Conflits enAafrique centrale: le cas de la RCA de 1960 à 2013. Dynamique récurrente d'une trappe de conflictualité( Télécharger le fichier original )par Yannick Stéphane NGBWA ESSO Université de Yaoundé II - Master-Recherce en Science Politique, option: Relations Internationales 2014 |
SECTION 2 : LE POIDS DE L'EXTERIEURL'absence de vision politique et la faiblesse de l'Etat centrafricain l'amènent à subir régulièrement des pressions externes. Incapable de monter une stratégie propre, la volonté des autreslui est imposée. Ces actions sources d'instabilité sont l'apanage des pays étrangers (PARAGRAPHE 1) et des mouvements régionaux (PARAGRAPHE 2). PARAGRAPHE 1 : LES DYNAMIQUES DES PUISSANCES ETRANGERESL'immixtion soutenue de la France est à l'origine de bon nombre de crises en RCA(A). La situation chaotique est accentuée par les influences des pays de la sous-région (B). A. LA RCA, UNE CHASSE GARDEE DE LA FRANCE Même en lui accordant l'indépendance, la France n'a jamais songé à lâcher le « morceau centrafricain ». La raison estla position géographique centrale qu'occupe le pays dans la sous-région.Une position stratégique pour une France jalouse de ses intérêts en Afrique Centrale136(*). Aussi, a-t-elle continuéd'influencer le jeu politique centrafricain en mettant au pouvoir une élite docile.Ses multiples interventions pour installer, retirer ou protéger les régimes entrent dans cette logique137(*). Celles-cisurviennent à un rythme accru et régulier. Ainsi, en 1979, les opérations «Caban» et «Barracuda» ont exfiltré l'Empereur BOKASSA Ier et réinstallé David DACKO pour un second mandat. Au printemps 1996, les militaires de l'opération «Almandin» par trois fois, sécurisent le pouvoir d'Ange-Félix PATASSE contesté par les mutins.Ils se chargent aussi de la protection les ressortissants français et européens138(*). En 2002, l'opération «Boali» forme des militaires de l'armée centrafricaine et appuie leurs opérations. En 2007, des parachutistes français sautent sur Birao au Nord du pays où se multiplient les mouvements rebelles influencés par le Soudan et le Tchad frontaliers. En 2013, l'opération «Sangaris» est mise sur pied après le coup de force des rebelles de la Séléka et la fuite de François BOZIZE. Ces interventions, loin de s'interposer entre les belligérants, choisissent délibérément un camp sur lequel s'appuyer pour préserver leurs intérêts. Le cas de François BOZIZE illustreà suffisance le néocolonialisme français en RCA139(*).Devenu indésirable et sentant sa fin proche, il accuse ouvertement la France le 27 décembre 2012 sur RFI d'être à l'origine de la crise qui prévalait en soutenant laSéléka. Il déclare alors : « j'ai donné le pétrole aux Chinois, et c'est devenu un problème »140(*). Désormais déchu, l'ancien allié tente par tous les moyens de revenir aux affaires. C'est ainsi que le pays s'enfonce dans un nouveau cycle de violence. Au lieu de pacifier la situation, la France au contraire l'envenime. Elle joue un rôle d'instigateur et de soutien aux conflits.Le rôle de la France dans les conflits se traduit notamment par « le soutien à des dirigeants tant vomis par leur peuple que menacés par des rébellions armées » constate Guy MVELLE141(*). L'incidence estdes mécontentements au sein des autres formations. En RCAcomme dans tout ce qu'elle considère comme son pré carré en Afrique Noire,la France a favorisé une personnification142(*) de ses relations. Ce qui fausse lejeu politique. Elle a servi d'appui au développement des régimes autoritaires dans le pays. Toutefois, si elle est la principale puissance étrangère active dans ce pays, elle n'en est pas la seule. La RCA est un carrefour d'influences qui lui sont extérieures. La multiplication du nombre de ces lointains intervenants vient compliquer la situation à tel point que le pays ne parvient pas à unifier ses diverses tendances pour constituer un Etat fort143(*). Jean Lucien EWANGUE parle d'un « espace très convoité au centre de plusieurs enjeux »144(*). C'est la vision géopolitique de l'Occident qui dit les caractères stratégiques ou non des enjeux comme les ressources minières et forestières. L'effet structurant