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Le rôle du storytelling dans la réconciliation nationale.

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par Sophie-Victoire Trouiller
Institut Catholique de Paris - Master 2 géopolitique et sécurité internationale 2014
  

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Conclusion

Bien que récent, le concept de « storytelling » désigne un art du récit, dont les chercheurs s'accordent à dire qu'il constitue l'un des fondements de l'humanité. Captivant l'individu dans un monde d'images et d'émotions, censé le pousser à agir, parfois au détriment de la raison, le récit se conclut par une morale qui se présente comme son décryptage. Celle-ci a parfois nourri les décisions les plus inconséquentes, comme de récents événements militaires ont pu en témoigner.

Un récit persuasif a toujours un pouvoir de réconciliation, le but étant, pour le narrateur, de convaincre ceux à qui il est destiné. Mais pour être capable de réconcilier une nation, il faut non seulement posséder cette faculté de persuasion, mais aussi pouvoir prétendre s'adresser à elle. C'est donc généralement aux hommes politiques qu'il revient de provoquer la coexistence, étape indispensable pour l'installation de l'empathie à l'échelle du pays. La notion de réconciliation a évolué au fil du temps. Elle s'accompagne de divers rituels selon les cultures (baisers de paix, accolades, cadeaux symboliques...). Comme le storytelling, la notion de « réconciliation » est aujourd'hui en plein renouveau, car elle donne une part de plus en plus importante à des recours juridiques récents, comme la médiation et l'arbitrage. C'est l'exposé des différents aspects qu'elle pouvait prendre dans le cadre d'un récit national que nous avons examiné tout au long de ce mémoire.

On peut distinguer deux types de réconciliations nationales selon les caractéristiques des Etats en conflit. La plupart des guerres civiles impliquent des Etats voisins ou d'anciennes puissances colonisatrices que les autorités de l'Etat en transition accusent souvent d'avoir provoqué la discorde. Cette réconciliation, que nous avons appelée « manichéenne », se fait au détriment des relations diplomatiques. Elle est cependant censée faciliter l'empathie en persuadant les anciens adversaires que leur inimitié est due à un Etat tiers. C'est par exemple le cas au Rwanda, où Paul Kagame a établi que la Belgique et son régime colonial étaient responsables des tensions entre Hutus et Tutsis.

Mais lorsque la guerre civile, ou plus souvent la dictature, n'impliquent pas d'autres Etats, cette réconciliation manichéenne est impossible. Bien qu'arrivant après la mise en place d'une coexistence, l'empathie joue alors un rôle très important, le but étant d'apprendre aux individus de chaque camp à connaître l'histoire et les souffrances de l'adversaire. Mais sa nationalisation reste encore aujourd'hui un défi, que Desmond Tutu et Nelson Mandela ont tenté de relever en Afrique du Sud. Dans bien des cas, précisément pour préserver la réconciliation, la nationalisation de l'empathie conduit à une conciliation des émotions de pure convention. Et quand le processus de réconciliation a pris officiellement fin, elle exacerbe les frustrations d'une population mise en demeure de se taire. D'autres pays comme l'Irlande, hésitent entre la réconciliation manichéenne et la réconciliation relationnelle, précisément à cause d'un conflit de storytelling. En Colombie, le processus de paix entre les Farc et le gouvernement pourrait répondre à ce problème en créant une nouvelle méthode pour aborder la réconciliation. Envoyée à Cuba, une délégation composée de proches des victimes du conflit a participé aux négociations, témoignant de ses souffrances devant ceux qui en sont les auteurs. Par cette expérience inédite, l'Etat tente d'intégrer l'empathie dans la toute première phase du processus de paix. Si les résultats sont concluants, cela remettrait en cause le caractère indispensable d'une coexistence obligatoire avant l'empathie.

 

Enfin, le concept de « nation » n'est pas défini juridiquement et prend un sens particulier dans chaque pays où il est employé. Alors que de multiples organisations internationales voyaient le jour, il a été considéré comme démodé, jusque dans les années 1990, depuis la fin de la Guerre Froide, quand le nationalisme a connu un regain d'intérêt, d'autant plus que les conflits intra-étatiques sont aujourd'hui plus nombreux que les guerres entre Etats.

Or le storytelling est très utile pour garantir un sentiment d'appartenance commune, la différenciation consistant l'enjeu de toute lutte identitaire. Dans une nation composée de multiples communautés, le storytelling peut avoir des effets totalement contradictoires (diviser comme réunir, fédérer autour de la paix comme autour de la guerre, imposer silence comme exhorter à la parole). Valérie Rosoux observe en effet que « nombre de souvenirs individuels sont encadrés par des récits collectifs, renforcés par des commémorations et relatés dans les cours d'histoire. A l'inverse, ces institutionnalisations du passé n'ont de sens que rapportées aux souvenirs et aux identifications des individus »111(*). Le storytelling permet donc une interdépendance entre la mémoire individuelle et la mémoire collective.

