V- EVENEMENTS POLITIQUES DES DEUX PREMIERS REGIMES
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AUX POUVOIRS MILITAIRES DE TRANSITION
Plusieurs évènements politiques ont
été cités par les enquêtés comme étant
de l'ordre des évènements qui ont fragilisé le tissu
social guinéen. En fonction de la date des évènements, ils
ont été classés par régime politique. Le
présent chapitre est donc consacré aux évènements
politiques du premier régime, ceux du deuxième régime et
ceux des pouvoirs militaires de transition.
5.1.Les évènements politiques du premier
régime
Le premier régime politique guinéen fut celui de
Ahmed Sékou Touré, artisan de l'indépendance nationale et
premier président de la République populaire et
révolutionnaire de Guinée. Né en 1922 à Faranah, en
Haute Guinée, Sékou Touré est du groupe socioculturel
malinké, de la descendance de l'Almamy Samory Touré. Il a
dirigé la Guinée durant une période de 26 ans (de
l'indépendance en 1958 jusqu'à sa mort en 1984)8.
(FONDATION PANAFRICAINE SEKOU TOURE, 2008 ; En ligne) Quelques
évènements politiques rapportés par nos
enquêtés se sont produits pendant son règne. Il s'agit de
:
5.1.1. L'agression du 22 Novembre 1970
Du commun des interviewés, cette date reste
gravée dans les mémoires des uns et des autres pour avoir
été la première manifestation de force de Sékou
Touré envers ceux qu'il accusait d'être les « ennemis de la
révolution ». Dans une interview datée du 22 Novembre 2011,
41ème anniversaire de l'agression, Andrée
Touré, veuve du président Sékou Touré, raconte
brièvement cet évènement : « (...) Le 22 novembre
1970, une nuit du mois de ramadan, à 2 heures du matin, des mercenaires
avaient débarqué. Il y a eu plus de 360 tués à
Conakry. (...)Des cadavres sont restés (dans les rues) pendant deux
jours, qu'on ne pouvait pas ramasser à cause de la lutte.»
(GUINEE MEDIA, 2011 ; En ligne)
Selon certaines sources, cette agression dirigée par le
Portugal contre la Guinée, avait été planifié par
le gouverneur militaire portugais de Bissau(le Général Antonio de
Spinola) avant d'être soumis à l'aval de Lisbonne en 1969.
L'opération fut baptisée en portugais « marde verde »
qui signifie en français « mer verte » et sera conjointement
menée par
8 Il y a lieu de préciser ici que Ahmed
Sékou Touré est mort par suite d'une intervention cardiaque
à l'hopital Cleveland, aux Etats Unis d' Amérique contrairement
à ce que nous ont rapporté certaines personnes n'étant pas
guinéens et pensant qu'il aurait été fusillé
à l'aéroport de Conakry.
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l'armée portugaise et le Front National de
Libération de la Guinée (FNLG). Le Portugal avait nié
toute implication dans cette agression mais la désertion de certains
militaires portugais (le Lieutenant Janeiro et ses hommes) avait permît
de rétablir les faits. Les membres du FNLG étaient des
guinéens opposés au régime de Sékou Touré.
Suite à cette agression, plusieurs personnes avaient été
arrêtées, torturées et exécutées en dehors de
toute procédure judiciaire. Des pendaisons eurent lieu au pont 08
novembre de Conakry et des morts furent enterrés dans des fosses
communes. (SOVOGUI, 2008 ; En ligne).
Cette réaction du gouvernement guinéen de
Sékou Touré fut l'objet de division au sein de la population et
même de nos jourselle divise encore les guinéens qu'ils soient
résidents ou membres de la diaspora. Certains la jugent juste tandis que
d'autres pensent qu'elle fut débordante et même non-fondée.