de la dynamique extra-africaine est bénéfique ailleurs. Pourtant en Afrique Centrale, elle est catastrophique. Cette situation est due à l'absence d'un leadership interne. Les crises au Tchad, au Soudan et les conflits en RDC et en Ouganda ont des conséquences sur la RCA. Parlant du Tchad, il intervient régulièrement dans le jeu politique centrafricain. Il a un intérêt stratégique dans le pays. En effet, la RCA est un élément clé de la sécurité du Tchad sur son flanc sud en raison de la composition ethnique commune au Sud du Tchad et au Nord de la RCA. Cette frontière est habitée des deux côtés par l'ethnie Sara. Les Sara tchadiens et centrafricains se soutiennent mutuellement dans tous les domaines. Culturellement et politiquement par exemple, les Sara tchadiens ont toujours été hostiles aux clans arabo-nomades du Nord du pays qui gouvernent depuis 1980. En RCA, les Sara ont souvent fait cause commune avec les autres groupes du Nord tels que les Banda, les Randa, les Goula contre la suprématie des groupes du Sud. Durant les trente dernières années, les gouvernements tchadiens et centrafricains ont toujours vu en l'ethnie Sara et ses alliés une menace pour leurs sécurités intérieures respectives. Aussi, le Tchad soutient-il activement l'accès au pouvoir des représentants du Sud en RCA145(*). Chaque fois que le pouvoir est entre leurs mains, les ethnies du Sud (Yakoma et Gbaya) créent des alliances de circonstance avec le Tchad pour saper le pouvoir du groupe Sara et de ses alliés politiques du Nord. En outre, le Tchad a besoin d'assurer le calme près de la frontière avec la RCA. Ses champs de pétrole et le pipeline menant à la côte camerounaise passent près du Nord-ouest troublé de la RCA. Des décennies de guerres civiles ont également entrainé les mouvements de la population vers la RCA. Parmi ces populations, on retrouve des anciens rebelles et opposants au régime. Plus récemment, les opposants d'Idriss DEBY se sont installés en RCA. Il s'agit entre autres de Moise KETTE, Baba LADDE146(*), Adoum YACOUB147(*), etc. Certains de ces hommes ont été impliqués de près ou de loin dans la prise du pouvoir de François BOZIZE en 2003 et celle de la Séléka en 2013. Les guerres au Soudan ont également provoqué des mouvements migratoires148(*). Le conflit au Darfour a par exemple eu des incidences en RCA. Des rapprochements se sont faits entre des chefs rebelles du Darfour, ceux du Tchad opposés à Idriss DEBY et certains rebelles centrafricains. On pense notamment à Abdoulaye MISKINE et les leaders de l'UFDR. En témoigne la présence des mercenaires soudanais et des populations arabes dans les rangs de la Séléka. En outre, le ravitaillement des groupes rebelles centrafricains en armes se fait au Soudan. Les autres conflits en RDC et la présence du MLC de Jean Pierre BEMBA à la frontière avec le Sud de la RCA ont également eu des incidences sur la sécurité du pays. L'insécurité est favorisée par la porosité des frontières et la proximité des communautés vivant des deux côtés. Elle est aussi liée au trafic des armes pour alimenter les groupes armés en RCA. En Ouganda, le conflit opposant le gouvernement à la LRA149(*) s'est prolongé dans le Sud-est de la RCA où ce mouvement s'y est installé. L'armée ougandaise les traque et commet des exactions contre les populations civiles. Les miliciens de ces groupes armés sont généralement recrutés à la hâte. Ils ne reçoivent aucune formation qu'elle soit civile ou militaire. De fait, ils confondent souvent la logique du crime à celle de la guerre150(*). Ils s'illustrent par leur degré élevé de cruauté. La guerre pour eux devient « un vrai éden (...) délaissant, sans hésiter, une vie quotidienne recrue d'injustices, de privations, d'ennuis et d'exactions. Grâce à la guerre, la violence qu'ils avaient subie des corps habillés de l'Etat devient une violence à portée de leur main, armée de fusil (...). Maintenant, ils prennent ce qui leur tombe sous la main, sans rien commander à personne151(*). L'Etat en RCA n'a donc pas le monopole de la violence si cher à Max WEBER. Les multiples groupes armés traduisent l'institutionnalisation d'un ordre instable