et renforcer la coopération avec les
autorités de régulation des autres régions. Au niveau de
la CEMAC, une intégration plus renforcée serait une aubaine pour
ces banques qui disposent d'une forte expérience dans le financement des
infrastructures transfrontalières.
Néanmoins cette étude présente des
limites à certains niveaux. Nous n'avons pas pu mobiliser certaines
données, notamment les données sur les indicateurs qualitatifs de
la performance des BA, nous nous sommes limités uniquement sur les
indicateurs quantitatifs. Aussi, certaines études semblent prouver que
le faible dynamisme du secteur bancaire camerounais dans lequel évoluent
les BA, tient plutôt à l'histoire de ce secteur qui a connu une
crise systémique majeure dans les années 80 et 90 ; cette crise a
entrainé un comportement d'aversion au risque de la part des banques en
activité au Cameroun qui préfèrent se concentrer sur les
investissements moins risqués et à faible rentabilité.
Au moment où nous terminons notre étude,
nombreux autres BA veulent s'installer au Cameroun malgré le faible
dynamisme du secteur bancaire. Il devient intéressant se s'interroger
sur les mobiles de la régionalisation des BA au Cameroun.
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