Chapitre V: Interprétation des principaux
résultats
Cette partie consiste à dévoiler le contenu des
données recueillies sur le terrain. Il s'agit d'une démarche
explicative dans le contexte de l'étude en tenant compte des
hypothèses de départ et à la lumière des travaux
antérieurs. C'est également une analyse de contenu des
informations recueillies à partir des méthodes quantitatives et
qualitatives. Ceci nous permet de voir si l'hypothèse posée au
départ s'avère vraie ou fausse.
Ainsi, selon le contexte de l'étude notre
interprétation s'articulera autour de trois (3) points suivants :
Crise de la solidarité mécanique et échec de
l'autopromotion communautaire ; querelles liées à la
chefferie traditionnelle, comme obstacles à l'autopromotion
communautaire et enfin, proximité spatiale et diffusion du mode de
vie
5.1. Crise de la solidarité mécanique et
échec de l'autopromotion communautaire
Durkheim Emile, étudiant les formes de
solidarité sociale, a réussi à identifier deux formes de
solidarité. Il s'agit de la solidarité mécanique qui est
l'apanage des sociétés traditionnelles et la solidarité
organique, qui est caractéristique des milieux urbains.
Selon Durkheim, la solidarité mécanique,
correspondant à une société dans laquelle les individus
sont semblables et partagent d'une même manière et d'une
même intensité les éléments constituant la
conscience collective. Dans cette forme de solidarité, la
spécialisation et la division des tâches sont très faibles.
L'entraide, la cohésion sociale, l'entente, le communautarisme etc. sont
des valeurs que partagent les populations rurales.
Abordant la seconde forme de solidarité, qui est la
solidarité organique, l'auteur affirme qu'elle est
caractéristique des sociétés modernes et dont les signes
distinctifs sont la spécialisation, l'interdépendance et la
complémentarité des tâches des individus. Les individus,
entendus comme sources autonomes de pensée et d'action, se
particularisent. Cette dynamique de singularisation des individus conduit
à la modification radicale de la vie sociale avec comme toile de fond,
l'affaiblissement progressif et inéluctable de la conscience collective,
la perte des valeurs traditionnelles telles que la cohésion sociale,
l'entraide, l'entente. Ce qui fait que les individus ne partagent plus toutes
les mêmes croyances et que celles-ci ne s'imposent plus à eux avec
la même intensité.
Dans le canton d'Anfoin, les valeurs traditionnelles
précitées ne sont plus respectées et sont en voie de
disparition au profit des valeurs modernes. A la lumière des
informations recueillies sur le terrain, la majorité des
enquêtés, c'est-à-dire 92 % (confère tableau 5) ont
laissé entendre qu'il n'existe plus dans le canton des groupes
d'entraide. L'entraide est une aide mutuelle motivée par un sentiment de
solidarité. C'est aussi une assistance ou un soutien porté
à ceux qui en ont besoin. Les groupes d'entraide, sont donc des groupes
solidaires, unis et qui sont animés par un esprit communautaire et
d'assistance qu'ils portent à leurs membres. L'entraide est très
présente dans la cellule familiale. Or, dans le canton d'Anfoin, le
tableau 7 nous renseigne que 28,6 % des personnes interrogées ont
affirmé qu'elles ne reçoivent pas du tout de l'assistance de leur
famille en cas de difficulté économique ou dans d'autres
circonstances. Très peu, en reçoivent rarement. Ainsi, la
question de l'entraide rime avec les valeurs de solidarité sociale dont
parle Durkheim Emile.
C'est aussi le point de vue de Simmel Georg (2009), qui,
s'inscrivant dans la même logique qu'Emile Durkheim, distingue deux
sortes de relations sociales : les relations affectives et les relations
rationnelles. Selon lui, ces dernières ont pris une importance
considérable dans les sociétés modernes du fait de la
multiplication des relations marchandes et la ville constitue à ses yeux
la forme d'organisation sociale la plus propice aux relations fondées
sur la rationalité. Avec la recherche de l'intérêt
personnel, l'auteur conclue que la monnaie, une fois devenue une fin en soi,
exerce une grande influence sur les contenues de la société et,
en particulier, sur la façon de penser et de percevoir le monde. Les
passions et les sentiments s'effacent devant les calculs rationnels et la
recherche des intérêts. Auparavant interpersonnelle, la monnaie
comme la ville ont bouleversé les relations sociales pour leur donner un
contenu impersonnel.
Poussant loin notre investigation, les enquêtés
se sont prononcés sur les raisons qui justifient cette absence de
solidarité et des groupes d'entraide. A cet effet, sur 175 personnes
interrogées, 156 soit 89,1 % (Tableau 6 a) soutiennent que c'est la
montée de l'individualisme qui en est à la base. Pour d'autres
(Tableau 6 b), la solidarité est en voie de disparition dans le milieu
et c'est cette raison qui explique la quasi absence des groupes d'entraide dans
le canton d'Anfoin.