 

 

« Sur le plan politique, affirme le chercheur Philippe Forget, inventeur du concept de «  stratégie narrative» lorsqu'un peuple prend conscience de soi et se raconte à travers différentes figures de soi, il établit déjà ses inimitiés et prend le risque d'être discriminé comme ennemi par la subjectivité d'autrui »112(*). En vertu de cet aspect, le récit n'est donc pas seulement une thérapie, mais constitue également une arme de la Nation contre les atteintes à la manière dont elle se voit.

 

L'éducation et les commémorations sont des vecteurs de nationalisation de la réconciliation, le storytelling institutionnel et relationnel s'exprimant tour à tour par ces moyens. Ainsi, la coexistence et le storytelling institutionnel peuvent se concrétiser grâce aux messages des institutions lors des commémorations et aux directives des ministères de l'Education. Les livres scolaires écrits en commun par des membres appartenant à des parties en conflit constituent, quant à eux, un vecteur d'empathie très important, dans des sociétés où les enfants sont souvent plus ouverts à la réconciliation que leurs parents. En parallèle, les commémorations permettent à la mémoire collective de s'enrichir grâce aux mémoires individuelles. Cette mémoire collective peut même être confrontée avec la vision d'étrangers, qu'ils soient touristes, journalistes ou chercheurs. Stéphane Dangel, consultant en storytelling dans les entreprises, estime en effet que « c'est beaucoup plus dans le vécu que l'on doit se placer pour que cela fonctionne que dans la communication et l'image. Le vécu des ex-acteurs du conflit et le vécu des publics extérieurs (touristes, consommateurs, etc.). Les deux publics ne sont pas étanches, et la plus grande richesse est de les mettre volontairement en relation, alors de nouvelles histoires se dessinent, fortes, et en forme d'ouverture vers un avenir meilleur »113(*).

 

La prise en compte de ces différentes perceptions permet à chacun de se reconnaître dans le récit obtenu, et ce dernier constitue un outil pédagogique pour la nation à travers l'épopée des épreuves qu'elle a dû surmonter et la morale qu'elle en a tiré. Ainsi, Stéphane Dangel observe que « le vrai storytelling consiste à travailler avec les histoires. Pas raconter des histoires, pas construire des histoires, mais travailler avec, ce qui est beaucoup plus large. On se trouve alors dans le champ d'action très riche qui consiste à faire émerger des histoires, organiser leur partage, et à en tirer du sens ». Plus qu'une création, le storytelling consiste donc à distinguer un récit par rapport à ses concurrents et à l'adapter selon les circonstances. 

 

Le récit national est composé d'éléments réels et fictifs qui schématisent l'histoire de la nation en reconstruction en mettant en valeur ses hauts faits historiques pour lui façonner uneidentité susceptible de générer des sentiments patriotiques. Il fait donc intervenir de nombreuses disciplines actives ou passives dans sa construction. Ainsi, le droit est un mode de création du récit qui impose parfois silence à l'histoire (accords de paix, lois mémorielles, justice pénale...). Il constitue également le cadre légal garantissant l'avenir de la Nation, s'imposant parfois comme un élément non négligeable de son identité. C'est le cas de la Constitution japonaise, qui décrète le caractère pacifiste du pays. La recomposition des frontières géographiques, quant à elle, évolue au gré de la modification du récit national.

Cependant, l'impact négatif des tabous, surtout entérinés par des lois, permet de montrer à quel point la liberté d'expression est importante pour sauvegarder ou renouveler l'harmonie entre les individus, même si elle entrave nécessairement la nationalisation d'un récit qui serait bénéfique pour la réconciliation nationale. La conciliation entre le récit national et la liberté d'expression consisterait donc à permettre tout au long du processus de réconciliation, des débats visant à recueillir le plus de récits possibles pour permettre de nuancer les plus manichéens par les plus objectifs. Ces récits seraient donc répartis au sein d'une hiérarchie, les éléments établis et vérifiables en occupant le sommet. Par définition toujours incomplète et toujours changeante, l'histoire est donc l'élément le plus important du récit national, la mémoire n'en étant qu'une expression partielle.

* 111Valérie Rosoux, « La réconciliation franco-allemande : crédibilité et exemplarité d'un « couple à toute épreuve » ? ».

* 112« Phénoménologie de la menace. Sujet, narration, stratégie ». Stratégie, n° 10-11, avril 1992

* 113Stéphane Dangel, Réponse à un questionnaire de l'auteur, 18 juillet 2014.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein