B : LE SYSTEME BANCAIRE CAMEROUNAIS : DE L'INDEPENDANCE AUX
CRISES BANCAIRES DES ANNES 80-90
L'évolution du système bancaire camerounais
durant cette période se déroule harmonieusement jusqu'à la
fin des années 70. Par la suite, dès le début des
années 80 des signes d'essoufflements apparaissent mais se
présentent différemment.
1 : Une relative stabilité jusqu'à la fin
des années 70
Après l'indépendance du Cameroun, le
développement économique, conçu sous le signe du dirigisme
économique et de l'endettement extérieur a beaucoup
influencé le mode de financement économique établi dans le
pays [Bekolo-Ebe, (1990), Mathis, (1992)]. Le financement du
développement était tel que les crédits que les banques
locales consentaient devaient compléter le prêt extérieur.
En plus, ces banques pouvaient distribuer des fonds que l'Etat obtenait des
prêteurs extérieurs et leur rétrocédait, à
charge pour elles de gérer les crédits. Dans un cas comme dans
l'autre, l'influence de l'Etat était patente. L'Etat s'est engagé
dans la consolidation du secteur financier privé en y prenant des parts
de capital et en mettant en place des organes de contrôle.
En fait, à cette époque, le tissu bancaire
camerounais était très embryonnaire. Plus
précisément, ce secteur se caractérisait par une forte
concentration [Abega, (1995)]. Jusqu'en 1970, seules 4 banques étaient
répertoriées par le Conseil National du crédit (CNC), et
en 1984, l'effectif s'élevait à 11 banques. Le système
était majoritairement composé de banques privées
étrangères60 au rang desquelles on peut citer : La
Société Générale de Banque du Cameroun (SGBC) ; La
Banque Internationale pour le Commerce et l'Industrie du Cameroun (BICIC) ; La
Société Camerounaise de Banque (SCB) ; et la Banque
Internationale pour l'Afrique Occidentale du Cameroun (BIAOC). Ces 4 banques
représentaient plus de 75% des actifs du
60 La quasi-totalité de ces banques
n'étaient que des émanations des banques françaises
à savoir : La Société Générale, la BIAO de
Paris, la Banque Nationale de Paris (BNP) et du Crédit Lyonnais (CL)
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système bancaire, collectant plus de 80% des
dépôts et distribuant près de 90% des crédits. En
réalité, toutes ces banques n'auront véritablement leurs
agréments qu'après « l'ambitieuse réforme » du
système bancaire camerounais de 1973.
Dès 1970, une nouvelle banque est venue s'ajouter au
paysage bancaire camerounais, La Cameroon Bank Limited (CAMBANK) dont le
capital était entièrement détenu par les
intérêts publics camerounais. En 1971, le Cameroun comptait 5
banques commerciales61 parmi lesquels les 4/5 étaient
détenus par les intérêts français et 47 agences dont
8 pour la CAMBANK. Le 30 Août 1973, une réforme est venue
bouleverser le paysage bancaire camerounais. Cette réforme,
au-delà de l'implication des nationaux dans le domaine financier,
prévoyait la possibilité d'une ouverture des banques
étrangères non françaises dans le système bancaire.
Pourtant, jusqu'en 1978, le paysage bancaire n'a pas beaucoup
évolué, hormis la multiplication d'agences commerciales des
banques existantes sur le territoire national qui sont passées de 47
à 103. Cependant, en 1976, on note la création d'une banque
d'Etat orientée vers le financement du développement : La Banque
Camerounaise de Développement (BCD).
Au début des années 80, le paysage bancaire a
connu une entrée des banques anglo-saxonnes pour la plupart
américaines. Il s'agit de la Chase Bank Cameroon (CBC)
créée en 1979 ; la Boston Bank Cameroon (BBC) en 1980 ; la Bank
of America Cameroon (BAC) ; la Standard Chartered Bank Cameroon (SCBC) en 1981
; et la Bank of Credit and Commerce (BBC) en 1983. L'installation de ces
banques a entraîné un accroissement rapide des agences bancaires.
Le nombre d'agences est passé de 103 à 145 en 1984. A cette
période, le Cameroun comptait alors 11 banques commerciales et 2 banques
de développement62.
En dehors de la CAMBANK et la Banque Unie de Crédit
(BUC) dont le capital était entièrement détenu par des
camerounais, la participation de l'Etat au capital social des banques
atteignait les 67%. Ainsi, dans la plupart des cas, l'Etat était
actionnaire principal. Le gouvernement était omniprésent dans les
processus de décision au sein des banques, directement ou par le biais
des entreprises publiques qu'il contrôlait. Indépendamment de la
présence du financement extérieur, le gouvernement a
souhaité contrôler la distribution du crédit interne dans
le but de mieux planifier les investissements dans des secteurs ciblés.
Cette
61 La SCB était la plus importante au regard
du montant du capital (5 Milliards de FCFA), et la BICIC la plus importante en
terme de crédits distribués (plus de 180 Milliards de FCFA) et de
dépôts collectés (125 Milliards de FCFA)
62 La BDC et le Fonds National de Développement
Rural (FONADER)
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politique d'encadrement de crédit s'est malheureusement
traduite par le non-respect des normes de prudence.
Durant les années 70, l'exploitation
pétrolière a doté le pays de ressources importantes et
engendré un gonflement des ressources bancaires. Les
établissements de crédit se sont alors lancés vers une
distribution généreuse et incontrôlée des
crédits à l'économie pour le financement des projets
jugés « rentables pour les locaux ». Par exemple, le volume de
financements accordés aux projets s'est accru d'environ 374,13% entre
1976 et 1977. Durant cette même période, le montant des garanties
s'est accru de 352,4%. Dans cette lancée, sans que des études
sérieuses visant à mesurer le degré
d'élasticité de l'investissement par rapport au taux
d'intérêt des prêts bancaires aient été
menées au préalable, les banques ont orienté leur
intervention vers les financements courts au détriment des financements
longs. Cette préférence marquée pour les financements
à court terme était essentiellement conditionnée par les
projets axés vers les produits de base et le commerce de distribution.
On assistait alors à un renouvellement des prêts courts pour
financer des investissements longs. Or le développement exige aussi et
surtout des financements à long terme.
Graphique 3 : Rythme de progression des crédits au
secteur privé de 1960 à 2005
Source : Indicateurs de la Banque Mondiale
(2007)
Etant donné les facilités d'obtention de
financements, la progression des crédits au secteur privé (en
pourcentage du PIB) est passée de 14,20% en 1970 à 24,53% en
1977, pour se situer à 3,24% en 1982 (voir Graphique 3).
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Il convient de relever que la plupart des crédits
octroyés n'étaient pas toujours remboursés. Evalué
à 5,6 milliards de FCFA en 1980, le montant des créances
douteuses a atteint 38 milliards de FCFA au plus fort de la crise bancaire.
Quoiqu'à partir de 1982 déjà, les banques accumulaient des
pertes dues à la mauvaise gestion et à la fraude, l'Etat les
soutenait en alimentant le système bancaire de ses ressources
pétrolières.
La surveillance et la sanction des banques dépendaient
du Ministère de l'Economie et des Finances (MINEFI) et, comme l'Etat
avait des intérêts dans la plupart des banques, la
réglementation prudentielle était peu appliquée, aucune
règle juridique sérieuse permettant de poursuivre les
débiteurs indélicats n'ayant cours. De ce fait, la crise bancaire
était presque inévitable.
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