Paragraphe II : La dénonciation en cas de
déficit démocratique
L'appréciation de cette dénonciation consistera
à faire ressortir l'attitude de l'OIF face aux Etats qui violent les
obligations découlant de leurs engagements à promouvoir la
démocratie. Face à de telles situations, l'OIF prend soin de les
condamner (A) dans un premier temps avant de sanctionner (B) dans un second
temps les Etats en cause.
A- Les condamnations
La condamnation des coups d'Etat résulte d'un
changement d'attitude des organisations internationales longtemps
restées permissives face aux situations de coups d'Etat35 et
de conflits. En effet, ces organisations, sur le fondement des principes
sacro-saints de non ingérence dans les affaires intérieures des
Etats et de leur liberté de choisir leur régime politique dans un
contexte de guerre froide, ont adopté une attitude de neutralité
voire d'indifférence devant les prises de pouvoir par coup d'Etat. C'est
aussi le cas lorsqu'un gouvernement démocratique vient à
être contesté par les moyens d'une rébellion armée.
Cette attitude s'explique aux dires de Ben Achour par l'idée que " le
droit de la coexistence pacifique a même fait de l'absence d'un
modèle politique universel une condition sine-qua-none de
l'établissement de la paix et de la sécurité
internationales "36. C'est ce qui explique
le fait que le coup d'Etat militaire de 1963 renversant le président
Sylvanus Olympio au Togo ainsi que la vague de coups d'Etat qui ont suivi sont
restés sans condamnation.
Mais à la faveur de la chute du mur de Berlin et suite
au repositionnement de l'OIF, le principe de l'autonomie
constitutionnelle et donc la liberté du choix du système
politique,
35 En droit constitutionnel, un coup d'Etat est une
«action de force contre les pouvoirs publics exécutée par
une partie des gouvernants ou par des agents subordonnés, notamment des
militaires (dans ce dernier cas, on parle aussi de putsch ou de
pronunciamiento), et qui vise à renverser le régime établi
exceptionnellement à le défendre». Voir Guillien, Guinchard
et Montagnier, Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 16è Ed.,
2007, P. 193.
36 Cf. Ben Achour (R), "Égalité
souveraine des États, Droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes et liberté de choix du système politique,
économique, culturel et social", Solidarité,
Égalité, Liberté, Bruylant, Bruxelles, 1995, p. 786.
xxviii
économique, social et culturel a subi des
évolutions. Cet état de choses a manifestement changé
lorsque l'OIF a adopté un discours politique faisant du respect de la
légalité constitutionnelle et de la démocratie un
impératif dans les relations internationales. Ce discours s'est traduit
en action du moment que l'OIF mène une pratique revendiquant le respect
de la légalité constitutionnelle et de la
légitimité démocratique.
En effet, l'OIF a commencé par prendre en
considération ce phénomène dans ses relations avec ses
membres. Dès lors, elle s'évertue à travers ses organes
à condamner les coups d'Etat et à exiger un retour à
l'ordre constitutionnel. Dans cette optique, elle a commencé par
condamner presque tous les coups d'Etat survenus en Afrique. Cependant,
étant donné que notre champ d'étude se limite à
l'Afrique de l'ouest, nous nous contenterons d'illustrer cette partie par des
exemples ouest africains.
Suite au coup d'Etat militaire du 23 décembre 1999
perpétré par le Général Robert Guéi
renversant le président Henri Konan Bédié en Côte
d'Ivoire, L'OIF par l'entremise de son SG a condamné cet acte
anticonstitutionnel.
Elle est aussi intervenue pour condamner fermement à
travers le CPF réuni le 1er mars 2010 le coup de force
perpétré, le 18 février 2010 au Niger par le Conseil
Suprême pour la Restauration de la Démocratie CSRD ayant
renversé le président Mamadou Tandja.
En Guinée-Conakry, on se souvient de la vive
réaction du CPF lors de la prise du pouvoir par Moussa Dadis Camara,
après le décès du président Lansana Conté le
23 décembre 2008. De même, elle ne s'est pas fait prier pour
condamner le coup d'Etat survenu en Mauritanie le 6 août 2007. En effet,
le général Mohamed Ould Abdel Aziz a mené l'armée
mauritanienne à renverser le président Sidi Mohamed Ould Cheikh
Abdellahi, élu démocratiquement en mars 200737.
Il en va de même tout récemment du
communiqué rendu public le 24 mars 2012 par lequel le CPF a
condamné et a exigé un retour à l'ordre constitutionnel
après le coup d'Etat perpétré le 22 mars 2012 au Mali par
l'armée conduite par le Capitaine Amadou Haya Sanogo et renversant le
président Amani Toumani Touré.
En outre, l'OIF s'est prononcée sur la situation en
Guinée-Bissau. Dans un communiqué, le Secrétaire
Général de l'OIF a "condamné fermement" le coup d'Etat
intervenu en Guinée-
37 Face à cette situation, l'OIF par un
communiqué en date du 26 août 2007 signé de son
Secrétaire Général, M. Abdou Diouf a indiqué que le
CPF « confirme la condamnation du coup d'État [...] et
décide de prononcer la suspension de la Mauritanie de la Francophonie
». Ce faisant, la Francophonie s'est jointe à la communauté
internationale, notamment le Conseil de Sécurité des Nations
Unies, l'Union africaine, la Ligue des États arabes, l'Union
Européenne et les partenaires bilatéraux de la Mauritanie pour
dénoncer ce renversement.
xxix
Bissau qu'il a qualifié de "violation flagrante de la
constitution". Dans le même communiqué, il a déclaré
que "L'arrestation du président par intérim, Raimundo Pereira, et
du premier ministre Carlos Gomes Junior, en plus de l'interruption du processus
électoral en cours et la dissolution des institutions constituent une
violation flagrante de la constitution et sont, à ce titre, totalement
inacceptables"38.
Il y a lieu de relever la réaction de l'OIF à
l'égard du Togo suite au décès du président
Gnassingbé Eyadéma le 5 février 2005. En effet, la
violation et la modification de l'article 6539 de la constitution
togolaise a suscité des réactions de toutes les institutions
internationales qui ont demandé le retour à l'ordre
constitutionnel. La pression a été tellement forte que selon
Alioune Tine40, « Jamais on a vu une telle réaction
énergique de la part des institutions africaines et internationales par
rapport à un pays africain » et pour M. Khalifa Aboubacar Sall,
député du parti socialiste (PS) à l'Assemblée
nationale sénégalaise "La situation politique au Togo est
inacceptable. On ne doit pas accepter une autre Côte d'Ivoire et, pour
cela, nous devons nous mobiliser pour un retour rapide à la
légalité constitutionnelle dans ce pays".
La simple condamnation et l'exigence de retour à
l'ordre constitutionnel normal à la suite des coups d'Etat ne suffisent
parfois pas pour remédier la situation de crise. L'OIF va quelques fois
plus loin en prenant des sanctions à l'encontre des régimes
anti-démocratiques.
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