Conflits enAafrique centrale: le cas de la RCA de 1960 à 2013. Dynamique récurrente d'une trappe de conflictualité( Télécharger le fichier original )par Yannick Stéphane NGBWA ESSO Université de Yaoundé II - Master-Recherce en Science Politique, option: Relations Internationales 2014 |
PARAGRAPHE 2 : LES MOUVEMENTS REGIONAUX, VECTEURS DE DIFFUSION ET D'AMPLIFICATION DES CONFLITS EN RCALa porosité des frontières favorise l'éclosion des activités criminelles. Des trafics de tout genre sont observés dans la sous-région. Ces activités profitent de la faillite de l'Etat centrafricain pour se déployer. L'incidence est le développement et la transposition extraterritoriale de l'insécurité en RCA.C'est le lieu de voir les dynamiques transfrontalières(A)et les dynamiques transnationales (B). A- LES DYNAMIQUES TRANSFRONTALIERES La RCA éprouve de sérieuses difficultés à affirmer sa souveraineté en zones frontalières. En tant que complexe géopolitique, elle est en proie à des dynamiques d'insécurité transfrontalière. L'essor d'activités criminelles profite de la quasi-inexistence de l'Etat en RCA, incapable d'assurer la sécurité sur toute l'étendue de son territoire. Des pans entiers de ce territoire sont abandonnés permettant ainsi à ces réseaux de se déployer. Les frontières centrafricaines sont « des lieux privilégiés pour leurs activités informelles »152(*). Les réseaux criminels fonctionnent comme des entreprises. De fait, ils cherchent à minimiser les dépenses et à maximiser les gains. Hans De Marie HEUNGOUP parle à cet effet « d'entrepreneurs d'insécurité »153(*) répartis en cinq ordres : les gangs, les bandes armées, les milices, les groupes terroristes et les rébellions qui sévissent au-delà des frontières154(*).Ils sont dotés de moyens logistiques pour créer l'insécurité. Ils agissent pour s'enrichir, contrôler un territoire ou pour prendre le pouvoir au sein d'un Etat. L'intangibilité des frontières favorise aussi l'avènement des braconniers venant de certains pays étrangers. Ils pénètrent sur le territoire et se livrent à un braconnage aveugle. L'insécurité qu'ils créent, réduit considérablement le nombre de touristes qui souhaitent se rendre dans le Nord-est. Leurs activités illégales constituent d'importants manques à gagner financiers pour l'économie centrafricaine. La porosité des frontières subit les effets néfastes de la prolifération et de la circulation illicite d'armes de guerre, surtout avec la position géographique du pays. En effet, la présence des rebelles et des groupes armés en RCA fait d'elle l'une des principales plaques tournantes du trafic illicite et de la prolifération des armes légères en Afrique Centrale. La circulation illicite des armes dans le pays fait suite à l'instabilité politique qui prévaut depuis 1996. Les mouvements des troupes étrangères vers la RCA ont grandement contribué à la prolifération d'armes sur son territoire. Il s'agit notamment de l'arrivée des militaires ex-FAR et miliciens entre 1994 et 1997. Ceux-ci fuyaient les troupes de l'AFDL. Il s'agit également de l'arrivée des FAZ en débandade après la chute de Joseph Désiré MOBUTU en 1997. Il s'agit enfin de l'intervention des troupes du MLC de Jean Pierre BEMBA venus à la rescousse du Président Ange-Félix PATASSE. Les armes en circulation illicite en RCA sont donc pour la plupart des armes acquises légalement mais qui se sont retrouvées en détention illicite entre les mains des groupes non étatiques ou des civils. Il y'aurait environ 20 millions d'armes légères en circulation en Afrique Centrale, principalement en RCA, au Tchad et en RDC155(*). Les réfugiés156(*) en provenance des pays voisins dans leurs différents mouvements emportent également des armes légères.Du fait de leur légèreté, ces armes passent très souvent les mailles de la douane centrafricaine. Quoi donc de plus normal que le pays soit l'une des principales voies de trafics illicites internationaux. B- LES DYNAMIQUES TRANSNATIONALES Selon Rémy LEVAU, les dynamiques transnationales perturbent les jeux étatiques classiques. Ces dynamiques créent des liens au-delà des frontières. Ainsi, des courants d'idées, de personnes circulent dans des espaces importants et créent des réseaux au coeur des Etats157(*). L'Afrique Centrale est le théâtre de nombreuses activités criminelles. Celles-ci servent à financer les groupes armés.Il s'agit entre autres du trafic de produits pharmaceutiques, le blanchiment d'argent, la fausse monnaie, le trafic de drogues, la pêche illicite, l'exploitation illicite des ressources minières, le trafic d'enfants, le trafic des migrants clandestins, la pédopornographie, la cybercriminalité, etc.158(*). On note une implantation et une implication d'unités extra africaines de puissance et d'action sur le sol centrafricain entre Etats, lobbies d'influence, réseaux de pouvoir, dispositifs stratégiques et grands groupes d'affaires159(*). Ils entretiennent des relations de concurrence et/ou de complémentarité entre eux. La souveraineté de l'Etat centrafricain tient plus de la fiction que de la réalité. Il a échoué dans son projet de recherche hégémonique et de totalisation de l'espace160(*). La RCA est le terreau des flux transnationaux qui subvertissent sa souveraineté161(*). Parmi ces activités criminelles figurent des réseaux de trafics d'enfants en RCA et dans les pays de la sous-région dont les auteurs sont généralement des concitoyens aisés. Ces derniers se ravitaillent dans les zones rurales où la pauvreté est accrue et les déportent au Cameroun, Congo Brazzaville, Guinée Equatoriale et Gabon en transitant par le Cameroun. Tandis que les enfants enlevés au Tchad sont quant à eux déportés en RCA162(*). En parallèle de ce trafic, subsiste un trafic d'un tout autre genre : celui de la drogue. Ce trafic a ses origines dans les pays tels que la RDC, la Tanzanie, l'Afrique du Sud, l'Ouganda et ceux d'Amérique latine. Il transite par la RCA pour atteindre les autres pays de la sous-région et est généralement destiné à la consommation locale.Il y'a également des réseaux de trafics de médicaments en provenance de l'Inde, de la Chine et du Nigéria. Du Nigéria, ces médicaments ont pour destination finale les pays de la zone CEMAC163(*). Ils ont des incidences économiques (inefficience des dépenses de santé) et sanitaires graves (échec thérapeutique).Tous ces trafics dans leurs déploiements respectifs occasionnent l'insécurité dans la sous-région. Ce sont des vecteurs de la transnationalisation des conflits en RCA. * 152 Roland POURTIER, op. cit., p. 93. * 153 Hans De Marie HEUNGOUP, « Entreprenariat d'insécurité, réseaux de contrebande et dynamiques transfrontalières en Afrique Centrale », Enjeux, numéro 49, juin 2013, pp. 38-40. * 154 Cf. Issa SAIBOU, « Les mutations polémologiques du banditisme en Afrique Centrale, Enjeux, numéro 33, octobre-décembre 2007, pp. 10-15. * 155 Hans De Marie HEUNGOUP, op. cit., pp. 38-40. * 156 Selon la Convention de Genève de 1951, un refugié est une personne qui, « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nation, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». * 157 Rémy LEVAU cité par Didier BIGO, « Les conflits bipolaires : dynamiques et caractéristiques », Cultures et conflits (En ligne), 08/Hiver 1992, mis en ligne le 07 janvier 2003, consulté le 31 mai 2016. URL : http:conflits.revues.org/517. * 158 Cf. Serge MEYE, «La coopération policière en Afrique Centrale : point de la situation », Enjeux, numéro 50, janvier 2015, p. 29. * 159 Eric Mathias OWONA NGUINI, « L'Afrique Centrale sous le prisme des intérêts étrangers : vue politique, stratégique, diplomatique, géopolitique et géoéconomique », Enjeux, numéro 42, janvier-mars 2010, p. 8. * 160 Cf. Jean-François BAYART etAchille MBEMBE cité par Luc SINDJOUN, Sociologie des relations internationales africaines, Paris, Karthala, 2002, p. 95. * 161 Cf.Bertrand BADIE et Marie-Claude SMOUTHS, Le retournement du monde, Paris, Presses de Sciences Po, 1992, pp. 69-110. * 162 Cf. Claude ABE, « Les cartographies du trafic d'enfants en Afrique Centrale : territorialisation de la criminalité et intégration régionale », Enjeux, numéro 49, juin 2013, pp. 9-11. * 163 Jérôme NJEGWEHA, « Les activités réticulaires de contrebande et de trafic de médicaments en Afrique Centrale : socioanalyse de pratiques génératrices de l'insécurité humaine », Enjeux, numéro 49, juin 2013, p. 21. |
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