D'après les travaux de Durkheim Emile (2007), il
convient de dire que l'individualisme, la solidarité organique ont
phagocyté les valeurs traditionnelles de solidarité qu'on
reconnait aux sociétés traditionnelles. Dans cette optique la
tradition n'est plus respectée (confère graphique 3) où 98
% des enquêtés le reconnaissent.
Comment se manifeste la perte des valeurs de solidarité
dans la dynamique du développement local et de l'autopromotion
communautaire ?
Pour Mangin (1989) cité par Bonnal (1995), le
développement local c'est pour les sociétés locales, la
faculté de relocaliser leur développement, en s'appuyant sur les
caractéristiques de leur espace: richesses naturelles, humaines,
spécificité de l'espace, organisation sociale propre, tradition
culturelle. L'autopromotion communautaire par contre est une démarche
d'appui-accompagnement dans laquelle les populations, principales actrices,
prennent en charge leur propre développement en tenant compte des
potentialités et contraintes endogènes et exogènes.
S'inscrivant dans cette dynamique de développement
local et de l'autopromotion, les villages du canton d'Anfoin ont mis en place
leur Comité de développement à la base, qui est un organe
élu lors d'une Assemblée générale villageoise. Ils
ont pour mission d'animer et d'organiser le village pour la mobilisation
sociale de la communauté en vue de sa participation active au
développement local. C'est pour aborder cette question que nous avons eu
un entretien avec le Chef canton d'Anfoin et les Chefs des 3 autres villages
qui composent le canton. Les entretiens avec les Chefs du village et le Chef
canton nous ont permis de savoir comment s'organise les populations autour de
la question du développement de leur milieu et les difficultés
qui en sont liées.
En effet, selon les propos du Chef Canton d'Anfoin qui
résument celui des autres Chefs de villages :
« Notre canton dispose d'une Association
Villageoise de Développement (AVD), conformément au Décret
N°2012-005/PR relatif aux comités de développement à
la base du 26 février 2012. L'AVD a pour bureau exécutif, le
Comité de Développement à la Base (CDB). C'est par souci
de canaliser et de soutenir les initiatives de développement et d'amener
nos populations à prendre une part active dans le processus de
décentralisation et de développement local. »
Abordant les difficultés auxquelles est
confronté le CDB, il reconnait qu'avant la naissance du CDB, il existait
un Comité Villageois de Développement (CVD), qui s'occupait du
développement du canton. Mais le comité se réduisait
à la Présidente, et à son Secrétaire à cause
de la mésentente entre les membres. Le CVD n'a pas été
élu lors d'une Assemblée villageoise et donc ne
bénéficiait pas du soutien populaire. Il ajoute :
« Avec notre nouveau CDB, nous avons besoin d'être
accompagné pour doter notre canton d'un Plan Cantonal de
Développement (PCD)».
Toujours, parlant des difficultés il
renchérit :
« Nos populations sont entrain de perdre les
valeurs traditionnelles qui nous sont léguées par nos
ancêtres. La recherche de l'intérêt personnel,
l'individualisme et la mésentente nous détruisent. La population
ne participe pas aux travaux communautaires et refuse de cotiser pour
contribuer aux projets de développement financés dans notre
canton. C'est l'exemple du projet de réhabilitation de la piste
rurale Anfoin -Tannou (6 km). Lors de la mise en oeuvre de ce projet, il nous a
été demandé de contribuer en espèce ou en nature
à hauteur de 5% du montant total du projet, mais la population a
refusé de contribuer ».
Ces propos du Chef canton viennent renforcer, les
données collectées auprès de la population. Le tableau 8
et le graphique 4 nous renseigne sur ces entraves au fonctionnement des CDB du
canton d'Anfoin. Selon les résultats compilés dans ledit tableau,
50 personnes sur les 147, soit 34 % reconnaissent que leur CDB est fonctionnel,
mais que c'est la mésentente entre les membres qui entrave à leur
fonctionnement. Pour d'autres (32,7 %), les CDB sont fonctionnels mais n'ont
pas le soutien populaire. D'autres encore (33,3%), arguent que c'est le manque
de réunion qui en est à la base.
Aussi les graphiques 5 et 6 nous montrent les taux de
participation de la population aux réunions populaires et aux travaux
communautaires.
Des entretiens réalisés avec les membres des
bureaux des CDB rejoignent la position des Chefs de village. Selon les propos
du Président du CDB Anfoin-Apédomé :
« La question du développement de nos villages, interpelle
tout le monde mais je ne comprends pas le désintérêt de la
population devant les initiatives de développement »
Cependant, l'autre aspect des obstacles internes à
l'autopromotion communautaire de la population du canton d'Anfoin a trait au
conflit de chefferie traditionnelle.
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