PARTIE II :
LES IMPACTS SOCIO-ÉCONOMIQUES DE LA
CRISE SOCIOPOLITIQUE AU NIVEAU DES
MÉNAGES
Lorsqu'on parle de crise, tout d'abord, on pense
directement à l'impact sur le fonctionnement de l'économie. La
seconde partie de notre ouvrage va présenter l'impact
socio-économique de la crise politique au niveau des ménages
malgaches. Dans cette partie, il y aura deux chapitres qui s'intituleront
respectivement :
? Environnement économique national 2009-2012 ? Les
mesures prises par les ménages
42
CHAPITRE I : L'ENVIRONNEMENT ÉCONOMIQUE NATIONAL
2009-2012
A Madagascar, l'année 2009 a été
particulièrement marquée par une crise sociopolitique nationale
aggravée partiellement par la crise financière internationale. Le
pays nage jusqu'à aujourd'hui, dans cette crise politique même si
la transition est terminée, bien que les conditions commencent à
s'améliorer. Les effets ont été néfastes sur la
plupart des activités économiques du pays, manifestent des
replanissements, voire des replis importants. Le double effet de la crise
politique interne et de la crise financière mondiale a entrainé
la fermeture de plusieurs unités industrielle et commerciale, ainsi que
la suspension, voire l'arrêt, de projet en cours, notamment des projets
publics, faute de financement.
Avec la suspension des aides internationales et
l'inéligibilité de Madagascar à l'Afrique Growth And
Opportunity Act (AGOA), les perspectives économiques s'annoncent
très difficile depuis décembre 2008. Madagascar a alors connue
une régression des activités économiques en 2009, accusant
une croissance négative de -4,1%.
En 2010, les activités économiques malgaches ont
commencé à reprendre mais avec une reprise qui est restée
fragile comparée au niveau d'activités d'avant crise car
l'économie n'a cessé d'être tourmentée par l'effet
de la crise politique. Les perspectives de croissance se sont
avérées incertaines à cause du poids énorme de
l'incertitude engendrée par la situation. Il s'est
généralement manifesté dans les secteurs
d'activités par un manque d'amélioration auto-entretenue, ce qui
entraine l'inexistence de processus cumulatif de reprise.
Aperçu historique de la crise sociopolitique de
2009 à Madagascar
Il est alors d'une importance capitale de comprendre
clairement l'histoire même de la crise à laquelle la grande
île est confrontée et qui a des répercussions au niveau des
activités commerciales.
À la crise de 2009, la décision de
l'ex-président Marc RAVALOMANANA de fermer la chaîne de la
télévision privée (décembre 2008), appartenant au
Maire d'Antananarivo a poussé ce dernier à passer à
l'offensive et à lancer des manifestations pacifiques « place du 13
mai » lieu symbolique de la contestation malgache.
Les politiciens malgaches ont profité pour amplifier ce
problème dictatorial et déstabiliser le pouvoir. Les manifestants
reprochent Marc RAVALOMANANA sur sa mauvaise gestion de richesse de la nation,
par le mixage des affaires publiques (Etat) et personnelles (nous parlons
conflits d'intérêts). Citons quelques exemples : achat d'un
Boeing
43
présidentiel (Air force one) avec le budget de l'Etat
malgache ; location en bail à l'entreprise coréenne Daewoo, pour
une très longue durée, accaparation la moitié de la
surface cultivable à Madagascar, etc.
Le mouvement a été marqué par de nombreux
rassemblements populaires dans la capitale et les ex-provinces, et a
été suivi par des manifestations, d'émérites et de
pillages. La mutinerie d'une partie des forces de sécurité contre
les autorités légales a basculé la situation et a
précipité la chute du régime. Le 17 mars 2009, le
président ordonne la dissolution du gouvernement et remet les pleins
pouvoirs à un directoire militaire qui le transmet quelque heure plus
tard à Andry Nirina RAJOELINA. Trois ans après la prise du
pouvoir (en 2012), l'économie de Madagascar ne s'arrête de sombrer
le désastre. Les deux derniers cas de crise des manifestations de rue se
sont conclues par l'exil du président Didier RATSIRAKA en 2002, et de
Marc RAVALOMANANA en 2009.
L'ex-dernier président vit actuellement en exil mais,
la nation s'engouffre encore dans la crise. La communauté internationale
a suspendu ses aides économiques depuis automne 2008. Plusieurs
séries de rencontres nationales et internationales ont été
organisées Madagascar comme à l'étranger (accords de
Maputo le 8 Août 2009 etc.) pour essayer trouver une solution à la
crise, mais en vain. La transition perdure et une feuille de route est
élaborée, paraphée (le 09 mars 2011) par les acteurs
politiques malgaches et a été signés (le17 septembre 2011)
par les différents partis prenants, sauf la mouvance RATSIRAKA. Cette
évolution tendancielle augure d'une fin prochaine de la crise.
Pour avoir plus d'encrage dans ce chapitre, nous allons
aborder dans les trois sections suivantes : les réalités globales
de la crise socio politique malgache sur la croissance économique
nationale, les conséquences au niveau des ménages de la ville
d'Antananarivo et en fin les comportements des ménages face à la
fluctuation des revenus.
Section I : Les réalités globales de la
crise socio politique malgaches sur la croissance économique
2009-2012
La crise a produit des conséquences
macroéconomiques de grandes ampleurs.
§.1- La croissance économique nationale :
tendance et situation
Au cours des 20 dernières années, Madagascar a
traversé trois crises politiques majeurs, dont la plus longue
s'étalait de 2009 jusqu'à maintenant. A la fin de chaque crise,
l'on assiste, entre autres à l'appauvrissement général de
la population dû en grande partie au
44
ralentissement des activités économiques et
à la montée de l'insécurité. En outre, la
généralisation du phénomène de corruption, la
violation des droits de l'homme et la détérioration de la
gouvernance ont été aussi observées dans la plupart des
cas, ces crises ont eu pour effet immédiat une forte perte d'emplois
formels, le renchérissement du coût de la vie, le replanissement
des activités unités de production, l'arrêt ou le
ralentissement des activités des services publiques, notamment les
services sociaux tel que la santé et l'éducation.
Les crises de 1991, 2002, et 2009 ont fait chuter
respectivement le taux de croissance économique a -6,3%, -12% et
-4,11. Il convient de signaler que les résultats pour
l'année 2009 sont les effets conjugués de la crise politique
à Madagascar et de la crise financière au niveau mondial.
Tableau n° II : L'évolution des indicateurs
macroéconomique de 1990-2012
|
1990
|
2000
|
2002
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
2011
|
2012
|
Variation du
PIB(%)
|
3,13
|
4,76
|
-12,6
|
5,0
|
6,2
|
7,1
|
-4,1
|
0,4
|
1,0
|
1,9
|
PIB par tête
(USD)
|
273
|
254
|
272
|
288
|
375
|
510
|
451
|
449
|
492
|
472
|
Indice de prix à la consommation(%)
|
11,5
|
7,2
|
15,3
|
10,8
|
8.2
|
11,1
|
8,0
|
9,8
|
6,9
|
7,6
|
Source : INSTAT, DEME, VPEI,
2012
Apres la crise de 1991, la croissance économique du
pays s'est peu à peu redressée passant de 1,2% en 1992 à
4,76 en 2000 pour atteindre les 6,0% en 2001 ; sauf en 1994 ou la croissance
économique a chuté à -0,1 ; suite à la politique
adoptée par le gouvernement en place à cette époque de
faire flotter librement la monnaie nationale. Par contre, durant cette
période, la situation de pauvreté de la population s'est
détériorée. Le revenu par tête a été
254 USD en 2000 contre 273 en 1990, la situation s'était encore
empirée en 2002, avec la crise politique et socioéconomique que
le pays a endurée et un taux de croissance négative de - 12,6% a
été enregistré au cours de l'année.
1 Vice primature chargé de
l'économie et de l'industrie, Anosy Antananarivo.
45
En effet, l'économie malgache a perdu sa
crédibilité. Pendant ces périodes bien que des ressources
et des potentialités économiques exploitables existaient, et que
la structure de son économie a été plus ou moins
diversifiée avec la prédominance de secteur primaire.
De 2003 à 2008, la situation économique du pays
c'est peu à peu rétablie et a connu une certaine
stabilité. Une croissance économique de 7,1% a été
enregistrée en 2008 contre 5,0% en 2006 et 4,6% en 2005, et le revenu
par tête a connu une amélioration passant de 272 USD en 2002
à 510 USD en 2008. En fait, cette période a été
marquée par la mise en oeuvre de différents programmes touchant
plusieurs secteurs dont les infrastructures, principalement, les routes,
l'éducation, la santé, le tourisme, la décentralisation,
la bonne gouvernance et la conservation de l'environnement. En outre la
période de 2003 à 2008 a été
caractérisée par :
? une croissance économique réelle positive,
soutenue et performante ;
? un accroissement effectif du volume des investissements bruts
;
? un net accroissement des flux des investissements directs
étrangers ;
? un environnement économique global plus favorable
marqué notamment par
l'amélioration de l'indice de perception de la corruption
;
Mais malgré cette situation, le taux de croissance du
PIB à Madagascar est généralement inférieur
à celui de l'ensemble des pays de l'Afrique subsaharienne entre 2000 et
2009 sauf pour l'année avant crise, c'est-à-dire en 2001 et en
2008.
46
Graphique n° III: Evolution du taux de
croissance économique, taux d'investissement et IPC de 2003 -
2012
Source : INSTAT, DEME, VPEI,
2012
Depuis le début de l'année 2009, la crise
politique interne étant amplifiée par la crise économique
mondiale ; la plupart des secteurs économique a été
touchée.
A. La réalité de la crise sur le secteur
primaire
La réalité de la crise sur le secteur primaire est
mentionnée dans le tableau ci-dessous :
Tableau n o III : secteur primaire, valeur
ajoutée aux prix constant
Rubrique
|
|
|
|
En milliards d'ariary au prix de
1984
|
|
|
|
|
Variation annuelle (en
poucentage)
|
|
|
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
Secteur primaire
|
167,1
|
170,8
|
175,8
|
190,9
|
193,1
|
2,2
|
3,2
|
8,5
|
1,1
|
Agriculture
|
78,9
|
81,1
|
84,8
|
93,9
|
94,5
|
2,9
|
4,5
|
10,7
|
0,7
|
Elevage et pêche
|
73,6
|
74,8
|
76
|
77,4
|
78,9
|
1,7
|
2,1
|
1,8
|
|
Sylviculture
14,7
14,9
15
19,6
Source : Institut
National de la Statistique, 2011
47
1. L'agriculture
L'année 2006 marque un ralentissement du taux de
croissance de la branche agriculture, celui-ci est de 2,6%1. La
sècheresse qui a sévi en début de campagne et la mauvaise
répartition de la pluie dans différentes régions au
dernier trimestre, a conduit à ce résultat. Toutefois, la
production rizicole s'est accrue de 6,4% soit 3 640 000 tonnes2 de
paddy, grâce à l'extension des surfaces cultivées. Pour les
produits vivriers et les produits d'exportation, la production a
progressé de façon régulière.
Par ailleurs en 2007, une progression de l'activité a
été enregistrée sur tous les secteurs économiques.
Le secteur agricole a connu un accroissement léger d'un taux de 2,9%.
L'amélioration de la productivité de l'agriculture est ralentie
par les aléas climatiques et le manque de moyen des producteurs. Les
mesures prises par le gouvernement pour promouvoir rapidement la production
agricole, comme la vulgarisation des techniques de cultures,
l'aménagement et la réhabilitation des réseaux
d'irrigation, la facilitation d'accès à l'acquisition de
matériel et d'engrais n'ont pas encore produit les effets
escomptés. Toutefois, la production de paddy a connu une augmentation
appréciable de 4%3, les autres produits vivriers ont
progressé de façon régulière. Les produits
d'exportation se sont inscrits à la hausse en raison de l'augmentation
de la production de café, de la canne à sucre et du coton.
La croissance de l'agriculture est soutenue en 2008 avec un
taux de 4,5%. Elle est favorisée sur le plan local par le
développement des cultures de contre-saison, et sur le plan
international par la bonne tenue des cours des produits de rente.
Durant l'année 2009, cette branche affiche une
croissance vigoureuse de 10,7%. Ce dynamisme s'explique par le fait que les
activités de production du secteur agricole ont été peu
perturbées par les effets de la crise puisque les agitations à
caractère politique ont été surtout localisées dans
les grands centres urbains. En plus, la campagne agricole a été
particulièrement faste pour la production rizicole en
bénéficiant de conditions pluviométriques propices, cette
campagne est aussi favorisée par les bons résultats de la
politique de la révolution verte4, basée sur la
vulgarisation de la culture de contre-saison
1 Rapport annuel 2006 de la Banque Centrale de
Madagascar
2 Rapport annuel 2006 de la Banque
Centrale de Madagascar.
3 Rapport annuel 2007 de la banque
Centrale de Madagascar
4 Révolution verte: La
Révolution verte est une politique de transformation des agricultures
des pays en développement (PED) ou des pays les moins avancés
(PMA), fondée principalement sur l'intensification et l'utilisation de
variétés de céréales à hauts potentiels de
rendements, grâce à la sélection variétale .
48
lancée en 2008. En conséquence, la production de
paddy a fait un bond de 16%1 en 2009, contre 8,8% lors de la
campagne antérieure.
Pour l'année 2010, la valeur ajoutée de
l'agriculture n'est accru que de 0.7% après la forte progression de
10.7% en 2009. Ce ralentissement provient de l'arrêt de financement qui a
stoppé la vulgarisation de la culture en contre-saison. De même,
les projets de réhabilitation des grands périmètres
hydrauliques ont été suspendus.