Pour preuve, plus de la moitié des enquêtés (52%) ont
cité cet évènement comme étant une manifestation de
la haine contre Sékou Touré et sa population. D'autres au
contraire (48%), tout en niant la véracité de l'agression,
mentionnent cet évènement comme une stratégie
utilisée par Sékou Touré pour mettre hors d'état de
nuire, ses opposants du FLNG. Mais il faut retenir que ceux qui adoptent une
telle position sont pour la plupart des personnes liées directement ou
indirectement aux personnes accusées d'être impliquées dans
l'agression et ayant été exécutées. D'une
manière ou d'une autre, le constat prouve que cette agression a
creusé un fossé entre les composantes de la structure sociale en
Guinée et continue d'animer les tensions entre les «
pro-Sékou » et les « anti-Sékou ».
5.1.2. Des détentions au camp boiro et à
l'intérieur du pays
Ces détentions concernent des personnes qui furent
arrêtées entre 1959 et 1984 et qui furent emprisonnées au
camp boiro ou dans des prisons à l'intérieur du pays par le
régime de Sékou Touré. Ces détentions pour la plus
part intervenaient à l'occasion des vagues d'arrestations souvent
appelées « complots », « mouvement », «
évènements », « affaires »... Certains de ces
détenus sont morts exécutés après avoir subi
plusieurs séances de tortures. D'autres sont restés portés
disparus et d'autres se sont en sortis miraculeusement à la mort de
Sékou Touré en 1984. Le souvenir de ces évènements
constitue un souvenir d'injustice pour certains enquêtés (88 % de
l'échantillon). Ils estiment que ce sont des guinéens furent
injustement emprisonnés et exécutés par le régime
de Sékou Touré. Pour ces enquêtés, justice doit
être rendu aux victimes disparus et à ceux vivants. Ils affirment
aussi que les lieux d'inhumation restés encore secret, doivent
être rendus publics pour permettre aux parents des victimes de se
recueillir sur leurs tombes. Pour eux, tant que les mémoires de ces
victimes ne
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sont pas réhabilitées, la réconciliation
et l'unité nationale ne peuvent être possibles dans la mesure
où dans la tradition africaine, les morts exercent toujours un pouvoir
sur la vie des vivants. Leur mécontentement est donc source de
malédiction pour les nouvelles générations. Pour eux, la
réhabilitation de ces victimes doit donc être au coeur de la
réconciliation pour sa réussite.
5.1.3. Le complot peul
Le complot peul ou affaire Diallo Telli désigne une
vague d'arrestations dont les principales cibles étaient des peuls
à commencer par Diallo Telli, premier secrétaire
général de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA), ex
ambassadeur de la Guinée aux nations unies et ministre de Ahmed
Sékou Touré. Accusé de comploter contre la
révolution, Diallo Telli fut arrêté et emprisonné au
camp boiro où il mourra dans des circonstances obscures. Au total, 90
personnes furent arrêtées. Siaka Touré, frère du
président Sékou Touré décrivait au prisonnier Telli
ce qu'il faut entendre par complot peul en ces termes : «Le
Président a l'impression que vous, les peuls, vous avez une haine contre
lui. [...]Après soixante années de colonisation, le
Président Sékou Touré a libéré la
Guinée grâce aux luttes du PDG. Dans son humanisme naturel, le
Président a intégré tous les cadres peuls qui
s'étaient opposés à la dignité de la Guinée
et leur a accordé des postes de gouverneurs, d'ambassadeurs et de
ministres. Mais n'étant pas originaire de la Guinée, vous voulez
la détruire et aller ailleurs. En tout cas, l'Histoire s'interroge sur
votre patriotisme. [...] Par un côté de ma famille, je peux me
réclamerpeuls. C'est pourquoi je vous vois dans cet état avec
beaucoup de peine. Mais mon travail m'oblige à obtenir de vous toute la
vérité sur ce complot. [...]. Tous les complots auxquels nous
avons eu à faire face jusqu'ici ont pris leur source à
Paris.» (DIALLO, 1983 ; p.2). Le constat prouve que les peuls continuent
de se souvenir de cet évènement et exigent que justice soit
rendue à leurs proches victimes pour la construction d'une
véritable identité nationale.
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