et symbolisent par là même la crise de l'Etat centrafricain. * 136Cette présence trouve tout son sens dans les visées géopolitiques et géostratégiques initiées par le Général Charles DE GAULLE. Il avait fait le pari de continuer de faire de la France une puissance malgré ses faiblesses. Sa stratégie repose sur deux volets. Il s'agit de placer les anciennes colonies au service de la défense, du développement et du rayonnement international de la France. Il s'agit aussi de faire jouer à la France le rôle d'avocat des plus faibles dans les affaires du monde. Cette politique est nécessaire pour engranger la sympathie de l'opinion internationale. Elle est aussi indispensable dans la lutte inégale qui l'oppose aux autres grandes puissances.Ces deux raisons ont été retenu parce qu'elles entrent directement dans le cadre de notre travail. Sinon, il est important de souligner que la pensée géopolitique gaullienne ne s'articule pas seulement sur ces deux éléments. Il faut également compter la dissuasion nucléaire et la construction de l'Europe comme marche pied vers la reconquête d'une place de grande puissance. * 137 Cf. Pierre PEAN, Affaires africaines, Paris, Fayard, 1983, pp. 230-231. * 138 Lire à cet effet « Centrafrique : la lettre de CHIRAC à PATASSE », Jeune Afrique du 12 au 18 mars 1997, p. 17. * 139 François BOZIZE rompt le partenariat à hauteur de 28 millions d'euros signé avec Areva en 2008. En outre, il signe des accords militaires avec l'Afrique du Sud. L'Elysée y voit un affront impardonnable. * 140 En effet, le 10 septembre 2009, François BOZIZE en visite en Chine signe un contrat avec la société chinoise China Petroleum Corporation (CNPC) pour l'exploitation de la réserve pétrolière de Boromata dans le Nord-est du pays. * 141 Guy MVELLE, op. cit., p. 11. * 142 Jean-François BAYART, L'Afrique désenchantée, «C'était MITTERAND», Le Nouvel Observateur, mai 1995, p. 109. * 143 Cf. Rose NDO'O, « La RCA, la rébellion et le pouvoir : un « remake » de la valse meurtrière de l'autodestruction », Enjeux numéro 49, juin 2013, p. 54. * 144 Jean Lucien EWANGUE, Enjeux géopolitique en Afrique Centrale, Paris, L'Harmattan, 2009, p. 10. * 145 Avant de prendre le pouvoir, François BOZIZE formait ses troupes au Tchad où elles étaient entrainées et renforcées par les Tchadiens. Le Président Idriss DEBY a participé activement à la prise du pouvoir de mars 2003. Les forces rebelles comprenaient une centaine de soldats tchadiens. * 146Baba LADDE crée le FPR en 1998. Il s'agit d'un mouvement tchadien opposé à Idriss Deby. Ce dernier réclame la sauvegarde des intérêts des éleveurs peulhs tchadiens. Fuyant les offensives des forces armées tchadiennes, le mouvement s'implante en RCA et se fixe pour objectif la création d'un Etat Peulh. Ceci passe par la destitution des régimes centrafricains et tchadiens. Le FPR a commis de nombreuses exactions dans les régions de l'Ouala, Nana-Grébizi et l'Oulam. Face aux offensives conjuguées de la RCA et du Tchad, son leader retourne au Tchad avec certains de ses combattants en 2012. Une autre partie rallie les rangs de la Séléka. Le reste se forme en milices indépendantes. * 147AdoumYacoub crée leFUC en décembre 2005. C'est un mouvement rebelle tchadien qui s'installe dans le Nord-est de la RCA courant 2006. Cette délocalisation fait suite aux défaites enregistrées face aux forces gouvernementales tchadiennes. * 148C'est le cas de l'armée de libération du peuple soudanais est un groupe créé au Soudan en 1983 par John GARANG. Ce mouvement chrétien et animiste du Sud du pays s'oppose au pouvoir arabe et musulman du Nord. Face aux défaites que le mouvement essuie pendant la seconde guerre civile qui ébranle le pays, certains de ses combattants fuient vers la RCA et s'installent dans le Nord-est. * 149 La LRA est un mouvement rebelle créé en 1987 par Joseph KONY qui s'insurge contre le pouvoir de Kampala. * 150 Marc Antoine PEROUSE DE MONTCLOS, L'aide humanitaire, aide à la guerre ?, Bruxelles, Editions Complexe, 2001, pp. 122-123. * 151 Stephen SMITH, Négrologie, Paris, Calmann-Lévy, 2003, pp. 139-140. |
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