En 2011, cette branche a connu une croissance négative
de -1,2%. Le passage de cyclone Giovana et Irina en début de
l'année a eu des effets négatifs sur la production des produits
de rente et des produits vivriers. Cependant, les efforts effectués dans
le renforcement des capacités des production ruraux, ainsi que la
facilitation d'accès aux intrants et crédit agricoles ont permis
d'améliorer la production agricole contribuant à l'atteinte de
cette croissance positive.
2. L'elevage et pêche
Dans la branche "élevage et pêche", en 2006, une
progression bien que légère a été
enregistrée avec 1,9%après 0,8% en 20052. En 2007, la
baisse des prises crevettières a amoindri le taux de croissance de la
branche "élevage et pêche" par rapport à celui de 2006
(1,7% au lieu de 1,9%). Cette branche fait une progression d'un rythme de 2,1%
en 2008. Cette progression est due surtout à l'augmentation de la
production bovine et de celle des volailles tandis que la pêche
industrielle de crevette continue à perdre en
compétitivité3 suite à la hausse continue des
prix de carburant et aux mesures de protection des ressources
crevettières, entre autres le gel de l'effort de pêche et la
suspension de la délivrance de permis de collecte.
A partir de 2009, l'année de commencement de la crise,
la branche "élevage et pêche" enregistre une croissance
modérée de 1,8%. Cette faiblesse de performance se justifie par
la baisse de la production crevettière déjà observable au
cours des années précédentes. Elle est
particulièrement conséquence de l'arrêt des financements
extérieurs pour des projets
1 Rapport annuel 2009 de la Banque Centrale de
Madagascar
2 Source: rapport annuel 2006 de la
Banque Centrale de Madagascar
3 La compétitivité
économique est une notion économique qui s'applique à une
entreprise, un secteur économique, ou un territoire (pays, bassin
économique...). Elle désigne la capacité d'une telle
entité à fournir et vendre durablement un ou plusieurs biens ou
services marchands sur un marché donné en situation de
concurrence.
49
d'amélioration de la production animale, de la
diminution des commandes étrangères pour les produits
halieutiques et de la suspension des permis de pêche.
La branche "élevage et pêche" a affiché,
en 2010, une croissance modeste de sa valeur ajoutée à 1.9%,
presque égale à celle de 2009. Cette déficience provient
de l'arrêt des financements extérieurs et des manques de
débouchés extérieurs.
En 2012, la branche affiche un taux de croissance modeste de
0,7% contre 4,2% en 2011. Ce résultat a été
enregistré suite notamment aux défaillances du système de
protection sanitaire due à une insuffisance des
vétérinaires et à leur mauvaise répartition.
3. La sylviculture
La sylviculture a réalisé une petite progression
annuelle de 1,4% en 2007, contre 1% en 2006. Ce résultat a
été obtenu à partir de l'assainissement de la profession
par le biais de nouvelles dispositions légales et l'instauration du
système d'appel d'offres pour l'exploitation de surfaces
prédéterminées. En 2008, la croissance s'est, par contre,
ralentie à 1% en raison des mesures de l'assainissement de
l'exploitation forestière qui ont consisté au retrait des permis
d'exploitation et à la délivrance de nouveaux permis par voie
d'appel d'offre.
Par ailleurs, en 2009, la branche s'est distinguée par
une croissance sans précédent de 30,4%, après des
années de croissance faible et stabilisée autour de 1%. Une
hausse extraordinaire dont l'origine est l'exploitation illicite et
effrénée du bois de rose (Rapport de la Banque Centrale, 2009).
Cette évolution a été suscitée par une forte
demande de cette essence protégée sur le marché asiatique
et favorisée, en plus, par un certain relâchement des
règlementations régissant la filière. Mais, en 2010, du
fait de la baisse de l'ampleur de l'exploitation illicite du bois de rose,
grâce à un début de réactivation des structures de
surveillance et des mesures de protection des zones protégées, la
croissance est restée la même que l'année
antérieure.
La branche sylviculture enregistre une croissance
négative de -4,5% en 2012 contre respectivement -3,3% et 0,8 en 2011et
2010. Ce résultat a été lié entre autre à la
suspension de la délivrance des permis d'exploitation de bois
précieux.
50
Graphique n° IV : Evolution du taux de
croissance par branche d'activité de 2005 à
2012
-10
12
10
-2
-4
-6
-8
4
8
0
6
2
2005 2006 2007 2008 2009 2010
Primaire Secondaire Tertiaire
Source : INSTAT,
DEME, VPEI, 2012
51
|